Rapport d'information n° 324 (2018-2019) de Mme Muriel JOURDA et M. Jean-Pierre SUEUR , fait au nom de la commission des lois, déposé le 20 février 2019
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COMPTES RENDUS DES AUDITIONS
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Audition de la fédération
CFE-CGC,
organisation professionnelle de la police nationale
(Mardi 24 juillet 2018)
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Audition de la fédération
CFDT,
organisation professionnelle de la police nationale
(Mardi 24 juillet 2018)
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Audition de la fédération de l'Union
nationale
des syndicats autonomes (UNSA),
organisation professionnelle de policiers
(Mardi 24 juillet 2018)
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Audition de la fédération de Force
ouvrière (FO),
organisation professionnelle de policiers
(Mardi 24 juillet 2018)
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Audition de M. Gérard Collomb,
ministre d'État, ministre de l'intérieur
(Mardi 24 juillet 2018)
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Audition du Général Richard
Lizurey,
directeur général de la gendarmerie nationale
(Mercredi 25 juillet 2018)
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Audition de M. Éric Morvan,
directeur général de la police nationale
(mercredi 25 juillet 2018)
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Audition de Mme Marie-France
Monéger-Guyomarc'h, directrice,
cheffe de l'inspection générale de la police nationale
(Mercredi 25 juillet 2018)
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Audition de M. Michel Delpuech, préfet de
police de Paris
(mercredi 25 juillet 2018)
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Audition de M. Patrick Strzoda,
directeur de cabinet du Président de la République
(mercredi 25 juillet 2018)
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Audition de M. Frédéric
Auréal,
chef du service de la protection
(Mercredi 25 juillet 2018)
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Audition de M. Jacques Toubon,
Défenseur des droits
(Mercredi 25 juillet 2018)
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Audition de M. Alexis Kohler,
secrétaire général de la présidence de la République
(Jeudi 26 juillet 2018)
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Audition de MM. Michel Lalande,
préfet de la région Hauts de France, préfet du Nord,
et Luc-Didier Mazoyer, directeur départemental
de la sécurité publique du Nord
(Lundi 30 juillet 2018)
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Audition de M. Jean-Marie Girier, chef de cabinet
de M. Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de
l'intérieur, et ancien directeur de la campagne de M. Emmanuel
Macron pour l'élection
présidentielle
(Lundi 30 juillet 2018)
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Audition de M. Stéphane Fratacci, directeur
de cabinet
de M. Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur
(Lundi 30 juillet 2018)
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Audition de M. Olivier de
Mazières,
préfet de police des Bouches du Rhône
(Lundi 30 juillet 2018)
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Audition du Colonel Lionel Lavergne,
chef du groupe de sécurité de la présidence de la République
(Lundi 30 juillet 2018)
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Audition de M. Christophe
Castaner,
délégué général du mouvement La République en Marche
(Mardi 31 juillet 2018)
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Audition de M. François-Xavier
Lauch,
chef de cabinet du Président de la République
(Mercredi 12 septembre 2018)
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Audition du Général Éric Bio
Farina,
commandant militaire de la présidence de la République
(Mercredi 12 septembre 2018)
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Audition de M. Maxence Creusat, commissaire de
police
à la direction de l'ordre public et de la circulation
de la préfecture de police de Paris
(Mercredi 12 septembre 2018)
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Audition de M. Alexandre Benalla,
ancien chargé de mission à la présidence de la République
(Mercredi 19 septembre 2018)
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Audition de M. Vincent Crase,
chef d'escadron dans la réserve opérationnelle
de la gendarmerie nationale
(Mercredi 19 septembre 2018)
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Audition de M. Yann Drouet,
ancien chef de cabinet du préfet de police de Paris
(Mercredi 19 septembre 2018)
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Audition de M. Michel Besnard, préfet,
ancien chef du groupe
de sécurité de la présidence de la République (GSPR)
(Mercredi 26 septembre 2018)
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Audition de M. Jean-Paul Celet, préfet,
ancien directeur du Conseil national des activités privées de
sécurité
(CNAPS)
(Mercredi 26 septembre 2018)
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Audition de M. Alain Bauer, professeur de
criminologie
au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)
(Mercredi 26 septembre 2018)
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Audition de Mme Sophie Hatt, ancienne cheffe du
groupe de sécurité
de la présidence de la République, directrice des services actifs
de la police nationale, directrice de la coopération internationale
au ministère de l'intérieur
(Mercredi 10 octobre 2018)
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Audition de M. Patrick Strzoda,
directeur de cabinet du Président de la République
(Mercredi 16 janvier 2019)
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Audition de M. Christophe Castaner,
ministre de l'intérieur
(Mercredi 16 janvier 2019)
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Audition de M. Jean-Yves Le Drian,
ministre de l'Europe et des affaires étrangères
(Mercredi 16 janvier 2019)
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Audition de M. Alexandre Benalla,
ancien chargé de mission à la présidence de la République
(Lundi 21 janvier 2019)
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Audition de M. Vincent Crase,
chef d'escadron dans la réserve opérationnelle
de la gendarmerie nationale
(Lundi 21 janvier 2019)
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Audition de la fédération
CFE-CGC,
N° 324
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2018-2019
Enregistré à la Présidence du Sénat le 20 février 2019 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la mission d'information sur les conditions dans lesquelles des personnes n'appartenant pas aux forces de sécurité intérieure ont pu ou peuvent être associées à l' exercice de leurs missions de maintien de l' ordre et de protection de hautes personnalités et le régime des sanctions applicables en cas de manquements ,
Par Mme Muriel JOURDA et M. Jean-Pierre SUEUR,
Sénateurs
Tome 2 : Comptes rendus des auditions
(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; MM. François Pillet, Jean-Pierre Sueur, François-Noël Buffet, Jacques Bigot, Mmes Catherine Di Folco, Sophie Joissains, M. Arnaud de Belenet, Mme Nathalie Delattre, MM. Pierre-Yves Collombat, Alain Marc , vice-présidents ; M. Christophe-André Frassa, Mme Laurence Harribey, MM. Loïc Hervé, André Reichardt , secrétaires ; Mme Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Philippe Bonnecarrère, Mmes Agnès Canayer, Maryse Carrère, MM. Mathieu Darnaud, Marc-Philippe Daubresse, Mme Jacky Deromedi, MM. Yves Détraigne, Jérôme Durain, Mme Jacqueline Eustache-Brinio, MM. Jean-Luc Fichet, Pierre Frogier, Mmes Françoise Gatel, Marie-Pierre de la Gontrie, M. François Grosdidier, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Jean Louis Masson, Mme Marie Mercier, MM. Jacques Mézard, Thani Mohamed Soilihi, Alain Richard, Vincent Segouin, Simon Sutour, Mmes Lana Tetuanui, Catherine Troendlé, M. Dany Wattebled . |
COMPTES RENDUS DES AUDITIONS
Audition de la
fédération CFE-CGC,
organisation professionnelle de la police
nationale
(Mardi 24 juillet 2018)
M. Philippe Bas , président . - Cette audition est la première que tient la commission des lois dans le cadre de sa mission d'information avec pouvoirs d'une commission d'enquête, sur l'affaire dite « Benalla ». Ses rapporteurs sont M. Jean-Pierre Sueur et Mme Muriel Jourda. Nous entendrons séparément toutes les organisations syndicales, et chaque audition durera une demi-heure. Leurs représentants auront la parole pour un propos liminaire et il serait bon qu'ils ménagent du temps pour des questions complémentaires.
S'agissant d'une commission d'enquête, je dois vous demander de prêter serment. Je vous indique pour la forme qu'un faux témoignage devant la commission des lois dotée des prérogatives d'une commission d'enquête serait passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, les personnes entendues prêtent serment.
M. Fabien Vanhemelryck, secrétaire général délégué d'Alliance Police nationale . - En tant que syndicalistes, nous n'aurons pas de langue de bois et nous vous donnerons notre version des faits, qui sera largement vérifiable. En tant que syndicat majoritaire, nous ne pouvons être que scandalisés de la situation. Nous avons d'ailleurs tout de suite publié un communiqué en ce sens. Cette situation nous paraissait inadmissible et nous voulions qu'une enquête soit menée ; cela va enfin avoir lieu.
Ce qui nous pose problème, c'est que l'on a encore sali, terni l'image de la police nationale ; en effet, les premières déclarations de certains élus ont fait état d'une bavure policière, de violences policières ; il n'a en aucun cas été question d'un conseiller du Président de la République. Heureusement, on s'est aperçu depuis qu'il s'agissait de M. Benalla, caché sous son casque et déguisé en policier.
Toutefois, le débat n'est pas là ; nous souhaitons que toute la lumière soit faite sur cette affaire et que cela ne se reproduise plus. C'est, à notre connaissance, la première fois que cela arrive, la première fois qu'un observateur se prend pour un interpellateur. Nous souhaiterions qu'une convention spécifique soit conçue pour définir le rôle de l'observateur, afin que les choses soient bien claires ; les observateurs viennent de partout, on ne sait pas qui donne les autorisations ni comment et sous quel contrôle l'observation se déroule.
Enfin, nous voulons comprendre pourquoi M. Benalla s'est permis de faire ce genre de choses ; cela nous dépasse, pour l'instant. On l'a dit, on peut difficilement croire qu'il ait été seul sur le terrain, un observateur est toujours accompagné d'un tuteur. On veut comprendre qui l'a emmené jusque-là, qui lui a donné ce brassard et cette radio de la police. En revanche, il est vrai qu'il devait avoir ce casque, pour se protéger.
Une question revient souvent sur l'absence de réaction des CRS qui étaient autour des évènements. Nous ne voulons pas qu'ils servent de boucs émissaires, de lampistes, dans cette affaire. Avant de les incriminer, il faut connaître leur rôle ; ils travaillent toujours en unités constituées, donc, s'il se passe quelque chose autour d'eux qui ne les concerne pas directement, ils ne réagissent pas, ils ne sont pas là pour ça. Ils ne sont là que pour écouter une seule autorité, leur hiérarchie directe, qui reçoit d'ailleurs les ordres de plus haut.
Par ailleurs, si vous êtes confrontés à la vidéo, fermez les yeux et écoutez les sons ; vous verrez que, ce jour-là, ils prenaient de nombreux projectiles et qu'ils ne pouvaient pas intervenir ni savoir ce qu'il se passait à côté d'eux. Ce n'est pas leur rôle, ils ne sont pas là pour intervenir. Il ne faut pas s'attaquer une fois de plus aux petits sans s'occuper des grands.
M. Olivier Boisteaux, président du Syndicat indépendant des commissaires de police (SICP) . - Je vous remercie de nous donner la parole sur un sujet éminemment important pour nous, car il a porté atteinte à nos institutions. L'objet de l'audition est non pas d'entrer dans le détail mais de recentrer le débat sur ce qui nous paraît fondamental, qui est pourtant éludé dans les différentes interventions que l'on entend.
Ce qui importe est, selon nous, de savoir quelles étaient les fonctions, les missions de M. Benalla et d'autres personnes, comme M. Crase. Il suffit de regarder les vidéos et les photographies qui circulent pour le voir : tout en ayant le titre de chef de cabinet adjoint du Président de la République, M. Benalla s'occupait directement de la sécurité rapprochée du Président de la République ; il était, soyons clairs, son garde du corps. On le voit en permanence sur les vidéos à moins de cinquante centimètres du Président. Ce monsieur, même si on nous le présente comme quelqu'un qui s'occupait des bagages des joueurs de l'équipe de France de football - ce qui est étonnant, surtout après sa suspension - avait un titre qui lui conférait un véritable pouvoir, notamment aux yeux de l'autorité que nous incarnons.
Pourtant - c'est là que réside le
problème -, il y a au sein du ministère de
l'intérieur le service de la protection (SDLP), ancien service de
protection des hautes personnalités, qui intègre le groupe de
sécurité de la présidence de la République (GSPR).
Plusieurs dizaines de personnes sont chargées au quotidien de la
sécurité rapprochée du Président de la
République ; ce sont des policiers ou des gendarmes, à la
tête desquels se trouvent un colonel de la gendarmerie et son adjoint, un
commissaire de police. Ces agents sont formés et aguerris, ce sont des
professionnels de la sécurité. Or on se rend compte qu'un certain
nombre de personnes
- M. Benalla, M. Crase, peut-être
d'autres - ont des prérogatives que l'on n'arrive pas à bien
identifier et qui, par leur positionnement et la voix qu'ils portent, celle de
la présidence de la République, se voient conférer une
autorité naturelle sur des forces de sécurité
intérieure, qui devraient avoir cette autorité.
Notre problème est de savoir si ces gens doivent ou non exister. À mon avis, la réponse est claire : on a des gens au GSPR - presque quatre-vingts personnes - qui sont payés par nos concitoyens pour le faire. Pourquoi en employer d'autres ? Y a-t-il une défiance de la présidence de la République vis-à-vis des forces de l'ordre ? Si on ne les utilise pas, il doit y avoir une raison. En outre, cela pose des difficultés à nos collègues chargés de la sécurité du Président de la République ; avoir en permanence dans les pattes des personnes qui se substituent à eux pour faire de la sécurité rapprochée un jour et participer à des réunions de préparation le lendemain doit être assez étonnant.
La confusion des rôles, l'ambiguïté des fonctions de M. Benalla et des gens qui l'entourent posent de graves problèmes sur la lisibilité des instructions qu'ils pourraient être amenés à donner à nos collaborateurs. Je le rappelle, un certain nombre de policiers ont été suspendus et mis en examen pour avoir communiqué des informations indues à M. Benalla. Je veux bien qu'ils aient commis des erreurs, mais, quand des personnes se présentent comme l'émanation de l'autorité suprême et sollicitent des éléments auprès de policiers, il est très difficile d'y résister. Le coeur du problème est donc de savoir quelles sont les missions de ces gens-là et s'ils ont une raison d'être. À mon avis, je le répète, ils n'en ont pas, car le GSPR est chargé de la sécurité rapprochée de la présidence de la République.
M. Philippe Bas , président . - Nous avons beaucoup entendu parler ces derniers jours d'un projet de réorganisation des services de la présidence de la République. Si j'ai bien compris, il s'agirait d'une fusion du commandement militaire du palais et du groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR), pour autonomiser cette instance à l'égard de la hiérarchie du ministère de l'intérieur. Cela vous semble-t-il positif ? Serait-ce de nature à améliorer la situation ?
M. Jean-Paul Megret, secrétaire national du SICP. - Ce projet a été présenté voilà quelques mois à l'ensemble des organisations syndicales comme un fait accompli. Comme souvent avec les projets présidentiels, c'était non négociable. La direction générale de la police nationale expliquait que le cordon serait coupé avec le service de la protection (SDLP), pour prévoir plus de souplesse dans les recrutements. La fusion avec les autorités militaires de l'Élysée aurait aussi pour but de diversifier les profils : il était question de contractuels, d'anciens militaires voire d'anciens agents de la DGSE, afin d'avoir un panel de qualités complémentaires, au motif que les policiers et gendarmes ne suffiraient pas pour accomplir les missions actuelles.
Ce projet en était à ses débuts, il n'était pas encore définitif, mais on savait que l'autorité de cette unité serait à l'Élysée - directeur de cabinet ou secrétaire général -, pour créer une autorité interne au palais et ne dépendant plus organiquement de la police nationale. On n'a pas mentionné du tout les noms des personnes qui auraient été à la tête de ce groupe.
M. Fabien Vanhemelryck . - Il ne faudrait pas que ce projet, au sujet duquel nous n'avons jamais été consultés, serve de contrefeu, sous prétexte que le GSPR n'aurait pas fonctionné correctement. La police n'est pas coupable, le problème vient d'un conseiller du Président de la République qui s'est permis de faire des choses qu'il n'aurait pas dû faire. Le GSPR n'a rien à se reprocher en la matière, il a toujours été professionnel. Il ne faudrait pas que l'administration prétende régler ce problème au moyen d'une nouvelle réforme qui, en fait, en créerait d'autres. Le système fonctionne, il y a sans doute quelques perfectionnements à apporter - un audit global de la situation serait peut-être opportun -, mais en aucun cas ce projet de fusion ne règlera le problème.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Je veux d'abord dire la considération que nous avons pour tous les fonctionnaires de la police nationale et de la gendarmerie nationale. Ils sont mis à rude épreuve ; il y a une grande confiance en eux.
Lorsque l'on regarde la vidéo, on voit des personnes de la police nationale qui restent statiques, et l'on voit des personnes qui n'en font pas partie qui interviennent de manière assez brutale. Soit il y a matière à intervenir, soit ce n'est pas le cas. Si c'est le cas, pourquoi les policiers n'interviennent-ils pas et pourquoi laisse-t-on des personnes qui ne sont pas membres des forces de l'ordre intervenir ? Je note que vous avez en partie répondu à cette question : nous prenons acte de l'existence de ce qui a été décrit comme une « police parallèle » et des problèmes dans les relations entre les policiers et ceux qui n'appartiennent pas à la police mais donnent des ordres.
M. Fabien Vanhemelryck . - M. Sueur connaît très bien les policiers, je ne lui apprendrai donc pas comment nous fonctionnons. Un document vidéo peut être interprété de diverses façons. La question posée est légitime et la connaissance du rôle des compagnies républicaines de sécurité (CRS) permet d'analyser la situation : des fonctionnaires en civil, munis d'un brassard et d'une radio de police, sont présents dans les manifestations. En aucun cas, nos collègues CRS ne pouvaient donc savoir qu'il s'agissait en l'espèce de faux policiers. Si ce monsieur s'est trouvé au milieu de l'action, c'est qu'il y a eu un autre souci ailleurs, mais jamais du côté des CRS, qui n'interviennent que sur ordre de leur hiérarchie. La manifestation du 1 er mai était en outre très difficile - trente interpellations rien que sur la place de la Contrescarpe et des blessés -, il faut donc faire la part des choses.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Vous avez souligné la confusion qu'il pouvait y avoir lorsque quelqu'un se prévaut de l'autorité suprême et agit en qualité d'émissaire de l'Élysée. Est-ce une constatation d'ordre général ou avez-vous eu connaissance que cette personne se présentait ainsi en opération à vos collègues, comme l'adjoint du chef de cabinet de l'Élysée ?
M. Olivier Boisteaux . - Il faut bien distinguer les situations. Il y a d'une part les actions de terrain, au cours desquelles les CRS obéissent uniquement à leur autorité propre et, d'autre part, les demandes que j'évoquais, en me référant aux deux commissaires de police et au commandant sollicités pour fournir des images. Quand M. Benalla se présente dans une réunion en tant que représentant de la sécurité du Président, on ne sait pas trop de qui il s'agit mais on se sent naturellement obligé de répondre positivement à ses sollicitations. Sur le terrain, en revanche, on est dans une situation parfaitement différente, seule l'autorité directe d'emploi des CRS donne les instructions aux agents.
M. Alain Richard . - L'un de vous a évoqué le fait que, lors des déplacements du Président de la République, vous pouviez penser qu'il y avait plusieurs personnes extérieures au GSPR, en dehors de M. Benalla. Avez-vous des indices précis laissant penser qu'il y aurait un groupe constituant une garde personnelle hors du GSPR ?
M. Hervé Marseille . - M. Benalla disposait d'un téléphone, d'un accès au réseau. S'agit-il du réseau Automatisation des communications radioélectriques opérationnelles de la police nationale, dit Acropol ? Dans ce cas, peut-on avoir accès aux enregistrements ?
M. Patrick Kanner . - Toute vidéo est interprétable, selon vous. Puisque la défense de M. Benalla insiste sur le fait que celui-ci est venu donner un coup de main à des forces de police débordées par la situation, considérez-vous que c'était le cas, au regard de la vidéo ?
Mme Esther Benbassa . - Quelles étaient les relations entre les policiers affectés à la sécurité du Président de la République et M. Benalla ? Il n'a pas pu avoir seul tous ces équipements de police.
M. François Grosdidier . - On parle toujours de son statut d'observateur, mais n'y a-t-il pas aussi en opération des fonctionnaires d'autorité ? Il a été présenté comme chef adjoint de cabinet mais il y a souvent dans les manifestations des membres du corps préfectoral. Y a-t-il une doctrine pour déterminer quand un fonctionnaire ou un contractuel peut ou non donner des ordres à des fonctionnaires sur le terrain ?
Les opérations de maintien de l'ordre sont-elles filmées ? Avec les progrès de la vidéo, y a-t-il un enregistrement systématique ? M. Benalla invoque l'article 73 du code de procédure pénale, qui autorise tout citoyen, en cas de flagrant délit, à interpeller une personne et à la conduire devant un officier de police judiciaire ; les vidéos donnent-elles un fondement à cet argument ?
Mme Laurence Harribey . - Existe-t-il des éléments distinctifs permettant de reconnaître un observateur, et quel est le régime exact de l'activité de ces observateurs ?
Mme Brigitte Lherbier . - Les vidéos transmises sont-elles les originales ? Y a-t-il des copies ? Reste-t-il encore des images à découvrir ?
M. Philippe Bas , président . - Je vais également, à titre exceptionnel, donner la parole à Mme Éliane Assassi, qui est membre d'honneur de notre commission...
Mme Éliane Assassi . - Le ministre d'État, ministre de l'intérieur, a indiqué à plusieurs reprises que l'inspection générale de la police nationale (IGPN) avait été saisie pour enquêter sur les agissements de M. Benalla, qui n'est ni policier ni gendarme. Ne fallait-il pas plutôt saisir l'inspection générale de l'administration (IGA) ?
M. Fabien Vanhemelryck. - Les relations entre nos collègues de la Compagnie de garde de l'Élysée et M. Benalla étaient très mauvaises - je parle au nom des gradés et gardiens. Ce dernier était, selon leurs termes, exécrable ; il avait ainsi du mal à comprendre qu'il faille attendre pour pouvoir passer ou se garer.
En ce qui concerne les observateurs, nous demandons une doctrine, une convention. À notre connaissance, actuellement, il n'y en a pas. Un observateur peut venir de n'importe quel milieu. Cela peut d'ailleurs être très intéressant et nous y sommes favorables, car cela permet d'avoir une autre vision de la police, qui n'a rien à cacher, et de découvrir nos conditions de travail, mais il faut une convention définie.
M. Johann Cavallero, délégué national CRS d'Alliance police nationale. - Lors de la manifestation, des CRS font une sortie pour interpeller l'individu auteur de jets de projectiles et le remettent ensuite aux personnes qui étaient, selon eux, des fonctionnaires de police. Ils retournent alors à leur mission initiale, garder le terrain, car leur rôle premier est de rétablir l'ordre public sur la place de la Contrescarpe, où il y avait de nombreux jets de projectiles, qui ont occasionné beaucoup de blessés.
Les CRS agissent sur instruction de l'autorité civile, soit le préfet, soit le commissaire de police, avec des sommations, tout figure dans les comptes rendus.
Sur la vidéo, chaque compagnie est équipée d'appareils photo ou de caméras, déclenchés selon les circonstances. Des moyens vidéo ont été utilisés par la compagnie concernée. Toutes les sommations ont été indiquées dans le compte rendu. Tout était donc clair et transparent et a été transmis par la compagnie qui était sur le terrain au moment des faits.
M. Fabien Vanhemelryck. - Concernant l'utilisation par M. Benalla du réseau Acropol, les enregistrements vidéo sont conservés durant trente jours et les enregistrements radio durant soixante-deux jours, le délai est donc probablement dépassé. M. Gibelin a répondu à cette question hier lors de son audition à l'Assemblée nationale et on est censé ne pas découvrir d'autres vidéos.
M. Olivier Boisteaux . - Le préfet de police a indiqué hier que des vidéos avaient été retrouvées qui n'auraient pas dû l'être, car leur délai de conservation était largement dépassé...
M. Jean-Paul Megret. - Lorsque l'on parle d'une enquête de l'IGPN sur M. Benalla, il s'agit d'un abus de langage. En réalité, deux services ont été co-saisis dans cette affaire. Les gardes à vue de nos collègues ont été traitées par l'IGPN et la situation de MM. Benalla et Crase a été traitée par un service particulier de la police judiciaire de Paris, la brigade de répression de la délinquance aux personnes, qui a une multitude de compétences, dont les abus de fonction et les abus d'autorité. Cette brigade a été saisie par le parquet de Paris et ce n'est qu'en bout de garde à vue des uns et des autres que tout a été regroupé dans une même commission rogatoire. À moins que les choses soient connexes, la plupart du temps, l'IGPN traite des problématiques liées aux policiers et laisse d'autres services s'intéresser aux autres personnes figurant dans la même affaire.
M. Alain Richard . - Disposez-vous d'indices laissant supposer que d'autres personnes que M. Benalla se substituent au GSPR ?
M. Olivier Boisteaux . - Nous n'avons pas d'indice particulier en ce sens, mais nous voyons sur les vidéos, comme tout le monde, qu'il y avait déjà MM. Benalla et Crase ; il y en a donc au moins deux. Avant ces faits, nous ne connaissions pas même leurs noms.
Audition de la fédération CFDT,
organisation professionnelle
de la police nationale
(Mardi 24 juillet 2018)
M. Philippe Bas , président . - Madame, messieurs, je propose que vous commenciez par une déclaration liminaire ; néanmoins, nous n'avons qu'une demi-heure pour l'audition et il serait souhaitable que vous laissiez du temps pour des questions.
S'agissant d'une commission d'enquête, je dois vous demander de prêter serment. Je vous indique qu'un faux témoignage devant la commission des lois dotée de ces prérogatives est passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, les personnes entendues prêtent serment.
M. Jean-Marc Bailleul, secrétaire général du Syndicat des cadres de la sécurité intérieure - Confédération française démocratique du travail (SCSI-CFDT) . - La CFDT est une instance, au sein du ministère de l'intérieur, très peu représentée jusqu'à ce jour.
M. Jacob est le secrétaire général de la section Gardiens de la paix, et nous représentons des officiers et des commissaires de police. En effet, selon nous, les sujets du ministère doivent s'extraire d'une analyse purement catégorielle.
Cette affaire montre qu'il est temps que le ministère de l'intérieur se réforme : il se passe des bizarreries que l'on a pu, que l'on a dû, laisser faire.
Nos collègues ont été profondément touchés par cette affaire et par l'image qu'elle donne à l'extérieur de l'institution policière. Deux commissaires et un officier ont fait l'objet d'une suspension pour avoir extrait, d'après ce que l'on sait, une vidéo qui ne fait que confirmer celle filmée par un citoyen le 1 er mai lors de la manifestation. Il ne faudrait donc pas déplacer le problème de fond sur cette seule extraction : elle constitue, certes, une faute, mais c'est un sujet accessoire.
Nous avons des questions, qui reflètent la frustration de nos collègues de tous grades et de tous corps. Alors que l'on a un service de professionnels recrutés et sélectionnés, composé d'officiers de gendarmerie et de police et de gardiens de la paix et de gendarmes - le GSPR -, pourquoi prendre un conseiller de sécurité opérationnel sur le terrain ? Il ne doit pas y avoir de confusion des genres ; au moment où l'on envisage, dans le cadre de CAP22, de recruter des contractuels sur des postes de sécurité, cela pose des questions de fond sur le respect des règles déontologiques, principe de base de l'ensemble des policiers, qui doivent s'y soumettre. C'est d'ailleurs le fondement de 70 % des sanctions prononcées au sein de la fonction publique.
Si c'était un gardien de la paix qui avait commis ces violences illégitimes en dehors du cadre légal, une procédure aurait bien entendu été immédiatement engagée : évidemment d'un point de vue administratif, et sûrement pénal. Il y a donc deux poids et deux mesures ; pourquoi n'y a-t-il pas eu, pour M. Benalla, saisine immédiate des instances juridictionnelles indépendantes ?
Comment a-t-on pu doter cet agent de sécurité privée, occupant certes un poste prestigieux à l'Élysée, d'un véhicule équipé « police », tout neuf, alors que les fonctionnaires de police circulent au quotidien dans des voitures de plus de 200 000 kilomètres et en mauvais état ?
Pourquoi M. Benalla a-t-il été doté d'un brassard de police, qui est le symbole d'une fonction que l'on doit respecter et qui nous engage ? Quand on intervient sur la voie publique avec ce brassard, c'est la police que l'on voit et non M. Benalla. Cela a donné une image négative de la police nationale.
Comment a-t-on pu nommer M. Benalla, membre de la réserve opérationnelle de la gendarmerie, ce qui est tout à son honneur - nous prônons d'ailleurs la création d'une réserve de ce type dans la police nationale -, mais au grade de lieutenant-colonel, avec, par-dessus le marché, la qualité d'expert ? Même honorifique, ce n'est pas insignifiant. De quoi peut-on être expert à vingt-six ans, dans le domaine de la sécurité présidentielle ? Il faut plusieurs années pour acquérir de l'expérience et pour pouvoir être sélectionné dans les services de la protection ou de la sécurité du Président de la République !
Cela nous blesse d'autant plus dans le contexte actuel où l'on interdit aux commandants divisionnaires de porter ces galons, parce qu'on nous en estime indignes. Cela crée chez les officiers de police un sentiment d'indignation.
Pourquoi, alors que l'on a 250 000 policiers et gendarmes - nombre élevé par rapport à la population, comparativement aux autres pays européens -, recruter des agents de sécurité privée pour assurer la sécurité du Président de la République ? A-t-on un problème de confiance ? Nous demandons des réponses précises.
Quant à la question de la réserve citoyenne, nous demandons que la liste de ses membres soit rendue publique tout comme celle des spécialistes de la réserve opérationnelle. Je pense que l'on a suffisamment d'experts auprès des tribunaux et dans les forces de police pour ne pas aller en chercher ailleurs qu'il faut rémunérer sans plus-value évidente. Il y a une opacité sur cette question depuis plusieurs années ; nous avons saisi la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA), la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), et le ministre de l'intérieur, et la réponse a toujours été négative.
M. Denis Jacob, secrétaire général d'Alternative Police-CFDT . - L'image de la police a été salie, qu'on le veuille ou non. En effet, avant que cette affaire n'éclate, il s'est écoulé deux mois et demi. Pendant toute cette période, pour ceux qui ont vécu cette affaire, c'est d'une bavure policière qu'il s'agissait. Les collègues, gradés et gardiens, sont d'autant plus en colère qu'ils ont été mis en cause à plusieurs reprises lors de manifestations particulièrement violentes, sans parler des attentats.
Les CRS ont une mission, le maintien de l'ordre ; ils sont constitués en unités et ils ne peuvent faire autre chose, notamment pas des missions de sécurité publique. Quand ils interpellent quelqu'un, ils le transmettent à d'autres services de police, en arrière, qui s'occupent de la prise en charge. Ils contiennent les foules et se préoccupent des tentatives de débordement des limites du cortège prédéterminé. Il y a d'ailleurs actuellement une réflexion sur l'adaptation et la redéfinition de la doctrine d'emploi des CRS pour qu'elles puissent intervenir face aux nouvelles contraintes du terrain.
Quand M. Benalla porte les signes distinctifs de la police nationale, il n'y a pas de confusion possible, il est, dans l'esprit des gens, policier. Se pose la question de la différenciation des observateurs. Jusqu'à présent, il n'y avait jamais eu de problème, que ce soit avec des journalistes, des sociologues ou autres. Les observateurs sont strictement encadrés en pratique et disposent de moyens de protection qui ne sont pas sérigraphiés « Police ». Pourquoi cet individu avait-il un casque, un brassard et une radio de la police ?
Le mécontentement est profond à voir M. Benalla disposer d'une Renault Talisman spécialement équipée alors que nos collègues travaillent au quotidien avec des véhicules qui comptent 200 000 ou 300 000 kilomètres au compteur. Ce n'est pas concevable. Cela met en lumière des pratiques qui ne sont pas des pratiques de policier. Je le rappelle, ce sont de hauts fonctionnaires et de hautes personnalités qui sont mis en cause aujourd'hui. Les enquêtes détermineront les responsabilités des uns et des autres, il ne m'appartient pas de le faire, néanmoins, combien de fois a-t-on mis en cause le comportement de policiers de terrain ? On n'a pas attendu, alors, deux mois et demi pour les mettre en garde à vue, les interroger, les mettre en examen, les suspendre, les soumettre à une enquête de l'IGPN, bref pour prendre toutes les mesures conservatoires qui s'imposent en pareil cas. Encore une fois, il y a deux poids et deux mesures...
M. Julien Morcrette, secrétaire général adjoint d'Alternative Police-CFDT . - La sécurité du Président de la République revêt un caractère éminemment régalien et l'orientation vers le recrutement d'agents contractuels ou de sécurité privée pour assurer ces missions ébranle la sécurité de l'État et de ses institutions.
Plusieurs questions se posent. Comment M. Benalla a-t-il pu s'attribuer des missions à caractère régalien, sans aucun contrôle ? Avait-il une fiche de poste, une feuille de mission ? C'est une question que cette commission devrait, selon moi, élucider.
M. Philippe Bas , président . - Ce n'est pas sans raison que la commission des lois du Sénat a choisi de vous entendre avant toutes les personnalités qui ont été convoquées. C'est une manière pour nous d'assurer la police nationale et la gendarmerie, qui n'a bien sûr pas d'organisation syndicale, de notre profond respect, de notre soutien, et de notre attention aux conditions de mise en oeuvre de leurs responsabilités. Sur la question des moyens de la police et de la gendarmerie, vous nous trouverez toujours à vos côtés.
Mme Muriel Jourda , rapporteur. - J'ai cru comprendre que le statut d'observateur n'était guère défini, mais vous avez dit que l'observateur est normalement encadré. Pouvez-vous m'en dire plus à ce sujet et sur le fait qu'un accompagnateur ait ou non existé pour M. Benalla ?
M. Denis Jacob. - Je répondrai de manière générale, car je ne connais pas ce qui s'est fait pour M. Benalla. Généralement, il s'agit de demandes de journalistes ; ces derniers sollicitent une autorisation du cabinet du préfet de police pour accompagner un service de police dans le cadre d'un reportage. S'il y a lieu, la direction spécifique est consultée, puis l'observateur est placé sous la responsabilité d'un agent de police, généralement un gradé ou un officier, voire un commissaire de police. Ce dernier doit indiquer à l'observateur qu'il ne peut pas agir de manière libre et qu'il est soumis aux règles de fonctionnement des unités de police. Il ne peut pas aller et venir, comme on le voit sur la vidéo. M. Benalla aurait dû rester auprès de son référent et observer. S'il n'y a pas de statut légal de l'observateur, il y a tout de même un cadre de fonctionnement défini.
M. Jean-Marc Bailleul . - On a entendu, dès le début de cette affaire, qu'il faudrait un statut ou une tenue. Mais cela se passait toujours bien jusqu'ici, que l'observateur soit un journaliste, un magistrat ou un parlementaire ; ne créons pas une nouvelle usine à gaz coûteuse pour tenir compte d'exceptions. La vraie question est : qui était le référent de M. Benalla ? C'est forcément quelqu'un de la direction de l'ordre public de la préfecture de police qui était à proximité.
Les CRS sont soumis à l'autorité civile. Quand ils sont dans leur mission, s'ils voient agir un policier - en l'occurrence, ils pensaient voir un policier - ce n'est pas à eux de mettre fin à ses agissements. Ce ne pouvait être qu'à l'autorité de ce policier en civil d'intervenir. Les CRS ne peuvent pas être en sécurisation et en même temps intervenir pour mettre fin aux agissements d'un collègue d'un autre service.
Nous voulons profiter de cette occasion pour souligner l'excellence du rapport sénatorial sur les moyens des forces de sécurité. Beaucoup de nos constats y ont été repris. J'espère qu'on en tirera les conséquences pour être plus rationnel et efficace.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Quelle était la qualité des relations de vos collègues de la police nationale avec M. Benalla ?
Comme il n'avait pas de raison de donner des ordres à des agents de la police nationale ou de la gendarmerie, certains ont-ils manifesté leur refus d'obéir ?
Ne vous paraîtrait-il pas opportun que l'on réfléchisse à ce qu'il n'y ait que des fonctionnaires de la gendarmerie nationale et de la police nationale pour assurer la sécurité du Président de la République et des ministres ?
M. Jean-Marc Bailleul . - Il a été répondu à la dernière question, nous sommes bien entendu d'accord. Il s'agit d'une mission régalienne pour laquelle les agents sont sélectionnés, formés, et doivent rendre des comptes, conformément aux règles déontologiques qui s'appliquent à eux.
Sur le refus d'obéir, je crois que c'est arrivé à l'aéroport de Roissy, si j'en crois la presse. M. Benalla a, semble-t-il, voulu s'immiscer dans l'organisation du départ des joueurs de l'équipe de France de football et un officier de gendarmerie lui a rappelé qu'il était le chef et qu'il n'avait pas d'ordre à recevoir de lui. Je pense que cet officier doit pouvoir être facilement retrouvé et confirmer cela.
Sur les relations de la police nationale avec M. Benalla, nous avons eu des remontées du terrain, et pas seulement d'agents de police. Les interférences et les interventions se produisaient y compris en présence de hauts responsables de la police nationale, ce qui est d'autant plus gênant. Si tel a été le cas, au GSPR, au SDLP ou ailleurs, y a-t-il eu des signalements auprès des autorités supérieures du ministère de l'intérieur pour dénoncer ce comportement indigne ? Imaginons l'inverse, si un agent de police contredisait les ordres de son supérieur, cela ne durerait pas longtemps. Là encore, il y a deux poids et deux mesures.
M. Pierre-Yves Collombat . - Je m'associe aux propos du président de la commission sur notre confiance dans les forces de l'ordre.
Ce qui m'interpelle le plus dans cette affaire, c'est que M. Benalla ait été comme un poisson dans l'eau au ministère de l'intérieur. On ne savait pas qui il est, mais on l'a équipé, on l'a laissé participer à des opérations de maintien de l'ordre et à des « débriefings », avec pour seul laissez-passer son appartenance au cabinet du Président de la République. Je pensais que le chef de la police nationale et de la gendarmerie était le ministre de l'intérieur, non le Président de la République. Comment se fait-il qu'il ne se soit jamais rien passé ?
Mme Josiane Costes . - La présence d'observateurs extérieurs dans les manifestations est-elle fréquente ? Si oui, quand les forces de l'ordre sont-elles prévenues de leur présence ?
Mme Esther Benbassa . - Monsieur Bailleul, vous avez évoqué, lors d'un entretien sur RMC-BFMTV, la participation de M. Benalla à des réunions alors qu'il était mis à pied ? Confirmez-vous ou infirmez-vous cela ?
M. Jean-Luc Fichet . - M. Benalla mettait-il un uniforme de gendarmerie avec les galons de lieutenant-colonel et pouvait-il s'en prévaloir lors de cérémonies ?
Comment circulent les observateurs ? On comprend qu'il y a une règle mais on constate que M. Benalla accédait à des réunions stratégiques où on ne lui demandait aucun compte. Il lui suffisait d'indiquer qu'il représentait le cabinet du Président de la République pour avoir porte ouverte.
M. Éric Kerrouche . - Quels sont les équipements mis à la disposition des observateurs dans le cadre des opérations auxquelles ils sont amenés à participer ?
M. François Grosdidier . - Je vous remercie de l'hommage rendu aux travaux de notre commission d'enquête sénatoriale sur l'état des forces de sécurité intérieure, qui a mis en lumière diverses difficultés auxquelles sont confrontées la police et la gendarmerie, notamment une transparence insuffisante des procédures de commandement lorsque la police n'est pas dirigée par des policiers. Le problème soulevé par l'affaire Benalla relève-t-il du statut des observateurs, ou, plus largement, de l'existence d'une hiérarchie non policière, exception faite de la position particulière du corps préfectoral ? Est-il fréquent que des policiers reçoivent des ordres directs de personnes n'appartenant pas à leur hiérarchie ?
Mme Nathalie Delattre . - Nous avons connaissance, s'agissant des événements du 1 er mai sur la place de la Contrescarpe, des images issues des caméras de vidéosurveillance de la préfecture de police et d'une vidéo amateur. Il semblerait toutefois que la compagnie de CRS présente sur les lieux fût également sous vidéo-surveillance. Avez-vous connaissance de l'existence de cette bande et de son éventuelle utilisation par la justice ?
Mme Brigitte Lherbier . - Vous avez estimé insuffisamment transparentes les modalités de recrutement dans la réserve citoyenne. J'en suis membre et puis vous assurer que j'ai dû à cet effet fournir de nombreux documents !
M. Christophe Rouget, secrétaire national SCSI-CFDT . - Je vous crois volontiers ! La réserve opérationnelle, qui gagnerait à être fusionnée entre police et gendarmerie, compte 30 000 membres, dont l'utilité n'est plus à prouver. La réserve citoyenne, qui a pour vocation de rapprocher l'armée de nos concitoyens, comprend notamment 1 500 officiers de gendarmerie, qu'il conviendrait de mieux identifier. Nous avons, à cet égard, exigé davantage de transparence mais nulle autorité n'a accédé à nos demandes. Combien, pourtant, existe-t-il d'Alexandre Benalla au sein de la réserve citoyenne ? Il était, semble-t-il, l'un de ses soixante-quatorze experts : à quel titre et selon quelles conditions l'est-il devenu ? Je m'interroge. Doit-il sa nomination à sa seule proximité avec le Président de la République ? Cette question mérite une réponse.
M. Jean-Marc Bailleul . - Certains agents ont, monsieur le rapporteur, refusé d'obéir aux ordres de M. Benalla, qui se trouvait effectivement, monsieur Collombat, comme un poisson dans l'eau au plus haut niveau des autorités de l'État. Il disposait même d'un badge d'accès à l'Assemblée nationale alors que nous, qui certes sommes armés, devons pour nous y rendre nous plier à diverses procédures. Il bénéficiait de multiples autorisations et obtenait divers passe-droits en agitant sa carte professionnelle de chef adjoint de cabinet de l'Élysée, qui impressionnait bien des agents. Un débriefing de manifestation rassemble à peine une quarantaine de personnes. Or, M. Benalla y était régulièrement présent, y compris lors de celui relatif à la journée du 1 er mai.
Madame Benbassa, nos collègues du GSPR nous ont
indiqué que
M. Benalla se comportait comme un véritable
cador. Il s'est rendu sur plusieurs opérations, y compris au cours de sa
suspension, selon la version fournie par Alain Gibelin, directeur de l'ordre
public et de la circulation (DOPC) à la préfecture de police de
Paris, à la commission d'enquête de l'Assemblée nationale.
J'ai relayé cette information lors de l'émission
télévisée que vous avez mentionnée mais, depuis,
l'intéressé a démenti son propos. Quoi qu'il en soit,
chacun a pu l'apercevoir auprès du bus de l'équipe de France de
football, à une date à laquelle il était censé
exercer des tâches strictement administratives.
M. Denis Jacob . - Les agents ne sont pas prévenus de la présence d'un observateur, puisque ce dernier, qui doit demeurer en retrait, se trouve placé sous la responsabilité d'un référent. Un équipement de protection lui est fourni si un risque est avéré mais, en aucun cas, le matériel ainsi prêté n'est siglé.
Il est exact, madame Delattre, que les CRS sont équipés de moyens vidéo mobiles, mais en nombre insuffisant pour permettre la couverture de l'ensemble des opérations. Les événements de la place de la Contrescarpe n'ont ainsi pas forcément été filmés. Pour autant, il me semble que les images de vidéosurveillance dont nous avons connaissance témoignent bien à elles seules des faits.
M. Jean-Marc Bailleul . - Seules deux sections de CRS étaient présentes place de la Contrescarpe. Or, le matériel vidéo n'est utilisé que lorsque la compagnie se trouve au complet, en unité constituée.
M. Philippe Bas , président . - Je vous remercie pour vos précisions et votre témoignage.
Audition de la
fédération de l'Union nationale
des syndicats autonomes
(UNSA),
organisation professionnelle de policiers
(Mardi 24
juillet 2018)
M. Philippe Bas , président . - Nous accueillons les représentants de la fédération de l'Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) de la police. Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je vous rappelle qu'un faux témoignage devant la commission des lois dotée des prérogatives d'une commission d'enquête serait passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, les personnes entendues prêtent serment.
M. Philippe Capon, secrétaire général de la fédération FASMI et du syndicat UNSA Police . - Je vous remercie de nous entendre. L'UNSA-FASMI représente l'ensemble des corps et des métiers de la police nationale, qui s'exercent tous dans un cadre complexe, engageant et éloigné des horaires de travail habituels, pour un salaire de base peu élevé. Représentez-vous que les CRS présents sur la place de la Contrescarpe le 1 er mai se trouvaient en vacation depuis plus de seize heures ! Le métier de policier est difficile et dangereux, d'autant plus depuis 2015 et les attaques terroristes dont les forces de l'ordre sont fréquemment la cible. Ce contexte explique sans doute les difficultés de recrutement observées depuis plusieurs mois, au point de conduire le ministère de l'intérieur à financer une campagne de communication à un million d'euros. Le rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur l'état des forces de sécurité intérieure a, à cet égard, remarquablement saisi le malaise policier.
Je fus auditeur, pendant la session 2017-2018 - promotion colonel Beltrame -, à l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ) dont plusieurs stagiaires ont participé en immersion à des opérations auprès des forces de l'ordre sans qu'aucun incident n'ait été signalé.
Je peux personnellement témoigner du déroulement d'une telle mission d'observation au sein de la brigade anti-criminalité (BAC) du Val-de-Marne : après avoir été contacté par la préfecture de police, rendez-vous est pris pour participer à une opération précédée d'un briefing sur la sécurité et d'instructions claires. En termes d'équipement, seul est fourni au stagiaire un gilet pare-balles ; ni radio, donc, ni brassard. Compte tenu du grand nombre de services en charge du maintien de l'ordre à Paris, une confusion sur le terrain semble cependant possible. Le maintien de l'ordre relève de la DOPC, mais les compagnies de CRS prennent leurs ordres d'un commissaire ad hoc . Peuvent également être présents des agents des compagnies d'intervention ou de la police scientifique. La neuvième recommandation émise par le groupe de travail précité de l'INHESJ consistait d'ailleurs à clarifier, lors d'une opération, les missions des différentes unités engagées.
En somme, même s'il n'était qu'observateur, Alexandre Benalla a pu aisément passer le 1 er mai, aux yeux des CRS, pour un policier en civil. Du reste, lorsqu'ils lui ont confié une personne arrêtée, ce dernier ne leur a pas indiqué que cela outrepassait ses prérogatives de simple observateur. Il agissait d'ailleurs davantage comme un agitateur excité que comme un observateur...
Cette affaire, certes grave dans les faits, apparaît surtout révélatrice d'un mode de fonctionnement inacceptable, qui discrédite l'ensemble des forces de sécurité, et des regrettables habitudes du ministère de l'intérieur, entre politique de l'autruche et renvoi à d'autres des prises de décision majeures.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Notre commission apporte une grande considération et une immense confiance à la police nationale, dont elle a conscience des difficultés d'exercice. Il apparaît évidemment nécessaire de clarifier un fonctionnement à certains égards par trop obscur. À votre connaissance, quelles relations entretenaient vos collègues policiers avec Alexandre Benalla ? Certains, notamment au sein du GSPR, ont-ils refusé de céder à des injonctions ou à des commandes ne provenant pas de leur hiérarchie ? La loi devrait-elle obliger, selon vous, à ce que la sécurité du Président de la République et des hautes personnalités de l'État soit uniquement assurée par des fonctionnaires de police et de gendarmerie ?
M. David Le Bars, secrétaire général du syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN) . - Les relations entre la police et M. Benalla doivent être éclaircies. À la différence des CRS de la place de la Contrescarpe, les cadres de la préfecture de police le connaissaient, de toute évidence, puisqu'il était régulièrement présent à des réunions de préparation et à des débriefings. Il apparaissait certainement, comme conseiller du Président de la République, comme une autorité à la présence de laquelle il était impossible de s'opposer puisqu'elle avait été validée au plus haut niveau. Si des policiers ont fauté, ils devront en assumer les conséquences. Certains, toutefois, se sont opposés à M. Benalla, notamment lors du retour de l'équipe de France après la coupe du monde de football : un conflit a ainsi opposé ce dernier à des gendarmes sur le tarmac de Roissy. Cet épisode, fut, je crois, la goutte d'eau, qui incita nombre de collègues à témoigner du comportement de M. Benalla. Évidemment, monsieur le rapporteur, la mission régalienne de protection des personnalités de l'État doit être confiée aux seuls gendarmes et policiers.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Je me joins au propos de mon collègue Jean-Pierre Sueur à propos du respect que nous portons aux forces de l'ordre. Vous affirmez que les CRS pouvaient ignorer que M. Benalla n'était pas policier. Comment était-il alors encadré en tant qu'observateur ?
M. Philippe Capon . - Les CRS nous ont assurés de leur ignorance ! Du reste, ils ne lui auraient sinon pas remis une personne interpellée, même si, pendant une manifestation, les événements se succèdent à une vitesse folle. Le fait qu'Alexandre Benalla ait été accompagné de deux autres individus, un major de la DOPC et un réserviste de la gendarmerie nationale, a pu également les induire en erreur. Les moyens vidéo et photographiques des CRS permettront, sans nul doute, de confirmer leur version.
M. Loïc Hervé . - Je rejoins votre description des conditions d'accueil d'un stagiaire de l'INHESJ en opération : je l'ai vécue. Je puis d'ailleurs vous confirmer qu'il n'existe normalement aucune possibilité de prêter, dans ce cadre, main forte aux forces de l'ordre ! Je suis, pour ma part, convaincu que M. Benalla, détenteur d'un permis de port d'arme, habilité secret défense et lieutenant-colonel de la réserve spécialisée, représente l'exemple parfait de la théorie de l'apparence, selon laquelle il suffit d'avoir l'air, aux yeux de l'autre, pour être réellement. J'aimerais enfin connaître votre opinion, à la lumière du cas Benalla, sur le fonctionnement de la réserve spécialisée.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Avez-vous eu connaissance de la présence de M. Benalla sur d'autres manifestations ? Des photographies et des vidéos circulent, mais je ne suis pas certaine de leur véracité...
M. Pierre-Yves Collombat . - Devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, M. Michel Delpuech, préfet de police de Paris, a dénoncé un copinage malsain entre collaborateurs de l'Élysée et fonctionnaires de police. Qu'en pensez-vous ?
Mme Brigitte Lherbier . - Les points de vue des protagonistes de l'affaire divergent notamment sur les débordements qui auraient eu lieu ou non place de la Contrescarpe le 1 er mai. Quelle définition peut être donnée d'un débordement ? Une procédure est-elle prévue pour demander des renforts dans ce cas ?
M. Alain Marc . - Sur les images vidéo de la place de la Contrescarpe, les CRS paraissent calmes alors qu'Alexandre Benalla semble particulièrement agité. Ce comportement m'apparaît psychologiquement étrange. Quelle est votre opinion ?
Mme Nathalie Delattre . - Vous confirmez donc que des images ont été réalisées par les CRS présents... Pourriez-vous nous préciser l'identité des personnes, qui composaient ce que j'appellerais le « commando Benalla » ?
Mme Esther Benbassa . - Qui a pu mandater Alexandre Benalla, sans diplôme ni titre le justifiant, pour qu'il participe à de telles opérations ?
M. Philippe Capon . - Monsieur Hervé, la réserve spécialisée ressort de la gendarmerie. Les titres qui y sont obtenus dépendent de conditions de diplôme et d'expérience professionnelle. Il est cependant possible de s'interroger sur le grade obtenu par Alexandre Benalla au regard de son jeune âge...
Un débordement, madame Lherbier, correspond à un recul non maîtrisé des forces de l'ordre face à des manifestants. Le 1 er mai, place de la Contrescarpe, la situation ne relevait indéniablement pas d'un débordement.
Je crois effectivement, madame Delattre, que les CRS disposent d'images de l'événement. Quant aux individus qui accompagnaient Alexandre Benalla, ainsi que le préfet de police l'a indiqué devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, il s'agit de MM. Vincent Crase et Philippe Mizerski.
M. David Le Bars . - Alexandre Benalla a, bien évidemment, participé à d'autres opérations de maintien de l'ordre ou de service d'ordre, notamment dans le cadre de déplacements présidentiels. Ce fut par exemple le cas de l'entrée au Panthéon de Simone Veil. Les policiers concernés assumeront leurs dérives individuelles, selon l'expression de Michel Delpuech. Je tiens néanmoins à préciser qu'un homme comme Laurent Simonin, chef d'état-major à la DOPC, demeure bien éloigné du haut de la pyramide... En tant que correspondant de l'Élysée au sein de la préfecture de police, mission pour laquelle la qualité de son service était d'ailleurs reconnue par ses supérieurs, il a, comme tous les cadres de la préfecture de police, fait connaissance avec Alexandre Benalla. Pour autant, sa position ne lui permettait nullement d'accéder à toutes les demandes de l'intéressé. Je reste prudent, mais les responsabilités devraient être recherchées au-delà d'un commissaire de la DOPC...
M. Benjamin Gayrard, secrétaire général du Syndicat national des personnels de police scientifique (SNPPS) . - S'agissant des personnes extérieures au maintien de l'ordre présentes lors de manifestations, le SNPPS a dénoncé l'absence de formation, en la matière, du personnel de la police scientifique, habituellement déployé sur les lieux pour capter des images ou réaliser des prélèvements.
M. Philippe Bas , président . - Je vous remercie pour vos réponses.
Audition de la
fédération de Force ouvrière (FO),
organisation
professionnelle de policiers
(Mardi 24 juillet 2018)
M. Philippe Bas , président . - Nous accueillons enfin les représentants de la fédération de Force ouvrière (FO). Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je vous rappelle qu'un faux témoignage devant la commission des lois dotée des prérogatives d'une commission d'enquête serait passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, les personnes entendues prêtent serment.
M. Yves Lefebvre, secrétaire général de la FSMI-FO . - L'affaire Benalla défraie la chronique chez les gardiens de la paix. Elle révèle un climat de suspicion et une rupture de confiance avec leur hiérarchie. Les policiers, soumis à des contraintes effrénées depuis les attaques terroristes, s'interrogent sur les décisions prises en amont du 1 er mai et qui ont conduit au dérapage de M. Benalla. Les faits progressivement révélés donnent la désagréable impression qu'existe, au plus haut niveau de l'État, une police parallèle emmenée par des barbouzes. Les policiers attendent des réponses. Quels sont notamment les liens, qui unissaient les responsables de la préfecture de police de Paris et Alexandre Benalla ?
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Soyez assurés, messieurs, de l'intérêt et de la considération que nous portons aux forces de l'ordre. Comment se définit le statut d'observateur ? Son accompagnement est-il, à votre connaissance, systématique ?
M. Yves Levebvre . - Il n'existe aucun statut d'observateur à proprement parler. Il s'agit souvent de journalistes, de magistrats et de stagiaires de l'INHESJ. En opération, leur est fourni un équipement de protection - le fait qu'Alexandre Benalla porte un casque le 1 er mai ne me choque donc pas - et, parfois, un brassard de police, afin d'indiquer que l'observateur est en droit de se trouver auprès des forces de l'ordre. Bien sûr, sauf en cas de débordement - ce qui n'était pas le cas place de la Contrescarpe - et en application du code de procédure pénale, il ne peut intervenir.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - À votre connaissance, quelles relations entretenaient vos collègues policiers avec Alexandre Benalla ? Certains, notamment au sein du GSPR, ont-ils refusé de céder à des injonctions ou à des commandes ne provenant pas directement de leur hiérarchie ? La loi devrait-elle obliger, selon vous, à ce que la sécurité du Président de la République et des hautes personnalités de l'État soit uniquement assurée par des fonctionnaires de police et de gendarmerie ?
M. Yves Levebvre . - Les langues se délient progressivement s'agissant des relations entre les membres du GSPR et M. Benalla. En réalité, d'après les propos qui nous sont rapportés, ce dernier faisait régler un climat de terreur au sein du GSPR, pouvant aller jusqu'à insulter gradés comme gardiens de la paix. Il n'est, normalement, pas question qu'un policier obéisse à un individu n'appartenant pas à sa hiérarchie - exception faite des membres du corps préfectoral, qui, pour autant, ne donnent pas d'ordre direct. Or, Alexandre Benalla usait constamment de l'intimidation et jouait de ses relations pour parvenir à ses fins. Il avait ainsi récemment tenté de modifier l'organisation de la sécurité du fort de Brégançon, mais un syndicat de policiers, légitimement, s'y est opposé. N'oublions pas que, même s'il était hors de la chaîne hiérarchique, Alexandre Benalla avait le titre, très impressionnant pour un simple gardien de la paix, de chef adjoint de cabinet du Président de la République. Il incarnait en quelque sorte le pouvoir !
M. Alain Richard . - Vous avez semblé associer le terme de barbouze à d'autres individus. Des comparses de M. Benalla ont-ils aussi agi hors de toute hiérarchie policière ?
M. Pierre-Yves Collombat . - Vous avez évoqué l'existence d'une police parallèle mais, à ma connaissance, le propre des parallèles est de ne jamais se croiser. Or, les deux polices se sont visiblement rejointes à la préfecture de police... Michel Delpuech a, à cet égard, dénoncé un copinage malsain. Comment M. Benalla, vulgaire usurpateur, a-t-il pu gagner un tel ascendant sur la hiérarchie policière ? Comment désormais clarifier le rôle de chacun, afin de sortir de l'ambiguïté dont s'est servi Alexandre Benalla ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio . - Depuis combien de temps avez-vous connaissance de l'existence de M. Benalla à l'Élysée ?
Mme Brigitte Lherbier . - Vous niez qu'il y ait eu le moindre débordement place de la Contrescarpe. Pourtant, là réside la défense des avocats de M. Benalla...
M. Alain Marc . - Vous semble-t-il normal, même si la valeur n'attend point le nombre des années, qu'un homme de vingt-six ans soit chargé de réorganiser le GSPR ?
Mme Marie Mercier . - Avez-vous, au cours de votre carrière, déjà eu affaire à des comportements similaires ?
Mme Laurence Harribey . - Comment le système a-t-il pu permettre le développement de comportements à ce point déviants ?
M. Yves Lefebvre . - Outre Vincent Crase, il semblerait selon certains qu'un groupe de personnes privées, des civils hors de toute hiérarchie policière ou militaire, agisse au sein du GSPR. Il s'agirait de véritables barbouzes agissant sans habilitation, des vigiles employés par M. Benalla !
M. Philippe Bas , président . - Cette information est importante ! Pouvez-vous la sourcer ?
M. Yves Lefebvre . - Elle provient de collègues syndiqués et de nos représentants locaux. Les tensions entre les fonctionnaires du GSPR et M. Benalla et ses comparses étaient telles que fut envisagée la réorganisation de la sécurité du Président de la République à Brégançon.
M. Philippe Bas , président . - Quel est le nombre desdits comparses ?
M. Yves Lefebvre . - Nous vous enverrons sans délai des informations plus précises. Les langues se délient et la chape de plomb, qu'explique le devoir de réserve des membres du GSPR, se soulève progressivement...
M. Daniel Chomette, secrétaire général délégué de la FSMI-FO. - Compte tenu de la sensibilité de l'affaire, du poste occupé par M. Benalla et de son comportement, il est difficile d'obtenir des informations... Personne, à l'époque, n'allait se répandre sur les travers du personnage... Désormais, nous découvrons que d'autres couacs ont émaillé certaines opérations.
M. Philippe Bas , président . - De quels couacs parlez-vous ?
M. Daniel Chomette . - Régulièrement, Alexandre Benalla participait à des opérations sur lesquelles il tentait de prendre la main en lieu et place des gradés. Mais les policiers et les gendarmes ont souvent refusé d'obéir.
Mme Esther Benbassa . - Pourquoi, au fond, avoir installé une sécurité privée à l'Élysée aux côtés des fonctionnaires du GSPR ?
M. Yves Lefebvre . - Vous devriez poser la question au Président de la République ou à son directeur de cabinet ! Les informations sortent peu à peu...
Pour répondre à Mme Eustache-Brinio, j'ai pour ma part rencontré M. Benalla près de l'Élysée, où je me rendais pour une rencontre syndicale avec le Président de la République. J'ai cru alors qu'il était policier au GSPR et n'ai compris ma méprise qu'en voyant il y a quelques jours son portrait dans les journaux.
Madame Mercier, en trente-six ans de métier et de nombreuses opérations de maintien de l'ordre, je n'ai jamais observé de comportement comme celui de M. Benalla ! Cet homme est lieutenant-colonel à vingt-six ans ! Chez FO, nous devons lutter pour que nos collègues obtiennent le grade supérieur : pour devenir brigadier-chef, l'attente atteint au minimum quinze à vingt ans. Le grade de M. Benalla, obtenu grâce à une expertise incertaine, représente une insulte aux gendarmes !
Le 1 er mai, madame Lherbier, les effectifs des forces de l'ordre étaient convenablement dimensionnés ; à la Contrescarpe, les CRS n'ont pas été débordés. Ce sont, comme les gendarmes mobiles, des professionnels reconnus dans le monde entier en matière de maintien de l'ordre. L'histoire des débordements n'est rien de moins qu'un argument d'avocat !
M. Philippe Bas , président . - Nous vous remercions pour votre franchise et votre courage.
Audition de M. Gérard
Collomb,
ministre d'État, ministre de
l'intérieur
(Mardi 24 juillet 2018)
M. Philippe Bas , président . - Monsieur le ministre d'État, le Sénat a conféré hier, à l'unanimité, les pouvoirs d'investigation d'une commission d'enquête à notre commission des lois. Les personnes que nous auditionnons doivent donc prêter serment. En cas d'obstruction, de mensonge, de refus de déférer à une convocation, des sanctions pénales, certaines allant jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende, peuvent leur être appliquées. Nos auditions sont publiques et ouvertes à la presse. Les sénateurs qui ne sont pas membres de la commission des lois y sont les bienvenus ; en principe, ils ne peuvent poser de question, mais je suis prêt à permettre une question par groupe. Ces questions, toutefois, ne relèveront pas du régime de la commission d'enquête.
L'objet de nos auditions est triple. D'abord, vérifier la réalité des faits ; lever les contradictions apparues dans les réponses faites par les différentes personnalités déjà entendues par la commission des lois de l'Assemblée nationale ou dans les réponses publiquement apportées en dehors de cette commission d'enquête ; apporter des précisions quand il sera apparu que certaines réponses comportaient trop de conditionnel, de « semble-t-il » ou d'approximations. Deuxièmement, soulever toutes questions sur les dysfonctionnements et les violations de la répartition des pouvoirs constitutionnels entre le Président de la République et le Gouvernement, seule autorité responsable de l'administration en vertu de l'article 20 de la Constitution. Enfin, soulever toutes questions sur l'organisation de la sécurité du Président de la République qui, en régime républicain, n'est pas une affaire privée mais une affaire d'État, devant être gérée par des professionnels sélectionnés, formés, qualifiés, entraînés et coordonnés par ceux dont c'est la compétence.
Selon la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur prête serment.
M. Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur . - J'ai longtemps siégé dans cette commission des lois et je ne pensais pas y revenir dans de telles circonstances ! Mais l'on se fait à tout...
Je tiens d'abord à vous dire ma volonté d'apporter au Sénat, comme je l'ai fait hier à l'Assemblée nationale, tous les éléments susceptibles de l'éclairer sur l'objet de cette mission. Je condamne avec la plus grande fermeté les actes auquel s'est livré M. Benalla le 1 er mai dernier, qui sont inacceptables et contraires à mes valeurs. Notre objectif est donc le même : la transparence et la vérité. Il n'appartient à personne, en dehors des forces de sécurité, de gérer l'ordre public.
Ce 1 er mai aurait pu être axé sur les revendications syndicales, mais un certain nombre d'individus en avaient décidé autrement. Dès le début de la manifestation, un avant-cortège se forme, plus important que le cortège lui-même, et comportant 1 200 Black Blocs encagoulés, qui traversent le pont d'Austerlitz et gagnent le boulevard de l'Hôpital où ils se livrent à un déferlement de violence, saccageant plusieurs commerces, notamment un McDonald's et un concessionnaire automobile. Tous les Français ont encore à l'esprit ces images d'une violence inouïe. Grâce à un dispositif de maintien de l'ordre important, mobilisant 1 500 policiers et gendarmes, la progression des fauteurs de troubles est stoppée, mais une partie d'entre eux poursuivent la casse place de la Contrescarpe. Leur projet était d'aller jusqu'au commissariat du 13 ème arrondissement, que nous venions d'inaugurer, pour l'incendier.
À 19 h 30, je me trouve à la préfecture de police pour faire le point sur les événements de la journée avec le préfet de police, dans son bureau. Nous gagnons ensuite ensemble la salle de commandement pour suivre les affrontements, qui se poursuivent alors place de la Contrescarpe. Nous saluons la quarantaine de personnes présentes, parmi lesquelles se trouvait M. Benalla, dont je pensais alors qu'il était un policier chargé de la sécurité du président. Je l'avais croisé pendant la campagne présidentielle, mais toujours parmi des dizaines de personnes chargées de la sécurité du candidat : policiers, agents de sécurité, service d'ordre d'En Marche... M. Gibelin et son adjoint me présentent le dispositif, puis nous fixons notre attention sur les écrans car les violences continuent, avec utilisation de mobilier urbain pour tenter d'ériger des barricades. Des interpellations sont toujours en cours, notamment dans le secteur de la Contrescarpe : sur les 276 interpellations du jour, 31 ont lieu sur la seule place de la Contrescarpe.
Les opérations terminées, je rentre à Beauvau puis, à 23 heures, je me rends avec le Premier ministre et le préfet de police au commissariat du 13 e arrondissement de Paris. Nous saluons les troupes présentes et discutons avec elles sur les événements de la journée.
Le lendemain matin 2 mai, dès 7 h 30, je participe à l'émission « Les quatre vérités » sur France 2, où j'ai l'occasion de revenir sur les événements de la veille et sur leur gestion par les forces de l'ordre. À 8 h 30, revenant de cette émission, je préside une réunion d'État-major avec les principales directions du ministère. Nous évoquons les événements qui ont émaillé le 1 er mai. Au moment où l'ordre du jour concernant le 1 er mai est épuisé, je laisse la présidence à mon directeur de cabinet et vais m'entretenir avec la directrice de la police judiciaire et le directeur général de la sécurité intérieure pour faire un point sur la menace terroriste. Je ne croise donc pas le préfet de police à la réunion d'État-major, où il est représenté par ses collaborateurs, mais je lui fais savoir que je souhaite me rendre avec lui boulevard de l'Hôpital pour me rendre compte par moi-même de l'itinéraire emprunté par la manifestation et de la façon dont la manoeuvre a été effectuée, et aussi pour évaluer les dégâts.
Nous nous entretenons avec les commerçants, qui nous racontent des faits d'une extrême violence. En particulier, le concessionnaire qui avait vu ses voitures incendiées nous indique avoir eu très peur. Le préfet de police leur dit qu'ils vont être indemnisés dans les meilleurs délais. À ce moment, ni le préfet de police ni mon cabinet ne m'ont encore informé de l'existence d'une vidéo montrant des violences contre les manifestants place de la Contrescarpe. Après un déjeuner avec un membre de ma famille dans un restaurant de la rue de Lille, je retourne au ministère vers 15 heures.
C'est là que mon directeur et mon chef de cabinet m'apprennent l'existence de la vidéo montrant les violences commises par M. Benalla. J'apprends alors que ce dernier n'est pas, comme je le pense, policier, mais chargé de mission à l'Élysée et qu'il se présente comme le chef de cabinet adjoint du Président de la République. Mon directeur de cabinet m'assure alors que le directeur de cabinet du Président de la République, c'est-à-dire le supérieur hiérarchique de M. Benalla, et le préfet de police connaissent les faits. Ils s'en sont entretenus ensemble et le directeur de cabinet du Président de la République lui a confirmé dans la soirée qu'il considérait les actes de M. Benalla comme inacceptables et qu'une sanction disciplinaire allait être prise.
J'apprendrai beaucoup plus tard, le 21 juillet, que le préfet de police avait fait rédiger une note technique sur les faits, qu'il a reconnu lui-même ne m'avoir jamais transmise. Ce 3 mai, je considère donc que les faits sont pris en compte au niveau adapté et, à partir de ce jour et jusqu'au 18 juillet, je n'entends plus parler de M. Benalla.
Je me concentre sur d'autres événements : gestion, le 3 mai, d'une manifestation de cheminots ; préparation du rassemblement du samedi 5 mai organisé par la France insoumise ; évacuations des facultés de Toulouse-Le Mirail le 9 mai et de Rennes le 14 mai ; deuxième évacuation de Notre-Dame-des-Landes ; et enfin, malheureusement, suites de l'attentat de Paris, qui a fait une victime le samedi 12 mai.
Le 18 juillet, j'apprends vers 15 heures que des journalistes du journal Le Monde préparent un article sur les événements du 1 er mai. Le lendemain matin, je prends connaissance des images parues sur les réseaux sociaux montrant que M. Benalla arborait le 1 er mai un brassard de police et qu'il détenait une radio. Je demande donc immédiatement qu'on prépare une saisine de l'inspection générale de la police nationale (IGPN), pour déterminer les conditions dans lesquelles il a pu bénéficier de tels équipements. Puis, j'ai un rendez-vous avec M. Jean-Pierre Chevènement, président de la Fondation pour l'Islam de France, que je prépare avec une de mes conseillères, suivi d'un déjeuner avec des journalistes. À 15 heures, au Sénat, lors des questions au Gouvernement, j'annonce que nous allons saisir l'IGPN. À mon retour, j'apprends que trois policiers de la direction de l'ordre public et de la circulation ont communiqué à M. Benalla les bandes de vidéoprotection des événements place de la Contrescarpe. Nous transmettons ces nouvelles informations à l'IGPN et, le 20 juillet au matin, sur proposition du préfet de police, je suspends les trois policiers concernés.
Voilà la chronologie précise des faits, tels que je les ai vécus.
Certains, après mon audition à l'Assemblée nationale, se sont étonnés que je n'aie pas eu connaissance de certains faits. Les auditions du préfet de police et du directeur de l'ordre public et de la circulation, dans la même journée, ont montré qu'eux non plus, qui pourtant étaient au coeur de la manoeuvre, n'avaient pas été informés de la participation de M. Benalla aux opérations d'ordre public ni de sa venue au centre de commandement de la préfecture de police. Comment, dès lors, aurais-je pu savoir ?
Sur le port d'arme, je confirme que M. Benalla avait sollicité en janvier 2017 de mon prédécesseur une autorisation, qui lui avait été refusée le 12 avril. Le 21 juin 2017, il s'est adressé à mes services pour que sa demande soit réétudiée, requête à laquelle mon cabinet n'avait pas donné suite, considérant que les conditions juridiques n'étaient pas réunies. Ce sont donc les services du préfet de police qui ont finalement délivré à M. Benalla une autorisation de port d'arme le 13 octobre 2017, sans que mon cabinet en ait été informé.
Pour ce qui est de l'application de l'article 40 du code de procédure pénale, je m'en tiens à ce que j'ai dit hier devant l'Assemblée nationale : les ministres de l'intérieur successifs ont évidemment connaissance par les services de renseignement de multiples suspicions ou commissions d'infractions pénales mais, comme mes prédécesseurs, je considère que c'est aux chefs de service, qui sont au plus près du terrain, de recueillir les éléments justifiant un signalement au titre de l'article 40. Je n'ai effectué qu'un seul signalement depuis mon arrivée, et je vous dirai combien mes prédécesseurs en ont fait. Ce signalement concernait la vidéo d'un rappeur appelant au lynchage et au meurtre d'un policier.
Pourquoi n'avoir pas saisi l'IGPN dès le 2 mai ? J'apprends le 2 mai que M. Benalla n'est pas policier, je n'ai donc pas de raisons alors de saisir l'IGPN. Le préfet de police, qui savait, lui, que M. Benalla n'était pas policier, partage cette analyse. Il a réuni ses chefs de service et leur a demandé comment cet homme, qui n'avait aucune permission de sa part pour participer à une mission d'ordre public, y avait participé. Ce n'est qu'après avoir appris que M. Benalla portait indûment un brassard et qu'il détenait une radio de police que je saisis l'IGPN.
Nous devons la vérité aux Français, mais aussi aux forces de l'ordre, dont les membres agissent avec un souci de la déontologie fort et constant.
M. Philippe Bas , président . - Ma première question est directement inspirée par les auditions des syndicats de policiers et de commissaires de police auxquelles nous avons procédé cet après-midi. Tous, sans exception, nous ont dit leur indignation. Ils ont exprimé à quel point ils ont été blessés de l'image qui est donnée de la police par un faux policier, combien ils ont été humiliés en apprenant les moyens exorbitants dont cette personne a pu disposer, combien ils ont été choqués que l'image de la police ait pu ainsi être ternie comme s'il s'était agi d'une bavure policière. Ils ont également exprimé leur inquiétude sur la prise en charge de la sécurité du Président de la République et sur les évolutions qui ont été annoncées en ce début d'année 2018. Ils nous ont dit avec franchise que les langues se délient et que leurs adhérents les informent de ce qui s'est réellement produit. Ils savent que M. Benalla était régulièrement présent à des réunions de la préfecture de police et que, dans ses activités au service de la présidence de la République et pour la protection du chef de l'État, il avait un comportement que plusieurs d'entre eux ont qualifié d'injurieux. Ils ont observé que M. Benalla avait une fâcheuse tendance à donner des instructions aux cadres de police ou de gendarmerie placés sous votre autorité.
Vous dites que vous n'aviez jamais entendu parler de ces dysfonctionnements avant le 2 mai. Mais les syndicats de policiers nous ont également dit avec la plus extrême netteté - et j'ai pris soin de leur demander d'où ils tenaient cette information - qu'il y avait des groupes de vigiles associés au groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR). Est-ce vrai ? Si oui, est-ce normal ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - Avant mon arrivée au ministère de l'intérieur, il y avait des tensions assez fortes au sein de la police. J'ai donc passé les premiers mois à tisser des relations de confiance avec les différents syndicats. Ainsi, lorsque j'ai créé la police de sécurité du quotidien...
M. Philippe Bas , président . - Pourriez-vous répondre à la question ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - Ce sont les préliminaires.
M. Philippe Bas , président . - Ils ne sont pas nécessaires.
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - Les relations de confiance avec les policiers et les gendarmes sont très importantes. Oui, une réflexion en vue d'une réorganisation de l'ensemble des services administratifs de l'Élysée a été lancée il y a plusieurs mois. Actuellement, le GSPR assure la sécurité du Président pendant les visites officielles, avec la 1 re compagnie républicaine de sécurité (CRS), et le commandement militaire assure la sécurité du Président dans le palais, avec la préfecture de police. Cela crée des situations inextricables - les systèmes de communication entre les uns et les autres ne sont pas compatibles - et génère, comme le relève le rapport de la Cour des comptes, de l'inefficacité, puisque ce ne sont pas les mêmes doctrines d'action, sans compter les tâches indues dont s'acquittent les deux services : le GSPR gère les bagages de la délégation lors d'un voyage officiel, le commandement militaire gère le service de veille de presse.
Aussi a-t-il été envisagé de fusionner le GSPR et le commandement militaire pour créer une direction de la sécurité de la présidence de la République (DSPR). Il s'agit purement d'un enjeu de rationalisation des ressources et des emplois. D'après l'Élysée, cette réflexion était pilotée par M. Lavergne, chef du GSPR, et M. Bio Farina, commandant militaire du palais. Pour moi, il n'a jamais été question qu'Alexandre Benalla prenne la tête de la DSPR.
M. Philippe Bas , président . - Vous ne répondez pas à la question. Les syndicats de policiers nous ont indiqué qu'il y avait des groupes de vigiles privés travaillant au sein du GSPR. Est-ce vrai ? Est-ce normal ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - À ma connaissance, aucun vigile ne travaille au GSPR, qui est un service officiel.
M. Philippe Bas , président . - Serait-ce normal qu'il y ait des effectifs privés qui travaillent au sein du GSPR ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - Il y a une relation entre le GSPR et le service de protection des personnalités officielles. Nous avons autorité hiérarchique sur le GSPR dans la mesure où c'est le ministère de l'intérieur qui nomme ses membres. Mais pour l'usage fonctionnel, c'est la présidence de la République qui l'organise, sans que la responsabilité du ministère de l'intérieur soit engagée.
M. Philippe Bas , président . - Serait-il normal qu'il y eût au sein du GSPR des agents exerçant des responsabilités opérationnelles pour la protection du chef de l'État sans être policiers ni gendarmes ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - Au sein du GSPR, à ma connaissance, il n'y a que des policiers et des gendarmes.
M. Philippe Bas , président . - Serait-il normal qu'il y ait des contractuels qui ne soient ni policiers ni gendarmes ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - Pour moi, le GSPR, ce sont des policiers et des gendarmes.
M. Philippe Bas , président . - Merci. Sur le plan politique, vous êtes l'un des responsables politiques les plus proches du président Macron. Dans la hiérarchie gouvernementale, vous êtes le numéro 2. Le 2 mai, muni des informations que vous recevez, vous avez le réflexe, dites-vous, d'informer la présidence de la République, qui est déjà au courant. Pour protéger le chef de l'État, y compris comme l'un de ses plus fidèles soutiens politiques, avez-vous fait une démarche pour l'alerter sur la gravité de cette situation ? Avez-vous recueilli, à partir de cette date du 2 mai, des informations complémentaires sur le comportement de M. Benalla dans ses relations avec les services de sécurité ? Avez-vous fait au Président de la République les recommandations nécessaires pour qu'il mette un terme à cette collaboration, sans se contenter de la mise à pied qui a été prononcée ? Ne considérez-vous pas que c'était en quelque sorte votre devoir sur le plan politique ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - Ce jour-là, le Président de la République était en Australie.
M. Philippe Bas , président . - Il est rentré depuis...
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - Lorsque nous avons eu connaissance des faits, mon directeur de cabinet a immédiatement alerté le directeur de cabinet de l'Élysée, qui a indiqué qu'il jugeait cette attitude inacceptable et qu'il prendrait des sanctions. À partir de là, c'est au directeur de cabinet du Président de la République qu'il appartenait de prendre les sanctions qu'il juge appropriées. Je vous rappelle que M. Benalla n'était aucunement sous ma responsabilité.
M. Philippe Bas , président . - Vous n'avez donc pas profité d'un entretien avec le Président de la République pour le mettre en garde, l'alerter sur le comportement de son collaborateur et lui recommander d'abandonner cette collaboration ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - J'ai rencontré beaucoup de syndicats de police, beaucoup de syndicats de commissaires : personne ne m'a jamais fait remonter dans aucune réunion les problèmes que vous évoquez.
M. Philippe Bas , président . - Avez-vous adressé des instructions immédiates à la hiérarchie administrative, policière et militaire, placée sous votre autorité pour que les faits survenus le 1 er mai ne se reproduisent pas ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - Nous alertons régulièrement l'ensemble des préfets pour qu'ils veillent à ce que le comportement de nos policiers soit exemplaire. Mon directeur de cabinet a dû envoyer une vingtaine de recommandations en ce sens car, en les temps troublés que nous avons traversés, il était relativement difficile de faire respecter l'ordre public. Par exemple, lors de l'évacuation de Tolbiac, une fake news avait fait beaucoup de dégâts.
M. Philippe Bas , président . - Donc, vous n'avez pas donné d'instructions aux services de police et de gendarmerie pour éviter que les collaborateurs du Président de la République n'interfèrent avec le fonctionnement normal de la hiérarchie de la police et de la hiérarchie de la gendarmerie.
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - Le préfet de police de Paris a réuni l'ensemble de ses commandants pour leur faire passer un certain nombre de recommandations et dire que personne ne devait assister à une manoeuvre sans que lui-même l'ait personnellement décidé. Il a ensuite proposé un certain nombre de sanctions, que j'ai acceptées.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Le préfet de police de Paris et le directeur de l'ordre public et de la circulation, M. Gibelin, ont indiqué devant l'Assemblée nationale que M. Benalla n'avait pas reçu d'autorisation officielle pour participer en tant qu'observateur aux opérations de maintien de l'ordre du 1 er mai. Ils ont également précisé que la qualité d'observateur avait été accordée à M. Benalla par M. Laurent Simonin, le chef d'état-major adjoint à la direction de l'ordre public et la circulation, sans que le directeur lui- même en ait été averti. Est-il normal que ni le ministre de l'intérieur, ni le préfet de police, ni même leurs cabinets n'en aient été informés ? Le ministère de l'intérieur a-t-il dès le 2 mai diligenté une enquête interne pour obtenir des informations sur les conditions de la participation de M. Benalla à des opérations de maintien de l'ordre ? Celle-ci avait dû être autorisée, et M. Benalla s'est vu attribuer un référent, qui ne s'est manifestement pas occupé de lui. Avez-vous diligenté une enquête interne ? Sinon, pourquoi ne pas vous être inquiété d'un tel dysfonctionnement ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - Le préfet de police a réuni l'ensemble de ses cadres, diligenté une enquête interne et demandé pourquoi lui-même n'avait pas été mis au courant. C'est dans ce cadre qu'est apparue la responsabilité d'un certain nombre de cadres subalternes, au niveau desquels avait été prise la décision, sans que le préfet de police ne fût informé de ce qui se passait. Ce sont ces relations que le préfet de police a décrit hier comme des copinages.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Vous avez dit hier qu'il n'appartenait pas au ministre de l'intérieur d'appliquer l'article 40 du code de procédure pénale. Sur quel article de la loi appuyez-vous cette affirmation ? Je peux comprendre que vous ayez considéré qu'il revenait à d'autres personnes qu'à vous-même de saisir la justice devant la gravité évidente des faits dont vous avez eu connaissance le 2 mai. Votre directeur de cabinet a donc saisi le directeur de cabinet du Président de la République. Mais celui-ci, pas plus que vous-même ou que le préfet de police, n'a saisi le procureur de la République - pas plus, d'ailleurs, que le secrétaire général de l'Élysée ou le chef de cabinet du Président de la République. N'avez-vous pas considéré, au bout d'un moment, qu'il y avait quelque chose d'inacceptable dans le fait qu'un personnage qui n'est pas policier, qui est connu, se comporte de manière manifestement délictueuse et que le ministre de l'intérieur se satisfasse du fait que personne ne saisisse la justice ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - J'ai connaissance quotidiennement, par des notes de renseignement, de suspicions ou de commissions d'infractions pénales. Je considère, comme tous mes prédécesseurs, qu'il n'appartient pas au ministre de l'intérieur de transmettre au procureur des signalements sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale à chaque fois qu'il a connaissance de la commission d'une infraction pénale : ce n'est pas mon rôle de saisir chaque procureur individuellement pour lui signaler la commission d'infractions. Je n'ai d'ailleurs effectué depuis ma prise de fonction qu'un seul signalement à la justice sur le fondement de l'article 40, pour une infraction prévue par la loi de 1881 sur la presse. Il s'agissait d'un rappeur qui, dans une vidéo, appelait au lynchage et au meurtre d'un policier. Ces pratiques sont-elles simplement celle du ministre de l'intérieur actuel ? Non ! J'ai regardé combien mes prédécesseurs avaient fait de signalements : deux en 2014, quatre en 2015, huit en 2016 et quatre en 2017. M. Hortefeux, par exemple, n'a effectué que trois signalements au titre de l'article 40, qui portaient tous sur des problèmes de droit de la presse ou bien d'incitation à la haine.
M. Philippe Bas , président . - Vous considérez qu'il ne vous appartient pas de faire vous-même ces signalements - mais vous citez des cas où le ministre l'a fait. Vous avez un pouvoir hiérarchique et, si l'un de vos collaborateurs vous demande l'autorisation de faire un signalement, vous pouvez être amené à la lui donner. L'article 40 du code de procédure pénale prévoit que « toute autorité constituée » - je crois que vous êtes bien une autorité constituée - « qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit, est tenue d'en donner avis sans délai au procureur de la République, et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ». Notre commission aurait parfaitement accepté que cette utilisation de l'article 40 ne fût pas de votre fait. Nous ne vous reprochons pas de ne pas l'avoir enclenchée personnellement, mais nous constatons que, dans toute la hiérarchie, personne ne l'a fait, alors que de nombreux cadres dirigeants du ministère de l'intérieur avaient en main les éléments permettant de caractériser cette suspicion de délit.
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - Le préfet de police et le directeur de cabinet du Président de la République avaient été informés. Il ne m'appartenait pas, à moi qui ne connaissais pas les circonstances exactes, d'effectuer ce signalement.
M. Philippe Bas , président . - Que d'autres que vous aient pu le faire, c'est certain. Que vous ne l'ayez pas fait pose tout de même question. Si vous n'aviez pas les informations nécessaires, qui aurait été mieux placé que vous pour les obtenir ?
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Vous employez beaucoup le verbe « connaître » à la forme négative : vous ne connaissiez pas, vous ne saviez pas... Je vous rappelle quand même les termes de ma question : dès lors que vous considérez - c'est une interprétation qui est la vôtre - qu'il ne revient pas au ministre de l'intérieur de saisir la justice, pourquoi ne vous êtes-vous pas étonné qu'à aucun niveau de la hiérarchie - Élysée, intérieur, préfecture de police - personne ne l'ait fait ?
Le directeur de cabinet du Président de la République vous dit qu'il va y avoir une sanction à l'égard de M. Benalla. Il y a une sanction, puisque ce dernier est suspendu - et c'est la moindre des choses - pour quinze jours. Le porte-parole de l'Élysée dit qu'à la suite de cette suspension, M. Benalla a été démis de toute mission relative à la sécurité et à la protection du Président de la République. Vous ne connaissiez pas le chef de cabinet adjoint de l'Élysée. Vous vous rendez compte qu'il existe le 2 mai, bien qu'il figure sur beaucoup de photos, et que le ministère de l'intérieur ait quelques pouvoirs d'investigation... Vous faites votre travail en informant le directeur de cabinet du Président de la République, et celui-ci décide d'une sanction. Convenez tout de même que quelqu'un qui, déguisé en policier, tabasse des citoyens, quelles que soient les circonstances, cela relève de la justice ! On ne va pas confier des missions de sécurité et de protection du chef de l'État à ce personnage ! Or, une fois qu'il a fini ses quinze jours, on retrouve M. Benalla dans d'innombrables situations - transfert de Simone Veil au Panthéon, arrivée de l'équipe de France de football à Paris - où il est à 30 centimètres du chef de l'État, et toujours dans des missions de sécurité. En tant que ministre de l'intérieur, comment pouvez-vous accepter cela ? Avez-vous fait des démarches pour, au moins, vous étonner de cet état de choses auprès de la présidence de la République ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - Avant d'assurer la protection du Président de la République, M. Benalla s'était occupé de celle de M. Hollande et de celle de Mme Aubry. M'étant un peu éloigné du PS à l'époque, je le connaissais moins que d'autres.
Le directeur de cabinet du Président de la République a fait part à l'Assemblée nationale des éléments qui l'avaient conduit à ne pas saisir la justice de tels faits sur la base de l'article 40 : d'une part, le contexte de violence, qui était très fort à la Contrescarpe ; d'autre part, l'absence de plainte, les personnes figurant sur les photos ayant pris la fuite. Cela relève de son appréciation d'autorité hiérarchique. Je n'ai pas à commenter.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - M. le ministre d'État n'a pas répondu à ma question. À l'issue des quinze jours de suspension - on peut penser ce qu'on veut d'une telle sanction, mais il y a bien eu sanction, même s'il n'y a pas eu de procédure disciplinaire -, était-il acceptable de confier des missions de sécurité auprès du chef de l'État à ce personnage ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - Ce n'était pas au ministère de l'intérieur de gérer directement ces événements, qui étaient d'ailleurs parisiens. Le préfet de police a indiqué que la personne qui en était chargée se situait à un niveau inférieur au sien. Moi, je n'avais pas en connaître.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Le problème est le même que cela se passe à Paris ou ailleurs.
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - Pour moi, la protection du Président de la République relève du GSPR.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Le GSPR, qui se compose de policiers et de gendarmes, dépend également du ministère de l'intérieur.
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - Certes. Mais nous ne connaissons qu'une seule autorité pour assurer la protection du Président de la République : le GSPR.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Hier, il y a eu beaucoup de non-réponses, faisant dire à certains que vous étiez sans doute l'une des personnes les moins informées de notre pays, ce qui n'est pas vrai. Vous pouvez convoquer vos fonctionnaires et procéder à toutes les investigations que vous souhaitez.
Qui a donné le statut d'observateur à M. Benalla ? Qui lui a donné un brassard de police ? Qui l'a autorisé à participer à des réunions de commandement au plus haut niveau à la préfecture de police ? Qui lui a donné un permis de port d'arme ? Vous avez indiqué hier ne pas savoir qui avait pris la décision de doter M. Benalla d'une voiture extrêmement bien équipée ; je suppose que vous avez dû vous renseigner depuis.
M. Gérard Collomb, ministre d'État. - L'enquête judiciaire et celle de l'IGPN apporteront des réponses à ces questions. Je peux vous assurer que cela ne vient ni du ministère de l'intérieur ni du cabinet du ministre.
M. Philippe Bas , président . - Je vais à présent donner la parole à nos collègues.
M. François Pillet . - Monsieur le ministre d'État, vous indiquez n'avoir saisi l'IGPN que le 18 juillet, à la suite des révélations du journal Le Monde , et non au mois de mai, une fois les faits commis par M. Benalla connus de tous. Or, en mai, les délais de conservation des enregistrements de vidéoprotection et de conservation de l'enregistrement des conversations radio entre policiers recueilli par le système Acropol n'avaient pas expiré. Et M. Benalla disposait d'un émetteur radio Acropol. L'IGPN a donc été saisie trop tard. C'est dommage...
Vous avez estimé que l'IGPN n'était pas compétente. Pourtant, le fait que les policiers soient présents sur une scène de violences commises par un observateur paraît relever de la compétence de l'IGPN ; le fait que le policier chargé d'accompagner l'observateur perde tout contrôle sur celui-ci également.
Vous affirmez n'avoir saisi l'IGPN qu'après avoir eu connaissance du port par M. Benalla du brassard de police. Je ne veux pas croire que le fait de porter le brassard de police vous paraisse plus grave que les exactions commises par M. Benalla au sein des forces de l'ordre.
Sont-ce vos collaborateurs, qui, au terme d'une analyse juridique que je trouverais un peu fragile, vous ont déconseillé de saisir l'IGPN ou vous ont conseillé de tarder à la saisir ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - Encore une fois, je me suis assuré le 2 mai que la préfecture de police avait été destinataire de l'information concernant M. Benalla. J'ai considéré qu'il appartenait au préfet de police, en tant que chef de service, de prendre les mesures administratives adaptées. Je note d'ailleurs que celui-ci s'est expliqué hier sur les diligences effectuées sur son initiative : lancement d'investigations pour comprendre dans quelles conditions M. Benalla avait pu être autorisé à assister à un service d'ordre ; rappel des consignes pour que ces décisions remontent au bon niveau hiérarchique. Le préfet de police a par ailleurs indiqué qu'il ne disposait pas de la capacité à saisir l'IGPN s'agissant d'une personne qui n'était pas placée sous son autorité.
Toutefois, à la lumière d'éléments nouveaux que je jugeais particulièrement graves - nous avons vu une vidéo sur laquelle M. Benalla avait un brassard, et les enquêtes permettront d'établir s'il disposait aussi d'un téléphone -, j'ai considéré qu'il y avait un dysfonctionnement majeur, et nous avons saisi l'IGPN le 19 juillet.
M. Patrick Kanner . - Si mes informations sont bonnes, une vidéo des manifestations du 1 er mai montrant M. Benalla s'en prendre physiquement à des manifestants dans les conditions que nous savons a été adressée dès le 3 mai dernier à l'IGPN, dont la directrice, Mme Marie-France Monéger-Guyomarc'h, sera auditionnée par la commission d'enquête.
Monsieur le ministre d'État, en qualité de supérieur hiérarchique de l'IGPN, pouvez-vous me confirmer que cette vidéo reçue le 3 mai dernier n'a pas été traitée par l'inspection et n'a donné lieu à aucune enquête ? Avez-vous été informé de la réception de cette vidéo ? Pourquoi n'y a-t-il eu aucune suite ?
Au-delà de votre provocation bien amicale à l'égard de vos racines politiques, vous affirmez n'être ni responsable ni coupable. Nous parlons non pas de l'achat de vaisselle de Sèvres pour l'Élysée, mais de la protection du premier personnage de l'État. Vous qui êtes si proche du Président de la République et qui avez participé à tous ses meetings, comment est-il possible que vous n'ayez pas eu connaissance de la place particulière occupée par M. Benalla ? Cela entache votre autorité dans vos fonctions de protection du chef de l'État. Votre absence de réponse ou le fait de répondre que vous ne connaissiez pas cette personne ne peuvent pas nous satisfaire.
M. Gérard Collomb, ministre
d'État
. - J'ai su le samedi 21 juillet - le chef
adjoint de l'IGPN, que nous avions saisie le 18 juillet, en a informé
mon cabinet - qu'un internaute avait anonymement signalé la
vidéo montrant M. Benalla intervenir place de la Contrescarpe
à la plateforme de l'IGPN
le 3 mai dernier.
Au vu des images, les opérateurs de la plateforme n'ont pas estimé que les conditions justifiant l'ouverture d'une enquête judiciaire étaient réunies. La plateforme n'a ensuite enregistré aucun signalement relatif à ces faits, ni d'un témoin direct ni de l'une des deux personnes faisant l'objet des agissements. J'attends les conclusions de l'IGPN pour comprendre ce qui s'est passé.
J'ai demandé voilà trois jours à M. Frédéric Auréal, directeur du SDLP, s'il était informé des dysfonctionnements en la matière ; il m'a indiqué ne pas l'être.
M. Philippe Bas , président . - Nous ne cherchons pas seulement à savoir à quel échelon les décisions ont été prises. Nous sommes nombreux à penser qu'il y a eu des dysfonctionnements. Et nous essayons d'en analyser les causes, sans doute multiples.
Un conseiller du Président de la République disposant d'une carte « bleu, blanc, rouge », ayant ses entrées à la préfecture de police et y comptant certains amis participe à une opération de maintien de l'ordre et met beaucoup de coeur à l'ouvrage. Vous en êtes informé. Vous vérifiez que le Président de la République, via ses collaborateurs, l'est aussi. Vous ne nous avez pas dit lui en avoir parlé directement. L'avez-vous alerté sur la gravité de la situation ? Vous en êtes-vous ouvert au Premier ministre ?
La Constitution donne des pouvoirs distincts au Président de la République et au Gouvernement. L'administration et sa hiérarchie dépendent d'un ministre placé sous l'autorité du Premier ministre, et pas sous celle du Président de la République. Ce type d'interférence crée de la confusion dans le fonctionnement des services publics et a profondément bouleversé les policiers, qui nous l'ont indiqué.
Avez-vous pris conscience très tôt de la gravité de la situation ? Avez-vous eu avec le Premier ministre, puisque vous ne m'avez pas répondu s'agissant du Président de la République, la préoccupation du bon fonctionnement constitutionnel d'une administration dans laquelle on ne peut pas tolérer d'immixtion venant d'une autre autorité constitutionnelle que celle du Gouvernement ?
Certes, le Président de la République, élu au suffrage universel direct, peut, quand il dispose d'une majorité parlementaire, imposer indirectement son autorité sur une administration via le Gouvernement. Mais ses collaborateurs ne doivent pas prendre place dans une hiérarchie ; ils la perturberaient. C'est un dysfonctionnement grave.
Nous ne sommes pas en train de chercher mesquinement qui a fait quoi. Nous voulons savoir si la préoccupation du bon fonctionnement de l'État et de l'administration a été prise en compte pour que cessent de telles interférences.
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - Nous aurons bien un retour sur les dysfonctionnements. L'enquête de l'IGPN et l'enquête judiciaire permettront de déterminer les responsabilités de chacun.
Le directeur de cabinet du Président de la République a eu l'occasion de s'expliquer sur les fonctions de M. Benalla à l'Élysée ; celles-ci n'avaient rien à voir avec le ministère de l'intérieur.
M. Philippe Bas , président . - Je prends acte de la réponse que vous nous faites. Il n'est pas dans mon pouvoir de vous faire dire ce que vous ne voulez pas dire. Je n'essaierai donc pas plus longtemps d'obtenir une réponse plus précise sur la manière dont vous avez appréhendé sur le plan politique, au sens noble du terme, cette situation, et sur la manière dont elle a pu être traitée par le Premier ministre et le Président de la République.
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - Ma réponse était très précise.
M. Philippe Bas , rapporteur . - En effet, elle ne manquait pas de précision...
M. Henri Leroy . - Depuis quelques jours, la République vacille. La fonction présidentielle est abaissée à cause d'une mystérieuse liaison dangereuse du Président de la République. Nous sommes confrontés à un scandale d'État, qui met en cause les principales autorités de notre pays.
J'ai écouté avec attention votre audition d'hier. Vous attribuez la faute aux autorités de police, dont vous avez pourtant la responsabilité. Pour le reste, vous ne savez rien, vous n'avez rien vu, vous n'avez rien entendu. Le Président de la République, qui apparaît sur toutes les photos et donne son avis sur tout, est muet.
Comme ministre de l'intérieur, vous devez tout savoir. Qui est M. Benalla ? A-t-il d'ailleurs un prénom ? Quelle est sa nationalité ? J'ai lu qu'il était né dans un quartier d'Évreux gangréné par la drogue et la délinquance. Que sait-on de sa jeunesse ? De son passé ? Quels sont ses antécédents judiciaires ? Quelle a été sa procédure de recrutement ?
Hier, vous avez déclaré n'avoir jamais évoqué la situation de M. Benalla avec le Président de la République. Puis, quelques minutes après, à la même question, vous avez indiqué en avoir parlé le moins possible avec lui lorsque vous l'avez rencontré. Vous en avez donc parlé ! Que vous êtes-vous dit réellement ? Les Français attendent des réponses simples, claires et précises du ministre de l'intérieur.
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - En tant que ministre de l'intérieur, je ne fais pas des oeuvres de basse police. Je ne vais pas examiner le passé de chacun pour regarder s'il est issu d'un quartier populaire. Et heureusement : vous seriez en droit de me le reprocher ! Moi, je suis pour un État de droit.
M. Henri Leroy . - Vous ne m'avez pas répondu !
Mme Jacqueline Eustache-Brinio . - Vous semblez ignorer qui est M. Benalla. Cet après-midi, nous avons appris que beaucoup de policiers connaissaient la place et le rôle qu'il occupait au plus haut niveau de l'État. Plusieurs syndicats de police ont déclaré publiquement que M. Benalla avait régulièrement participé à des opérations de police au cours des derniers mois. Vous avez indiqué hier devant l'Assemblée nationale ne pas en avoir eu connaissance. Avez-vous recueilli des informations complémentaires auprès de vos services depuis hier ? M. Benalla a-t-il déjà eu la qualité d'observateur lors d'autres opérations de maintien de l'ordre ? Si oui, où et quand ?
Trouvez-vous normal qu'un adjoint au chef de cabinet du Président de la République puisse observer ce type de manifestations ? Auriez-vous eu connaissance d'autres incidents - il y en a vraisemblablement eu - le concernant ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - À ma connaissance, à celle du préfet de police et à celle du DOPC, il n'a pas participé à d'autres opérations liées au maintien de l'ordre. L'enquête judiciaire et celle de l'IGPN le diront. Mais je n'ai aucune raison de mettre la parole du préfet de police et du DOPC en cause.
Mme Nathalie Delattre . - Nous avons découvert l'affaire Benalla grâce aux images de vidéoprotection de Paris et à une vidéo amateur. Lors des auditions précédentes, on nous a parlé de l'existence de photos et de vidéos de CRS. Nous avons d'abord appris l'existence de M. Alexandre Benalla. Nous avons ensuite découvert le commando Benalla avec M. Vincent Crase. On nous parle maintenant d'un accompagnant, M. Mizerski, encadrant non officiel. Ces photos et ces vidéos vont-elles faire apparaître d'autres protagonistes ? Avez-vous connaissance de ces photos ?
Existe-t-il une milice privée hors GSPR au sein de l'Élysée ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - Un des supérieurs hiérarchiques de M. Mizerski lui a demandé d'accompagner M. Benalla, qu'il croyait accrédité en tout cas, l'enquête permettra de le savoir -, pour participer à une opération de maintien de l'ordre comme observateur. Beaucoup de députés et de journalistes participent à des opérations comme observateur. Elles sont strictement encadrées. Le préfet de police l'a rappelé hier ; il souhaitait qu'il faille son autorisation personnelle.
J'en apprends chaque jour de plus en plus sur les personnalités. Je lis les journaux comme vous. Je découvre tout un pan de l'histoire de M. Benalla.
M. Philippe Bas , président . - Monsieur le ministre de l'intérieur, heureusement qu'il y a les journaux pour vous informer !
Mme Jacky Deromedi . - Le porte-parole de l'Élysée a déclaré que M. Benalla avait été mis à pied pendant quinze jours avec suspension de salaire du 4 mai au 19 mai, et entièrement démis de ses fonctions en matière d'organisation de la sécurité des déplacements du Président de la République.
Que faisait M. Benalla auprès du chef de l'État au Panthéon ? Que faisait-il à Giverny le vendredi 13 juillet alors qu'il avait été déchargé de ses fonctions de chef adjoint du cabinet ? Sa présence dans le car qui ramenait les Bleus de l'aéroport était-elle normale ? Vous paraît-il normal qu'il ait eu des altercations avec les policiers devant assurer cette mission ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - Ce n'est pas moi qui fixe la nature des missions de M. Benalla. Le directeur de cabinet du Président de la République s'expliquera ou s'est déjà expliqué sur ce point.
M. Philippe Bas , président . - Il est établi que M. Benalla, pour les déplacements du Président de la République dans Paris, était en contact fréquent avec la préfecture de police : des personnes, dans les services placés sous votre autorité, savaient ce qu'il faisait, ils travaillaient avec lui ! Les directeurs de la police, des commandants de gendarmerie, traitaient avec lui, comme garde du corps ou comme organisateur de déplacements. Quel regard porte le ministère sur ce collaborateur ? La question de Mme Deromedi me semble factuelle : aviez-vous idée de ce que faisait M. Benalla à Giverny, en lien avec vos services ?
Mme Jacky Deromedi . - Il a eu une altercation avec les policiers car il prétendait reprendre le contrôle du retour des Bleus. Vous en avez sans doute été informé ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - Je travaille avec les préfets, qui assument leur responsabilité, avec le directeur général de la police nationale, le directeur général de la gendarmerie nationale - ce sont eux qui organisent les choses. Le préfet de police m'a dit que jamais il n'aurait laissé une personne extérieure à ses services prendre le contrôle de la manifestation organisée pour le retour des Bleus.
M. Pierre-Yves Collombat . - Alexandre Benalla était au ministère de l'intérieur comme un poisson dans l'eau - un poisson carnivore, j'entends. Personne ne sait qui il est ou peu concèdent le connaître, mais on le reçoit, on l'équipe, on l'associe aux opérations de maintien de l'ordre et aux debriefings , au seul motif qu'il appartient aux services du Président de la République. Alors, qui a la haute main sur les services de gendarmerie et de police en France : le ministre de l'intérieur ou le Président de la République ? Qui gouverne, vous ou le Président qui, par son influence, modifie les comportements dans votre administration ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - J'ai un « debriefing », pour reprendre votre terme, une fois par mois avec les préfets, tous les quinze jours avec les préfets de zone en raison des risques terroristes, ainsi qu'avec le DGPN, le DGGN et le DGSI. Avec eux, et avec personne d'autre !
Mme Catherine Di Folco . - Qu'auriez-vous fait si l'Élysée ne vous avait pas répondu qu'il réagirait au comportement incongru de celui que l'on nous présente comme un observateur, voire un bagagiste ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - Je me suis assuré que l'attitude inacceptable de M. Benalla était prise en compte, il m'a été répondu qu'elle ferait l'objet de sanctions. Mais c'est le directeur de cabinet qui prononce les sanctions contre des conseillers de l'Élysée : le ministre de l'intérieur ne s'en occupe pas.
Mme Brigitte Lherbier . - Des agents contractuels s'occupent donc de la sécurité des déplacements... Combien et qui sont-ils : des militants, des collaborateurs de La République en Marche ? C'est l'occasion de faire le point.
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - Il y a une seule autorité compétente, le GSPR.
M. Alain Marc . - Un membre d'un syndicat de police vient de nous dire qu'Alexandre Benalla était accompagné de « barbouzes » dans certaines missions. Vous avez affirmé qu'il n'y a pas de police parallèle, voire de milice, à l'Élysée. Si les syndicats nous apportent dans les jours qui viennent de nouveaux éléments en sens contraire - puisqu'au GSPR, où M. Benalla semait la « terreur », on commence à parler - trouverez-vous cela normal ?
Du 4 au 19 mai, M. Benalla a été mis à pied. Avez-vous demandé une enquête, pour savoir s'il est vraiment titulaire d'un master de droit, si son casier judiciaire est vierge, s'il ne pouvait à terme constituer une menace pour la sécurité du Président de la République ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - Je regrette que les syndicats ne m'aient pas dit cela, à moi... Car je croyais jusque très récemment que M. Benalla était policier. Des équipes de barbouzes ? Jamais au ministère de l'intérieur, je ne l'admettrais pas. Dans le passé, oui, on le sait...
Mme Esther Benbassa . - Le SAC !
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - ...et je me souviens de milices privées, dans ma prime jeunesse. Je recevrai les syndicats, car je sais qu'ils ont été troublés par ces événements : je leur demanderai s'ils ont rencontré des problèmes avec M. Benalla ; et, si oui, pourquoi ils ne m'en ont pas informé plus tôt.
Mme Esther Benbassa . - Un monde de bisounours.
M. Philippe Bas , président . - Il est utile de les écouter. Ils nous ont dit que « les langues se délient ». Je ne doute pas que vous appreniez beaucoup dans l'avenir proche sur les interférences entre ce collaborateur du Président de la République et l'administration placée sous votre autorité, dans le cadre des pouvoirs constitutionnels du Gouvernement, qui sont distincts de ceux du Président de la République.
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - Ils ont eu tort de ne pas faire remonter ces informations à leur ministre : j'aurais pris des mesures.
M. Philippe Bas , président . - La peur s'est dissipée, nous ont-ils dit. Ils ont même employé une expression plus forte : « Il semait la terreur. »
Mme Esther Benbassa . - Admettons que vous ne connaissiez pas Alexandre Benalla : c'est très grave, puisqu'il s'occupait de la sécurité du Président de la République ! Comment se fait-il que vous n'ayez pas su qu'il semait la terreur ?
Les sources policières, syndicales, indiquent qu'une réorganisation de la sécurité de l'Élysée était prévue, à l'horizon fin 2018. Une direction de la sécurité de la présidence de la République devait être créée, Alexandre Benalla était pressenti pour y occuper une place prépondérante. Sans doute ne le saviez-vous pas non plus, et pourtant c'est une chose grave : une police parallèle se développait à l'Élysée à côté du GSPR. C'est un dysfonctionnement et vous laissez faire. Il y avait deux polices, l'une privée, l'autre non.
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - J'ignorais votre passion pour la police. Nous savions qu'il existait un projet de réforme ; ma principale recommandation au Président et à son cabinet portait sur la nécessité de maintenir un lien organique entre la nouvelle structure et le ministère de l'intérieur - les recrutements et la gestion du personnel devaient rester au ministère, afin d'éviter d'aboutir à une sécurité de la présidence déconnectée du reste de l'État.
M. Philippe Bas , président . - Sage recommandation, en effet.
M. Jean-Yves Leconte . - Le Président de la République a-t-il partagé votre point de vue ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - Absolument.
M. Philippe Bas , président . - Savez-vous si la mission confiée au GSPR remet en cause ces orientations ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - J'espère que non, car elles sont tout à fait nécessaires.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Hier à l'Assemblée nationale, aujourd'hui ici, vous avez choisi une ligne : vous ne connaissiez pas Alexandre Benalla, ni ses fonctions, ni son métier, vous ne saviez pas exactement qu'il s'occupait de la sécurité du Président, qu'il n'était pas poursuivi pour des faits de violence, etc. Vous êtes pourtant un homme politique aguerri, avec une expérience puissante ! Quelles conclusions tirez-vous, pour votre ministère, de tous ces dysfonctionnements et ces ignorances ? Avez-vous identifié des marges de progression ? La sécurité du Président de la République est généralement une obsession pour le ministre de l'intérieur : cela ne semble pas être votre cas, tant mieux pour vous, mais pour notre part, nous sommes inquiets.
M. Philippe Bas , président . - Nous savons que vous attendez un rapport de l'IGPN. Mais quelles sont vos positions de principe, vos orientations ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - Le ministre de l'intérieur veille, dans la ligne hiérarchique, à apporter la meilleure garantie de sécurité aux personnalités, et d'abord au Président de la République.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Est-ce le seul enseignement ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - Les policiers et gendarmes ont un sens très fort de la déontologie. Si l'on excepte quelques rares manquements, ils ont un sang-froid et une retenue remarquables.
M. Loïc Hervé . - Vous pensiez que ce jeune homme de 26 ans était policier. Quel grade pensiez-vous qu'il avait atteint ? Avait-il accès aux locaux de la place Beauvau, était-il en contact direct avec vous, avec les membres de votre cabinet ?
M. Benalla pourrait se réfugier derrière une forme de théorie de l'apparence. Son poste pouvait laisser penser qu'il appartenait à l'organigramme de l'Élysée, ce qui n'était pas le cas. Il avait une habilitation secret défense, un permis de port d'arme, il était lieutenant-colonel à la réserve spécialisée de la gendarmerie : que pensez-vous de cette virtualité et de ses effets ? Y a-t-il d'autres chargés de mission avec la même virtualité dans l'appareil d'État ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - Alexandre Benalla est devenu le 25 juin 2009 réserviste opérationnel ; il a exercé dans l'Eure durant six ans, à l'issue desquels il est devenu brigadier. Il a été radié à sa demande en novembre 2017, lorsqu'il a rejoint la réserve spécialisée de la gendarmerie nationale, au titre de son expertise dans la sécurité des installations et des personnes. Il a alors obtenu le grade de lieutenant-colonel : cela ne correspond pas à un avancement mais à son nouveau statut dans la réserve, comme pour un officier commissionné recruté à un grade donné sans passer les échelons subalternes, grade qu'il ne conserve que le temps de sa mission.
M. Loïc Hervé . - Vous ne répondez pas sur le grade. Ni sur l'accès aux locaux : disposait-il d'un badge pour entrer place Beauvau ? Se rendait-il dans votre cabinet ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - Je n'ai jamais vu Alexandre Benalla au ministère. Certes, je n'y suis pas tous les jours... mais vous ne trouverez aucune trace d'un appel, d'un mail de ma part : je n'avais aucune relation avec lui.
M. Jean-Luc Fichet . - Ce petit génie est entré par effraction dans les services de sécurité de la présidence - car il apparaît de plus en plus nettement comme un intrus, qui a su naviguer jusqu'au grade de lieutenant-colonel, devenir adjoint au chef de cabinet du Président de la République, rudoyer les services, assister à des manifestations... Il y a forcément un fil conducteur, entre 2009 et aujourd'hui. L'avez-vous identifié ? Qui, à chaque étape, a accordé à M. Benalla grades, postes, badges d'accès, libre circulation dans les services de l'État ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - L'enquête de l'IGPN et celle de la justice le diront. Je me prononcerai alors, quand nous connaîtrons tout son passé.
M. François Bonhomme . - De façon stupéfiante, Alexandre Benalla est partout, et surtout là où il n'a pas à être. Il joue un rôle autoproclamé dans divers dispositifs de sécurité. Alain Gibelin a dit hier que M. Benalla n'avait reçu aucune autorisation pour être présent comme observateur le 1 er mai. Vous avez la charge des forces de sécurité. Quelles conséquences pratiques, opérationnelles, tirez-vous pour la chaîne de commandement de votre ministère ? Les signalements faits le 3 mai sur la plateforme de l'IGPN ont été classés sans suite, mais le ministre que vous êtes n'en était pas informé. Quel sentiment cela vous inspire-t-il ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - M. Gibelin ne savait pas que ce jour-là M. Benalla était en mission dans le service d'ordre : c'est pourquoi des sanctions ont été prises par le préfet de police. Si eux ne savaient pas, comment l'aurais-je pu ? Ce sont eux qui ont la responsabilité de leurs troupes. Le préfet de police a parlé de « copinage ». Il m'a par conséquent proposé des sanctions, que j'ai acceptées. Et le dispositif de la préfecture de police devra bien sûr être revu. Quant aux signalements sur la plateforme, j'en ai eu connaissance seulement samedi.
M. François Bonhomme . - Cela est-il normal ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - Il y a beaucoup de faits de ce type et nous disposons de plusieurs plateformes. Mais il existe une hiérarchie et chacun est responsable de ce qui se passe dans son service.
M. Philippe Bas , président . - Nous aussi souhaitons que la hiérarchie soit respectée, c'est bien pourquoi nous sommes si inquiets de ces interférences et de l'intrusion d'un collaborateur du Président de la République au ministère de l'intérieur, source de confusion des pouvoirs.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Nous sommes d'accord sur plusieurs points : la sécurité du Président de la République est essentielle ; elle est du ressort du ministère de l'intérieur ; l'intrusion de M. Benalla a mis à mal ce principe. Vous êtes-vous assuré qu'il s'agissait d'un cas isolé dans la protection du chef de l'État ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - La protection du Président est essentielle et le GSPR doit en être le seul garant ; et ses agents sont recrutés par le ministère de l'intérieur. Le regroupement entre les commandants de CRS et le GSPR doit rester sous la responsabilité du ministère de l'intérieur et c'est ce qui a été décidé.
M. François Pillet . - Vous avez affirmé que le projet de création d'une direction de la protection serait piloté uniquement par les chefs des deux entités actuelles. Or le contrat de travail de M. Benalla mentionne une « mission de coordination de la sécurité avec les forces militaires et le GSPR ». Comment pouviez-vous ignorer l'existence de cette mission, alors que le GSPR est un service placé sous votre autorité, dont l'activité est particulièrement sensible ? Maintenez-vous devant le Sénat que M. Benalla n'a pris aucune part à ce rapprochement, contrairement à ce que suggère l'intitulé de ses fonctions ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - J'ignore ce qui se passait entre ces deux responsables, mais j'ai toujours dit que le ministère était le meilleur garant de la sécurité du Président.
Ce n'est pas mon ministère qui rédige les contrats de travail des conseillers de l'Élysée.
Mme Marie Mercier . - Nous voulons faire toute la lumière sur une affaire qui choque huit Français sur dix. Or je constate des incohérences entre vos déclarations et celles de M. Delpuech sur la manière dont vous avez été informé des faits le 2 mai. Vous dites avoir été mis au courant à 15 heures : comment et par qui ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - Par mon directeur de cabinet.
Mme Marie Mercier . - Comment avait-il été lui-même informé ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - Il a correspondu avec le préfet de police. Ils découvraient peu à peu ce qui s'était passé. Mon directeur a été informé dès le matin, puis le préfet de police - j'étais avec lui sur le lieu de la manifestation plus tôt dans la journée, il ne m'avait pas informé alors.
M. Philippe Bas , président . - M. Grosdidier a fait récemment un gros travail sur l'état des forces de sécurité intérieure. Les syndicats nous ont dit que son rapport avait un large écho dans les services.
M. François Grosdidier . - Après six mois d'étude et d'auditions, j'ai l'impression, à vous entendre parler des services, que vous êtes dans une bulle et ne percevez pas le malaise actuel ! Vous dites avoir noué ou renoué le lien, mais les syndicats nous disent le contraire. Si vous connaissez votre ministère, ne vous contentez pas de réponses dilatoires, en renvoyant à des rapports d'inspection. On n'emprunte pas un véhicule sans être vu, vous n'avez pas besoin d'une enquête de l'IGPN pour savoir qui l'a mis à disposition ! Même chose pour le brassard : qui était le tuteur de l'observateur ce jour-là ? Il vous est aisé de savoir ce qui se passe dans votre maison : vous pouvez nous fournir ces informations dès ce soir ou demain !
D'un côté un véhicule neuf, un appartement ; de l'autre des véhicules de police et de gendarmerie qui ont en moyenne huit ans d'âge, des logements qui relèvent de l'habitat indigne...
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - Vous placez le débat au bon niveau : celui des moyens de fonctionnement de la police, de la gendarmerie, du renseignement. Je me bats pour les augmenter, car jusqu'en 2013, on a observé une déperdition du nombre de policiers et de gendarmes.
M. François Grosdidier . - Ce n'est pas du tout ma question !
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - Puis les effectifs ont recommencé à augmenter. Voilà de quoi je m'occupe. Il faut que nos policiers disposent de tablettes, de smartphones, qu'ils travaillent dans des locaux décents. C'est mon travail d'obtenir des crédits budgétaires suffisants...
Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Ce n'est pas la question.
M. François Grosdidier . - Ma question est : qui a donné quel équipement ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - L'enquête judiciaire et celle de l'IGPN nous le diront. Ce n'est pas, en tout cas, le ministère de l'intérieur qui a donné le brassard ni le téléphone à M. Benalla.
M. Éric Kerrouche . - Il est difficile de trouver une photographie d'Emmanuel Macron sans Alexandre Benalla. Celui-ci était déjà en charge de la sécurité de M. Macron dans le mouvement En Marche, tandis que vous étiez un membre éminent de la campagne présidentielle de M. Macron... comme M. Girier, votre actuel chef de cabinet. Je m'étonne donc, lorsque vous dites que vous ne connaissez pas Alexandre Benalla.
Trouvez-vous normal que le chef de l'État nomme un chargé de mission pour qu'il s'immisce dans les activités de votre ministère ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - Lors d'une campagne électorale, les candidats ont à la fois une protection policière et un service d'ordre formé de militants - cela fait beaucoup de monde. J'ai toujours pensé que M. Benalla était, comme d'autres, policier. Mais dans les grands meetings où je me rendais, je ne savais pas qui était bénévole, qui policier. Je portais des idées, pensant que notre pays avait besoin de changer. Je ne me suis jamais livré à des oeuvres de basse police et ne le ferai jamais.
Mme Laurence Harribey . - Vous pensiez qu'Alexandre Benalla était policier, mais on lui refusait - et par deux fois - le port d'arme au ministère ? Comment ne pas être alerté par une telle situation ? D'autant qu'en juin 2017, le refus est venu de votre cabinet. Pour quels motifs ? Pourquoi cela ne vous a-t-il pas conduit à déclencher une certaine surveillance et à alerter le Président ? Cela nous ramène à la gestion politique de cette affaire...
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - Je croyais que M. Benalla était policier. Évidemment, ce n'est pas moi qui instruis les demandes de port d'arme. M. Benalla a sollicité à plusieurs reprises les services du ministère de l'intérieur pour obtenir une autorisation de port d'arme. Toutes ces demandes ont été refusées car il ne remplissait pas les conditions requises - par exemple, exposition à des risques exceptionnels d'atteinte à sa vie. En 2013 comme en 2017, elles ont été instruites conformément à la procédure habituelle : instruction par le service juridique du ministère, avis de plusieurs services, comme le renseignement territorial, l'UCLAT et la DGPN. Comme les avis des services étaient défavorables, mes prédécesseurs et moi-même avons refusé la délivrance d'une autorisation de port d'arme. Toutefois, par un arrêté du préfet de police du 13 octobre 2017, M. Benalla s'est vu délivrer une autorisation de port d'arme sur un autre fondement du code de la sécurité intérieure et sans que mon cabinet en ait été avisé : je l'ai découvert mercredi dernier.
M. Philippe Bas , président . - Nous passons aux questions de trois sénateurs non membres de la commission des lois, qui n'ont donc pas les pouvoirs d'investigation d'une commission d'enquête.
M. Pierre Laurent . - Vos déclarations présentent des incohérences. Votre principal collaborateur à Lyon depuis des années, qui vous a suivi du 9 e arrondissement à la métropole et qui est aujourd'hui votre chef de cabinet, Jean-Marie Girier, a été directeur de campagne d'Emmanuel Macron. C'est lui qui a recruté M. Benalla fin 2016. Vu votre proximité avec M. Girier, comment pouvez-vous prétendre ne pas connaître M. Benalla ? M. Philippe Mizerski, le tuteur de M. Benalla, qui lui aurait remis les attributs de police, n'a pas été mis en examen alors que trois autres policiers l'ont été. Qu'est-ce qui nous garantit que le système de copinage qui aurait protégé M. Benalla ne va pas survivre aux sanctions prises ? Maintenez-vous, en dépit de tout ce que nous avons entendu de la part des syndicats de policiers ce matin, que rien ne vous est remonté sur les relations exécrables et les incidents récurrents entre M. Benalla et les services de police ? Même si les langues se délient tardivement, on a du mal à croire que personne dans la hiérarchie policière n'ait entendu parler de ces incidents, vu leur nombre.
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - J'ai déjà répondu à toutes ces questions. M. Mizerski était tuteur de M. Benalla. L'enquête dira qui l'a désigné comme tel.
M. Pierre Laurent . - Sur M. Girier, vous n'avez rien à dire ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - Je ne pense pas qu'il ait recruté M. Benalla, sinon il y aurait un problème de confiance.
M. Philippe Bas , président . - Dont acte.
Mme Laurence Rossignol . - Le 2 mai, vous découvrez que M. Benalla, que vous connaissez au moins de vue puisque la veille au soir vous avez échangé avec lui une accolade à la préfecture de police, n'est pas policier comme vous le pensiez. Vous découvrez en même temps qu'il s'est livré, au cours d'une manifestation, à des actes assimilables à des violences policières. J'imagine que vous avez considéré cette situation comme préjudiciable à l'image de la police et, puisque cet homme est un collaborateur du Président de la République, dangereuse pour ce dernier. Qu'avez-vous fait pour protéger les services de police et le Président de la République des agissements de M. Benalla, indépendamment du fait que vous avez prévenu la présidence de la République ? Jusqu'au 18 juillet, vous n'entendez plus parler de M. Benalla ; mais il aurait pu continuer d'agir comme il avait agi précédemment !
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - Accolade ? Le préfet de police a précisé hier qu'il avait été extrêmement surpris, comme je l'ai été, de voir cette personne, qu'il n'avait jamais autorisé sa présence et qu'il n'y avait jamais eu d'accolade : j'ai simplement salué la quarantaine de personnes qui se trouvaient dans la salle de commandement et, surtout, nous avions les yeux fixés sur ce qui se passait place de la Contrescarpe, où les violences continuaient, ne l'oublions pas. M. Benalla a-t-il eu souvent ce type de comportements ? Je n'en sais rien, c'est l'enquête qui le dira.
Mme Christine Bonfanti-Dossat . - L'important, c'est ce que ressent le peuple français depuis ces révélations. Il a grandement besoin d'être rassuré. Un proverbe américain dit que ce n'est jamais le crime lui-même qui cause le scandale, mais les manoeuvres pour le dissimuler. Y a-t-il une tentative d'étouffer ce scandale ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - Le ministère de l'intérieur fait son travail, tout comme la DGPN, la DGGN, les services de renseignement, les services de sécurité et la préfecture de police. C'est à eux de faire remonter les dysfonctionnements et de les résoudre. Je suis un ministre républicain, qui ne compte que sur les forces légales pour résoudre les problèmes de son pays. Même face à des manifestations d'une violence inouïe, c'est la police républicaine qui doit assurer le maintien de l'ordre.
M. Cédric Perrin . - Vous n'avez pas effectué de signalement, comme le veut l'article 40, au motif que tant de faits vous sont signalés que vous estimez que ce n'est pas votre rôle. À votre connaissance, comme vous dites, combien d'actes délictueux ont été commis au cours des dix dernières années par des membres du cabinet du Président de la République ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - J'ai déjà répondu à cette question. Mes prédécesseurs avaient la même pratique que la mienne.
M. Cédric Perrin . - Combien de membres de cabinet étaient concernés ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - L'un signalait une diffusion de jeu vidéo montrant des tortures, un autre la contestation de crimes contre l'humanité, un autre du révisionnisme...
M. Cédric Perrin . - Vous ne répondez pas à ma question.
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - J'ai fait mon travail en informant le directeur de cabinet du Président de la République, qui a dit que des sanctions seraient prises. Dès le lendemain, je me suis consacré à d'autres tâches.
M. Cédric Perrin . - Comme à la plupart des questions, nous n'avons pas eu de réponse.
M. Philippe Bas , président . - En vertu des pouvoirs qui nous ont été conférés par le Sénat unanime, nous allons vous adresser des questions par écrit, pour éclaircir un certain nombre de points qui restent obscurs, et vous demander des documents, comme nous en avons le droit.
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - Je répondrai, bien évidemment. Mes réponses ont été très précises.
Mme Esther Benbassa . - Aucune ne l'était !
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - Si vous avez d'autres questions, qui ne soient pas couvertes par l'enquête judiciaire en cours, j'y répondrai bien volontiers.
M. Philippe Bas , président . - Ce sera nécessairement le cas, car nous prenons grand soin de réserver les compétences de l'autorité judiciaire, qui s'exerce sur des questions ponctuelles, alors que nous posons des questions relatives à l'administration et aux institutions, conformément au mandat que nous avons reçu.
M. Gérard Collomb, ministre d'État . - Peut-être aurons-nous des réponses un peu plus précises à quelques-unes de vos questions, puisque le rapport de l'IGPN sera remis à la fin de la semaine.
Audition du Général
Richard Lizurey,
directeur général de la gendarmerie
nationale
(Mercredi 25 juillet 2018)
M. François Pillet , président . - Cette audition est ouverte à la presse et au public. Elle est diffusée en direct et sera disponible en vidéo à la demande sur le site du Sénat, et elle fera l'objet d'un compte rendu publié. Je rappelle que notre commission est dotée des pouvoirs d'une commission d'enquête. Je vous propose de prendre la parole pour un propos liminaire, puis les rapporteurs et les membres de la commission vous poseront des questions.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, le général Richard Lizurey prête serment.
Général Richard Lizurey, directeur général de la gendarmerie nationale. - Je vous remercie de votre invitation ; je suis heureux d'avoir l'opportunité de m'exprimer, d'expliquer un certain nombre de choses et de clarifier certaines incompréhensions qui ont pu être véhiculées ici ou là.
Je veux tout d'abord rendre hommage aux 30 000 membres de la réserve de la gendarmerie nationale. Ce sont des personnes de tous statuts et de tous âges, qui prennent sur leur temps libre pour renforcer les unités de la gendarmerie et contribuer à la sécurité de nos concitoyens sur le territoire. Ces réservistes sont extrêmement méritants ; ils sont actuellement engagés de manière très forte tant pour la sécurité des zones estivales que pour le Tour de France. Ils ont aussi été engagés de manière exceptionnelle à l'occasion de l'ouragan Irma, à Saint-Martin. En 2017, quatre-vingts d'entre eux ont été blessés en service, dont vingt à la suite d'une agression. Sans nos réservistes, nous ne pourrions pas fonctionner de manière optimale ; je les en remercie, je leur exprime toute ma reconnaissance.
La réserve militaire de la gendarmerie a deux composantes globales : la réserve opérationnelle et la réserve citoyenne. La réserve opérationnelle renforce au quotidien l'action de la gendarmerie ; les militaires de réserve accomplissent les missions du personnel d'active à l'exclusion du maintien de l'ordre. Elle compte 29 847 volontaires titulaires d'un contrat. En moyenne, depuis le début de l'année, 1 670 réservistes renforcent chaque jour nos unités territoriales.
Le réserviste opérationnel, dit « de sécurité publique » - celui que vous rencontrez dans la rue -, est soumis aux mêmes droits et aux mêmes devoirs que les militaires d'active : il est placé dans l'ordre hiérarchique, il a le même statut, il est détenteur d'un grade soumis aux règles classiques d'avancement.
Il existe, au sein de la réserve opérationnelle, une catégorie particulière de réservistes, les spécialistes, qui est prévue à l'article L. 4221-3 du code de la défense. Ces volontaires ont vocation à exercer des fonctions particulières déterminées, correspondant à des qualifications ou à des expériences. Ils peuvent apporter des choses ; ce sont des personnels ressources pour le service, dans le cadre de réflexions diverses.
Le grade qui leur est conféré l'est à titre temporaire : il ne donne pas de compétence en matière d'encadrement et il n'est accordé que pour la durée et dans le cadre de la mission ; il n'y a donc, je le répète, aucune prérogative de commandement pour ces réservistes spécialistes, quel que soit le grade qu'on leur attribue. Depuis 2002, la gendarmerie nationale a recruté 124 réservistes spécialistes ; nous en avons 74 aujourd'hui.
La réserve citoyenne est forte de 1 315 réservistes citoyens ; elle vise à entretenir l'esprit de défense et le lien entre la Nation et les forces armées, entre la gendarmerie et la population. Les grades y sont honorifiques, ils n'emportent aucune prérogative de commandement et leurs titulaires n'ont pas vocation à assurer des missions de sécurité publique. Cette réserve citoyenne est tout à fait transparente puisqu'elle fait l'objet de décisions formelles. Ses personnels portent régulièrement, à l'occasion de cérémonies, des insignes distinctifs permettant d'indiquer leur appartenance à cette réserve.
Concernant les deux personnes faisant l'objet du travail de votre commission, MM. Alexandre Benalla et Vincent Crase, je veux apporter quelques précisions sur le processus ayant conduit à leur recrutement et à leur emploi.
Alexandre Benalla était engagé dans la réserve opérationnelle depuis 2009, dans le cadre d'un travail de sécurité publique générale, dans le département de l'Eure. Il a servi pendant 194 jours au total, entre 2009 et 2015 ; depuis cette date, il n'a plus été employé, sans raison particulière, sans doute parce qu'il n'avait pas le temps. Il a donc été employé de manière importante - 194 jours, c'est une période intéressante -, et, pendant sa période d'emploi, il a donné satisfaction. Tous les éléments qui me sont remontés n'ont fait état d'aucune difficulté de comportement ni d'engagement.
J'ai rencontré M. Benalla à l'occasion de différents déplacements, notamment lors du retour en avion de Saint-Martin. Nous avons pu discuter de choses et d'autres, puis de son engagement dans la réserve ainsi que de sa vision de la protection et de la sécurité des personnes.
Il faut savoir que, au deuxième semestre de 2017, nous
avons connu un certain nombre d'agressions de gendarmes et d'incendies de
casernes
- l'incendie des garages de Grenoble, au cours duquel
cinquante véhicules ont brûlé, l'incendie de
véhicules à Limoges, l'incendie de la caserne de Meylan, qui
visait les familles - et l'on a tous les ans des agressions contre les
gendarmes ; en 2017, 1 926 gendarmes ont fait l'objet
d'agressions dans le cadre de leur service quotidien.
Dans ce cadre, nous avons lancé un groupe de réflexion sur la protection de nos personnels, et il me paraissait intéressant d'avoir un oeil extérieur. Je considérais que, compte tenu de son expérience en matière de protection des personnalités, M. Benalla représentait un personnel ressource utile, que j'ai intégré dans le vivier des réservistes spécialistes.
M. Vincent Crase est dans une situation un peu différente. Il a été intégré dans la réserve opérationnelle en 1996, en provenance de l'armée de l'air. Il a progressé classiquement dans le cadre de la réserve opérationnelle de sécurité publique - capitaine puis chef d'escadron, son grade aujourd'hui. Il a régulièrement assuré des missions de formation et d'encadrement, et il totalise 414 jours de convocation à la réserve. Il a été versé dans cette réserve et il y assure de manière satisfaisante, à ma connaissance, ses fonctions de formateur, d'encadrant - c'est d'ailleurs au titre de ses fonctions d'encadrant qu'il était employé au sein du commandement militaire de l'Élysée.
Je précise pour la parfaite information de votre commission qu'aucun des deux n'était activé comme réserviste le 1 er mai. Nous avons 30 000 réservistes, qui ont chacun une vie dans la société civile ; ils ne sont considérés comme réservistes que quand ils font l'objet d'une convocation formelle tracée, que l'on retrouve dans nos outils de gestion. Quand ils sont convoqués, ils doivent répondre à la discipline militaire. Le reste du temps, ils ont leur vie personnelle, dans laquelle le commandement ne s'immisce pas.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Je veux vous assurer de toute la considération que nous avons pour les forces de gendarmerie et notre gratitude pour votre action.
Ma question porte sur la présence de M. Benalla dans les réunions relatives à la sécurité publique et dans les cercles du ministère de l'intérieur. Jusqu'à aujourd'hui, les témoignages que nous avons eus nous ont révélé son omniprésence au sein de ces instances. Êtes-vous en mesure de confirmer l'omniprésence de M. Benalla dans les réunions relatives à la sécurité publique au ministère de l'intérieur ? Quelles étaient ses missions exactes ? Avez-vous eu connaissance de sa participation en qualité d'observateur à d'autres opérations de maintien de l'ordre ? Avez-vous été informé de sa présence à des réunions autour de hauts responsables de la police nationale et gendarmerie nationale ?
Général Richard Lizurey. - En ce qui concerne la présence de M. Benalla aux différentes réunions auxquelles j'ai participé, je ne l'ai pas vu au ministère de l'intérieur. Je n'ai pas constaté son omniprésence, je n'ai même pas constaté sa présence.
Pour ce qui concerne ses missions exactes, je serais incapable de vous les indiquer. J'ai entendu, comme vous, ce qu'a dit le directeur de cabinet de l'Élysée. J'ai constaté que, lors de cérémonies majeures - je pense à l'hommage à Arnaud Beltrame et au 14 juillet -, je le voyais dans le paysage, mais je ne connais pas ses fonctions exactes. Cela échappe d'ailleurs totalement à mon domaine de compétence.
A-t-il participé à d'autres opérations de maintien de l'ordre ? Je n'en ai aucune idée et ce n'est pas non plus dans mon domaine de compétence. J'avais des relations avec lui dans le cadre des réflexions que l'on aurait pu mener. Il se trouve d'ailleurs que je ne l'ai jamais convoqué en tant que réserviste spécialiste, on n'en a jamais eu le temps - il est toujours très pris, ce que je peux comprendre.
M. Philippe Bas , président . - Lors des opérations de sécurité à l'occasion des déplacements du Président de la République, M. Benalla donnait-il des ordres aux fonctionnaires de gendarmerie ?
Général Richard Lizurey. - Je ne suis pas la totalité des déplacements du Président de la République, mais, en toute hypothèse, lors de ceux que j'ai suivis, M. Benalla ne donnait aucun ordre aux gendarmes. L'autorité légitime pour le gendarme, c'est le préfet ; c'est lui qui donne des directives et c'est à lui que l'on rend compte. M. Benalla n'avait ni la légitimité ni la compétence pour imposer ou solliciter quelque modification que ce soit dans les voyages officiels auxquels il participait.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Avez-vous été informé par vos services de la présence de M. Benalla aux réunions ?
Général Richard Lizurey. - Non, dans les différents comptes rendus de réunion auxquels mes collaborateurs peuvent participer - nous pourrons documenter ce point si vous le souhaitez -, je n'ai pas constaté sa présence, ni, encore une fois, personnellement ni au travers des comptes rendus.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Vous l'avez intégré dans la réserve opérationnelle en tant que spécialiste au regard des missions qu'il a exercées. Or vous indiquez que vous êtes incapable de savoir quelles sont missions, que vous ne l'avez jamais vu travailler autrement que très partiellement. Comment avez-vous pu alors apprécier ses missions et estimer qu'il devait être intégré à ce grade ?
Général Richard Lizurey . - Je me suis mal exprimé. Je pensais que votre première question portait sur les fonctions qu'il exerce actuellement pour la présidence, ce qui n'est pas dans mon domaine de compétence. En revanche, préalablement à son intégration, il s'agissait de quelqu'un qui, manifestement, avait assuré la sécurité de hautes personnalités de toutes natures, de tous bords, et il me paraissait avoir une expérience intéressante ; il avait suivi un master de sécurité publique et une session régionale de l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN). Il me semblait être quelqu'un qui pouvait apporter des choses ; c'était cela l'idée, il s'agissait d'un personnel ressource.
Parfois, quand nous menons des réflexions, on nous reproche, à juste titre, d'être souvent autocentrés, de réfléchir entre nous ; c'est vrai. L'idée est donc de nous appuyer sur les ressources que nous avons chez nos réservistes. Certains d'entre eux nous disent d'ailleurs qu'il faut les solliciter davantage, qu'ils ont des choses à nous apporter, des visions différentes intéressantes pour nous. C'est dans ce cadre que M. Benalla constituait pour moi un personnel ressource, disponible dans un vivier. Il se trouve que, pour des raisons d'emploi du temps, il n'a pas été activé.
Donc, je n'ai pas à connaître de ses fonctions actuelles, mais, pour avoir discuté avec lui, j'ai constaté que, malgré son jeune âge, il avait une expérience. L'âge fait l'objet, ici ou là, de discussions mais dans notre société actuelle, des jeunes fondent des entreprises, réussissent, portent haut les couleurs de la France. L'âge ne fait rien à l'affaire. On me dit que j'aurais dû agir différemment. Peut-être ; j'ai peut-être été trop enthousiaste vis-à-vis de cette vision extérieure, qui me paraissait intéressante dans le cadre de la réflexion sur la protection des personnels et des infrastructures, priorité du commandement et de moi-même. Mon devoir est de protéger mes personnels, et, pour cela, j'ai besoin d'avis, à 360 degrés, de gens qui ont des choses à dire, à apporter et qui peuvent nous interpeller dans nos certitudes, notre meilleur ennemi.
M. Philippe Bas , président . - Quand vous nommez un gendarme réserviste à un tel grade, y a-t-il une procédure, un jury ? Votre avis personnel se fonde-t-il sur un rapport ? Y a-t-il une audition ?
Général Richard Lizurey. - Il n'y a pas de jury ni de commission. Il y a un travail de détection, qui n'est pas forcément le fait du directeur général. J'ai aujourd'hui une centaine de réservistes rattachés au cabinet. Pour tous les autres, nous avons des contacts à l'échelon régional ou départemental, souvent intuitu personae , qui conduisent à repérer une personne importante dans tel ou tel domaine - cybernétique, biologie ou autres. Une proposition est faite par le commandement de la réserve, un dossier est constitué sur l'opportunité ou non d'intégrer une personne dans la réserve. Ce dossier me parvient, avec l'avis de tout le monde, et c'est moi qui intègre les gens dans la réserve, par délégation du ministre.
C'est donc une décision que je prends après avoir recueilli des avis successifs, mais sans formalisation de commission, sans avis collégial. Il y a un processus d'études juridiques, nous avons fait les choses de manière réglementaire, en nous appuyant sur des textes. On n'a pas contourné les textes, on les a appliqués.
M. Philippe Bas , président . - Nous vous demandons donc la communication de ce dossier.
Général Richard Lizurey. - Bien sûr.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Je m'associe à l'hommage rendu par Muriel Jourda à la gendarmerie, pour laquelle nous avons de l'estime. Nous sommes élus de territoires et nous connaissons bien nos communes ; nous avons de nombreux contacts avec la gendarmerie, dont nous apprécions le travail.
Nous avons parfois des contacts informels avec les gendarmes et, pour en avoir eu récemment, je ne peux vous cacher qu'il y a des interrogations sur l'ascension rapide de M. Benalla à son grade. Vous avez cité Georges Brassens - « le temps de fait rien à l'affaire » - et vous eussiez pu citer Corneille - « la valeur n'attend point le nombre des années ». Toutefois, nous connaissons dans la réserve de jeunes gens brillants et compétents mais qui ne bénéficient aucunement de cet avancement extrêmement accéléré. Lieutenant-colonel, même dans la réserve, ce n'est pas rien. Ce qui s'est passé vous paraît-il habituel ?
Général Richard Lizurey. - Merci de cette question qui me donne l'occasion de préciser davantage mon propos liminaire. J'ai entendu les interrogations exprimées en interne. J'ai eu beaucoup de remontées de personnels d'active et de réservistes depuis la semaine dernière ; elles manifestent parfois une colère très claire. J'ai fait oeuvre de pédagogie par écrit envers mes personnels, au moyen d'éléments techniques, et j'ai expliqué par visioconférence aux commandants de région certaines choses.
Il n'y a pas eu d'avancement, ce n'est pas une ascension de carrière. Ce sont deux statuts différents. M. Benalla faisait partie de la réserve opérationnelle de sécurité publique, à un grade, qu'il conserve. S'il revient dans cette réserve, il reprendra son grade initial de réserviste opérationnel de sécurité publique.
Le grade dans la réserve spécialiste est un grade temporaire, qui n'emporte aucune prérogative de puissance publique ni de commandement. Il ne s'agit pas d'une logique d'avancement ; ce sont deux statuts complètement différents. Évidemment, on a l'impression, en regardant la cinétique, qu'il est passé de tel grade à tel autre, mais ce n'est pas le même statut. Cela peut susciter des interrogations, de la colère ; je le comprends.
Je m'en suis expliqué avec mes troupes, je continuerai de le faire, mais c'est une décision que j'ai prise en mon âme et conscience par rapport au niveau auquel je souhaitais employer M. Benalla. Il devait être un personnel ressource dans le cadre d'un groupe de réflexion sur la protection des personnels et des infrastructures, et il devait travailler dans ce cadre avec des généraux et des officiers supérieurs, notamment des colonels.
Or, dans le monde militaire - pardon d'être un peu trivial -, quand on discute, le premier réflexe consiste à regarder les épaulettes, le « code-barres ». On peut le regretter, mais c'est la vérité. Quand on a affaire à un officier subalterne, on a tendance à dénigrer ce qu'il dit ; c'est la réalité. Il me paraissait donc important, pour que cette réflexion soit intelligente, que je le positionne à un niveau où les gens l'écouteraient. Mais, encore une fois, ce grade n'emporte aucune conséquence ni aucune autorité quelconque sur quelque personnel de la gendarmerie que ce soit.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Ma question suivante est très précise ; elle porte sur les évènements qui se sont déroulés à l'aéroport de Roissy, à l'occasion du retour de l'équipe de France de football, dont la sécurité était assurée par la gendarmerie nationale. On nous dit que, M. Benalla étant présent, il y a eu quelques discussions, voire quelques problèmes. Je veux savoir ce qu'il s'est passé. Les relations entre le responsable de la gendarmerie et M. Benalla ont-elles été d'une totale sérénité et d'une complémentarité claire ?
Plus largement, ne pensez-vous pas que l'on est face à un système insatisfaisant - c'est peut-être le fond de cette mission d'information -, en raison des interférences constantes ? Nous considérons, dans cette commission, qu'il y a la gendarmerie, avec ses structures et son commandement - c'est logique et cela fonctionne correctement ainsi -, ainsi que le groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR) - des gendarmes, des policiers et une autorité qui est en lien avec la police nationale, la gendarmerie nationale et le ministre de l'intérieur -, et que, si des personnes qui ne font pas partie de la police ni de la gendarmerie interviennent tout le temps, avec d'éventuels désaccords, altercations et injonctions, il y a un problème. Quel jugement portez-vous sur les relations entre M. Benalla et les gendarmes et le commandement de la gendarmerie ; sur le fond, que pensez-vous de la situation ainsi créée ?
Général Richard Lizurey . - Je n'ai eu connaissance de l'événement de Roissy auquel vous faites référence que par l'appel téléphonique d'un journaliste. C'est le signe qu'il s'agissait d'un incident mineur et pas d'un clash majeur. Je me suis renseigné auprès du commandant de la gendarmerie des transports aériens, responsable de la zone concernée, qui m'a confirmé que le commandant de la compagnie avait renvoyé M. Benalla vers l'autorité légitime, à savoir le préfet chargé de la sécurité dans les aéroports, sans avoir à déplorer d'altercation. De manière plus large, lors des différents déplacements officiels, je n'ai pas eu connaissance d'incidents résultant de ce que M. Benalla aurait voulu imposer ceci ou cela.
À chaque déplacement officiel, le préfet organise des réunions et le commandant de groupement local dont la zone de compétences est concernée définit clairement les responsabilités dans une note de service. Seuls les gendarmes interviennent sans aucune immixtion de qui que ce soit.
M. Philippe Bas , président . - D'un point de vue plus institutionnel, le commandant militaire du palais de l'Élysée est un officier supérieur de la garde républicaine et le patron du GSPR est un officier supérieur de la gendarmerie. Quels sont les liens d'organisation et de fonctionnement entre la gendarmerie nationale, le commandant militaire du palais de l'Élysée et ce groupe ?
Général Richard Lizurey . - Un certain nombre de structures de la gendarmerie sont mises à disposition d'autres institutions. Dans le cas de l'Élysée, mon travail consiste à mettre à disposition 300 membres du personnel de la gendarmerie, toutes catégories confondues, sans m'immiscer ni m'ingérer dans le domaine d'activité de l'autorité fonctionnelle. Le processus est le même dans la gendarmerie de l'air ou la gendarmerie maritime. Le fonctionnement et le travail quotidiens de ces troupes échappent à mon autorité, sauf bien sûr en cas de faute majeure ou de blessure où ma responsabilité reste engagée. Cependant, la logique de la mise à disposition est de subsidiarité totale et je n'ai pas à connaître des agissements du GSPR ni de ceux du commandement militaire.
M. Philippe Bas , président . - Je complète ma question. Quand il s'agit de promouvoir les membres du personnel de la gendarmerie qui servent à l'Élysée, quel est votre rôle ?
Général Richard Lizurey . - Le patron de la garde républicaine réunit une commission d'avancement qui gère les sous-officiers. S'agissant des officiers, ils sont notés au premier degré par le commandant militaire, puis au deuxième degré par le patron de la garde républicaine. En ce qui concerne le commandant militaire, je demande toujours une appréciation à l'autorité d'emploi, à savoir le directeur de cabinet de la présidence, pour établir sa notation juridique et la présenter à la commission d'avancement, s'il y a lieu.
M. Philippe Bas , président . - Y a-t-il d'autres agents que des fonctionnaires civils et militaires qui oeuvrent au sein du GSPR ?
Général Richard Lizurey . - À ma connaissance, des gendarmes et des policiers font partie du groupe. Je ne saurais vous préciser le détail du personnel employé, car cela échappe à mon domaine de compétence.
M. François Grosdidier . - Vous n'avez pas directement la responsabilité du fonctionnement du GSPR. Cependant, les syndicats de policiers nous ont fait part des relations exécrables que M. Benalla entretenait avec les membres du GSPR. La hiérarchie de la gendarmerie en a-t-elle eu vent ? Avez-vous eu à connaître précisément du statut de M. Benalla, qui a été présenté comme adjoint au chef de cabinet du Président de la République alors que le ministre de l'intérieur nous a dit qu'il s'était autoproclamé tel ? Quel statut figure dans son dossier de réserviste ? Assurer la sécurité de l'Élysée entrait-il dans ses fonctions ? Enfin, le GSPR fonctionne-t-il bien à parité entre la gendarmerie et la police, ou bien faut-il prévoir des évolutions ?
Général Richard Lizurey . - En ce qui concerne les relations au sein du GSPR, je n'ai eu aucune remontée des difficultés dont vous vous faites l'écho. Encore une fois, je mets un point d'honneur à rester dans mon couloir. Je dois être informé de certaines situations, comme lorsqu'il y a un blessé, par exemple. En revanche, l'engagement professionnel quotidien de ceux qui sont mis à disposition ne me concerne pas. Quant aux évolutions possibles du GSPR, elles ne me concernent que si elles ont des conséquences en matière de mise à disposition du personnel ou de transfert budgétaire. Je n'ai pas vocation à participer à la réflexion sur l'évolution du GSPR.
Pour ce qui est du statut de M. Benalla, je ne sais pas exactement ce qu'il était, car je n'ai pas eu à interagir avec lui dans le domaine opérationnel - on me dit à présent qu'il officiait en tant que chargé de mission. Rien ne figure sur sa fonction dans son dossier de réserviste, car il a été recruté au titre de son expérience en matière de sécurité des personnes et des biens et pas au titre de sa fonction.
Mme Brigitte Lherbier . - Vous avez dit avoir connu M. Benalla lorsqu'il était chargé de la protection de hautes personnalités. Nous vivons une période de haut risque terroriste, avec des manifestations de violence urbaine de plus en plus lourdes. Les civils qui gravitent autour du Président de la République n'ont-ils pas besoin d'une formation spécifique et d'être choisis à l'issue d'une sélection rigide ? Le concours des officiers de la gendarmerie est très difficile, tout comme celui de commissaire de police. Il est étrange que des personnes sans référence particulière puissent être habilitées à se charger de la protection de hautes personnalités. Le diplôme a au moins le mérite d'attester du respect de la déontologie.
Général Richard Lizurey . - Je suis incompétent pour dire qui doit faire partie du dispositif et qui doit en être exclu. M. Benalla avait acquis des compétences opérationnelles concrètes qui m'intéressaient, bien avant 2017, qu'il s'agisse d'une vision de la sécurité ou de la dynamique à mettre en oeuvre en matière de protection.
Une procédure particulière permet de « zinguer » certains membres du personnel. Elle s'applique par exemple à un adjoint chef major en fonction à l'étranger que l'on nomme capitaine, ce qui correspond à un grade visuel sans aucune réalité de commandement sur le territoire métropolitain. C'est une question de positionnement.
Mme Brigitte Lherbier . - Certaines personnes ne sont-elles cependant pas plus formées ou habilitées que M. Benalla pour protéger des personnalités de haut rang, ne serait-ce qu'un ambassadeur ?
Général Richard Lizurey . - Je n'en disconviens pas. Toutefois, M. Benalla a été responsable de la protection d'un certain nombre de personnalités politiques. Je n'en juge pas ; il l'a fait.
M. Philippe Bas , président . - Dans le dossier de recrutement de M. Benalla, n'y avait-il aucune référence à l'incident de 2012, lorsque mis à disposition d'un membre du Gouvernement, il aurait été renvoyé après avoir provoqué un accident de la route et tenté un délit de fuite ?
Général Richard Lizurey . - Je n'avais aucune information négative sur M. Benalla.
M. Éric Kerrouche . - Quelle a été votre réaction en tant que citoyen, lorsque vous avez vu les images du 1 er mai, lorsque vous avez su qu'elles impliquaient des réservistes de la gendarmerie nationale et lorsque vous avez su que ces personnes travaillaient à l'Élysée ?
Général Richard Lizurey . - Ces images, que j'ai vues la semaine dernière, interpellent forcément et méritent explication. Je me garderai de tout jugement car je sais d'expérience qu'il vaut mieux avoir vu le film complet avant de pouvoir l'apprécier. Comme gendarmes, nous savons bien que les images séquencées doivent être replacées dans leur contexte et faire l'objet d'une enquête judiciaire.
M. Éric Kerrouche . - Je ne vous demande pas de porter un jugement, simplement de nous faire part de votre réaction.
Général Richard Lizurey . - Les investigations sont en cours sous l'autorité de l'IGPN et des magistrats. Attendons.
Mme Esther Benbassa . - Votre perspective reste très théorique. Vous connaissiez M. Benalla avant qu'il n'exerce à l'Élysée et pourtant vous n'êtes pas au courant de ses relations avec le GSPR. Vous dites laisser vos hommes faire leur travail sans vous y intéresser davantage. Est-ce vraiment possible que vous n'ayez rien su de ce qui se passait au GSPR ?
Général Richard Lizurey . - Oui, je vous l'affirme. Le GSPR échappe à mon domaine de responsabilité. Il a un patron qui répond à une autorité hiérarchique au sein de la présidence. Par principe et par déontologie, je n'ai pas à m'ingérer dans son domaine.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Vous nous dites n'avoir pris connaissance des vidéos que récemment. Vous les avez appréciées avec réserve : « Ces images interpellent et méritent explication », nous avez-vous dit. Nous confirmerez-vous que les faits méritaient d'être dénoncés auprès du Parquet ?
Général Richard Lizurey . - Oui, ces images m'interpellent, car j'y ai reconnu MM. Benalla et Crase. Étaient-ils en position de réservistes ou pas ? Apparemment non. Très clairement, il fallait lever cette ambiguïté.
C'est la nature de l'infraction qui justifie ou pas de la dénoncer au Parquet. En l'occurrence, je n'ai pas tous les éléments pour juger. La dénonciation au Parquet ne relève pas de ma compétence. Je n'ai été interpellé que parce que ces deux personnes sont sous contrat de réserviste. Dès lors qu'ils n'étaient pas en service comme réservistes, ils échappent à mon domaine de compétence.
M. Alain Marc . - Vous nous avez dit que le grade de M. Benalla était provisoire et symbolique. Y a-t-il une autre personne à qui ce grade a été octroyé dès l'âge de 26 ans ? A-t-on vérifié les titres dont M. Benalla se prévalait - un master de droit - et son casier judiciaire ?
Général Richard Lizurey . - Les antécédents de M. Benalla ont été vérifiés dans le cadre de son recrutement au titre de la réserve opérationnelle en 2009. Il a été employé 194 jours jusqu'en 2015. Entre 2015 et 2017, il était toujours sous ce statut, même s'il n'a pas été convoqué. Rien ne laissait soupçonner le moindre problème. À la fin de l'année 2017, son changement de statut ne justifiait pas de refaire le travail de criblage opéré en 2009. D'autant que primait une logique de simplification administrative.
À ma connaissance, aucun réserviste n'a acquis
le même titre que
M. Benalla au même âge. Mais il
faudrait vérifier.
Mme Catherine Troendlé . - Je voudrais témoigner notre reconnaissance à la gendarmerie nationale, en particulier pour les missions qu'elle exerce dans les territoires ruraux.
Vous avez dit que quand vous avez recruté M. Benalla, ce sont surtout ses compétences opérationnelles qui ont pesé. Peut-être aurait-il fallu mener une enquête de moralité ? Pouvez-vous nous confirmer qu'à aucun moment vous n'avez eu vent de comportements non recommandables alors que M. Benalla était en charge de la protection d'une personnalité politique ?
Général Richard Lizurey . - Oui, je vous le confirme. C'est la presse qui a révélé l'accident qui aurait eu lieu dans le cadre de la protection de M. Montebourg. Je n'ai eu aucune remontée négative sur le comportement de M. Benalla.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Vous avez donné ce grade à M. Benalla pour qu'il soit à la hauteur de ses interlocuteurs dans le cadre d'une mission qu'il n'a pas eu l'occasion d'exercer. L'expérience, les compétences et les diplômes dont il se prévalait vous ont convaincu, alors même qu'au regard de sa date de naissance il ne pouvait pas les avoir en 2009. Avez-vous eu à un moment ou un autre un contact avec l'Élysée sur ce dossier ? Ou bien avez-vous été influencé par le fait que M. Benalla se prévalait de ses fonctions à l'Élysée ?
Général Richard Lizurey . - Non, à aucun moment, l'Élysée ne m'a contacté. Le recrutement de M. Benalla relève d'une décision personnelle que j'assume avoir prise à la suite des discussions que j'ai eues avec l'intéressé.
M. Jean-Luc Fichet . - Il y a un parallèle entre le parcours de M. Crase et celui de M. Benalla, l'un étant chef d'escadron, l'autre lieutenant-colonel. Or il semblerait que M. Crase ait une ancienneté plus importante que M. Benalla. Pour quelle raison l'un a-t-il le titre d'expert, l'autre non ?
Par ailleurs, un lieutenant-colonel de réserve dispose-t-il de tous les attributs - l'uniforme, un insigne, etc. - lui permettant d'accéder aux lieux où s'exerce un commandement ?
M. Richard Lizurey . - Comme je l'ai expliqué dans mon propos liminaire, les deux personnes ont un statut différent.
Vincent Crase a obtenu le grade de chef d'escadron, qui correspond au grade de commandant, à la suite d'un avancement, d'une progression hiérarchique dans le cadre de la réserve opérationnelle de sécurité publique classique, grade qu'il conserve. S'il part demain et revient après-demain, il demeure chef d'escadron. Il occupe des fonctions d'encadrement. Il a ainsi encadré des préparations militaires dans la gendarmerie et a fait plus de 400 jours de réserve depuis 2009. En bref, il est reconnu comme étant un bon professionnel.
Le grade de M. Alexandre Benalla n'a rien à voir avec celui de M. Crase. Ce n'est pas un grade de la réserve opérationnelle de sécurité publique. C'est un grade qui correspond à sa mission, qui n'emporte ni prérogatives de commandement, ni prérogatives de puissance publique, ni port d'insignes. Nous sommes dans une logique de spécialiste. M. Benalla n'avait pas vocation à commander des gens ni à porter la tenue. Les réservistes de la gendarmerie nationale ne portent pas la tenue, contrairement aux réservistes citoyens de la marine. L'uniforme de la gendarmerie nationale est porté par des réservistes opérationnels ayant des missions de sécurité publique générale, au quotidien.
M. Henri Leroy . - Les gendarmes sont spécialisés dans la sécurité, notamment dans la protection des autorités, compte tenu de la durée de leur formation. Dès lors, pensez-vous que l'apport de personnes non alignées sur la même fréquence que les professionnels de la sécurité rapprochée pourrait constituer un danger ou un handicap pour l'autorité protégée ?
M. Richard Lizurey . - Je ne suis pas sûr d'avoir bien compris la question. Je considère que la protection du Président de la République, mais aussi de l'ensemble des autorités ministérielles, est assurée par des personnels de la gendarmerie ou de la police, par le Groupe de sécurité de la présidence de la République, le GSPR, pour le Président de la République, par le Service de la protection, le SDLP, pour les autorités de premier niveau. À ma connaissance, il n'y a pas d'immixtion de quelque nature que ce soit. Cela étant dit, ce n'est pas mon domaine de compétence, je suis donc mal placé pour vous répondre. Les gendarmes du GSPR ne m'ont pas fait remonter de difficultés. Globalement, ils font leur métier au quotidien avec leurs camarades de la police nationale.
M. Henri Leroy . - En d'autres termes, la protection rapprochée par M. Benalla du Président de la République n'était-elle pas susceptible de gêner l'action des membres du GSPR, qui sont des professionnels de la garde rapprochée ?
M. Richard Lizurey . - Je suis incapable de répondre à cette question, car je ne suis pas un spécialiste de la protection des personnes. Je n'ai ni suivi de formation ni occupé de poste dans ce domaine. Je ne sais donc pas comment est organisé le dispositif au sein de l'Élysée.
Mme Agnès Canayer . - Est-il normal et réglementaire selon vous que M. Benalla ait obtenu un port d'armes, eu égard aux fonctions qu'il semblait exercer en matière de maintien de l'ordre ?
M. Richard Lizurey . - Le port d'arme n'est autorisé pour les personnels de la réserve que dans le cadre de missions de sécurité publique. Lorsque M. Vincent Crase était convoqué en tant que réserviste, il percevait son armement lorsqu'il prenait son service, sous l'autorité et le contrôle d'un personnel d'active, et la remettait au râtelier à la fin de son service, toujours sous le contrôle d'un personnel d'active. Il en va de même pour tous les réservistes.
M. Benalla quant à lui n'avait pas vocation, dans sa fonction spécialiste, à être titulaire d'un port d'arme en qualité de réserviste.
Cela étant dit, les autorisations de port d'arme ne relèvent pas de mon domaine de compétence. Je n'ai pas autorité pour délivrer un port d'arme ou même pour émettre un avis sur qui que ce soit. Cela relève de la responsabilité non pas de la gendarmerie nationale, mais des autorités préfectorales et des autorités hiérarchiques. Ma seule responsabilité est d'autoriser les militaires d'active à détenir leur arme en dehors de leur service. Ce dispositif a été mis en place à la suite des différents attentats qui ont endeuillé notre pays, en particulier l'agression à Magnanville de nos camarades de la police nationale.
M. Patrick Kanner . - Existe-t-il un risque que M. Benalla, compte tenu des faits qui lui sont reprochés et de sa responsabilité dans les événements dont nous avons pris connaissance, puisse être rétrogradé ?
M. Richard Lizurey . - M. Benalla et M. Crase ne sont plus convoqués en tant que réservistes, en attendant de plus amples informations, c'est-à-dire qu'on ne les emploie plus. C'est ce que l'on fait traditionnellement pour tous les réservistes ayant un problème de déontologie ou d'action. On laisse ensuite courir le contrat, qu'on ne renouvelle pas. La radiation est encadrée par un texte, que je peux mettre à votre disposition. Elle nécessite, s'agissant de deux officiers, la réunion d'une commission composée de deux officiers d'active et de quatre officiers de réserve. La procédure est équivalente à celle d'un conseil d'enquête pour un militaire d'active. C'est non pas la procédure en elle-même qui pose problème, mais le fait qu'il faille convoquer l'intéressé pour l'entendre sur les faits. Une enquête judiciaire étant en cours, je ne peux évidemment pas le faire, sauf à m'immiscer dans l'enquête judiciaire.
À ce stade, M. Benalla et M. Crase sont tous les deux suspendus de convocation. Le cas échéant, nous prendrons d'autres mesures au fur et à mesure de l'avancée des investigations judiciaires et des éléments qui seront portées à notre connaissance, sous l'autorité du ministre bien entendu, lorsque nous pourrons le faire sans interférer sur l'enquête judiciaire.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Avez-vous été informé d'un projet de fusion du GSPR et du commandement militaire ? Le cas échéant, avez-vous été consulté sur ce point ?
M. Richard Lizurey . - Je n'ai pas été consulté, mais j'en ai été informé, ce projet ayant des conséquences en matière de mise à disposition des personnels et nécessitant des ajustements budgétaires. Je n'avais pas à être consulté, car ce n'est pas mon domaine de compétence.
M. Philippe Bas , président . - Peut-être que si, monsieur le directeur général, mais c'est une appréciation sur laquelle il n'y a pas d'inconvénient à être en désaccord.
Je vous remercie d'avoir été coopératif et de nous avoir éclairés. Avant de vous libérer, permettez-moi de vous faire part de tout le respect que nous avons pour le travail de la gendarmerie nationale et pour votre attachement au respect de l'État de droit.
M. Richard Lizurey . - Je vous remercie de vos paroles. Il est important que l'engagement quotidien de nos personnels, les réservistes, mais aussi les personnels d'active, soit reconnu. C'est le cas. Leur engagement est total. En cas d'incident, il m'appartient d'en tirer les conséquences et d'assumer mes propres responsabilités. Cela ne doit en rien entacher la qualité et l'engagement de mes personnels.
Audition de M. Éric
Morvan,
directeur général de la police
nationale
(mercredi 25 juillet 2018)
M. Philippe Bas , président . - Je vous remercie de votre présence, monsieur le directeur général de la police nationale. Je rappelle que vous vous exprimez devant notre commission investie des pouvoirs de commission d'enquête. Après un propos liminaire, nous poserons nos questions.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Éric Morvan prête serment.
M. Éric Morvan, directeur général de la police nationale . - La police nationale accueille chaque année dans ses services plusieurs milliers de personnes qui, n'appartenant pas à ses rangs, souhaitent découvrir le fonctionnement de notre institution. Ces personnes constituent un très large panel, depuis les écoliers en stage jusqu'aux magistrats, aux universitaires, aux journalistes, aux membres d'autorités administratives indépendantes ou du corps préfectoral, en passant par les parlementaires, les élus locaux et les policiers étrangers, dans le cadre de nos accords de coopération internationale. Les services qui accueillent ces personnes extérieures relèvent de l'ensemble du spectre des missions de police. Ainsi, les services de sécurité publique, de police aux frontières, de maintien de l'ordre, de police judiciaire, constituent autant de terrains sur lesquels nous sommes appelés à accueillir ces personnes en qualité d'observateurs.
Ces initiatives apparaissent indispensables et font partie d'une stratégie parfaitement revendiquée et assumée. Il est tout à fait sain en effet, chacun pour ce qui concerne ses propres centres d'intérêt, que des observateurs soient accueillis par la police nationale pour mieux faire comprendre, en toute transparence, l'environnement et le cadre dans lequel se déploie son action de protection des personnes et des biens.
L'accueil de ces personnes n'est pas encadré par un corps de règles spécifiques. Jusqu'à ce jour, il n'était pas envisagé d'en créer dans le droit positif dès lors qu'aucune difficulté n'avait été recensée. Pour autant, le fait qu'il n'existe pas de corps de règles spécifiques ne signifie en aucun cas que l'association d'observateurs n'obéit à aucun principe et n'est encadrée par aucune doctrine. Ainsi, l'accueil d'observateurs dans des services de police judiciaire exclut de les faire participer à des actes d'enquête tels qu'une perquisition ou une audition, notamment depuis l'arrêt de la Cour de cassation du 10 janvier 2017, qui a précisé le traitement des journalistes accueillis en immersion dans les services judiciaires. Il s'agit ni plus ni moins de respecter la règle du secret de l'enquête, sans qu'il soit besoin de la réécrire. De la même manière, l'accès aux informations classifiées est strictement interdit, sans qu'il soit besoin là encore de réécrire le droit applicable ou la nature des sanctions en cas de compromission du secret. Des conventions peuvent d'ailleurs être signées avec l'observateur en immersion. Un modèle type existe. De la même manière, l'accueil de stagiaires écoliers ou étudiants fait l'objet de conventions de droit commun conclues avec l'établissement scolaire ou universitaire.
Pour d'autres observateurs relevant de la sphère
publique
- magistrats, fonctionnaires, agents chargés d'une
mission de service public, ce qui était le cas de
M. Benalla -, des règles de bon sens sont
appliquées.
Il leur faut bénéficier d'une autorisation, dont les formes ne sont pas expressément précisées. L'autorisation peut émaner du chef de service, du préfet territorialement compétent, que l'on ne manquera pas de solliciter si l'observateur est une personnalité, compte tenu de son statut ou de ses fonctions.
Il leur faut ensuite se soumettre aux prescriptions des services de police en termes de protection et de respect des injonctions qui seront données au cours de la mission, en particulier par l'accompagnateur référent du niveau hiérarchique approprié, qui est le plus souvent nommément désigné. Une mission de police n'est en effet jamais banale. Qu'il s'agisse d'une patrouille ou d'une intervention de police secours, lors d'un tapage ou d'un différend familial, tout peut, hélas !, arriver, y compris le pire.
Ils ne doivent jamais participer à l'opération elle-même. Ils doivent l'observer en retrait et en sécurité. Les policiers accompagnant l'observateur sont d'ailleurs responsables de cette sécurité. C'est la raison pour laquelle un observateur ne sera admis à s'immerger qu'avec l'accord des personnels qui conduiront la mission, lorsqu'il s'agit par exemple d'une patrouille de la brigade anticriminalité ou d'une opération de police secours.
Enfin, ils doivent participer au briefing précédant la mission, au cours duquel seront rappelés les consignes de sécurité, le caractère passif de l'observateur et l'environnement général de la mission, en particulier ses dangers potentiels.
Au cours des auditions qui s'enchaînent sur l'affaire Benalla, et que je suis, certains ont suggéré que les observateurs pourraient être clairement distingués des intervenants policiers par des signes distinctifs, de type chasuble ou casque de couleur. Je dois dire que je suis assez circonspect sur ces propositions, dont je comprends bien entendu le sens, mais qui emportent aussi à mes yeux quelques inconvénients, notamment celui de désigner aux fauteurs de troubles, notamment lors d'opérations de maintien de l'ordre ou de patrouilles de la brigade anticriminalité, celui qui, par nature, sera le plus vulnérable. Une réflexion s'impose à cet égard pour ne pas compromettre la sécurité des observateurs. L'IGPN, qui s'est vue confier par le ministre d'État une mission de réflexion sur le sujet, ne manquera pas, j'en suis sûr, de traiter ce point particulier.
En matière d'ordre public, il va de soi que le rôle d'observateur est d'application absolument stricte. Les actions opérationnelles de service d'ordre, de maintien de l'ordre ou de rétablissement de l'ordre, sont absolument réservées aux seuls fonctionnaires de police ou aux militaires de la gendarmerie. C'est si vrai que certains agents de la police nationale, pourtant membres de notre institution, ne peuvent en aucun cas participer à ces opérations très spécialisées. C'est le cas des adjoints de sécurité et des réservistes de la police nationale, qui ne sont jamais engagés en matière d'ordre public. Il en est de même évidemment pour la protection de hautes personnalités.
Pour vous donner une idée du nombre d'observateurs que les services de la police nationale traitent au seul niveau central, et pour ne prendre que le seul domaine de la presse, je citerai quelques chiffres illustrant le caractère très habituel des sollicitations dont nous sommes l'objet.
Ainsi, le service d'information et de communication de la police nationale, le SICoP, est destinataire chaque année d'environ 3 500 demandes de journalistes, dont une dizaine concerne des services d'ordre ou des opérations de maintien de l'ordre. Les demandes d'observations qui parviennent dans mes services, ceux du préfet de police, des services déconcentrés de la police nationale, sans compter ceux de la gendarmerie, se comptent par milliers chaque année et n'ont à ce jour posé aucune difficulté. Les demandes sont instruites par le SICoP, qui a toute latitude pour en apprécier la pertinence ou le calendrier
Il peut ne pas être donné suite aux demandes d'observation lorsque l'on détecte une volonté manifeste d'instrumentaliser l'action des services de police, lorsque des questions de confidentialité sont en jeu, lorsque l'activité opérationnelle du service concerné ne permet pas d'accueillir l'observateur dans de bonnes conditions. En règle générale, nous nous efforçons toutefois de trouver une solution permettant d'accueillir l'observateur.
J'en viens à ce qu'il convient d'appeler désormais l'affaire Benalla, qui est à l'origine de la constitution de cette commission d'enquête, même si votre champ d'investigation est considérablement plus large.
Je connais M. Benalla pour l'avoir croisé depuis ma
prise de fonction, le 28 août dernier, lors de déplacements ou de
cérémonies auxquels participait le Président de la
République et auxquels j'étais convié. Je l'identifiais
clairement comme un collaborateur du chef de cabinet de la présidence de
la République. L'une des missions centrales habituelles d'un cabinet est
d'organiser ces déplacements ou ces cérémonies
officielles. Il était donc tout à fait naturel que
M. Benalla soit présent dans ces circonstances
- une
dizaine de fois pour ce qui me concerne, la dernière dans la tribune
officielle du 14 juillet -, au cours desquelles je n'ai jamais
remarqué de sa part une attitude déplacée ou qui me soit
apparue intrusive. Je n'ai échangé avec lui que de courtoises
salutations. Je n'ai pas le souvenir d'avoir participé à des
réunions de travail en sa présence. Il faut dire que mes contacts
avec la présidence de la République sont rares, ces relations
étant normalement réservées au cabinet du ministre, qui,
au besoin, me sollicite lorsque des commandes techniques sont exprimées
par la présidence.
J'en viens plus particulièrement aux événements du 1 er mai sur la place de la Contrescarpe. Dans ce contexte, il m'apparaît important de vous décrire rapidement l'organisation des opérations de maintien de l'ordre en France. Sur l'ensemble du territoire national, à Paris comme ailleurs, le préfet territorialement compétent a la pleine responsabilité de la gestion de l'ordre public. C'est sous son autorité que sont organisés les dispositifs opérationnels qui seront mis en oeuvre sur le terrain par les forces de police ou de gendarmerie, parfois combinées. Mon rôle, en tant que directeur général de la police nationale, est donc de fournir aux préfets, y compris aux préfets de police, les forces mobiles nécessaires au service d'ordre qu'ils prévoient, selon les renseignements dont je dispose sur le contexte de l'événement à gérer et en fonction des forces disponibles, qu'elles appartiennent à la police - les CRS - ou à la gendarmerie nationale, les escadrons de gendarmerie mobile.
Le 1 er mai, j'ai mis quinze forces mobiles de la réserve nationale, dix CRS et cinq escadrons de gendarmerie mobile, à la disposition du préfet de police. Ils sont venus s'ajouter aux huit CRS qui constituent l'enveloppe parisienne permanente dont il dispose, soit vingt-trois unités au total, lesquelles s'ajoutent aux forces territoriales de la préfecture.
Au terme des opérations, les services de police transmettent à mon état-major un compte rendu synthétique décrivant leur déroulé, le bilan des blessures, des interpellations, des dégâts éventuels, des incidents. Le 1 er mai, le télégramme de la CRS n° 15, présente place de la Contrescarpe, rapporte les événements graves auxquels ces fonctionnaires ont été confrontés pendant toute la durée de leur vacation, commencée à 12 h 40 et terminée à 23 heures, sans mentionner de faits impliquant des observateurs.
Rétrospectivement, je pense qu'une ligne de ce télégramme de compte rendu fait sans doute référence aux événements ayant motivé la formation des commissions d'enquête parlementaires en cours. Elle est ainsi libellée : « 20 h 15, deux individus interpellés, violences contre agent de la force publique ; remis à la brigade d'information de voie publique ».
Au-delà de cette information opérationnelle, transmise par les services de police eux-mêmes à mon état-major, je peux également être rendu destinataire par les préfets ou par les directions centrales placées sous mon autorité d'informations sur le comportement inadapté, voire fautif, d'une unité ou d'un ou de plusieurs fonctionnaires. Sur la base d'éléments circonstanciés et vérifiés, je déclenche alors une procédure disciplinaire, en saisissant l'inspection générale de la police nationale, avec mesure de suspension le cas échéant, et ce indépendamment des poursuites judiciaires éventuelles décidées par le parquet compétent.
Au terme des événements du 1 er mai, aucun signalement de ce type n'a été porté à ma connaissance, aucun incident dans la conduite des opérations ne m'a été rapporté. Je n'ai été informé des agissements répréhensibles de M. Benalla que lors de la publication de l'article du journal Le Monde , daté du 18 juillet.
À l'inverse, le 19 juillet, les agissements présumés délictuels de trois fonctionnaires de la DOPC, la direction de l'ordre public et de la circulation, qui ont participé à l'extraction d'images de vidéoprotection publique et à leur communication à M. Benalla, m'ont été signalés immédiatement, compte tenu de la gravité des faits, avec la circonstance particulière qu'ils avaient été commis par de hauts cadres de la police nationale, qui ne pouvaient ignorer qu'ils commettaient sciemment une infraction. J'ai donc donné instruction à mes services, avant même les décisions de l'autorité judiciaire, de prendre sans délai les actes de suspension. J'ai également demandé au préfet de police de saisir l'IGPN à des fins disciplinaires, ce qu'il a fait. Il me reviendra in fine, car c'est de ma seule compétence, de prendre les sanctions qui s'imposeront au terme des procédures disciplinaires qui vont se dérouler. Les sanctions sont en général signées par mon délégataire, le directeur des ressources et des compétences de la police nationale, à l'exception des révocations, dont je me réserve l'exclusivité des signatures, compte tenu de la gravité de la mesure.
Pour être complet, et j'en finirai par là, je précise que l'IGPN avait été destinataire, sur sa plateforme de signalement en ligne, d'images de la scène de la Contrescarpe. Ces images avaient été postées le 3 mai, à 2 h 13, par un internaute ayant usé d'un pseudonyme, ce qui n'a pas permis de l'identifier. Il ne s'est pas présenté comme un protagoniste de la scène filmée, il a simplement indiqué l'avoir trouvée sur les réseaux sociaux. L'inspection générale, dans les circonstances particulières de ce signalement, en l'absence de plainte, et dans le contexte des grandes violences subies par les forces de l'ordre lors des manifestations du 1 er mai, n'a pas jugé pertinent de déclencher des investigations.
Je précise que les images postées étaient prises sous un angle qui ne mettait pas en évidence des violences avérées. L'IGPN a considéré légitime, au vu de ces images, l'usage de la force appliquée. Elle ne disposait alors que de ces seules images et non de celles qui, depuis, ont été largement diffusées, prises sous différents angles, par différents opérateurs qui sont aujourd'hui à notre disposition, mais dont ne disposait pas l'IGPN lors de cette fameuse nuit du 3 mai. Les images qui ont été déposées sur la plateforme en ligne ont toutefois été conservées au cas où une plainte serait ultérieurement déposée ou un signalement exploitable posté. On sait aujourd'hui que ça n'a pas été le cas.
L'IGPN ne m'a pas informé de ce signalement, ce que je considère parfaitement normal dans l'état de connaissance des faits qui était le sien à ce moment-là. La chef de l'inspection, Mme Monéger-Guyomarc'h, que je rencontre très régulièrement, ne manque jamais de me rendre compte des faits graves qui sont portés à sa connaissance et des diligences qu'elle entreprend en toute indépendance et sans aucune faiblesse, mais la gravité de la scène que j'évoque ne sera établie que bien plus tard, lorsque l'illégitimité des « interpellateurs » sera révélée à l'IGPN comme à moi-même par l'article du journal Le Monde, éclairant le sujet sous un jour tout à fait nouveau et caractérisant des infractions que l'autorité judiciaire vient de qualifier pénalement.
Je me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions et vous apporter toutes précisions utiles à vos travaux, sur l'accueil des observateurs ou l'affaire Benalla, dans le respect des investigations judiciaires en cours et dans les limites de ce que j'en connais, ou plus généralement sur l'organisation de mes services en matière de protection des hautes personnalités.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Saviez-vous que le statut d'observateur avait été sollicité pour M. Benalla pour les manifestations du 1 er mai ? Vous dites que personne ne vous a informé des actes de violence commis en présence de nombreux policiers par deux personnes n'appartenant pas à la police nationale, ayant donc un statut d'observateur. Comment est-il possible que cela ne soit jamais remonté ce jour-là ? Quelles conséquences en avez-vous tiré ?
Par ailleurs, il est établi que, dès le 2 mai, le ministre de l'intérieur, le directeur de cabinet du Président de la République et le préfet de police étaient en possession des vidéos démontrant l'implication de M. Benalla. Pouvez-vous nous confirmer que vous n'avez eu aucune connaissance de ces documents en votre qualité de directeur général de la police nationale ?
Je suppose que vous n'avez pas pu ignorer que M. Benalla était déchargé de ses fonctions durant sa mise à pied et que vous vous êtes interrogé, si vous n'avez pas eu connaissance des vidéos, sur les raisons de cette sanction. Vous avez comme nous entendu le porte-parole de l'Élysée dire que l'intéressé serait démis de toutes fonctions de sécurité et de protection à l'issue de sa mise à pied. Dans ces conditions, vous n'avez pas manqué d'observer que, jusqu'au 14 juillet inclus, il a continué d'exercer ses missions. Quelle est votre réaction ?
De manière plus générale, et j'en termine, les représentants des personnels de la police nationale, que vous connaissez parfaitement, nous ont fait part hier de leurs grandes difficultés dans leurs relations avec M. Benalla. Quel jugement portez-vous sur les interférences entre ses actions et les actions menées légitimement par les représentants de la police nationale ?
Enfin, si M. Benalla a participé à des réunions de commandement relevant de la police nationale - vous avez déclaré que vous n'aviez jamais pu observer cela -, en avez-vous été informé où avez-vous vous-même été appelé à prendre des décisions, notamment pour la réunion de commandement qui s'est déroulée à la suite des faits du 1 er mai à la préfecture de police de Paris ?
M. Éric Morvan . - Non, je ne savais pas qu'il y avait un observateur autorisé lors des manifestations du 1 er mai à Paris, sur la place de la Contrescarpe ou ailleurs. Je n'avais pas naturellement à le savoir, n'étant pas l'autorité qui délivre ce type d'autorisation. Le préfet de police s'est clairement exprimé devant l'Assemblée nationale en disant qu'il était extrêmement jaloux d'ailleurs, et je le comprends, de son pouvoir de décision en ce domaine. Il n'a pas à m'en rendre compte. Il accueille tous les observateurs qui le souhaitent. Je n'ai pas à savoir qui est observateur ou ne l'est pas, quelle que soit d'ailleurs la qualité de cet observateur.
Vous indiquez que les vidéos présentent des actes de violence commis par des personnes n'appartenant pas au service. Encore une fois, et aussi surprenant que cela puisse vous paraître, lorsque l'IGPN regarde les images déposées sur sa plate-forme, prises sous un angle particulier d'ailleurs, elle n'identifie pas des protagonistes qui ne seraient pas policiers. Elle voit des gens casqués qui interviennent en civil, ce qui est une pratique habituelle. Aux côtés des autorités constituées, des opérateurs en civil sont chargés des interpellations. À ce stade, l'IGPN n'a aucune raison de penser que certains protagonistes ne sont pas des policiers.
Vous vous interrogez sur le fait que je ne sois pas informé de cette affaire le 2 mai alors que la présence de M. Benalla le 1 er mai est établie et que je ne sois au courant qu'à la lecture du journal Le Monde . Je vous confirme que, entre le 2 mai et la parution de l'article du journal Le Monde , je n'ai pas été mis au courant de ces circonstances très particulières.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Je vous rappelle que vous témoignez sous serment !
M. Éric Morvan . - Madame, je le confirme haut et fort, et je vous le dis de manière extrêmement affirmative : je n'ai jamais été mis au courant de la participation ce jour-là de MM. Benalla et C rase, dont j'ignore tout. Et je suis très conscient de déposer sous serment !
M. Philippe Bas , président . - Monsieur le directeur, vous n'avez pas à répondre aux interpellations quand je n'ai pas donné la parole à mes collègues.
M. Éric Morvan . - Cette interpellation semble mettre en cause la sincérité de mes propos. Permettez-moi d'y réagir assez fermement.
Je termine de répondre aux nombreuses questions de M. Sueur.
J'ignore tout de la mise à pied de M. Benalla, ce qui n'a rien d'étonnant, car il n'est pas l'un de mes employés. Je n'ai pas de pouvoir disciplinaire sur lui. J'ai beau être directeur général de la police nationale, je ne dispose pas d'un fichier sur tous les collaborateurs des plus hautes autorités de l'État que je consulterais tous les jours !
J'ignore tout, et c'est absolument normal, des relations professionnelles de M. Benalla avec sa hiérarchie. Je prends connaissance de la lettre de mise à pied que signe M. Strzoda dans le journal Le Monde .
Vous me dites ensuite que les syndicats commencent à dire que les relations étaient compliquées, exécrables, entre M. Benalla et des fonctionnaires de la police. J'ai regardé, en tout cas partiellement, vos auditions d'hier. M. le président Bas a indiqué lors de l'une d'entre elles que les langues commençaient à se délier. Je comprends que ces relations exécrables ont été mises à jour de façon extrêmement récente.
Pour ma part, je n'ai encore une fois jamais été destinataire d'informations accréditant une ambiance exécrable. Je ne dis pas qu'elle n'existe pas, je n'en sais rien, je dis simplement que personne dans mon entourage, aucun syndicat, ne me l'a rapportée. Tous les secrétaires généraux des syndicats de la police nationale ont mon numéro de portable personnel. Alors qu'ils ne se privent pas de l'utiliser, ils ne m'ont à aucun moment alerté sur ce sujet. Je prends acte du fait que les langues se délient, mais je n'ai pas d'informations sur ce sujet, en dehors de celles qui ont été révélées à votre commission.
M. Philippe Bas , président . - Nous sommes intéressés, naturellement, par votre témoignage sur des faits, mais nous le sommes aussi par votre expertise comme directeur général de la police nationale et par votre expérience de l'État, car nous avons besoin d'interpréter ce qui s'est passé et de le comprendre. Or il y a pour nous une discordance entre la précision de l'information que le ministre de l'intérieur, son cabinet, le préfet de police et le directeur de cabinet du Président de la République détiennent dès le 2 mai, et l'information mise à la disposition de votre propre direction générale et de l'IGPN. Nous formulons de ce fait l'hypothèse que les autorités citées sont convenues de ne pas aller plus loin et de ne pas saisir la justice de ces faits, alors qu'ils nous paraissent d'une grande gravité. Cette interprétation vous paraît-elle vraisemblable ?
M. Éric Morvan . - Ce n'est qu'en lisant le journal Le Monde que j'ai découvert la présence de M. Benalla lors des événements du 1 er mai, puisque je n'étais pas dans la boucle, apparemment restreinte, de ceux qui savaient. Quant à la saisine de la justice et de l'IGPN...
M. Philippe Bas , président . - Il ne s'agit pas d'un reproche que nous vous adresserions.
M. Éric Morvan . - Cette question renvoie à l'article 40 du code de procédure pénale et, pour l'IGPN, au droit disciplinaire. Je vais vous donner très sincèrement, puisque vous m'y invitez, mon sentiment de haut fonctionnaire. Le 2 mai, le cercle de ceux qui savent est au courant de ce qui s'est passé. Si les faits sont graves, le préjudice - je vais peut-être vous choquer - ne l'est pas, puisque les personnes interpellées de manière irrégulière ne sont pas blessées et ne portent pas plainte ; elles seront amenées rue de l'Évangile et ne seront pas placées en garde à vue.
Ma conception de l'application du droit n'engage que moi, mais elle reflète la pratique courante. La règle de droit est écrite dans toute sa sécheresse : tout fonctionnaire, tout agent public qui a connaissance de faits délictueux a l'obligation de saisir le procureur de la République. J'ai suivi les débats, notamment à l'Assemblée nationale, sur la question de savoir qui devait effectuer le signalement : le ministre, le directeur de cabinet du ministre, le directeur de cabinet du Président de la République, le préfet de police, le directeur de l'ordre public et de la circulation... Beaucoup de hauts fonctionnaires savaient et, en application stricte du texte de l'article 40 du code de procédure pénale, étaient en situation d'informer le procureur de la République. Mais nous ne sommes pas dans un système de fonctionnaires-robots qui appuieraient sur un bouton rouge ou sur un bouton vert. Nous regardons la manière dont les choses se sont passées, nous les contextualisons et nous essayons de faire une application intelligente du droit.
Je vous parle de la vraie vie, je ne fais pas un cours de droit !
En l'espèce, les faits sont extrêmement graves, et tout le monde les a qualifiés comme inacceptables. Ils sont commis par un jeune homme qui, à mon avis, a perdu les pédales, qui a pris, comme on dit, la grosse tête et s'est senti pousser des ailes en raison de l'administration prestigieuse dans laquelle il se trouve. Que fait le directeur de cabinet du Président de la République, dès qu'il en a connaissance ? Il le convoque, lui demande des explications et lui inflige une sanction disciplinaire qui, contrairement à ce que j'ai entendu, n'est pas clémente. Ce n'est pas une suspension, mais une mise à pied, puisque M. Benalla est contractuel. S'il avait été fonctionnaire, cela équivaudrait à une exclusion temporaire de fonctions, qui est une sanction du deuxième groupe, donc grave.
Ainsi, la sanction qui est infligée à M. Benalla n'est pas une sanction anodine. Dans la fonction publique, l'exclusion temporaire de fonctions de quinze jours aurait sans doute été prononcée, et elle aurait sans doute été assortie d'une période complémentaire de sursis d'un ou deux mois, comme une sorte d'épée de Damoclès pédagogique. Ajoutons que, dans la lettre de sanction, le périmètre fonctionnel de M. Benalla est modifié. Dans la fonction publique, cela équivaudrait à confier d'autres missions au fonctionnaire, ce qui serait illégal car constitutif d'une double sanction. La sanction infligée à M. Benalla n'est donc pas légère. Même, elle est plus sévère que celle qui aurait pu être infligée à un fonctionnaire.
Honnêtement, placé dans la même situation que M. Patrick Strzoda, j'aurais pris exactement la même décision - et je ne suis pas connu pour être particulièrement léger dans l'application du droit. Bien sûr, si les actes de M. Benalla avaient entraîné des préjudices graves, la question ne se serait même pas posée et nous n'aurions pas parlé de l'article 40, parce que le procureur se serait immédiatement saisi lui-même du sujet.
Autre exemple de l'application du droit : M. Gibelin, n'était pas au courant. Son adjoint non plus, et tombe de l'armoire, a-t-il déclaré. Il va voir son numéro 3, M. Simonin, qui, lui, est au courant puisque c'est lui qui a donné l'autorisation. En prenant une telle initiative, M. Simonin est coupable d'un triple manquement disciplinaire : il a manqué à son devoir d'obéissance, parce qu'il savait très bien que ces autorisations-là relèvent exclusivement du préfet de police ; il a manqué à son devoir de loyauté ; et il a manqué à son devoir de rendre compte. Quand on est contrôleur général de la police nationale et qu'on manque à ces trois principes de la déontologie, l'application du droit dans toute sa sécheresse commande une sanction disciplinaire : un avertissement, un blâme, une sanction du premier groupe. Pourtant, M. Gibelin ne prononce pas de sanction, mais réprimande vertement M. Simonin. Dans la police nationale, un directeur des services actifs qui réprimande vertement un contrôleur général, cela marque.
Le code de déontologie de la police nationale n'est pas du droit mou : ce n'est pas une circulaire, ni une instruction mais un décret, d'ailleurs commun à la police et la gendarmerie. Son application automatique aurait dû conduire à une sanction disciplinaire, fût-ce une sanction du premier groupe. Or une telle sanction n'a pas été prononcée à l'égard de M. Simonin. Eh bien ! À la place de M. Gibelin, à la place du préfet de police, j'aurais fait exactement la même chose : j'aurais choisi d'autres chemins.
Peut-être certains d'entre vous ont-ils été maires de collectivités territoriales et, à ce titre, à la tête d'une administration municipale nombreuse. Il a pu vous arriver qu'un employé commette des indélicatesses. Je ne suis pas sûr - et je le comprendrais - qu'à chaque fois vous ayez saisi le procureur de la République.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - La vidéo du 2 mai, lorsqu'on ne connaît pas la qualité d'observateur de M. Benalla, ressemble, si j'ai bien compris, à une interpellation un peu musclée dans une journée très délicate dont on a promis à la police qu'elle serait une journée d'enfer. De ce fait, elle ne justifie pas la saisine de l'IGPN. Celle-ci, d'ailleurs, saisie par un internaute anonyme, va en quelque sorte classer l'affaire.
La révélation de la qualité d'observateur de M. Benalla, en revanche, survenue le 18 juillet, conduit à la fois à la saisine de l'IGPN et à celle du parquet, sur le fondement de l'article 40. J'ai noté l'expression d'illégitimité de l'intervenant...
M. Éric Morvan . - Lorsque l'IGPN visionne les images postées dans la nuit du 3 mai, sous un angle particulier, et sans la richesse des vidéos dont nous disposons, prises sous différents angles, elle considère que l'application de la force est légitime et que la légitimité des opérateurs qui interviennent ne fait pas de doute : on a visiblement affaire à des policiers.
Marie-France Monéger-Guyomarc'h a toutefois indiqué que les spécialistes avaient trouvé que les gestes techniques qui sont appliqués sont un peu maladroits. Elle ne classe pas l'affaire, puisque l'IGPN conserve ces images, dans l'attente d'une plainte ou d'un nouveau signalement qui serait exploitable. Mais les protagonistes n'ont pas porté plainte, même s'ils manifestent désormais le désir d'être entendus.
M. Pierre-Yves Collombat . - Pardon si je vous donne l'impression de radoter... Nous avons progressivement appris que M. Benalla s'imposait régulièrement dans des opérations de maintien de l'ordre et participait tout aussi régulièrement à des réunions de débriefing de la direction de l'ordre public et de la circulation. Démentez-vous ces affirmations ? Sinon, comment expliquer qu'il ait pu ainsi s'imposer à des fonctionnaires qui ne sont quand même pas nés de la dernière couvée ?
M. Éric Morvan . - Je n'ai pas connaissance du fait que M. Benalla ait participé régulièrement à des opérations de maintien de l'ordre.
M. Philippe Bas , président . - Je pense que M. Collombat a en tête la protection rapprochée du Président de la République à l'occasion de ses déplacements et les réunions de préparation de ces déplacements. Dans ce cadre, M. Benalla semble avoir exercé, soit au moment même du déplacement, soit dans la préparation, une autorité sur les services chargés de la sécurité.
M. Pierre-Yves Collombat . - Sans compter la cérémonie du transfert de Simone Veil au Panthéon, ou le retour des Bleus...
M. Philippe Bas , président . - Comment est-il arrivé à s'imposer à une hiérarchie qui répond à l'autorité de l'administration centrale, des préfets et du ministre de l'intérieur ?
M. Éric Morvan . - M. Benalla était membre de la chefferie de cabinet de l'Élysée, dont l'une des missions essentielles est d'organiser les déplacements, ce qui comporte de multiples composantes : gérer la communication, la presse, la logistique, les cortèges, identifier les personnes que l'on rencontrera, assurer la vacuité des axes qui permettent d'arriver sur les lieux, veiller à l'aspect sanitaire, notamment s'il y a des mouvements de foule, faire venir le déminage... Rien de tout cela n'est étranger aux élus que vous êtes. Un déplacement se prépare donc par de multiples réunions qui s'enchaînent et peuvent traiter de certains aspects spécialisés, mais tout converge pour que l'articulation de l'ensemble soit parfait.
Pour ma part, je n'assiste évidemment jamais à ce type de réunion en tant que directeur général de la police nationale, car ce n'est ni mon rôle, ni ma place - et le directeur général de la gendarmerie nationale n'y assiste pas davantage. Le fait que M. Benalla assiste à ces réunions, y compris à celles qui évoquent des questions de sécurité liées au déplacement auquel il participe, n'est pas en soi choquant puisqu'il est membre de la chefferie du cabinet du Président de la République. Ce qui serait anormal, ce serait qu'il intervienne dans les postures opérationnelles des forces de police et du GSPR et prenne un ascendant extrêmement intrusif. Mais cela, monsieur le sénateur, je ne peux ni l'affirmer ni le démentir : je n'étais pas présent à ces réunions.
Je ne sais pas plus comment se comportait M. Benalla. Je l'ai croisé une dizaine de fois lorsque je participais à un déplacement du Président de la République ou à une cérémonie à laquelle celui-ci avait bien voulu me convier. Sa présence ne m'a jamais choqué, puisqu'il était membre de la chefferie du cabinet du Président. Nos échanges se sont limités à des salutations courtoises et, dans cette dizaine d'occasions, je ne l'ai pas vu faire le coup de poing ou bien avoir une attitude qui m'ait choqué. Je l'ai vu dialoguer avec les uns et les autres, indiquer par exemple « le Président vient de partir » ou « il sera là dans dix minutes », ou encore « il a atteint tel niveau de l'itinéraire » - ceci, pour les quelques secondes où mes yeux se portait lui, car il n'était évidemment pas le centre de mon intérêt.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Vous avez fait référence au compte rendu d'intervention, en indiquant qu'une phrase avait retenu votre attention, qui mentionnait deux individus interpellés et remis à la brigade, et vous nous indiquez que ces deux individus ont été transférés rue de l'Évangile. Or, le ministre de l'intérieur, le 23 juillet, devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, a indiqué que ces personnes avaient disparu. Où est la réalité ?
M. Éric Morvan . - Je tiens mes informations des déclarations précises faites par le préfet de police devant l'Assemblée nationale. Il a indiqué que ces personnes n'avaient pas été placées en garde à vue mais laissées libres. Je n'ai pas de responsabilités opérationnelles sur Paris.
Mme Catherine Di Folco . - Une remarque sur votre appréciation des sanctions dans la fonction publique : je connais un petit peu la vraie vie, moi aussi, et la fonction publique, et notamment les conseils de discipline paritaires. Si un fonctionnaire était passé en conseil de discipline devant ses pairs et devant les élus pour usurpation de fonction et pour violence physique, très sincèrement, il n'aurait pas été suspendu mais révoqué.
Manifestement, vous n'êtes pas au courant de grand-chose, mais peut-être que vos services auront la réponse : les demandes d'accréditation pour être observateur doivent être motivées ; quel était le motif donné par M. Benalla pour le 1 er mai ?
M. Éric Morvan . - Je suis fort marri que vous déclariez que je ne suis pas au courant de grand-chose. Je suis parfaitement au courant de ce qui relève de mes attributions et de mes compétences. Heureusement que je ne suis pas destinataire de toutes les demandes d'observation ! Je vous suggère de poser votre question au préfet de police, mais il aura lui-même du mal à vous répondre, puisqu'il n'a jamais été mis au courant - c'est toute la difficulté de cette affaire. C'est M. Simonin qui, visiblement, est à l'origine de cette affaire, puisqu'il s'est bien gardé de prévenir ses supérieurs hiérarchiques de ses initiatives. Je n'ai évidemment pas à être rendu destinataire des quelque 3 500 demandes d'observateurs qui sont présentées chaque année aux services de police.
Mme Catherine Di Folco . - Interrogez vos services !
M. Philippe Bas , président . - Ce qui étonne Mme Di Folco, c'est que, même en prévision de cette audition, vous n'ayez pas recueilli auprès de vos services les informations nécessaires pour répondre à ce type de question.
M. Éric Morvan . - C'est que la préfecture de police n'appartient pas à mes services mais à ceux du préfet de police, qui relève directement, comme moi-même, du ministre de l'intérieur. Je n'ai donc pas à demander d'explications au préfet de police sur ce qu'il fait ou ne fait pas. Nous savons déjà que le préfet de police n'était pas au courant de cette demande, qui n'a jamais été transmise par M. Simonin à sa hiérarchie.
M. Philippe Bas , président . - Notre commission des lois n'a pas pour mandat de s'ériger en tribunal pour hauts fonctionnaires. Au contraire, elle les respecte et les écoute. Elle veut simplement, grâce à leur coopération, disposer de tous les éléments d'information et d'interprétation des faits pour pouvoir rendre ses conclusions.
Mme Catherine Troendlé . - Lorsqu'une personne demande à être sur une manifestation qui peut s'avérer très violente, lui attribue-t-on un tuteur pour la protéger ? Il me semble que l'État serait responsable si elle était blessée. Dans l'affirmative, son tuteur a dû suivre M. Benalla et voir quels étaient ses actes. Pourquoi ne les a-t-il pas dénoncés ?
Les syndicats, que nous avons entendus hier, ont dénoncé une forme de maltraitance de la part de M. Benalla sur les policiers. Vous nous dites qu'ils ont votre numéro de portable personnel. Pourquoi ne vous ont-ils pas appelé pour vous alerter sur cette situation insupportable ? En général, les syndicats sont très lestes pour signaler ce genre de comportement.
M. Éric Morvan . - Je n'en sais rien. Il semble que, si langues commencent à se délier, ces relations exécrables étaient alors confinées dans un cercle très fermé. Si les syndicats savaient depuis longtemps, ils auraient dû me prévenir - ils auraient eu raison de le faire, et ils en avaient les moyens.
M. Philippe Bas , président . - Pourquoi l'accompagnateur de M. Benalla, qui est témoin de ces incidents, ne tire-t-il pas la sonnette d'alarme ?
M. Éric Morvan . - Je vais vous parler de la vraie vie, là encore.
Mme Esther Benbassa . - Nous ne sommes pas dans une bulle !
M. Philippe Bas , président . - Il n'y a pas d'implications désagréables dans le propos du directeur général.
M. Éric Morvan . - L'accompagnateur était un major de police Je ne suis pas sûr, compte tenu de ce qu'était l'événement, et compte tenu de la personnalité qu'était, sur le plan professionnel, M. Benalla, que ce soit le bon niveau d'accompagnateur. M. Gibelin a d'ailleurs donné son point de vue, que je partage entièrement, devant l'Assemblée nationale. Pour lui, vu ce que l'on savait des risques avérés de violence de cette manifestation, il aurait fortement déconseillé d'y accueillir M. Benalla. Et, si l'autorisation avait été accordée selon les voies normales, l'accompagnateur désigné n'aurait pas été un major de police, mais un membre du corps de conception et de direction.
Je suppose que M. Simonin a désigné ce major, lui a demandé de remettre un casque au chef de cabinet adjoint de l'Élysée et de l'accompagner. Pour ce fonctionnaire de catégorie B en fin de carrière, il faut évidemment, en présence d'une telle autorité, suivre les instructions. Bien sûr, dans l'absolu, il n'aurait pas dû laisser faire, et il aurait dû l'interpeller.
M. Philippe Bas , président . - Comme pour un accident d'avion, les causes et défaillances sont multiples... En vous écoutant, on comprend mieux ce que le préfet de police a dit quand il a évoqué les « copinages malsains ».
M. Éric Morvan . - Je ne serai pas de ceux qui réclameront que la tête de ce major roule dans la sciure.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Le rapporteur ne demande aucune tête non plus ! Mais ce major, fût-il de catégorie B, aurait dû intervenir et, en tout cas, rendre compte.
Mme Brigitte Lherbier . - Les victimes de ces actes de violence n'ont pas porté plainte. Est-ce usuel ? Il y a quand même eu des violences constatées, on a vu ces personnes par terre, recevoir des coups de pied...
M. Alain Marc . - Vous êtes le premier personnage de la police au niveau national et vous n'avez appris cette affaire qu'avec les révélations du journal Le Monde . Or des dizaines de milliers de vues ont été enregistrées sur les réseaux sociaux. Je me fais donc du souci sur la qualité de notre renseignement, alors que nous vivons une époque très perturbée, avec les attentats... Ne faudrait-il pas améliorer la qualité de notre renseignement ? Certes, à Paris, cette affaire était sous la responsabilité du préfet de police.
M. François Grosdidier . - La défense d'Alexandre Benalla invoque l'article 73 du code de procédure pénale et indique que celui-ci interpellait des délinquants qui s'en seraient pris aux forces de l'ordre. Vos informations corroborent-elles cette version ? M. Benalla disposait d'un véhicule de police, sans que personne ne sache par qui il lui a été attribué ni quand. Peut-on se servir, tout simplement, dans un garage de police ? Ou y a-t-il un système de traçabilité ? Vous avez évoqué le statut d'observateur mais il semblerait que M. Benalla ait davantage été perçu comme un fonctionnaire d'autorité. Y a-t-il une doctrine sur les fonctionnaires d'autorité ?
M. François-Noël Buffet . - Vous semblez découvrir que les syndicats étaient sous pression, notamment à cause des difficultés avec M. Benalla. Pouvez-vous nous confirmer que vous avez décidé de les réunir ?
M. Alain Richard . - Une observation de méthode sur notre travail, monsieur le président : je vous ai entendu faire une distinction entre le recueil des faits et la construction d'une interprétation. Je vous remercie beaucoup de cette distinction, qui doit rester présente à l'esprit de tous dans le travail de cette commission d'enquête.
M. Éric Morvan . - Les personnes qui sont victimes de violences, avec des préjudices physiques ou moraux, ont la possibilité de porter plainte - et elles le font généralement quand il y a un préjudice. En l'espèce, les deux personnes concernées n'étaient pas blessées, elles n'ont pas demandé la consultation d'un médecin, n'ont pas porté plainte et n'ont pas été placées en garde à vue. En l'absence de plainte, le procureur peut, bien entendu, se saisir directement des faits. Les victimes de violences policières peuvent aussi avoir recours au Défenseur des droits, qui nous questionne très fréquemment sur les faits dont il est saisi.
M. Philippe Bas , président . - Nous l'auditionnerons ce soir.
M. Éric Morvan . - Quant à la qualité de notre renseignement, elle est assez bonne puisqu'on a très vite su que M. Benalla était le protagoniste de cette triste affaire. Simplement, l'information ne remonte pas à mon cabinet, ni à l'IGPN.
L'idée que M. Benalla aurait porté secours aux forces de l'ordre débordées est une plaisanterie. Sur les images, vous voyez de nombreux fonctionnaires de police, qui ne sont pas particulièrement fébriles.
Le véhicule de M. Benalla ne provient pas du ministère de l'intérieur. J'ai la liste très précise de l'ensemble des véhicules achetés sur le programme budgétaire 176 dont je suis responsable, et celui de M. Benalla véhicule n'y figure pas. Il n'a pas davantage été équipé par mes services.
Quant au statut des fonctionnaires d'autorité : ce sont tout simplement des fonctionnaires ! Dans des domaines régaliens comme celui de la sécurité, les seuls à avoir une autorité légitime sont les fonctionnaires.
Il est si vrai que les syndicats ont mon numéro de téléphone portable, qu'ils l'utilisent fréquemment, et que ce matin, avant de venir vous voir, j'ai reçu de leur part quelques messages d'encouragement. Je les verrai pour qu'ils m'en disent plus sur cette affaire.
M. Philippe Bas , président . - Merci.
Audition de Mme Marie-France
Monéger-Guyomarc'h, directrice,
cheffe de l'inspection
générale de la police
nationale
(Mercredi 25 juillet 2018)
M. Philippe Bas , président . - Nous accueillons Mme Marie-France Monéger-Guyomarc'h, directrice, cheffe de l'inspection générale de la police nationale (IGPN), accompagnée par M. Bertrand Michelin, directeur adjoint de l'IGPN.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Marie-France Monéger-Guyomarc'h prête serment.
Mme Monéger-Guyomarc'h, directrice, cheffe de l'inspection générale de la police nationale . - Permettez-moi à titre liminaire de vous rappeler les différentes saisines instruites par l'IGPN et relatives à cette affaire.
L'IGPN a d'abord été saisie le jeudi 19 juillet par le ministre de l'intérieur aux fins de réalisation sous huitaine d'une étude sur les règles auxquelles est soumis l'accueil des observateurs lors d'une opération de police et les conditions dans lesquelles MM. Benalla et Crase ont été autorisés à assister au service d'ordre du 1 er mai. Le même jour, nous avons été saisis par le préfet de police aux fins de réalisation d'une enquête administrative sur la communication à des tiers de la vidéoprotection produite par la préfecture de police. Le lendemain 20 juillet, nous avons été saisis par le parquet de Paris, conjointement avec la brigade de répression de la délinquance contre les personnes de la police judiciaire de Paris, dans le cadre d'une enquête pour violation du secret professionnel et son recel et accès par des personnes non habilitées à des enregistrements de vidéoprotection. Ces trois enquêtes et études différentes ont été confiées à trois entités différentes de l'IGPN : j'ai confié la première étude à mon adjoint, M. Bertrand Michelin, et au cabinet des inspections, des études et des audits de l'IGPN ; j'ai confié l'enquête administrative demandée par le préfet de police à la délégation de l'IGPN de Paris ; et j'ai confié l'enquête judiciaire à la division nationale des enquêtes de l'IGPN.
Pour être tout à fait complète, je précise que l'IGPN avait reçu le 3 mai à 2 h 13 un signalement sur sa plateforme en ligne de signalement de violences policières. L'internaute qui l'a effectué n'était pas témoin des faits et nous communiquait simplement une adresse Internet sur laquelle il avait vu une vidéo qui l'avait choqué, puisqu'il s'agissait pour lui de violences policières. Pour lui comme pour ceux qui ont vu cette vidéo, il ne faisait pas de doute que les protagonistes étaient des policiers.
Cette vidéo a été visionnée par des agents de la plateforme de signalement le 5 ou le 6 mai. Ils ont relevé que l'usage de la force y était légitime, dans le cadre d'une opération de maintien de l'ordre, donc d'actions de police faites par ce qu'ils pensaient alors être des policiers. La plateforme n'a ensuite enregistré aucun autre signalement relatif à ces faits, ni d'un témoin direct ni d'une des deux personnes qui avaient été interpellées : nous n'avons pas eu d'autres images.
Concernant plus généralement les opérations de maintien de l'ordre particulièrement dures du 1 er mai, l'IGPN a reçu deux autres signalements. Le premier émanait d'une personne se déclarant victime de violences et ayant été blessée. Cette personne a été reçue à l'IGPN après avoir été recontactée par la plateforme de signalement, qui lui a demandé de déposer plainte, et l'enquête est actuellement en cours. Le second consiste en une unique photo, où l'on voit un CRS avec une grenade de désencerclement à la main, tenue en hauteur. Nous avons envoyé cette photo à sa direction d'emploi pour que les techniques d'usage des grenades de désencerclement soient rappelées.
Nous assumons la transparence de nos actions sur les observateurs. Nous en recevons beaucoup au sein de la police nationale, y compris à l'IGPN : l'ouverture et la transparence font partie de nos préoccupations. Il semble très intéressant qu'un certain nombre de personnes voient l'activité et les conditions de travail de la police.
Il n'existe aucune note réglementant l'accueil des observateurs. Chaque situation est envisagée selon la qualité de l'observateur, ses objectifs, ainsi que les services et, surtout, les événements observés. La réception d'un observateur passe par plusieurs étapes : présentation du service, puis, si l'on va observer un événement, participation au briefing. Il est rare que l'observateur ait du matériel, et ce ne peut être que du matériel défensif. Après l'opération, il y a un débriefing, qui est aussi un moyen de recentrer, de clarifier, voire d'apporter des précisions complémentaires. C'est important pour nous d'avoir un regard extérieur.
Il nous appartiendra de formuler un certain nombre de propositions pour encadrer plus précisément la venue des observateurs. De mémoire d'acteur à l'IGPN, il n'y avait jamais eu de problème. Là, il y en a eu un. Nous allons donc proposer que l'encadrement soit plus précis et qu'il respecte ces différentes étapes.
M. le ministre de l'intérieur nous a donné une huitaine de jours pour rendre notre étude. Les délais seront respectés. L'étude sera sans doute disponible vendredi.
M. Philippe Bas , président . - Les faits remontent au 1 er mai. Le ministre de l'intérieur, le préfet de police, le directeur de cabinet du ministre de l'intérieur et le directeur de cabinet du Président de la République sont au courant le 2 mai. Vous n'avez été saisie que récemment, après que l'affaire Benalla est devenue publique. Cette saisine est manifestement légitime compte tenu de toutes les questions que vous avez à examiner. Est-il normal, du point de vue du bon fonctionnement de l'administration, qu'il ait fallu attendre que cette affaire reçoive une telle publicité pour que l'IGPN ait enfin à se pencher dessus ?
Mme Marie-France Monéger-Guyomarc'h. - Je m'en tiens au texte de loi, l'article 40 du code de procédure pénale est clair : toute personne pouvait saisir l'IGPN ou faire une déclaration au procureur de la République.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Vos services ont reçu cette vidéo au début du mois de mai en ignorant que l'auteur des faits était un observateur. S'ils l'avaient su, quelle aurait été la marche à suivre pour eux ?
Mme Marie-France Monéger-Guyomarc'h. - Si nous l'avions su, nous aurions démarré une enquête judiciaire, après avoir rendu compte au parquet, enquête judiciaire que nous aurions doublée d'une enquête administrative, sachant que l'IGPN n'est compétente que pour les fonctionnaires de police.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Il y a quelque chose de singulier dans le fait que le ministre de l'intérieur, le préfet de police et le directeur de cabinet du Président de la République soient au courant dès le 2 mai et que ni la direction générale de la police nationale ni l'IGPN ne le soient.
Ignoriez-vous que M. Benalla avait été mis à pied ? Vous n'avez pas pu ne pas voir que, alors qu'il était démis de ses fonctions, dixit le porte-parole de l'Élysée, il était pourtant présent dans les mêmes fonctions de sécurité et de protection, que ce soit au Panthéon pour l'arrivée des cendres de Simone Veil, ou même dans la tribune officielle du 14 juillet.
Avez-vous une réflexion sur ce qui s'est passé le 1 er mai et sur l'attitude des forces de police ? Alors que des observateurs non policiers se livrent à des violences, que des CRS restent statiques en raison des instructions qui sont les leurs, un certain nombre de questions se posent.
Mme Marie-France Monéger-Guyomarc'h. - Mon adjoint et moi ne connaissons pas M. Benalla. L'IGPN, qui n'est pas un service opérationnel, n'a aucune raison de participer à des réunions avec les services de l'Élysée. Ces derniers n'ont pas plus de raison de nous rendre compte de la suspension d'un contractuel. Nous n'avions donc aucun moyen de vérifier les éléments que vous mentionnez.
J'ai pu observer qu'il y avait effectivement des CRS en uniforme et en unités constituées sur les lieux, ainsi que des personnels en civil portant des signes distinctifs de police. C'est habituel lors d'opérations de maintien de l'ordre.
Les unités constituées répondent à des ordres donnés par le chef de service, qui peut décider de l'utilisation de la force ou d'interpellations. Lorsque nous avons visionné les images, nous avons simplement constaté que les gestes techniques de protection et d'intervention, ou GTPI, n'étaient pas très bien maîtrisés ; et pour cause. Les agents de l'IGPN, qui sont eux-mêmes des spécialistes, anciens fonctionnaires de police, le notent.
La question n'est pas celle de l'illégitimité de l'emploi de la force ; c'est celle de qui emploie la force. L'enquête établira si les personnes sur place avaient conscience d'avoir affaire à des observateurs. Celles qui ont regardé la vidéo le 5 mai ou le 6 mai n'avaient pas de doute sur le fait qu'il s'agissait de policiers.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Sur place, il y a forcément un responsable. Je suppose que cette personne savait qu'il s'agissait de deux observateurs. A-t-elle réagi ?
Mme Marie-France Monéger-Guyomarc'h. - Ce sont évidemment des questions pertinentes. Il nous appartiendra de les poser dans l'enquête judiciaire et dans l'enquête administrative.
M. Pierre-Yves Collombat . - Depuis le début de nos travaux, on nous répond : « Nous n'étions pas informés » et « Ce n'est pas de notre compétence » ! De qui est-ce la compétence ? Pouvez-vous légalement vous autosaisir de faits paraissant mériter un examen attentif ?
Je note une contradiction dans vos propos. Vous avez dit que les événements tels qu'ils apparaissaient dans la première vidéo avaient l'air d'être une opération de police ordinaire. Et maintenant que la personne est identifiée, vous dites ne pas pouvoir intervenir, car ce n'est pas un fonctionnaire de police...
Mme Marie-France Monéger-Guyomarc'h. - Lorsque nous avons visionné la vidéo, elle ne nous a effectivement pas semblé constitutive d'une infraction.
L'usage de la force, s'il est légitime de la part de fonctionnaires de police, devient illégitime s'il ne s'agit pas d'un fonctionnaire de police. Dès que l'IGPN a su qu'en l'espèce ce n'en était pas un, elle a ouvert deux enquêtes, l'une à la demande du parquet et l'autre en s'autosaisissant. Notre compétence porte sur les fonctionnaires de police, pas sur les autres acteurs.
M. Pierre-Yves Collombat . - Mais vous allez tout de même éclairer le paysage ?
Mme Marie-France Monéger-Guyomarc'h . - Nous pourrons entendre toute personne extérieure à la police qui voudra bien déférer à notre convocation. Simplement, contrairement à un fonctionnaire de police, une personne extérieure ne sera pas tenue de nous répondre si elle ne le souhaite pas. L'enquête judiciaire et l'enquête administrative peuvent conclure à des propositions de sanctions disciplinaires, mais uniquement pour les fonctionnaires de police.
M. François Grosdidier . - La défense de M. Benalla invoque l'article 73 du code de procédure pénale, qui permet à tout citoyen d'intervenir sur un flagrant délit. En l'état actuel de vos connaissances, les personnes interpellées par M. Benalla étaient-elles en train de commettre des délits d'outrage, de rébellion ou de violences sur agent ?
Quel est le statut des fonctionnaires d'autorité qui sont parfois présents sur une opération de police ? On les reconnaît quand ce sont des membres du corps préfectoral, mais quid lorsqu'il s'agit de collaborateurs de cabinets ministériels ou de l'Élysée, lorsqu'ils donnent des directives aux agents des forces de l'ordre ? M. Benalla peut-il avoir le statut de collaborateur occasionnel ? Et les collaborateurs occasionnels peuvent-ils relever de votre compétence ?
Les syndicats de police ont-ils dénoncé les dysfonctionnements créés par M. Benalla au sein du GSPR ? Le GSPR peut-il relever de votre compétence ?
Mme Marie-France Monéger-Guyomarc'h. - La défense de M. Benalla indique qu'il a aidé les services de police. Il appartiendra à l'enquête judiciaire de déterminer si les fonctionnaires de police présents avaient besoin d'aide. En tant que cheffe de l'IGPN, ayant vu les images, je n'en suis pas convaincue. Mais c'est à l'enquête de l'établir.
Pour les fonctionnaires d'autorité qui interviennent, c'est la même règle : le responsable sur le terrain est le chef du dispositif, et, au-dessus de lui, il y a l'autorité préfectorale.
Je n'ai pas eu connaissance de propos des syndicats sur les dysfonctionnements au sein du GSPR. Je n'avais jamais entendu parler de M. Benalla avant le 19 juillet.
La compétence de l'IGPN sur les agents du GSPR ne s'appliquerait qu'aux policiers.
M. Philippe Bas , président . - L'IGPN est donc compétente pour examiner le comportement de policiers servant au GSPR. C'est très important de le savoir.
M. Alain Marc . - Comme vous, nous nous étonnons que l'article 40 n'ait pas été activé. Beaucoup de gens qui étaient dépositaires de l'autorité publique ne l'ont pas activé. Trouvez-vous normal que M. Benalla, à qui on avait décerné le grade de lieutenant-colonel au titre de la réserve, vienne comme observateur ? J'y vois une contradiction.
Mme Marie-France Monéger-Guyomarc'h. - Je ne me suis pas étonnée ; j'ai rappelé la loi.
J'ai du mal à vous répondre sur le fait que M. Benalla, lieutenant-colonel au titre de la réserve, vienne comme observateur. J'ai travaillé quelques années à la formation de la police nationale ; je défendais la formation continue. N'étant pas psychologue, je ne sais pas ce M. Benalla souhaitait. Cela ne me choque pas que quelqu'un ait envie d'en apprendre plus.
Mme Esther Benbassa . - Même si vous n'aviez pas eu jusqu'à présent de problème avec des observateurs, ne pensez-vous pas qu'il faudrait encadrer davantage la fonction ?
Mme Marie-France Monéger-Guyomarc'h. - Nous n'avons jamais eu de problème, alors que les stagiaires et les observateurs sont nombreux, y compris dans des structures qui étaient relativement fermées, comme l'IGPN. Cette affaire va évidemment nous amener - c'est l'objet de l'étude qui a été demandée par le ministre - à proposer un certain nombre d'éléments de cadrage pour les observateurs. Pour autant, il faudra laisser de la marge de manoeuvre aux chefs de service sur le terrain. Tous les observateurs ne sont pas de même niveau, ne viennent pas avec les mêmes demandes, ne restent pas pour la même durée, et toutes les situations n'ont pas la même sensibilité.
Il nous faudra apporter un cadre à la fois structurant et protecteur pour les fonctionnaires de police, en laissant de la place à l'adaptation aux situations et à ce qui relève simplement du bon sens et du discernement.
M. Philippe Bas , président . - On peut penser que l'ajout de nouvelles règles n'est pas forcément la meilleure parade contre ceux qui violent les règles.
Mme Catherine Di Folco . - Qui a demandé à M. Benalla d'être observateur le 1 er mai sur cette manifestation ? Quel a été le motif invoqué par ce dernier pour être accrédité ? Vous pourriez peut-être avoir ce renseignement dans le cadre de l'enquête. M. le directeur général de la police nationale, que j'ai interrogé, n'était pas au courant.
M. Philippe Bas , président . - Le rapport de l'IGPN répondra-t-il bien à cette question ?
Mme Marie-France Monéger-Guyomarc'h. - Ce sont l'enquête judiciaire et l'enquête administrative qui y répondront bien.
Les demandes s'effectuent de gré à gré, ce qui n'est pas complètement incompréhensible. D'après les éléments fournis à l'occasion de l'enquête administrative, la demande est formulée par M. Benalla qui souhaite être observateur. Les versions sont ensuite différentes. Concernant les autorisations, certains ont pu croire que des accords avaient été donnés, alors qu'ils ne l'avaient pas été ou pas au bon niveau hiérarchique.
Il est tout à fait normal que le directeur général de la police nationale ne vous ait pas répondu sur ce point : il n'est pas préfet de police et n'est donc pas compétent, au sens juridique du terme.
Mme Nathalie Delattre . - Je voudrais d'abord vous remercier de la clarté de vos propos.
L'IGPN a été saisie, car des vidéos sont remontées. Vos services pensaient avoir affaire à un policier en exercice dont les gestes techniques n'étaient pas très professionnels. Or il ne s'est rien passé. Vos services n'ont pas cherché à identifier cette personne pour lui indiquer que ses gestes étaient mal maîtrisés et qu'elle devrait peut-être retourner en formation ? En mai, pour vous, il n'était pas nécessaire d'aller plus loin ?
M. Philippe Bas , président . - Notre collègue s'étonne que les violences commises, qui ne pourraient pas relever d'un professionnel, n'aient pas immédiatement entrainé de réaction de votre part, et que la seule justification de la saisine de l'IGPN soit le fait qu'il ne s'agissait pas d'un fonctionnaire de police.
Mme Marie-France Monéger-Guyomarc'h. - Le sujet, ce n'est pas la violence ; c'est l'usage de la force dans des conditions légales de maintien de l'ordre. Juridiquement, l'usage de la force est légitime. L'usage de la force étant légitime pour les forces de police, nous avons simplement observé que les GTPI n'étaient pas très bien maîtrisés. Mais nous n'avions ni blessure, ni plainte, ni élément supplémentaire.
Nous ne considérons pas l'usage de la force illégitime par nature. Au contraire : pour les services de police, il est légitime par nature. Voilà quelque temps, lors d'une émission sur France Culture, une petite fille m'a demandé si les policiers avaient le droit de taper les gens ; je lui ai répondu « oui » ; l'usage de la force est justement la prérogative de la police nationale, de la gendarmerie nationale et des forces de sécurité.
M. Philippe Bas , président . - Mais pas n'importe comment !
Mme Marie-France Monéger-Guyomarc'h . - « Mais pas n'importe comment », ai-je effectivement aussitôt ajouté. Cela doit se faire dans des conditions légales et l'usage de la force doit être proportionné. En l'occurrence, il n'y a pas eu de blessure.
Le 1 er mai, il y a eu 300 interpellations. Nous n'avions pas de témoin direct ; nous avions juste une personne qui avait envoyé la vidéo. Celle-ci a été visionnée par trois personnes entre le 5 mai et le 7 mai, qui ont constaté que les GTPI étaient mal maîtrisés. Faute d'élément complémentaire, l'affaire a été mise de côté car nous savons d'expérience que des éléments complémentaires peuvent venir avec le temps. Ainsi, lors des manifestations contre la loi « Travail », où nous avons mené près de 150 enquêtes, nous avons reçu certaines plaintes huit mois à neuf mois après les faits ! Nous savions donc très bien que si quelqu'un voulait déposer plainte, il pourrait le faire dans les mois qui suivraient. À la plateforme, nous gardons les signalements pendant un an, ce qui laisse du temps.
M. Philippe Bas , président . - Dans la fonction que vous exercez, vous avez une responsabilité éminente s'agissant de la déontologie de la police nationale. Compte tenu des informations dont disposait la haute hiérarchie du ministère de l'intérieur, notamment le ministre de l'intérieur lui-même, le directeur de cabinet et le préfet de police, depuis le 2 mai, trouvez-vous normal que l'IGPN n'ait pas été saisie ?
Mme Marie-France Monéger-Guyomarc'h . - Il faut se replacer dans le contexte : ne refaisons pas l'histoire quand on en connaît la fin. Mon sujet est de savoir si les bonnes décisions ont été prises dans les circonstances de l'époque, compte tenu des informations qui étaient alors disponibles. C'est assez compliqué ; je n'ai pas de réponse à formuler. L'enquête nous apportera sans doute des éléments.
M. Philippe Bas , président . - Les rapporteurs que vous avez désignés se poseront-ils la question de la déontologie et y apporteront-ils des réponses ?
Mme Marie-France Monéger-Guyomarc'h. - Le rapport demandé par le ministre de l'intérieur ne porte pas sur ce sujet.
M. Philippe Bas , président . - Je vous remercie beaucoup de la clarté de vos réponses, qui ont éclairé la commission des lois.
Audition de M. Michel Delpuech,
préfet de police de Paris
(mercredi 25 juillet 2018)
M. Philippe Bas , président . - Mes chers collègues, nous accueillons à présent M. le préfet de police. Monsieur le préfet de police, je vous rappelle que notre commission est dotée des prérogatives d'une commission d'enquête.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Michel Delpuech prête serment.
M. Michel Delpuech , préfet de police de Paris . - Comme le doit tout représentant de l'État sur le territoire, je salue les représentants de la Nation que vous êtes. Le courrier que vous m'avez adressé m'a exposé le cadre juridique dans lequel intervient mon audition devant votre commission disposant des prérogatives attribuées aux commissions d'enquête.
Accompagné de mon collaborateur au cabinet le commissaire principal Jérôme Mazzariol et du directeur adjoint des ressources humaines de la préfecture de police, l'inspecteur général Jérôme Foucaud, je m'efforcerai de répondre à votre attente, en faisant un cadrage sur les modalités générales de l'accueil d'observateurs à la préfecture de police, avant d'aborder l'épisode du 1 er mai, qui a justifié votre initiative.
Nous sommes très régulièrement sollicités pour recevoir au sein de nos directions des personnes extérieures à l'institution. À ces demandes, qui correspondent à des objectifs de formation, d'information, de connaissances, répond notre volonté de transparence et de renforcement du lien entre police et population, auquel je suis attaché. Par principe, la préfecture de police accueille ces demandes et fait tout pour les honorer. Le refus reste très exceptionnel. C'est une logique d'ouverture qui prévaut.
Au titre des besoins de formation, depuis le début de l'année, nous avons accueilli 700 collégiens, lycéens et étudiants. Mais nous accueillons aussi des auditeurs de justice, les stagiaires de l'Institut national des hautes études de sécurité et de justice, des policiers auditeurs étrangers, des cadres de santé, dont les médecins urgentistes, des policiers municipaux, des élèves de grandes écoles, comme Polytechnique, ou des instituts régionaux d'administration, des fonctionnaires de l'éducation nationale. Au sein de la direction régionale de la police judiciaire de Paris, nous accueillons des auditeurs de justice de l'École nationale de la magistrature.
Je signale également une particularité : la cellule Synapse de la direction de l'ordre public et de la circulation est une cellule de réflexion et de prospective sur le thème du maintien de l'ordre public. Comment évoluent les techniques ? Le cadre juridique, le cadre technologique ? Nous avons un partenariat avec le master Sécurité et Défense de Sciences-Po Paris ; chaque semaine, trois étudiants sont associés à la fois à un travail d'état-major et à des actions de terrain.
Les besoins d'informations concernent des journalistes. Mon cabinet comprend un important service de communication, dirigé par une commissaire divisionnaire de la police nationale. Les journalistes sont demandeurs de reportages d'immersion au sein d'unités telles que la brigade de recherche et d'intervention, la BRI, ou la brigade anti-criminalité, la BAC - ils recherchent des images un peu accrocheuses. Depuis le début de l'année 2018, soixante-trois délégations de presse ont été accueillies, appartenant pour l'essentiel à la presse télévisuelle.
Enfin, au titre du partenariat entre la police et la population, les publics sont divers : élus, fonctionnaires...
M. Philippe Bas , président . - Le directeur général de la police nationale (DGPN) nous a décrit tout cela par le menu.
M. Michel Delpuech . - Nous accueillons aussi des représentants d'institutions. Ainsi, les délégués du Défenseur des droits sont présents sur certaines opérations, comme lors de l'évacuation du campement du Millénaire.
Les activités auxquelles ces personnes assistent ou participent sont de deux ordres : observation et découverte au sein des locaux policiers ; présence sur la voie publique pour l'observation de missions opérationnelles. Il s'agit souvent d'accompagner une patrouille ou unité d'intervention de police. Les brigades anti-criminalité de nuit, où les observateurs peuvent se trouver à bord des véhicules de police, sont très demandées ! Il y a aussi des demandes pour assister à un service d'ordre public.
Par exemple, j'ai demandé à un cabinet d'audit de nous aider dans l'appropriation des Néo - smartphones qu'utilisent les policiers de terrain pour accéder aux fichiers. Ces appareils sont en train de bouleverser l'activité locale. Ce cabinet, qui a travaillé auprès de la police métropolitaine de Manchester, se trouve auprès de mes fonctionnaires pour observer sur le terrain comment ils utilisent cet outil.
Autre exemple : un chef d'entreprise de 44 ans, que nous connaissons déjà, souhaite accompagner le service d'ordre dimanche pour l'arrivée du Tour de France sur les Champs-Élysées. J'ai donné mon autorisation et il sera donc placé auprès d'un contrôleur général.
Le cabinet est systématiquement sollicité lorsque la demande émane de journalistes. Les observateurs sont accueillis par une autorité et pris en charge par un policier référent - dans un véhicule d'une BAC, le référent est le chef de bord. Sur le terrain, lorsque le fonctionnement des services le permet et si la mission le justifie, nous les équipons d'un gilet pare-balles, parfois d'un casque. Ils ne sont jamais armés ni dotés de radio et encore moins de brassards de police.
S'agissant du cadre juridique, nous avons signé 1 123 conventions en 2017 pour tout ce qui touche aux activités de formation des publics scolaires, les partenariats de formation que j'ai cités, l'accueil de stagiaires individuels.
Pour les reportages d'immersion des journalistes, nous avons
mis en place une convention particulière leur rappelant le règles
applicables
- récemment, la Cour de cassation a frappé
de nullité une procédure parce que l'interpellation avait
été suivie par une équipe de télévision.
L'autorisation des observateurs doit être donnée au niveau pertinent. En ce qui concerne la préfecture de police, autorité territoriale déconcentrée de plus de 30 000 fonctionnaires sous l'autorité du préfet de police, toutes les décisions ne sont pas prises à mon niveau : les demandes de la presse sont gérées par mon cabinet et c'est moi qui donne l'accord (ou mon directeur de cabinet, en mon absence) ; les conventions de formation sont gérées par la direction des ressources humaines ; pour les autres observateurs, la gestion se fait au cas par cas, la validation étant toujours faite par un directeur, même si l'initiative peut être locale - par exemple, une demande d'un élu d'arrondissement parisien sera validée a priori par le commissaire d'arrondissement et confirmée par sa direction, qui m'en informera.
Ces personnes sont en mission d'observation et ne sont pas associées aux opérations de police. Se pose la question du cadre juridique. Il ne me semble pas que l'on puisse assimiler ces observateurs à des collaborateurs du service public.
M. Philippe Bas , président . - C'est le coeur de la question. Nos investigations portent sur la manière dont des personnes peuvent être associées aux missions de la police ou de la gendarmerie sans en être membres. Par « peuvent être associées », il faut comprendre « peuvent participer ».
M. Michel Delpuech. - La question de la protection juridique de ces personnes mériterait sans doute d'être clarifiée. Il paraît difficile de solliciter la théorie du collaborateur du service public. Les observateurs ne sont aucunement associés à l'exécution d'actes de service public et n'ont pas à y prendre part.
Je ne reviens pas sur les circonstances du 1 er mai, mais la journée a été extrêmement difficile, avec des phénomènes de violence jamais connus.
Dans la matinée du 2 mai, entre 10 heures et 10 h 15, j'ai reçu un appel téléphonique provenant du palais de l'Élysée, mon interlocuteur mentionnant une « affaire Benalla » et m'indiquant l'existence d'une vidéo. Je joins le cabinet du ministre de l'intérieur, qui m'indique être déjà informé et être en liaison avec l'Élysée. Mes collaborateurs et moi nous procurons cette vidéo, que nous regardons sur grand écran.
Après avoir prévenu le cabinet du ministre, je suis de nouveau en ligne avec le palais de l'Élysée pour expliquer ce que nous avons vu à l'écran. Il était clair pour moi que le dossier était pris en compte par l'autorité hiérarchique de M. Benalla, c'est-à-dire le directeur de cabinet de la présidence.
En interne, j'interroge immédiatement la direction de l'ordre public et de la circulation sur les raisons de la présence de M. Benalla. Je m'étais étonné de le croiser la veille au soir dans la salle de commandement, où j'avais accueilli le ministre : « J'étais sur le terrain », m'avait-il alors répondu.
Immédiatement, le directeur de l'ordre public et de la circulation me dit qu'il n'était pas informé de sa présence ce jour-là dans nos rangs. Son enquête interne fait apparaître que la venue de M. Benalla a été organisée au niveau du contrôleur général, chef d'état-major adjoint, M. Simonin. Autorisation ? Réponse à sollicitation ? Je ne sais pas, les enquêtes judiciaires le diront peut-être.
Comme l'a dit mon collègue et ami Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République, il a autorisé M. Benalla à se rendre le 1 er mai sur le territoire de la préfecture de police. Sa venue a été organisée par un contrôleur général de la préfecture de police, le directeur et le directeur adjoint de l'ordre public n'en étant pas informés, le préfet de police encore moins.
J'ai précisé l'enchaînement de ces informations successives. À ce stade, je ne peux en dire plus.
M. Philippe Bas , président . - Beaucoup d'informations ont été données sur le moment précis où vous-même ainsi que le directeur de cabinet du ministre, le ministre et le directeur de cabinet du Président de la République avez été informés de la participation de M. Benalla à une opération de maintien de l'ordre pour laquelle il était illégitime qu'il apportât son concours. Dès le 2 mai, les hautes autorités que j'ai citées et dont vous faites partie échangent entre elles et décident de ne pas saisir l'inspection générale de la police nationale (IGPN) et de ne pas faire usage de l'article 40 du code de procédure pénale. Est-ce une décision tacite ou une décision concertée ?
M. Michel Delpuech. - Il n'y a pas eu de décision en tant que telle. Le palais de l'Élysée m'a immédiatement indiqué qu'il prenait en compte le dossier, comme autorité responsable hiérarchique. Pour moi, c'est à ce niveau que cela devait se dérouler. Quant à l'appréciation sur les suites à donner, c'est l'autorité compétente qui décide.
Y a-t-il eu concertation ? Y a-t-il eu ordre de ne pas recourir à l'article 40 ? Sûrement pas ! Vous pouvez appeler cela une « décision tacite », mais il n'y a eu aucun échange sur ce thème.
Sur le fond, le directeur de cabinet du Président de la République s'est exprimé hier. Vous avez également pris connaissance de l'analyse de l'IGPN, qui a reçu la vidéo. Pour le préfet de police, la petite nuance supplémentaire, c'est que le débordement, la faute, le manquement, le dérapage personnel, qui seront examinés par les tribunaux de l'ordre judiciaire, sont le fait non pas d'un fonctionnaire de police, mais d'un collaborateur de la présidence de la République.
Nos amis de l'IGPN ne savaient pas qui apparaissait sur la vidéo. Pour ma part, seul, j'aurais été incapable de reconnaître M. Benalla ; à plusieurs, nous l'avons identifié.
Une précision : je ne saisis l'IGPN qu'au sujet des personnes placées sous mon autorité.
La veille du 19 juillet, nous avons été un certain nombre à être alertés sur le fait que Le Monde allait rendre publique la « vidéo Benalla ». J'alerte le directeur de l'ordre public, je refais le point avec lui le lendemain matin sur les faits du 1 er mai place de la Contrescarpe. Le lendemain, un peu avant 14 heures, Alain Gibelin, directeur de l'ordre public, demande à me voir et me révèle que le commissaire Creusat lui a révélé avoir, avec deux autres collègues, récupéré des images filmées place de la Contrescarpe pour les transmettre à M. Benalla. S'agissant de fonctionnaires placés sous mon autorité, j'ai aussitôt consulté leur rapport écrit et préparé la transmission des données, dans le cadre de l'article 40, au procureur de la République François Molins, que j'ai personnellement appelé. Dans le même temps, j'ai eu un échange téléphonique avec le ministre de l'intérieur pour lui demander la suspension immédiate de ces trois fonctionnaires, laquelle est intervenue dans la soirée. C'était à moi, et à personne d'autre, de prendre cette initiative.
M. Philippe Bas , président . - Les choses sont très claires pour le 19 juillet. Je reviens sur la journée du 2 mai. Il y a sans doute la faute du cadre dirigeant de la préfecture de police qui, en dehors de l'exercice de ses compétences et de la délégation dont il peut avoir bénéficié, a accordé la possibilité à M. Benalla d'être accompagné par un autre fonctionnaire pour assister aux opérations de maintien de l'ordre. Que seul le directeur de cabinet du Président de la République puisse infliger une sanction disciplinaire à M. Benalla, la cause est entendue, mais que M. Simonin - que vous visiez semble-t-il en parlant de « copinage malsain » - ne fasse pas l'objet de poursuites disciplinaires et que l'IGPN n'ait pas été saisie pose question du point de vue du bon fonctionnement de l'État.
M. Michel Delpuech. - Si la demande d'accueillir cet observateur m'avait bien été soumise, ce qui n'a pas été le cas, je ne l'aurais pas refusée. Si un collaborateur du chef de l'État, autorisé par sa hiérarchie, souhaite venir à la préfecture de police, je ne lui oppose pas un refus. J'aurais organisé son encadrement dans des conditions autres, en plaçant auprès de lui un cadre de plus haut niveau. Si M. Simonin a commis une faute, c'est en ne rendant pas compte à sa hiérarchie. Pour cela, il a fait l'objet d'une admonestation verbale de la part de son directeur. La faute n'est pas d'avoir accueilli M. Benalla, c'est d'avoir organisé cet accueil sans en informer son directeur ni le préfet de police. C'est pourquoi j'ai demandé au directeur de l'ordre public de faire à M. Simonin les représentations sévères sous forme d'admonestation. Sur un terrain disciplinaire, on ne pouvait aller au-delà.
J'ai été sans faiblesse le 19 juillet. Ce qu'il a fait le 18 juillet au soir avec deux autres collègues concernant la transmission des vidéos, c'est une grave faute. Mais celle-ci n'enlève rien à ses mérites par ailleurs. C'est un peu comme un grand footballeur, qui peut marquer trois buts lors d'un match et, deux mois après, commettre une action dramatique. Souvenez-vous du printemps que nous avons vécu, avec les interventions en milieu universitaire, l'évacuation de la Sorbonne, qui se sont déroulées sans difficulté et sans violence et n'ont fait l'objet d'aucune plainte. Concernant l'évacuation de Tolbiac, on ne voulait pas me croire quand j'indiquais dans un communiqué que tout s'était bien passé. C'est le contrôleur général Simonin qui commandait les troupes. Je ne peux donc nier les mérites de ce professionnel aguerri, tout en soulignant la gravité de sa faute. J'ai effectivement évoqué le « copinage malsain », qui fait oublier les règles hiérarchiques et les principes. On verra ce qu'en dit la justice. Mais, je le répète, concernant l'accueil de cet observateur, je ne pouvais faire plus que demander au directeur de l'ordre public de lui adresser une admonestation verbale.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Monsieur le préfet, nous connaissons votre professionnalisme, celui de vos collègues, nous ne méconnaissons pas la dureté de la tâche, notamment au cours d'une journée comme celle du 1 er mai.
Ma première question porte sur le port d'arme de M. Benalla. Vous avez indiqué devant la commission des lois de l'Assemblée nationale lui avoir accordé un permis de port d'arme en octobre 2017, alors, je vous cite, qu'il ne remplissait pas les conditions réglementaires pour disposer d'une arme. Le directeur de cabinet du Président de la République a déclaré devant l'Assemblée nationale qu'il vous avait demandé lui-même qu'un permis soit délivré à M. Benalla, sous réserve que cette autorisation puisse être accordée « dans le strict respect des textes ». Or cette autorisation n'a pas été accordée dans le strict respect des textes...
M. Michel Delpuech. - Ce que vous me faites dire n'est pas conforme à ce que j'ai déclaré. Le cadre juridique du port d'arme est assez complexe. Il existe deux régimes très différents, ce qui induit parfois des confusions.
Le premier régime juridique du port d'arme relève de la compétence du ministre de l'intérieur. Aux termes de l'article R. 315-5 du code de la sécurité intérieure, « le ministre de l'intérieur peut autoriser par arrêté toute personne exposée à des risques exceptionnels d'atteinte à sa vie, sur sa demande, à transporter une arme de poing [...] ». La demande de M. Benalla sur ce fondement, dont je n'avais pas à avoir connaissance, a été refusée parce qu'il a été estimé, à mon avis à juste titre, que M. Benalla n'était pas exposé à des risques exceptionnels d'atteinte à sa vie.
Celui-ci a ensuite déposé auprès de l'autorité préfectorale une demande sur un autre fondement, en tant que fonctionnaire ou agent des administrations publiques exposé par ses fonctions à des risques d'agression. Patrick Strzoda, à l'Élysée, a relayé la demande au regard des fonctions qu'exerçait M. Benalla. Ce cadre juridique n'a donc rien à voir avec le port d'arme pour risques exceptionnels d'atteinte à la vie. J'ai donné l'autorisation, dans ce cadre, après l'instruction habituelle et en recueillant le casier B2 et tous les éléments nécessaires.
Seule nuance, un arrêté ministériel définit les services ou catégories de services désignant ou accueillant les fonctionnaires et agents pouvant être ainsi armés. La situation était particulière puisque l'Élysée ne figure pas dans ces catégories de services. Mais la demande étant formulée au titre des fonctions assurées par M. Benalla à l'Élysée, oui, j'ai accepté de délivrer le permis, dans ce cadre.
J'insiste sur ce point : ma décision ne s'est pas substituée à la précédente. Je connais des cas où une autorisation a été accordée sur le fondement des risques exceptionnels d'atteinte à la vie alors que ce n'était pas avéré. J'ai donc assumé ma compétence préfectorale, c'est mon devoir, et lorsque la mission de M. Benalla a cessé, j'ai immédiatement abrogé l'autorisation. Elle était strictement et uniquement liée à ses fonctions. C'est pourquoi, s'il portait son arme place de la Contrescarpe, il était en faute puisqu'il était en jour de congé. Sur les images, il ne semble pas avoir vu d'arme, mais ce n'est pas à moi d'apprécier, c'est au juge. Il en va de même pour les transporteurs de fonds : le port d'arme est lié à l'exercice de leurs fonctions.
J'ai pris cette décision au regard de ses fonctions à l'Élysée, telles qu'elles m'ont été rapportées, même si l'Élysée n'est pas cité dans l'arrêté ministériel, ce qui n'est pas étonnant. En revanche, mon collègue et ami Patrick Strzoda m'a transmis cette demande en précisant que la procédure devait se faire dans le respect des textes.
M. Philippe Bas , président . - Un fonctionnaire de police, un gendarme porte une arme et peut en faire usage. Mais il a suivi un entraînement, il fait l'objet d'une évaluation et suit une formation aux conditions de l'usage de cette arme. Avez-vous veillé à ce que ces trois conditions soient remplies s'agissant de M. Benalla ?
M. Michel Delpuech. - Elles ont été remplies : licence fédérale de tir, carnet de tir mentionnant les trois tirs de contrôle annuel, etc. Tout a été vérifié.
M. Philippe Bas , président . - Et la conformité aux règles d'usage d'une arme pour assurer la protection du Président de la République ?
M. Michel Delpuech. - C'est la mission qui lui a été confiée, et ce n'est pas moi qui la lui ai confiée.
M. Philippe Bas , président . - Le port d'arme n'est pas seulement une affaire privée quand il s'agit d'un collaborateur du Président de la République qui occupe une fonction de garde du corps. Il est inquiétant de savoir que, à la demande de la présidence de la République, on délivre un permis de port d'arme, même à quelqu'un qui est entraîné. L'usage d'une arme pour protéger le Président de la République ne peut pas être laissé à l'improvisation. M. Benalla a-t-il reçu une formation sur les conditions dans lesquelles il peut faire usage d'une arme pour protéger une haute personnalité ?
M. Michel Delpuech. - Oui, il avait l'attestation de formation continue délivrée par un major de police de la cellule formation du GSPR. Et toutes les autres conditions étaient remplies - notamment l'absence de mention au casier B2 ou au fichier TAJ, ou traitement d'antécédents judiciaires. L'enquête de moralité disait que rien ne s'y opposait. L'affaire judiciaire le concernant s'est soldée par une relaxe.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Finalement, le 2 mai, c'est l'Élysée qui a donné les informations à la fois au ministre de l'intérieur et au préfet de police de Paris. Il peut apparaître étonnant qu'aucune information ne vienne de vos services, compte tenu de la gravité des faits. Deux observateurs sont placés sous l'autorité de quelqu'un qui les contrôle, il y a des policiers, des CRS, qui restent statiques - pour des raisons de commandement que l'on nous a exposées. Dans le moment précis qui nous occupe, seules ces deux personnes font usage de force, ce qui, en l'espèce, peut être légitime : mais ces deux personnes ne sont pas membres de la police nationale. Comment admettre que le commandant des policiers présents sur place, devant la singularité de cet acte, ne fasse pas état de ce qui s'est passé auprès de l'ensemble de la chaîne hiérarchique et dans le plus bref délai auprès du préfet de police de Paris ? Cela peut apparaître comme extrêmement singulier et choquant.
M. Michel Delpuech. - Je n'ai eu aucun compte rendu de ce type. L'opération de police place de la Contrescarpe s'est poursuivie, mais M. Benalla n'y était plus. Encore une fois, c'est en découvrant les images, et parce que nous avons été alertés par l'Élysée, que nous avons pris connaissance des faits.
Sur le fond, s'agissant des fonctionnaires de la préfecture de police, il y a deux situations différentes. Le commissaire Creusat est sur place, mais pas en raison de la présence de M. Benalla. Il ne sait pas, et je n'ai aucune raison de penser le contraire, si M. Benalla se trouve là ou ailleurs. Il n'était pas chargé de s'en occuper. Il dirigeait une unité de CRS, la CRS 15, qui a d'abord travaillé sur le secteur de la place Valhubert, au bas du boulevard de l'Hôpital, avant de se projeter dans le Quartier latin, puisque nous savions qu'il pouvait y avoir de l'agitation à l'issue de la manifestation, dont le parcours allait de la place d'Italie au Quartier latin. La veille, nous étions intervenus à la faculté de Censier, parce que nous pensions qu'il pouvait y avoir des engins explosifs.
Le commissaire Creusat se projette dans le Quartier latin pour gérer la situation place de la Contrescarpe, avec la présence de militants qui s'étaient réunis sur la place, d'autres qui voulaient y accéder par les rues adjacentes. Sa mission était de les en empêcher.
Il y a le rôle d'un fonctionnaire de police, le major Mizerski, qui avait été désigné par M. Simonin pour être auprès de M. Benalla. Qu'aurait-il pu faire ? A-t-il rendu compte à sa hiérarchie immédiate ? Sans doute, mais uniquement par oral - je n'ai pas eu de de papier. Pour ma part j'aurais placé auprès de M. Benalla un responsable hiérarchique d'un autre niveau, ce qui aurait changé la relation.
Ce major est un homme de 61 ans. Il est donc en fin de carrière et a atteint le grade sommital. Terriblement éprouvé par un drame familial, il y a une dizaine d'années, il finit sa reconstruction. Il ne faut pas voir M. Benalla comme on le voit aujourd'hui, mais avec l'aura qui était la sienne le 1 er mai, pour apprécier la capacité réelle du major à lui donner des instructions.
Je suis originaire d'un milieu très simple et je connais ces choses-là. On n'est pas dans la théorie, on est dans la vie vraie, avec les sentiments, avec les relations. Je rends hommage à ce major parce qu'il est victime quelque part, parce qu'il va être interrogé dans le cadre de l'enquête judiciaire, ce qui est normal. Il se trouve là parce qu'on lui a dit d'y aller, comme le soldat de l'Évangile. À mes yeux, il n'a pas de responsabilité, et je tiens à le saluer, surtout compte tenu de son parcours.
M. Philippe Bas , président . - Que ce soit clair : ici, nous n'incriminons pas des personnes, nous ne sommes pas une sorte de tribunal bis , nous voulons établir la vérité. Je suis particulièrement sensible à ce que vous venez dire sur ce major. L'explication que vous donnez est inspirée d'une connaissance des réalités humaines que je partage. C'est comme un accident d'avion : toute une série de crans d'arrêt n'ont pas fonctionné, et ce fonctionnaire de police très respectable, dont vous avez décrit les difficultés, est en réalité une victime dans cette affaire.
C'est la raison pour laquelle nous cherchons à établir des dysfonctionnements qui sont exactement ceux que vous décrivez en creux : un collaborateur du Président de la République, avec un grand sentiment d'impunité, détenteur d'une carte barrée de bleu, de blanc et de rouge, croit pouvoir prendre la place des fonctionnaires de police ou de gendarmerie qui assurent une opération de maintien de l'ordre. Et ce, en abusant de l'autorité qu'il exerce naturellement auprès de fonctionnaires de rang modeste. C'est ce qui est le plus intolérable du point de vue non seulement de l'État de droit, mais du respect des valeurs de la République et c'est ce qui a fondé la décision unanime du Sénat de donner à la commission des lois les pouvoirs d'une commission d'enquête. Comment, dans notre République, en arrive-t-on à ce genre de situation dans laquelle tout le monde s'incline, sans pouvoir empêcher ces excès de pouvoir ?
M. Michel Delpuech . - Je partage votre sentiment, moi qui ai découvert les faits avec stupeur, étonnement. Tout le monde connaît mon attachement au respect de la loi, au respect du service de la République, qui est aussi celui de l'immense majorité de mes collègues. J'aime que les institutions fonctionnent comme elles doivent fonctionner. Encore une fois, ce n'est pas moi qui ai imposé cette présence. C'est un interlocuteur qui, par ailleurs, a eu des qualités, même si je ne peux pas les apprécier, puisque ce n'est pas mon collaborateur. Je n'adopte pas une posture de justicier : il est tellement facile, surtout quand l'histoire est passée, de la réécrire. Il faut également entendre les personnes, ce que fera la justice.
Il y a une donnée institutionnelle, avec le mandat confié à ce monsieur. Mais, ce jour-là, il n'était pas présent dans le cadre de ses missions, il était là comme observateur. La faute, c'est la sienne, c'est un manquement individuel avec toutes ses conséquences. Ce n'est pas le fait d'être présent qui est une faute, le fait d'être accueilli à la préfecture de police à l'occasion d'une opération de maintien de l'ordre, accueillir un collaborateur du Président de la République, ce n'est pas une faute ; la faute, c'est le comportement de cette personne sur le terrain.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Je partage bien sûr tout ce que vous dites sur le respect des personnes.
Il se trouve qu'après cet acte, cette faute inadmissible de M. Benalla, le directeur de cabinet du Président de la République décide de le mettre à pied pendant quinze jours. Le porte-parole de l'Élysée dit, et vous le savez, qu'il sera démis de ses fonctions en matière de sécurité et de protection au terme de ces quinze jours. Devant un tel fait, le bon sens est d'exfiltrer le personnage et de lui infliger une sanction.
Après ces quinze jours, je pensais qu'il serait chargé d'une tâche administrative. Là où il y a un problème, que vous ne pouvez pas ignorer, c'est qu'il se retrouve en première ligne au Panthéon, le 14 juillet, lors de l'équipe de France de football - en expliquant d'ailleurs dans ce dernier cas que l'autocar doit passer vite, même si des personnes par milliers ont attendu ce moment pendant quatre heures, parce que c'est lui qui donne les instructions.
En tant que préfet de police responsable de la police, quelle est votre réaction ? Vous ne pouvez pas ignorer qu'il continue comme avant, alors qu'il a été démis de ses fonctions en matière de sécurité.
M. Michel Delpuech . - Je ne peux pas répondre à une partie de votre question, qui doit être posée aux autorités de l'Élysée.
Sur la cérémonie du Panthéon, Patrick Strzoda a bien expliqué les choses hier : des missions du type accueil et placement dans les tribunes des visiteurs n'ont pas grand-chose à voir avec des tâches de sécurité. Ces tâches sont parfaitement légitimes et ne me choquent pas, parce qu'elles sont absolument nécessaires. Cela n'a rien à voir avec la sécurité rapprochée du Président de la République, c'est veiller au bon ordre de la cérémonie.
En ce qui concerne le 14 juillet, c'est la même chose. J'ai entendu les déclarations de Patrick Strzoda : l'accueil des invités du Président de la République sur la tribune qui leur est dédiée place de la Concorde au bas des Champs-Élysées n'est pas une mission de sécurité.
Quant à l'épisode que j'ai vécu le plus directement, c'est-à-dire le retour des Bleus, je ne sais si M. Benalla a donné des ordres au chauffeur de l'autobus, mais je peux vous dire que c'est le préfet de police que je suis qui a donné les ordres aux fonctionnaires de police, et personne d'autre. Et quand on me connaît, on peut me croire.
M. Philippe Bas , président . - Nous vous croyons puisque vous avez déposé sous serment.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - La vidéo des faits qui se sont déroulés le 1 er mai a été remise à l'IGPN par un internaute anonyme, sans que celle-ci identifie la personne visible sur cette vidéo. Il n'y a pas eu de suite immédiate, nous a expliqué la directrice de l'IGPN. En revanche, lorsque la question lui a été posée de savoir quelle aurait été la marche à suivre si l'identité de l'auteur des faits avait été connue, c'est-à-dire si on avait su qu'il s'agissait d'un observateur, elle a très clairement répondu qu'il aurait fallu mettre en oeuvre une enquête administrative et une enquête judiciaire. Cette perception a été confirmée, en des termes différents, par M. Morvan, directeur général de la police nationale, qui a lui-même indiqué que l'illégitimité de l'intervention aurait justifié une enquête, expliquant qu'il en avait eu connaissance le 18 juillet.
Vous-même avez appris l'identité de l'intervenant, M. Benalla, le 2 mai. Le ministre de l'intérieur, son cabinet, en ont eu connaissance. Pour autant, aucun de vous n'a songé à diligenter une enquête administrative ou une enquête judiciaire. L'aura de M. Benalla, dont nous parlions tout à l'heure, qui a pu impressionner le major Mizerski, liée à son appartenance au cabinet de l'Élysée, a-t-elle pu également influencer votre décision de ne pas mettre en oeuvre une enquête administrative ou une enquête judiciaire ?
M. Michel Delpuech . - Ce n'est pas son aura qui joue, c'est son positionnement et son autorité hiérarchique.
J'ai répondu à la première question. La vidéo confirme bien que c'est M. Benalla qui se trouve là ; c'est un collaborateur de l'Élysée, et c'est cette instance hiérarchique qui prend le dossier en main. Voilà la vérité. Rien de plus, rien de moins. Pour moi, ce n'est pas un problème d'aura, c'est simplement le positionnement hiérarchique de cet homme.
Tout à l'heure, monsieur le président, vous m'avez demandé s'il y avait eu des échanges, une décision expresse, une décision tacite. J'ai parlé d'une décision tacite, parce que juridiquement, c'est ainsi qu'on peut la qualifier. Il était évident, en tout cas pour moi, que le responsable hiérarchique devait gérer le dossier et les suites à donner. Ce qui a été fait.
Ensuite, on peut estimer que tout cela a manqué de rigueur, de force. Il ne m'appartient pas de me prononcer. Je suis préfet. Je respecte, ne commente pas, n'approuve ni ne réprouve les décisions prises à ce niveau-là. C'est mon devoir, c'est mon métier. Si je faisais autrement, ce ne serait pas conforme à ma mission. Vous pouvez dire que ce n'était pas la bonne réaction, qu'il fallait aller plus loin. Le préfet de police, lui, se place sur le terrain institutionnel.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Si je comprends bien, parce que M. Benalla appartient au cabinet de l'Élysée, vous ne prenez pas d'initiative et laissez à l'Élysée le soin de trancher son sort et, éventuellement, de diligenter une enquête si cela est jugé judicieux ?
M. Michel Delpuech . - J'ai déjà répondu et je le redis pour être complètement clair : lorsque ce sont des fonctionnaires qui sont sous ma responsabilité, je prends l'initiative sans attendre que quelqu'un d'autre le fasse ; dans le cas de personnels qui sont sous la responsabilité d'une autre autorité hiérarchique, c'est à celle-ci d'intervenir. C'est très limpide. Hier encore, j'ai saisi l'IGPN pour un dossier dont j'ai eu connaissance. C'est ce que je fais quand je suis informé de risques de violences illégitimes notamment, mais pour les personnels qui sont sous mon autorité.
M. Pierre-Yves Collombat . - Monsieur le préfet, vous avez dit que c'était aux responsables hiérarchiques de suivre le dossier, de contrôler les sanctions. Très bien. Mais quand même, l'organisation de vos services, c'est vous. Or le 1 er mai vous découvrez la présence de M. Benalla dans la salle de commandement, ce dont vous vous étonnez. Le lendemain, vous apprenez par l'Élysée qu'une vidéo circule qui révèle que quelqu'un, simplement parce qu'il a une carte de visite, peut aller jouer les cow-boys dans des opérations placées sous votre responsabilité. Qu'envisagez-vous pour faire en sorte que cette confusion des genres ne se reproduise plus ? Le président Bas a raison : il ne s'agit pas d'incriminer tel ou tel lampiste. Le problème, c'est l'angle institutionnel.
M. Michel Delpuech . - Je reviens sur les faits avant de répondre à votre question.
Je rappelle le contexte de l'épisode du 1 er mai au soir. J'accueille M. le ministre d'État ; dans un premier temps, il vient à mon bureau, je fais un point sur la situation. À ce moment, 20 heures, la journée est loin d'être finie, puisque des interpellations ont eu lieu jusqu'à 23 heures - environ 280 en tout, 150 présentations à officier de police judiciaire, 109 gardes à vue, ce qui n'arrive pas souvent. En salle de commandement de la préfecture de police, dont nous faisons le tour, le ministre salue et remercie les fonctionnaires. Étant à ses côtés, je constate avec étonnement la présence, dans un angle, de M. Benalla, sans savoir qu'il était accueilli ce jour-là, puisque personne ne m'en avait parlé. Je lui dis : « Vous êtes là ? » Il me dit : « Oui, j'étais sur le terrain. ». Tout cela est très furtif. Je raccompagne le ministre et, à la suite d'un appel de son cabinet, j'organise le déplacement du Premier ministre à l'hôtel de police du 13 e arrondissement, où je l'ai accueilli, avec le ministre d'État.
Le 2 mai au matin, j'étais à 7 h 50 sur France Inter, et à 8 h 20 sur BFM. Ensuite, je me suis rendu au ministère de l'intérieur, où il y avait une réunion d'état-major. Arrivé vers 9 heures, j'en suis parti vers 9 h 45. C'est pendant ce trajet que je suis alerté sur le fait que circulerait une vidéo sur des violences policières. Et c'est à 10 h 15, arrivé à mon bureau, que j'entends parler de « l'affaire Benalla », par l'Élysée. C'est là que je mets en oeuvre les mesures de réaction : j'ai immédiatement demandé des explications au directeur de l'ordre public, qui a découvert que l'autorisation avait été donnée à un niveau qui n'était pas pertinent. Les représentations ont été faites, sur la base du manquement à la loyauté envers la hiérarchie.
M. Pierre-Yves Collombat . - Comment est-ce possible ?
M. Michel Delpuech . - Je l'ai déjà expliqué : le fait d'accueillir une personnalité à la préfecture de police n'est pas en soi un problème. Le problème est que cela a été fait à un niveau non pertinent, puisque le directeur n'était pas informé.
M. Pierre-Yves Collombat . - Comment est-ce possible ?
M. Michel Delpuech . - C'est cette initiative entre copains qui a rendu les choses possibles. Vous savez ce que c'est ! C'est la vie ! Quand j'ai dénoncé des dérives individuelles sur fond de copinage malsain, c'est ce que je visais.
Inversement, comprenez bien que la proximité qui existe entre les équipes de l'Élysée, et notamment les équipes qui assurent la sécurité rapprochée du Président de la République, et les équipes de la préfecture de police est indispensable. Il y a besoin d'un climat de proximité et de confiance. Sur le territoire de Paris et de la petite couronne, la sécurité du Président de la République est placée sous ma responsabilité : les équipes de la DOPC assurent toutes ses escortes, y compris jusqu'à Villacoublay. Ce lien de travail entre M. Benalla et les équipes de la DOPC n'est pas scandaleux en soi. Le dérapage, c'est dans la manière de devenir à tu et à toi. Ce n'est pas à moi qu'il faut en faire le reproche ; c'est aux intéressés.
Pour revenir sur un point peut-être trop rapidement évoqué en introduction, je rappelle que des conventions encadrent l'accueil des scolaires et des universitaires et que nous avons mis en place des systèmes de convention pour les journalistes lorsqu'ils sont en immersion. Je suis convaincu que nous devons faire un effort pour mieux formaliser l'accueil des observateurs extérieurs, mais sans l'alourdir à l'excès : je ne demande pas que remonte jusqu'à moi toutes les demandes.
M. Pierre-Yves Collombat . - Cela ne changera rien !
M. Michel Delpuech . - C'est votre conclusion. En tout cas, M. Benalla n'est pas mon collaborateur, ce n'est pas moi qui l'ai désigné. Posez les questions à qui vous devez les poser. Je peux répondre pour ce qui relève de mes compétences et de mes responsabilités.
M. Henri Leroy . - Il est vrai que le positionnement de cette personne a neutralisé toute la chaîne des autorités constituées, qui auraient pu malgré tout enclencher l'article 40 du code de procédure pénale puisque vous même vous constatez le 2 mai qu'il porte un brassard « police », infraction caractérisée. Rien ne vous empêchait de porter ce fait à la connaissance du procureur de la République, lui-même étant juge de l'opportunité des poursuites.
M. Michel Delpuech . - Vous parlez de positionnement ; j'ai parlé de rattachement hiérarchique.
M. Patrick Kanner . - Une commission d'enquête n'empêche pas la convivialité ; aussi, je vous adresse toutes mes félicitations pour votre promotion au grade de commandeur de la Légion d'honneur le 14 juillet dernier. C'est la reconnaissance exprimée à un grand commis de l'État.
Monsieur le préfet, vous avez été nommé le 19 avril 2017. Donc, vous avez « pratiqué » régulièrement M. Benalla. En tout cas, vous saviez qu'il n'était pas policier. À votre place, hier soir, Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur, nous a dit avoir toujours pensé que M. Benalla était policier, y compris dans le cadre des meetings électoraux du Président de la République. Quel est votre sentiment sur le fait qu'il ait pu y avoir un doute sur la non-qualification de ce jeune homme de 26 ans, même s'il est, nous l'avons appris plus tard, lieutenant-colonel de réserve de la gendarmerie ?
La vidéo reçue par l'IGPN le 2 mai sur la plateforme de signalement était-elle la même que celle que vous avez visionnée à l'occasion de votre échange avec l'Élysée ?
M. Michel Delpuech . - Sur la seconde question, je ne sais pas.
J'ai rencontré M. Benalla pour la première fois lors d'une réunion que j'ai présidée personnellement, le vendredi avant le second tour de l'élection présidentielle - je rappelle que j'ai pris mes fonctions le 18 avril au soir, au moment de l'assassinat de Xavier Jugelé. Assistaient en outre à cette réunion Jean-Marie Girier, que je connaissais déjà pour l'avoir rencontré à Lyon, et une ou deux autres personnes. Il s'agissait de veiller à la sécurité de la soirée du second tour, dont il y avait de bonnes raisons de penser que le candidat Emmanuel Macron sortirait vainqueur. M. Girier est passé un moment dans mon bureau pour discuter. Mais M. Benalla ne s'est jamais présenté comme policier et je n'ai jamais pensé qu'il l'était.
Mon service avait eu à gérer une autorisation de détention et de port d'arme qui lui avait été délivrée pour assurer la sécurité des locaux du siège d'En Marche, autorisation devenue caduque le 20 juin 2017. Mes services connaissaient donc très bien la situation de M. Benalla. Ensuite, je ne l'ai pas vu très souvent : à l'occasion de déplacements du Président de la République sur le territoire parisien, peut-être à la cérémonie du 11 novembre 2017, et pendant la visite du Président de la République au salon de l'agriculture, où je suis resté toute la journée pour veiller au bon déroulement des choses. M. Benalla était au côté du Président de la République dans le rôle qui était le sien, ni plus ni moins. Pour moi, c'était un collaborateur à qui des missions avaient été confiées, y compris par le biais de la sollicitation d'une autorisation de port d'arme à laquelle j'ai répondu favorablement, puisqu'elle entrait clairement dans le cadre de ses missions. Je peux vous assurer, par exemple, que je n'ai jamais eu son numéro de portable.
En revanche, il était un interlocuteur régulier de mes équipes. Quand le Président de la République se déplace dans Paris, des réunions se tiennent à l'Élysée, des visites de terrain sont organisées où se retrouvent des collaborateurs de la DOPC, souvent au niveau contrôleur général, et un de mes collaborateurs du cabinet, souvent Jérôme Mazzariol. Sauf cas exceptionnel, jamais le préfet de police ne participe à ces réunions. Autant des collaborateurs le voyaient très régulièrement, autant ce n'était pas le cas du préfet de police. Mon interlocuteur à l'Élysée, c'est le directeur du cabinet, son adjoint, et personne d'autre, sauf exception.
Mme Nathalie Delattre . - Vous connaissez M. Benalla puisque vous l'interpellez dans la salle de commandement. On peut s'étonner que vous, préfet de police, le connaissiez, mais on le comprend de mieux en mieux au fil des auditions : il participe à des réunions auxquelles il ne devrait pas participer, compte tenu de leur niveau. Avez-vous alerté avant le 1 er mai le ministre de l'intérieur ou votre collègue et ami M. Strzoda sur la place que prenait M. Benalla ? Au fil des auditions, on apprend qu'il dérangeait vos équipes, allant même jusqu'à humilier des policiers notamment lors de déplacements présidentiels.
Qui, dans notre République, par le droit, mais aussi par l'usage, peut prévenir ce type de dérives ? N'avez-vous pas, en tant que préfet de police, un rôle à jouer à cet égard ?
M. Michel Delpuech . - Vous évoquez des réunions avec M. Benalla ; il y en a eu une l'avant-veille du second tour l'élection présidentielle. Ensuite, les contacts se font à un autre niveau. Et, je le répète, je rencontrais M. Benalla lors des déplacements du Président de la République sur le terrain - et le préfet de police n'assiste pas à tous ses déplacements au sein de sa zone de compétence. Comme je l'ai dit à l'Assemblée nationale, mes équipes travaillent avec les interlocuteurs qu'on leur présente. Ce n'est pas moi qui choisis les participants à une réunion. C'est l'Élysée qui désigne ses collaborateurs. Comme préfet de police, je n'ai eu aucune remontée de la part de mes services sur un comportement de M. Benalla qui aurait perturbé, mis en péril ou gêné le fonctionnement de notre institution, même si j'ai entendu cela ces jours-ci. J'aurais alerté le directeur de cabinet. Et je n'essaie pas d'embellir la réalité.
Mme Brigitte Lherbier . - La vidéo qu'ont transmise les fonctionnaires à M. Benalla étaient-elles des copies, des originaux ? Est-on sûr d'en avoir récupéré la totalité ? Si tel n'était pas le cas, on pourrait avoir connaissance d'autres faits.
M. Michel Delpuech . - Une enquête judiciaire est en cours. Et vous savez que j'ai demandé au directeur de l'ordre public de saisir très vite l'autorité judiciaire sur ce fait. Je ne peux pas connaître le contenu des vidéos remises à M. Benalla, par construction. Le délai de conservation des images tirées de vidéoprotection est de trente jours ; dans le cas présent, le délai était dépassé, il faudra comprendre pourquoi. Quand on photographie une manifestation, à ma connaissance, il n'y a aucune règle en ce qui concerne la durée de conservation. Idem pour les films réalisés caméra à l'épaule ou avec un portable. À plusieurs reprises, notamment le 4 juin de cette année encore, j'ai renouvelé à mes services les consignes du strict respect du cadre de droit. J'avais d'ailleurs déjà limité de façon générale l'accès aux images de vidéosurveillance. À l'occasion d'un drame, j'ai en effet découvert que de n'importe quel poste de salle de commandement de la préfecture de police, y compris en petite couronne, il était possible d'accéder à toutes les images de notre système vidéo. C'est sans doute ainsi que l'agression à coups de marteau d'un de nos fonctionnaires sur le parvis de Notre-Dame, en juin 2017, s'était retrouvée deux heures plus tard sur les écrans de télévision. J'ai saisi l'IGPN. Depuis lors, j'ai verrouillé le système pour que ne puissent avoir accès aux images que ceux du territoire concerné.
J'accueillerai avec beaucoup d'intérêt ce qui sort de l'enquête, à la fois sur le plan judiciaire et sur le plan administratif, mais des questions devront être posées pour en tirer toutes les conséquences.
M. Jean-Yves Leconte . - Les syndicats de police nous ont fait part de grandes tensions entre le GSPR et d'autres personnes chargées de la sécurité du Président de la République. Vous-même étant directement responsable sur la région parisienne, avez-vous senti ces tensions au cours des derniers mois ?
On parle de cette réunion en salle d'information et de contrôle de la préfecture de police le 1 er mai. Avez-vous un système vous permettant de suivre les entrées et sorties de la salle de commandement et de la préfecture de police ? Cela vous permettrait de nous dire à quel moment M. Benalla est venu rencontrer quelqu'un à la préfecture de police au cours des derniers mois.
M. Philippe Bas , président . - Nos auditions permettent de faire émerger les sentiments dont sont porteurs un certain nombre de policiers à travers leurs organisations syndicales. Il est vraisemblable que personne ne se soit plaint jusqu'à ce que l'affaire Benalla éclate, mais il semblerait qu'aujourd'hui, les langues se délient. Certains des représentants syndicaux de la police ont parlé de la terreur - le mot, employé à deux reprises, est certainement excessif - qu'exerçait M. Benalla sur des agents placés sous votre autorité. Si vous n'en avez pas encore entendu parler, vous en entendrez certainement parler.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Chacun, depuis le début de nos auditions, fait une lecture erronée de l'article 40 en restreignant son champ aux personnes placées sous l'autorité hiérarchique. Ce n'est pas le cas, puisque la seule condition, c'est d'avoir connaissance des faits dans l'exercice des fonctions. Nulle part il n'est précisé que cela doit concerner des subordonnés hiérarchiques.
Vous êtes-vous entretenu avec votre collègue de
la DGPN, avec le ministre ou avec votre collègue directeur de cabinet du
Président de la République, entre le 2 mai et le 18 juillet, des
faits concernant M. Benalla
- faits dont, vous au moins, vous ne
contestez pas avoir eu connaissance, contrairement au ministre ou au DGPN qui
ont dit les avoir découverts à la lecture du
Monde
?
Avez-vous depuis lors demandé à vos services de regarder si d'autres faits analogues pouvaient être reprochés à M. Benalla ?
Mme Catherine Troendlé . - Tout le monde s'accorde à dire que la protection du Président de la République relève des fonctionnaires de police et des militaires. Ma question porte sur la demande d'autorisation de port d'arme de M. Benalla : avez-vous connaissance d'un précédent où un collaborateur aurait demandé au préfet de police une autorisation de port d'arme ? Dans la négative, la démarche pouvait sembler sans doute un peu incongrue. Auriez-vous dû en informer le ministre de l'intérieur, ce qui aurait constitué une première alerte sur comportement quelque peu transgressif ?
Mme Josiane Costes . - Vous avez déjà répondu à ma question, qui porte sur les graves dérives comportementales de M. Benalla qui nous ont été signalées hier. Effectivement, le mot « terreur » a été employé à plusieurs reprises. Vos directeurs ou vous-même avez-vous eu vent de ces dérives comportementales ?
M. Philippe Bas , président . - Et ces derniers jours, vous avez vous-même sollicité des informations sur ce point, puisque qu'on commence à en parler. Ce serait utile de le vérifier.
M. Jean Louis Masson . - Nous sommes, théoriquement, dans une République « exemplaire » et je suis surpris d'apprendre qu'un jeune homme de vingt-six ans, sans aucune formation particulière ni aucune expérience professionnelle, si ce n'est celle d'avoir assuré la sécurité dans des boîtes de nuit, a le grade de lieutenant-colonel.
Vous avez parlé de « copinage malsain » en visant certains de vos fonctionnaires. Je crois que ce copinage malsain se trouve plutôt chez ceux qui ont nommé quelqu'un n'ayant ni les compétences ni l'âge pour être lieutenant-colonel à des fonctions qu'atteignent des personnes qui ont quarante ou cinquante ans, anciens élèves de Saint-Cyr ou d'une grande école et qui ont fait valoir leur expérience professionnelle. Ce monsieur doit avoir des réseaux d'influence et un poids énorme.
Je suis un peu surpris que l'on reporte directement ou indirectement certaines responsabilités sur des fonctionnaires. Soyons clairs, quand on a été fonctionnaire, on le sait très bien : si quelqu'un de l'Élysée arrive en roulant des mécaniques, on ne peut qu'obtempérer à ses instructions. Comment reprocher à des fonctionnaires d'avoir obéi et de s'être laissé faire ?
M. Philippe Bas , président . - Nous avons prévu une minute par question, mon cher collègue.
M. Jean Louis Masson . - Je n'en ai pas posé depuis ce matin.
M. Philippe Bas , président . - Je vous remercie d'être là, du reste...
M. Jean Louis Masson . - La directrice de l'IGPN nous a dit que les violences à l'origine de l'affaire étaient très légères. Tout ce que l'on fait à l'encontre des fonctionnaires aurait-il été fait s'il n'y avait pas eu ce contexte politique, si M. Benalla, par ses exactions et son comportement, n'avait pas enclenché cette affaire, qui devient une affaire d'État ? Ces fonctionnaires n'y sont pratiquement pour rien... mais ils seront les lampistes de cette affaire. Les vrais responsables, pourtant, ce sont ceux qui ont nommé M. Benalla.
Mme Laurence Harribey . - Entre « les langues se délient » ou « nous avons été terrorisés » et « je n'ai aucune remontée de mes services », il y a un fossé énorme qui suscite des questions sur l'organisation du ministère de l'intérieur et sur la capacité d'échanges dans vos services.
Michel Delpuech . - Je vais tâcher de couvrir le champ de toutes les questions.
Vous vous étonnez que l'on reporte la responsabilité sur des fonctionnaires ; je suis là pour les protéger, et je m'étonne comme vous. J'ai évoqué, dans les termes que vous avez entendus, le cas du major qui était sur place. Ce que nous avons pu entendre hier soir répond à ce souci que vous exprimez. Pour les fonctionnaires, ce sont des moments difficiles ; ils ont le sentiment d'être mis en cause pour des circonstances dans lesquelles leur part réelle de responsabilité d'initiative n'est sûrement pas en cause, en tout cas pour une grande majorité d'entre eux. Je ne peux qu'aller dans votre sens.
J'ai évoqué un copinage malsain ; il s'agit de cette proximité absolument indispensable, mais qui peut dériver. Je l'ai qualifiée comme telle ; cela a été repris par le Premier ministre à l'Assemblée nationale, je ne retire rien, mais cela vise cet aspect.
J'en arrive aux remontées d'informations et aux déclarations des syndicats. Je vois très souvent les syndicats de police, mes collaborateurs aussi - le préfet secrétaire général pour l'administration, l'adjoint du directeur régional, l'inspecteur général Foucaud, dont c'est le champ d'activité -, et je vous affirme que rien ne nous a jamais été indiqué. Je verrai bien ce qu'ils dénoncent. Qu'ils nous donnent des faits, je les prendrai en compte, au-delà des pétitions de principe : quand, où, comment, dans quelles circonstances ? Qu'on me le dise, et j'examinerai ce qu'il y a derrière.
Y a-t-il eu un précédent sur la question du port
d'arme ? À ma connaissance, non, mais, encore une fois, j'ai un
élément de dossier. Nous avons obtenu de l'Élysée
un document qui cadre bien la réalité de la mission
confiée à M. Benalla. C'est sur le fondement de ce document, sans
pression
- je répète ce point et je confirme les propos
de Patrick Strzoda -, que la décision a été prise. Il
y a d'autres décisions ; j'ai ainsi appris, ces jours-ci, qu'une
habilitation Secret défense lui avait été donnée,
cette décision est bien antérieure à ces
évènements. Je n'ai aucune idée sur ce sujet, mais je le
signale.
L'article 40 du code de procédure pénale est très large ; il ne précise pas qui doit agir. Je crois avoir répondu sur ce point, je vous ai dit quelle avait été mon attitude, à partir du moment où le dossier était pris en charge. Le directeur de cabinet du Président de la République a indiqué que son appréciation ne l'avait pas conduit à considérer qu'il y avait matière à mettre en oeuvre les dispositions de cet article. Ensuite, chacun peut porter un jugement sur cette appréciation, mais, comme toujours, l'appréciation de l'autorité compétente est celle qui convient et, au demeurant, l'éclairage qu'a donné l'IGPN va plutôt dans ce sens.
Madame de la Gontrie, vous avez fait mention de l'article du journal Le Monde , je n'ai pas bien compris à quoi vous faisiez référence.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Je vous ai demandé si vous vous étiez entretenu avec le ministre, le DGPN ou le directeur de cabinet entre le 2 mai et le 18 juillet, puisque le ministre et le DGPN indiquent avoir appris ces opérations à la lecture du journal Le Monde .
Michel Delpuech . - Cela a peut-être été évoqué lors de réunions informelles avec le DGPN, je ne sais pas ; je réfère au ministre, je suis une autorité préfectorale. Le préfet de police, je le rappelle, est une autorité territoriale déconcentrée, ce n'est pas un troisième directeur général.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Vous vous voyez tous les jours !
Michel Delpuech . - Non, nous ne nous voyons pas tous les jours.
M. Philippe Bas , président . - Monsieur le préfet, ne vous laissez pas interpeller et poursuivez votre réponse.
Michel Delpuech . - Entre le 2 mai et le 18 juillet, nous en avons parlé de manière informelle, dans les jours qui ont suivi, oui. Je fais référence au cabinet du ministre et au cabinet de l'Élysée. En avons-nous reparlé ensuite ? Je dois à l'honnêteté de vous dire : non. Votre question trouve donc réponse.
Quant à la question sur d'éventuels faits analogues de participation à des manifestations, je l'ai indiqué, aucun fait n'a été porté à ma connaissance. Je l'ai dit plusieurs fois devant vous, je le confirme. Maintenant, s'il y en a, quelle que soit la source, qu'on me les expose.
Le GSPR ne relève absolument pas de ma compétence et de mon autorité. Je n'ai aucune idée de la manière dont les choses se passent en interne et je n'ai aucune qualité pour me prononcer à ce sujet. J'ai indiqué ce que sont les relations de travail normales entre les équipes de la préfecture de police et celles de l'Élysée.
Entre-t-on comme l'on veut dans la préfecture de police ? Si l'on est préfet de police, il faut être nommé par décret en conseil des ministres ; pour toutes les autres personnes, il faut bien évidemment une carte d'accès. On entre dans la préfecture de police en étant contrôlé et habilité ; cela va de soi. Comment, le 1 er mai, M. Benalla est-il venu à la salle de commandement ? Je le rappelle, il a été accueilli, à un niveau non pertinent, certes, mais il a été accueilli - je ne dirai pas autre chose. Un major était auprès de lui, qui était habilité. Dans le cadre de cet accueil ainsi organisé, il l'a sans aucun doute guidé jusqu'à la salle de commandement. Voilà comment les choses ont pu se passer.
M. Philippe Bas , président . - Merci de votre coopération.
Audition de M. Patrick Strzoda,
directeur de cabinet du Président de la
République
(mercredi 25 juillet 2018)
M. Philippe Bas , président . - Nous reprenons nos travaux sur l'affaire Benalla et recevons M. Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République. Après un propos liminaire, monsieur Strzoda, nous poserons nos questions. Je rappelle que notre commission est dotée des prérogatives d'une commission d'enquête. Un faux témoignage devant notre commission serait passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Je vous invite à prêter serment de dire la vérité, rien que la vérité.
Selon la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Patrick Strzoda prête serment.
M. Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République . -Votre commission des lois a décidé de faire toute la lumière sur les conditions dans lesquelles des personnes n'appartenant pas aux forces de sécurité intérieure ont pu ou peuvent être associées à l'exercice de leurs missions de maintien de l'ordre et de protection de hautes personnalités et le régime des sanctions applicables en cas de manquements. Le champ de votre enquête inclut les événements qui se sont déroulés le 1 er mai dernier.
J'ai passé cette journée à mon bureau, pour travailler et pour suivre le déroulement des manifestations sur le territoire (notamment à Paris, où la manifestation était annoncée comme à haut risque), afin de pouvoir en informer le secrétaire général de l'Élysée et le chef de l'État en déplacement en Australie.
J'ai appris le 2 mai au matin que de nombreux incidents s'étaient produits, et qu'un chargé de mission des services de l'Élysée, du cabinet plus exactement, avait eu un comportement inapproprié et choquant. J'en ai pris connaissance en regardant une vidéo, qu'un collaborateur m'a montrée vers 9 h 30, où l'on voyait à la fois des scènes d'affrontements violents, des poursuites entre des manifestants et forces de l'ordre, des jets de projectiles qui n'émanaient pas de ces dernières, tout cela dans une grande confusion. On voyait également une intervention de policiers, à laquelle participait une personne qui semblait être M. Benalla.
Je l'ai immédiatement convoqué et il m'a confirmé qu'il était présent sur les lieux ; il se reconnaissait sur la vidéo. Il voulait, m'a-t-il expliqué, aider des policiers pris à partie par des manifestants violents qui jetaient des projectiles. Je l'ai informé que cette participation à une opération de maintien de l'ordre n'entrait pas dans ses missions d'observateur, et que ce comportement inacceptable serait sanctionné comme faute. J'ai informé le secrétaire général de l'Élysée afin qu'à son tour il puisse informer le Président de la République, ce qu'il a fait lors de leur point quotidien.
Comme directeur des services de la présidence, j'ai pris une sanction : suspension de quinze jours sans traitement, c'est-à-dire mise à pied avec exclusion temporaire ; modification des missions, M. Benalla se voyant retirer sa participation à l'organisation des déplacements publics du Président de la République, ce qui est une rétrogradation ; enfin je précisais dans mon courrier de notification du 3 mai à l'intéressé que tout nouveau comportement fautif déclencherait son licenciement. Certains considèrent que cette sanction n'est pas adaptée. Cette audition me donnera l'occasion de répondre à toutes vos questions sur ce point.
Je mesure bien le trouble suscité, notamment parmi les forces de sécurité. Le chef de l'État sait leur engagement quotidien au service de notre sécurité, contre le terrorisme, pour le maintien de l'ordre et donc de l'État de droit. Je leur dis, en son nom, que la sécurité du chef de l'État ne peut être assurée que sous l'autorité et le contrôle des policiers et des gendarmes.
Ce comportement individuel fautif a donné lieu à l'ouverture d'une information judiciaire et à une sanction disciplinaire. Il appartient à présent à la justice d'établir les responsabilités des personnes poursuivies. Quant à moi, j'ai la volonté de répondre précisément et complètement à vos questions. Le Président de la République m'a autorisé à venir devant vous afin de contribuer à la manifestation de la vérité, mais il m'a demandé également de vous rappeler le cadre juridique de mon intervention : la séparation des pouvoirs m'interdira de répondre à des questions relatives à des faits couverts par l'information judiciaire ainsi qu'à des questions sur l'organisation interne de la présidence de la République.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Nous avons ce matin entendu le directeur général de la police nationale (DGPN) et la directrice de l'inspection générale de la police nationale (IGPN) sur les conditions dans lesquelles ils ont pris connaissance de la vidéo et de l'identité des personnes concernées. Les services de l'IGPN ont été informés par un internaute anonyme ; la directrice ignorait l'identité des protagonistes, qu'elle a connue le 18 juillet. Début mai, elle n'a pas jugé utile de donner suite à ces incidents en l'absence d'autres éléments. Nous lui avons demandé quelle aurait été son attitude si elle avait su qui étaient les personnes filmées. Elle a répondu en évoquant une enquête administrative et une enquête judiciaire. M. Morvan estime lui aussi que, si l'identité de l'auteur des faits avait été connue, une enquête judiciaire se serait imposée.
Nous avons demandé au préfet de police pourquoi une telle enquête n'avait pas été diligentée : il nous a répondu qu'ayant remis le dossier à l'Élysée, autorité hiérarchique compétente - vous en l'espèce - il estimait avoir correctement traité le problème.
Je vous pose donc la question : pensez-vous que l'analyse des responsables de la DGPN et de l'IGPN est erronée quand ils estiment que connaissant l'auteur des faits, il fallait diligenter une enquête administrative et judiciaire ? Dans le cas contraire, pourquoi avez-vous agi autrement ?
M. Patrick Strzoda . - Je n'ai pas à porter d'appréciation sur les déclarations de ces responsables. Mais je puis vous expliquer pourquoi j'ai pris une sanction et pourquoi je n'ai pas engagé d'autre démarche, enquête administrative ou saisine de la justice sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale. Le directeur de cabinet du Président de la République est le chef des services de l'Élysée : c'est à moi qu'il incombe de prendre des sanctions, j'ai été recruté pour cela. Je l'ai fait, rapidement. J'ai tenu compte de ce que montrait la vidéo - outre des scènes d'affrontement confuses, l'interpellation d'un manifestant qui se débat et qui est immobilisé par des policiers et par M. Benalla. Je n'ai pas relevé d'acharnement entre lui et le manifestant. J'ai replacé ces faits dans leur contexte : le 1 er mai au soir, m'a confirmé la préfecture de police, il y a eu des affrontements place de la Contrescarpe et 31 interpellations. Ce n'était pas une tranquille soirée de printemps...
J'ai replacé cette scène dans l'ensemble de la journée. Les images des manifestations du 1 er mai ont sidéré nos concitoyens par leur violence extraordinaire, d'abord boulevard de l'Hôpital puis vers le Quartier latin. La manifestation a dégénéré parce que 1 200 à 1 500 black blocks étaient venus pour « casser du flic » comme ils l'avaient annoncé sur les réseaux sociaux. Commerces saccagés, entreprises pillées, chef d'entreprise en larmes qui avait tout perdu, équipements publics détruits, voitures incendiées, policiers blessés... et 276 interpellations à Paris. Je me suis efforcé de faire la synthèse des données. Y avait-il préjudice grave à l'égard du manifestant concerné ? Il n'avait pas été blessé, n'avait pas eu d'incapacité de travail, n'avait pas déposé plainte. En revanche le préjudice à l'égard de la société est manifeste.
Je signale également que ni le préfet de police - autorité sous laquelle était placé le dispositif auquel s'est joint M. Benalla le 1 er mai -, ni l'IGPN qui a eu connaissance de la vidéo le 3 mai n'ont suggéré d'enquête administrative ou judiciaire. Je ne le dis pas pour me défausser, mais la directrice de l'IGPN, au vu des images, a estimé qu'il y avait des « gestes techniques mal maîtrisés, mais pas de violences illégitimes ».
En considérant tous ces éléments, j'ai pris la décision que j'ai dite (mise à pied, rétrogradation et avertissement), pour sanctionner un comportement déviant, une faute personnelle détachable du service. Cela n'empêchait pas d'autres autorités d'engager dans leur domaine de responsabilité des poursuites si elles le pensaient nécessaire. Ma décision était adaptée à la situation que je connaissais le 2 mai. Si j'ai commis une erreur d'appréciation, je l'assume, c'est pour cela que j'ai été recruté.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Des gestes techniques de policier mal maîtrisés, s'agissant d'un collaborateur qui s'occupe de la protection rapprochée du Président de la République... N'y a-t-il pas un risque que l'intéressé maîtrise mal son comportement dans l'exercice de ses fonctions ?
M. Patrick Strzoda . - Alexandre Benalla n'était pas chargé de la protection rapprochée du Président de la République, laquelle relève de la compétence exclusive des membres du GSPR, commandé par un colonel de gendarmerie dont l'adjoint est un commissaire de police.
Les missions d'Alexandre Benalla font l'objet d'une note de service. Il participait, sous l'autorité du chef de cabinet, à la préparation et l'organisation des déplacements publics du chef de l'État ; il organisait les déplacements privés ; il gérait le programme d'accueil des invités du Président de la République pour le défilé du 14 juillet. Cette dernière mission consiste à gérer les 15 000 invitations et concrètement, le jour de la cérémonie, installer les invités dans les tribunes. La participation à la préparation des déplacements est un champ plus vaste. Lorsque, dans vos départements, vous accueillez le Président de la République, il faut avoir vérifié auparavant que les élus sont conviés, que le ruban à couper est livré, les micros installés, le dispositif de sécurité correctement déployé, positionné, coordonné avec les autres services : il importe en effet de garantir la fluidité et l'absence d'imprévu. Tout cabinet comprend des personnes capables d'effectuer cette coordination.
Mais, lors du déplacement, c'est le GSPR sous l'autorité du colonel Lavergne et le préfet compétent qui mobilisent les policiers et les gendarmes. Je le répète, Alexandre Benalla n'assurait pas la protection rapprochée du chef de l'État. En revanche, il donnait les orientations lorsque celui-ci modifiait un segment du programme - il faut alors être très réactif. Quatre personnes s'occupent de ce sujet au cabinet : le chef de cabinet, le chef-adjoint de cabinet, M. Furcy, l'adjointe au chef de cabinet, Mme Argouarc'h, et M. Benalla, également adjoint au chef de cabinet.
Enfin, l'organisation des déplacements privés est fonction des souhaits du Président. Le programme n'est pas public, et il est plus changeant que celui d'un déplacement public...
M. Philippe Bas , président . - Les responsables syndicaux ont parlé de « relations exécrables avec M. Benalla », voire de la « terreur » qu'il faisait régner au sein du GSPR - le terme a été employé à deux reprises.
M. Patrick Strzoda . - Je crois qu'un seul de vos interlocuteurs l'a employé.
M. Philippe Bas , président . - C'est exact : le représentant de FO.
Ils ont parlé de vigiles, et indiqué que « les langues se délient ». La protection du Président de la République était-elle assurée par des contractuels comme M. Benalla ? Y compris la sécurité des déplacements publics ? Pour les déplacements privés, ce collaborateur avait-il le monopole de la mission de protection ? L'instance officielle était-elle exclue ? Cela nous intéresse, car cela concerne la sécurité du Président de la République.
M. Patrick Strzoda . - Le sujet est extrêmement sensible. C'est la responsabilité principale et prioritaire dans mes fonctions. J'ai en ce domaine une expérience comme préfet, mais aussi comme directeur de cabinet de M. Cazeneuve au ministère de l'intérieur puis à Matignon. Nous avons eu à gérer de lourds attentats, et je veille à la sécurité du Président de la République comme on surveille le lait sur le feu. J'ai été très surpris d'entendre ces déclarations de responsables syndicaux que je connais très bien, que j'ai côtoyés au ministère de l'intérieur - ils avaient même mon numéro de téléphone portable pour, à toute heure, me signaler un éventuel problème. Or ils ne m'ont jamais sollicité.
Je m'exprime sous serment, et j'affirme que la protection du chef de l'État est assurée par des policiers et des gendarmes, fonctionnaires civils ou militaires. Je déments formellement qu'il y ait à l'Élysée des « vigiles », des agents privés qui auraient une mission de sécurité. C'est un phantasme.
M. Philippe Bas , président . - Alexandre Benalla était pourtant un contractuel chargé d'accompagner les forces de sécurité et disposant d'un port d'arme ?
M. Patrick Strzoda . - Il n'était pas chargé de la sécurité rapprochée du Président de la République.
M. Philippe Bas , président . - Sauf pour les déplacements privés ?
M. Patrick Strzoda . - Non, c'est toujours le GSPR qui l'est. Mais pas dans le même format que pour les déplacements publics. Pardonnez ma concision, il est délicat d'en parler publiquement. Il nous faut nous adapter à ce que souhaite le Président de la République, sans abaisser le niveau de sécurité.
Enfin, sur le port d'arme, j'ai considéré, comme directeur de cabinet, qu'il pouvait être utile, dans l'entourage du Président de la République, qu'une personne ait ce permis : M. Benalla a été dûment formé et habilité à cette fin. Cela est de ma responsabilité.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Si nous vous interrogions sur une procédure judiciaire en cours, vous seriez fondé à refuser de nous répondre. Vous avez reçu l'autorisation du Président de la République pour vous présenter devant nous, avez-vous précisé. Cependant, autorisation ou non, tout citoyen sollicité par une commission d'enquête parlementaire a l'obligation de venir ! Cette question a déjà été évoquée dans le passé à propos de la convocation d'une chef de cabinet d'un précédent Président de la République. Je considère que seul le Président de la République n'a pas à venir devant des commissions d'enquête parlementaires.
Vos explications, pardon de ma franchise, ont quelque chose d'artificiel. La sécurité, dites-vous, est assurée exclusivement par le GSPR, mais M. Benalla, sur les photos, est très souvent à 20 centimètres du Président de la République ! Certains au GSPR semblaient même considérer que cela ne facilitait pas leur travail. Vous affirmez que les trois missions confiées à ce collaborateur ne sont pas de protection ni de sécurité : elles en sont tout de même très proches.
Vous avez pris une sanction et vous l'avez fait rapidement. Soit. Mais les actes en cause sont d'une exceptionnelle gravité : faire usage de la force sans aucun droit, dans de telles conditions, alors que l'on est adjoint au chef de cabinet du Président de la République, c'est choquant. On aurait parfaitement compris que le fautif, après sa suspension de quinze jours, fût exfiltré vers un autre service administratif. Or on le voit lors de l'accueil de l'équipe de France de football, au Panthéon, à la cérémonie du 14 juillet : la confusion a subsisté. Vous avez licencié M. Benalla après la publication d'un article de presse, il y a seulement deux jours.
M. Patrick Strzoda . - C'est que celui-ci a eu un nouveau comportement répréhensible.
Mme Marie Mercier . - Lequel ?
M. Patrick Strzoda . - Une information judiciaire a été ouverte à la suite d'un signalement que j'ai fait en application de l'article 40 du code de procédure pénale pour détention et recel de documents. Et le licenciement a été décidé sur le fondement de mon courrier du 3 mai et de l'avertissement qu'il comportait.
Au lendemain du 1 er mai, j'ai retiré à Alexandre Benalla une mission très valorisante, la participation à l'organisation des déplacements publics. Son activité a été recentrée sur les manifestations internes à l'Élysée. C'est à ce titre qu'il a été mobilisé pour organiser la réception de l'équipe de France de football le 16 juillet, vingt-quatre heures tout juste après la finale victorieuse. La fédération française de football nous a imposé des contraintes. Notamment, les joueurs devaient quitter l'Élysée à 20 heures. Or l'avion s'est posé à 17 heures. La descente des Champs-Élysées avait duré quatre heures en 1998, il fallait cette fois garantir que le bus parviendrait au palais de l'Élysée à 19 h 30 au plus tard.
M. Philippe Bas , président . - Alexandre Benalla est toujours là pour prêter main-forte aux forces de sécurité lorsqu'elles sont insuffisantes...
M. Patrick Strzoda . - Il était en liaison avec nous depuis l'autobus pour nous informer de sa progression, car nous avions à gérer dans cette attente 3 000 invités.
La mission du 14 juillet a été retirée à M. Benalla, mais il restait chargé de l'accueil des invités. Lors du transfert des dépouilles de Simone Veil et son mari au Panthéon, il coordonnait l'arrivée du cortège du Président de la République et celles des deux cercueils - il était l'agent de liaison dans une mission entièrement gérée par l'Élysée.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Pourquoi lui, dans ces moments si symboliques ?
M. Patrick Strzoda . - Les effectifs du cabinet sont contraints. Pour un événement inédit, mieux vaut mobiliser ceux qui savent faire, et Alexandre Benalla avait des capacités d'organisateur. Il s'occupait de la logistique, il ne devait pas apparaître publiquement.
La proximité que vous notez sur les photographies s'explique par la mission de coordination des services : si, au cours d'un déplacement, le Président de la République décidait de traverser une place pour aller saluer les gens, il le disait à M. Benalla, qui aussitôt répercutait l'information dans le cortège et auprès du dispositif de sécurité - alors il n'apparaissait plus sur la photo, car il était en train de courir à l'autre bout de la place.
M. Philippe Bas , président . - Vos explications sont contre-intuitives. Nous voyons en maintes circonstances M. Benalla en posture de garde du corps, ce qu'il était pendant la campagne électorale. Nous faisons logiquement l'hypothèse que le lien de confiance n'a pas été rompu après l'élection, et que le Président de la République s'en est largement remis à ce jeune collaborateur talentueux. Vous ne le démentez pas totalement mais replacez ces éléments dans un cadre plus formel... N'est-il pas plus formel que la réalité de la vie ?
M. Patrick Strzoda . - Si vous recherchez spécifiquement des photos où le Président de la République apparaît avec le chef de cabinet, vous en trouverez beaucoup ; avec l'adjoint au chef de cabinet, même chose, etc. !
M. Philippe Bas , président . - M. Benalla portait une oreillette ?
M. Patrick Strzoda . - Oui, mais pas en lien avec la sécurité rapprochée. Je précise aussi qu'il ne portait jamais d'arme en déplacement public.
M. Philippe Bas , président . - C'est une information importante.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Je persiste à penser que dans les manifestations publiques, internationales, sensibles qui ont suivi la période de mise à pied, il aurait été possible de confier les missions de M. Benalla à d'autres personnes au service de la République française.
M. Philippe Bas , président . - Jamais d'arme, donc, dans les déplacements publics. Le permis de port d'arme était donc lié aux déplacements privés ?
M. Patrick Strzoda . - Cela n'était pas précisé dans l'autorisation. Je ne sais s'il était amené à porter une arme lors des déplacements privés.
M. Philippe Bas , président . - Pourquoi alors a-t-il obtenu ce permis ?
M. Patrick Strzoda . - Il m'a paru utile qu'en plus du GSPR, une personne puisse porter une arme. Je ne peux détailler ce point.
Les allégations de relations tumultueuses avec le GSPR, l'idée qu'il « terrorisait » ses membres, que les relations étaient « exécrables »...
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Une seule personne entendue a parlé de terreur.
Mme Esther Benbassa . - Mais plusieurs ont parlé de relations exécrables.
M. Patrick Strzoda . - ...me surprennent car je vois le colonel Lavergne tous les jours, et jamais il ne m'a signalé de telles tensions. Je croise également quotidiennement les agents du GSPR. J'ai une relation directe avec tout le personnel, à l'Élysée il ne peut en être autrement ! Pourquoi n'en auraient-ils jamais parlé ?
M. Philippe Bas , président . - Nous verrons dans les prochains jours si ces propos sont étayés.
M. François Pillet . - L'article 11 de la loi de 2013 sur la transparence de la vie publique oblige tout collaborateur du Président de la République à transmettre à son autorité hiérarchique et à l'autorité une déclaration d'intérêts. Celle d'Alexandre Benalla mentionne-t-elle des relations particulières avec des sociétés de sécurité privées ?
M. Patrick Strzoda . - Parlez-vous des déclarations transmises à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) ?
M. François Pillet . - Oui, à la Haute Autorité et à la hiérarchie.
M. Patrick Strzoda . - Nous sommes en train d'expertiser ce point. Avant l'élection de M. Macron à la présidence de la République, seuls les collaborateurs dont la nomination était annoncée au Journal officiel devaient produire une déclaration.
Nous avons maintenu cette pratique. En l'espèce, M. Benalla étant seulement chargé de mission, il n'a pas été tenu, comme les huit autres agents dans ce cas, de transmettre une déclaration d'intérêts. J'ai demandé ce jour au Secrétariat général du Gouvernement (SGG) d'expertiser cette disposition.
M. François Pillet . - L'alinéa 4 de l'article 11 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique indique pourtant expressément que les collaborateurs du Président de la République transmettent au président de la Haute Autorité une déclaration de situation patrimoniale et une déclaration d'intérêts. Là où la loi ne distingue pas, il n'y a pas lieu de distinguer... Lors des débats à l'Assemblée nationale sur ladite loi, René Dosière avait certes envisagé de limiter cette obligation aux seuls collaborateurs nommés au Journal officiel, mais un amendement déposé par Alain Tourret et adopté avait levé toute ambiguïté. Je précise, en outre, que M. Benalla était adjoint au chef de cabinet, pas seulement chargé de mission. L'analyse juridique de l'article 11, vous pouvez le constater, ne semble donc guère complexe... Sa mauvaise compréhension apparaît d'autant plus dommageable que tout manquement à l'obligation de déclaration est punissable de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende, et devrait être signalé au procureur de la République en application de l'article 40 du code de procédure pénale...
M. Patrick Strzoda . - Le contrat de recrutement de M. Benalla le nomme chargé de mission, pas adjoint au chef de cabinet. En tout état de cause, nous nous conformerons à l'avis du SGG.
M. François Pillet . - Mon analyse fut d'ailleurs partagée par François Hollande, qui, dès 2013, a appliqué l'article 11 précité à l'ensemble de ses collaborateurs. L'habitude, depuis, s'est hélas perdue...
M. Philippe Bas , président . - Les services de l'Élysée pourront remercier François Pillet pour son éclairage juridique.
M. Loïc Hervé . - Pourriez-vous, monsieur le directeur, transmettre à la commission la fiche de poste, le contrat et la feuille de paie du mois de mai de M. Benalla ?
M. Patrick Strzoda . - Je vais étudier les conditions dans lesquelles je puis vous fournir ces documents et m'engage à répondre rapidement à votre requête.
M. Patrick Kanner . - Il demeure des zones d'ombre s'agissant des responsabilités exactes d'Alexandre Benalla à l'Élysée. Pour ma part, au cours de ma carrière politique, jamais je n'ai rencontré un chargé de mission de vingt-six ans doté de responsabilités à un niveau relevant, à mon sens, davantage d'un collaborateur nommé au Journal officiel. Nous souhaiterions donc que la commission entende M. Benalla, non bien sûr sur les faits du 1 er mai du ressort de l'enquête judiciaire, mais quant à ses fonctions administratives à l'Élysée. Vous recevrez dès ce soir, monsieur le président, une demande écrite en ce sens.
M. Philippe Bas , président . - Je prends note de votre requête.
M. Éric Kerrouche . - Nous avons appris hier que le Président de la République s'estimait responsable de cette affaire. Il semble peut-être plus facile de se considérer responsable lorsque l'on est intouchable... Il assume ses responsabilités, dit-il, comme vous le faites et comme nous le faisons également en essayant de mettre en lumière et de comprendre les dysfonctionnements au sein de l'Élysée. Existe-t-il une note de service faisant référence au changement de mission de M. Benalla à la suite de sa sanction ? Peut-elle, le cas échéant, nous être communiquée ? Il existe, par ailleurs, un pôle juridique au sein de votre cabinet, dirigé par une magistrate. Après avoir visionné la vidéo des événements du 1 er mai, lui avez-vous demandé conseil quant à l'opportunité d'appliquer l'article 40 du code de procédure pénale ? Si oui, quelle fut sa réponse ? Sinon, pourquoi ne l'avez-vous pas sollicitée ? Enfin, combien de personnes travaillent à l'Élysée sous le même statut que M. Benalla ? Qu'en est-il de l'obligation de transparence de ces agents vis-à-vis de la HATVP ? J'y vois une contradiction avec le credo du Président de la République, affirmé dès le début du quinquennat par la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique.
M. Patrick Strzoda . - Je vous ferai sans délai parvenir la note relative au changement de mission de M. Benalla. Je n'ai pas, monsieur Kerrouche, consulté ma conseillère justice au sujet de l'application de l'article 40 du code de procédure pénale aux événements du 1 er mai, par respect pour le principe de séparation des pouvoirs. J'ai pris seul ma décision dès le 2 mai, dans les conditions précédemment évoquées, et je l'assume. Comme préfet de Corse et, surtout, de Bretagne, lorsque sévissaient les bonnets rouges, j'ai, à de multiples reprises, été témoin de manifestations violentes. Je n'ai alors jamais hésité à faire emploi de l'article 40 susmentionné. Le cas de M. Benalla ne m'a, en revanche, pas semblé le nécessiter. En application du principe de séparation des pouvoirs, je ne puis, hélas, vous répondre s'agissant des fonctions occupées par d'autres chargés de mission car cette information relève de l'activité de l'Élysée.
M. Philippe Bas , président . - Je ne partage absolument pas votre analyse ! Les collaborateurs du Président de la République exercent une fonction publique. Pourquoi refuser d'expliquer le rôle des différents chargés de mission ? Il ne s'agit nullement d'un secret d'État !
M. Patrick Strzoda . - Les autres chargés de mission de la présidence de la République n'ont aucunement vocation à participer, comme observateurs, à des opérations de la préfecture de police. Ils ne relèvent donc pas du champ de votre enquête.
M. Philippe Bas , président . - Il nous revient de le déterminer ! Notre mission possède un large champ d'investigation, puisqu'elle s'intéresse au fonctionnement des institutions. Votre interprétation apparaît donc hautement contestable ! Nous sommes également, soyez-en certain, extrêmement attachés à la séparation des pouvoirs.
M. Patrick Strzoda . - J'ai précisé, dans mon propos liminaire, que le Président de la République m'avait autorisé à témoigner devant votre commission en m'enjoignant, dans ce cadre, de veiller au respect du principe de séparation des pouvoirs. J'insiste donc : les autres chargés de mission ne jouent aucun rôle en matière de sécurité et M. Benalla pouvait, seul, demander à être observateur dans le cadre d'une opération de police.
Mme Esther Benbassa . - Comment les images de vidéosurveillance ont-elles été portées à votre connaissance ? Par ailleurs, Alexandre Benalla a-t-il été engagé sous contrat privé ou public ? Dans le second cas, la sanction qui lui était applicable en tant qu'agent public pouvait aller de l'avertissement à la révocation. Celle qui lui a été infligée correspond à une exclusion temporaire assortie d'une suspension de traitement et nécessite la réunion préalable du conseil de discipline. Cette procédure a-t-elle été suivie ? Est-il enfin possible d'être destinataire de la fiche de traitement de M. Benalla pour le mois de mai ?
M. Patrick Strzoda . - M. Benalla a été engagé sous contrat public avec un statut de contractuel. Sa sanction, que je souhaitais immédiate, adaptée et proportionnée, devait donc respecter les dispositions du décret du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l'État. Le conseil de discipline n'a cependant pu être saisi puisqu'il n'en existe pas à l'Élysée. M. Benalla a reçu, au mois de mai, l'intégralité de son traitement, les quinze jours de suspension faisant l'objet d'une retenue sur les droits à congés obtenus au titre de l'année 2017.
M. Philippe Bas , président . - Votre réponse a le mérite de la franchise...
M. Patrick Strzoda . - Au matin du 2 mai, madame Benbassa, mon conseiller en charge des réseaux sociaux m'a fait visionner la vidéo de la place de la Contrescarpe disponible en ligne, sur laquelle figurent des scènes d'affrontement, ainsi que l'interpellation à laquelle a procédé M. Benalla. J'ai alors convoqué ce dernier pour m'assurer de la véracité des événements filmés.
M. Pierre-Yves Collombat . - Cette affaire ressort, selon vous, d'un comportement individuel. Il me semble néanmoins qu'une telle dérive a été facilitée par le fonctionnement de nos institutions, où il suffit de se revendiquer de la chefferie de cabinet du Président de la République pour avoir accès à des lieux et à des fonctions normalement interdits au bénéficiaire du passe-droit. Quel contrôle réalisez-vous du comportement des agents sous votre responsabilité ? Il semblerait, en effet, que les événements du 1 er mai ne constituent pas la seule incartade de M. Benalla...
M. Patrick Strzoda
. - Votre question, en
réalité, est double : pourquoi
M. Benalla se trouvait-il
place de la Contrescarpe et son comportement posait-il habituellement
problème ? Je rencontrais très régulièrement
l'intéressé puisque, chaque jour, je fais un point sur l'agenda
du Président de la République avec le service du chef de cabinet.
Quelques jours avant le 1
er
mai, M. Benalla m'a dit avoir
été invité par M. Simonin à participer à une
mission d'observation. Je connaissais, par mes fonctions antérieures,
M. Simonin, professionnel de qualité, et j'ai
considéré que sa hiérarchie à la préfecture
de police avait forcément donné son accord. La mission, en outre,
était loin d'être exceptionnelle ! À titre
d'illustration, en 2017, près de 3 000 journalistes, mais
aussi des magistrats et des étudiants, ont
bénéficié d'un statut d'observateur. La mission de M.
Benalla consistant à assurer la coordination des services
concernés lors des déplacements du Président de la
République, il se trouvait en contact régulier avec la
préfecture de police. La proposition, dans le prolongement de ses
fonctions à l'Élysée, n'apparaissait donc pas anormale.
J'ai simplement rappelé, à cette occasion, à M. Benalla
qu'il ne pouvait en aucun cas intervenir dans le cadre de sa mission
d'observation.
M. Philippe Bas , président . - Vous aviez donc envisagé qu'il puisse outrepasser son statut d'observateur ?
M. Patrick Strzoda . - Comment aurais-je pu imaginer qu'il ne soit pas encadré lors de cette mission ? Par ailleurs, M. Benalla n'a jamais, monsieur Collombat, eu de comportement déviant en tant qu'agent de l'Élysée. Efficace, disponible et serviable, il était au contraire fort apprécié.
Mme Catherine Troendlé . - Comme vous, nous attachons une grande importance à la séparation des pouvoirs, garantie de l'équilibre de nos institutions. Je m'interroge donc : comment M. Benalla a-t-il obtenu un badge d'accès à l'Hémicycle de l'Assemblée nationale ?
M. Patrick Strzoda . - La mise à disposition de badges d'accès à l'Assemblée nationale ressort d'une pratique courante pour les collaborateurs de cabinets ministériels. Il est d'usage, s'agissant de l'Élysée, que ces badges soient attribués aux membres du pôle parlementaire, ainsi qu'à tout agent du cabinet pour des besoins liés à l'organisation des déplacements du Président de la République. Il ne s'agit aucunement d'un avantage ! Dans le cas de M. Benalla, la procédure habituelle a été appliquée : il en a fait la demande auprès du responsable du pôle parlementaire de l'Élysée, qui m'a ensuite été transmise pour visa, puis envoyée au Président de l'Assemblée nationale, qui prend la décision d'attribution.
M. Philippe Bas , président . - Il ne s'agit certes pas d'un avantage, mais d'une possibilité offerte aux collaborateurs, qui ont de véritables raisons d'entrer à l'Assemblée nationale ou au Sénat. Je comprends mal, en l'espèce, l'intérêt d'un tel accès pour M. Benalla, compte tenu des fonctions que vous avez décrites.
M. Patrick Strzoda . - M. Benalla était, je vous le rappelle, chargé d'organiser les déplacements du Président de la République, notamment avec les élus. Or, il est parfois plus facile de nouer contact à Paris.
M. Henri Leroy . - Il existe manifestement une contradiction entre les faits et les missions protocolaires exercées, sous vos ordres, ceux d'un grand commis de l'État, par M. Benalla... Sa faute, qui relève d'actes de violence et d'usurpation, est lourde ! Je n'imagine pas, compte tenu de votre expérience, que vous n'ayez pas envisagé de recourir à l'article 40 du code de procédure pénale. En avez-vous été dissuadé ? Avez-vous, en outre, rendu compte des événements du 1 er mai au Président de la République ?
M. Patrick Strzoda . - Le Président de la République a été informé dans la nuit du 2 au 3 mai de la présence et du comportement de M. Benalla sur la place de la Contrescarpe, par le secrétaire général de l'Élysée, auquel j'avais transmis l'ensemble des informations, y compris celle relative à la sanction dont j'avais seul décidé. Monsieur Leroy, je me suis évidemment interrogé sur le recours à la procédure de l'article 40 mais, en l'absence de préjudice et d'acharnement, je l'ai écarté. Les dégradations ont été considérables lors de la manifestation du 1 er mai ; la France entière en a été choquée. Mais que montrent les images de la place de la Contrescarpe ? Une personne n'appartenant pas aux forces de l'ordre, qui attrape un manifestant s'attaquant à des policiers.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Si l'application de la sanction financière a été différée, la suspension temporaire de M. Benalla a-t-elle été immédiatement effective ?
M. Patrick Strzoda . - Absolument ! Entre le 4 et le 22 mai, M. Benalla ne s'est pas présenté à l'Élysée et je puis vous assurer que notre système de contrôle des accès est des plus rigoureux.
Mme Catherine Di Folco . - Compte tenu des missions confiées à M. Benalla, je peine à comprendre pourquoi un permis de port d'arme, dont les conditions ont été précisées à notre commission par le préfet de police, lui a été accordé, en application, d'ailleurs, d'un arrêté ministériel sur lequel l'Élysée ne figure pas. Par ailleurs, j'estime très légère la sanction dont M. Benalla a écopé. Enfin, il me semble bien peu cohérent de placer en première ligne, lors d'événements prestigieux, un agent récemment rétrogradé.
M. Patrick Strzoda . - Pour certaines activités du Président de la République, il m'est apparu utile que M. Benalla soit autorisé à porter une arme. Quant à la procédure, j'ai transmis la demande de permis au préfet de police, en précisant que j'y étais favorable à la condition que l'autorisation puisse être accordée dans le strict respect de la réglementation. Nous n'aurions évidemment pas fait pression en cas de difficulté !
M. Alain Marc . - Alexandre Benalla était chargé de la sécurité du candidat Macron avant d'occuper des fonctions similaires à l'Élysée après son élection. Le périmètre de la mission diffère pourtant quelque peu, me semble-t-il... L'avez-vous embauché de votre plein gré ou sur instruction ? Son positionnement, compte tenu de son jeune âge, ne vous a-t-il pas étonné ? Une enquête a-t-elle été réalisée sur sa personne préalablement à son recrutement ?
Mme Laurence Harribey . - En quoi l'organisation des déplacements du Président de la République justifie-t-elle l'attribution d'une voiture de police équipée, non répertoriée par le ministère de l'intérieur, et une habilitation secret défense ?
M. François Grosdidier . - M. Benalla se prévaut, pour sa défense, de l'article 73 du code de procédure pénale et vous-même avez évoqué des violences lors de la manifestation du 1 er mai. Or, les représentants des forces de l'ordre ont affirmé l'inverse devant notre commission. M. Benalla a-t-il, devant vous, fait mention dudit article 73 ? En toute logique, il n'aurait en ce cas pas dû être sanctionné pour l'avoir appliqué... Par ailleurs, s'occupait-il ou non directement de questions de sécurité ? Il semblait, en effet, fréquemment présent dans les locaux de la préfecture de police, ce qui soulève, vous en conviendrez, quelques ambiguïtés.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - En l'absence de véritable retenue sur salaire, je ne comprends plus guère le contenu de la sanction à l'encontre de M. Benalla, d'autant que sa présence, malgré sa rétrogradation, a été signalée depuis sur de nombreux événements. Pourriez-vous nous préciser si son appartement de fonction, qu'il n'a pas occupé, lui a été attribué postérieurement aux incidents pour lesquels il a été sanctionné ?
Mme Josiane Costes . - Mon interrogation est identique : un appartement a-t-il été attribué à M. Benalla après sa mise à pied ?
M. Alain Richard . - Je suis toujours à la recherche de faits, qui puissent enrichir notre enquête. À votre connaissance, M. Benalla s'est-il rendu coupable d'actes critiquables hors de l'Élysée ? Depuis hier, est évoquée, de façon imprécise, l'immixtion de l'intéressé dans les activités des services de police. Qu'en est-il exactement ? Enfin, d'autres agents de l'Élysée assistaient-ils M. Benalla pour l'exercice de ses missions ?
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - M. Vincent Crase est-il employé à l'Élysée, notamment au sein du commandement militaire ?
Mme Jacky Deromedi . - Est-il exact que M. Benalla ait bénéficié d'une habilitation secret-défense ? Si oui, pour quelle raison ? Est-ce habituel pour un chargé de mission ?
M. Philippe Bas , président . - Je vais donner maintenant la parole à plusieurs de nos collègues qui ne sont pas membres de la commission des lois.
M. Rachid Temal . - Vous nous apportez enfin quelques précisions relatives aux missions et au rôle de M. Benalla, même si demeurent encore des zones grises. Vous avez indiqué que le Président de la République, qui a assuré hier porter la responsabilité de cette affaire, vous avait prié de veiller au respect de la séparation des pouvoirs pendant votre audition par la commission. Les récents propos du Président de la République ont-ils eu une incidence sur la teneur des vôtres ?
Mme Hélène Conway-Mouret . - Vous suivez certainement le projet de réforme de la sécurité de l'Élysée, qui prévoit la création d'une direction de la sécurité de la présidence de la République (DSPR) relevant de la seule autorité du Président de la République. Qui est directement chargé du pilotage de cette réforme ?
M. Patrick Strzoda . - Monsieur Marc, j'ai moi-même procédé au recrutement de M. Benalla, que je ne jugeais nullement trop jeune pour exercer les fonctions, qui lui étaient confiées. L'efficacité et la richesse d'un cabinet ministériel se trouvent dans l'association des compétences et des générations ! En l'espèce, M. Benalla a été recruté sur le fondement de sa compétence aguerrie en matière d'organisation d'événements. En outre, l'enquête qui fut menée n'a identifié aucun obstacle à ce recrutement.
Par ailleurs, je précise que M. Benalla ne disposait pas d'une voiture de fonction avec chauffeur, mais d'un accès aux véhicules de service dans le cadre de l'exercice de ses missions. Ces véhicules étant susceptibles d'être intégrés au cortège officiel, ils disposent d'équipements spécifiques installés par le garage de l'Élysée.
Monsieur Grosdidier, il reviendra au juge d'estimer le bien-fondé de la défense de M. Benalla s'agissant de l'application de l'article 73 du code de procédure pénale le 1 er mai. En outre, dans la mesure où les observateurs sont équipés de matériels de protection, il n'y eut, en conséquence, aucune usurpation de la part de M. Benalla.
Enfin, madame de la Gontrie, je rappelle que la sanction financière à son endroit s'est appliquée sur ses droits à congés payés.
M. Philippe Bas , président . - Pourquoi ne pas avoir imputé la sanction sur son traitement du mois de mai, voire en juin ou en juillet ?
M. Patrick Strzoda . - Il s'agit d'une mesure de gestion : le décret précité de 1986 précise qu'une suspension temporaire ne peut être prononcée qu'avec maintien du traitement.
Le logement de fonction attribué à M. Benalla, qu'il n'a effectivement jamais occupé, le fut antérieurement au 1 er mai, au regard de ses obligations de disponibilité.
L'intéressé n'a, par ailleurs, jamais fait l'objet d'un signalement pour un incident ou une faute ; c'était un collaborateur apprécié. Il ne s'immisçait, en outre, aucunement dans les activités des services de sécurité. Croyez-moi, les chefs du groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR) et du commandement militaire ne sont pas hommes à se laisser marcher sur les pieds !
M. Benalla ne travaillait pas seul à l'organisation des déplacements du Président de la République : une équipe de quatre personnes, autour du chef de cabinet, y est dédiée.
Pour ma part, madame le rapporteur, j'ai découvert l'existence de M. Crase le 2 mai ; il s'agit d'un réserviste de la gendarmerie placé ponctuellement auprès du commandement militaire et chargé des stationnements autour du Palais de l'Élysée.
Madame Deromedi, une trentaine de collaborateurs ministériels sont habilités secret défense, parce qu'ils ont à connaître de documents classifiés dans des dossiers, lors de rencontres ou au cours de déplacements. D'ailleurs, M. Benalla était amené à accompagner le Président de la République dans des lieux relevant du secret défense.
Il n'est pas de mon rôle, monsieur Temal, de commenter les propos tenus par le Président de la République. Quoi qu'il en soit, mes dires devant la commission des lois du Sénat sont identiques à ceux qui furent les miens devant vos collègues députés.
Enfin, madame Conway-Mouret, la DSPR est un projet qu'il ne m'appartient pas de détailler. Il s'agit de rapprocher le GSPR et le commandement militaire, respectivement chargés de la protection des personnes et de celle des enceintes, pour améliorer les convergences opérationnelles et mutualiser certains coûts. En tout état de cause, cette entité serait exclusivement constituée de fonctionnaires de police et de gendarmerie. Nous sommes loin des accusations de milice privée ! D'ailleurs, la quatrième chambre de la Cour des comptes, à laquelle j'ai présenté le projet, n'a pas semblé s'en émouvoir...
M. Philippe Bas , président . - Je vous remercie, monsieur le directeur.
Audition de M.
Frédéric Auréal,
chef du service de la
protection
(Mercredi 25 juillet 2018)
M. Philippe Bas , président . - Nous recevons M. Frédéric Auréal, chef du service de la protection (SDLP) du ministère de l'intérieur. Je vous rappelle que notre commission des lois détient les prérogatives d'une commission d'enquête. Un faux témoignage devant notre commission serait passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Frédéric Auréal prête serment.
M. Frédéric Auréal, chef du service de la protection . - Issu de la fusion du service de protection des hautes personnalités, du service de sécurité du ministère de l'intérieur et du service central automobile, le service de la protection a été créé le 2 octobre 2013. Il assure la protection de hautes personnalités françaises et étrangères et de certaines personnes menacées, contribue à l'organisation des rencontres internationales en France comme à l'étranger, sécurise les neuf implantations centrales du ministère de l'intérieur, assure la surveillance des gardes à vue dans les sites de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), de la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), et gère les 2 200 véhicules des administrations centrales du ministère de l'intérieur.
Le service de la protection comprend 1 383 personnes dont 625 sont dédiées à la protection des personnalités. Les attentats terroristes de 2015, au cours desquels un officier de sécurité du service, M. Franck Brinsolaro, a été assassiné dans les locaux de Charlie Hebdo , ont profondément modifié la charge de travail ainsi que le fonctionnement de mon service, qui dispose d'un budget de 6,5 millions d'euros en 2018.
Le SDLP assure la protection rapprochée du Président de la République et du Premier ministre, au travers de groupes dédiés, notamment le groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR) et le groupe de sécurité du Premier ministre (GSPM). Il assure la sécurité des membres du Gouvernement, des chefs d'État ou de gouvernement étrangers en visite sur le territoire français, ainsi que des anciens Présidents de la République, anciens Premiers ministres et anciens ministres de l'intérieur français. Il met en place des dispositifs de protection ou d'accompagnement des personnes menacées. Ces dispositifs, répondant à une procédure rigoureuse, sont décidés par le ministre de l'Intérieur en personne, après évaluation de la menace - réalisée par nos collègues en lien avec l'ensemble des services spécialisés.
Le GSPR est organisé conformément à l'article 2 de l'arrêté du 12 août 2013 relatif aux missions et à l'organisation du service de la protection, auquel il appartient. Il est actuellement dirigé par un colonel de gendarmerie, Lionel Lavergne, assisté d'un commissaire divisionnaire, Julien Perroudon. Ses missions sont définies à l'article 4 de l'arrêté précité ; il assure, sur les territoires français et à l'étranger, la protection personnelle et immédiate du Président de la République et met en oeuvre les mesures nécessaires à sa sécurité, notamment l'organisation matérielle de la sécurité de ses déplacements.
Le GSPR comprend actuellement 76 policiers et gendarmes - dont 40 policiers. Tous les policiers affectés au GSPR sont issus du service de la protection ; ils ont tous réussi les tests de sélection prévus aux articles 8 et 10 de l'arrêté de 2013. Ce sont des policiers expérimentés, qui ont fait leurs preuves sur le plan opérationnel. La sélection comprend treize épreuves qui vérifient l'adéquation des aptitudes physiques, psychologiques et professionnelles des candidats aux postes d'officiers de sécurité. Les épreuves psychologiques comportent des tests psychotechniques et des entretiens par groupes individuels. Un entretien professionnel en présence d'un jury et d'un psychologue clôt ces phases de sélection. Le fonctionnaire de police ayant réussi l'ensemble de ces épreuves extrêmement sélectives est intégré au service de la protection, où il accomplit, dès son arrivée, un mois de formation initiale. Les effectifs comprennent 40 fonctionnaires de police, dont un commissaire divisionnaire, trois officiers, 36 gradés et gardiens, 33 voitures et deux-roues. Nos services disposent d'un armement collectif et individuel.
Le service de la protection participe au dispositif de
protection mis en place lors des grands événements se
déroulant sur le territoire national, selon l'article 3 de
l'arrêté. Ce fut le cas notamment pour le sommet sur le climat du
12 décembre 2017, et d'un certain nombre d'événements
comme la COP 21, les célébrations pour le Débarquement. Il
met en place des dispositifs de coordination, à la demande de
l'Élysée, en cas de déplacement du Président de la
République, fournit à la demande du GSPR un appui technique,
cortégistes ou officiers de sécurité sur des missions
techniques
- dans des aéroports ou sur les lieux
d'hébergement. Lors des déplacements du Président de la
République à l'étranger, nous attribuons, à la
demande du chef du GSPR et en plein accord avec lui, des fonctionnaires.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Nous avons une grande considération pour toutes les personnes sous votre autorité, qui exercent un métier difficile, dangereux, et qui demande une présence 24 heures sur 24. J'aurais aimé parler plus largement de vos missions, mais malheureusement, je devrai centrer mes questions sur M. Benalla. D'après vos informations, quelles étaient les missions exactes de M. Benalla avant sa mise à pied pour quinze jours, et quelles étaient ses fonctions après cette période ?
Selon certains, ces fonctions ne relevaient pas à proprement parler de missions de sécurité du chef de l'État, strictement dévolues au GSPR. Quelles étaient les relations entre le GSPR et M. Benalla ? Celui-ci pouvait-il donner des injonctions, des instructions, prendre position et intervenir activement dans des missions de sécurité, comme il nous a été rapporté ? Est-ce, à votre connaissance, vrai ou faux ?
M. Frédéric Auréal . - Huit des onze candidats à l'élection présidentielle ont fait une demande de protection - procédure normale pour le débat démocratique. M. Macron a sollicité le ministère de l'intérieur dès le mois de janvier 2017. J'ai ainsi rencontré, à sa demande, le directeur de campagne de M. Macron, M. Jean-Marie Girier, et ai vu M. Benalla, qui était chargé de mon parking et de m'accueillir - rien d'autre. Je ne le connaissais pas.
Pendant la campagne présidentielle, les contacts étaient pris toujours sous l'autorité de mon directeur général, entre le service et le directeur de campagne du candidat Macron, mais souvent par la cheffe de cabinet du ministère de l'intérieur. J'étais dans une logique d'exécution et d'application des instructions qui m'étaient données. En fonction de l'évolution de la campagne, de l'affluence aux différents meetings et de la menace potentielle, nous avons adapté nos dispositifs et nos effectifs pour assurer la sécurité de tous les candidats. Je n'ai pas eu d'autres contacts avec M. Benalla à ce moment-là. Mon interlocuteur était le directeur de campagne du candidat Emmanuel Macron. Plus précisément, comme nous restions dans une logique administrative, c'étaient plutôt mon directeur général et la cheffe de cabinet du ministère de l'intérieur qui étaient en contact avec le directeur de campagne de M. Macron.
Après la victoire et la prise de fonctions de M. Macron, j'ai appris l'organisation de l'Élysée, et notamment retrouvé le chef de cabinet, M. François-Xavier Lauch, sous-préfet que j'avais connu à la direction générale, et avec lequel j'ai toujours eu les meilleurs rapports.
Lorsque j'ai rencontré M. Benalla, c'était toujours lors de réunions présidées par le chef de cabinet. Mes effectifs n'ont jamais reçu d'ordre de M. Benalla. M. Strzoda évoquait précédemment le chef du GSPR et le commandant militaire. Jamais je n'aurai accepté de recevoir la moindre instruction de la part de M. Benalla. Je ne recevais d'instructions pour exécution que du chef de cabinet. Tout se passait de la manière la plus harmonieuse possible.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - À votre connaissance, quelles étaient les missions de M. Benalla avant sa mise à pied et après ? En quoi se différenciaient-elles ?
M. Frédéric Auréal . - Je l'ai rencontré lors de réunions de préparation ou de coordination d'événements comme le 8 mai, la dernière était pour le retour de l'équipe de France de football. Nous avons eu le jour-même, à 9 heures, sous l'autorité du chef de cabinet, une réunion préparatoire avec une répartition du rôle des uns et des autres - le mien était de prévoir l'accueil du Premier ministre et des ministres à l'Élysée, et notamment de positionner des officiers de sécurité du service. Je n'ai pas d'autres éléments à vous fournir.
Il y a un lien organique entre le service et le GSPR mais le lien fonctionnel est au niveau du chef de cabinet, qui donne les instructions. J'ai évoqué le GSPM et le groupe de sécurité du ministre de l'intérieur, qui sont à côté de mes bureaux. Lors des multiples déplacements, ils peuvent avoir leurs initiatives sans m'en référer. Ce rôle de coordination existait aussi avant l'arrivée du Président Macron. Mais depuis, ce groupe qui était constitué de 62 fonctionnaires sous la présidence de M. Hollande comprend désormais 78 fonctionnaires pour faire face à la multiplication des déplacements du Président.
Nous assurons aussi des appuis techniques. La demande m'est faite par mail, je mets immédiatement à disposition des fonctionnaires et donne des instructions. En tant que chef du SDLP, j'ai 120 personnes à protéger quotidiennement, sur l'ensemble du périmètre gouvernemental ainsi que des personnes menacées - notamment des journalistes, et particulièrement ceux de Charlie Hebdo . Cela demande une attention de tous les instants - d'où les groupes dédiés.
Au moindre incident, je suis automatiquement informé. Toutes les semaines, au-delà des relations quotidiennes que j'ai avec le chef du GSPR, celui-ci ou son adjoint sont conviés à la réunion de direction du service.
M. Philippe Bas , président . - En cas de conflit avec l'autorité utilisatrice de votre service et votre représentant, M. Lavergne, vous n'êtes jamais amené à modifier les plans du chef de cabinet au nom de la sécurité ?
M. Frédéric Auréal . - Non, les relations sont harmonieuses, au service de notre Président, dans un cadre professionnel plutôt serein. L'objectif est la réussite de ses déplacements dans un contexte de menace terroriste avéré.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - À votre connaissance, quel était le rôle de M. Benalla dans l'organisation de la sécurité du Président de la République ? Avait-il un homologue à l'époque du précédent quinquennat ?
M. Frédéric Auréal . - M. Benalla n'est pas un fonctionnaire de police et n'est pas sous mon autorité. Mon correspondant, c'est le chef du GSPR, pour lequel j'ai la plus haute estime. J'ai vu M. Benalla lors de réunions et ai eu avec lui des relations correctes, cordiales et respectueuses.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Je me suis sans doute mal exprimée ; je ne vous demandais pas quelles étaient vos relations avec M. Benalla mais quelles étaient ses missions, à votre connaissance ?
M. Frédéric Auréal . - Il était chargé de mission, adjoint au chef de cabinet. Il était donc souvent présent sur les dispositifs où était le chef de cabinet. Nous avions un rôle de coordination, en retrait. Ainsi, pour le transfert du couple Veil au Panthéon, je devais assurer que les membres du Gouvernement et autres personnalités accèdent dans les meilleures conditions de sécurité possible, en plein accord avec nos collègues de la préfecture de police, et que nous sécurisions leurs véhicules et la reprise de ces personnalités à la fin de la cérémonie. Mais en aucun cas, M. Benalla n'intervenait. Il était aux côtés du Président de la République ou du chef de cabinet. Nous, nous étions dans notre mission, prêts à intervenir en temps réel. Nous avions surtout des relations avec le GSPR.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Y avait-il un tel homme auparavant à l'Élysée ?
M. Frédéric Auréal . - Une personne avait le même rôle dans le cabinet de François Hollande, chargé de la coordination et de la facilitation des relations. Mais nos correspondants étaient toujours les chefs de cabinet.
M. Alain Richard . - Je continue de chercher des faits objectifs, et je n'ai pas entendu de description de situations localisées et datées durant lesquelles M. Benalla se trouvait là où il ne devait pas être. M. Benalla s'est-il trouvé dans des réunions de planification où il n'aurait pas dû être ?
M. Frédéric Auréal . - Vous me demandez des faits, je vous donnerai des exemples précis, à partir du 30 avril, où vous verrez que M. Benalla n'est pas présent. Lors de la mission de reconnaissance pour le 8 mai, M. Benalla n'était pas là. De même pour la mission de reconnaissance pour l'accueil du Premier ministre israélien le 28 mai, celle de la visite du Grand Palais le 4 juin, le 22 juin lors de la réunion de cadrage pour l'hommage à Simone Veil, le 25 juin lors de la mission de reconnaissance pour cette cérémonie, le 25 juin pour la préparation du congrès de Versailles, dirigées par le chef de cabinet : il n'était pas là. Je l'ai vu lors de la préparation du 14 juillet et la dernière fois, à l'occasion de la préparation du retour de l'équipe de France de football, où chacun avait son rôle qui lui était assigné. Nous étions dans une logique opérationnelle d'accueil des personnalités et du public.
M. Éric Kerrouche . - Il y a tout de même deux situations où M. Benalla n'aurait pas dû être présent : le 1 er mai, si l'on en croit les vidéos diffusées, et lors de la réunion le même soir.
M. Frédéric Auréal . - Je n'ai pas compétence pour apprécier la présence de M. Benalla le 1 er mai.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Les dates que vous citez se situent toutes après le 1 er mai.
M. Frédéric Auréal . - Sur la période antérieure, je n'ai pas d'éléments supplémentaires, mais le Président s'est beaucoup déplacé à l'étranger.
M. François Grosdidier . - À vous entendre, il semble que le rôle de M. Benalla se soit strictement limité à l'organisation des déplacements : on nous a dit qu'il participait à l'organisation des déplacements publics et qu'il organisait lui-même les déplacements privés. Il apparaît aussi comme quelqu'un qui se préoccupe des questions de sécurité, puisqu'il a été intégré à la réserve opérationnelle spécialisée de la gendarmerie en raison de son expertise sur la protection des hautes personnalités. Puis, il a tous les attributs d'un policier, et notamment le port d'arme, ce qui est un peu curieux. De plus, il se présente comme chef adjoint de cabinet alors qu'il ne l'est pas. Or, cela lui permettait sans doute de se substituer au chef de cabinet pour les sujets sur lesquels il est plus spécialisé que celui-ci. On a donc du mal à croire qu'il ne s'intéressait pas aux questions de sécurité.
On nous dit qu'il n'était jamais armé lors des déplacements publics. Quid des déplacements privés ? Le GSPR veille-t-il sur le Président de la République 24 heures sur 24 et 365 jours sur 365, ou celui-ci a-t-il parfois été laissé à la surveillance de M. Benalla ? On a annoncé une réforme du GSPR et sa fusion avec le commandement militaire. Dans cette hypothèse, la sécurité du Président échapperait-elle au service de protection ? Deviendrait-elle totalement autonome ?
M. Philippe Bas , président . - On nous a expliqué la différence entre chef adjoint de cabinet et adjoint au chef de cabinet. Si j'ai bien compris, M. Benalla n'a jamais été chef adjoint du cabinet. Il a été l'un des deux adjoints au chef de cabinet, ce qui est moins important...
M. Frédéric Auréal . - Sur la réflexion qui est en cours à l'Élysée, je vous répondrai tout simplement ce qu'a répondu le ministre : il faut que le lien avec le ministère de l'intérieur subsiste. Je n'ai pas d'autres commentaires.
Le ministère dont je dépends a émis un avis négatif sur la demande de port d'arme de M. Benalla. J'étais extrêmement défavorable au fait qu'une personne privée n'appartenant pas à la police puisse être armée en présence d'un dispositif de protection constitué de professionnels aguerris. Je l'avais fait savoir et j'ai été soutenu par mon ministre.
Je pense que le GSPR veille sur le Président en permanence, mais son chef vous le dira mieux que moi.
M. Pierre-Yves Collombat . - Le secrétaire général du syndicat des commissaires de la police nationale nous a indiqué que M. Benalla était régulièrement présent dans les dispositifs opérationnels, dont il pilotait certains aspects, sans qu'on sache qui l'a mandaté pour cela. Il explique que, face à quelqu'un qui représente - même si c'est de façon indue - une autorité qui est supérieure à la leur, les policiers sont un peu désarmés. Confirmez-vous ces informations ?
M. Frédéric Auréal . - Je n'ai pas de commentaire à faire sur les déclarations d'un responsable syndical de haut rang. Pour ma part, je n'aurais jamais accepté que M. Benalla donne des instructions à mes effectifs, et je crois que le chef du GSPR vous dira la même chose, tout comme le général Bio Farina. J'ajoute que je n'ai jamais vu M. Benalla tenter ce type d'opération.
Mme Esther Benbassa . - Mais nous l'avons vu sur les images ! Alors que faisait-il ? Il jouait au cow-boy ?
M. Philippe Bas , président . - M. Benalla a-t-il exercé de fait la fonction de garde du corps du Président de la République, en particulier pour ses déplacements privés ? Le GSPR n'aurait pas manqué de le savoir.
M. Frédéric Auréal . - C'est pourquoi je vous renvoie à son chef. Quant au lien de confiance entre le Président de la République et M. Benalla, je n'ai pas à le commenter.
M. Philippe Bas , président . - Merci.
Audition de M. Jacques
Toubon,
Défenseur des
droits
(Mercredi 25 juillet 2018)
M. Philippe Bas , président . - J'ai souhaité que nous entendions le Défenseur des droits en raison notamment des travaux qu'il a effectués sur la déontologie dans les missions de sécurité.
M. Jacques Toubon, Défenseur des droits . - J'ai été honoré que vous m'ayez placé parmi les personnalités entendues par votre mission d'information en forme de commission d'enquête au sein de votre commission des lois, et je défère d'autant plus volontiers à votre invitation qu'elle ne souffre aucune possibilité d'être contredite !
Ce que je vais vous dire est d'une nature différente de ce que vous avez entendu jusqu'à présent, dans la mesure où les personnes qui ont été entendues par votre commission sont des acteurs directs ou indirect des faits sur lesquels vous enquêtez. Pour ma part, ce que je peux vous apporter, c'est un éclairage sur une notion apparue il n'y a pas si longtemps dans notre pays, à la fin des années 1990 : la déontologie de la sécurité. C'est le Défenseur des droits qui, depuis la réforme constitutionnelle de 2008 et la loi organique de 2011, en est chargé. Il est vrai que vous êtes déjà bien informés par votre mission récente sur l'état des forces de sécurité intérieure, dont le rapporteur était M. Grosdidier.
L'article 4 de la loi organique du 29 mars 2011 confie au Défenseur des droits, parmi les cinq missions qui sont les siennes, celle de veiller au respect de la déontologie par les personnes exerçant une activité de sécurité sur le territoire de la République. Son contrôle s'applique aux policiers nationaux, aux militaires de la gendarmerie, aux policiers municipaux, aux agents de l'administration pénitentiaire, aux douaniers, aux agents de surveillance des transports - auxquels les lois récentes ont attribué des prérogatives qui les rapprochent beaucoup des forces de police et de gendarmerie - aux agents de sécurité privée, de surveillance et de gardiennage et aux enquêteurs privés.
Dans le cadre de cette mission sur le respect de la déontologie par les services de sécurité, le Défenseur des droits traite des réclamations individuelles, mène des réflexions sur des sujets d'intérêt général - la doctrine du maintien de l'ordre, le juste usage des armes de force intermédiaire -, il met en place des actions de sensibilisation, notamment par les formations que nous dispensons dans les écoles de police, de gendarmerie ou de l'administration pénitentiaire, il rend des avis au Parlement sur les projets de loi - sur la loi Savary, par exemple, et nous avons beaucoup travaillé avec votre commission pendant toute la période de l'état d'urgence sur les lois destinées à lutter contre le terrorisme ou sur la loi qui a modifié les termes de la légitime défense pour les policiers - et il réalise des missions d'observation - par exemple lors du démantèlement de camps de migrants à Calais ou à Paris, ou dans d'autres circonstances où une observation indépendante est utile.
En 2017, nous avons reçu 1 228 saisines dans le domaine de la déontologie de la sécurité. Dans le cadre des enquêtes qu'il fait sur les réclamations individuelles, le Défenseur des droits peut demander la communication de pièces administratives ou judiciaires. Le secret de l'enquête ou de l'instruction ne peut lui être opposé. Les pièces couvertes par le secret médical ou par le secret professionnel entre l'avocat et son client lui sont également accessibles si la personne concernée lui en donne l'autorisation. Il peut effectuer des vérifications sur place, procéder à l'audition des réclamants, des témoins et des mis en cause, qui peuvent se faire assister par la personne de leur choix. Dès lors qu'une enquête judiciaire est en cours ou qu'une juridiction est saisie sur les mêmes faits, comme c'est le cas dans la présente affaire, le Défenseur des droits à l'obligation de solliciter l'accord de l'autorité judiciaire avant de mettre en oeuvre ses pouvoirs d'investigation.
Tous les éléments réunis au cours des investigations - témoignages, rapports administratifs, éléments d'enquête judiciaire, certificats médicaux ou vidéos - sont présentés et débattus contradictoirement au cours des auditions, puis par écrit dans une note récapitulative, adressée au mis en cause, et à laquelle celui-ci doit répondre avant que nous ne prenions une décision.
L'enquête aboutit à une décision écrite qui peut, en cas de manquement avéré, être assortie de recommandations visant à en prévenir le renouvellement et portant sur la nécessité d'engager des poursuites disciplinaires à l'encontre de l'agent mis en cause, de modifier des textes législatifs ou réglementaires ou de changer des pratiques.
Moins de 10 % des cas qui me sont présentés entraînent de ma part une déclaration de manquement : nous sommes une sorte de surveillant général pour la police. Parmi les dix demandes de poursuites disciplinaires que j'ai formulées en 2017, trois ont mis en cause des comportements violents en cours d'opérations de maintien de l'ordre. L'une portait sur l'utilisation d'un lanceur de balles de défense 40-46 de manière dissuasive et les deux autres, sur des violences commises à l'encontre de manifestants à Paris.
C'est fort de son expérience, de ces constats et de sa connaissance des règles qui régissent le comportement professionnel des membres des forces de sécurité que le Défenseur des droits s'efforcera de contribuer à la mission de contrôle qu'exerce en ce moment la représentation nationale. En l'occurrence, je suis en mesure de vous apporter un éclairage sur le rôle des policiers nationaux concernant la présence d'observateurs extérieurs au sein d'une manifestation, leur encadrement, les limites de leurs prérogatives, les signes distinctif dont ils peuvent être porteurs. Je puis également vous faire part de réflexions générales, dès lors que je ne suis pas saisi, sur la réaction des policiers lorsque les observateurs prennent une part active à une opération de maintien de l'ordre et sur les suites à donner à un usage de la force susceptible d'être qualifié, selon la déontologie de la sécurité, de disproportionné.
Quid de l'éventuelle compétence du Défenseur des droits sur M. Benalla, dès lors qu'il est habilité à exercer des activités de sécurité privée par le conseil national des activités privées de sécurité ? Il conviendrait de connaître son rôle et ses missions exactes pour déterminer s'il exerce à titre principal une activité de sécurité.
La présente affaire pose la question du cadre juridique prévoyant la présence d'observateurs accompagnant les forces de l'ordre. À notre connaissance, ce cadre n'est pas formalisé par des notes ou des instructions. Cependant, même si elle n'est pas formalisée, la présence d'observateurs accompagnant les forces de l'ordre reste possible, et c'est ainsi qu'à ma demande, en lien avec le ministre de l'intérieur et le préfet de police de Paris, plusieurs de mes agents ont été observateurs au cours d'opérations de maintien de l'ordre.
Cela a été le cas à l'invitation du ministre de l'intérieur, M. Cazeneuve, à Calais, à l'occasion du démantèlement du camp de la Lande, en octobre 2016 ; mais aussi, après avoir informé le préfet de police, à l'occasion du démantèlement du camp de migrants de Stalingrad, à Paris, en novembre 2016 ; également, sur invitation du préfet de police lors du défilé du 14 juillet 2017 ; très récemment, enfin, après avoir informé le préfet de police à l'occasion de l'évacuation du campement de migrants de la Villette, le 30 mai 2018. Chacune de ces missions d'observation a été préparée en toute transparence, avec la collaboration des autorités de police, par le biais de contacts téléphoniques, puis formalisée par des échanges de mails et de courriers.
Sur chacune de ces opérations, les agents du Défenseur des droits avaient pour unique mission d'observer le travail des forces de l'ordre et la prise en charge des migrants, et avaient pour instructions de ne pas intervenir dans les opérations en cours. Ils disposaient d'un numéro de téléphone leur permettant de se mettre rapidement en contact avec un policier référent joignable en cas de difficultés. Ils étaient présents à la fois sur le terrain avec les policiers et les gendarmes, et au centre d'information et de commandement pour avoir une vision plus globale du déroulement des opérations.
Ils ont également eu pour consigne de présenter systématiquement leur statut et le but de leur présence lorsqu'ils entraient en contact avec une personne, quelle que soit sa qualité, et étaient aisément identifiables par le port d'un brassard bleu, sur lequel étaient inscrits : « Défenseur des droits » et « République Française ».
À l'issue de ces opérations d'observation, qui se sont toujours déroulées dans de bonnes conditions, y compris dans les circonstances les plus difficiles, notamment lors du démantèlement du camp de la Lande, en octobre 2017, les agents du Défenseur des droits ont systématiquement rédigé des rapports mentionnant leurs constats.
Dans la présente affaire, il est difficile de déterminer avec certitude la procédure qui a été suivie pour solliciter et obtenir une habilitation pour être observateur. Ce que nous faisons dans le cadre de nos missions ne répond en effet à aucune règle préétablie. Une autre difficulté consiste à identifier la personne qui a eu autorité pour délivrer l'habilitation. Il faudrait aussi préciser le but de la présence des observateurs, en général, et en l'espèce, au regard de leurs fonctions à l'Élysée ; les instructions transmises aux observateurs sur leurs prérogatives et leur marge de liberté ; les signes devant être portés par les observateurs susceptibles de les identifier sans les confondre avec des membres des forces de l'ordre qu'ils ne sont pas ; les mesures de sécurité qui ont été prises pour éviter qu'un observateur soit mis en danger, car le port d'un casque de policier par un seul des observateurs, alors que ni le deuxième observateur ni le référent n'en portaient, interroge. Enfin, il faudrait affiner le rôle du policier référent qui dans la présente affaire accompagnait les deux observateurs ; définir s'il y a eu obligation pour les observateurs et leur référent de rédiger des rapports à l'issue de l'observation ; et vérifier que des réunions de préparation et de compte rendu ont été organisées pour que l'observation se passe dans les meilleures conditions, et donne lieu à un retour d'expérience sur les éventuelles difficultés rencontrées.
Aucune règle n'existe sur ces points, seulement des habitudes et des façons de faire au caractère incertain. Je recommande par conséquent, de formaliser un cadre juridique sur la présence d'observateurs accompagnant les forces de l'ordre concernant notamment la situation des référents, ce qui devrait permettre, à l'avenir, de résoudre certaines des difficultés soulevées par la présente affaire.
Sur les faits qui se sont produits le 1 er mai 2018, mes services mèneraient une instruction contradictoire en demandant communication des différents rapports qui ont été rédigés, des enregistrements vidéo conservés et en procédant aux auditions des protagonistes. Dès lors que je ne suis pas saisi, mes observations sont formulées sous forme d'interrogations, et non de constats sur le déroulement des faits. Autrement dit, qu'aurait fait le Défenseur des droits s'il avait été saisi, en mettant en oeuvre les méthodes d'instruction qu'il utilise afin d'accomplir sa mission de contrôle de la déontologie de la sécurité ?
Sur l'une des vidéos, il semble que l'on aperçoit les deux personnes interpellées jeter chacune un projectile sur les forces de l'ordre. Si ces faits étaient confirmés, les conditions pour procéder à leur interpellation paraîtraient réunies. Reste à déterminer qui a donné l'ordre de procéder aux deux interpellations visibles sur les vidéos. Pour quelles raisons les observateurs, dont on sait désormais qu'ils ne sont pas membres des forces de l'ordre, ont-ils pris une part active dans l'interpellation de deux personnes, notamment en faisant usage de la force à leur encontre ? Pour quelles raisons cet ordre n'a-t-il pas été exécuté exclusivement par des policiers ?
Les images vidéo pourraient laisser penser que l'usage de la force par les deux observateurs au cours de leur intervention n'est pas proportionné au comportement des deux personnes interpellées au moment où ces gestes sont pratiqués. Ces gestes ne semblent pas correspondre aux gestes techniques enseignés aux policiers.
De façon générale, le Défenseur des droits apprécie la proportionnalité de l'usage de la force au regard du but poursuivi lors de l'intervention, du contexte d'intervention, du comportement de la personne appréhendée et des lésions médicalement constatées après l'intervention. Des éléments touchant à la personne du réclamant, tels que l'âge ou l'état de santé, entrent également en ligne de compte de même que les gestes techniques ou l'arme utilisés.
Ainsi, parmi les nombreuses affaires traitées en la matière depuis sa création, le Défenseur des droits a constaté un usage disproportionné de la force et recommandé des sanctions disciplinaires dans sept affaires s'étant déroulées dans un contexte de maintien de l'ordre. Trois de ces affaires concernaient un usage disproportionné de lanceurs de balles de défense sur des manifestants alors que les circonstances ne le justifiaient pas ; une autre concernait l'utilisation de gaz lacrymogène sur des manifestants pacifiques ; deux affaires concernaient des coups portés à des manifestants maîtrisés ; et une affaire plus récente, portée devant le Collège consultatif de la déontologie de la sécurité, concernait un manifestant piétiné à l'occasion d'un bond offensif des forces de l'ordre.
La légitimité et l'intensité de l'usage de la force par le personnel en charge de la sécurité pose problème. Faut-il accepter une forte intensité ? Ou bien, au contraire, la diffusion des images sensibilise-t-elle à un usage de la force trop violent ? La réaction des policiers pendant que les observateurs font usage de la force interroge. Que voient-ils ? Que font-ils ? Quelles instructions reçoivent-ils ? Que savent-ils du statut des deux observateurs ? Il semble que les policiers s'éloignent de l'action et qu'aucun agent de la force publique ne s'interpose lorsque M. Benalla maîtrise violemment le jeune homme. Est-ce que les images vidéo donnent une vision exacte de la situation ? Les policiers pensent-ils avoir affaire à un collègue ? Connaissaient-ils le statut des deux observateurs ? Les policiers pensent-ils que l'usage de la force à l'encontre du jeune homme est proportionné ?
Sur les différentes vidéos qui circulent dans les médias, il semble que le policier référent chargé de prendre en charge les deux observateurs est régulièrement en retrait de l'action et n'intervient pas pour expliquer aux observateurs le cadre et les limites de leur présence, ni auprès des autres policiers présents.
Mon quatrième point porte sur les suites données à ces événements. Les policiers présents ont-ils rédigé des rapports à l'issue de leur mission, comme c'est la norme dans les réclamations traitées par le Défenseur des droits, notamment sur les violences dont ils ont été témoins et qui ont fait l'objet de l'ouverture d'une information judiciaire après la diffusion des vidéos sur les réseaux sociaux, c'est-à-dire après le 18 juillet ?
La hiérarchie des policiers, informée très rapidement après les faits grâce aux vidéos circulant sur les réseaux sociaux, a-t-elle demandé des rapports circonstanciés aux policiers qui sont intervenus ?
Pour quelles raisons ces faits, vraisemblablement décrits dans des rapports, semblent ne pas avoir eu immédiatement de suites, ni judiciaires en vertu de l'article 40 du code de procédure pénale, ni administratives avec une saisine de l'IGPN ?
L'absence de saisine de l'IGPN dès le 1 er mai s'explique-t-elle par le fait que les observateurs ne sont pas policiers ou parce que les réactions des policiers visibles sur les vidéos ne sont pas susceptibles de révéler des manquements ? Au regard des incertitudes qui semblaient exister sur le statut des protagonistes et sur les responsabilités prises par les membres de la hiérarchie policière, on pourrait s'interroger sur l'éventualité d'une enquête immédiate de l'IGPN.
Il semble que le Conseil national des activités privées de sécurité, le CNAPS, ait délivré une habilitation à M. Benalla, le 9 juillet 2018, pour être dirigeant d'une entreprise de sécurité privée. Cette habilitation aurait-elle été remise en cause si les faits du 1 er mai avaient donné lieu à une enquête judiciaire ou administrative ?
Permettez-moi pour conclure de souhaiter que la présente situation ne nuise pas à la pratique des observateurs, car l'observation extérieure et indépendante est une garantie de transparence indispensable au bon fonctionnement des services publics, singulièrement de ceux qui sont chargés des missions particulièrement difficiles de la sécurité et du maintien de l'ordre.
À cet égard, permettez-moi de rappeler quelles sont les préoccupations du Défenseur des droits s'agissant de la doctrine du maintien de l'ordre, ainsi que ses propositions. Au début de l'année 2017, nous avions reçu une demande d'étude du président de l'Assemblée nationale, M. Claude Bartolone, que nous avons remise en janvier 2018 à son successeur, M. François de Rugy. Cette étude, conduite sous ma responsabilité par Claudine Angeli-Troccaz, dresse un bilan des outils et des méthodes du maintien de l'ordre au regard des règles de déontologie. Je me suis appuyé sur une quarantaine de professionnels compétents en la matière, sur des éléments comparatifs internationaux et, enfin, sur des recommandations formulées à l'issue du traitement de réclamations individuelles.
Il serait souhaitable que les recommandations issues du rapport soient prises en compte dans le cadre des travaux que mène aujourd'hui la police nationale en vue de faire évoluer la doctrine du maintien de l'ordre. Elles me semblent pouvoir vous éclairer dans le cadre de vos travaux.
Ces recommandations sont au nombre de trois.
Premièrement, la gestion du maintien de l'ordre doit reposer sur l'emploi de forces professionnalisées et formées, comme les compagnies républicaines de sécurité et la gendarmerie mobile, alors que la pratique du maintien de l'ordre est aujourd'hui assez disparate. Elle diffère entre l'Île-de-France et les régions, entre les unités constituées et spécialisées en maintien de l'ordre et celles qui ne le sont pas. Ce constat appelle un renforcement de la formation et du contrôle des forces chargées de l'ordre public.
Deuxièmement, dans le cadre du maintien de l'ordre, les personnels recourent à de multiples armes de force intermédiaires, dont certaines, bien qu'elles soient qualifiées de « non létales », sont susceptibles de provoquer des dégâts considérables, voire d'entraîner des décès. Nous sommes saisis de plusieurs cas de blessures graves ou de décès à la suite de l'utilisation de ces armes lors de manifestations. Sont en particulier concernés les deux lanceurs de balles de défense « LBD 40x46 » et le Flash-Ball superpro, qui sont souvent utilisés sans respecter toutes les règles d'emploi. Si le Flash-Ball superpro ne fait pas partie de la dotation des gendarmes mobiles et s'il a été retiré de la dotation des policiers nationaux, preuve que les objurgations du Défenseur des droits ont eu quelque efficacité, il fait encore partie de la dotation d'autres unités de gendarmerie susceptibles d'intervenir en maintien de l'ordre, en renfort des gendarmes mobiles. J'ai donc recommandé que tous les lanceurs de balles de défense soient retirés de la dotation des forces de sécurité qui interviennent en maintien de l'ordre.
Troisièmement, j'ai constaté une certaine judiciarisation du maintien de l'ordre, ce qui me paraît soulever des difficultés au regard de l'équilibre entre les enjeux de sécurité, qui sont clairs, et la protection des libertés publiques. J'ai donc recommandé de recentrer le maintien de l'ordre sur la mission de police administrative de prévention et d'encadrement de l'exercice de la liberté de manifester, dans une approche d'apaisement, de désescalade, et de protection des libertés individuelles. J'ai proposé de renforcer la communication et le dialogue dans la gestion de l'ordre public, avant et pendant le déroulement des manifestations, afin notamment de rendre plus compréhensible l'action des forces de sécurité et de favoriser la concertation. Enfin, j'ai proposé de limiter le recours à certaines techniques attentatoires aux libertés, telles que l'encagement, les contrôles délocalisés, ce qui soulève à nouveau la question plus générale des contrôles d'identité, et d'autres pratiques mises en oeuvre dans le cadre de l'état d'urgence (les zones de protection, les filtrages, etc .).
S'interroger sur l'ensemble des questions que peut poser le maintien de l'ordre aujourd'hui pourrait permettre à la Haute Assemblée, souvent avide de réflexions en profondeur, de mieux appréhender le contexte d'une affaire ponctuelle - une information judiciaire est en cours -, mais aussi un enjeu très fort pour la démocratie : comment assurer la liberté de manifester, c'est-à-dire le respect des libertés publiques, tout en garantissant la sécurité des manifestants, de ceux qui ne manifestent pas, et des forces de sécurité, conformément, notamment pour ces dernières, aux principes et aux règles de la déontologie de la sécurité ?
M. François Pillet , président . - Merci, monsieur le Défenseur des droits, de ce propos liminaire. Certaines de vos questions et de vos réserves rejoignent incontestablement les nôtres. Vous avez axé une partie de vos propos sur la présence d'observateurs, dont l'utilité est reconnue, la question étant de savoir comment elle peut être mieux encadrée et circonscrite. La commission jugera s'il y a lieu sur ce point d'effectuer ou non une recommandation, avec le degré de force qui lui apparaîtra nécessaire.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Vous le savez, monsieur le Défenseur des droits, une vidéo tournée lors des manifestations du 1 er mai a été diffusée sur les réseaux sociaux dès le 2 mai. On y voit une personne intervenant de manière un peu rugueuse, sans maîtriser les gestes techniques de l'interpellation, au milieu des forces de police. Cette personne a été identifiée comme étant un observateur, M. Benalla, ayant probablement échappé à son référent policier, chargé de le protéger et de vérifier qu'il ne se comportait pas de manière inappropriée. Ces informations ont été portées à la connaissance du ministère de l'intérieur dès le 2 mai, mais celui-ci n'a pas saisi l'IGPN pour connaître notamment les circonstances de ces actes.
Le 18 juillet, une nouvelle vidéo est médiatisée. On y voit la même personne, dans des circonstances un peu différentes, de sorte qu'apparaissent à l'écran de nouveaux éléments : on constate que cet observateur portait un brassard de police et qu'il conversait avec une radio de police. Le ministère de l'intérieur a alors saisi l'IGPN, au motif, comme l'a déclaré M. le ministre de l'intérieur au cours de son audition, que le port du brassard et la détention de la radio étaient des éléments suffisants pour justifier cette saisine.
Estimez-vous, au regard de ces éléments, que l'IGPN aurait dû être saisie dès le visionnage de la première vidéo de l'interpellation le 2 mai ?
M. François Pillet , président . - Je souhaite ajouter une précision. Le délai entre les évènements et leur révélation par la presse a fait que la plupart des vidéos les concernant ont disparu, puisque les vidéos de vidéosurveillance sont conservées pendant trente jours.
M. Jacques Toubon. - Concernant la saisine de l'IGPN, je distinguerai une saisine pour une enquête purement administrative, portant alors sur des policiers, et non sur les deux observateurs, une enquête au champ étroit donc, et une ouverture d'enquête judiciaire, dont l'IGPN a le pouvoir, ouverture justifiée par la violence des faits, éventuellement constitutifs d'une infraction pénale. La directrice de l'IGPN a justement expliqué, ce matin lors de son audition, qu'il n'y avait pas eu de telle saisine car la force employée avait été considérée comme proportionnée. À partir de cette réflexion, j'ai posé tout à l'heure la question de la légitimité et de l'intensité de l'usage de la force par les forces de sécurité. De mon point de vue, la question pouvait vraiment se poser d'ouvrir, en tous cas, une enquête judiciaire au moment des faits, mais je me garderai bien de donner mon opinion parce que je n'ai aucun titre à le faire.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Ma question de la saisine de l'IGPN concernait les personnes qui connaissaient le statut d'observateur de M. Benalla et qui savaient que l'on était totalement hors du cas d'une interpellation normale.
M. Jacques Toubon. - Là, je serais bien impuissant à sonder les coeurs de ces personnes...
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Votre discours liminaire est précieux, il m'a fait penser à la possibilité de réfléchir à une proposition de loi permettant d'encadrer le statut d'observateur, qui reste assez flou. Il est par ailleurs étonnant de constater que le ministre de l'intérieur et le préfet de police de Paris ont été informés des évènements par l'Élysée, et non par la police nationale. Or, compte tenu de la gravité des faits, il aurait été normal que le responsable de la sécurité publique sur place rende compte de l'évènement au Préfet de police et au ministre de l'intérieur.
Concernant l'article 40 du code de procédure pénale, la question de son application a été posée au ministre de l'intérieur et au préfet de police de Paris. Ils ont répondu que, l'Élysée ayant été saisi, c'était à l'Élysée de saisir la justice. Quelle est votre opinion sur le fait que tout le monde se dérobe quant à l'application de l'article 40 ?
Par ailleurs, lorsque quelqu'un dysfonctionne aussi gravement, il est indispensable qu'il y ait une sanction. Il y a eu une mise à pied de quinze jours, et une retenue sur salaire. Mais ensuite, M. Benalla est revenu, plus ou moins dans les mêmes fonctions. Si j'avais été son patron, je l'aurais exfiltré totalement, par exemple dans un service administratif. Je ne l'aurais pas replacé en première ligne sur des opérations de sécurité et de protection. La question de la traduction concrète du dessaisissement des questions de sécurité a été posée au directeur de cabinet du Président de la République. Ce dernier a répondu que M. Benalla a continué à s'occuper des déplacements privés du Président. Mais il s'est aussi occupé de l'accueil des footballeurs à Roissy, des cérémonies du 14 juillet et de l'entrée au Panthéon de Simone Veil. Il y a eu maldonne dans le sens où M. Benalla a eu des fonctions analogues avant et après les évènements du 1 er mai : cela vous paraît-il normal ?
M. Jacques Toubon. - Sur la deuxième question, je ne peux que proposer des solutions respectueuses du droit et des droits, y compris de la personne concernée. Je récuse la pratique des sanctions dissimulées. Dans des réclamations que nous recevons en matière de discrimination, nous voyons des personnes à qui sont confiés des dossiers inférieurs. Cela ne constitue pas une sanction mais s'apparente à une discrimination. Je ne peux pas juger du cas de la personne en cause en l'espèce, mais la règle de droit, y compris le droit du travail, doit s'appliquer. Concernant l'article 40 du code de procédure pénale et son application, ma réponse est liée à l'indépendance et l'impartialité du statut constitutionnel du Défenseur des droits. Si j'avais été saisi des faits en cause, je les aurais signalés au procureur de la République, comme je l'ai fait à l'occasion de la manifestation contre la loi « travail » par ma décision n° 2017-320 du 1 er décembre 2017. Mais aujourd'hui je ne suis pas devant vous comme simple citoyen mais comme Défenseur des droits. Je n'ai donc pas à exprimer d'opinion.
Mme Esther Benbassa. - J'aimerais apporter une rectification. En effet, M. Alexandre Benalla n'a pas eu comme sanction une retenue sur son traitement mais une retenue sur des congés payés non pris. M. le Défenseur des droits, avez-vous déjà eu connaissance d'incidents impliquant des observateurs dans des manifestations ? Ce 1 er mai 2018, place de la Contrescarpe, l'intervention des CRS était-elle justifiée ? L'inspection générale de la police nationale, par sa directrice Mme Moneger-Guyomarc'h, a évoqué devant nous des gestes techniques mal maîtrisés qui n'ont pas entraîné de préjudice. M. Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République, a déclaré qu'il n'y avait pas eu d'acharnement de M. Benalla sur les personnes frappées. Enfin, vous avez évoqué un agrément délivré à M. Alexandre Benalla pour créer une entreprise de sécurité privée. C'est un élément nouveau.
M. Jacques Toubon. - Une habilitation a été délivrée en 2014, valable jusqu'en 2019 comme agent de sécurité privée. La question est de savoir si l'activité de M. Benalla était celle d'un agent de sécurité privée, auquel cas je serais compétent.
Je n'ai pas eu à connaître de cas mettant en cause des observateurs. En revanche, des observateurs peuvent être victimes d'agissements et venir porter réclamation auprès de moi, comme par exemple des journalistes pris à partie. Je ne peux pas vous dire comment se déroulait la manifestation du 1 er mai 2018 à l'endroit précis évoqué. Mais l'usage de la force et son degré sont de vraies questions. Peut-être seront-elles élucidées par l'information judiciaire.
Mme Laurence Harribey. - Vous avez parlé d'un élément distinctif des observateurs lors de manifestations. En existe-t-il d'autres ? D'après nos auditions, les observateurs seraient également équipés d'un casque et d'un gilet pare-balles.
M. Jacques Toubon. - Les journalistes revêtent des éléments distinctifs lors des manifestations, y compris lorsqu'ils ne sont que simples observateurs. Établir une règlementation est indispensable pour sortir de ce flou mais ce sera difficile car l'observation comprend le travail de la presse qui ne peut être encadré. Un journaliste ne demande pas d'autorisation pour exercer son métier. Des ONG sont présentes dans les manifestations avec pour mission par exemple la prise en charge sanitaire. Leurs membres portent des signes distinctifs. Les exigences minimales du statut d'observateur seraient faciles à déterminer.
M. François Pillet, président. - Nous vous remercions Monsieur le Défenseur des droits, vous connaissez l'attachement du Sénat au respect des droits et libertés fondamentales.
M. Jacques Toubon. - Ma mission, définie à l'article 71-1 de la Constitution, m'amène à aider la représentation nationale dans sa tâche.
Audition de M. Alexis
Kohler,
secrétaire général de la présidence de
la République
(Jeudi 26 juillet 2018)
M. Philippe Bas , président . - La commission des lois du Sénat a créé en son sein une mission d'information, confiée à deux rapporteurs, Mme Muriel Jourda et M. Jean-Pierre Sueur, afin d'éclaircir l'enchaînement des faits et des décisions prises à la suite du très regrettable incident intervenu le 1 er mai sur la place de la Contrescarpe, qui a mis en cause un collaborateur du Président de la République dans le cadre de sa participation à une opération de maintien de l'ordre. Par un vote unanime, le Sénat a accordé à la commission des lois, pour mener les travaux de ladite mission d'information et dans le strict cadre de son intitulé, les pouvoirs d'investigation d'une commission d'enquête en matière de convocation, de sanction applicable aux faux témoignages et d'accès aux pièces nécessaires à l'établissement de la vérité. Nos auditions sont publiques et ouvertes à la presse. Nous nous attachons à établir la vérité des faits, à lever les contradictions constatées dans les propos des différents responsables et à apporter des précisions lorsque les réponses obtenues apparaissent trop vagues. Notre commission n'est pas un tribunal : une audition diffère d'une comparution et nous ne prononçons évidemment aucune sanction. Il s'agit seulement, je le répète, d'établir la vérité, de circonscrire les zones d'ombre, qui demeurent et de préconiser des voies d'amélioration du fonctionnement de l'État, dans le respect du principe de la séparation des pouvoirs, de l'État de droit et de la tradition républicaine. Notez que, d'un point de vue constitutionnel, la séparation des pouvoirs s'applique également aux relations entre le Président de la République et le Gouvernement, qui seul dispose de l'autorité sur l'administration. Toute interférence d'un collaborateur du Président de la République dans le fonctionnement de l'administration ressort d'un grave désordre. Notre enquête concerne, en outre, la question particulière de l'organisation de la sécurité du Président de la République, qui ne relève pas uniquement des affaires internes de l'Élysée. Son bon fonctionnement représente, en effet, une garantie nécessaire de la stabilité des institutions et de la sécurité de l'État. Elle doit, en conséquence, être exclusivement confiée à des fonctionnaires de police et de gendarmerie formés à cette tâche et coordonnés par un service de l'État. Une réforme de l'organisation de la sécurité du Président de la République est en cours, sous l'autorité de son directeur de cabinet. Son pilotage, compte tenu des circonstances récentes, va-t-il vous être confié ?
S'agissant d'une commission d'enquête, je dois vous demander de prêter serment.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Alexis Kohler prête serment.
M. Alexis Kohler, secrétaire général de la présidence de la République . - Mon propos liminaire sera fort bref. Je partage sans réserve les propos tenus devant la commission par M. Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République, et approuve les réponses qu'il a apportées à vos questions. M. Strzoda est un préfet d'une grande expérience doté d'un sens de l'État reconnu ; je lui accorde ma totale confiance et j'estime être chanceux de le compter parmi mes collaborateurs quotidiens. Le Président de la République a effectivement autorisé plusieurs collaborateurs à venir s'exprimer devant les commissions d'enquête parlementaires, afin d'établir la vérité, mais dans le strict respect de la séparation des pouvoirs, qui interdit que soient évoqués des faits sur lesquels des poursuites judiciaires sont en cours, ainsi que toute question relative à l'organisation interne de la présidence de la République.
Je me trouvais, le 1 er mai, dans mon bureau, régulièrement informé par le directeur de cabinet du déroulement de la manifestation fort agitée. Je tiens, à cet égard, à saluer l'engagement sans faille et le professionnalisme des forces de l'ordre. Les événements de la place de la Contrescarpe ne furent, alors, nullement mentionnés. Le lendemain dans la matinée, le 2 mai donc, le conseiller en charge des réseaux sociaux, ainsi que M. Strzoda, m'ont informé de la circulation en ligne d'une vidéo sur laquelle figuraient les agissements de M. Benalla sur ladite place. Le directeur de cabinet m'a indiqué qu'il l'avait déjà convoqué et que ce dernier avait, devant lui, reconnu sa présence sur les lieux et sa participation à des interpellations ; je m'assure que la préfecture de police et le cabinet du ministre de l'intérieur ont été contactés pour corroborer la réalité des faits. En fin de journée, M. Strzoda m'a indiqué qu'il avait décidé une sanction disciplinaire, dont j'ai approuvé le principe. Son contenu - une mise à pied temporaire de quinze jours assortie d'une suspension de traitement et d'un changement de mission - a été porté à ma connaissance le 3 mai, date à laquelle elle fut également notifiée à M. Benalla, et elle m'a alors semblé proportionnée à la faute commise.
Après l'audition de M. Strzoda et les propos tenus devant vos collègues députés par les responsables du commandement militaire de l'Élysée et du groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR), je vous espère rassurés quant à l'absence d'une police parallèle ou d'une milice privée aux côtés du Président de la République : M. Benalla n'était nullement chargé de sa sécurité.
M. Philippe Bas , président . - Vous n'avez pas abordé en introduction, alors qu'il eût été utile de le préciser, votre rôle auprès du Président de la République. Votre fonction de secrétaire général de la présidence de la République, exception faite de votre éphémère notoriété lorsque vous annoncez la composition du Gouvernement sur le perron de l'Élysée, n'est pas connue du public. Pourriez-vous nous en préciser le contenu ?
M. Alexis Kohler . - Je vous remercie, monsieur le président, de me donner l'occasion d'améliorer quelque peu la furtive notoriété que me donne l'annonce de la composition du Gouvernement sur le perron de l'Élysée ! Vous avez occupé précédemment ce poste et savez que le secrétaire général de l'Élysée est le principal collaborateur du Président de la République. Il pilote son activité et celle de ses équipes, en particulier s'agissant des politiques publiques, en lien avec le Premier ministre et le Gouvernement. Il s'appuie, à cet effet, sur l'État-major particulier du Président de la République, sur le pôle diplomatique, sur le pôle régalien et sur les conseillers thématiques du cabinet. En outre, l'Élysée constitue une vaste maison (sur laquelle le rapport de la Cour des comptes récemment rendu public vous livrera diverses informations) d'environ 800 agents, dont les services support, ainsi que les membres du commandement militaire en charge de la sécurité des bâtiments et du GSPR missionné pour la sécurité du Président de la République. La gestion interne de la présidence de la République, notamment les questions budgétaires, de ressources humaines et de sécurité, relève du directeur de cabinet, qui me rend compte, raison pour laquelle mes réponses vous sembleront moins détaillées que celles apportées par M. Strzoda à vos interrogations.
M. Philippe Bas , président . - La sanction prise à l'encontre de M. Benalla le 2 mai était limitée à une mise à pied de quinze jours, assortie de différents éléments, dont une retenue sur salaire encore non effective. Mais il n'a pas été mis fin à ses fonctions et les faits n'ont pas été signalés au procureur de la République. Avez-vous rétrospectivement pris la mesure des risques que cet incident faisait courir au Président de la République et du trouble apporté au fonctionnement de l'État par le comportement de M. Benalla ? Avez-vous désormais conscience de la nécessité de réexaminer les conditions de collaboration entre les collaborateurs du Président de la République et les services dépendant du Gouvernement ?
M. Alexis Kohler . - Il n'y a jamais eu de doute sur le fait que le comportement de M. Benalla constituait une faute : la sanction est immédiatement apparue évidente et fut prise sans délai, comme l'indique le rapide enchaînement de décision que je vous ai exposé. Le contenu de ladite sanction doit, me semble-t-il, être apprécié à la lumière des éléments dont nous disposions alors : les images en circulation sur les réseaux sociaux, les informations transmises par la préfecture de police et le contexte particulier de violence lors de la manifestation du 1 er mai. La vidéo montre M. Benalla chapeauté d'un casque siglé, élément qui, dans un premier temps, m'a interpellé. Il m'a cependant été confirmé dès le 2 mai que la préfecture de police dotait habituellement les observateurs, dont l'accueil est régulier, d'équipements de protection lors de ce type d'opération. J'ai d'ailleurs, depuis, constaté sur des photographies la véracité de cette allégation. S'agissant de l'interpellation de manifestants par M. Benalla, je vous rappelle qu'elle n'a entraîné ni coup violent ni blessure, ce que vous a d'ailleurs confirmé la directrice de l'inspection générale de la police nationale (IGPN). Du reste, les intéressés n'ont pas déposé plainte, ni fait l'objet d'une interruption temporaire de travail (ITT). Les images font également état du contexte de violence, qui régnait alors sur la place de la Contrescarpe : une trentaine d'interpellations y ont été réalisées, sur les 276 auxquelles il a été procédé le 1 er mai. Les manifestants interpellés par M. Benalla avaient d'ailleurs préalablement agressé les forces de l'ordre.
M. Philippe Bas , président. - Monsieur le secrétaire général, permettez-moi de vous interrompre. Le 2 mai, alors que M. Benalla se voit infliger une sanction, il n'est pas mis fin à ses fonctions, il n'est pas décidé de saisir la justice. Aviez-vous conscience le 2 mai, ou avez-vous pris conscience depuis lors, des risques que faisait courir au Président de la République le maintien d'une collaboration avec un agent qui s'était ainsi comporté ? Avez-vous eu conscience à ce moment-là, ou pris conscience depuis, de la gravité du trouble apporté au fonctionnement de l'État par l'intrusion d'un collaborateur du Président de la République dans une opération de maintien de l'ordre ? Avez-vous pris conscience depuis de l'utilité qu'il y aurait à réexaminer les modalités générales de la collaboration entre les services de la présidence de la République et les administrations placées sous l'autorité du Gouvernement ?
M. Alexis Kohler . - Je ne méconnais absolument pas la gravité des faits ni ce jour-là ni aujourd'hui. Ce qui aurait été particulièrement grave, ce qui aurait porté atteinte à la présidence de la République de façon particulièrement aiguë, c'est l'absence de réaction et de sanction. C'est pour cela que nous avons insisté pour il y ait une sanction et qu'elle soit rapide.
J'ajoute que je ne disposais pas d'éléments me permettant de penser qu'une saisine au titre de l'article 40 du code de procédure pénale serait justifiée. Pour être plus explicite, à ma connaissance, aucune autorité ayant eu à connaître de ces faits n'a même suggéré l'opportunité d'une telle saisine au titre de cet article. Le directeur de cabinet vous a répondu en détail sur ce point et vous a livré l'analyse qu'il a lui-même faite.
Je conçois parfaitement que, aujourd'hui, à la lumière des faits connus depuis lors, la sanction puisse apparaître insuffisante. Certains de ces faits ont conduit au licenciement de M. Benalla - afin de mettre en oeuvre une réponse graduée et proportionnée, il lui a été notifié dans un courrier l'informant de la première sanction que si des faits nouveaux se produisaient, ce qui a été le cas, ils ne seraient pas sans conséquences et qu'il serait licencié. Mais symétriquement, au regard des éléments connus le 2 mai, cette sanction était proportionnée. J'ai d'ailleurs entendu hier Éric Morvan, le directeur général de la police nationale, indiquer devant les députés que, placé dans la même situation, il aurait probablement pris la même décision.
M. Philippe Bas , président . - Vous dites que M. Benalla n'exerçait pas de fonction de protection personnelle. Le directeur de cabinet du Président de la République nous a présenté hier ses trois missions, lesquelles figurent dans une note que nous avons demandée. Parmi ces trois fonctions, il y a les déplacements privés du chef de l'État. Nous avons donc formulé l'hypothèse que M. Benalla, doté d'un port d'arme, pouvait accompagner le Président de la République lors de ces déplacements privés et assurer sa protection, mais il nous a été dit que ce n'était pas le cas. Nous nous sommes donc interrogés sur l'utilité de son port d'arme, alors qu'il nous a été indiqué que M. Benalla n'avait jamais d'arme lors des déplacements officiels. Le préfet de police s'est inquiété de savoir s'il avait son arme avec lui pendant les manifestations du 1 er mai, mais il n'avait pas de réponse à cette interrogation.
Quelle était donc la nature du travail de M. Benalla lors des déplacements privés du Président de la République ? Assurait-il, oui ou non, sa protection personnelle ?
M. Alexis Kohler . - Comme vous l'a indiqué Patrick Strzoda hier, Alexandre Benalla était chargé de mission auprès de la chefferie de cabinet, l'entité qui, au sein du cabinet du Président de la République, est chargée d'organiser son agenda, ses déplacements et de s'assurer que tous les services qui concourent à l'exercice de sa mission ou de ses déplacements, que ce soit en matière de sécurité, de communication ou de transport, suivent bien. Alexandre Benalla était en charge non pas de la sécurité, mais de l'interaction entre la chefferie de cabinet, qui doit coordonner l'ensemble de ces éléments, et les personnes en charge de la sécurité.
Comme vous le savez, deux types de services sont en charge de la sécurité du Président de la République : d'une part, le commandement militaire du palais, dirigé par le général Bio Farina, qui est responsable de l'intégrité des bâtiments et de la sécurité du Président à l'intérieur des résidences présidentielles ; d'autre part, le groupe de sécurité du Président de la République (GSPR), dirigé par le colonel Lavergne, qui accompagne le Président de la République dans ses déplacements. La sécurité du Président de la République est toujours assurée, en toutes circonstances, par l'une de ces deux unités. J'ajoute que ces services sont exclusivement - je dis bien : exclusivement - composés de personnels qui relèvent soit de la police, soit de la gendarmerie. Ces points ont été, me semble-t-il, clarifiés lors des auditions du général Bio-Farina et du colonel Lavergne à l'Assemblée nationale. Je dis « je crois », car dans la mesure où elles ont eu lieu pendant le conseil des ministres, auquel j'assiste, je n'ai pas pu les voir, du moins pas en direct.
Pour que ce soit bien clair, Alexandre Benalla n'appartient ni au commandement militaire ni au GSPR. Il n'avait pas de responsabilités les concernant. Il n'était pas pressenti pour occuper un poste de responsabilité concernant ce service, comme j'ai pu le lire ici ou là.
M. Philippe Bas , président . - Si M. Benalla n'occupait pas la fonction de garde du corps, s'il n'était pas habilité à porter une arme durant les déplacements officiels, s'il n'en portait pas non plus pendant les déplacements privés, pourquoi la présidence de la République et les services du ministère de l'intérieur qui ont instruit cette demande ont-ils favorisé l'obtention d'un port d'arme ? Il y a là pour nous une incohérence. Quelle pouvait être l'utilité pour la présidence de la République que cet agent ait un port d'arme ?
M. Alexis Kohler . - Vous avez raison de me relancer sur la question du port d'arme, à laquelle je n'ai pas répondu.
Je n'ai pas eu à connaître des modalités d'attribution du port d'arme à M. Benalla, compte tenu des responsabilités qui sont les miennes et sur lesquelles je ne m'étendrai pas. L'organisation interne des services de la présidence de la République ne relève pas du champ de cette commission. Cela étant dit, le préfet de police et le directeur de cabinet du Président de la République vous ont répondu concernant les modalités d'attribution du port d'arme par la préfecture de police et sur le cadre juridique dans lequel elle s'inscrivait. Il me semble que l'attribution est liée à la fonction qu'il exerce et non pas à un risque le concernant tout particulièrement.
M. Philippe Bas , président. - Qu'est-ce qui, dans sa fonction, rendait utile pour la présidence de la République que M. Benalla ait un port d'arme ?
M. Alexis Kohler . - Je suppose tout simplement que, comme vous l'avez indiqué, le dispositif de sécurité est adapté à l'intensité de la menace et au contexte dans lequel se situe le Président de la République. C'est toujours le GSPR qui est en charge de la sécurité du Président de la République lorsqu'il est en déplacement. Je suppose simplement que, dans certaines circonstances, il a été jugé qu'il pouvait être utile que d'autres puissent apporter leur concours, mais vous les interrogerez.
Vous avez l'air de trouver cela curieux, mais c'est ainsi : c'est toujours le GSPR qui assure la protection du Président de la République, comme l'a dit lui-même le chef du GSPR.
Mme Muriel Jourda , rapporteur. - Monsieur le secrétaire général, vous nous avez rappelé, à l'instar de M. le directeur de cabinet, que M. Benalla ne fait pas partie du service de sécurité rapprochée du Président de la République. Je crois qu'il aurait fallu l'en informer ! Chacun a en tête ce jour où quelqu'un, dans un geste stupide, a jeté un oeuf au Président de la République au Salon de l'agriculture. Le premier à être intervenu et à avoir eu un geste de protection physique à son égard, c'est M. Benalla.
Si on ajoute à cela la délivrance d'un port d'arme, sur laquelle nous avons bien du mal à obtenir des explications, la voiture de police, le fait qu'on le voie toujours aux côtés du Président de la République, que ce soit lors d'occasions privées ou publiques, ne pensez-vous pas qu'il ait pu y avoir une confusion de fait, dans l'esprit de M. Benalla, mais éventuellement aussi dans celui de fonctionnaires civils et militaires chargés de la sécurité rapprochée du Président de la République ?
M. Alexis Kohler . - Je ne me prononcerai pas sur la confusion qu'il pourrait y avoir dans l'esprit de M. Benalla. Je rappellerai simplement qu'il a participé à la sécurité d'Emmanuel Macron lorsque celui-ci était président du parti En marche, puis pendant la campagne présidentielle, car le ministère de l'intérieur n'avait pas souhaité lui accorder une protection. Je me demande d'ailleurs, mais il faudrait le vérifier, si la scène de l'oeuf ne date pas de la campagne électorale et non de la dernière visite du Président de la République au Salon de l'agriculture, mais peu importe. Je signale juste que, à un moment donné de sa carrière, à une époque où Emmanuel Macron n'était pas Président de la République, Alexandre Benalla a exercé une mission de sécurité auprès de lui.
En revanche, je puis vous assurer qu'il n'y a pas de confusion dans l'esprit des services de sécurité de la présidence de la République. C'est bien le chef du GSPR et ses équipes qui sont en charge de la protection du Président de la République. Je n'ai aucun doute sur ce point. Je pense d'ailleurs que le chef du GSPR l'a très clairement rappelé lorsqu'il a été auditionné à l'Assemblée nationale.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - De nombreux syndicats de policiers nous ont fait part de l'importance assez considérable que M. Benalla aurait prise, au point parfois de vouloir prendre la main sur un certain nombre de services de sécurité. Avez-vous été informé d'une façon ou d'une autre de ces éléments qui nous ont été rapportés de façon assez unanime ?
M. Alexis Kohler . - Très clairement, la réponse est non. J'ai bien évidemment eu à connaître du recrutement de M. Benalla en tant que chargé de mission. Compte tenu de ses qualités unanimement reconnues d'organisateur, son recrutement était jugé légitime et utile. Je ne reviens pas sur ce point. Le Président de la République a d'ailleurs eu l'occasion hier, en marge d'un déplacement, de le rappeler. Je ne reviens pas non plus sur ses missions.
J'ajoute, pour que les choses soient bien claires, que je n'ai jamais eu, à titre personnel, à travailler directement avec M. Benalla au cours de la période où il a été employé à la présidence de la République.
Par ailleurs, je n'ai à aucun moment été informé du moindre incident ou comportement inadapté de l'intéressé, jusqu'au 2 mai. À aucun moment ! Je peux même vous dire le contraire : je n'ai eu que des retours positifs sur le travail, sur l'engagement et sur le dévouement de M. Benalla. Je crois pouvoir vous dire que M. Benalla était très apprécié de ses collègues.
J'ai entendu dire qu'il aurait « terrorisé » des services de la présidence. Le chef du GSPR a lui-même indiqué que tel n'était pas le cas. Si c'était le cas, cela n'a jamais été porté à sa connaissance en tant que chef de service, ni à la mienne.
M. Philippe Bas , président . - Ces syndicats de policiers ont plutôt évoqué la terreur ressentie par les services de police extérieurs à l'Élysée, lors des déplacements présidentiels. Nous avons demandé que les informations qui nous ont été données soient sourcées et précisées. Les faits pour l'instant ne sont pas établis. Nous entendons votre réponse, mais il n'est pas impossible que nous ayons de plus en plus d'informations sur ce point, car les langues se délieraient nous a-t-on dit. Qu'elles se délient donc !
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Monsieur le secrétaire général, vous avez fait état de l'autorisation qui vous a été donnée par le Président de la République de venir répondre à nos questions. Cette autorisation n'était pas nécessaire, elle n'était pas utile et elle n'a pas d'effet, pour la raison simple que nous considérons que tout citoyen doit, en vertu de la Constitution, venir répondre aux questions d'une commission d'enquête parlementaire dès lors qu'il y est convié, à la seule exception du Président de la République, que nous n'avons jamais pensé à solliciter, contrairement à d'autres, car nous sommes, comme vous-même, très attachés à la séparation des pouvoirs et aux principes de notre V e République.
Ceci étant précisé, je reviens sur l'article 40 du code de procédure pénale, lequel va bientôt supplanter en popularité un autre article 40 dans les assemblées parlementaires.
Vous nous avez dit que vous n'aviez pas cru devoir saisir le procureur de la République. Nous avons posé cette question à environ six personnes. M. le préfet de police a dit qu'il ne lui appartenait pas de le faire, au motif que M. Benalla relevait de la présidence de la République. M. le ministre de l'intérieur nous a dit la même chose. Quand on interroge au plus haut niveau les représentants de l'Élysée, nous obtenons la réponse que vous venez de donner. Il peut apparaître singulier - je dis : « il peut », car nous sommes très prudents ici et nous avons raison de l'être - que la justice n'ait été saisie - elle s'est en fait auto-saisie - que lorsque M. Benalla a fait appel à trois fonctionnaires pour obtenir une vidéo. L'usage de la violence à l'égard de citoyens et le fait de s'approprier indûment les insignes de la police nationale ne sont-ils pas suffisamment graves pour justifier la saisine immédiate du procureur de la République ?
Par ailleurs, depuis l'audition de M. le directeur de cabinet, j'ai reçu un certain nombre de messages de spécialistes du droit du travail qui se demandent s'il est conforme au code du travail qu'une mise à pied avec réduction de salaire à due concurrence soit mise en oeuvre sur les congés non pris. Il me semble qu'une étude juridique approfondie, notamment sur la notion d'indemnités compensatrices relatives à des congés, ne serait pas inutile.
Pour revenir à l'essentiel, je prends bien en compte ce que vous avez dit sur les services rendus par M. Benalla et sur les appréciations positives qu'il a suscitées, mais son attitude incompréhensible, inacceptable, selon le Président de la République lui-même, ne justifiait-elle pas de lui retirer toute tâche relative à la protection et à la sécurité à l'issue de sa mise à pied, comme l'a d'ailleurs dit le porte-parole de la présidence ? Or M. Benalla a été vu aux côtés du Président de la République dans des situations extrêmement sensibles et publiques, que ce soit au Panthéon, le 14 juillet, ou à l'arrivée des Bleus à Roissy, laquelle a suscité quelques discussions avec la gendarmerie. Comment pouvez-vous justifier cela ?
M. Strzoda s'est donné beaucoup de mal pour nous expliquer que sa fonction n° 1, avant sa mise à pied, était d'une nature différente de sa fonction n° 2, après sa mise à pied, mais je dois vous dire que je n'ai pas été totalement convaincu.
M. Alexis Kohler . - Vous êtes revenu sur l'autorisation du Président de la République de me rendre devant vous. Je ne serai pas long sur ce point. Néanmoins, je crois devoir y revenir puisque personne n'ignore que cette question fait l'objet d'un débat constitutionnel. À ma connaissance, aucun collaborateur d'un Président de la République n'a été auditionné par des commissions parlementaires pendant près de cinquante ans. Il a été dérogé à cette règle pour la première fois en 2007, puis ensuite de manière exceptionnelle. Je ne reviens pas sur l'articulation entre les articles 24 et 51-2 de la Constitution et sur l'interprétation du Conseil constitutionnel selon laquelle les commissions d'enquête ne peuvent porter sur l'action du Président de la République. À titre d'exemple, je rappelle que, en 2009, la création d'une commission d'enquête sur les marchés de la présidence de la République a été déclarée irrecevable, car elle portait sur l'organisation interne de la présidence de la République et non sur l'action du Gouvernement. Je ferme cette parenthèse. Nous n'allons pas trancher ici ce débat constitutionnel. À ce stade, vous serez d'accord avec moi pour le laisser aux constitutionnalistes. Ce débat est du reste inutile puisque je suis devant vous pour répondre à vos questions.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Absolument, et nous vous en remercions.
M. Alexis Kohler . - Il m'a semblé important de rappeler ce principe, qui est au coeur de la séparation des pouvoirs.
Vous m'avez ensuite interrogé sur l'article 40. Je ne reviendrai pas sur les explications que je vous ai données. Je rappellerai simplement que, à la lumière des éléments dont on disposait, c'est-à-dire une vidéo montrant M. Benalla participer à une opération de maintien de l'ordre équipé d'un seul casque (il a d'emblée été établi que la préfecture de police accueille de manière habituelle des observateurs dans ces conditions), les circonstances dans lesquelles il a participé à une interpellation, le contexte particulier de violence (je ne reviens pas non plus sur les propos de la directrice de l'IGPN sur la caractérisation de ces faits), et compte tenu de ce que je savais à l'époque, j'ai considéré qu'il n'y avait vraiment aucune raison de douter que la sanction était proportionnée. J'ajoute que, sauf erreur de ma part, l'article 40 s'applique à tout agent public. Dès lors, tous les agents publics et toutes les autorités bien plus compétentes que moi en matière d'ordre public qui ont été saisis préalablement n'ayant pas mentionné l'article 40, j'ai été légitimement amené à considérer, comme je le pense aujourd'hui encore, compte tenu des éléments connus à l'époque, que la sanction, je le répète, était proportionnée.
Notre volonté collective était que la sanction soit rapide.
M. Philippe Bas , président . - La sanction a peut-être été rapide, mais son exécution a été très lente...
M. Alexis Kohler . - Le directeur général de la police nationale a déclaré que, dans des circonstances semblables, il aurait probablement pris la même décision.
Compte tenu du statut de M. Alexandre Benalla, contractuel de droit public, et du décret de 1986, il pouvait faire l'objet d'une suspension avec retenue sur salaire, mais la question des modalités de cette retenue a surgi au moment de procéder à l'opération. Afin de ne pas fragiliser la décision, nous avons privilégié la voie d'une retenue sur jours de congés. In fine , l'objectif a été atteint : une sanction complète, définitive, ayant le même effet. Peut-être la question mérite-t-elle, pour l'avenir, une étude juridique, afin que nous disposions de la procédure la plus robuste pour prendre des décisions non contestables et efficaces.
Les trois événements publics auxquels M. Alexandre Benalla a participé depuis la fin de sa suspension partagent les mêmes caractéristiques : il s'agissait d'événements d'une ampleur exceptionnelle et - sauf le 14 juillet - non récurrents. Or les effectifs de la chefferie de cabinet ne sont pas pléthoriques. Lorsqu'il faut accueillir l'équipe de France de football ou des milliers d'invités, parmi lesquels des jeunes et des enfants, cela requiert une logistique considérable, et tout le monde est sur le pont. J'ai moi-même vu depuis mon bureau l'ampleur des préparatifs. Or, surtout lorsque ce genre d'événements se déroule au Palais de l'Élysée, la responsabilité de leur organisation incombe à la présidence de la République : c'est elle qui est responsable en cas de problème ou de débordement. À la présidence de la République, et en particulier à la chefferie de cabinet, les gens ne ménagent pas leur peine. Vous le savez, le Président de la République est quelqu'un d'exigeant, avec lui-même comme avec les autres. Je travaille moi-même un petit peu, et j'attends le même engagement de tous les collaborateurs du Président. Lors d'événements exceptionnels, il est normal que tout le monde contribue.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - En tant que rapporteur pour avis de la commission des lois sur les crédits de la mission « Pouvoirs publics », je peux confirmer que le personnel de la présidence de la République effectue un travail considérable. À ce propos, j'ai vérifié ce que disait hier notre collègue François Pillet, et qui est tout à fait exact : l'article 11 de la loi du 11 octobre 2013 pour la transparence de la vie publique impose à tous les collaborateurs du Président de la République, que leur nomination ait été publiée ou non au Journal officiel , d'adresser à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) une déclaration d'intérêts et une déclaration de situation patrimoniale. Si M. Alexandre Benalla l'avait fait, nous aurions su s'il avait des liens avec des entreprises de sécurité privée. Il est patent qu'il ne l'a pas fait, et patent qu'il était nécessaire qu'il le fît. Quelles conclusions en tirez-vous ? Entendez-vous demander aux chargés de mission à la présidence de la République de remplir leurs obligations ?
M. François Pillet . - En effet, la commission a appris hier avec une certaine stupéfaction que certains collaborateurs de la présidence de la République, au mépris des dispositions claires de la loi de 2013, n'avaient pas transmis à la HATVP de déclaration de situation patrimoniale et d'intérêts. Ferez-vous en sorte que la situation soit régularisée ? J'ajoute que le non-respect de ces obligations déclaratives constitue un délit passible de trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende, qui, en raison du caractère public de nos travaux, a désormais été porté à la connaissance du parquet de Paris.
M. Alexis Kohler . - Quand j'ai été nommé aux fonctions que j'occupe aujourd'hui, en même temps que les premiers collaborateurs du Président de la République, nous avons demandé aux services de la présidence quel était le champ des personnes soumises à ces obligations déclaratives. Il nous a été répondu que la pratique qui avait prévalu au cours de la totalité du mandat précédent était que seuls les conseillers nommés au Journal officiel adressaient à la HATVP une déclaration de situation patrimoniale et une déclaration d'intérêts. Nous avons suivi cette pratique.
J'ai de nouveau interrogé les services hier sur les pratiques antérieures, et il m'a été fait la même réponse. Je vais m'assurer de l'exactitude de ces informations. On m'a dit aussi que des échanges avaient eu lieu avec la HATVP pour définir le champ d'application des règles instituées en 2013.
La nuit porte conseil, mais aussi et surtout le Secrétaire général du Gouvernement, que j'ai interrogé et qui, au vu des débats parlementaires, m'a dit qu'il serait logique d'inclure les chargés de mission dans le champ de ces obligations déclaratives. J'ai donc demandé à nos services d'adresser un message aux intéressés pour qu'ils régularisent leur situation. Il existe aujourd'hui huit chargés de missions à la présidence de la République, dont deux affectés au sein des services - nous n'avons pas encore éclairci le point de savoir si les obligations déclaratives s'imposent aussi à ces derniers.
M. Jean-Pierre Sueur . - Au moins nos auditions auront-elles eu un effet concret !
M. Alexis Kohler . - J'en note déjà deux, avec les précisions à apporter sur le régime des sanctions.
M. Philippe Bas , président . - Il est heureux que notre commission puisse déjà être utile à l'amélioration du fonctionnement de la présidence de la République, afin que les mauvaises pratiques de l'ancien monde ne déteignent pas trop sur les nouvelles pratiques du nouveau monde...
M. François Pillet . - La réponse de M. le secrétaire général me satisfait, d'autant que je suis certain que nous aurons transmission de la déclaration d'intérêts de M. Alexandre Benalla avant la fin de nos travaux.
J'ai une seconde question : combien de conseillers à l'Élysée ont-ils un contrat de travail et une fiche de poste faisant référence à des missions concernant directement ou indirectement la sécurité du Président de la République ? Pouvez-vous nous donner leurs noms ?
M. Alexis Kohler . - Je devrai vous faire une réponse par écrit. Je ne connais pas le nombre de personnes ayant cette mention dans leur contrat de travail.
M. François Pillet . - Dès lors, M. le secrétaire général que vous vous engagez à répondre par écrit, je suis satisfait.
M. Alexis Kohler . - Je ne gère pas moi-même les contrats de travail des collaborateurs de l'Élysée ou des 822 équivalents temps plein (ETP) employés à la présidence. La majorité d'entre eux ne sont d'ailleurs pas dans une situation contractuelle.
M. François Pillet . - Ma question portait sur les contractuels qui, à l'instar de M. Alexandre Benalla, disposent donc d'un contrat de travail écrit. S'ils ne disposaient pas au moins d'une fiche de poste, cela démontrerait l'existence d'une situation curieuse...
M. Alexis Kohler . - Je regarderai ce point. Je veux réaffirmer un point cependant : je ne veux pas laisser à penser que la sécurité du Président de la République serait assurée par des agents privés et non par des personnels du commandement militaire ou du groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR).
M. Pierre-Yves Collombat . - Depuis quand existent le poste et la fonction occupés par M. Alexandre Benalla ? Quelle a été sa rémunération en avril, mai et juin ? Quelle est la superficie de l'appartement qu'il occupait quai Branly ?
M. Alexis Kohler . - Cela relève de l'organisation interne de la présidence de la République, même la superficie de l'appartement.
Le budget et la gestion du personnel de la présidence de la République relèvent du contrôle de la Cour des comptes.
M. Pierre-Yves Collombat . - Soit vous me répondez, soit vous ne me répondez pas.
M. Alexis Kohler . - Non, je ne vais pas communiquer les superficies des appartements du palais de l'Alma. Je n'ai ni la cartographie ni le métrage de ce bâtiment. Non, je ne vais pas communiquer les salaires des collaborateurs de l'Élysée.
Nous avons mis fin à un certain nombre de rumeurs, notamment la rumeur selon laquelle M. Alexandre Benella aurait occupé un appartement au sein du palais de l'Alma. C'est tout à fait fantaisiste de croire qu'on aurait imaginé le nommer sous-préfet ou à la tête du GSPR.
Je pense que ce poste existe depuis l'origine. Je vais vérifier ce point mais je crois qu'il y avait des fonctions équivalentes sous les présidences précédentes.
M. Pierre-Yves Collombat . - Il doit y avoir une trace de cette décision...
M. Alexis Kohler . - De son embauche ?
M. Pierre-Yves Collombat . - Non, la date de création du poste.
M. Alexis Kohler . - Quelques semaines après l'élection du Président de la République.
M. Philippe Bas , président . - Le directeur de cabinet du Président de la République s'est engagé hier à nous transmettre les documents concernant le statut personnel de M. Alexandre Benalla.
M. Philippe Bonnecarrère . - Pouvez-vous nous préciser le statut de la présidence de la République ? Si le statut du Président de la République est défini dans la Constitution, quel est le statut de la présidence de la République ? Est-ce une formule fictive ou est-ce une entité publique avec un statut et des règles ?
Qui a la responsabilité de hiérarchiser et de classer l'information ? L'exercice consistant à informer le Président de la République est nécessairement périlleux, surtout lorsqu'il est à plusieurs milliers de kilomètres. Qui hiérarchise ? Est-ce le rôle du secrétaire général ou du directeur de cabinet ?
M. Alexis Kohler . - Il est de ma responsabilité de hiérarchiser l'information, d'être une « gare de triage ». Mais c'est également la responsabilité de tous. Chacun à son niveau doit faire le même tri. Je ne suis pas le seul point d'entrée de toutes les informations qui arrivent à la présidence de la République. Chacun décide de ce qui relève de ses responsabilités, en réfère à sa hiérarchie, jusqu'au secrétaire général. À charge pour moi de déterminer quelles informations transmettre au Président de la République, notamment lorsqu'il est à 10 000 km.
Le Président de la République est très attaché à ce que chacun, à son niveau, exerce ses responsabilités et que chacun prenne les décisions qui lui incombent. Sinon, je serais rapidement submergé.
La présidence de la République est une institution à statut particulier car elle ne dispose pas d'un corps de fonctionnaires : les agents de la présidence de la République sont détachés ou mis à disposition par d'autres administrations. Cela n'empêche pas que son administration soit structurée. Le Président de la République a d'ailleurs souhaité, dès la fin de l'année 2017, faire évoluer cette organisation. Cette organisation s'est structurée par sédimentation et je pense qu'il est utile de la faire évoluer pour la rendre plus lisible, plus efficace et moins coûteuse.
M. Patrick Kanner . - Selon le Général de Gaulle, le secrétaire général de l'Élysée est au centre et au courant de tout.
Vous êtes à la tête d'une équipe de 50 collaborateurs, 39 conseillers techniques, 11 rattachés à la présidence de la République.
Combien de chargés de mission ? Combien ont des responsabilités importantes comme le poste de chargé de mission auprès du chef d'état-major du Président de la République, occupé par un certain M. Ludovic Chaker ? Savez-vous que M. Ludovic Chaker avait joué un rôle dans le recrutement de M. Alexandre Benalla pour la sécurité rapprochée du candidat Emmanuel Macron ?
Savez-vous s'il est d'usage de doublonner, au sein de la présidence de la République, toutes les fonctions officielles par le placement d'hommes et de femmes de confiance ?
Monsieur le président de la commission des lois, je souhaite vous indiquer que M. Alexandre Benalla vient de donner une interview au Monde et je réitère ma demande de l'entendre au sein de notre commission d'enquête.
M. Alexis Kohler . - Il y a 7 chargés de mission qui sont rattachés au cabinet de la présidence de la République. Ce sont tous des chargés de mission rattachés à des conseillers techniques. Il est logique qu'ils occupent des postes de chargés de mission au regard de leurs responsabilités.
Concernant Ludovic Chaker, il est militaire, chargé de mission auprès de l'État-major particulier.
Concernant les circonstances de l'embauche de M. Alexandre Benalla au sein du mouvement « En marche ! », je ne sais pas à quelle date il a été engagé. Il est possible que M. Ludovic Chaker ait joué un rôle dans ce recrutement car M. Ludovic Chaker a été parmi les premiers salariés du mouvement. J'ai d'ailleurs connu M. Alexandre Benalla au sein du mouvement.
Il y a beaucoup de personnes de confiance auprès du Président de la République : je pense que moi-même comme les membres du cabinet avons la confiance du Président de la République. Quand on a la responsabilité d'une équipe, on doit faire confiance à ses collaborateurs.
M. Patrick Kanner . - Bien sûr qu'il faut des hommes de confiance. Ma question concerne le « dédoublonnage » de postes.
M. Alexis Kohler . - Je n'ai pas le sentiment qu'il y ait le moindre « dédoublonnage ». Il n'y a aucun doublon administratif, a fortiori avec le Gouvernement.
Je suis très attaché à rappeler que la présidence de la République n'est pas le Gouvernement.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Le comportement de M. Alexandre Benalla est très proche du comportement d'une personne exerçant des missions de protection et de sécurité. Je crois ainsi que M. Patrick Kanner est fondé à s'interroger sur les phénomènes de doublon et de confusion.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Monsieur le secrétaire général, l'un des considérants de l'arrêté du préfet de police délivrant un permis de port d'arme à M. Alexandre Benalla indique qu'il était « chargé d'une mission de police, dans le cadre de son action de coordination de la sécurité du Président de la République avec les forces militaires et le GSPR ».
Ce considérant n'est-il pas contradictoire avec votre présentation des fonctions de M. Alexandre Benalla ?
M. Philippe Bas , président . - Il ne peut pas y avoir deux définitions des fonctions de M. Alexandre Benalla, l'une dans la note de service de la présidence de la République, l'autre exposée à la préfecture de police pour obtenir un permis de port d'arme.
Or, la préfecture de police a délivré ce permis de port d'arme pour une fonction de police et de coordination de la sécurité, ce qui ne correspond ni à vos déclarations ni à celles du directeur de cabinet du Président de la République.
M. Alexis Kohler . - Je n'ai pas eu à connaître des modalités d'octroi du permis de port d'arme de M. Alexandre Benalla. Je n'ai rien à ajouter aux déclarations du préfet de police, autorité de délivrance du permis, et du directeur de cabinet du Président de la République.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Il y a là quelque chose de grave ! L'arrêté du préfet de police mentionne « une mission de police », ce qui est contradictoire avec vos déclarations !
M. Alexis Kohler . - Je prends bonne note de cette observation.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio . - M. Alexandre Benalla a joué un rôle majeur lors de l'accueil de l'équipe de France de football le 16 juillet dernier. Je souhaiterais connaître ses missions et ses fonctions précises au sein de la présidence de la République. Les réponses obtenues sont trop évasives !
Y-a-t-il « d'autres Alexandre Benalla » à l'Élysée, avec des rôles flous et une espèce « d'organisation parallèle » ? Les Français, comme les parlementaires, peuvent légitimement se poser la question.
M. Alexis Kohler . - Le directeur de cabinet du Président de la République vous a présenté les fonctions de M. Alexandre Benalla.
M. Alexandre Benalla appartenait à la « chefferie de cabinet », et plus précisément à l'équipe chargée de coordonner l'action d'autres services. Il remplissait une mission d'organisation et de coordination.
À cet égard, il n'a pas participé à la sécurisation de l'équipe de France de football, mission qui relevait du préfet de police, mais il s'occupait de questions logistiques.
Le 16 juillet dernier, le bus de l'équipe de France était attendu à la présidence de la République. Dans ce bus, M. Alexandre Benalla était en relation avec plusieurs services extérieurs à la présidence de la République, y compris avec la préfecture de police.
Si la chefferie de cabinet de la présidence de la République, en charge de l'organisation des événements, n'avait pas de relations avec les services compétents de l'État, je lui reprocherais ! Lorsque le Président de la République se déplace dans un département, la chefferie de cabinet a des discussions avec le préfet de département, cela fait partie de sa mission. Pour autant, la chefferie de cabinet ne doit pas se substituer au préfet. Chacun doit rester à sa place !
M. Alexandre Benalla exerçait une mission de coordination, à la fois pour les déplacements officiels du Président de la République, majoritairement sur le territoire national, et pour ses déplacements privés.
« Y-a-t-il d'autres Alexandre Benalla ? ». Je ne suis pas certain du sens de la question mais je vais m'efforcer d'y répondre. Il y a, évidemment, d'autres personnes au sein de la chefferie de cabinet de la présidence de la République qui exercent des missions similaires.
Y-a-t-il d'autres personnels de l'Élysée qui auraient commis des actes identiques ? Très franchement, j'espère que non. Si tel est le cas, je n'en ai pas connaissance. Les personnels de la présidence de la République ont des consignes très strictes sur ce que nous attendons d'eux en termes de comportement.
M. Philippe Bas , président . - Comptez-vous solliciter les autorités compétentes pour que le successeur de M. Alexandre Benalla bénéficie d'un permis de port d'arme ?
M. Alexis Kohler . - Pour être très franc, M. Alexandre Benalla n'a pas encore été remplacé à son poste, ce qui explique d'ailleurs que la chefferie de cabinet ait été sous tension durant les événements qu'elle a organisés en juillet.
La demande de port d'arme dépendra du profil de la personne recrutée. La chefferie de cabinet de la présidence de la République comprend principalement des personnels issus des corps préfectoraux. Je ne crois pas qu'ils aient de permis de port d'arme.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Des personnels de l'Élysée exercent-ils des missions similaires à celles de M. Alexandre Benalla, notamment en matière de coordination de la sécurité ?
M. Alexis Kohler . - M. Alexandre Benalla n'exerçait pas une mission de sécurité mais une mission de coordination et d'organisation des déplacements du Président de la République.
Il gérait d'autres dimensions que la sécurité, comme le chef de cabinet d'un ministre, qui doit coordonner la sécurité, la communication, les relations avec la presse, les rapports avec les élus...
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Je reprenais les termes de l'arrêté de la préfecture de police délivrant le permis de port d'arme...
Les personnels de l'Élysée exerçant des missions similaires à celles de M. Alexandre Benalla bénéficient-ils d'un permis de port d'arme ?
M. Alexis Kohler . - Non, pas à ma connaissance. Je pense qu'il s'agit essentiellement de fonctionnaires, membres des corps préfectoraux. Je ne crois pas qu'ils disposent d'un permis de port d'arme à titre privé.
M. Philippe Bas , président . - Il y a une définition des fonctions de M. Alexandre Benalla qui diffère entre les déclarations des représentants de l'Élysée, d'une part, et l'arrêté du préfet de police, d'autre part. Cet arrêté indique que M. Alexandre Benalla était « chargé d'une mission de police, dans le cadre de son action de coordination de la sécurité de la présidence de la République avec les forces militaires et le GSPR ».
Il conviendrait donc de retenir votre définition des fonctions de M. Alexandre Benalla, pas celle communiquée au préfet de police pour l'obtention du permis de port d'arme ?
M. Alexis Kohler . - Il existe différentes missions de coordination : les relations avec les élus et la presse, la communication, la sécurité... Plusieurs services peuvent intervenir pour chacun de ces domaines, y compris pour la sécurité.
Lorsque le Président de la République se déplace dans un département, interviennent : le GSPR, les services de sécurité locaux, la police, la gendarmerie... De ce point de vue, il peut exister une mission de « coordination de la sécurité » au sein de la chefferie de cabinet. En revanche, M. Alexandre Benalla n'assurait pas la sécurité du Président de la République.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Monsieur le secrétaire général, je pense que là nous sommes devant quelque chose qui a beaucoup d'importance. Les termes de l'arrêté que vient de relire le Président Philipe Bas montrent que le port d'arme a été dévolu par le ministère de l'intérieur, dont dépend la préfecture de police, à la demande de l'Élysée, sur la base d'une définition de sa fonction comme une coordination de tâches de police. Quand on relie l'arrêté, les tâches décrites ne relèvent absolument pas de la coordination entre les différents services engagés par un déplacement présidentiel.
M. Philippe Bas , président . - À ce stade, nous prenons acte de cette contradiction. Je crois qu'il n'est pas la peine d'aller plus loin. Un certain nombre d'éléments que nous avons déjà recueillis qui vont dans le sens d'une appréciation de la fonction de M. Benalla comme étant une fonction de sécurité. Le préfet de police, lorsqu'il a été saisi, pensait qu'il s'agissait d'une fonction de sécurité. Voilà où nous en sommes sur ce point et à chacun de se faire un jugement sur la réalité de la fonction de M. Alexandre Benalla à partir des quelques indices que nous avons pu obtenir.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Ce ne sont pas des indices, ce sont des faits. Et ces faits ont pour caractéristique d'être contradictoires. Je veux que ceci soit dit et entendu.
Mme Esther Benbassa . - M. le secrétaire général, il y a eu une mise à pied à l'endroit de M. Alexandre Benalla début mai. Il s'agit donc d'une sanction, et vous avez-vous-même parlé d'une faute. Je ne savais pas jusque-là qu'une sanction appelait une récompense. Je lis sur le facsimilé de la déclaration de M. Alexandre Benalla auprès de l'administration fiscale attestant de son changement d'adresse, qui prend effet le 9 juillet, « 11 Quai Branly ». Il y a quand même un problème, n'est-ce pas ? Il a été récompensé par un appartement au 11, quai Branly.
Deuxièmement, je voudrais faire une rectification : j'ai posé hier la question sur la suspension du traitement de M. Alexandre Benalla. Votre collègue a indiqué que ces 15 jours de suspension feraient l'objet d'une retenue sur les droits à congé qu'il avait au titre de l'année 2017. Pour autant, il me semble que les textes applicables sont clairs : un congé non pris ne donne lieu à aucune indemnité compensatrice. Comment M. Alexandre Benalla peut-il ainsi percevoir une indemnité compensatrice pour des congés non pris ? De plus, lorsqu'un contractuel public est licencié pour faute, cela n'ouvre normalement pas droit au versement d'une indemnité de licenciement ni même d'une indemnité compensatrice de congés annuels. M. Alexandre Benalla a-t-il bien été licencié pour faute ? De telles indemnités lui ont-elles été versées malgré cela ?
M. Alexis Kohler . - Il y a en fait deux questions : une sur le logement et l'autre sur le licenciement et la sanction.
Comme je vous le disais, la gestion interne du personnel de l'Élysée relève de la responsabilité du directeur de cabinet. Il m'en rend néanmoins compte donc je ne cherche pas à esquiver la moindre responsabilité. La liste des logements à la résidence de l'Alma est assez largement diffusée et ils accueillent très majoritairement des personnes qui font l'objet d'une nécessité absolue de service et dont les exigences de disponibilité sont particulièrement fortes. La Cour des comptes a déjà écrit très abondamment sur ce sujet.
Je n'interviens pas dans l'attribution de ces logements et ne suis pas intervenu dans l'attribution de celui de M. Alexandre Benalla. Je ne reviendrai donc pas sur ce que le directeur de cabinet a pu vous dire sur cette question. Je ne connais pas les détails de cette attribution et je pense très franchement que cela est logique : il y a une hiérarchie des responsabilités. Je fais beaucoup de choses, mais je ne m'occupe pas de l'attribution de tous les logements au sein de l'Élysée. Je m'en voudrais de vous donner une information erronée sur ce sujet qui ne serait qu'une information rapportée sur la date d'attribution ou la taille de l'appartement.
Pour ce qui est de la sanction, je reviendrai simplement sur la séquence : au moment où la sanction est prise, il y a un avertissement pouvant conduire à un licenciement. La décision de licenciement n'a pas été prise à ce moment-là. La sanction est appliquée, mais, pour des raisons de sécurisation juridique liées au terme de suspension et à la nécessité d'en assurer la robustesse, la retenue directe sur salaire s'est révélée trop fragile. Les modalités de retenue sur salaire ont donc pris la forme d'une annulation de jours de congés. C'est à la suite d'une nouvelle faute qu'il a été licencié.
Mme Esther Benbassa . - Vous ne répondez pas à la deuxième partie de ma question.
M. Philippe Bas , président . - Ce n'est peut-être pas une réponse que la commission des lois jugera satisfaisante mais c'est celle du secrétaire général. Nous ne pouvons pas le forcer à dire ce qu'il ne veut ou ne peut pas dire. Nous souhaitons néanmoins comprendre. Je comprends très bien cette idée que le patron ne puisse pas prendre toutes les décisions. C'est pour que cela qu'il y a une équipe et que l'on doit déléguer de sorte que le bureau du patron ne soit pas encombré de décisions qui sont multiples dans l'ordinaire d'une organisation. Il s'agit de bon sens.
Cependant, je sais aussi que quand on occupe une fonction de numéro un dans une équipe, et que quelque chose qui relevait de simples décisions quotidiennes prend une très grande importance politique, alors je crois, Monsieur le secrétaire général, que le moment est venu de vérifier point par point ce qui serait apparu comme des détails il y a encore trois semaines. Ce sont aujourd'hui des éléments mis bout à bout qui ont tous de l'importance pour expliquer la situation.
Notre devoir est d'y voir clair et c'est pour cela que nous vous posons toutes ces questions, y compris des questions qui peuvent paraître très ponctuelles sur le droit applicable à la sanction imposée à un collaborateur, et sur les conditions dans lesquelles cette sanction a été exécutée. Si l'on se met à la place des citoyens, il paraît surprenant que l'on ait annoncé une retenue sur salaire et que soudainement, à la faveur d'une audition de la commission des lois, on apprenne que la retenue sur salaire n'a pas eu lieu parce qu'il y a un problème juridique et qu'elle sera réalisée selon d'autres modalités. Mme Esther Benbassa nous indique alors que les modalités nouvellement choisies soulèvent des doutes quant à leur régularité.
Nous faisons émerger des éléments que nous-mêmes n'aurions pas eus à l'esprit si la question ne s'était pas posée. Je crois qu'il est temps de mettre le projecteur sur ce qui est un élément de ce dossier. C'est notre rôle de le faire. Je comprends que Mme Esther Benbassa ne soit pas totalement satisfaite de la réponse que vous apportez sur le sujet. Vous pourriez apporter des précisions ultérieures sur cette question juridique relative à l'exécution de cette sanction, afin de nous répondre plus précisément que ce vous avez pu faire ce matin en allant de manière plus approfondie examiner ce problème.
M. François Grosdidier . - Il y a deux affaires Benalla : la première est liée à son comportement du 1 er mai qu'il justifie par l'article 73 du code de procédure pénale et les comportements délictuels auxquels il assiste. L'enquête judiciaire nous éclairera sur ce point.
La deuxième, celle qui nous intéresse, concerne un éventuel dysfonctionnement de nos institutions touchant à la sécurité du chef de l'État. Les syndicalistes policiers ont parlé de barbouzes, de police parallèle, et cela rajoute au malaise des policiers qui n'avaient pas besoin de cela. Or, vous nous donnez l'impression, vous-même ou ceux qui vous ont précédé, de partager des éléments de langage pour occulter cet aspect du dossier et cacher le rôle que M. Alexandre Benalla pouvait jouer en matière de sécurité.
On a un peu l'impression d'être baladé tout de même ! À vous entendre, il n'aurait été que le gentil organisateur des déplacements. Or, il venait non pas d'une agence de voyage mais de la sécurité privée. Il n'avait d'ailleurs aucune autre compétence ou référence en matière d'organisation de voyages, alors qu'il était référencé au Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS), que le général Lizurey nous a dit l'avoir appelé dans la réserve de gendarmerie en raison de son expertise en matière de protection rapprochée, qu'il était omniprésent à la préfecture de police qui traite, je crois, des problèmes de sécurité. Malgré l'opposition du service de protection, vous avez, vous-même ou l'Élysée, demandé au préfet de police cette autorisation de port d'arme.
Comme l'indiquait le président Bas, l'arrêté fait expressément référence à sa mission de sécurité, en totale contradiction avec la note que vous nous décrivez. Un des deux documents ne dit donc pas la vérité. Lorsque les faits corroborent plutôt l'arrêté que la note, il est possible de s'interroger sur la sincérité des propos qui nous sont tenus.
Des vérités sont à établir. Vous nous dites qu'il pouvait coordonner des services de sécurité, or, c'est la fonction d'un fonctionnaire d'autorité. Les policiers nous disent que le coordinateur se prenait d'ailleurs le plus souvent pour le supérieur. Pouvez-vous continuer à nous dire que M. Alexandre Benalla ne s'occupait pas de sécurité à l'Élysée ? À ce moment-là, pourquoi avoir écrit le contraire ?
M. Alexis Kohler . - Je n'ai pas dit que M. Alexandre Benalla ne s'occupait pas de sécurité, j'ai dit qu'il n'était pas responsable de la sécurité du Président de la République. Toutes les personnes qui travaillent à la chefferie de cabinet ont à s'occuper de sécurité. Pour ces agents, avoir une compétence particulière en matière de sécurité, reconnue par la direction générale de la gendarmerie nationale, n'est pas un handicap, bien au contraire. J'en veux pour preuve qu'ils sont très fréquemment issus du corps préfectoral.
M. François Grosdidier . - Cela ne justifie pas une autorisation de port d'armes.
M. Alexis Kohler . - Je ne reviendrai pas sur ce point. Que M. Alexandre Benalla ait exercé préalablement des fonctions de sécurité ne signifie pas qu'il y ait des « barbouzes » à l'Élysée. La sécurité du Président de la République, je le répète, est assurée par le commandement militaire du Palais et le GSPR et par eux seuls.
M. François Grosdidier . - Des contractuels en font-ils partie ?
M. Alexis Kohler . - C'est une question différente, de nature statutaire. À ma connaissance, ne travaillent dans ces services que des fonctionnaires civils et militaires.
M. Alain Richard . - Notre commission d'enquête est chargée d'établir les faits, en écartant les à-peu-près, les impressions et les allégations. Pour faire la lumière sur ce qui a été bien ou mal fait à la présidence de la République, nous cherchons à savoir si le comportement d'Alexandre Benalla, notamment avant le 1 er mai, a révélé une confusion des fonctions et un abus de ses propres fonctions.
L'idée qu'il aurait été doté d'une voiture de police doit être écartée : le directeur du cabinet du Président de la République nous a dit que M. Alexandre Benalla disposait seulement d'une voiture adaptée, intégrée au cortège présidentiel.
Quant aux syndicats de policiers, leur audition a été très rapide, et s'ils ont formulé une appréciation très défavorable sur le comportement d'Alexandre Benalla, leur témoignage n'était pas circonstancié. Il nous faut donc essayer d'en savoir plus : à quelles dates et en quels lieux les faits allégués se sont-ils produits ? Peuvent-ils être vérifiés ?
Pour l'heure, monsieur le secrétaire général, pouvons-nous avoir communication de l'organigramme de la chefferie de cabinet, avec la définition des fonctions dévolues à chacun ? Des notes ont-elles été produites pour donner des instructions aux agents concernés et prévenir tout débordement ? Si c'est le cas, estimez-vous légitime que nous en ayons connaissance ? S'il demeure des incertitudes à cet égard, et compte tenu de la mission qui vous a été confiée de réfléchir à une réorganisation des services de la présidence de la République, comptez-vous y mettre bon ordre ?
Enfin, pourra-t-il être vérifié que, depuis le 19 mai, M. Alexandre Benalla n'a participé à aucune autre manifestation importante que les trois qui ont été mentionnées ?
M. Philippe Bas , président . - M. Alexandre Benalla a cru bon de donner un entretien au journal Le Monde , paru ce matin. Nous sommes là pour établir des faits, cela a été dit, et M. Kanner souhaite qu'à cette fin nous entendions M. Alexandre Benalla. Cet entretien nous fournit au moins quelques indications : M. Alexandre Benalla y fait état de « frictions », d'« inimitiés »... Cela donne une idée du climat de travail, du moins selon la perception de l'un des intéressés.
M. Alexis Kohler . - Monsieur le ministre Richard, je vais vérifier si des notes ont été produites et examiner avec attention la question de savoir si je peux les porter à votre connaissance, dans le cadre légal, même si cela relève de l'organisation interne de la présidence de la République.
Je vous confirme qu'il est de ma responsabilité, avec le directeur de cabinet, de prendre en compte l'ensemble des éléments qui ont été mis au jour et de voir dans quelle mesure ils justifient une refonte de l'organisation des services de la présidence. L'enquête judiciaire dira si des sanctions individuelles doivent être prises. Si l'enquête administrative conduite par l'IGPN dévoile des dysfonctionnements, il appartiendra au Gouvernement d'y mettre fin, notamment en ce qui concerne l'accueil des observateurs et la gestion de certains personnels par la préfecture de police.
Pour ma part, je suis chargé de tirer les enseignements de cette affaire sur l'organisation des services de la présidence, notamment ceux qui concourent à la sécurité du chef de l'État. Une réflexion a effectivement été engagée, car il existe aujourd'hui deux services distincts en charge de la sécurité du Président de la République, et il n'est pas sûr que ce dispositif soit le plus efficace. Cela dit, la sécurité du Président de la République continuera d'être assurée par des policiers et des gendarmes et non pas par des agents privés.
Nous n'avons identifié que trois manifestations à l'organisation desquelles M. Benalla ait participé depuis sa suspension : le transfert des cendres d'Antoine et Simone Veil au Panthéon, le 14 juillet et le retour à Paris de l'équipe de France de football.
M. François-Noël Buffet . - MM. Éric Morvan, Patrick Strzoda et vous-même déclarez n'avoir pas eu connaissance des relations extrêmement tendues, paraît-il, entre M. Alexandre Benalla et le GSPR.
Or, dans un entretien publié ce matin dans un grand journal du soir, M. Alexandre Benalla reconnaît « des frictions, oui, mais sous forme de non-dits ». Et il poursuit : « Moi, j'ai toujours fait les choses, non pas pour ma personne, mais dans l'intérêt du président. Mais il y a des gens qui sont formatés d'une autre façon. On fait le sale boulot. Et on s'expose forcément. Et quand on s'expose face à ce type de personnes, elles vous disent "oui" avec un sourire, mais elles n'oublient pas... Je ne fais pas partie du club. Je le ressens mais je dois en faire abstraction, car la seule chose qui compte c'est que le président soit bien. »
Ces déclarations semblent confirmer l'existence de tensions liées au rôle joué par Alexandre Benalla dans la sécurité du Président de la République...
M. Alexis Kohler . - Je ne ferai aucune conjecture à propos d'une déclaration que je n'ai pas lue. Mais je le répète : aucun incident ne m'était remonté. Je n'avais au contraire que des retours positifs sur le travail de M. Alexandre Benalla, qui s'est toujours montré très dévoué et disponible.
M. Alexandre Benalla avait d'ailleurs un profil différent de ceux que l'on croise habituellement dans les couloirs de l'Élysée, et le Président de la République l'a dit, c'est quelque chose dont on pouvait être fier, car il est important que les services de la présidence soit à l'image de notre société.
L'important est que chacun demeure dans les limites de ses responsabilités : c'est là la question.
M. Philippe Bas , président . - C'est bien celle que nous vous posons.
M. Alexis Kohler . - Y a-t-il eu des tensions entre M. Benalla et d'autres agents ? Je ne connais pas de grande organisation où il n'y en ait pas. D'ailleurs, ceux qui travaillent à la chefferie de cabinet sont souvent jalousés en raison de leur proximité avec le Président de la République ou le ministre concerné...
M. Philippe Bas , président . - Mes chers collègues, vous faites les uns et les autres des efforts de concision dans vos questions et je vous en remercie. J'ai encore plusieurs demandes de question. Je vous propose de les grouper de sorte que nous puissions amener cette audition à conclusion dans une dizaine de minutes.
M. Jean-Yves Leconte . - Les bandes de vidéosurveillance ont-elles été exploitées par la présidence de la République ?
Au regard du statut du Président de la République, comment comprendre la phrase « qu'ils viennent me chercher » par rapport aux initiatives du pouvoir législatif ou de l'autorité judiciaire ?
Enfin, on constate la prééminence de la présidence de la République sur toutes nos institutions. Vous partagez des conseillers avec le cabinet du Premier ministre. On constate une faiblesse importante des conseillers ministériels. Tout cela concourt au renforcement de la présidence de la République. En tirez-vous des conclusions sur le fonctionnement de l'État et des corrections à y apporter ?
M. Philippe Bas , président . - On est en plein dans le sujet des risques de confusion des pouvoirs. Le fait que des collaborateurs soient à la fois des conseillers du Président de la République et du Premier ministre n'est-elle pas source de confusion, dans la séparation des pouvoirs constitutionnels entre le Président de la République et le Premier ministre ?
Mme Laurence Harribey . - En quoi la modification des missions de M. Alexandre Benalla caractérise la rétrogradation, alors qu'il n'y a pas eu de suspension de salaire et qu'il a été convié à un certain nombre de manifestations auxquelles il n'aurait pas dû participer ?
Comment expliquer le silence entre le 2 mai et le 18 juillet ?
Selon M. Alexandre Benalla, il n'a pas commis un délit, mais « une faute politique ».
M. François Bonhomme . - Monsieur le secrétaire général, un point de précision concernant les obligations déclaratives auprès de la HATVP. Vous avez déclaré que la loi a été respectée.
Je rappelle que ces obligations, si elles avaient été respectées, auraient pu vous éclairer sur la nature des liens entre M. Alexandre Benalla et les sociétés de sécurité privée. Conformément à l'esprit de la loi, elles auraient pu développer votre culture déontologique et prévenir tout conflit d'intérêts.
Ces manquements sont constitutifs d'un délit et relèvent d'une saisine du parquet.
Confirmez-vous que la loi n'a pas été appliquée ? Vous aviez indiqué avoir interrogé vos services pour connaître la pratique. Or la loi est claire et le débat parlementaire a tranché. Les chargés de mission relèvent de cette obligation.
M. Alain Marc . - M. Alexandre Benalla a-t-il recruté des vigiles par l'intermédiaire d'une société de sécurité privée ?
Si cela était le cas, il existerait des « doublons » au sein du personnel de l'Élysée ainsi qu'une difficulté d'articulation avec les services de police et de gendarmerie.
M. Henri Leroy . - Le 2 mai 2018, vous apprenez qu'un des collaborateurs du Président de la République a commis plusieurs infractions. Vous apprenez ensuite qu'il a obtenu des images de vidéoprotection, ce qui est également susceptible de constituer un délit.
Je rappelle que l'article 40 du code de procédure pénale dispose que « toute autorité constituée (...) qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ». C'est donc le procureur qui est compétent pour apprécier les faits, pas l'administration !
Or, vous n'avez pas rempli vos obligations au titre de l'article 40 du code de procédure pénale. Pourquoi ? Rétrospectivement, que pensez-vous des fautes commises par M. Alexandre Benalla ?
M. Alexis Kohler . - Concernant la question de M. Jean-Yves Leconte sur les images de vidéoprotection : dès lors que nous avons eu un doute sur leur origine, à la suite d'une alerte de la préfecture de police puis d'une réunion organisée le jour même, nous avons saisi le procureur de la République au titre de l'article 40 du code de procédure pénale. Nous avons également transmis ces images au procureur et engagé, en moins de vingt-quatre heures, une procédure de licenciement à l'encontre de M. Alexandre Benalla.
S'agissant des déclarations du Président de la République, je crois que sa volonté était de refuser une « République des fusibles », dans laquelle on chercherait des boucs émissaires, indépendamment des fautes qui auraient été commises.
Le Président de la République s'estime responsable devant les Français, exclusivement devant eux, comme le prévoit notre Constitution.
M. Jean-Pierre Sueur . - Le Président de la République a récemment déclaré à propos de cette affaire : « qu'ils viennent me chercher ». De qui parlait-il ?
M. Alexis Kohler . - Je pense qu'il s'adressait à tous ceux qui dénoncent son action, qui saisissent cette affaire pour en faire un procès de nature politique. Il ne s'agit en rien d'esquiver de quelconques responsabilités de nature judiciaire, administrative ou disciplinaire.
J'ajoute qu'il faudra tirer les conséquences de cette affaire en réorganisant nos services.
M. Jean-Pierre Sueur . - La Constitution prévoit toutefois un statut particulier pour le Président de la République...
M. Alexis Kohler . - Le Président de la République n'esquive pas ses responsabilités. En vertu de la Constitution, il est responsable devant les Français, comme il l'a d'ailleurs réaffirmé.
Concernant les « conseillers communs » : une douzaine de conseillers travaillent aujourd'hui pour le Président de la République et pour le Premier ministre, dans des domaines variés. Le Secrétariat général du Gouvernement (SGG) a été consulté ; cela ne pose aucune difficulté en termes de séparation des pouvoirs.
En réponse à Mme Laurence Harribey, je peux vous assurer que la modification des missions de M. Alexandre Benalla a été clairement perçue, y compris par l'intéressé, comme une rétrogradation disciplinaire, voire comme une humiliation. Cette sanction était largement connue de ses collègues.
Monsieur le sénateur François Bonhomme, vous m'avez interrogé sur la saisine de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique : je crois avoir déjà répondu à cette question à la suite des débats qui ont eu lieu ici même hier. J'ai interrogé le Secrétaire général du Gouvernement qui m'a indiqué que selon lui il était préférable de solliciter les intéressés afin qu'ils se manifestent auprès de la Haute Autorité. Pour ce qui est des circonstances de l'époque, je vous confirme que nous n'avons fait que suivre, peut-être à tort, l'instruction judiciaire nous le dira, la pratique qui avait prévalu à la présidence de la République sur cette question au cours de la mandature précédente.
Monsieur le sénateur Alain Marc, vous m'avez interrogé sur le recrutement de vigiles mais je pense vous avoir déjà répondu. En tout état de cause, je ne pourrai pas vous dire qu'aucun des membres du GSPR n'a eu dans sa vie, à un moment donné ou à un autre une activité de sécurité, puisque je ne le sais pas. Cependant, il n'y a pas d'autres membres que les membres du GSPR et ceux du commandement militaire qui assurent la sécurité du Président de la République et certainement pas des vigiles privés.
Enfin, dernier point, le sénateur Henri Leroy m'a interrogé sur l'article 40. Je reviens sur le fait que nous nous serions substitués à un pouvoir d'appréciation du procureur. Dans le cas d'espèce, je ne disposais pas, à l'époque, d'éléments me permettant de penser qu'une infraction pénale de nature délictuelle ait été commise. C'est une question qui sera tranchée par la justice.
M. Philippe Bas , président . - Un aspect important des questions posées est celui dégagé par Jean-Yves Leconte sur l'existence tout à fait officielle de proches conseillers du Président de la République qui sont également des proches conseillers du Premier ministre. C'est la première fois dans l'histoire de nos institutions que ce choix a été fait.
Vous nous dites que vous ne voyez pas ce qu'il pourrait y avoir de contraire à la séparation des pouvoirs dans cette forme d'organisation. C'est pour nous un questionnement important car le titre de la Constitution traitant des responsabilités du Gouvernement est bien sûr distinct du titre de la Constitution qui traite de la responsabilité du Président de la République. Ces responsabilités ne sont pas de même nature.
Le Gouvernement dispose de l'administration et de la force armée. Lui seul exerce à travers les ministres une autorité sur les directeurs d'administration centrale. Le Premier ministre, à travers son cabinet, prend des décisions. Ces décisions figurent dans les relevés de conclusion des réunions interministérielles que l'on appelle communément « les bleus ». Si un conseiller du Président de la République est également conseiller du Premier ministre, l'on est en droit de se demander si la décision du Gouvernement est une décision du Président de la République ou une décision du Gouvernement.
Or, le Président de la République, de par son statut constitutionnel, n'est pas responsable, ni devant le Parlement ni sur le plan pénal, pendant la durée de ses fonctions et pour les décisions qu'il prend en application de ses compétences constitutionnelles. Le Gouvernement, quant à lui, est responsable devant le Parlement. Si bien que, quand un conseiller du Premier ministre prend une décision qui a été validée sous forme de « bleu » de Matignon, pour utiliser le langage commun, cette décision engage la responsabilité du Gouvernement devant le Parlement et peut faire l'objet d'un contrôle du Parlement au titre de sa mission de contrôle du Gouvernement.
Néanmoins, si cette décision peut apparaître comme une décision d'un collaborateur du Président de la République, la situation est tout autre. Je crois donc qu'il y là une véritable question sur la séparation des pouvoirs dans un régime de dualité de l'exécutif entre présidence de la République et Gouvernement, qui mérite d'être posée. De ce point de vue, il me semble que la question de M. Jean-Yves Leconte est tout à fait légitime.
Ce qui fait l'objet de notre commission d'enquête est justement l'interférence entre un conseiller de la présidence de la République avec le fonctionnement normal d'une opération de maintien de l'ordre. Je suis donc obligé de vous dire, de même que vous avez fait examiner à la suite de notre audition d'hier du directeur de cabinet la question des déclarations d'intérêts et de patrimoine des collaborateurs du Président de la République auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, qu'il y a là de mon point de vue une sorte de désordre institutionnel et de confusion à laquelle je crois qu'il serait bon de remédier. J'ai bien entendu la réponse que vous nous avez faite tout à l'heure.
Je crois que, avec beaucoup de spontanéité vous avez considéré qu'il n'y avait pas de problème et que personne ne vous l'avait signalé. Je vous le signale, parce que ce n'est ni une question simple, ni une question banale. Il s'agit de la fusion du Gouvernement et de la présidence de la République, fusion qui n'est pas prévue par la Constitution.
M. Alexis Kohler . - C'est une question qui relève de l'organisation du pouvoir exécutif. Je ne pense pas qu'elle touche à la séparation des pouvoirs. Je souhaite revenir sur l'organisation au sein de l'exécutif et le rôle des cabinets. M. le Président, vous avez occupé le poste que j'ai l'honneur d'occuper...
M. Philippe Bas , président . - C'était la préhistoire et l'ancien monde, je veux bien reconnaitre qu'il y ait des différences.
M. Alexis Kohler . - Je pense que sur le point que je vais soulever, je peux vous indiquer, par anticipation, que rien n'a changé. Les conseillers des cabinets ministériels ne sont pas une autorité politique et n'ont pas vocation à se substituer à elle. Que les conseillers soient communs ou pas, à la fin, et je pense qu'il est bon qu'il en soit ainsi et le reste longtemps, c'est bien l'autorité politique qui prend la décision. Ce ne sont pas les conseillers techniques qui prennent les décisions, ce ne sont pas eux qui signent les décrets, ce ne sont pas eux qui signent les actes de nature règlementaires. Il serait mauvais pour l'organisation de notre pays qu'il en soit ainsi. Pour cette raison, la difficulté que vous semblez voir ne me paraît pas en être une. Je suis désolé de conclure sur ce désaccord entre nous.
M. Philippe Bas , président . - C'est votre appréciation, Monsieur le secrétaire général.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Je ne sais pas si nous allons rester sur un désaccord, Monsieur le secrétaire général, mais il y en a un en tout cas entre les déclarations qui nous ont été faites par M. le directeur de cabinet, qui, nous parlant de la sanction infligée à M. Alexandre Benalla, nous a confirmé hier avoir pris seul sa décision, tandis que publiquement, le Président de la République a déclaré mardi que c'était lui qui avait confirmé la sanction. Pouvez-vous nous éclairer sur cette contradiction ?
M. Alexis Kohler . - J'ai répondu incidemment à cette question en vous indiquant qu'il n'y a pas eu de débat entre nous sur ce sujet. Le principe de la sanction et la décision de la sanction étaient de l'ordre de l'évidence. Il était de l'ordre de l'évidence qu'elle intervienne rapidement et qu'elle soit notifiée rapidement. Le directeur de cabinet m'a informé, et non rendu compte, de son souhait de principe de prendre une sanction. Je lui ai donné mon plein accord et j'en ai rendu compte au Président de la République. Le lendemain, le directeur de cabinet m'a informé de la décision qui allait être notifiée à M. Alexandre Benalla. Je lui ai confirmé mon plein accord avec la décision et j'en ai rendu compte au Président de la République.
M. Philippe Bas , président . - Merci, Monsieur le secrétaire général, ce sera le mot de la fin. Je vais vous remettre la lettre que les rapporteurs et moi-même nous venons de signer pour vous demander quelques compléments d'information qui sont apparus nécessaires au fil des questions qui ont été posées et des réponses que vous avez apportées.
Audition de MM. Michel
Lalande,
préfet de la région Hauts de France, préfet du
Nord,
et Luc-Didier Mazoyer, directeur départemental
de la
sécurité publique du Nord
(Lundi 30 juillet 2018)
M. Philippe Bas , président . - Lorsque la question m'a été posée de savoir s'il convenait d'auditionner M. Benalla, j'ai considéré qu'à l'évidence cette audition pourrait être utile pour éclairer les conditions d'organisation et de fonctionnement de la sécurité du Président de la République et le rôle particulier que M. Benalla y a tenu. Elle pourrait également être utile pour apprécier l'adéquation des moyens dont il disposait pour exercer ses missions et pour mieux comprendre si, au-delà de sa participation à la protection rapprochée du Président de la République - fonction qu'il revendique comme ayant été une de ses attributions - M. Benalla prenait aussi place dans la hiérarchie des services de sécurité de la présidence de la République et jouait plus largement un rôle d'interface avec les services de sécurité du ministère de l'intérieur.
Cependant, il m'est apparu que deux principes rendaient cette audition difficile, au premier rang desquels celui de la séparation des pouvoirs, exigence fondamentale que nous passons nos journées à rappeler depuis le début de ces auditions, et dont nous sommes les gardiens en tant que membres de la commission des lois exerçant les pouvoirs d'une commission d'enquête. Nous ne pouvons pas prendre à la légère ce principe et nous ne devons pas enquêter sur des faits qui font l'objet de poursuites ou bien d'une information judiciaires.
Il faut pourtant préciser, pour être parfaitement exact, que cet obstacle a déjà été levé dans le passé, par exemple en 1999, lorsque la commission d'enquête du Sénat sur les paillotes corses a auditionné le préfet Bonnet et plusieurs autres protagonistes. Elle avait toutefois pris de très grandes précautions, en auditionnant les intéressés à huis clos, en écartant toute question relative à des faits dont la justice était saisie et en ne rendant pas publics dans son rapport les éléments susceptibles d'intéresser la justice.
L'autre principe qui rend difficile l'audition de M. Benalla est celui du respect des droits de la défense. Il ne faudrait pas qu'une personne auditionnée s'exprimant sous serment devant la commission puisse être conduite à témoigner contre elle-même. Ce principe fondamental des droits de la défense est reconnu par le Conseil constitutionnel et par la Cour européenne des droits de l'homme. D'où ma décision initiale d'écarter cette audition, la semaine dernière.
À l'occasion d'un entretien dans un journal, après avoir livré sa propre version de ses fonctions, M. Benalla a fait savoir son « envie » - ce sont ses termes - d'être auditionné par notre commission, ajoutant qu'il avait « de quoi nous donner des explications ». Dès lors, dans le respect des principes essentiels que je viens de rappeler, auxquels nous ne devons jamais déroger, je m'entretiendrai de nouveau avec nos rapporteurs, et nous aurons une discussion interne à la commission, puis nous verrons à la rentrée ce qu'il convient de faire.
Nous entendons à présent M. Michel Lalande, préfet de la région Hauts-de-France et préfet du Nord, et M. Luc-Didier Mazoyer, inspecteur général de la police nationale et directeur départemental de la sécurité publique du Nord. Pourquoi avons-nous décidé de les entendre ? Tout simplement, parce qu'au vu de leur grande expérience de l'organisation des déplacements présidentiels, ils pourront nous expliquer très factuellement comment se sont déroulés les deux déplacements présidentiels qui ont eu lieu dans le département du Nord, l'an dernier. Même si M. le préfet n'a peut-être pas été directement en contact avec M. Benalla, car il oeuvre au sommet de la pyramide de l'État dans son département, il a sans doute pu recueillir quelques informations sur le rôle que celui-ci jouait lors des déplacements présidentiels. Il pourra nous dire comment M. Benalla s'est inscrit dans l'organisation de ces déplacements, ce qui correspond à la fonction officielle qui lui était attribuée selon ce qu'a rappelé le directeur de cabinet du Président de la République. Il pourra aussi nous éclairer sur la manière dont M. Benalla a oeuvré à la protection rapprochée du chef de l'État, fonction de fait qu'il revendique et que nous avons pu constater.
Nous aurons une audition de même nature, cet après-midi, avec M. le préfet de police des Bouches-du-Rhône.
Notre commission ayant été dotée des prérogatives d'une commission d'enquête, je dois vous demander de prêter serment. Un faux témoignage serait passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Michel Lalande et Luc-Didier Mazoyer prêtent serment.
M. Michel Lalande, préfet de la région Hauts-de-France, préfet du Nord . - Le Président de la République a fait deux déplacements dans le département du Nord, l'un en novembre dernier, sur un itinéraire qui l'a conduit à Lille, Tourcoing et Roubaix durant deux jours, l'autre en janvier dernier, à Onnaing, à côté de Valenciennes, où il est resté quatre heures, à la faveur de l'annonce par un constructeur automobile d'un investissement extrêmement important. Pour des déplacements de durée aussi différentes, les enjeux ne sont évidemment pas les mêmes, en termes de préparation et de mobilisation. M. Benalla était présent lors du premier déplacement à Lille, Roubaix et Tourcoing, absent lors du second.
J'organise les déplacements présidentiels depuis des années - cela remonte au Président Mitterrand. La logique de cette organisation repose sur un socle de quatre acteurs qui a peu évolué : le chef de cabinet du Président de la République, le service du groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR), et au niveau territorial le préfet et le directeur départemental de la sécurité publique ou le colonel de gendarmerie si le déplacement a lieu en zone gendarmerie. Ce socle est exactement le même lorsque le Premier ministre se déplace.
Son action se déploie d'abord dans la phase amont de préparation, période de loin la plus importante, puis pendant le temps du déplacement, plus apaisé dès lors qu'une bonne préparation a aplani les difficultés. La première étape relève d'un choix éminemment politique qui consiste à déterminer le thème du déplacement, qu'il s'agisse de la politique de la ville ou du soutien industriel à une entreprise automobile dans le Nord. Il reste ensuite à décliner ces thèmes de manière à leur donner une expression et une force politiques singulières. C'est alors que nous séquençons le déplacement sur le territoire en coordination avec le chef de cabinet et les conseillers du Président de la République, voire avec les conseillers d'autres cabinets ministériels. Une fois l'itinérance stabilisée, vient le temps de la reconnaissance de toutes les séquences, qu'il s'agisse de l'itinéraire emprunté par le convoi, du repérage de chaque site, de la détermination des personnes ressources sur chacun d'eux.
Plus le déplacement est long, plus la préparation dure et plus les personnes engagées sont nombreuses. La préparation du déplacement à Onnaing, le 22 janvier dernier, n'a rien à voir en intensité avec celle du déplacement qui a eu lieu au mois de novembre. Le nombre de personnes embarquées n'a pas été le même. M. Benalla était présent lors du déplacement de novembre, il ne l'était pas au mois de janvier. Pour tout vous dire, je n'ai gardé aucun souvenir de sa présence, et les archives montrent qu'il n'a joué aucun rôle en matière de sécurité. Il intervient en réalité la veille du déplacement du Président pour préciser les conditions de son installation, notamment à Roubaix, ce qui correspond, à mon avis, pleinement au rôle d'un membre d'une chefferie de cabinet qui s'assure que son patron est bien installé, que le plan de table est correct, et que l'image dégagée sera positive.
Juste avant le déplacement, le directeur départemental de la sécurité publique prépare le plan de sécurité qu'il finalise avec le GSPR et moi-même. Puis, il le met en oeuvre avec les renforts et les moyens que je négocie auprès du ministère de l'intérieur, à savoir des compagnies de CRS ou des escadrons de gendarmerie mobile.
Enfin, vient le temps du déplacement qui, au mois de novembre, a duré une fin d'après-midi, une soirée, une nuit à l'hôtel, car les chambres de la préfecture étaient en travaux, et une grosse demi-journée, le lendemain. Tout cela s'est passé sans incident majeur, d'après ce qu'a pu relayer la presse, en tout cas sans rien qui ait pu attirer notre attention, de sorte que ce déplacement dans le Nord peut être considéré comme un déplacement réussi. Cela était également le cas pour celui de Valenciennes. Encore une fois, M. Benalla n'était pas là en janvier, et en novembre son rôle ne concernait pas la sécurité.
M. Luc-Didier Mazoyer, directeur départemental de la sécurité publique du Nord . - Le socle qu'a décrit M. le préfet n'intervient pas seulement dans la phase de préparation, mais aussi pendant toute la durée de la visite. Les interlocuteurs du directeur départemental de la sécurité publique (DDSP) sont le préfet, le chef du GSPR, son adjoint et le chef de cabinet. Le DDSP doit prendre en compte trois grands axes : l'état de la menace, qui peut être notamment terroriste ; le risque de contestation sociale, car une visite du chef de l'État offre une caisse de résonance puissante de sorte que des manifestations interviennent quasi-systématiquement lors de ces déplacements ; le cortège circulation enfin, axe important que je délègue régulièrement à mon directeur adjoint, car je dois me tenir au contact du préfet pour adapter le dispositif en fonction de son évolution.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Vous venez de nous indiquer que M. Benalla n'avait pas de rôle à jouer en matière de sécurité, lorsqu'il a accompagné le déplacement du Président de la République. Savez-vous s'il a participé à la préparation en amont ? Pourriez-vous nous indiquer plus précisément les réunions auxquelles il était présent ?
M. Michel Lalande . - Il n'a participé à aucune réunion organisée autour de la sécurité. Il n'a jamais été impliqué ni de près ni de loin dans la sécurité du Président de la République. Les documents que je pourrai vous transmettre l'attestent. Un document, daté du 13 novembre, fac-similé du cortège présidentiel, le mentionne à sa place, c'est-à-dire avec les conseillers techniques du Président de la République, très loin du GSPR et de la voiture présidentielle. En aucune façon, du moins pour ce déplacement dans le Nord dont j'ai assuré la supervision et la direction, M. Benalla n'a été présent. Quant aux réunions techniques qui ont pu avoir lieu sous mon autorité ou celle de mon directeur de cabinet, il n'a pas non plus interféré de quelque manière que ce soit.
M. Luc-Didier Mazoyer . - Je n'ai aucun souvenir de la présence de M. Benalla lors du déplacement du Président de la République dans le Nord. Je ne le connaissais pas, et, même après l'avoir vu dans les médias, aucune image ne m'est revenue de sa présence. Je rappelle que j'ai participé, non pas à ce qu'on appelle le couvert, c'est-à-dire la visite à l'intérieur des locaux, mais à toutes les autres séquences, notamment l'arrivée du Président en préfecture, alors même que des manifestants se trouvaient devant le bâtiment, le déplacement sur le site de la Bourgogne, où nous avons dû contenir quelques manifestants isolés, le bain de foule pris par le Président au milieu de quelques centaines de personnes, et enfin, dernier épisode, celui du secteur dit de la Plaine images à Roubaix, à savoir la visite d'une start-up, durant laquelle les forces de CRS ont retenu des manifestants. À aucun moment M. Benalla n'a interféré ni n'est intervenu dans le dispositif.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - À vous en croire, M. Benalla n'a jamais été à proximité du Président de la République durant ce déplacement. Ce rôle protocolaire que vous lui prêtez - organisation du plan de table, réservation de l'hôtel... - est-il compatible avec le fait qu'on le voit assez souvent à proximité du Président de la République ?
M. Michel Lalande . - Je n'ai pas dit qu'il n'avait pas été à proximité du Président de la République. J'ai simplement dit que je n'avais aucun souvenir de l'y avoir vu. Les photos de presse ne le font apparaître nulle part. Pour autant, il reste possible qu'il ait été dans l'entourage du Président. Dans le cadre de sa fonction de conseiller, il a pu, comme bien d'autres conseillers le font, s'approcher du Président pour lui faire passer des messages, à tel ou tel moment. Je n'ai aucun commentaire à faire là-dessus.
On a retrouvé trace de la valeur ajoutée de M. Benalla dans l'organisation précise de deux séquences qui ont eu lieu à la Condition publique à Roubaix, ce site magnifique où s'est tenue une rencontre avec des jeunes autour de l'exposition « Toi, président », puis un dîner où étaient conviées une trentaine de personnes. M. Benalla est alors intervenu pour faire son métier, en gérant le plan de table, l'organisation du dîner, le filtrage des invités, ou encore en prévoyant les interventions du Président de la République. Il était dans son rôle, comme d'autres conseillers l'ont été en intervenant sur le fond du dossier dans tel ou tel domaine de la politique de la ville.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Connaissant depuis longtemps votre action au service de l'État et de la République, je voulais simplement vous demander si vous aviez eu connaissance d'insuffisances ou de dysfonctionnements dans la sécurité du chef de l'État, au cours de voyages que vous auriez organisés.
Je risquerais bien une autre question, mais à laquelle vous pourriez très bien ne pas répondre, car vous êtes un préfet de la République, solidaire du ministre de l'intérieur et du Président de la République. Il a été question d'une réorganisation de la sécurité du Président de la République impliquant la fusion du GSPR et du commandement militaire, de sorte que l'entité ainsi constituée serait autonome par rapport au ministère de l'intérieur. Ce sujet appelle-t-il des commentaires de votre part ? Je comprendrais très bien qu'il n'en appelle pas.
M. Michel Lalande . - Vous avez parfaitement compris que je ne vous répondrai pas et je vous en remercie. Peut-être que j'ouvrirai un jour une société de consulting. J'ai un peu d'expérience, mes cheveux blancs en témoignent. Cependant, pour ma part, je n'ai jamais vu d'insuffisances dans la sécurité du Président de la République. J'ai plutôt vu des présidents réclamer davantage d'espace pour respirer et se déplacer plus librement, aller voir les élus, les habitants, entrer dans les maisons, toucher la réalité la plus concrète. Cette envie de respirer était commune aux quatre présidents que j'ai servis. Je les ai plutôt entendus nous demander, à moins que les membres de leur cabinet ne le fassent, d'éloigner les forces de sécurité, bien sûr ni au vu ni au su de possibles agresseurs.
Le GSPR assure la protection rapprochée du Président de la République, mais cette protection rapprochée n'épuise pas la question de la sécurité d'un déplacement présidentiel, car il faut prendre en compte les deux autres composantes que sont les accompagnants du Président, qui sont parfois des ministres exposés à une insécurité réelle, et le public que nous devons sécuriser. C'est un sujet majeur. Nous déployons une stratégie d'organisation de nos forces pour prévenir, anticiper et repérer les anomalies dans les comportements de tel ou tel individu. Nous assurons aussi une sécurité de proximité, qui est la plus difficile à tenir, car elle doit s'exercer sans être visible, mais en étant suffisamment efficace pour empêcher un Ravaillac, ou maîtriser tout individu avide d'exister à tout prix dans une image éphémère sur une chaîne de télévision.
Est-ce que les Présidents de la République sont plus défendus en France qu'à l'étranger ? J'ai supervisé l'organisation du soixante-dixième anniversaire du débarquement en Normandie, où 22 chefs d'État étaient présents. Certaines puissances étrangères ont des exigences nettement plus élevées, à tous égards.
M. Philippe Bas , président . - Merci, monsieur le préfet. Vous exprimez très bien la tension intérieure que doit ressentir un préfet qui organise un déplacement du Président de la République. Si des manifestants arrivent à proximité du Président, il est arrivé dans le passé que le préfet en fasse les frais et soit relevé de ses fonctions deux jours après le déplacement présidentiel, alors même qu'il avait alerté la présidence sur les précautions à prendre, en se voyant opposer un refus. Diriez-vous que le cabinet du Président de la République vous a laissé les coudées franches pour assurer ce déplacement et trouver le bon équilibre entre la sécurité et la respiration du Président de la République ?
M. Michel Lalande . - Oui, sans aucune réserve. D'autant que le second déplacement était extrêmement facile, sans autre problème que celui du brouillard qui risquait de gêner l'atterrissage de l'avion. Les enjeux étaient autrement plus conséquents au mois de novembre, et nous n'avons eu aucune difficulté pour obtenir les moyens dont nous avions besoin. Dans un déplacement présidentiel, nous commençons par mobiliser les moyens territoriaux, car ce sont les territoriaux qui connaissent le mieux le terrain. Les unités de forces mobiles ne le connaissent pas, à moins qu'elles ne viennent du secteur, ce qui est assez rare. Il ne faut surtout pas leur confier une mission de proximité. L'important n'est pas tant le nombre, mais la qualité de ceux que vous engagez. D'où la nécessité de faire monter en première ligne des agents de proximité issus des commissariats et de la direction départementale de la sécurité publique. Dans le nord, cette direction est une grosse machine capable de fournir des milliers d'agents. On peut avoir recours à des moyens complémentaires pour sécuriser les arrières, les carrefours stratégiques et faire du maintien de l'ordre en cas de rassemblements inamicaux.
Nous avons bénéficié de tous les moyens techniques, humains et automobiles dont nous avions besoin. Je n'ai d'ailleurs organisé aucun déplacement présidentiel sans obtenir ces moyens.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Lors des réunions avec la chefferie de cabinet de l'Élysée et le GSPR en phase amont, quels sont la fonction et le grade de vos interlocuteurs ?
M. Luc-Didier Mazoyer . - La préparation d'un événement en « couvert » concerne essentiellement le cabinet de M. le préfet, qu'il s'agisse du déroulé, du protocole et de ce qui peut se passer à l'intérieur de certains sites. Quant au pilotage des déplacements en extérieur, sur la voie publique, il relève du chef du GSPR, intuitu personae , le colonel Lavergne, et en l'occurrence, pour ce déplacement particulier, de son chef de mission précurseur. C'est avec ces deux officiers que j'ai eu des contacts et avec personne d'autre. Bien sûr, un déplacement présidentiel peut aussi impliquer qu'on ait des interactions avec des chargés de communication et d'autres personnes en civil. Cependant, mon interlocuteur principal sur le déplacement du 22 janvier a été le commissaire divisionnaire Perroudon, en l'absence du colonel Lavergne. Le socle des acteurs qui interviennent est très réduit, nous l'avons dit.
Mme Brigitte Lherbier . - En tant que nordiste, je peux témoigner de la minutie dont vous faites preuve dans la préparation de telles visites. Je sais combien la sécurité est votre priorité pour avoir travaillé avec vous. Nous sommes à la frontière belge, où la menace terroriste reste très élevée et votre vigilance est plus que nécessaire.
J'ai participé à la visite du Président sur le site de la Bourgogne, dans la ZUP de Tourcoing. Je n'ai aucun souvenir de la présence de M. Benalla, mais je me rappelle parfaitement les gens qui s'agglutinaient autour de nous. Et je me suis posé la question de savoir si M. le préfet avait connaissance de tous les points vidéos qui nous entouraient, en me disant que c'était très certainement le cas, car cela devait faire partie de la préparation d'une telle visite.
Toujours ce même jour, je me suis également demandé si M. le préfet et M. le directeur départemental de la sécurité publique - vous veniez d'arriver, monsieur Mazoyer - avaient connaissance de toutes les personnes qui possédaient une arme sur les lieux. On sortait d'une période de terrorisme et on sentait une certaine insécurité - moi-même, je ne me sentais pas en sécurité avec tous ces gens agglutinés.
M. Philippe Bas , président . - Mme Lherbier avait-elle raison de se sentir en danger ?
M. Michel Lalande . - Nous étions là pour vous protéger et tout s'est bien passé.
Oui, nous avions connaissance de tous les points vidéo, qu'il s'agisse des caméras publiques ou privées. Des policiers étaient présents en temps réel dans la salle de captation d'images de la mairie. D'autres hommes étaient présents que vous n'avez pas forcément vus, car ils étaient sur les toits avec des jumelles, prêts à intervenir, ou bien étaient grimés. Ces mesures sont classiques dans tous les déplacements depuis aussi longtemps que la République existe.
Mme Brigitte Lherbier . - Si qui que ce soit avait pu se procurer des vidéos sur le site de Tourcoing, l'auriez-vous su ?
M. Luc-Didier Mazoyer . - On ne peut pas anticiper le fait que quelqu'un capte une vidéo de manière illégale, mais la traçabilité permet de remonter rapidement la piste. Pour ce qui est des armes, M. le préfet donne les instructions nécessaires pour que le service de renseignement territorial et la DGSE assurent un filtrage, ce qu'on appelle un criblage des personnes qui pourraient avoir un contact avec l'autorité présidentielle. Le fichier Agrippa renseigne sur les personnes titulaires d'une autorisation de port d'arme.
M. Philippe Bas , président . - Si M. Benalla avait porté son arme lors de ce déplacement, cela aurait-il dû vous être signalé ?
M. Luc-Didier Mazoyer . - Non. Une personne bénéficiant d'une autorisation de port d'arme n'a pas à nous être signalée.
Mme Éliane Assassi . - Je vous remercie pour ces éléments précis qui démontrent votre rigueur et votre professionnalisme. Vous nous avez fait part de mouvements sociaux et de rassemblements lors des déplacements du Président de la République. Rencontrez-vous les organisations syndicales et les associations en amont ? Ont-elles des liens avec la chefferie ?
M. Michel Lalande . - Il n'y a pas de déplacement présidentiel sans cahier de doléances. La chefferie présidentielle, les maires et les parlementaires reçoivent abondance de courriers sollicitant une audience. Il revient à la chefferie de cabinet de l'Élysée d'organiser la rencontre avec ceux qui le souhaitent. C'est la préparation en amont qui permet de détecter les présences susceptibles de poser problème.
Le cas est plus difficile lorsque les personnes ne manifestent pas l'envie d'être reçues. En novembre dernier, comme dans beaucoup d'autres déplacements, nous avons été confrontés à des groupuscules qui ont tenté de s'exprimer auprès du Président de la République. Notre tâche est de veiller à ce qu'il n'y ait pas de violence particulière.
M. Philippe Bas , président . - Merci pour votre expertise.
Audition de M. Jean-Marie Girier,
chef de cabinet de M. Gérard Collomb, ministre d'État, ministre
de l'intérieur, et ancien directeur de la campagne de M. Emmanuel
Macron pour l'élection
présidentielle
(Lundi 30 juillet 2018)
M. Philippe Bas , président . - Nous entendons M. Jean-Marie Girier, dans sa double qualité d'ancien directeur de campagne d'Emmanuel Macron et d'actuel chef de cabinet du ministre d'État, ministre de l'intérieur.
Notre commission étant dotée des prérogatives d'une commission d'enquête, je dois vous demander de prêter serment. Je vous indique qu'un faux témoignage serait passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-Marie Girier prête serment.
M. Jean-Marie Girier, chef de cabinet de M. Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur, et ancien directeur de la campagne de M. Emmanuel Macron pour l'élection présidentielle . - Mon propos liminaire sera concis, tout en étant le plus précis possible pour contribuer à vos travaux.
Je commencerai par la chronologie des faits tels que je les ai vécus, sans revenir sur ce que le ministre d'État, M. Gérard Collomb, vous a exposé sur le climat de violence du printemps dernier.
Le 1 er mai, je travaillais place Beauvau - comme une grande partie du cabinet ministériel - afin de suivre le déroulement d'une journée qui s'annonçait délicate et s'est avérée d'une grande brutalité.
À 19 h 45, j'ai accompagné le ministre d'État à la préfecture de police ; il s'est d'abord entretenu avec le préfet dans le bureau de ce dernier, avant de tenir un point presse dans la cour de la préfecture. La délégation s'est ensuite rendue dans la salle de commandement afin de saluer l'ensemble des fonctionnaires de police. Le préfet a présenté les images de vidéoprotection, illustrant la tension encore palpable en fin de journée. Alors que nous étions présents depuis cinq minutes environ, une tape sur l'épaule m'a fait découvrir la présence de M. Benalla ainsi que celle de M. Crase, que je connais tous deux. J'ai été étonné de les voir en ces lieux, de surcroît dans une tenue qui m'a semblé inappropriée parce que trop décontractée. Le ministre d'État se tenait au centre de la salle de commandement, à environ une dizaine de mètres de nous. Je précise que le ministre d'État n'a pas fait d'accolade à M. Benalla, il l'a salué comme toutes les personnes présentes ; le ministre, que je connais de longue date - comme nombre d'entre vous - n'est pas familier des accolades, et salue de manière très courtoise, tant les personnes qu'il connaît que celles qu'il ne connaît pas.
À 23 heures, j'accompagnais le ministre d'État sur le parvis du commissariat du treizième arrondissement. Il était présent aux côtés du Premier ministre venu saluer et remercier les forces de sécurité durement éprouvées.
Le lendemain matin, mercredi 2 mai, précisément à 8 h 02, j'ai reçu un message d'un chargé de mission de l'Élysée, qui comportait un lien vers un réseau social où était présentée la fameuse vidéo sur laquelle apparaissait MM. Benalla et Crase. Je les reconnaissais : ils portaient une tenue identique à celle portée la veille en salle de commandement. Les faits m'ont semblé suffisamment graves pour que je transmette immédiatement le lien vers cette vidéo à mon directeur de cabinet, à 8 h 12 très exactement.
Vers 10 heures, à l'issue de la réunion d'état-major qu'il présidait, nous avons visionné tous les deux cette vidéo. Dès lors, le directeur de cabinet du ministre d'État a pris l'attache du directeur de cabinet du Président de la République. Il a été contacté par le préfet de police de Paris. Il m'a confirmé s'être assuré que l'autorité hiérarchique comme l'autorité préfectorale étaient alertées.
Concernant l'information du ministre d'État de ces faits, je ne reviens pas sur son agenda, qu'il vous a présenté lors de son audition, mais vous confirme que dès son retour de déjeuner, le directeur de cabinet et moi-même lui avons expliqué l'événement et montré la vidéo - qu'il a immédiatement qualifié d'inacceptable. Nous lui avons exposé les démarches entreprises par son directeur de cabinet auprès du directeur de cabinet de la Présidence. Aux alentours de 23 heures, mon directeur de cabinet et moi-même avons fait un point. Il m'a fait part de l'échange qu'il venait d'avoir avec le directeur de cabinet du Président. Celui-ci lui a indiqué que M. Benalla s'était rendu sur place avec son autorisation, mais sans être missionné par l'Élysée ; qu'il avait été doté par la préfecture de police d'un équipement de protection ; que les actes de violence étaient inacceptables, et qu'ils donneraient lieu à des sanctions. Nous avons dès lors considéré que la situation était prise en compte, et avons informé le ministre d'État dès le lendemain matin.
S'agissant des 18 et 19 juillet, j'ai été informé le 18 juillet à 13 h 30 par le service presse de la Présidence qu'un journaliste allait publier un article relatif à la vidéo. J'ai immédiatement transmis cette information à mon directeur de cabinet, puis nous avons évoqué ce sujet ensemble, avec le ministre, aux alentours de 15 heures. La parution de l'article révèlera de nouvelles informations, en particulier le port d'un brassard de police et l'équipement radio. Le ministre d'État vous a exposé les conséquences de celles-ci, à savoir une saisine de l'inspection générale de la police nationale (IGPN) le 19 juillet, dont le rapport vous a été transmis vendredi dernier.
Venons-en à mes relations avec les deux protagonistes, que je connais, à des degrés différents, mais tous deux depuis la campagne du candidat Emmanuel Macron, dont j'ai assuré la direction à partir de janvier 2017.
J'ai fait la connaissance de M. Benalla dans ce cadre. Il assurait, à titre salarié, les fonctions de directeur de la sûreté et de la sécurité. J'ai appris à le connaître au cours de cette campagne. Notre relation est tout à fait cordiale, et je n'ai eu aucune remarque négative à formuler, ni sur son engagement, ni sur son comportement, ni sur la qualité de son travail. Depuis son entrée en fonctions au palais de l'Élysée, j'ai eu des contacts réguliers avec lui - même si mon interlocuteur quotidien reste le chef de cabinet. M. Benalla a aussi été l'un des interlocuteurs entre les deux chefs de cabinet, selon les dossiers qu'il suivait. Il était donc parfois présent lors de réunions ou de visites préparatoires aux déplacements du Président auxquels participait mon ministre.
J'ai croisé M. Crase à de nombreuses reprises durant la campagne présidentielle, puisqu'il occupait les fonctions de veilleur de nuit pour la surveillance du siège et de sécurisation de certains meetings. Depuis, je l'ai rencontré lors d'événements politiques dont il assurait la sécurité, dans le cadre de son emploi à La République en Marche.
Les différentes auditions ou la presse ont laissé sous-entendre que M. Benalla aurait pu bénéficier de passe-droits auprès du ministère de l'intérieur, et notamment à la faveur de notre relation. Je le rappelle, M. Benalla n'a bénéficié d'aucun traitement privilégié par mon intermédiaire ; je respecte profondément mes fonctions et l'institution que je sers. J'affirme donc simplement, mais très catégoriquement, que M. Benalla ne m'a jamais sollicité pour un équipement de police, ni pour un appui pour un poste de sous-préfet au tour extérieur, ni pour l'obtention d'un grade de lieutenant-colonel en qualité de gendarme réserviste. S'il m'a effectivement parlé d'une demande de port d'arme qu'il avait formulée auprès du ministre de l'intérieur, je n'ai donné aucune suite à cette demande - à laquelle le ministère n'a pas réservé de suite favorable. Enfin, M. Benalla ne m'a jamais sollicité pour faciliter l'obtention d'un permis de port d'arme auprès de la préfecture de police de Paris, autorisation qu'il obtiendra ultérieurement - ce dont ni le ministre, ni son cabinet, ni moi-même n'avons eu connaissance avant la semaine dernière. Voici les quelques éléments qu'il me semblait nécessaire de porter à votre connaissance, afin de concourir à l'indispensable établissement de la vérité sur cette affaire, dont tout le monde se serait bien passé...
M. Philippe Bas , président . - Je vous remercie.
Vous avez pris soin, au début de votre intervention, de souligner « le climat de violence » du printemps dernier à l'occasion des manifestations du 1 er mai et « la grande brutalité » - ce sont vos mots - des actions qui se sont déroulées en marge des manifestations. Suggérez-vous, en insistant sur ce contexte, que les effectifs de police présents sur place étaient en difficulté ? De votre point de vue, si tel était le cas, serait-ce de nature à atténuer la faute reprochée à M. Benalla, observateur, qui a prêté main forte aux effectifs de police présents ?
M. Jean-Marie Girier . - Ce n'est pas le cas. J'ai souligné ce climat pour montrer l'attention du ministre et de son entourage à ces événements. Cette manifestation du 1 er mai revêtait une tonalité particulière, avec des risques importants : les organisations syndicales souhaitaient centrer leur manifestation autour des projets de réforme du Gouvernement, l'ultra-gauche voulait faire de cette journée un point d'orgue de la manifestation, et c'était aussi, symboliquement, le cinquantième anniversaire de mai 68 - nous avions reçu, par nos services de renseignement, une alerte sur un certain nombre d'activistes violents. Mais en aucun cas, les éléments relatifs à ce contexte ne doivent être rapprochés de l'intervention de M. Benalla place de la Contrescarpe.
M. Philippe Bas , président . - Cela va sans dire, mais cela va encore mieux en le disant...
Le port d'arme est l'objet d'une situation assez singulière. Vous avez rappelé qu'une demande, et même deux je crois, ont été adressées au ministre de l'intérieur. Ces demandes n'ont pas obtenu de réponse favorable, mais le préfet de police a délivré le permis de port d'arme. Est-il réellement possible que la préfecture de police n'ait pas informé ni le cabinet, ni les services centraux du ministère de l'intérieur de la délivrance d'un permis de port d'arme pour un collaborateur du Président de la République, dont on a suffisamment souligné ces derniers temps, que sa seule qualité de collaborateur du Président de la République faisait impression sur des agents de la police nationale ? Je suppose donc qu'elle pouvait faire impression aussi sur les services centraux de la préfecture de police comme du ministère ? Il y a une discordance entre l'affirmation selon laquelle la préfecture de police aurait agi seule, et le contexte général qu'on a souvent décrit devant cette commission...
M. Jean-Marie Girier . - Comme j'ai pu l'évoquer dans mon propos liminaire, je n'ai pas été au courant, comme le ministre a pu vous le dire, de la délivrance, le 13 octobre 2017, d'une autorisation de port d'arme pour M. Benalla.
M. Philippe Bas , président . - Si l'on fait un peu d'archéologie, certaines informations attestent que M. Benalla avait déjà demandé un permis de port d'arme pendant la campagne présidentielle. Est-ce qu'en tant que directeur de campagne du candidat Emmanuel Macron, vous pouvez confirmer cette information ?
M. Jean-Marie Girier . - Je peux vous confirmer que M. Benalla disposait d'un permis de port d'arme dans le cadre de la campagne présidentielle, uniquement dans les locaux du siège de campagne.
M. Philippe Bas , président. - Savez-vous s'il a porté cette arme en dehors des locaux du siège de campagne ?
M. Jean-Marie Girier . - Pas à ma connaissance.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - M. le chef de cabinet, le journal Libération a publié un article et une vidéo faisant état d'événements survenus trois heures avant ceux de la Contrescarpe, et mettant en cause M. Benalla et M. Crase. Avez-vous eu connaissance de ces événements : si oui, quand, et si vous n'en avez pas eu connaissance, comment l'expliquez-vous ?
M. Jean-Marie Girier . - Je n'ai pas eu connaissance de ces éléments avant de lire, tout comme vous, l'article de Libération et de découvrir les quelques secondes de vidéo qui témoigneraient de l'intervention de M. Benalla et de M. Crase. Il y apparaît un élément nouveau, à savoir le port d'un brassard par M. Crase - je ne disposais pas de cette information, et au regard des précédentes auditions qui ont pu avoir lieu, les autorités de la préfecture de police n'ont pas semblé avoir eu connaissance d'une intervention préalable à celle de la Contrescarpe.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - M. Benalla a obtenu, dans les conditions que l'on sait, une vidéo présentant les événements qui ont précédé son intervention. Cette vidéo aurait été transmise à un conseiller du Président de la République. Avez-vous eu connaissance de cette vidéo, si oui, quand, en possédez-vous une copie, ou quelqu'un du cabinet du ministre de l'intérieur en possède-t-il une copie, à votre connaissance ?
M. Jean-Marie Girier . - Vous connaissez les conditions dans laquelle la vidéo a été obtenue. Personne, au sein du cabinet du ministre d'État, n'a eu connaissance de cette vidéo, ni n'a vu, ni n'a possédé ni transmis cette vidéo, sous une quelconque forme. Au-delà, ces informations sont désormais couvertes par le secret de l'instruction, et il appartiendra à la justice de faire toute la lumière sur ces faits.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur. - Interrogé le 24 juillet par notre commission, M. le ministre d'État, Gérard Collomb, a déclaré vous concernant, et concernant le recrutement de M. Benalla lors de la campagne présidentielle : « Je ne pense pas qu'il ait » - c'est-à-dire vous-même - « recruté M. Benalla, sinon il y aurait un problème de confiance. »
M. Jean-Marie Girier . - C'est véridique.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Pouvez-vous confirmer que vous n'avez pas recruté M. Benalla, alors que nous avions cru comprendre le contraire ? Dans ces conditions, comment s'est effectué exactement son recrutement ? Avez-vous joué un rôle dans son recrutement ultérieur à la présidence de la République ?
M. Jean-Marie Girier
. - Je n'ai pas
recruté M. Benalla à La République en Marche pour une
raison bien simple : les recrutements étaient effectués par
le trésorier de la campagne et les différents chefs de pôle
- Affaires générales, Communication et Opérations
événementielles. La sécurité dépendait du
pôle Opérations événementielles. M. Benalla a
été recruté en décembre 2016 ; or, à ce
moment-là, je n'avais pas aptitude à recruter quiconque seul.
M. Benalla a été recruté en décembre et j'ai
pris mes fonctions de directeur de campagne au 1
er
janvier.
Comme je tiens à être parfaitement précis, je confirme
avoir été avisé de son embauche, car j'étais alors
le chef de cabinet de la campagne, comme cela apparaît d'ailleurs dans un
courriel publié à la suite des piratages des boîtes e-mail
de la campagne présidentielle, où est portée la mention
« vu avec JMG ».
Votre deuxième question porte sur la confiance. Vous connaissez les relations entre un élu ou un ministre et son collaborateur ; elles sont fondées sur un lien de confiance. J'ai transmis cette information au ministre d'État ; dès lors, il considère que nous sommes en confiance. Je travaille auprès de lui depuis bientôt une dizaine d'années, et je ne doute pas du lien de confiance qui est le nôtre, eu égard à mon engagement et à ma loyauté.
Je n'ai pas été saisi - et je n'avais pas mon mot à dire - du recrutement de M. Benalla à l'Élysée. J'étais alors place Beauvau en qualité de chef de cabinet, et je n'ai pas à porter un quelconque jugement, ni un quelconque regard, sur les recrutements effectués à la Présidence de la République.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Vous avez indiqué avoir revu M. Benalla lors de réunions ou de visites préparatoires. Quel était son rôle ?
M. Jean-Marie Girier . - J'ai revu M. Benalla à l'issue de la période durant laquelle il a fait l'objet d'une suspension. Par exemple, j'ai ainsi récemment traité avec lui des questions de pur protocole : le placement dans les tribunes officielles pour le défilé du 14 juillet, l'accès à l'Élysée et l'organisation de la venue de l'équipe de France de football. Je n'ai eu, dans ce cadre-là, que des relations liées au nouveau périmètre qui était le sien - la gestion d'événements relevant du palais de l'Élysée .
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Vous n'avez jamais eu l'occasion de travailler avec lui avant sa rétrogradation ?
M. Jean-Marie Girier . - Dès son arrivée, j'ai bien évidemment eu l'occasion de travailler à de multiples reprises avec lui, pour les nombreux déplacements qu'a pu effectuer le ministre d'État avec le Président de la République.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Quel était son rôle ?
M. Jean-Marie Girier . - C'était un rôle de chefferie de cabinet assez classique : organisation, gestion des espaces, gestion des flux, gestion du protocole, relations avec la préfecture, relations avec les interlocuteurs institutionnels territoriaux. Lors d'une visite préparatoire, dirigée par un membre de la chefferie de cabinet, nous sommes assez nombreux : l'ensemble des services y concourant sont présents - le ministère concerné, mais aussi le service de presse, la communication, la sécurité ou l'intendance.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Son rôle était-il, selon vous, en lien avec la sécurité ?
M. Jean-Marie Girier . - Non, son rôle n'avait rien à voir avec l'organisation du dispositif de sécurité, mais avec l'organisation globale du déplacement.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Quelle est, à votre sens, la nécessité d'un port d'arme pour ce genre de fonctions ?
M. Jean-Marie Girier . - Comme je l'ai dit, je n'ai pas eu connaissance de l'information de l'autorisation de port d'arme délivrée par le préfet de police ; dès lors, je ne connais ni l'objet de la formulation de sa demande, et au-delà, l'utilisation qui en est faite. Je ne suis pas à même de vous dire l'utilisation que M. Benalla a faite de cette autorisation de port d'arme. Il m'est difficile d'émettre un jugement sur un élément relevant de l'organisation interne du palais de l'Élysée.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Sur l'autorisation de port d'arme de M. Benalla, il est indiqué « mission de police ». Cela est-il compatible avec son rôle ?
M. Jean-Marie Girier . - Je vous ai fait part de l'investissement de M. Benalla sur ses missions organisationnelles que j'ai pu voir, mais je n'ai pas pu voir l'ensemble du champ de ses missions.
M. Philippe Bas , président . - Comprenez - même si vous n'êtes pas à même de répondre personnellement, en raison des attributions qui sont les vôtres, à ces questions - qu'il est assez troublant d'avoir d'un côté une définition de fonctions qui ne semble pas avoir de rapport avec la sécurité, et de l'autre un permis de port d'arme qui est motivé, par le préfet de police, par les attributions de police et de sécurité de M. Benalla. Cela n'exclut pas d'ailleurs que M. Benalla ait d'autres missions que celles de police mais atteste que la présidence de la République a transmis des éléments nécessaires pour que le préfet de police puisse se prononcer sur une demande d'autorisation de port d'arme. Peut-être que ce permis de port d'arme a trait non pas aux fonctions que M. Benalla exerçait auprès du chef de cabinet pour la préparation des déplacements publics du chef de l'État mais - comme il nous a été indiqué - au fait qu'il était responsable de l'organisation des déplacements privés du chef de l'État, et que c'est là que ses compétences en matière de sécurité donnaient toute leur mesure.
Nous avons vu, par ailleurs, M. Benalla accompagner le
Président de la République dans un certain nombre de
déplacements, et faire barrage de son corps lorsque la foule
était un peu trop pressante. Nous constatons qu'il avait, de fait, une
responsabilité de protection rapprochée du chef de l'État
- mais sans doute ne l'avez-vous pas perçue directement
malgré la publicité qui a pu lui être donnée...
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur. - Lorsque vous avez eu connaissance des faits, le 2 mai, avez-vous conseillé au ministre d'État de diligenter une enquête administrative, de saisir l'IGPN ou de saisir la justice eu égard au fait que les événements étaient particulièrement troublants et que des dysfonctionnements lourds sont avérés au sein de la préfecture de police dépendant du ministère de l'intérieur, personne dans la chaîne de commandement de la police n'ayant fait le moindre rapport au préfet de police ou au ministère de l'intérieur sur les événements, alors qu'il y avait un responsable de la police sur la place de la Contrescarpe ?
M. Jean-Marie Girier . - Au regard de cette vidéo, je ne méconnais pas la gravité des faits mais je souhaite, comme vous, que toute la vérité soit faite là-dessus ; la justice en est saisie.
Le plus grave, pour moi, eût été que l'Élysée n'ait aucune réaction ni ne prenne aucune sanction - ce qui n'a pas été le cas. Il ne m'appartenait pas, personnellement, de transmettre ces informations au procureur de la République en vertu de l'article 40 du code de procédure pénale. Dès que j'ai eu connaissance de la vidéo, j'ai transmis immédiatement tous les éléments à mon autorité hiérarchique, qui elle-même a procédé aux diligences nécessaires avec l'Élysée et avec la préfecture de police. Comme l'a rappelé le ministre, lors de son audition, il appartenait à l'autorité hiérarchique - la plus à même de le faire - d'apprécier cela. Dans toute la chaîne décisionnelle, personne n'a estimé opportun de transmettre ces informations au procureur.
Le ministre vous a rappelé que dans la pratique, les ministres de l'intérieur ne saisissent le procureur en vertu de l'article 40 que quasiment uniquement pour des faits qui constituent des délits de presse. Le ministre n'a pas vocation à se substituer à ceux qui sont en responsabilité au plus près du terrain pour recueillir les éléments, et le cas échéant, des signalements.
Un signalement avait été fait sur la plateforme de l'IGPN, laquelle n'a pas jugé devoir donner suite. En l'occurrence, les auteurs des violences n'étaient pas des policiers. Or le rôle de l'IGPN est d'assumer et d'assurer le suivi des fonctionnaires de la police nationale dans de telles situations.
M. Philippe Bas , président . - Nous avons eu l'occasion, à plusieurs reprises, de répéter que cet article 40 ne comporte aucune espèce de restrictions sur la nature des autorités publiques qui doivent l'utiliser. Si le ministre de l'intérieur s'est fait pour lui-même sa propre doctrine - à supposer qu'elle corresponde à celle de ses prédécesseurs - cela n'est qu'une doctrine ; en réalité, l'obligation pèse sur lui comme sur toute autre autorité publique... Les faits justifient-ils vraiment de déclencher l'article 40 ? Nous avons interrogé plusieurs personnalités qui auraient pu le décider elles-mêmes, notamment certaines autorités préfectorales, qui nous ont confortés dans notre idée.
À cet égard, un seul point est absolument certain : le procureur de la République, lui, quand il a eu connaissance des faits, n'a pas estimé qu'ils étaient en deçà du niveau permettant l'ouverture d'une enquête préliminaire, puis d'une instruction.
D'une certaine manière, l'appréciation faite par les différentes autorités hiérarchiques, jusqu'au ministre de l'intérieur et au directeur de cabinet du Président de la République, diverge de celle du procureur de la République de Paris quant à la gravité du délit. Notre commission des lois, investie des pouvoirs d'une commission d'enquête, aura à se prononcer sur ce sujet.
En outre, il importe de savoir si le cabinet du ministre de l'intérieur a demandé, dès les premiers jours qui ont suivi le dysfonctionnement du 1 er mai 2018, à accéder aux images de vidéoprotection de la Ville de Paris, afin de faire la lumière sur les circonstances de l'intervention de M. Benalla place de la Contrescarpe. Le cabinet du ministre s'est-il interrogé sur ce point ? À votre connaissance, la demande a-t-elle été faite, par le cabinet du ministre de l'intérieur ou par une autre autorité ? Il a fallu attendre qu'un grand quotidien rende l'affaire publique pour qu'une enquête de l'IGPN soit ouverte.
Au fond, le 2 mai, s'est-on contenté de savoir, premièrement, que la présidence de la République, qui emploie M. Benalla, a été dûment informée de ce qui s'est passé et, deuxièmement, que celle-ci a décidé d'une sanction ? Cette dernière semble avoir épuisé toute autre réaction des pouvoirs publics face au dysfonctionnement dont il s'agit.
M. Jean-Marie Girier . - Personne, au sein du cabinet du ministre d'État, n'a demandé à avoir accès ni n'a eu accès aux images de vidéoprotection de la Ville de Paris. Nous disposions de la vidéo rendue publique sur les réseaux sociaux par un militant politique, mais d'aucun autre document. Je ne sais pas si une autre autorité a sollicité l'accès aux images de vidéoprotection de la Ville de Paris.
Mme Jacky Deromedi . - Vous avez dit que vous n'étiez pas à l'origine des demandes relatives à l'équipement de police et à la voiture ; que le permis de port d'arme vous avait été demandé, mais qu'il n'avait pas été accordé par votre intermédiaire ; que l'attribution du grade de lieutenant-colonel dans la réserve de la gendarmerie ne relevait pas de vous non plus. Étant donné votre position au ministère de l'intérieur, comment se fait-il que votre avis ne soit jamais pris en compte, pour ce qui concerne une personne appelée à être si proche du Président de la République ?
M. Jean-Marie Girier . - Il faut savoir faire la part des choses. J'ai pu côtoyer Emmanuel Macron et travailler avec lui alors qu'il était candidat. Mais, depuis qu'il a été élu Président de la République, je me suis fixé une règle à son égard : ne jamais aborder avec lui les sujets relatifs au ministère de l'intérieur. C'est, pour moi, un impératif fondamental, une question de loyauté vis-à-vis de mon ministre ; je ne saurais le court-circuiter.
De plus, au regard de ces éléments, je veille à éviter toute ingérence dans les demandes techniques, par exemple dans l'attribution d'un port d'arme, formulées par des agents de la présidence de la République. J'insiste : en aucun cas, et à aucun moment, je n'ai servi pour de quelconques passe-droits entre M. Benalla et le ministre de l'intérieur.
M. Philippe Bas , président . - Savez-vous au moins si, lorsqu'il a rendu sa décision, le préfet de police était informé du refus que les services centraux du ministère de l'intérieur avaient opposé à la même demande ?
M. Jean-Marie Girier . - Je n'ai pas connaissance de cette information.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Vous l'avez compris, nous sommes préoccupés de la sécurité et de la protection du Président de la République. Vous nous dites que vous n'avez pas procédé vous-même au recrutement d'Alexandre Benalla, effectué en décembre 2016 par le mouvement En Marche. Le trésorier d'un mouvement politique signe les contrats d'embauche, mais ce n'est pas lui qui décide de recruter telle ou telle personne dans l'équipe de campagne. Nous ne savons pas qui a décidé de recruter M. Benalla ; cela étant, là n'est pas l'objet de ma question.
En décembre 2016, lors du recrutement du responsable de la sécurité, un certain nombre de vérifications ont dû être menées. Or il a été fait état d'au moins deux incidents graves ayant concerné M. Benalla au cours du mois précédent, au centre de formation d'apprentis (CFA) de Bobigny, le jour de la déclaration de candidature d'Emmanuel Macron, puis dans les locaux d'En Marche, le 24 novembre 2016.
Contestez-vous l'existence de ces incidents ? Avez-vous fait vérifier si M. Benalla était quelqu'un de fiable, s'il correspondait au poste que vous vous apprêtiez à lui confier ? Ce qui nous préoccupe, c'est l'adéquation entre le comportement de l'intéressé et les responsabilités qui lui ont été attribuées, tout d'abord par un mouvement politique, ensuite par la présidence de la République.
M. Jean-Marie Girier . - J'ai été avisé du recrutement de M. Benalla, mais, je le répète, je n'y ai pas procédé. Je ne connaissais pas l'antériorité de son parcours, excepté quelques éléments, notamment son engagement au sein du service d'ordre du parti socialiste pendant de nombreuses années. En particulier, je savais qu'il avait déjà agi dans le cadre d'une campagne présidentielle et que, de ce fait, il disposait d'une certaine expérience. Il s'agissait là d'une forme de plus-value dans la mise en place du dispositif de sécurité d'En Marche. Je savais en outre qu'il avait travaillé comme garde du corps à l'Office européen des brevets et qu'il était alors employé auprès du délégué interministériel pour l'égalité des chances des Français d'outre-mer.
Pour ce qui concerne les faits, je laisse le terme de « gravité » à votre appréciation.
Beaucoup d'entre vous savent ce qu'est une campagne présidentielle et quel est, dans ce cadre, le rôle d'un service d'ordre. Lorsqu'un militant politique vient perturber un événement de la campagne, le service d'ordre reçoit pour mission de l'extraire de la pièce. En général, cela ne se fait pas dans la plus grande cordialité... Il faut savoir répondre à la tension qui se manifeste : tel était le cas à Bobigny, le jour à M. Macron a annoncé sa candidature.
J'ai bien entendu parler du second point que vous mentionnez. Selon moi, il s'agissait de conflits de voisinage, de conflits d'usage, en aucun cas d'éléments de nature à rompre la confiance que nous pouvions alors placer en M. Benalla pour l'accomplissement des fonctions qui lui étaient confiées. Je le rappelle, le périmètre de ces missions était assez large : il s'agissait d'assurer la sûreté des bâtiments, d'organiser la sécurisation et les dispositifs de sécurisation des meetings, de diriger l'animation et la mobilisation de l'ensemble des bénévoles du service d'ordre de la campagne. Lorsque les meetings réunissaient 15 000, voire 25 000 personnes, ce service d'ordre pouvait atteindre 300 à 400 personnes.
Mme Catherine Troendlé . - Vous étiez un homme de confiance du candidat Emmanuel Macron, une pièce maîtresse de sa campagne présidentielle. J'ai moi-même suivi, en d'autres temps, quelques-unes des campagnes précédentes : il me semble qu'un directeur de campagne connaît parfaitement, non seulement le candidat, mais toutes les personnes qui gravitent au plus près de lui. Je m'étonne donc que vous n'ayez pas connu plus précisément le parcours de M. Benalla et que vous n'ayez pas vous-même assuré ce recrutement. Lorsque M. Benalla a été recruté à la présidence de la République, n'avez-vous donc été consulté à aucun moment ?
M. Jean-Marie Girier . - La question de la proximité doit être graduée. À mon sens, les personnes les plus proches d'Emmanuel Macron lors de la campagne étaient ses conseillers en communication, ses conseillers sur le fond, ses conseillers organisant les déplacements, ses conseillers organisant les finances et les ressources humaines, plutôt que les responsables de la sécurité. En l'occurrence, Emmanuel Macron n'avait affaire à M. Benalla que lorsqu'il était à l'extérieur du siège de la campagne, dans ses déplacements ou lors des meetings.
Je vous adresserai donc la même réponse qu'à M. le président de la commission ; une fois devenu Président de la République, M. Macron n'avait pas à me solliciter en quoi que ce soit au sujet de M. Benalla.
M. Philippe Bas , président . - Certes, il n'avait pas à le faire, mais peut-être l'a-t-il fait tout de même : en tout cas, c'est la question de Mme Troendlé.
M. Jean-Marie Girier . - Je vous confirme qu'il ne l'a pas fait. Le Président de la République s'est entouré de collaborateurs, il a mis en oeuvre leur recrutement. Pour ma part, avec mon directeur de cabinet, j'étais bien affairé à organiser l'équipe qui s'installait à l'hôtel de Beauvau.
M. Philippe Bas , président . - D'autres membres de l'équipe de sécurité de la campagne présidentielle se sont-ils vu, ensuite, confier des fonctions au sein de l'exécutif, que ce soit dans les ministères ou à l'Élysée ?
M. Jean-Marie Girier . - En qualité de gendarme réserviste attaché à la garde républicaine, M. Crase a été affecté auprès du commandement militaire de la présidence de la République. Mis à part ce cas, je n'ai connaissance que d'une personne, chargée de la sécurité du candidat Macron au début de la campagne, qui, en tant que membre du GIGN, a ensuite été réintégrée dans la gendarmerie nationale. Cette personne est aujourd'hui au GSPR.
M. François Pillet . - Ma question est dans la droite ligne de celle qui vient d'être posée. Imaginons qu'un certain nombre d'autres contractuels soient chargés, de manière directe ou indirecte, de la sécurité du Président de la République. Serait-il concevable que vous ne les connaissiez pas ?
M. Jean-Marie Girier . - Pour ce qui concerne la sécurité de la présidence, la situation est assez claire. Le GSPR, commandé par le colonel Lavergne, est chargé de la protection personnelle, individuelle du Président de la République, notamment lors de ses déplacements. Le commandement militaire, dirigé par le général Bio-Farina, assure la sécurisation du palais. Enfin, la préfecture de police est responsable de la sécurité périmétrique. Il est évident que, si d'autres personnes interagissaient, nous en serions informés, mais tel n'est pas le cas.
À ma connaissance, il n'y a pas eu d'incident majeur mettant en cause la sécurité du Président de la République lors de ses déplacements : une telle information serait, je l'espère, remontée au ministère de l'intérieur.
M. Alain Richard . - Mes questions s'adressent d'abord à nos rapporteurs ; en effet, je souhaiterais savoir comment progressent nos travaux.
Tout d'abord, avons-nous demandé copie du formulaire de demande d'autorisation de port d'arme ? Le considérant qui figure dans la décision se prononce sur les arguments de la demande. Cette dernière émane, je le présume, du cabinet du Président de la République. Elle a bien été établie par quelqu'un. Avons-nous identifié le chaînage entre la demande et la décision individuelle du préfet de police ?
M. Philippe Bas , président . - Nous avons bien demandé ce document au ministère de l'intérieur ; nous attendons la réponse.
M. Alain Richard . - Ensuite, sauf erreur de ma part, c'est la préfecture de police qui, pour toutes les questions d'ordre public et de circulation, exploite le réseau de vidéoprotection de Paris. Possédons-nous les dispositions contractuelles qui organisent la consultation permanente, par la préfecture de police, de ce réseau de vidéoprotection ? Compte tenu de la réglementation spécifique à la police administrative et à la police municipale à Paris, je suppose que, en la matière, c'est le droit commun qui s'applique.
Enfin - c'est une simple observation, quant aux étapes qui ont conduit au recrutement de M. Benalla -, j'ai quelque expérience du fonctionnement du service d'ordre du parti socialiste ; c'est, à vrai dire, le seul que je connaisse. Ce service d'ordre faisait référence depuis longtemps : le fait d'y avoir longtemps servi était en soi un argument de recrutement.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - On pourrait tout à fait demander le document contractuel relatif à la vidéoprotection, ce qui n'a pas encore été fait.
Monsieur Girier, vous estimez que M. Benalla n'a pas « interagi » avec l'ensemble du dispositif de sécurité du Président de la République, bien qu'il ait disposé d'une autorisation de port d'arme en raison d'une « mission de police » et d'une voiture de police ; on ne sait d'ailleurs pas précisément qui a décidé de mettre ce véhicule à sa disposition.
De plus, j'insiste sur la relative opacité qui apparaît, bizarrement, entre le ministère de l'intérieur et la préfecture de police. Comment expliquer qu'un personnage se présente à une réunion de commandement, où il n'avait rien à faire, qui plus est dans un accoutrement qui vous a vous-même étonné, sans qu'aucune explication ne soit demandée, sans que le ministère de l'intérieur manifeste la moindre réaction ?
Il y avait bien un responsable de la police place de la Contrescarpe : il a constaté les agissements des deux personnes concernées, et, à tout le moins, il aurait dû faire état de ces actes. Étant donné la qualité de ces personnes, le préfet de police aurait dû en rendre compte au ministère de l'intérieur. Tel n'a pas été le cas : pourquoi ? Quelles conséquences en tirez-vous ?
M. Jean-Marie Girier . - À ma connaissance, M. Benalla n'a pas interagi avec les services de sécurité.
Ensuite, à propos de la voiture, une réponse a pu être apportée par le général dirigeant le commandement militaire : il s'agissait d'un véhicule de la présidence de la République, équipé par la présidence de la République.
Vous parlez d'« opacité » entre le ministère de l'intérieur et cette grande maison qu'est la préfecture de police, laquelle compte plus de 40 000 agents. M. le préfet de police lui-même n'était pas informé de la venue de M. Benalla dans la salle de commandement ce 1 er mai 2018. De son côté, le ministre de l'intérieur voit remonter vers lui un grand nombre d'informations ; il est à la tête d'un ministère de près de 300 000 personnes. Vous avez pu le lire dans le rapport de l'IGPN, qui vous a été remis vendredi dernier : le major accompagnant MM. Benalla et Crase ne s'est pas jugé fondé à faire remonter l'information. Peut-être a-t-il été impressionné par la qualité de M. Benalla, comme le suggère M. le président de la commission. La question dont il s'agit sera éclairée par l'instruction judiciaire en cours.
M. Philippe Bas , président . - La question de M. le rapporteur ne portait pas sur le major. Ce dernier est sans doute un agent de grande valeur, mais, compte tenu de son grade, il n'a pas estimé pouvoir s'interposer, ou même être en position d'établir un rapport. Cela étant, un commissaire de police était bien présent place de la Contrescarpe ; nous avons d'ailleurs entendu parler de lui dès le 19 juillet dernier. Comment se fait-il qu'il n'ait pas produit de rapport ? Pourquoi a-t-il fallu attendre qu'une vidéo circule pour que le ministère de l'intérieur déclare avoir été informé de ce qui s'était produit, de même que l'Élysée ?
Vous avez rappelé les échanges d'informations menés, le 2 mai, entre l'Élysée et le cabinet du ministre de l'intérieur. Mais, quand on vous demande si un rapport aurait dû être établi par le commissaire de police présent place de la Contrescarpe, vous ne nous répondez pas. Selon vous, ce rapport aurait-il dû être rédigé, compte tenu de la gravité des faits ? Au regard de la vidéo, vous avez vous-même reconnu l'importance de la situation, au point d'engager un dialogue avec la présidence de la République.
M. Jean-Marie Girier . - Je n'émettrai pas de jugement sur l'appréciation qui a pu être portée tant par le commissaire présent sur place que par le commandant de la compagnie de CRS. Ce dernier l'a indiqué, ses effectifs étaient persuadés d'avoir affaire à des fonctionnaires de police en civil.
Je vous le confirme : à ma connaissance, aucune note n'est remontée au ministre. Désormais, l'enquête judiciaire pourra établir d'éventuelles responsabilités parmi les fonctionnaires de police présents sur place.
M. Philippe Bas , président . - Vous savez combien nous sommes respectueux des attributions de la justice et soucieux de la séparation des pouvoirs : c'est d'ailleurs l'une des raisons qui ont justifié la constitution de cette mission d'information, dotée des pouvoirs d'une commission d'enquête. Cela étant, tout ce qui concerne, non les faits délictueux reprochés à M. Benalla, mais le fonctionnement de la hiérarchie administrative est au coeur de nos interrogations. Il n'est pas du tout certain que le juge ait à se prononcer sur l'opportunité des réactions administratives qui ont eu lieu, ou plutôt qui n'ont pas eu lieu, après la constatation des faits.
Dès lors, nous nous sentons pleinement investis de cette compétence, pour tenter de mettre au jour d'éventuels dysfonctionnements de la part de l'administration. En l'occurrence, il ne me paraît pas tout à fait pertinent de renvoyer à l'instruction judiciaire ; mais nous prenons acte de votre réponse.
Mme Brigitte Lherbier . - Je reviens à la période de la campagne. M. Benalla a été recruté du fait de son expérience, mais cette dernière restait limitée ; il n'avait alors que vingt-cinq ans. Avait-il des diplômes ? Il devait gérer des flux et des personnes, il bénéficiait d'une autorisation de port d'arme au sein du siège du parti : ce n'est pas rien. Certes, la communication est essentielle, mais la sécurité l'est encore plus, d'autant qu'en cette période le plan Vigipirate était encore au niveau le plus élevé du fait de la menace terroriste.
Qui a pu vérifier les diplômes de M. Benalla ? On mesure l'enjeu dont il s'agit quand on sait toutes les obligations administratives incombant aux élus locaux pour recruter un policier municipal. Il me semble aberrant que les compétences d'une personne si proche de M. Macron n'aient pas été examinées plus attentivement.
De plus, M. le préfet Lalande nous a affirmé que, pour préparer la sécurisation d'un site, l'on commence par répertorier l'ensemble des points d'enregistrement. Comment se fait-il que le ministère de l'intérieur n'ait pas demandé tout de suite l'ensemble des points de vidéo qui existaient, pour constater les actes auxquels M. Benalla avait pu se livrer ?
M. Jean-Marie Girier . - M. Benalla était-il trop jeune ? J'ai tendance à croire que la valeur n'attend pas le nombre des années... Moi-même, à l'époque où j'étais directeur de la campagne présidentielle de M. Macron, j'étais âgé de trente-deux ans.
En tant que directeur de la sûreté et de la sécurité, Alexandre Benalla s'occupait de la gestion du parc automobile, de la sécurisation du QG de campagne, de la gestion de l'ensemble du volet « sécurité » de l'organisation des meetings, de l'animation des nombreux bénévoles du service d'ordre et de la sécurité des déplacements.
M. Philippe Bas , président . - Tous les mots comptent : cela veut-il dire que M. Benalla n'avait pas de fonctions de protection rapprochée, autrement dit qu'il n'était pas garde du corps du candidat Macron pendant cette période ?
M. Jean-Marie Girier . - Il s'agit là d'une question intéressante, pour ce qui concerne déroulement de la campagne.
Du jour où Emmanuel Macron a démissionné de ses fonctions de ministre de l'économie, il n'a plus bénéficié d'aucune protection de la part de l'État.
M. Philippe Bas , président . - C'est normal ! Moi-même, lorsque j'ai quitté mes fonctions ministérielles, je n'ai plus bénéficié d'une telle protection.
M. Jean-Marie Girier . - Certes, monsieur le président. Cela étant, jusqu'au mois de janvier 2017, Emmanuel Macron a dû mener sa campagne électorale sans protection de l'État. Le mouvement En Marche a donc dû mettre en place un service de sécurité privée.
Je rappelle que M. Macron, personnalité en vue, a effectué alors de très nombreux déplacements ; qu'il pouvait réunir, lors de ses meetings, plus de 25 000 personnes.
Dès que la sécurité du candidat Emmanuel Macron a été assurée par les agents et les fonctionnaires de police du SDLP, le mouvement En Marche ne s'est plus chargé de la protection physique, de la bulle individuelle du candidat, jusqu'à la fin de la campagne. L'État a repris cette mission de manière progressive.
M. Philippe Bas , président . - Mais M. Macron n'a été candidat que le 16 novembre 2016...
M. Jean-Marie Girier . - La protection de M. Macron a été assurée par l'État à compter du mois de janvier 2017.
Je ne reviendrai pas sur les diplômes de M. Benalla. Je relève simplement que sa situation administrative doit être examinée au regard de la réglementation applicable aux activités privées de sécurité. Tels sont les éléments fournis, à ce titre, par le Conseil national des activités privées de sécurité, le Cnaps. Sa carte professionnelle d'agent de sécurité lui a été délivrée en février 2014 ; elle fait suite à une précédente carte, datée de 2011, et elle est valable jusqu'en février 2019. Cette carte comporte les mentions suivantes : protection physique des personnes, surveillance humaine ou surveillance par des systèmes électroniques de sécurité ou de gardiennage, transports de fonds, sûreté aéroportuaire, opérateur de vidéoprotection. M. Benalla est également titulaire, depuis juillet 2018, d'un agrément de dirigeant de société de sécurité privée. L'ensemble de ces autorisations lui ont été délivrées conformément aux procédures en vigueur, et les enquêtes de moralité menées dans ce cadre semblent ne pas avoir fait apparaître d'élément s'opposant à la délivrance de ces agréments.
Enfin, au sujet des enregistrements, je tiens également à rappeler la chronologie. Le 2 mai 2018 au matin, le cabinet du ministre a disposé de l'information selon laquelle M. Benalla serait intervenu dans le cadre d'une opération de maintien de l'ordre. L'autorité hiérarchique a été dûment avisée, comme l'autorité préfectorale. Dès lors, ce n'était pas au ministre ou à son cabinet d'aller demander, puis visionner les vidéos, mais à l'autorité au plus près du terrain de s'en enquérir. Je ne suis pas en mesure de vous dire quelles suites ont été données.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - À votre connaissance, M. Benalla a-t-il créé une société de sécurité privée, ou avait-il pris des dispositions à cette fin ?
M. Jean-Marie Girier . - Pas à ma connaissance.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Dans ces conditions, quelle était l'utilité de l'agrément de dirigeant de société de sécurité privée ?
M. Jean-Marie Girier . - J'ai fait mention des éléments fournis par le Cnaps.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Alain Richard s'interroge quant au fondement de l'existence des vidéos. Le système de vidéosurveillance existant à Paris est appliqué dans le cadre du plan zonal de vidéoprotection d'Île-de-France ; je renvoie à la délibération du conseil de Paris de 2009 et à la convention du 24 février 2010. En vertu de ce texte, les vidéos dont il s'agit sont la propriété de l'État, qui est chargé du déploiement, du fonctionnement et de la maintenance. La Ville de Paris n'a été sollicitée que pour ce qui concerne l'autorisation d'implantation sur la voirie municipale, l'exonération de la redevance d'occupation du domaine public et les subventions de fonctionnement.
Monsieur Girier, ma question est très simple. Vous insistez sur l'exclusivité de la compétence du GSPR. Dans ce cas, comment expliquez-vous ce que M. Benalla a révélé au journal télévisé de TF1, à savoir qu'il était armé lorsqu'il accompagnait le Président de la République dans ses déplacements privés ?
M. Jean-Marie Girier . - Les images de vidéosurveillance relèvent d'un cadre de conservation et d'exploitation extrêmement strict, défini aux articles L. 252-1 et suivants du code de la sécurité intérieure. L'installation des systèmes de vidéoprotection est soumise à l'autorisation de la CNIL. L'accès en est limité aux agents individuellement désignés et dûment habilités des services de police et de gendarmerie nationales, ainsi que des douanes et des services d'incendie et de secours. En outre, la durée de conservation des images est limitée à un mois, sauf nécessité de les conserver pour les besoins d'une procédure pénale. Surtout, passé ce délai, le code de la sécurité intérieure prévoit expressément que les enregistrements doivent être détruits.
Quant aux propos tenus ces derniers jours dans les médias par M. Benalla, je n'ai pas à les commenter : je n'ai pas connaissance des faits dont il s'agit, n'ayant pas été présent au cours de ces événements.
Mme Catherine Di Folco . - M. Benalla était présent, lors de la manifestation du 1 er mai, en qualité d'observateur. Or le statut des observateurs me semble un peu flou. Vous paraît-il normal que ces derniers assistent à des réunions de préparation ou à des réunions de débriefing internes au ministère de l'intérieur, pour ce qui concerne des opérations de maintien de l'ordre ? M. Benalla était accompagné de M. Crase. D'autres observateurs peuvent-ils être admis à des réunions de cette nature ?
M. Jean-Marie Girier . - Le rapport de l'IGPN, rendu public vendredi, apporte des éclairages sur l'ensemble de ces points. Il fournit également quelques perspectives.
Tout d'abord, il est nécessaire de confirmer et d'amplifier la présence d'observateurs au sein de la police et de la gendarmerie : cette pratique permet une meilleure connaissance de l'action des forces de l'ordre et resserre le lien de confiance entre les forces de sécurité intérieure et la population. Il est bon qu'un certain nombre de chercheurs, d'élus, de magistrats ou de journalistes puissent partager, ne serait-ce que l'espace d'une journée, ce qu'est la vie de nos forces de sécurité.
Toutefois, en la matière, le rapport de l'IGPN constate que la pratique n'est pas uniforme, faute d'un cadre fixant systématiquement les conditions d'autorisation et d'accueil des observateurs et régissant leur présence lors d'opérations de police. De surcroît, ces observateurs ne font pas l'objet d'une identification spécifique, à l'exception, parfois, des journalistes.
Aussi, vos remarques rejoignent en partie les conclusions de l'IGPN : il faut assurer un meilleur encadrement à l'aide de briefings, que ce soit en amont, pour détailler la conduite à tenir et la bonne distance à observer, ou en aval, pour expliquer le travail des forces de sécurité.
L'IGPN suggère ainsi l'établissement d'une charte-type rappelant les grands principes qui doivent présider à l'accueil des observateurs, leurs droits, leurs devoirs et le positionnement hiérarchique suffisant du référent. Elle invite à la signature systématique d'une convention avec l'observateur. Enfin, elle préconise le port d'un signe distinctif permettant d'identifier l'observateur sans ambiguïté.
Le ministre d'État saura, dans les tout prochains jours, se saisir de ce rapport, pour que, dans un cadre mieux organisé et de manière mieux régulée, la présence des observateurs soit assurée à l'avenir.
M. Jacques Bigot . - Monsieur Girier, nous vous auditionnons, non seulement comme chef de cabinet du ministre de l'intérieur, mais aussi comme ancien directeur de campagne de M. Macron. En cette seconde qualité, pouvez-vous nous dire quelle était, durant la campagne, la place, à ma connaissance éminente, de M. Gérard Collomb ? Est-il vraisemblable que le ministre de l'intérieur n'ait pas su qui était M. Benalla lorsqu'il l'a rencontré avec vous, comme vous l'avez dit à plusieurs reprises ?
M. Jean-Marie Girier . - M. Collomb, alors maire de Lyon et président de la métropole de Lyon, occupait, lors de la campagne de M. Macron, la place d'un élu engagé et investi pour un projet, auprès d'un candidat à l'élection présidentielle.
M. Collomb rencontrait régulièrement M. Macron ; ils abordaient divers sujets, et leurs discussions portaient tant sur le fond que sur la forme. Mais - je vous l'atteste -, lors de ces réunions, M. Benalla n'était pas présent. Si M. Collomb a pu le rencontrer au cours de la campagne, il n'a fait que le croiser, dans des circulations, devant une porte ou à proximité d'un véhicule, lors d'un départ de cortège. À aucun moment il ne s'est trouvé en sa présence lors de telle ou telle réunion de travail. Il ne le connaissait que de vue. Il ne savait ni son nom, ni son prénom, ni ses fonctions.
Mme Agnès Canayer . - Vous nous dites avoir été parmi les premières personnes informées des agissements de M. Benalla le 1 er mai 2018. Vous affirmez, de plus, avoir pris toutes les mesures qui s'imposaient, en saisissant votre hiérarchie. À quel moment avez-vous connu la nature de la sanction prononcée à l'encontre de M. Benalla ? Avez-vous été informé de la présence de M. Benalla lors d'événements postérieurs à la mise en oeuvre de cette sanction ? A fortiori , avez-vous pu constater, de la part de M. Benalla, des comportements dépassant les nouvelles fonctions, plus protocolaires, qui lui avaient été attribuées après sa rétrogradation ?
M. Jean-Marie Girier . - Je n'ai pas été informé le 1 er mai, mais le 2 mai au matin. Puis, le 2 mai au soir, mon directeur de cabinet et moi-même avons appris, de la part du directeur de cabinet de la présidence, qu'une sanction allait être prise. Toutefois, nous n'en avons pas connu la nature, et je n'ai pas eu d'échange à ce sujet.
Pendant peut-être un mois, je n'ai pas eu affaire à M. Benalla ; au cours de ce mois de juillet, j'ai eu un certain nombre d'échanges avec lui, au sujet d'événements se déroulant au palais.
Le 2 mai au matin, lorsque j'ai découvert la vidéo, j'ai dû visionner les images plusieurs fois pour y croire : la personne que j'ai connue pendant la campagne électorale n'était en aucun cas violente. Au contraire, dans des climats de forte tension, tels que l'on peut les connaître lors d'une campagne présidentielle, c'était quelqu'un qui savait gérer son stress et garder son calme. Je vous l'avoue, j'ai été particulièrement surpris de le voir agir de cette manière.
M. Éric Kerrouche . - Le général Bio-Farina a déclaré que Vincent Crase était présent le 1 er mai dernier, non pas comme réserviste, mais comme simple citoyen. Le ministère de l'intérieur s'est-il enquis du statut exact de M. Crase ce jour-là, alors même que, à ma connaissance, il a été suspendu de la réserve opérationnelle de la présidence le 3 mai ? Le ministère de l'intérieur va-t-il prendre une décision à son sujet ? Pourquoi cette dernière n'a-t-elle pas encore été prise ?
M. Jean-Marie Girier . - Au sujet de la présence de M. Crase le 1 er mai 2018, je me permets de vous renvoyer à la page 13 du rapport de l'IGPN. « Alexandre Benalla est accompagné, pour la circonstance - à son arrivée à la préfecture de police -, d'une seconde personne, qu'il présente comme un collaborateur, en l'occurrence M. Vincent Crase. Le major Mizerski ne connaît pas M. Crase, mais ne demande pas d'explication, compte tenu du « statut » de M. Benalla, représentant affiché, et reconnu comme tel par sa hiérarchie, de la présidence de la République. »
Pour ce qui concerne le statut de réserviste dont dispose M. Crase, la gendarmerie nationale s'est exprimée à la fin de la semaine dernière. Une période de suspension a été prononcée. La gendarmerie nationale et le ministère de l'intérieur s'exprimeront après l'instruction judiciaire quant aux suites à donner aux contrats de réserviste de M. Crase et de M. Benalla.
M. Philippe Bas , président . - Je reviens sur l'agrément de dirigeant d'entreprise de sécurité privée, accordé le 9 juillet dernier, qui a interpellé un grand nombre de nos concitoyens. Comment expliquer qu'un tel agrément ait pu être délivré, à cette date, à M. Benalla, compte tenu des fonctions qu'il occupait encore à l'Élysée ? Au titre de la procédure d'instruction par le Cnaps, une enquête de moralité a-t-elle été conduite à cette occasion ? Si oui, comment expliquer que l'agrément lui ait été donné, alors même qu'il avait fait l'objet d'une sanction ?
M. Jean-Marie Girier . - Vous venez de l'indiquer, l'agrément a été délivré par le Cnaps. Je n'en connais pas les motivations. Sur ce point, seul l'intéressé pourrait vous répondre.
M. Philippe Bas , président . - Cet organisme est pourtant sous la tutelle du ministère de l'intérieur.
M. Jean-Marie Girier . - En effet.
M. Philippe Bas , président . - Peut-être votre directeur de cabinet, que nous auditionnerons à quatorze heures trente, pourra-t-il nous en dire davantage... Veuillez poursuivre.
M. Jean-Marie Girier . - Je vous confirme que les enquêtes de moralité, qu'il s'agisse des antécédents judiciaires ou des fiches de police, sont toujours menées, dans ce cadre, par le Cnaps.
M. Christian Cambon . - Je reviens sur le permis de port d'arme accordé à M. Benalla. Mme Lherbier l'a relevé : pour solliciter un tel permis en faveur d'un policier municipal, n'importe quel maire de France suit les règles imposées, à très juste titre, par le ministère de l'intérieur. Il faut mener une enquête approfondie au sujet de l'intéressé. Celui-ci doit suivre une formation et un entraînement, pouvant déboucher sur une double autorisation, et du préfet du département, et du procureur de la République. Cette procédure peut demander plusieurs mois : à son terme, un policier municipal, qui a passé un concours, peut, en vertu de sa profession, bénéficier d'un permis de port d'arme.
Ma question est simple : quelle formation M. Benalla a-t-il reçue pour bénéficier d'un permis de port d'arme ? Avez-vous des renseignements précis à propos des séances d'entraînement qu'il a pu suivre ? D'autres personnes, bénéficiant d'un permis de port d'arme, ont-elles été dispensées d'une manière ou d'une autre de cette séquence extrêmement longue et difficile ?
M. Jean-Marie Girier . - Il ne m'appartient pas de porter une appréciation quelconque sur la période élyséenne. Je vous répondrai donc à propos de la période de campagne.
Je vous confirme que, au sein du ministère de l'intérieur, la direction des libertés publiques et des affaires juridiques, la DLPAJ, assure une instruction et que plusieurs services donnent leur avis, qu'il s'agisse du renseignement territorial ou de l'unité de coordination de lutte antiterroriste, sans oublier le directeur général de la police nationale, le DGPN.
M. Benalla s'est vu délivrer une autorisation de port d'arme en octobre 2017 sur un fondement différent, en vertu du code de la sécurité intérieure, sans que le cabinet du ministre ou le ministre lui-même en aient été informés. Durant la campagne présidentielle, M. Benalla bénéficiait d'un permis de port d'arme. À titre personnel, il était tireur sportif. Mais je ne saurais vous apporter d'éléments précis quant aux exercices, quant au nombre de tirs réglementaires et réguliers qu'il a pu effectuer.
M. Pierre Cuypers . - À mesure que la commission mène ses auditions, j'ai le sentiment, peut-être par trop personnel, que M. Benalla est un électron libre. À propos des manifestations du 1 er mai dernier, il a déclaré avoir fait un acte citoyen, pour épauler les forces de police. Ces dernières étaient-elles insuffisantes ce jour-là ? En outre, de qui M. Benalla dépend-il hiérarchiquement ?
M. Jean-Marie Girier . - M. Benalla était chargé de mission auprès du chef de cabinet du Président de la République. Son supérieur direct était donc le chef de cabinet du Président de la République, au-dessus duquel se trouve le directeur de cabinet du Président de la République.
Les forces de police présentes place de la Contrescarpe étaient-elles suffisantes ? Il reviendra à la justice de l'établir. Je ne me permettrai pas de qualifier les faits.
M. Éric Bocquet . - Dans votre propos liminaire, au sujet d'éventuels passe-droits, vous avez déclaré : « M. Benalla n'a bénéficié d'aucun traitement privilégié par mon intermédiaire. » M. le président de la commission l'a rappelé, chaque mot compte. Faut-il comprendre que M. Benalla aurait pu bénéficier de certaines faveurs de la part d'autres intermédiaires, en dehors du ministère de l'intérieur ?
M. Jean-Marie Girier . - Je ne suis pas fondé à porter d'appréciation sur d'autres interventions que les miennes.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Certaines photographies circulent, qui font état de la présence de M. Benalla au côté du Président de la République le 12 mai dernier à Porquerolles. S'agit-il de faux grossiers ?
M. Jean-Marie Girier . - Je n'en ai aucune idée.
M. Philippe Bas , président . - Nous vous remercions.
Audition de M. Stéphane
Fratacci, directeur de cabinet
de M. Gérard Collomb, ministre
d'État, ministre de
l'intérieur
(Lundi 30 juillet 2018)
M. Philippe Bas , président . - Nous recevons M. Stéphane Fratacci, directeur de cabinet du ministre de l'intérieur. Un faux témoignage devant notre commission des lois dotée des prérogatives d'une commission d'enquête serait passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Stéphane Fratacci prête serment.
M. Philippe Bas , président . - Je rappelle aussi que nos auditions ne sont pas des comparutions, et que notre commission n'est pas un tribunal : elle a pour mission d'établir la vérité des faits et surtout de s'intéresser aux dysfonctionnements dans l'appareil d'État et aux remèdes qui pourraient leur être apportés.
M. Stéphane Fratacci, directeur de cabinet de M. Gérard Colomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur . - Je reviendrai rapidement sur la chronologie des 1 er , 2 et 3 mai derniers ainsi que sur celle des 18 et 19 juillet, avant de formuler quelques considérations générales, liées notamment au rapport remis par l'inspection générale de la police nationale (IGPN) au ministre ce vendredi 27 juillet.
Le 1 er mai, j'ai consacré ma journée - avec une partie du cabinet du ministre - au suivi des différentes manifestations qui se déroulaient en France et à Paris, en relation régulière avec le préfet de police et les directeurs généraux de la police et de la gendarmerie nationales (DGPN et DGGN). S'il n'est pas dans les habitudes du directeur de cabinet de se déplacer sur le terrain, j'ai fait une exception à cette règle ce soir-là pour participer, vers 23 heures, à la visite du Premier ministre, avec le ministre de l'intérieur et le préfet de police, au commissariat du 13 ème arrondissement, à la rencontre d'unités engagées ce jour-là dans des opérations de maintien de l'ordre spécialement difficiles.
Le 2 mai au matin, je me suis rendu à 8 h 30 à la réunion dite d'état-major, qui rassemble autour du ministre d'État, et de son directeur de cabinet, les directeurs des forces de sécurité intérieure et des représentants de la préfecture de police. Le ministre a ouvert cette réunion et s'est fait préciser le bilan des événements du 1 re mai sur l'ensemble du territoire. Après cette réunion d'état-major, vers dix heures, je me suis rapproché du chef de cabinet du ministre pour visionner une vidéo qu'il m'avait signalée plus tôt ce matin-là. J'en ai pris connaissance et celui-ci m'a indiqué que l'auteur de l'interpellation violente qu'on y voyait était un collaborateur de la présidence de la République, M. Benalla. Il a ajouté qu'il avait eu connaissance de cette vidéo par un chargé de mission de la présidence de la République.
J'en profite pour préciser que je connaissais peu M. Benalla. J'avais eu l'occasion de le rencontrer à plusieurs reprises au cours de l'année, toujours courtoisement, essentiellement à l'Élysée, notamment à l'occasion de réceptions officielles. J'ai souvenir également de sa présence à l'occasion d'une réunion au ministère de l'intérieur, lorsque le Président de la République avait présidé une réunion de la cellule de crise après l'attentat de Trèbes. J'ai rencontré M. Benalla pour la dernière fois le 16 juillet dernier, devant la place Beauvau, en me rendant à la réception organisée dans les jardins de l'Élysée en l'honneur de l'équipe de France de football. Sur la base de ces rares contacts, je n'aurais pas été en mesure d'identifier spontanément M. Benalla sur la vidéo.
Après avoir regardé cette vidéo, je me suis mis en relation avec le directeur de cabinet du Président de la République pour m'assurer qu'il avait bien eu connaissance de cette information, ce qu'il m'a confirmé. C'est à ce moment-là, et alors que je m'apprêtais à appeler le préfet de police pour partager avec lui cette information, puisqu'il s'agissait d'un événement survenu à l'occasion d'une opération de maintien de l'ordre placée sous sa responsabilité, que celui-ci m'a contacté au sujet de cette vidéo. Dans mon échange avec lui, je me suis naturellement référé aux termes de ma conversation avec le directeur de cabinet du Président de la République. J'ai également fait part au préfet de police du souhait du ministre de se déplacer dès la fin de la matinée sur l'itinéraire de la manifestation de la veille, et lui ai indiqué la nécessité pour lui de se rendre à Beauvau pour accompagner le ministre.
Le ministre est parti pour ce déplacement sans que nous puissions faire un point d'actualité avec lui comme nous en avons l'habitude. Lorsqu'il est rentré au ministère en milieu d'après-midi, le chef de cabinet et moi-même avons immédiatement fait un point avec lui et lui avons présenté la vidéo, en la visionnant. Il a considéré lui-même que le comportement de l'intéressé était inacceptable, et nous lui avons indiqué qu'il s'agissait d'un collaborateur de la présidence de la République, M. Benalla, et que la présidence de la République était informée.
Plus tard dans la journée, ce 2 mai, ayant à nouveau échangé avec le directeur de cabinet du Président de la République, je me suis assuré que l'autorité hiérarchique de M. Benalla était en mesure de donner toutes les suites appropriées. En toute fin de journée, j'ai de nouveau échangé avec le directeur de cabinet du Président de la République pour lui demander quelles étaient les suites envisagées au vu du comportement de l'intéressé. S'étant peu de temps auparavant entretenu avec M. Benalla, il m'a alors répondu que celui-ci s'était rendu dans cette opération de maintien de l'ordre avec son autorisation mais sans être missionné par la présidence ; qu'il avait été doté par la préfecture de police d'un équipement de protection, conformément à la pratique pour l'accompagnement des personnes admises comme observateurs ; que les actes de violence commis par M. Benalla étaient inacceptables ; et que des sanctions disciplinaires seraient prises. Estimant la situation prise en compte, j'en ai rendu compte au ministre le 3 mai au matin. Après cela, nous n'avons plus évoqué la situation de M. Benalla.
Le 18 juillet, j'ai été informé dans l'après-midi par la conseillère communication et par le chef de cabinet que le journal Le Monde allait publier un article sur le comportement de M. Benalla montré par la vidéo. Le ministre en a été également informé. Le jour même, à l'issue de la réunion dite de police, que je tiens trois fois par semaine vers 19 heures avec le préfet de police, le DGPN et le DGGN, j'ai signalé au préfet de police la prochaine publication de cet article.
Au vu de la parution de nouvelles images montrant M. Benalla pourvu d'un brassard de police et d'un équipement radio, le ministre nous a demandé de préparer une saisine de l'IGPN pour préciser les conditions dans lesquelles M. Benalla avait été autorisé par la préfecture de police à assister à des opérations de maintien de l'ordre, formuler toutes les recommandations nécessaires sur les conditions dans lesquelles des observateurs pouvaient être accueillis dans le cadre d'opérations de police et remédier aux éventuels dysfonctionnements. Le rapport a été remis au ministre ce vendredi 27 juillet et vous a été transmis le jour même.
Avant de conclure mon propos, je souhaiterais formuler trois remarques d'ordre général. Première remarque : le rôle du directeur de cabinet d'un ministre est de s'assurer de la meilleure consolidation possible des informations recueillies avant leur transmission au ministre. Par construction, le ministère de l'intérieur brasse une quantité considérable d'informations de toute nature, certaines anecdotiques, d'autres de grande ampleur, allant de la bulle d'informations médiatiques aux renseignements classifiés. Pour d'évidentes raisons de confidentialité, les informations les plus sensibles peuvent remonter directement au directeur adjoint ou au directeur du cabinet du ministre, auxquels il incombe fréquemment de les confirmer, de s'assurer de leur exactitude et de les mettre en perspective avant leur communication. Dans un ministère qui est celui de l'urgence et de l'action, ce rôle implique une priorisation de chaque instant, dans l'urgence mais sans précipitation.
Par ailleurs, le directeur de cabinet joue un rôle tout particulier d'interlocuteur des autres représentants de l'exécutif : il est l'interlocuteur habituel du directeur de cabinet du Président de la République, de celui du Premier ministre et des autres directeurs de cabinet des autres ministères. Il est évidemment un interlocuteur privilégié des préfets partout sur le territoire national et, bien sûr, du préfet de police. À ce titre, les échanges entre le directeur de cabinet du ministre de l'intérieur, le préfet de police et le directeur de cabinet du Président de la République sont naturels et fréquents compte tenu du rôle de la préfecture de police vis-à-vis des autorités gouvernementales et de la présidence de la République dans la capitale : la préfecture de police est en charge de l'organisation et du bon déroulement en matière de sécurité de toutes les grandes manifestations qui surviennent à Paris, mais aussi des déplacements du Chef de l'État à Paris et de la sécurité du périmètre de proximité de la présidence de la République. Les grands événements d'ordre public ayant le plus souvent lieu à Paris, il est normal que chacun de nous dispose d'une bonne information.
Ma seconde remarque portera sur les leçons à tirer de ces événements pour préciser et consolider les conditions d'accueil d'observateurs au sein des services de police et de gendarmerie. Le rapport remis par l'IGPN, dans le cadre de la mission que lui a confiée le ministre, énonce sur ce point des recommandations qui seront mises en oeuvre dès cette semaine. L'IGPN acte la nécessité de poursuivre et de développer l'accueil d'observateurs au sein de la police et de la gendarmerie ; elle souligne la variété des profils et centres d'intérêt des personnes accueillies, que ce soit dans le cadre de leurs études ou de leur formation professionnelle, au titre de leurs fonctions qui les conduisent à travailler avec les forces de sécurité intérieure, ou même dans le cas de missions générales d'information ou de contrôle. Cette pratique contribue à une meilleure connaissance de l'action des forces de l'ordre et au lien de confiance qui doit exister entre elles et la population.
Néanmoins, à la lumière des événements du 1 er mai, l'IGPN recommande de mieux l'encadrer.
Elle invite tout d'abord à ce que l'autorisation d'accueil de l'observateur soit formalisée à un niveau hiérarchique élevé, même si elle doit rester déconcentrée, et à ce qu'une plus grande attention soit apportée au niveau hiérarchique du référent de l'observateur en cas de déplacement sur le terrain pour qu'il puisse s'assurer du respect du cadre de l'observation. Le responsable opérationnel de police devrait aussi pouvoir mettre un terme à tout moment à l'observation. Il est également conseillé la rédaction d'une charte rappelant les grands principes qui doivent présider à l'accueil des observateurs et les droits et devoirs de l'observateur ainsi que la place du référent. Cette charte devra être signée par l'observateur. L'IGPN recommande enfin le port d'un signe distinctif par l'observateur, qui soit différent de ceux des personnels directement engagés dans la mission sans faire pour autant de l'observateur une sorte de cible privilégiée au sein des forces de l'ordre.
Enfin, je souhaite insister sur ce qu'était le contexte et rendre solennellement hommage aux forces de sécurité intérieure, au regard de leur engagement des semaines passées, qu'il s'agisse d'opérations de maintien de l'ordre, d'évacuations complexes comme celles de la zone de Notre-Dame-des-Landes ou de Bure, ou encore d'opérations de prévention et de lutte contre le terrorisme. Ce contexte évident de tension, de violence, de forte mobilisation de l'ensemble du ministère est celui dans lequel l'urgence de notre journée du 2 mai fut d'établir le bilan des événements du 1 er , d'assurer le contact avec les entrepreneurs victime de graves dégâts et, dans le même temps, de se plonger dans la préparation de journées d'action et de manifestations qui s'annonçaient dans les jours à venir : manifestation du 5 mai, préparation de la deuxième phase d'évacuation de Notre-Dame-des-Landes, évacuation projetée de sites universitaires, le tout alors que continuait et continue de peser sur la France une menace terroriste qu'on ne peut que qualifier d'intense.
Nous avions subi un attentat à Trèbes à la fin du mois de mars et, dix jours après cette manifestation du 1 er mai, Paris était à nouveau victime d'un attentat, qui a de nouveau réclamé une réaction de l'ensemble des services de police. Nous étions donc, et nous sommes toujours, dans un contexte où l'attention du ministre et de ses proches collaborateurs sont tournées vers la protection des Français. C'est également le sens principal de la mobilisation des forces de l'ordre, dont je souhaite saluer le niveau d'engagement au moment où elles sont elles-mêmes éprouvées par les effets pour leur image du débat public de ces derniers jours.
M. Philippe Bas , président . - Merci, monsieur le directeur. Je veux moi aussi rendre hommage à nos forces de sécurité, qu'il s'agisse des forces rattachées à la police nationale ou de celles qui dépendent de la gendarmerie. En effet, le dysfonctionnement qui a été relevé le 1 er mai dernier, avec la participation d'un collaborateur du Président de la République à une opération de maintien de l'ordre, ne doit en rien ternir l'action maîtrisée de la police et de la gendarmerie. Nombre d'agents des forces de sécurité sont rudement éprouvés par la confusion qui semble s'être créée dans les esprits de certains entre ce qui n'est qu'un dérapage individuel et délictueux d'un collaborateur du Président de la République et ce qui aurait pu être une bavure policière, si elle avait été commise par des membres de la police nationale ou de la gendarmerie, ce qui n'est absolument pas le cas. Qu'il soit donc bien clair pour toutes les forces de sécurité et tous leurs agents que ce qui est en cause, ce n'est pas leur comportement, en général irréprochable, mais bien un dysfonctionnement de l'État auquel elles n'ont pas pris part. Nous savons bien ici que les forces de police et de gendarmerie sont sous tension depuis plus de trois ans maintenant, depuis les premiers attentats terroristes. Elles sont très fortement sollicitées pour prévenir de nouveaux actes terroristes, mais aussi pour garantir la sécurité publique. Au Sénat, une commission d'enquête sur l'état des forces de sécurité intérieure a rendu récemment ses conclusions, sur le rapport de notre collègue François Grosdidier. C'est dire si nous partageons cette très vive préoccupation.
Est-il naturel que, le 2 mai, vous appreniez les choses parce que l'Élysée vous communique une vidéo alors que, place de la Contrescarpe, il y avait des cadres de la police nationale qui auraient pu et certainement dû faire remonter l'information ? Celle-ci aurait dû être jugée, à tous les étages, aussi sensible que vous l'avez jugée vous-même quand vous en avez été alerté - puisque vous vous êtes immédiatement mis en relation avec la présidence de la République et en avez rendu compte à votre ministre.
Les images de vidéoprotection de la Ville de Paris sont accessibles aux services de police. Avez-vous fait immédiatement une demande pour accéder à des images complémentaires à celles qui semblent vous être parvenues par les réseaux sociaux ? Je ne comprends pas, compte tenu de la gravité des faits, que le ministre de l'intérieur et son cabinet n'aient pas été immédiatement informés par un canal interne.
M. Stéphane Fratacci . - Les événements de la Contrescarpe étaient loin d'être au centre des préoccupations d'ordre public ce jour-là. L'attention se portait surtout sur ce qui s'était produit place Valhubert et sur le début du boulevard de l'Hôpital, avec la formation dans le cortège de tête d'un bloc de 1 200 Black blocs violents, cherchant manifestement à en découdre et à commettre des dégâts sur les commerces.
Les rapports qui nous parvinrent le soir du 1 er ainsi que le 2 mai portaient essentiellement sur les dommages, l'identification du nombre de personnes qui avaient été interpellées et sur les suites à donner à ces interpellations. Le 2 mai, une polémique roulait sur la gestion de la manifestation du 1 er mai. Dans ce contexte, les restitutions orales qui nous étaient faites étaient loin de se focaliser sur les événements de la place de la Contrescarpe.
Il n'est pas rare que l'information arrive par différents canaux, notamment par les réseaux sociaux. Et il est assez normal que l'on s'assure du partage d'une information avec les autorités en charge du maintien de l'ordre, ce que nous avons fait.
Les images issues de la vidéoprotection relèvent d'un cadre de conservation et d'exploitation extrêmement strict défini par le code de la sécurité intérieure en ses articles L. 252-1 et suivants : l'installation de ces systèmes est soumise à autorisation de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) et l'accès en est réservé aux agents individuellement désignés et habilités des services de police et de gendarmerie, des douanes et des services d'incendie et de secours ; la durée de conservation des images est aussi encadrée par le législateur. Le 2 mai, je me suis assuré que l'employeur de M. Benalla avait aussi connaissance de cette vidéo et qu'il était en situation d'en apprécier toute la portée.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Vous avez évoqué la présence de M. Benalla à une réunion de crise tenue à la suite de l'attentat de Trèbes. Quel y était son rôle ?
M. Stéphane Fratacci . - Je l'ai croisé en me rendant à cette réunion, mais je n'ai pas le souvenir qu'il y ait assisté. Quand le Président de la République se rend à l'Hôtel de Beauvau, des précurseurs y viennent avant son arrivée et l'accompagnent dans ses cheminements à l'intérieur de la salle de crise. Je n'ai pas le souvenir d'avoir vu M. Benalla à la réunion de la salle de crise. Cela dit, comme le ministre de l'intérieur était lui-même en déplacement à Carcassonne et à Trèbes, il me revenait d'accueillir le Premier ministre et le Président de la République et je me suis focalisé sur leur accueil, leur présence et le déroulement de la réunion.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Lorsque vous prenez connaissance des faits du 1 er mai, n'envisagez-vous pas de saisir l'IGPN, ou plutôt de conseiller au ministre de le faire ?
M. Stéphane Fratacci . - Lorsque nous avons eu connaissance de cette vidéo et de l'identité de la personne qu'on y voyait, je me suis assuré que son employeur était en situation d'y apporter des suites. Comme il ne s'agissait pas de personnel relevant des forces de sécurité intérieure, la question de la saisine de l'IGPN n'a pas du tout été évoquée.
M. Philippe Bas , président . - Vous-même, n'y avez-vous pas songé ?
M. Stéphane Fratacci . - Nous y avons songé le 19 juillet, au vu de nouvelles images montrant l'emploi d'un brassard et d'équipements de police. Le ministre a alors jugé nécessaire de demander à l'IGPN de regarder comment les observateurs ont été accueillis ce jour-là.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - J'essaie de comprendre. Le 1 er mai, comme la personne qui commet ces faits ne relève pas du ministère de l'intérieur, vous ne saisissez pas l'IGPN, alors même qu'elle a commis des faits violents et a échappé à l'attention de la police nationale qui l'avait en charge. Au mois de juillet, le fait que cette même personne porte un brassard et une radio vous incite à saisir l'IGPN. N'y a-t-il pas une disproportion entre le fait de commettre des violences et d'échapper à la surveillance de la personne qui était en charge de l'observateur, et le fait de porter un brassard et d'avoir une radio ? Les premiers faits sont plus graves que les seconds...
M. Stéphane Fratacci . - Ce n'est pas une question de proportionnalité ou de gravité : il s'agit de la nature des investigations et des recommandations sollicitées auprès de l'IGPN. L'IGPN peut être saisie pour des actes commis par ou imputés à des policiers ou des gendarmes. En juillet, s'est posée la question des conditions d'accueil de l'observateur.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - La directrice de l'IGPN estimait pour sa part que si elle avait su qu'il s'agissait d'un observateur et non d'un policier, elle aurait déclenché une enquête administrative et demandé une enquête judiciaire immédiatement. L'article 40 du code de procédure pénale fait obligation à toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire de signaler au parquet les délits ou les crimes. Pourquoi ne l'avez-vous pas fait ?
M. Stéphane Fratacci . - Sur l'article 40 du code de procédure pénale, beaucoup a déjà été dit, y compris devant votre commission. Au sein du ministère de l'intérieur, j'ai occupé, avant celles-ci, des fonctions préfectorales et des fonctions en administration centrale. La doctrine a toujours été la suivante : il est de la responsabilité de l'autorité hiérarchique du fonctionnaire ou de l'agent public qui commet le manquement passible de sanctions pénales d'engager les procédures adéquates et de saisir, le cas échéant, l'autorité judiciaire, après avoir procédé aux investigations nécessaires pour établir les faits.
Pour des faits qui ne concernent pas les agents du ministère de l'intérieur, c'est habituellement l'autorité territorialement compétente qui prend l'initiative des signalements au procureur, sans qu'il soit besoin de l'aval du ministre ou de son cabinet. Enfin, les saisines à l'initiative du ministre se réfèrent essentiellement à la loi de 1881 sur la presse, ce qui s'explique par le fait que les dispositions de cette loi réservent au seul ministre la capacité d'agir pour défendre la police nationale en tant que corps.
Ce qui comptait à nos yeux, c'est que l'autorité en charge de l'emploi soit en mesure de réagir et de prendre toutes les mesures nécessaires. Quant à l'avis de la chef de l'IGPN, je n'ai pas à le commenter. Et le préfet de police a annoncé des mesures pour mieux encadrer la présence d'observateurs.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - M. Benalla a obtenu copie d'une vidéo issue des images de vidéoprotection qui restitue les événements antérieurs à ceux qui figurent sur la vidéo que tout le monde a pu voir à la télévision et sur les réseaux sociaux. Cette copie a été confiée par M. Benalla à un conseiller de la présidence de la République et est apparue ensuite sur un certain nombre de réseaux sociaux, avant d'en disparaître d'un coup. Avez-vous vu cette vidéo ? Quelqu'un l'a-t-il vue, à votre connaissance, au sein du cabinet du ministre de l'intérieur ? Existe-t-il une copie de cette vidéo qui subsisterait dans les services du ministère de l'intérieur ou de la préfecture de police ? Si oui, pouvez-vous nous la communiquer ?
M. Stéphane Fratacci . - Non, je n'ai pas vu cette copie, et je ne crois pas que quiconque l'ait vue au ministère. Le 18 juillet, nous sommes déjà au-delà du mois de conservation autorisé par le cadre légal. J'ai entendu dire que des images de vidéoprotection auraient été conservées au-delà de ce délai. Il appartient au préfet de police de formuler des propositions et des recommandations pour remédier à de telles conservation d'images au-delà du délai prévu. Pour le surplus, je ne peux que vous renvoyer à l'information judiciaire ouverte.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Nous veillons à ne pas empiéter sur ce qui relève de l'enquête judiciaire, mais avez-vous eu connaissance des nouveaux faits relatés dans le journal Libération ?
M. Stéphane Fratacci . - Je les ai découverts en lisant ce journal, et en regardant la courte vidéo correspondante. C'est au procureur de la République de décider des suites qu'il entend leur donner.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - J'avais le sentiment que le ministère de l'intérieur disposait de quelques capacités d'information... Un chargé de mission auprès du chef de cabinet du Président de la République devient observateur dans un contexte sensible : le préfet de police n'est pas au courant, le ministre de l'intérieur n'est pas au courant. Place de la Contrescarpe, des responsables de la police voient un membre du cabinet du Président de la République commettre certaines actions très concrètes : ils n'en rendent pas compte à leur supérieur hiérarchique, ni au préfet de police, ni au ministère de l'intérieur. L'intéressé se trouve dans une réunion de commandement, personne ne sait qui l'a convié, comment il est arrivé là et quelle remarque aurait été faite sur sa présence. En général, on va aux réunions auxquelles on est convié... Puis, personne ne sait vraiment dans quelles conditions a été délivré un permis de port d'arme à M. Benalla : on nous dit qu'il n'exerce pas de mission de police, or il est inscrit sur son permis de port d'arme qu'il en exerce ; mais personne ne sait dans quelles conditions, ni au ministère de l'intérieur, ni auprès du préfet de police. Enfin M. Benalla a bénéficié d'un agrément d'agent de sécurité privée puis de dirigeant de société privée de sécurité, et on ne sait pas pourquoi ni comment. Puisque l'intéressé est à la présidence de la République, en quoi est-il nécessaire qu'il soit de surcroît pourvu d'une autorisation de diriger une société de sécurité privée ? Comment réagissez-vous à tout cela ?
M. Stéphane Fratacci . - La plupart de ces informations apparaissent rétrospectivement.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Je reconnais que c'est plus facile...
M. Stéphane Fratacci . - Notre action est gouvernée par des priorités : la sécurité des Français, la sécurité du quotidien et son déploiement, la lutte contre le terrorisme... Le suivi des affaires individuelles n'est pas notre obsession - et tant mieux pour les libertés publiques !
En effet, le préfet de police n'était pas au courant de la participation de M. Benalla au service d'ordre du 1 er mai, mais je note que le rapport de l'IGPN ne recommande pas de re-centraliser l'octroi d'autorisations.
M. Benalla est titulaire d'une autorisation d'exercice d'activités privées qui n'est pas sans rapport avec son activité professionnelle antérieure. Les règles d'habilitation et d'agrément sont fixées par le code de la sécurité intérieure et leur mise en oeuvre est placée sous la responsabilité d'un établissement public autonome, le Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS).
Le préfet de police a eu l'occasion de s'exprimer devant vous sur les conditions dans lesquelles a été instruite la demande de port d'arme délivrée en 2017. Il s'agit d'une décision préfectorale, qui n'a pas à remonter au cabinet du ministre.
L'agrément de dirigeant d'entreprise de sécurité a été attribué à M. Benalla le 9 juillet dernier.
M. Philippe Bas , président . - Est-ce à dire qu'il s'agit du résultat d'une procédure initiée avant son entrée à l'Élysée ?
M. Stéphane Fratacci . - Non. C'est l'étape qui suit celle d'agrément pour être agent de sécurité. La demande avait été formulée en juin. Le CNAPS vérifie les compétences, sanctionnées par un diplôme, et fait une enquête de moralité - sur la base de documents publics.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Donc, quelqu'un qui occupe un emploi public, comme M. Benalla, peut préparer tranquillement sa reconversion en demandant un agrément pour devenir dirigeant d'entreprise de sécurité privée... Les collaborateurs du Président de la République ont-ils été informés de cette demande ?
M. Stéphane Fratacci . - Je n'ai pas à porter de jugement sur ce projet professionnel mais il n'est pas anormal qu'un agent public qui avait déjà des qualifications de sécurité privée veuille s'assurer de leur maintien : il n'y a pas d'incompatibilité de principe. Il y a une différence entre obtenir une compétence ou une habilitation et exercer concomitamment des fonctions !
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Nous avons demandé communication de sa demande d'autorisation de port d'arme. Nous espérons qu'elle nous sera rapidement transmise.
Pourquoi quelqu'un qui travaille à l'Élysée demande-t-il un port d'arme alors qu'il n'utilisera pas son arme lors des voyages officiels et qu'il n'exerce pas de mission de police ? Surtout lorsque cette personne se targue de sa capacité éventuelle à diriger une société de sécurité privée, alors qu'il ne dirige aucune société privée puisqu'il exerce à l'Élysée !
M. Stéphane Fratacci . - La décision d'octroi d'un permis de port d'arme par la préfecture de police s'est inscrite dans les conditions que le préfet de police a eu l'occasion de vous exposer. Il y a un régime de port d'arme qui relève à titre exclusif du ministre de l'intérieur, pour les personnes - en nombre limité - qui encourent un risque exceptionnel d'atteinte à leur vie. Et il y a un régime qui relève des préfets, pour les fonctionnaires et les agents publics dans l'exercice de leurs fonctions.
M. Philippe Bas , président . - Comment expliquer que le préfet de police ait eu une appréciation différente de celle du ministre de l'intérieur ?
M. Stéphane Fratacci . - C'est qu'il y a deux régimes différents. Le premier, prévu par l'article R. 315-5 du code de la sécurité intérieure, porte sur les risques exceptionnels d'atteinte à la vie. Pour M. Benalla, le préfet de police vous a expliqué qu'il s'était fondé sur l'autre régime, qui concerne les fonctionnaires et agents publics.
M. Philippe Bas , président . - De votre point de vue, il n'y a donc aucune contradiction entre le refus ministériel et l'acceptation préfectorale ?
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Une réforme du dispositif de sécurité de la présidence de la République est envisagée, qui consisterait, nous dit-on, en une fusion entre le GSPR et le commandement militaire. Avez-vous été associé à cette réflexion ?
M. Stéphane Fratacci . - Le ministre et moi-même avons été informés de l'engagement de cette réflexion et nous avons dû échanger à deux ou trois reprises sur ce sujet, notamment avec le directeur de cabinet du Président de la République. Le GSPR et le commandement militaire réfléchissent à une meilleure articulation de leur action.
Le ministre et moi-même avons voulu garantir que la formation et la carrière des policiers et des gendarmes du GSPR soient garanties en cas de nouvelle organisation ; il devait en être de même pour les gendarmes de la garde républicaine. La réflexion sur cette nouvelle organisation étant menée par la présidence de la République, je n'ai pas de commentaires à faire.
Nous avons aussi voulu nous assurer que la protection du Président de la République lors de ses déplacements soit toujours parfaitement interopérable avec les autres forces de sécurité intérieure, comme les commandements de gendarmerie, ou quand d'autres unités du service de la protection (SDLP) ou de CRS sont requises pour compléter des dispositifs lorsque le Président de la République visite ou reçoit d'autres chefs d'État.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Avez-vous eu des liens avec M. Benalla ? Il a en effet déclaré hier au Journal du Dimanche : « Le GSPR, c'est l'enfant terrible de l'Élysée. Il y a des incohérences qui, pour moi, sont complètement incroyables. Si demain il y a une cohabitation, vous avez la sécurité qui est sous la main du ministre de l'intérieur... ». Cette interview fait preuve d'un curieux sens de la considération.
M. Stéphane Fratacci . - Je ne commenterai pas les propos reproduits par ce journal.
J'ai dit quelle était la préoccupation du ministère de l'intérieur : la parfaite interopérabilité des forces de sécurité intérieure pour assurer la sécurité du chef de l'État. C'est une ligne de conduite très ancienne du ministère de l'intérieur qui souhaite, par ailleurs, s'assurer que le haut niveau de professionnalisme, le grand engagement et l'excellence des formations de ces personnels, en particulier du GSPR, soit en continuum avec leurs collègues du SDLP. Ces deux préoccupations sont nécessaires pour garantir la sécurité du Président de la République. Je n'ai eu d'échange sur le sujet qu'avec le directeur de cabinet du Président de la République. Bien sûr, je n'en ai jamais parlé avec M. Benalla. À ma connaissance, aucun collaborateur du ministère de l'intérieur n'a non plus échangé avec lui.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Un comité de pilotage avait-il été mis en place pour piloter la réforme du dispositif de la sécurité de la présidence de la République ?
M. Stéphane Fratacci . - La responsabilité de la conduite de cette réflexion ressortait de la présidence de la République. Je n'avais pas vocation à participer à ces travaux et je n'ai pas eu connaissance des détails qui avaient pu être retenus pour conduire cette réflexion en interne.
M. Philippe Bas , président . - Votre réponse laisse postuler qu'il est normal qu'une telle réforme se fasse sans impliquer le ministère de l'intérieur.
M. Stéphane Fratacci . - Je n'ai pas exactement dit cela : j'ai eu des échanges avec le directeur de cabinet du Président de la République lors de la phase liminaire de l'engagement de la réflexion. J'ai fait valoir les préoccupations fortes du ministère de l'intérieur sur les deux aspects que j'ai rappelés. Le GSPR regroupe une partie de l'élite qui assure la protection du Président de la République, du Premier ministre, des membres du Gouvernement et des personnalités étrangères. Nous avons eu des réponses rassurantes sur la bonne intégration des policiers et des gendarmes dans le service de la protection.
M. François Pillet . - Le 2 mai, vous prenez connaissance de la vidéo.
Avez-vous rassemblé toutes les preuves possibles, dont celles qui allaient légalement disparaître dans un délai assez bref ? Je pense aux vidéos de la Ville de Paris, à certaines vidéos privées, aux éventuelles caméras individuelles portées par les services de police, aux échanges oraux entre les policiers accessibles par le réseau Acropol.
Mme Brigitte Lherbier . - Vous avez dit tout à l'heure que vous vouliez protéger l'image de la police et de la gendarmerie. C'est tout à votre honneur. Les policiers ont été affectés par la confusion qui a eu lieu.
Ce matin, le préfet Lalande a expliqué que lors des réunions préparatoires, la préfecture de région était bien au fait de tous les points de vidéos qui existaient. Je m'étonne du peu de curiosité de vos services alors que des violences étaient commises par un policier - qui n'en était pas un - et que les vidéos avaient une courte durée de vie. Un maire aurait agi autrement.
M. Stéphane Fratacci . - Le 2 mai, ma priorité a été la suite de la manifestation de la veille. Je me suis assuré du devenir des interpellations, j'ai préparé des éléments de langage au sein du cabinet pour expliquer la réponse des forces de l'ordre aux Black blocs , préparé aussi le déplacement du ministre place Valhubert et boulevard de l'Hôpital.
Pour ce qui concerne la vidéo dont il est question, je me suis assuré que l'employeur de l'intéressé disposait de l'information, qu'il la prenait en compte, qu'il s'entretiendrait de manière contradictoire avec l'intéressé pour avoir sa version des faits et qu'il apporterait une réponse à ce comportement hors norme.
Le système d'exploitation de la vidéoprotection est une responsabilité du préfet de police. Demander l'accès à la vidéoprotection sort du cadre. La question du trafic radio entre les opérateurs ne s'est pas posée au moment des faits, car il s'agissait d'un évènement dans une série d'évènements. À ma connaissance, il n'a pas été procédé à l'extraction ni à la conservation de ces données. Mais je ne suis pas l'autorité qui gère la vidéoprotection.
M. Philippe Bas , président . - La commission n'est pas surprise d'apprendre que le 2 mai, des sujets plus importants vous accaparaient. Il n'en reste pas moins vrai que vous en percevez la sensibilité puisque vous avez trois échanges sur cette question avec le directeur de cabinet du Président de la République.
M. Jacques Bigot . - Lundi dernier, des policiers nous ont dit qu'ils avaient été sensibles au fait que cette vidéo montrait un policier dont l'attitude était peu admissible. Dès le 2 mai, vous saviez qu'il ne s'agissait pas d'un policier. À un moment donné, ne s'est-on pas dit qu'il ne fallait pas laisser cette vidéo continuer à circuler alors que la police n'était pas responsable ?
M. Stéphane Fratacci . - Vous me demandez si une action a été engagée pour interrompre la diffusion de cette vidéo ?
M. Jacques Bigot . - Jusqu'à l'article du 18 juillet, on a laissé croire à nos concitoyens que des policiers avaient mal agi.
M. Philippe Bas , président . - Il eût été plus protecteur pour la police nationale de dire dès le 2 mai qu'il ne s'agissait pas d'un policier.
M. Stéphane Fratacci . - Je comprends votre remarque, d'autant que cette vidéo ne correspond pas à la déontologie des policiers et des gendarmes.
Néanmoins, à la vue de cette vidéo, notre préoccupation a été que l'autorité d'emploi de M. Benalla soit en mesure de tirer les conséquences de son comportement. Spontanément, un signalement a été fait sur la plateforme de l'IGPN qui recense les violences policières. Ce signalement a été traité par les professionnels de cette plateforme et interprété comme n'étant pas de nature à justifier des suites disciplinaires. La lecture était bien évidemment tronquée, puisque ces responsables croyaient qu'il s'agissait d'une action de police.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Ces faits ont-ils été une nouvelle fois évoqués devant vous après le 2 mai et avant le 18 juillet ? Si oui, vous en êtes-vous entretenu avec votre ministre ? Si non, comment l'expliquez-vous ?
Saviez-vous que M. Benalla était armé lorsqu'il accompagnait le Président de la République dans ses déplacements privés ? Si oui, qu'avez-vous fait puisque le cabinet de la présidence de la République nous a dit que seul le GSPR était compétent pour assurer cette protection ? Si vous ne l'avez pas su, quel enseignement tirez-vous de cette situation étonnante ?
M. Stéphane Fratacci . - J'ai su que l'intéressé disposait d'un port d'arme postérieurement à l'article du journal Le Monde . Je ne savais donc pas jusqu'alors qu'il portait une arme dans tel ou tel déplacement.
Le 2 mai, j'ai évoqué cette vidéo avec le directeur de cabinet du Président de la République. Le 3 mai, j'ai échangé avec le ministre pour lui dire que la présidence de la République entendait donner les suites que j'ai relatées dans mon propos liminaire. Nous n'avons plus évoqué cette situation par la suite. Dans les jours qui ont suivi, nous préparions la manifestation du 5 mai, mais aussi la deuxième phase de l'évacuation de Notre-Dame-des-Landes et l'évacuation de divers sites. Dix jours après, il y a eu l'attentat de Paris. Ces sujets étant essentiels, j'y ai beaucoup travaillé.
M. Philippe Bas , président . - Pourquoi la hiérarchie présente place de la Contrescarpe n'a-t-elle pas prévenu la direction générale de la police nationale qui aurait alors saisi le cabinet du ministre ?
Je suis surpris que vous n'ayez été informé de la délivrance de ce permis de port d'arme que si tardivement. J'ai du mal à imaginer qu'il n'y ait aucun échange entre les services du ministère de l'intérieur et les services de la préfecture de police sur la demande d'un permis de port d'arme qui s'était faite auprès du ministre sur un fondement différent que celui sur lequel il a été accordé par le préfet de police.
Notre commission met à jour des fonctionnements qui ne relèvent pas tous de dysfonctionnements mais qui méritent d'être perfectionnés dans la chaîne de commandement, y compris dans la manière dont est organisée la sécurité du Président de la République
M. Stéphane Fratacci . - Il n'est pas anormal que les services déconcentrés des préfectures instruisent des dossiers relevant de leurs compétences sans en référer à l'autorité nationale.
M. Philippe Bas , président . - Il s'agit de la préfecture de police de Paris !
M. Stéphane Fratacci . - Le rôle des services de l'administration centrale est évidemment d'apporter des éclairages en droit lorsqu'ils sont sollicités sur les questions des préfectures si elles ont des doutes. Or, la préfecture de police de Paris est particulièrement bien outillée en la matière. Dans ces conditions, elle doit estimer avoir une capacité d'analyse suffisante.
À la lumière de la délivrance de ce permis, que nous avons découverte ex post par rapport à des refus antérieurs, nous en déduisons que de réelles améliorations peuvent être apportées.
M. Philippe Bas , président . - Tout ceci est dit avec beaucoup d'élégance : nous convergeons.
M. Éric Kerrouche . - M. Crase n'était pas autorisé à être sur les lieux de la manifestation. Il y était de son propre chef et non pas en tant que réserviste. C'est attesté par le rapport de l'IGPN, les déclarations du général Bio-Farina ou encore les vôtres lors de votre audition devant l'Assemblée nationale. Ces déclarations contredisent les premières déclarations du porte-parole de l'Élysée le 19 juillet. Ce matin, j'ai posé ces questions à M. Girier qui ne m'a pas répondu. À quel moment le ministère de l'intérieur identifie-t-il M. Crase sur cette vidéo ? Le ministère de l'intérieur - ou vous-même - a-t-il engagé des démarches pour connaître les raisons de sa présence sur ces lieux ? Comment expliquer le décalage de sanctions tant dans la nature que dans les délais entre celles prises par le général Bio-Farina dès le 3 mai et celles de la direction générale de la gendarmerie... qui ne sont toujours pas prises ?
Si M. Crase était présent en tant que citoyen, n'est-il pas surprenant qu'aucune information judiciaire au titre de l'article 40 n'ait été lancée ?
M. Stéphane Fratacci . - Je n'ai pas d'appréciations à avoir sur le régime des sanctions. Les gendarmes réservistes sont liés à la gendarmerie par le contrat d'engagement spécial de réserve qui est une sorte de capacité d'appel pour des jours de réserve des gendarmes réservistes. Il ne s'agit pas d'un lien permanent. Le commandement militaire a mis un terme à la mobilisation de M. Crase.
En l'état, les deux personnes concernées ne sont plus mobilisées ni mobilisables pour la réserve. Les suites à donner sur leur contrat d'engagement spécial de réserve seront sans doute prises sur la base des constatations qui ressortiront de l'enquête judiciaire. La réponse est donc subordonnée à la matérialité et à la qualification des faits. Je ne doute pas que la gendarmerie tirera toutes les conséquences une fois les faits connus.
J'ai découvert plus tard que M. Crase était venu de lui-même, sans autorisation préalable. L'information judiciaire en cours précisera les conditions dans lesquelles il a accompagné M. Benalla.
M. Philippe Bas , président . - Peut-être eût-il été opportun de prévenir dès le 2 mai le directeur général de la gendarmerie nationale car, durant toute cette période qui s'étend du 2 mai au 18 juillet, il aurait pu convoquer l'un ou l'autre des deux hommes dans le cadre de la réserve sans avoir connaissance de ces difficultés.
M. Stéphane Fratacci . - Le 2 mai, je n'avais pas conscience, pas plus que M. le ministre d'ailleurs, de l'appartenance des intéressés à la réserve de la gendarmerie.
M. Alain Richard . - Depuis le début de cette commission d'enquête, on a le sentiment que M. Benalla a fréquemment débordé les fonctions qui lui étaient confiées à la présidence de la République. Il semble qu'il se rendait régulièrement à des réunions d'organisation d'ordre public alors qu'il n'avait pas à y être. À l'occasion d'autres réunions, le cabinet du ministre ou vous-même a-t-il trace de la présence de M. Benalla ?
M. Stéphane Fratacci . - Le préfet de police vous a répondu sur les réunions concernant les déplacements du Président de la République ou les manifestations parisiennes. Je ne suis pas en mesure de vous dire s'il assistait à ces réunions ou à quel titre il y participait.
S'agissant du ministère de l'intérieur, le chef de cabinet du ministre vous a exposé les cas où M. Benalla était associé à des réunions.
Pour les réunions que j'ai pu animer, M. Benalla n'y a jamais assisté. On ne m'a non plus jamais interrogé sur les raisons de sa présence dans telle ou telle réunion. Lorsque le Président de la République se rend au ministère de l'intérieur, il est accompagné d'un grand nombre de conseillers et d'officiers de sécurité, et M. Benalla pouvait être présent. Je n'ai qu'un seul souvenir de l'avoir croisé à l'occasion d'un tel déplacement. Je l'ai vu à diverses reprises à l'Élysée, mais pas à l'occasion de réunions.
M. Alain Richard . - Nous avons entendu lundi dernier certaines organisations syndicales de police qui rapportaient que M. Benalla portait des appréciations ou s'ingérait dans le fonctionnement des services de police et le ministre d'État a fait savoir par la suite qu'il n'avait jamais eu vent de tels griefs. J'ai cru comprendre que M. le ministre avait l'intention de recevoir les syndicats pour en savoir plus.
M. Philippe Bas , président . - D'après ces syndicats, des membres de leurs organisations s'étaient plaints auprès d'eux. Les syndicats vont compléter leurs informations pour mieux nous répondre.
M. Alain Richard . - Cette réunion est-elle programmée et si des données factuelles mettant en cause M. Benalla en ressortent, seront-elles portées à notre connaissance ?
M. Philippe Bas , président . - Nous observons aussi les déclarations de M. Benalla qui ne semble pas nier ce qu'on lui reproche et qui d'ailleurs ajoute crûment : « J'emmerdais beaucoup de monde ». Il attribue ses difficultés à une mauvaise entente avec le GSPR.
M. Stéphane Fratacci . - Le ministre va rencontrer les organisations syndicales cette semaine. Il abordera avec elles les questions de l'image et de la défense de l'institution mais il entend aussi recenser les difficultés liées aux déplacements.
Lorsque des problèmes surgissent à l'occasion de la préparation d'un déplacement, j'en suis tenu au courant. Or, tel ne fut pas le cas ni à mon niveau, ni à celui du cabinet, ce qui ne signifie pas que rien ne se soit passé.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Dans notre rapport, nous parlerons des faits mais aussi de la sécurité des déplacements du chef de l'État et des hautes autorités de ce pays.
Hier, M. Benalla a dit dans le Journal du Dimanche : « Par rapport à la réorganisation du service de protection du Président de la République, nous avions contre nous le ministère de l'intérieur ». Depuis longtemps, les policiers et les gendarmes qui sont à l'Élysée relèvent du ministère de l'intérieur. M. Benalla feint de s'inquiéter d'une cohabitation, d'où sa volonté de créer un îlot autour du Président de la République. Mais, à l'occasion des cohabitations passées, le service de protection du Président de la République a été assuré de manière républicaine par le ministère de l'intérieur. Les paroles de M. Benalla sont graves mais elles ne reflètent sans doute pas les sentiments d'un seul individu.
M. Philippe Bas , président . - La sécurité du Président de la République ne lui appartient pas en propre.
M. Stéphane Fratacci . - Je ne vais pas commenter les déclarations faites dans un organe de presse. Chacun porte sa vérité.
Je fréquente le ministère de l'intérieur depuis bientôt vingt ans : ce ministère est profondément républicain et il tient à assurer la sécurité du Président de la République, des hautes personnalités françaises et étrangères. Cela dit, nous sommes d'accord pour dire que nous sommes perfectibles.
À notre sens, la réflexion qui était engagée à l'Élysée devait bien sûr prendre en compte les hommes et les femmes qui assurent au quotidien la sécurité du chef de l'État. La menace s'est singulièrement transformée ces dernières années : aujourd'hui, les précautions sont différentes car la nature des risques, la variété des menaces, l'imprévisibilité de ce qui peut survenir nécessitent un haut niveau d'entrainement et de préparation. L'appartenance à un service important est essentiel, car elle assure la connaissance de diverses techniques et elle permet l'interopérabilité avec d'autres services de protection, y compris avec ceux de personnalités étrangères.
M. Philippe Bas , président . - Vous semblez co-écrire notre rapport : nous sommes d'accord avec la plupart de vos réflexions.
Mme Sophie Joissains . - Les vidéos seront-elles détruites ou resteront-elles aux mains de la justice ? Le délai d'un mois peut être interrompu en cas d'instruction judiciaire. Or, vu le nombre d'interpellations, ces vidéos ont dû être conservées par la justice.
M. Stéphane Fratacci . - La vidéo issue de la vidéoprotection est aux mains de la justice : ce sera à elle de trancher.
Mme Sophie Joissains . - Je parlais aussi des autres vidéos.
M. Stéphane Fratacci . - Je ne peux faire d'autre réponse que celle que je viens de faire, y compris pour les vidéos postées librement. Le magistrat instructeur décidera ce qu'il convient de faire pour la manifestation de la vérité et donc des conditions de conservation dans la durée de ces vidéos.
M. Philippe Bas , président . - Deux collègues qui ne sont pas membres de la commission des lois souhaitent également vous interroger.
Mme Hélène Conway-Mouret . - Un des objectifs de cette commission est d'identifier les éventuels dysfonctionnements. Que pensez-vous du manque de réactivité et de la faiblesse des premières sanctions prises à l'encontre de M. Benalla comparées à celles prises après la divulgation des faits ? À titre d'exemple, une personne qui avait usurpé des insignes de police a écopé de quatre mois de prison et de dix ans d'interdiction d'exercer dans la fonction publique.
M. Stéphane Fratacci . - Je n'ai pas d'appréciation à porter sur les conditions dans lesquelles des sanctions ont été prises à l'encontre de M. Benalla. Vous avez auditionné des personnes bien mieux à même de vous répondre. Et elles l'ont fait.
Concernant les mesures de suspension à l'égard des personnels de la préfecture de police, la situation et les procédures sont différentes.
L'information judiciaire ouverte permettra de circonscrire les faits et de les qualifier. La justice appréciera, dans le cadre d'un débat forcément contradictoire.
Mme Nadia Sollogoub . - Il n'a pas été question de la propriété de l'arme : s'agissait-il d'une arme acquise à titre personnel par M. Benalla, auquel cas elle aurait pu être acquise à titre sportif avec éventuellement un changement ultérieur de destination. Ou s'agissait-il d'une arme de dotation administrative, sachant que ces matériels sont exclusivement réservés aux fonctionnaires de police et de gendarmerie et que personne n'a de légitimité à se servir d'un tel matériel hors de ce cadre ?
M. Philippe Bas , président . - Excellente question.
M. Stéphane Fratacci . - Comme nous n'avons pas instruit cette demande de port d'arme, je ne suis pas en mesure de vous répondre sur la nature de l'arme. La préfecture de police doit disposer de ces éléments.
M. Philippe Bas , président . - Merci pour votre contribution.
Audition de M. Olivier de
Mazières,
préfet de police des Bouches du
Rhône
(Lundi 30 juillet 2018)
M. Philippe Bas , président . - Nous accueillons M. Olivier de Mazières, préfet de police des Bouches-du-Rhône. Nous vous avons fait venir, non pas que les déplacements présidentiels dans les Bouches-du-Rhône aient fait l'objet de difficultés particulières par rapport à d'autres, mais parce que nous avons étendu nos investigations à l'organisation des déplacements présidentiels et souhaitons vérifier comment ils se passent sur le terrain. Nous avons sélectionné deux départements dans lesquels le Président de la République s'est rendu à plusieurs reprises : le Nord - nous avons entendu ce matin votre collègue Michel Lalande - et les Bouches-du-Rhône. Cela nous semblait également important car le Président de la République a fait dans votre département un déplacement de nature privée en août 2017 et plusieurs déplacements publics. Nous vous poserons des questions très pratiques : comment ont été organisés les déplacements du Président et quelle part M. Benalla a-t-il pu y prendre - ou non ?
Notre commission étant dotée des prérogatives d'une commission d'enquête, je dois vous demander de prêter serment. Je vous indique qu'un faux témoignage serait passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Olivier de Mazières prête serment.
M. Olivier de Mazières, préfet de police des Bouches-du-Rhône . - Paradoxalement, l'organisation des déplacements du Président de la République est plus simple à gérer pour un préfet que ceux d'autres membres du Gouvernement, car une grande partie des tâches qui relèvent habituellement des services de police et de gendarmerie locaux est assurée par le groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR) et la compagnie républicaine de sécurité (CRS) n° 1, qui est dédiée à sa sécurité. Il y a des différences entre un déplacement officiel, public, et un déplacement privé. À Marseille et dans les Bouches-du-Rhône, depuis ma prise de poste il y a un an, nous avons connu un déplacement à titre privé du chef de l'État et de son épouse, en août 2017, à Marseille durant dix jours, et plusieurs déplacements officiels.
Nous avons eu une seule occasion de travailler avec M. Benalla, durant le séjour privé du Président, du 10 au 20 août 2017. Le cabinet du Président de la République était soucieux de ne pas accaparer excessivement les forces locales - la direction départementale de la sécurité publique (DDSP) des Bouches-du-Rhône mais aussi les unités de forces mobiles dédiées à la zone de défense Sud, utilisées par le préfet de la zone de défense, préfet de région, préfet des Bouches-du-Rhône.
C'est pour cela que c'est principalement le GSPR qui a assuré cette mission de sécurité. Le chef de cabinet du Président de la République avait insisté, à plusieurs reprises, sur le caractère privé du déplacement : pas d'accompagnement protocolaire, d'accueil, de mobilisation des forces comme lors d'un déplacement officiel. Il voulait que les choses se fassent le plus discrètement et le plus simplement possible. Nous nous sommes donc mobilisés en périphérie de ce déplacement, mais à aucun moment dans sa gestion.
Nous avons été en contact avec M. Benalla puisqu'il était, en tant que chargé de mission à la présidence de la République, la personne en charge de l'organisation logistique de ce déplacement désignée par le chef de cabinet. Nous avions deux points de contact : le chef de la mission du GSPR sur place sur les questions de sécurité au sens large du terme, et M. Benalla pour la logistique et les déplacements. De fait, je l'ai eu deux ou trois fois au téléphone, de même que mon directeur de cabinet, sous-préfet. M. Benalla nous a par exemple informé de sorties du Président de la République. Ainsi, deux jours avant le départ du Président, il m'a appelé vers 18 h 30 pour m'informer que le chef de l'État et son épouse se rendraient sur le vieux port quinze minutes après, afin que je puisse être au courant et y dépêcher des effectifs susceptibles de gérer les possibles attroupements. Il avait également pris contact avec mon directeur de cabinet au début du séjour, pour avoir des propositions - suivies ou non - de déplacements à présenter au Président de la République, pas trop loin de Marseille, et ne posant pas de problèmes de sécurité.
Pour ce déplacement privé, la prise en charge des missions essentielles de protection du chef de l'État a été réalisée par les services qui lui sont dédiés spécifiquement, le GSPR ; les services de police locale étaient plutôt en retrait - je pourrai revenir sur l'organisation plus traditionnelle d'un déplacement public et officiel. Le cabinet a insisté sur le caractère privé et le souhait légitime du chef de l'État et de son épouse d'avoir une certaine tranquillité pendant leur séjour marseillais. Mes relations avec M. Benalla ont donc été assez logistiques et n'ont pas porté sur des questions de sécurité, au sens strict du terme.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Merci pour ces quelques mots d'introduction. Notre président, M. Philippe Bas, a eu la bonne idée de proposer que notre commission d'enquête n'entende pas que des personnalités parisiennes - dans leurs fonctions - afin de voir comment se passe un déplacement dans le Nord et dans les Bouches-du-Rhône.
Lors des différents déplacements, privés et publics du Président de la République - mais vous avez en partie répondu -, M. Benalla avait-il uniquement une mission d'organisation ou des missions de sécurité ? Lui est-il arrivé de s'adresser aux services de police sous votre autorité ?
M. Olivier de Mazières . - Comme je vous l'ai indiqué, je n'ai été en contact avec M. Benalla que durant le séjour privé en août 2017, et uniquement pour la logistique du déplacement. J'ai été en contact au début pour lui indiquer les lieux de déplacement ou de visite susceptibles d'intéresser le chef de l'État, et il m'a informé - ou mon directeur de cabinet - de certains déplacements du Président de la République qui, à Marseille intramuros, étaient plus visibles de l'extérieur, nécessitant une vigilance des forces de l'ordre. Les questions de sécurité, au sens strict du terme, ont été vues avec le chef de mission du GSPR, présent sur ce déplacement. Cette répartition des rôles avait été définie par le chef de cabinet du Président de la République, qui était venu visiter, avec M. Benalla, la résidence de fonction du préfet des Bouches-du-Rhône, qu'était susceptible d'occuper le Président de la République, notamment pour s'assurer qu'elle respectait les conditions de sécurité et de tranquillité requises pour cette haute personnalité. Le lendemain, il nous a envoyé un mail très détaillé, où il a expliqué que Marseille était effectivement retenu pour ce déplacement privé. Il a insisté encore sur le caractère privé de ce déplacement, le Président ne souhaitant ni accueil protocolaire des préfets - comme cela se fait normalement - ni escorte jusqu'à la résidence. La sécurité du Président serait prise en compte par le GSPR et par des effectifs éventuellement de forces mobiles de la CRS n° 1 - qui n'est pas cantonnée dans les Bouches-du-Rhône. Le GSPR prendrait l'attache ensuite de la DDSP des Bouches-du-Rhône ou de moi-même pour définir les détails sur la sécurité.
Il nous était demandé, aux forces de police locale, de renforcer les patrouilles en périphérie de la résidence du Président de la République - ce qui a été fait classiquement avec des brigades anti-criminalité (BAC) - et de prévoir une réserve d'intervention susceptible d'être mobilisée et d'intervenir rapidement sur la résidence, en cas de besoin ; cela avait été prévu par la compagnie de sécurisation et d'intervention (CSI), force de maintien de l'ordre incluse dans la DDSP. Ce ne sont pas des CRS mais des fonctionnaires de la sécurité publique, qui disposent d'un équipement et d'une formation leur permettant d'assurer un maintien de l'ordre rapide. Cela s'est arrêté là.
M. Benalla ne s'est jamais adressé directement aux services de police des Bouches-du-Rhône, mais au préfet de police ou à mon directeur de cabinet. Le GSPR s'est parfois adressé directement au directeur départemental de la sécurité publique. Pour ce qui me concerne ainsi que les échanges avec mon collaborateur immédiat, ils ont toujours été empreints d'une parfaite courtoisie, de calme, et d'un parfait professionnalisme, rigoureux et courtois. Encore une fois, M. Benalla n'a jamais eu d'échanges directs avec les agents de la DDSP.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - À certains égards, M. Benalla semblait être le garde du corps très privilégié du Président. J'avais quelque pudeur à parler de ses rapports avec le GSPR, mais puisque M. Benalla en a parlé en des termes peu amènes, soit dans des émissions de télévision, soit dans des interviews, je m'interroge. Monsieur le préfet, vous savez ce qu'est la protection rapprochée et combien les personnels du GSPR font preuve d'un très grand professionnalisme, de beaucoup d'entraînement et de vigilance pour assurer la protection rapprochée du chef de l'État. La grande proximité, y compris physique, de M. Benalla, dans certaines circonstances, ne posait-elle pas de problème quant à la sécurité du Président ?
M. Benalla a indiqué être armé uniquement lorsqu'il s'occupait de la sécurité privée du Président. Avez-vous remarqué son action dans le cadre de cette sécurité privée ?
M. Olivier de Mazières . - C'est important de rappeler le rôle du GSPR et son niveau de professionnalisme. Lorsque je mentionnais que, paradoxalement, un déplacement du Président de la République est plus facile à gérer que le déplacement d'un membre du Gouvernement, je faisais référence à ce professionnalisme. Un ministre a ses officiers de sécurité, mais pas dans les mêmes proportions que le chef de l'État - et c'est normal. Le GSPR est le fer de lance de cette protection, ce qui permet aux services locaux de police ou de gendarmerie de se délester d'une partie importante de cette charge. La présence de M. Benalla aux côtés des agents du GSPR pouvait-elle poser problème ? J'ai un peu de mal à vous répondre parce que je n'ai, à aucun moment, été témoin ni destinataire de difficultés dans les Bouches-du-Rhône. J'ai même plutôt eu toujours l'impression, et même la certitude, que les questions relatives à la sécurité stricte du chef de l'État étaient portées par le GSPR. Plusieurs policiers du GSPR étaient présents durant ce séjour du mois d'août. Je n'ai pas eu d'informations me laissant penser à des difficultés de coexistence entre M. Benalla et les agents du GSPR qui auraient pu mettre en cause la sécurité du Président de la République, ou affaiblir l'efficacité de cette sécurité.
Était-il armé ? Je vous ferai la même réponse : ne l'ayant eu qu'au téléphone, je n'ai pas pu m'en rendre compte. Aucun élément en ce sens ne m'a été rapporté.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Je rebondis sur cette question. Les fonctions de M. Benalla lors de ce déplacement privé justifiaient-elles un port d'arme ?
M. Philippe Bas , président . - C'est une autre manière de le dire... Mme Jourda ne vous demande pas si vous saviez qu'il portait une arme, mais si sa fonction justifiait une autorisation de porter une arme. Mais je crois deviner la réponse...
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Cette question est plus maligne !
M. Olivier de Mazières . - Je crains que ma réponse ne soit pas aussi maligne... Encore une fois, je n'ai eu qu'une vision partielle du travail de M. Benalla. Je peux difficilement juger la nécessité de disposer d'une arme à travers les quelques appels téléphoniques que j'ai échangés avec lui - pour savoir s'il était opportun que le Président de la République visite le château de La Buzine, rendu célèbre par Marcel Pagnol, dans le onzième arrondissement de Marseille...
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - ... qui est magnifique !
M. Olivier de Mazières . - ... ou lorsqu'il m'a informé que le Président de la République et son épouse iraient sur le vieux port ou au Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée (Mucem), quelques minutes avant leur déplacement effectif. Je ne peux pas répondre par l'affirmative à votre question, mais je n'ai qu'une vision très parcellaire du rôle de M. Benalla auprès du Président de la République.
M. Philippe Bas , président . - Nous le comprenons : à partir du moment où le dispositif ne vous met pas en première ligne pour la sécurité du Président, comme vous avez pris soin de l'expliquer, vous êtes prévenu des mouvements du Président qui peuvent exiger un complément de sécurité, mais vous n'êtes jamais présent et on ne vous a pas fait remonter que M. Benalla portait une arme ou qu'il jouait à ce moment-là le rôle de garde du corps, en complément du rôle d'organisation que vous avez pu constater vous-même.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Même si je n'ai pas eu de succès dans mes réponses, je persiste. Selon vous, la sécurité n'était pas assurée de la même manière pour les déplacements publics et privés du Président. Quelles sont les différences ?
M. Olivier de Mazières
. - Comme
je vous l'ai indiqué, pour son séjour privé, le cabinet a
demandé une discrétion des dispositifs publics et des forces de
l'ordre autour de sa personne et de son lieu de résidence. C'est pour
cela que je ne me suis pas déplacé sur place
- ce qui
normalement est la moindre des choses pour un préfet. J'ai
évidemment fait savoir au chef de cabinet que je me tenais à la
disposition du Président pour me présenter s'il le
souhaitait : comme je m'y attendais, il m'a été
répondu que l'occasion se présenterait rapidement dans le cas
d'un déplacement public, mais qu'en l'occurrence, le Président ne
souhaitait pas avoir un défilé de toutes les autorités
publiques à sa porte pendant ces 10 jours - ce qu'on peut
comprendre.
Lors d'un déplacement officiel du chef de
l'État, l'accueil protocolaire est extrêmement précis et
rigoureux. Il y a tout un dispositif de sécurisation du
déplacement à prévoir. Cela se fait suffisamment à
l'avance, en lien étroit avec les équipes de la présidence
de la République, notamment du chef de cabinet et de ses collaborateurs,
pour déterminer le programme
- en conseillant tel ou tel
endroit - et ensuite veiller à sécuriser les lieux et les
déplacements - c'est le rôle du préfet de police dans
les Bouches-du-Rhône
- y compris pour la constitution de
cortèges : déminage de voitures, pilotage motocycliste ou
toute autre question logistique relative à la sécurité et
à la fluidité d'un déplacement officiel du chef de
l'État. En l'espèce, ce n'était pas du tout le cas de ce
déplacement privé.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Je suis moins maligne que ce que mon co-rapporteur a bien voulu laisser entendre. Si je comprends bien, le degré de différence tient moins à la mobilisation du GSPR, qui est toujours la même quel que soit le déplacement public ou privé, qu'à la mobilisation des forces locales ?
M. Olivier de Mazières . - Oui. Je n'ai jamais eu l'honneur de servir à la présidence de la République ou au sein du GSPR. Ils vont peut-être bondir en m'écoutant, mais vu de Sirius, la différence se situe effectivement dans le niveau d'engagement et de mobilisation de l'autorité préfectorale et, plus largement, des forces de police et de gendarmerie locales.
M. Philippe Bas , président . - Pouvez-vous revenir sur les déplacements publics à l'occasion de l'attribution des Jeux Olympiques à la France ?
Lors du déplacement privé du Président et de son épouse, la presse a relaté un incident entre M. Benalla et un photographe - il l'aurait menacé de le placer en garde à vue. Avez-vous été informé de l'incident ?
M. Olivier de Mazières . - J'ai été informé de cet événement mais pas du fait que M. Benalla était impliqué. J'ai découvert cela il y a quelques jours, à travers les déclarations de ce journaliste. Ce fait s'est déroulé en deux étapes.
Le 12 août, le véhicule du chef de l'État fait l'objet d'un suivi volontaire par un véhicule, rapidement repéré par le GSPR qui alerte la DDSP, qui intervient. Le véhicule est intercepté par le GSPR et les personnes sont remises à la police. Lorsque l'équipe de police arrive sur place, sont prises les identités des deux personnes, journalistes, qui reconnaissent aisément qu'elles suivaient le Président. À l'issue de ce contrôle, elles sont laissées libres.
Le lendemain, vers 11 heures, le GSPR appelle à nouveau la DDSP. L'appel tombe sur le centre d'information et de commandement (CIC) - le central téléphonique de la police. Il est demandé d'intervenir pour un individu, l'un des deux de la veille, seul, qui est à l'entrée du parc Talabot - parc privé dans le quartier du Roucas-Blanc à l'intérieur duquel se trouvent plusieurs résidences, dont celle où séjourne le Président de la République. Ce parc fait l'objet d'un gardiennage privé. Le GSPR repère à l'entrée cet individu et se plaint auprès de la DDSP du harcèlement qu'il exerce envers le Président de la République et de l'atteinte à sa vie privée dont il se rendrait coupable. L'individu est pris en compte par un équipage de police ; lorsque ce dernier arrive, il y a effectivement deux personnes du GSPR qui sont présentes et une troisième personne qui n'est pas identifiée par l'équipage et qui n'intervient pas dans la remise de cet individu. Le journaliste est conduit au commissariat de la division sud de Marseille, et placé en garde à vue. Le procureur, évidemment, est immédiatement prévenu et un agent du GSPR dépose plainte au nom du Président de la République, quelques minutes plus tard, pour harcèlement moral et atteinte à la vie privée. C'est symptomatique : ce n'est pas M. Benalla qui a déposé plainte mais le GSPR. Le journaliste est auditionné, son identité est relevée, confirmée par le relevé de la veille, et le parquet ordonne assez rapidement sa mise en liberté, considérant que les infractions ne sont pas suffisamment caractérisées.
Il est donc remis en liberté et, comme il se doit, la plainte est transmise par la DDSP au parquet du tribunal de grande instance de Marseille. Je crois que, quelques semaines après, il a été décidé de classer cette plainte sans suite. Voilà la chronologie des événements, telle qu ' elle m ' a été présentée.
Effectivement, il existe désormais une déclaration, selon laquelle le troisième individu aurait été M. Benalla, mais à ce moment-là, il n ' est pas identifié comme tel et, en tout cas, il n ' intervient pas dans la mise à disposition de ce journaliste à l ' équipage de police.
M. Philippe Bas , président . - Venons-en maintenant au déplacement que j ' ai mentionné à l ' instant, celui réalisé à l ' occasion de l ' annonce de la décision que la France accueillerait les Jeux olympiques de 2024. À cette occasion, des images montrent le collaborateur du Président de la République, M. Benalla, sur la place de l ' Hôtel de Ville au moment d ' un échange du Président de la République avec des concitoyens présents sur place. Percevez-vous, à ce moment-là, le rôle que joue, de fait, M. Benalla dans la protection rapprochée du Président de la République ?
M. Olivier de Mazières . - Il s ' agit, pour le coup, d ' un déplacement officiel du Président de la République avec un programme extrêmement précis, qui commence à la base nautique qui servira pour les épreuves olympiques de voile et qui se poursuit, après un déplacement par bateau à l ' intérieur du port, sur le quai de la mairie. Le Président de la République y est accueilli par M. le maire de Marseille dans le cadre d ' un accueil républicain.
Après un discours, le Président de la République sort de la mairie, décide d ' aller parler avec les personnes présentes devant le bâtiment et entame des conversations avec certaines d ' entre elles. À ce moment-là, M. Benalla est présent, je le visualise, même si je n'ai pas d ' échange avec lui ; il est sur le quai, en protection face à la foule, avec d ' autres personnes chargées de la protection du Président de la République. Cette protection reste relativement souple, parce que le Président de la République a un contact extrêmement proche avec les citoyens ; en réalité, il y a juste une barrière Vauban qui le sépare des badauds, mais il y a évidemment une vigilance très forte des agents du GSPR.
M. Benalla est effectivement sur place. C ' est le seul moment où je le vois intervenir dans ce déplacement. Cela n'a pas été le cas dans les phases de préparation, en particulier lors des réunions qui visent à déterminer les conditions de sécurité du déplacement. Je n'ai aucune raison de m'étonner de la présence de M. Benalla, puisque depuis le mois d ' août 2017, il est chargé de mission à la présidence de la République et qu'il m ' a toujours été présenté à ce titre. Je n'ai pas plus de précisions sur la nature de ses missions et je n'ai aucun jugement ou appréciation à porter sur le caractère légitime ou pas de son action.
Mme Brigitte Lherbier . - Vous avez expliqué la fonction du GSPR dans les déplacements publics et privés du Président de la République. Pensez-vous que la présence d'une personne telle que M. Benalla soit nécessaire dans ce type de déplacement ? Ne pensez-vous pas que la présence de policiers habilités et entraînés soit suffisante ? Vous avez parlé d ' interpellations ; il est tout de même normal qu'il revienne à la police de gérer au mieux la protection du Président de la République.
M. Olivier de Mazières . - La mission centrale du GSPR est d ' assurer la protection du chef de l ' État. Protéger le Président de la République de la manière la plus efficace possible est évidemment une mission indispensable.
Il ne m ' appartient pas, en tant que préfet, de décider pour la présidence de la République qui doit assurer la protection rapprochée du chef de l ' État. On peut imaginer que des menaces particulières ou la capacité d ' identifier un individu particulièrement menaçant exigent que tel ou tel intervenant soit au contact du Président de la République.
Savoir qui doit être autour du Président pour assurer au mieux sa protection relève de décisions liées à l'organisation interne de la présidence de la République et du GSPR.
Par ailleurs, il existe différents types et niveaux de protection, plus ou moins rapprochée : certaines personnes sont chargées d'être au plus près du chef de l ' État, d ' autres doivent constituer ce qu ' on appelle la bulle, c ' est-à-dire un cercle de sécurité autour de la personnalité pour la protéger d 'une intrusion ou d 'une action violente. Les caractéristiques des missions de chacun échappent un peu à ma compétence. Ce qui m ' intéresse, c ' est que le chef de l ' État soit protégé de la manière la plus efficace possible.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Monsieur le préfet de police, avez-vous eu l ' occasion d ' accueillir d ' autres chefs de l ' État ? Estimez-vous que leur protection était exercée différemment par rapport à aujourd'hui ?
M. Olivier de Mazières . - J ' ai l ' honneur d ' appartenir au ministère de l 'i ntérieur depuis vingt ans et j ' ai en effet eu à gérer des déplacements de plusieurs chefs de l ' État : M. Chirac, M. Sarkozy, M. Hollande et, désormais, M. Macron. Très honnêtement, je n ' ai jamais senti de différence majeure dans l ' organisation et la préparation des déplacements publics.
Pour les déplacements privés, l ' épisode d ' août 2017 était quelque chose d ' assez inédit pour moi : je n ' avais jamais eu l ' honneur de gérer un déplacement d ' un chef de l ' État en villégiature.
S ' agissant des déplacements publics, je le redis, ils sont organisés et préparés selon un modèle rigoureusement identique et d ' une manière assez bien rodée entre la présidence de la République, d'un côté, et les préfets et services de police et de gendarmerie qui sont sur le terrain, de l'autre.
Mme Agnès Canayer . - Monsieur le préfet, dans les documents qui vous ont été transmis pour le déplacement public du Président de la République, est-ce que le nom de M. Benalla apparaissait ? Si oui, comment sa fonction était-elle présentée ?
M. Olivier de Mazières . - Très honnêtement, je n ' en ai pas le souvenir. Je ne crois pas que ce soit le cas, mais encore une fois, je n ' en ai pas le souvenir. Il est vrai qu ' un déplacement du chef de l ' État, surtout sur un laps de temps assez long et comportant plusieurs séquences, mobilise beaucoup de monde, y compris parmi le personnel de la présidence de la République. Il est donc possible que son nom soit apparu.
S ' agissant du déplacement privé, son nom apparaissait très clairement et il a toujours été identifié comme un chargé de mission auprès de la présidence de la République.
Mme Marie Mercier . - Monsieur le préfet, c ' est très intéressant d ' avoir votre témoignage, puisque vous avez été en lien direct avec M. Benalla, dont notre commission d ' enquête cherche à cerner la psychologie. Vous le décrivez comme une personne calme, sereine, au moins dans les échanges téléphoniques, et vous démentez qu ' il y ait eu une quelconque altercation avec un photographe. Vous nous décrivez la personnalité de M. Benalla de manière tout à fait différente de celle qui a été présentée par les représentants des syndicats de police, qui parlaient de relations presque exécrables et qui étaient excédés par lui.
M. Olivier de Mazières . - Je souhaite apporter une précision : je ne peux pas démentir ce dont je n ' ai pas été informé. Je démens avoir été informé d ' une altercation, qui se serait produite à ce moment-là entre M. Benalla et le journaliste. Cette altercation a peut-être eu lieu, mais alors, c'était en dehors de la présence de l ' équipage de police qui est intervenu pour accompagner le journaliste en question au commissariat de la division sud de Marseille pour être mis en garde à vue.
S ' agissant de la psychologie ou de la personnalité, je répète que je n'ai eu que des contacts téléphoniques épisodiques avec M. Benalla. Je ne parle que de ce que je connais et les échanges, assez rares, que nous avons eus dans le cadre du déplacement du chef de l ' État ont été plutôt calmes et professionnels.
Mme Jacky Deromedi . - Monsieur le préfet, si j ' ai bien compris, le Président de la République et son épouse étaient accompagnés de quelques personnes du GSPR et de M. Benalla pendant leur déplacement privé. Avez-vous eu connaissance de celui qui était au plus près du Président, en particulier dans la voiture qu'il occupait durant les transports ?
M. Olivier de Mazières . - Non. S ' agissant d'un déplacement privé, il nous avait été demandé d ' être extrêmement discrets, y compris dans la manifestation de notre présence autour du chef de l ' État. Comme je vous le disais, nous n'étions pas toujours informés des déplacements et, quand nous l'étions, nous ne savions absolument pas qui l ' accompagnait et la manière, dont le cortège était organisé.
M. Philippe Bas , président . - Cette audition est terminée. Monsieur le préfet, je vous remercie de votre coopération.
Audition du Colonel Lionel
Lavergne,
chef du groupe de sécurité de la présidence
de la République
(Lundi 30 juillet 2018)
M. Philippe Bas , président . - Mes chers collègues, nous entamons l ' ultime audition de la journée, celle du Colonel Lionel Lavergne, chef du groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR), qui est accompagné de son adjoint.
Mon colonel, c'est dans le cadre du mandat qui nous a été donné à l'unanimité par le Sénat lundi dernier que nous vous auditionnons. C ' est notre devoir de le faire et nous le faisons avec tout le respect qui est dû à la difficile fonction que vous exercez à la tête des femmes et des hommes du groupe de sécurité de la présidence de la République.
Nous mesurons bien la difficulté pour vous de venir apporter votre témoignage et vos réflexions à la commission des lois du Sénat, alors que vous vous inscrivez naturellement dans une hiérarchie et que vous avez aussi le devoir de la respecter.
Comme je le dis souvent au début de nos auditions, celles-ci sont destinées à nous permettre d'y voir clair ; les mots ont un sens, ce sont des auditions, pas des comparutions, elles ne postulent pas que nous ayons quelque chose à reprocher aux gens que nous entendons, nous avons besoin d'eux pour contribuer à notre travail. Il me semble particulièrement important de le rappeler, alors que nous entendons un serviteur de l ' État, qui remplit une tâche particulièrement difficile et importante pour la République.
Dans ce contexte, il est très important pour nous de vous entendre afin d ' avoir une vision professionnelle de ce qu ' est l ' organisation de la protection du Président de la République, tout en sachant que vous n ' avez pas à nous dévoiler des « secrets de fabrication »... Ne nous dites que ce qui vous paraît, d'un point de vue technique et pratique, possible !
Pour autant, nous avons des points à clarifier. Ils seront peut-être délicats, notamment en ce qui concerne les relations qu'entretenait le chargé de mission, adjoint au chef de cabinet à la présidence de la République, M. Benalla, et votre groupe. Dans plusieurs déclarations, M. Benalla n ' a pas hésité à faire état de relations tendues - c'est sur la place publique. Peut-être n ' avez-vous pas perçu ces tensions, mais lui, en tout cas, en a parlé publiquement. Je le regrette, mais nous devrons vous poser des questions précises sur ce point. Vous nous direz ce que vous pensez pouvoir nous dire.
Votre propos liminaire sera l'occasion de nous présenter le GSPR. Vous pourrez aussi, si vous le souhaitez, commencer à lever le voile sur les difficultés qui ont pu apparaître dans la collaboration entre l ' adjoint au chef de cabinet, M. Benalla, et le groupe que vous dirigez.
Notre commission ayant été investie des prérogatives d'une commission d'enquête, je dois vous demander de prêter serment. Un faux témoignage serait passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, le Colonel Lionel Lavergne prête serment.
Colonel Lionel Lavergne, chef du groupe de sécurité de la présidence de la République . - Je m ' efforcerai de répondre avec le plus de clarté possible à vos questions et je profite de ce propos liminaire pour vous remercier de me donner la possibilité de m ' exprimer pour apporter un certain nombre de précisions.
Dans ce cadre, je veillerai à respecter le principe de séparation des pouvoirs, qui ne me permettra ni de répondre aux questions portant sur des faits en lien avec l ' information judiciaire en cours ni à celles portant sur l ' organisation interne de la présidence de la République. Ma position spécifique au coeur du dispositif de sécurité de la présidence de la République m ' oblige aussi à respecter une vigilance toute particulière en matière de protection du secret de la défense nationale. Ainsi, je ne pourrai pas aborder les différents modes d ' action nécessaires à la protection du Président de la République.
Le GSPR est une entité du SDLP, le service de la protection. Ses missions sont clairement mentionnées dans l ' article 4 de l ' arrêté du 12 août 2013 relatif aux missions et à l ' organisation du service de la protection. Ces missions sont d ' assurer, sur le territoire français et à l ' étranger, la protection personnelle et immédiate du Président de la République et de mettre en oeuvre les mesures nécessaires à sa sécurité, notamment à l ' organisation matérielle et à la sécurité de ses déplacements. En l ' état actuel, ses effectifs sont de 76 femmes et hommes, dont 40 fonctionnaires de police et 36 militaires de la gendarmerie.
Monsieur le président, je vais aller dans le vif du sujet : vous m'avez interrogé sur les relations entre M. Benalla et le GSPR. M. Benalla travaillait à la chefferie de cabinet - j ' ai vu que vous aviez appris ce nom bizarre, mais c ' est son nom usuel.
M. Philippe Bas , président . - Je vois avec plaisir que vous suivez nos travaux, mon colonel !
Colonel Lionel Lavergne . - Absolument ! M. Benalla travaillait à la chefferie de cabinet et officiait, dans toutes ses missions, sous l ' autorité du chef de cabinet, M. François-Xavier Lauch. M. Benalla était chargé de mission, adjoint au chef de cabinet. Je précise que la chefferie de cabinet regroupe un chef de cabinet et un chef adjoint de cabinet, qui sont nommés au Journal officiel , ainsi que deux chargés de mission, adjoints au chef de cabinet.
Jusqu ' au 1 er mai 2018, les missions de M. Benalla étaient triples. La plus importante était de participer, sous l ' autorité du chef de cabinet, à l ' organisation des déplacements officiels du Président de la République. À ce titre, il assurait la coordination des services qui concourent à l ' organisation d'un déplacement, conformément aux programmes arrêtés par le chef de cabinet.
Parmi les services concernés par cette coordination, il y a évidemment des services de sécurité mais aussi les services locaux compétents - préfecture de police dans l'agglomération parisienne, police ou gendarmerie en province... Il y a aussi les autres services du Palais qui concourent à l'organisation d'un déplacement : intendance, service audiovisuel et de presse.
Pour les déplacements, la chefferie de cabinet est donc un véritable chef d ' orchestre et M. Benalla officiait toujours dans ce cadre sous l ' autorité du chef de cabinet. La chefferie de cabinet veille à l'emplacement du pupitre, à l'installation du podium, à la présence des élus et de la presse... En tant que chef d ' orchestre, M. Benalla n ' avait aucune autorité directe sur les services de sécurité, GSPR ou services territorialement compétents, qui sont sous l ' autorité du préfet de département ou de police.
Cela étant dit, sa fonction de coordination dans le cadre de l ' organisation des déplacements pouvait avoir des conséquences en matière d ' évolution du dispositif, y compris de sécurité. En effet, lorsque des cas non conformes se présentent - par exemple, des élus ou des journalistes en retard ou des moments du programme plus ou moins longs que prévus... -, le séquençage du déplacement doit être revu et il revient au chef d'orchestre, sous l ' autorité du chef de cabinet, de donner des consignes et aux différents services de s'articuler pour répondre au mieux à ces orientations.
Le deuxième volet des prérogatives de M. Benalla était l ' organisation des déplacements non officiels du Président de la République, toujours sous un angle organisationnel : visites de reconnaissance, contacts avec les interlocuteurs du Président, lien avec lui pour connaître ses souhaits... Là aussi, son rôle était celui d'un chef d ' orchestre, sachant que la partie relative à la sécurité incombe en propre au GSPR, sous mon autorité.
Le troisième volet n'était pas en lien direct avec les missions du GSPR. Il s'agissait de gérer les invitations pour le 14 juillet.
Il y a eu les événements que l ' on connaît et la période de suspension. À compter du 22 mai 2018, date du retour de M. Benalla, ses missions ont été recentrées par le directeur de cabinet sur des missions au sein du Palais de l ' Élysée : organisation de réceptions et de réunions importantes... Il a ainsi conservé la gestion des invitations du 14 juillet et l ' organisation des déplacements non officiels du Président, mais il ne participait plus à l'organisation des déplacements officiels.
Voilà la description que je peux faire des relations fonctionnelles de M. Benalla avec les autres services et, je le redis fermement, il agissait sous l ' autorité directe du chef de cabinet, il n'était pas sans contrôle.
J ' ai toujours entretenu, en tant que chef de service, d ' excellentes relations avec M. Benalla, qui était quelqu ' un de dévoué, disponible, réactif et opérationnel dans son métier d ' organisation. Nous entretenions également d ' excellentes relations sur le plan humain. C'était aussi le cas avec mes collaborateurs.
Monsieur le président, vous avez évoqué le fait que, sur la place publique, M. Benalla aurait fait état de relations tendues avec le GSPR. Il ne me semble pas avoir entendu M. Benalla dire cela, j'ai l'impression que ce sont d'autres personnes qui en ont parlé.
M. Philippe Bas , président . - Mon colonel, je faisais référence aux propos de M. Benalla dans le Journal du dimanche d'hier et dans Le Monde la semaine dernière. Il évoquait des frictions et des non-dits, mais nous entendons votre témoignage.
Avez-vous achevé votre propos liminaire ?
Colonel Lionel Lavergne . - Oui, monsieur le président.
M. Philippe Bas , président . - Vous nous avez indiqué que M. Benalla ne participait plus aux déplacements officiels du Président de la République après la reprise de ses fonctions à l ' Élysée. Pourtant, il est admis maintenant - cela était parfaitement visible - qu ' il a accompagné le Président à Giverny, comme à la cérémonie d ' entrée au Panthéon de Mme Veil et de son époux, ce qui signifie quand même qu ' il continuait à apporter un certain concours aux déplacements extérieurs, dont je ne cerne pas exactement la nature.
Mais laissons cela de côté et revenons à la première question que j ' avais envie de vous poser ! Nous voyons bien que la définition des fonctions de M. Benalla, la fiche de poste si je puis dire, revêtait trois dimensions. Cela nous a été présenté par le directeur de cabinet du Président de la République et nous aurions été surpris que vous en ayez une vision différente. Néanmoins, il est important pour nous d ' essayer de mesurer quelle était l ' importance respective de ces trois fonctions.
En effet, dans les déplacements officiels, nous le voyons souvent, non pas dans la participation à l ' organisation, mais dans une présence qui évoque une fonction de protection rapprochée. Or une telle fonction n ' entre pas dans la définition de ses missions, mais on peut concevoir, en raison de son expérience dans ce domaine et sans avoir à l ' écrire dans la fiche de poste, qu'il la remplissait aux côtés de vos propres équipes.
Comme il était par ailleurs titulaire d ' une autorisation de port d ' arme et que le préfet de police a justifié son octroi par les fonctions de police qu ' il exerçait, nous nous sommes demandé si l'arme qu ' il portait ne servait pas d'abord à l'accompagnement des déplacements privés du Président, ce qui ferait penser à une fonction de garde du corps, pour employer une expression de tous les jours.
Vos collaborateurs sont également amenés, fort heureusement, à accompagner le Président de la République lors de ses déplacements privés pour assurer sa sécurité. Je voudrais donc que vous nous indiquiez si la vision que je viens de présenter est fausse ou non.
Colonel Lionel Lavergne . - Votre question en inclut en fait plusieurs et je vais tenter d'y répondre de la manière la plus claire et exhaustive possible.
Giverny était un déplacement non officiel du Président et j'ai rappelé que, après le 22 mai, M. Benalla était toujours en charge de ce type de déplacements. Il n'est donc pas surprenant qu'il ait été présent à celui-là. Concernant le Panthéon, c'était un événement d ' ampleur pour la présidence de la République, donc pour la chefferie de cabinet. Je ne peux évidemment pas m ' exprimer au nom du chef de cabinet, mais dans le cadre de ce type de déplacements, tous les moyens de la chefferie sont mobilisés. Ses quatre agents l ' ont été en l'espèce. Ce fut également le cas pour le 14 juillet. Il n'y a donc rien d ' étrange, tout est explicable très clairement.
Y a-t-il une importance respective dans ses trois fonctions ? En fait, tout dépend des déplacements du Président et de leur fréquence.
Monsieur le président, vous avez évoqué le fait qu'il aurait été convenu que M. Benalla remplirait, aux côtés de mes équipes, des fonctions de protection. Comme je l ' ai dit tout à l ' heure, M. Benalla ne dirigeait pas le GSPR et n'occupait aucune fonction de protection du Président de la République.
Une confusion peut survenir, lorsque l'on regarde certaines images, et je souhaite vous apporter des précisions. Il faut distinguer la période de la campagne électorale et celle qui débute avec l'investiture du Président de la République le 14 mai 2017.
Je n'ai pas vécu la période de la campagne, puisque j'étais déjà affecté au GSPR sous la présidence de François Hollande, mais à compter du 14 mai 2017, l'organisation a évolué.
En liaison avec le chef de cabinet, il a été décidé que les personnes affectées à la chefferie, dont M. Benalla, et aux services qui concourent à l ' organisation et au bon déroulement des déplacements du Président seraient dotées d ' équipements radio. Toutefois, le canal utilisé n'est pas le même que celui des services de sécurité, qui ont leur propre « bulle ». Concrètement, il existe donc deux canaux, l'un pour la sécurité, l'autre pour l'organisation. Ce dispositif permet au chef de cabinet de coordonner son action avec les différents services - protocole, presse, audiovisuel, photographe... -, ce qui est particulièrement important en cas d'évolution du programme.
Les deux canaux sont distincts et étanches, si je puis dire. Seul le chef du GSPR écoute les deux circuits. Cela nous permet de travailler de la manière la plus cohérente possible sans pénaliser ni la sécurité ni l'organisation.
Quand vous voyez M. Benalla avec une oreillette, par exemple au Salon de l'agriculture, elle est liée au canal dédié à l'organisation, pas à celui de la sécurité.
En ce qui concerne son positionnement physique, il s'agit, comme pour un autre membre de la chefferie, d'être au plus près du Président pour l'orienter vers le chemin qui a été prévu lors de la mission de reconnaissance et recueillir ses observations s'il souhaite changer de route et aller, pour reprendre l'exemple du Salon de l'agriculture, vers tel ou tel stand.
Voilà pourquoi M. Benalla portait une oreillette. Tout cela est totalement explicable sur le plan technique.
M. Philippe Bas , président . - Et le port d'arme ?
Colonel Lionel Lavergne . - Pour ce qui me concerne, je n ' ai jamais vu M. Benalla avec une arme dans les déplacements du Président de la République.
M. Philippe Bas , président . - Est-ce que des membres du groupe de sécurité de la présidence de la République, qui ont eu à accompagner le Président en même temps que M. Benalla, ont constaté qu ' il portait une arme ?
Colonel Lionel Lavergne . - Je n ' ai eu aucun retour en ce sens.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Colonel, nous essayons, vous l ' avez compris, de concilier et de confronter différentes informations pour qu ' elles aient un sens, ce qui n ' est pas toujours le cas.
Ainsi, nous avons entendu les syndicats de police, qui ont fait état des relations difficiles - certains ont utilisé le terme d'exécrables - qui pouvaient exister entre M. Benalla et les policiers avec lesquels il travaillait. M. Benalla lui-même, en parlant de frictions dans la presse, admet que les relations étaient difficiles avec le GSPR.
Or selon vous, vos collaborateurs et vous-même n ' avez pas rencontré ce type de difficultés et vos relations étaient bonnes. Quand vous parlez de vos collaborateurs, cela inclut-il l'intégralité de vos hommes ou seulement vos collaborateurs proches ? Si aucun des hommes qui sont sous votre commandement n'a rencontré de difficultés avec M. Benalla, comment expliquez-vous les propos tenus à la fois par lui-même et par les syndicats ?
Colonel Lionel Lavergne . - Madame le rapporteur, avant de vous répondre, je me permets de vous poser une question. Selon son intitulé, la mission de votre commission concerne les conditions dans lesquelles des personnes n ' appartenant pas aux forces de sécurité intérieure ont pu ou peuvent participer à des missions de protection. Quel est le rapport entre les relations que vous évoquez et la participation à des missions de protection ?
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Ce sont plutôt les membres d'une commission d'enquête qui posent des questions aux personnes qu'ils auditionnent...
Vous avez indiqué que M. Benalla était amené à donner des consignes dans son rôle de coordination. Or on a pu le voir, notamment dans une vidéo récemment publiée par un syndicat de police, parler à des policiers lors du retour des Bleus d ' une façon assez raide, si je puis dire... Est-ce que ces consignes ne pouvaient pas être interprétées comme des ordres à l ' égard des membres du GSPR, qui n ' ont pourtant pas d ' ordres à recevoir du coordinateur ? Tel était entre autres le sens de ma question.
Colonel Lionel Lavergne . - Je vous remercie, madame le rapporteur, c ' est maintenant beaucoup plus clair pour moi.
Tout d'abord, il ne m'appartient pas de commenter les propos tenus par les collègues des syndicats de police et je ne le ferai pas. J ' ai, bien évidemment, un avis personnel sur ce sujet, mais je ne suis pas ici pour l'exprimer.
Et je ne commenterai pas non plus les propos tenus par M. Benalla ; la paternité lui en revient et je ne suis pas dans sa tête.
Cela étant dit, le correspondant naturel du chef de cabinet ou de ses adjoints, c ' est le chef du GSPR et, si quelqu ' un avait eu à se plaindre de paroles véhémentes ou tendues, c ' eût été moi ou l'un de mes adjoints. En ce qui me concerne, M. Benalla ne m'a jamais parlé de mauvaise manière.
Évidemment, dans un déplacement, il peut y avoir des moments de tension et on ne va pas forcément utiliser tous les mots de courtoisie et circonvolutions pour nous exprimer. Il faut que les choses aillent vite et que les équipes soient réactives.
Le chef de cabinet et ses adjoints ne s ' adressent pas directement à mes personnels. Ils ont un rôle d ' organisation, de chef d ' orchestre ; ils s'adressent aux différents premiers pupitres, en l'occurrence au chef du GSPR. C'est lui qui traduit en termes opérationnels les instructions du chef de cabinet ou de ses adjoints. Il serait étrange que M. Benalla, le chef de cabinet ou le chef adjoint de cabinet s'adresse directement à un personnel du GSPR et ce n ' est absolument pas le cas. Le seul à disposer de la vision globale de la posture de sécurité est le chef du GSPR. Je n ' ai pas eu de retour particulier, me rapportant une attitude véhémente de M. Benalla de manière récurrente.
Si je me souviens bien, vous avez demandé aux syndicats de police quelle était leur source et il me semble que ni le chef du SDLP ni le directeur général de la police nationale n'ont eu de retour allant dans ce sens. Je n'en ai pas eu non plus et je suis sous l ' autorité organique du chef du SDLP. Je suis d'ailleurs très preneur de ce type d'informations !
M. Philippe Bas , président . - Nous sommes nous aussi très preneurs d'informations !
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Colonel, vous nous avez indiqué tout à l ' heure que seul le GSPR était chargé de la protection du Président de la République. Avant vous, nous avons entendu M. le préfet de police des Bouches-du-Rhône, qui nous indiquait que, à une reprise, lors d ' un déplacement public du Président de la République, il avait vu M. Benalla en protection face à la foule, à l ' instar des membres du GSPR.
Je souhaiterais savoir quelle réflexion cela vous inspire. Ne peut-on pas imaginer - c'est une hypothèse - que, dans les moments de tension qui peuvent apparaître lors de certaines manifestations, M. Benalla ait de fait joué le rôle d ' un membre de la protection du Président de la République ?
Colonel Lionel Lavergne . - Madame, dans les moments de tensions - je parle de tensions lors d'un déplacement, pas de celles qui pourraient exister entre M. Benalla et le GSPR -, le dispositif de sécurité reste à la main du chef du GSPR. Pour autant, il est évident que, en cas de mouvement de foule, le représentant de la chefferie de cabinet - nous parlons ici de M. Benalla, mais cela concerne aussi le chef de cabinet ou son adjoint - ne va pas s'effacer physiquement ! Quand des gens se présentent pour parler au Président, c'est le chef de cabinet ou son représentant qui filtre les demandes et autorise l'accès au Président.
Les images peuvent donc donner l'impression que M. Benalla participe à la protection du Président, mais dans les faits, ce n ' est absolument pas le cas. Vous pouvez prendre d'autres images et exemples ; vous verrez que M. Lauch, le chef de cabinet, a la même attitude. Ce n'est pas illogique, mais en tout cas, les représentants de la chefferie de cabinet ne font pas partie de la bulle de sécurité.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Mon colonel, pour commencer, je voudrais vous féliciter pour votre placidité, car M. Benalla ne s ' exprime pas exactement dans les mêmes termes que vous. Si vous lisez le journal paru hier, il dit, par exemple, que le GSPR est l ' enfant terrible de l ' Élysée. Je me permets de vous dire que vous ne donnez pas cette impression...
M. Benalla parle de frictions, de non-dits et, s ' agissant du GSPR, d 'une incohérence totalement incroyable ! Relisez l'article ! Il en appelle à une autre organisation, ce qui fait penser qu'il est chargé d'y réfléchir... Il ajoute qu'un acteur est radicalement contre un changement, c ' est le ministère de l 'i ntérieur. Qu'un représentant du cabinet du Président de la République parle ainsi du ministère de l 'i ntérieur pose quand même quelques problèmes.
Vous affirmez, avec beaucoup de clarté, que M. Benalla n ' avait pas de mission de sécurité. Cette affirmation est battue en brèche par le fait qu ' il a, vous le savez, une autorisation de port d'arme basée sur le fait qu'il exerce des missions de police, pas de sécurité - c ' est écrit sur l'arrêté préfectoral...
J ' imagine que les faits commis le 1 er mai par quelqu ' un qui n ' a aucune attribution de police n'ont pas dû réjouir vos subordonnés, des hommes et des femmes qui assurent une mission extrêmement difficile. Qui plus est, un autre témoignage est apparu et ces événements se sont peut-être reproduits dans la même journée. Tout cela pose quand même problème.
Que peuvent bien ressentir vos subordonnés, lorsqu'ils apprennent ces faits, qui sont d'une certaine gravité - beaucoup pensent d'ailleurs qu ' ils auraient dû donner lieu à une saisine de la justice dès le 2 mai -, et que la personne mise en cause revient exercer des missions qui restent très notoires, très visibles ?
On a eu le sentiment, peut-être à tort, que M. Benalla était une sorte de garde du corps. Ce que nous a dit le préfet de police des Bouches-du-Rhône par rapport aux déplacements privés du Président de la République corrobore cela. Le fait qu ' il dise lui-même qu ' il n ' utilise son arme que pour les déplacements privés prouve que, pour ces déplacements, il a une arme et qu'il pense légitime d'en avoir une. Or si on a une arme, c'est bien pour pouvoir s'en servir ! Nous sommes donc effectivement sur des questions de sécurité ou de police. Est-ce que tout cela ne crée pas une confusion ?
En tant qu'élu, j ' ai eu souvent l ' occasion de voir de très près ce qu ' est la protection rapprochée - je pense à une grande fête à laquelle je participe depuis 37 ans et qui a eu plusieurs fois comme personnalité d'honneur un Président de la République. Vous avez connu de telles circonstances mille fois plus que moi, mon colonel, mais je comprends ce qu'est votre travail de proximité. Or, quand quelqu ' un est présent en permanence à côté de la personnalité, sans avoir pour autant une mission de police ou de sécurité, est-ce que cela ne finit pas par créer un problème ou même par constituer un obstacle ? Je le dis eu égard à votre grand professionnalisme, que je tiens à nouveau à saluer. Voilà mes questions, je n'en poserai pas d'autres !
Colonel Lionel Lavergne . - Je ne dirai rien du sentiment qu'éprouvent les femmes et les hommes du GSPR concernant les faits du 1 er mai, qui leur appartient, ni de mon sentiment personnel. Je dirai simplement qu'il y a eu faute, et même faute grave, et qu'elle est prise en tant que telle. Le reste fait l'objet de l'information judiciaire en cours.
Je n'ai pas lu les propos tenus par M. Benalla dans Le Journal du Dimanche...
M. Philippe Bas , président . - Vous vous intéressez davantage aux comptes rendus de notre commission qu'aux articles de presse !
Colonel Lionel Lavergne . - Le dimanche, je me repose...
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Sauf quand le Président de la République est de sortie !
Colonel Lionel Lavergne . - Effectivement.
Les propos de M. Benalla sur les frictions et les non-dits n'appartiennent qu'à lui. Commandant le GSPR depuis un an et demi, s'il y avait eu des soucis en son sein, j'en aurais eu des retours.
M. Philippe Bas , président . - En somme, selon vous, s'il y avait des frictions, elles ne dépassaient pas les tensions normales observables dans toute organisation de travail, en sorte que vous n'avez pas eu à en connaître ?
Colonel Lionel Lavergne . - Il y en a en effet dans toute organisation humaine, car la perfection n'est pas de ce monde. Nous formons à l'Élysée une équipe dans laquelle, comme dans toute équipe, il peut y avoir des tensions. L'objectif reste, comme dans un sport collectif, d'obtenir les meilleurs résultats possibles. À ma connaissance, il n'y a au GSPR aucune friction suffisamment grave pour devoir être mise sur la place publique.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Cela ne pose ou n'a jamais posé de problème dans la protection rapprochée ?
Colonel Lionel Lavergne . - Je le redis, en tant que chef du GSPR : M. Benalla ne faisait pas de mission de protection. L'attitude qu'il a pu avoir à un moment donné était liée à sa fonction au sein de la chefferie de cabinet. Je me suis expliqué sur sa proximité et son oreillette. Il ne faisait pas partie du GSPR, n'y dirigeait rien, n'y exerçait aucune fonction de sécurité, je ne l'ai jamais vu avec une arme et n'ai jamais eu de retour sur le fait qu'il en portait une en déplacement.
M. François Pillet . - Colonel, assurant la fonction extrêmement importante de la sécurité du Président de la République, vous devez avoir une connaissance exhaustive des armes détenues à l'Élysée. En dehors des policiers et gendarmes et de M. Benalla, d'autres personnes sont-elles titulaires d'un permis de port d'arme ou détentrices d'une arme à l'Élysée ?
Pourquoi cette réorganisation des services assurant la sécurité de l'Élysée et du Président de la République ? Des incidents l'ont-ils rendue nécessaire ? Pourquoi réorganiser quelque chose qui semble fonctionner ?
Colonel Lionel Lavergne . - Distinguons les différentes natures de détention d'arme. Parmi les 800 membres du personnel de l'Élysée, je vous avoue ne pas connaître tous les amateurs de tir sportif...
M. François Pillet . - C'est dommage.
Colonel Lionel Lavergne . - Cela relève de leur vie privée. M. Benalla avait un permis de port d'arme délivré par le préfet de police. À ma connaissance, ne détiennent des armes, outre M. Benalla, titulaire d'un permis de port d'arme, que les militaires de la garde républicaine - je peux me permettre de parler au nom du général Bio-Farina sur ce point - et les fonctionnaires et militaires du GSPR qui exercent des fonctions de police, de sécurité et de protection.
M. Philippe Bas , président . - Il est difficile pour nous de comprendre les différences d'appréciation des uns et des autres. Le préfet de police a eu entre les mains le contrat de travail liant M. Benalla aux services de la présidence de la République pour une mission de coordination de la sécurité avec les forces militaires et le GSPR. Il a été attentif à l'attestation de formation continue qui a été délivrée par le major de police en charge de la cellule formation du GSPR, ainsi qu'aux carnets de tir à jour produits par M. Benalla - il vise ces documents dans sa décision. Ensuite il relève que M. Benalla est chargé d'une mission de police dans le cadre de son action de coordination de la sécurité de la présidence de la République avec les forces militaires - je pense que cela vise le commandant militaire du palais de l'Élysée - et le GSPR. Puis il mentionne le haut niveau de menace terroriste et la sensibilité du domaine d'exercice de sa mission, avant d'arrêter sa décision, qui ne se borne pas à permettre à M. Benalla de continuer à pratiquer le tir sportif...
Il est étonnant qu'alors que votre service est mentionné à plusieurs reprises dans l'arrêté, vous n'ayez à aucun moment été en contact avec la préfecture de police, ni informé par aucun de vos agents du fait que M. Benalla pût porter une arme à l'occasion d'un déplacement. Nous ne demandons bien sûr qu'à vous croire, et vous avez prêté serment, mais le préfet de police fait une toute autre interprétation de la mission de M. Benalla, et des indices témoignent de la fonction de protection qu'il aurait eue pendant la campagne présidentielle - le bon sens conduit à penser, quoique nous pourrions être démentis par la preuve du contraire, que les raisons pour lesquelles il a été apprécié pendant la campagne présidentielle sont aussi celles qui ont entraîné son recrutement auprès du Président de la République. J'ajoute que le chef du service de la protection nous a indiqué qu'il était fermement opposé à ce que M. Benalla porte une arme, craignant une interférence avec le GSPR. Bref, face à ces discordances, nous avons du mal à établir la vérité.
Colonel Lionel Lavergne . - La question qui m'a été posée était de savoir qui, outre M. Benalla, les militaires de la garde républicaine et ceux du GSPR, pouvait à l'Élysée être titulaire d'un permis de port d'arme ou détenteur d'une arme. J'ai bien répondu à la question : je n'en connais pas.
M. Philippe Bas , président . - Je vous en pose une autre : saviez-vous que M. Benalla avait l'autorisation de porter une arme ?
Colonel Lionel Lavergne . - Oui, j'étais au courant de l'autorisation qu'il avait eue, mais j'ignorais le contenu exact de l'arrêté. Je précise, et comme j'ai prêté serment, je vous le dis très clairement, les yeux dans les yeux : je n'ai jamais vu M. Benalla avec une arme lors des déplacements du Président de la République, et je n'ai eu aucun retour de fonctionnaire allant dans ce sens.
M. Philippe Bas , président . - Y compris lors de ses déplacements privés ?
Colonel Lionel Lavergne . - Oui, qu'il s'agisse de déplacement officiel ou non officiel.
M. Philippe Bas , président . - Pourquoi la présidence de la République a-t-elle donc souhaité que M. Benalla pût obtenir un permis de port d'arme - je ne vous en voudrais pas de ne pas savoir répondre à cette question ? Il a bien fallu que la présidence intervienne pour qu'il obtienne cette autorisation, à raison des fonctions qu'il exerçait à la présidence.
Colonel Lionel Lavergne . - Vous avez auditionné de nombreuses personnes, tel le préfet de police et le directeur de cabinet du Président de la République, qui ont me semble-t-il déjà répondu sur ce point. Je vous redis que, accompagnant le Président de la République quasi-quotidiennement, je n'ai jamais vu M. Benalla armé lors d'un déplacement.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - M. Benalla a déclaré à la presse porter son arme lors des déplacements privés.
Colonel Lionel Lavergne . - Peut-être, mais je ne l'ai pas constaté.
J'en viens au projet de réorganisation de la sécurité de l'Élysée. Une remarque liminaire : j'ignore si cela entre dans le champ de la commission d'enquête...
M. Philippe Bas , président . - Je pense que oui, colonel.
Colonel Lionel Lavergne . - Je ne saurai en tout cas m'appesantir sur ce sujet, qui relève de l'organisation interne de la présidence. Ce projet n'a absolument pas pour but de créer une officine privée ou une garde prétorienne.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Nous l'espérons bien !
Colonel Lionel Lavergne . - Je vous le dis. Cette réflexion a pour but de rapprocher les deux services qui assurent la sécurité de la présidence à l'extérieur - le GSPR - et à l'intérieur - le commandement militaire. Les incohérences dont il est parfois question ne sont pas celles qui existeraient au sein du GSPR, mais celles qui sont liées à la sécurité d'une manière générale. Il s'agit non de fusionner la sécurité intérieure avec la sécurité extérieure mais de créer une synergie entre ces deux composantes. Cette réflexion s'inscrit, dans l'esprit du Président de la République, dans une transformation plus globale de services de la présidence, pour gagner en efficience, en cohérence, en lisibilité et en sincérité sur le plan budgétaire. Voilà des années en effet que la Cour des comptes reproche à l'Élysée son manque de clarté dans l'imputation budgétaire des actions de sécurité : il est temps de se doter d'une organisation permettant de dire le coût de chacune d'entre elles. La Cour des comptes a d'ailleurs publié la semaine dernière un communiqué disant que cette réorganisation allait dans le bon sens.
Cette réforme est pilotée par le général Bio-Farina ; j'en suis le copilote. M. Benalla ne pilotait pas plus cette réforme qu'il ne dirigeait la sécurité de l'Élysée, comme on a pu le dire il y a une dizaine de jours. Compte tenu de sa position à la chefferie de cabinet, il a participé en tant que de besoin aux groupes de travail que nous avons constitués pour faire adhérer le personnel à la réforme, dans une logique de conduite du changement.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Un comité de pilotage a donc été mis en place : M. Benalla y a-t-il toute sa place ou n'intervient-il que ponctuellement ?
Colonel Lionel Lavergne . - Nous touchons là à l'organisation interne de l'Élysée. Avez-vous eu connaissance de ce comité de pilotage par la presse ?
Mme Muriel Jourda . - Vous avez dit piloter la réforme avec le général Bio-Farina.
Colonel Lionel Lavergne . - Le binôme que j'ai dit pilote la réflexion. M. Benalla participe en tant que de besoin aux groupes de travail. Mon adjoint est aussi impliqué dans la réflexion, de même que l'adjoint du général Bio Farina...
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Le ministère de l'intérieur fait-il partie, ès-qualités, de ce comité de pilotage ?
Colonel Lionel Lavergne . - Il ne m'appartient pas de répondre à cette question. Je ne suis que le copilote de ce travail de réflexion, mené sous l'égide du directeur de cabinet du Président de la République.
M.
Jean-Pierre Sueur
, rapporteur
. - Je
comprends votre réponse, mais je me permets de dire en tant que
parlementaire que la question de savoir si le ministère de
l'intérieur participe ou non à cette réflexion n'est pas
sans incidence sur l'organisation des pouvoirs publics de notre pays
- remarque qui n'appelle pas de réponse.
M. Philippe Bas , président . - À entendre le directeur de cabinet du ministre de l'intérieur, à qui nous avons posé presque la même question tout à l'heure, il ne m'a pas semblé, mais je relirai ses propos, que le ministère de l'intérieur prenait une part active à cette réflexion.
M. Alain Richard . - Je voudrais faire une observation de méthode qui aura peut-être, je l'espère, quelque utilité dans nos débats. J'entends depuis hier citer abondamment les déclarations faites par M. Benalla à la presse, et j'entends le rapporteur, M. Sueur, les opposer aux propos tenus par les personnes que nous auditionnons. Il me semble donc justifié de souligner l'écart de statut entre ces deux positions : M. Benalla est une personne qui a été licenciée pour motif disciplinaire de ses fonctions à l'Élysée, et qui fait l'objet d'une enquête judiciaire qui, selon toute vraisemblance, se terminera devant le tribunal correctionnel de Paris dans quelques mois. Les propos publics qu'il tient relèvent donc - un enfant de huit ans comprend cela - d'une stratégie de défense personnelle. J'observe aussi que les faits concrets, démontrables, cités dans ses propos sont rarissimes. Les hauts fonctionnaires, serviteurs de l'État, qui s'expriment devant nous sous serment le font dans des conditions extrêmement différentes. Il serait fâcheux qu'au sein de la commission d'enquête apparaisse une égalité de valeur entre leurs propos respectifs.
M. Philippe Bas , président . - Ce n'est pas parce que nos collègues rapporteurs, moi-même ou d'autres collègues, posons des questions à partir des propos de M. Benalla que nous attachons la même valeur à ceux-ci et à des propos tenus sous serment par des hauts fonctionnaires. M. Benalla, cependant, est assez bien placé pour s'exprimer sur le travail qu'il faisait, et il est intéressant, non pas d'opposer les uns aux autres, mais de faire la lumière à partir des contradictions qui émergent. Ces dernières n'existent d'ailleurs pas seulement entre les propos de M. Benalla et les informations dont nous disposons - j'ai lu tout à l'heure l'arrêté du préfet de police - mais aussi sur la nature exacte des missions de M. Benalla.
M. Alain Richard . - Nous en avons déjà parlé. Il manque des éléments sur ce point et vous le savez.
M. Philippe Bas , président . - Soulever ces contradictions permet aux personnes interrogées de les démentir, s'il y a lieu.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Je suis en total accord avec M. Richard. Il n'y a pas dans mon esprit de signe égal entre les propos d'une personne qui a commis des actes que j'ai qualifiés, devant cette commission, d'inadmissibles et inacceptables, et les propos des hauts fonctionnaires que nous auditionnons. Simplement, les déclarations faites dans la presse sont un fait.
M. Alain Richard . - Une stratégie personnelle !
M. Philippe Bas , président . - Peut-être pas seulement personnelle, compte tenu des conditions dans lesquelles ces propos ont été recueillis...
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Sans doute cherche-t-il à se présenter sous le meilleur jour alors qu'il a accompli des actes inadmissibles et inacceptables... J'ai aussi toujours tenu à dire notre admiration et notre estime pour les fonctionnaires de la police, de la gendarmerie, des différents services de sécurité, et j'ai dit aussi l'immense difficulté de la tâche du GSPR et de celle des hommes et des femmes qui travaillent avec vous, colonel.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Colonel, nous cherchons une vérité à travers les contradictions qui apparaissent entre les propos des uns et des autres. Or il règne toujours une certaine confusion sur les missions exercées par M. Benalla auprès du Président de la République. Le ministre de l'intérieur nous a dit ne pas connaître M. Benalla personnellement, seulement de vue, et l'avoir toujours pris pour un policier. Qu'est-ce qui, dans l'attitude de M. Benalla, a pu donner cette impression à quelqu'un d'aussi aguerri que le ministre de l'intérieur ?
Colonel Lionel Lavergne . - Il m'est difficile, voire impossible, de commenter les propos tenus par le ministre de l'intérieur. Cela étant dit, il n'y a aucune confusion possible pour moi, chef du GSPR, non plus que pour mon personnel : M. Benalla n'était pas officier de sécurité, il ne dirigeait pas le GSPR, il était chargé de mission adjoint auprès du chef de cabinet, et avait à ce titre un rôle de facilitateur entre les différents services - j'ai employé tout à l'heure le mot de chef d'orchestre - au même titre que les autres membres de la chefferie de cabinet.
Mme Agnès Canayer . - Vous avez expliqué clairement le contenu des missions de M. Benalla avant sa suspension. Ma question porte sur le retour de l'équipe de France de football - les Bleus - : quel était alors le rôle de M. Benalla ? J'ignore si le GSPR était, lui, mobilisé. Avez-vous eu connaissance de frictions impliquant M. Benalla ?
Colonel Lionel Lavergne . - La protection du Président de la République relevant, lorsqu'il n'est pas en déplacement, du commandement militaire, le GSPR n'était pas concerné par le retour des Bleus. La chefferie de cabinet et le directeur de cabinet, en revanche, étaient impliqués dans le retour des Bleus et c'est à ce titre que M. Benalla l'était aussi. Je crois que le directeur de cabinet du Président de la République a répondu à cette question. Pour ma part, je n'ai pas eu connaissance de frictions entre M. Benalla et des membres des forces de l'ordre à cette occasion.
M. Éric Kerrouche . - Je réagis aux propos de M. Alain Richard. M. Benalla aurait pris la parole à titre individuel ; or d'après les éléments dont nous disposons, il semble qu'il était à tout le moins accompagné...
M. Alain Richard . - Il semble...
M. Éric Kerrouche . - En réalité, il ne semble pas : Le Monde, notamment, fait référence à certaines personnes dont l'identité conduit à se demander comment dissocier la stratégie personnelle de la communication politique.
M. Alain Richard . - Tenons-nous-en aux faits.
M. Éric Kerrouche . - Quel rôle et quel statut M. Vincent Crase avait-il au sein de l'Élysée ? On parle de lui comme d'un chargé de mission. Pouvez-vous nous donner des exemples de mobilisation de M. Crase par le commandement militaire pour nous éclairer sur ce qu'il faisait exactement ? Quels liens l'unissaient à M. Benalla ? Ils semblaient bien se connaître, et nous savons qu'ils ont voulu créer une société ensemble. Il n'est pas indifférent d'aborder ces renseignements pour comprendre ce qui les a conduits au même endroit le 1 er mai.
Colonel Lionel Lavergne . - M. Vincent Crase relevait du commandement militaire et de l'autorité du général Bio-Farina en tant que réserviste. Je ne saurais m'exprimer à sa place.
Je savais que MM. Crase et Benalla se connaissaient, ni plus ni moins.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - M. Girier, ce matin, nous a confirmé qu'un agent de sécurité de la campagne du candidat Emmanuel Macron avait été recruté au sein du GSPR. Dans quelles conditions ? Connaissiez-vous sa qualité d'ancien membre de la sécurité de la campagne du candidat Macron ? M. Benalla a-t-il pu avoir un rôle quelconque dans ce recrutement, en présentant ou en appuyant sa demande, ou par tout autre moyen ?
Colonel Lionel Lavergne . - De qui parle le chef de cabinet du ministre d'État, ministre de l'intérieur ?
M. Philippe Bas , président . - D'un agent qu'il n'a pas nommé, ancien du groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), qui tiendrait le rôle de « siège ». Vous voilà sur la piste...
Colonel Lionel Lavergne . - Monsieur le président, vous êtes bien renseigné ! Il se trouve qu'en tant qu'ancien commandant en second du GIGN, je connais bien cette personne, qui y avait servi presque quatorze ans et présente d'éminents états de service. Elle avait fait valoir ses droits à la retraite et s'était reconvertie dans la sécurité privée, avant d'être engagée au GSPR comme sous-officier commissionné, c'est-à-dire sous contrat. Elle a ainsi été réactivée - si je puis dire - en tant que gendarme mais, ayant dépassé la limite d'âge pour servir au GIGN, affectée à la garde républicaine, détachée au GIGN pour servir au sein du GSPR. Comme je connaissais personnellement cette personne, je n'ai pas eu besoin de M. Benalla pour qu'elle soit réintégrée afin de servir au sein d'un groupe composé exclusivement de fonctionnaires de police ou de la gendarmerie.
Mme Jacky Deromedi . - Sur plusieurs photographies, M. Benalla semble porter sur sa veste des insignes semblables à ceux des membres du GSPR. Est-ce normal ? S'agit-il des mêmes insignes ? D'autres membres de la chefferie les portent-ils ?
Colonel Lionel Lavergne . - Il ne s'agit pas des mêmes insignes. Les nôtres sont à fond noir et portent la mention « GSPR ». Les membres de la chefferie de cabinet et les conseillers du Président portent des pins de forme circulaire comme les nôtres, mais dorés, et portant la mention « présidence de la République ». Ces pin's leur permettent d'être identifiés, notamment par les forces de l'ordre, lorsqu'ils travaillent auprès du Président de la République. Ils sont référencés par le chef de cabinet, délivrés nominativement et numérotés.
Mme Nadia Sollogoub . - Merci, colonel, pour la précision des mots que vous employez. Vous dites n'avoir jamais vu M. Benalla armé lors des déplacements du Président de la République. À votre connaissance, serait-il possible que M. Benalla ait pu recevoir une arme dite de dotation administrative, même s'il ne l'emportait pas avec lui lors des déplacements ? Cela nous permettrait de mieux comprendre le statut et la position de M. Benalla, car vous n'ignorez pas que ces armes sont strictement réservées aux services de police et de gendarmerie.
Colonel Lionel Lavergne . - Soyons précis : les armes de service sont celles que les membres du GSPR ont en dotation. L'arme détenue par M. Benalla l'était à titre personnel.
M. Philippe Bas , président . - La précision est en effet utile, car M. Benalla avait un permis de port d'arme à raison des fonctions de police qu'il exerçait à la présidence de la République...
Colonel Lionel Lavergne . - M. Benalla a déclaré, ai-je lu récemment, un Glock 43. Cela ne correspond pas à la dotation des fonctionnaires du GSPR, qui se compose de Glock 17, de Glock 19, de Glock 26 et de trois armes d'instruction, des Glock 45. Ces dotations sont individuelles : elles ne se prêtent pas. Bref, je le redis : il n'y a aucune dotation administrative pour M. Benalla.
Mme Nadia Sollogoub . - C'était donc une arme personnelle qu'il avait achetée avec ses deniers personnels ?
Colonel Lionel Lavergne . - C'est, me semble-t-il, ce qu'il a déclaré à la presse...
M. Philippe Bas , président . - Cette fois vous l'avez lue !
Sa voiture de fonction était en outre équipée d'un pare-soleil « police », c'est-à-dire d'un bandeau situé à la place du miroir du passager avant, portant la mention réversible et éclairée « police », indiquant aux agents de police de laisser passer le véhicule ainsi équipé pour que ses occupants remplissent leur mission de police. Le ministère de l'intérieur nous a dit ne pas en être à l'origine. Le GSPR a-t-il installé ce pare-soleil ? Quelle supposition feriez-vous si ce n'est pas le cas ?
Colonel Lionel Lavergne . - Ce n'est pas le GSPR qui a équipé le véhicule de service de M. Benalla, mais le garage de l'Élysée. Sous l'autorité du général Bio-Farina, il équipe en effet les différents véhicules de service des collaborateurs du Président de la République, dont les membres de la chefferie de cabinet, pour leur permettre d'être rapidement sur les lieux où le Président de la République est amené à se rendre ou d'intégrer un cortège en cas de besoin. Ces équipements, comme les feux de pénétration, sont des équipements standards des collaborateurs ayant des véhicules de service au sein de la présidence.
M. Gérard Longuet . - Veuillez m'excuser, colonel : je n'ai pas entendu le début de votre intervention, et ma question est assez générale. J'ai bien compris que le commandement militaire protégeait le palais de l'Élysée et que le GSPR protégeait les déplacements publics du Président de la République. Mais qu'est-ce qu'un déplacement privé, où commence et se termine un tel déplacement, et avec qui en parlez-vous ? Si la vie d'un responsable politique est contraignante, celle du Président de la République est exceptionnellement contraignante : il reste Président de la République française à tout moment, et il n'y a hélas pas de trêve de la malveillance ou de la violence... Comment sa vie privée, si tant est qu'il puisse en avoir une, est-elle protégée ? Qui la définit, et qui s'en occupe ?
Colonel Lionel Lavergne . - Je vous donnerai quelques précisions sans dévoiler l'organisation interne de la présidence. Nos modes d'action sont adaptés. Le commandement militaire est compétent à l'intérieur des emprises présidentielles ; le GSPR a compétence sur l'ensemble des déplacements du Président de la République.
M. Gérard Longuet . - C'est-à-dire, dès qu'il sort du palais ?
Colonel Lionel Lavergne . - Oui, dès l'instant où il met les pieds sur le trottoir.
M. Gérard Longuet . - Lorsque le président Mitterrand sortait acheter des livres, dont il était un connaisseur averti, il était donc sous le contrôle du GSPR ?
Colonel Lionel Lavergne . - Oui - je me permets de parler au nom des grands anciens - et c'est toujours le cas. La continuité de la sécurité du chef de l'État est un principe de base, intangible : le GSPR est responsable de sa sécurité à toute heure du jour et de la nuit.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - À aucun moment le Président de la République n'a donc le choix de son mode de protection ou de l'intensité de celle-ci ?
Colonel Lionel Lavergne . - Je ne pourrai pas répondre à ce type de question. Je dirai simplement que les modes d'action sont adaptés aux circonstances.
M. Gérard Longuet . - Cette adaptation va-t-elle jusqu'au choix des équipes et à leur composition ?
Colonel Lionel Lavergne . - Cela relève de mon autorité, donc de mon choix.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Nous ignorons certes la robustesse des propos visant telle ou telle personne, mais nous les entendons. L'ancien membre du GIGN dont nous avons parlé, qui remplissait le rôle de « siège », et qui a été intégré au GSPR, a participé à la campagne du candidat Macron, cela nous le savons. M. Benalla a-t-il joué un rôle dans les recrutements du GSPR, par indication ou recommandation ?
Colonel Lionel Lavergne . - M. Benalla ne m'a pas poussé à recruter cette personne, dont je tairai le nom par souci de sécurité. Je connaissais personnellement cette personne, ses états de service, pour avoir travaillé avec elle. C'est à la demande d'une autre personne que je l'ai recrutée, et je l'assume parfaitement. M. Benalla, qui n'est pas officier de sécurité et ne dirige pas le GSPR, n'a joué aucun rôle dans son recrutement. Celles qui ont joué un rôle dans le recrutement des membres du GSPR à compter du 14 mai 2017 sont devant vous : il s'agit du commissaire divisionnaire Julien Perroudon, qui a une connaissance parfaite de la police nationale et du service de la protection, et de moi-même, qui pense avoir une bonne connaissance de la gendarmerie nationale - ce qui nous permet de savoir finement qui doit protéger le Président de la République.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - On a pu vous proposer des noms, vous faire des suggestions...
M. Gérard Longuet . - Quel type d'arme est le Glock 43 ? L'utilise-t-on dans la police ou la gendarmerie française ?
Colonel Lionel Lavergne . - C'est un 9 millimètres, comme le Glock 17, le Glock 19 ou le Glock 26. C'est une arme compacte, comme tous les Glock, que l'on choisit pour sa facilité de prise en main.
M. Philippe Bas , président . - Merci, colonel. Demain, nous entendons M. Christophe Castaner, délégué général du mouvement La République en Marche.
Audition de M. Christophe
Castaner,
délégué général du mouvement La
République en Marche
(Mardi 31 juillet 2018)
M. Philippe Bas , président . - Nous connaissons bien M. Christophe Castaner, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, que nous voyons régulièrement aux réunions de la conférence des présidents, et avec lequel nous entretenons des relations cordiales. Qu'il n'y ait aucune ambiguïté : il est entendu comme délégué général du Mouvement La République en Marche.
Monsieur Castaner, votre audition nous a paru nécessaire parce que M. Alexandre Benalla était accompagné par M. Vincent Crase, qui a participé à l'opération de maintien de l'ordre place de la Contrescarpe, et peut-être avant cela, au Jardin des plantes. M. Crase portait une arme, cela a été établi par le rapport de l'inspection générale de la police nationale (IGPN). Il est salarié de votre mouvement. Nous voulons aussi vous entendre sur le contexte de l'emploi de M. Benalla à la présidence de la République et ses activités au sein de La République en Marche avant l'élection de M. Emmanuel Macron. Nous avons aussi des interrogations au sujet de la diffusion, par des adhérents de votre mouvement, d'images provenant d'une vidéosurveillance transmises à l'Élysée... et peut-être également à La République en Marche ?
Notre commission des lois étant dotée des prérogatives d'une commission d'enquête, je vous indique qu'un faux témoignage serait passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Christophe Castaner prête serment.
M. Christophe Castaner, délégué général du Mouvement La République en Marche . - Je suis désireux d'apporter au Sénat tous les éléments dont j'ai connaissance sur les conditions dans lesquelles se sont produits les événements du 1 er mai, et d'éclairer votre commission des lois en charge de cette enquête. J'ai été personnellement choqué par ces images et je condamne les actes auxquels se sont livrés MM. Benalla et Crase, car ils sont contraires aux valeurs portées par la République et par le mouvement politique La République en Marche.
Je suis délégué général de ce mouvement depuis mon élection le 18 novembre 2017, et suis le représentant légal de cette association, ainsi que l'employeur de tous les salariés.
Le 2 mai, sur une vidéo largement diffusée par
les réseaux sociaux
- vue plus de 100 000 fois -,
plusieurs salariés de La République en Marche ont
été stupéfaits de reconnaître l'un de leur
collègues, Vincent Crase, qu'ils connaissent bien puisqu'il assure
l'accueil et la sécurité au siège du mouvement. Certains
ont également reconnu M. Benalla pour l'avoir croisé durant
la campagne présidentielle. J'ai été alerté aux
alentours de 18 heures et j'ai visionné cette vidéo sur mon
téléphone alors que j'arrivais au siège de
La République en Marche. À 18 h 15, j'ai souhaité
voir M. Crase, en présence de mon directeur de cabinet
M. François Blouvac et du responsable sécurité et
sûreté, M. Pierre-Yves Baratier, supérieur
hiérarchique de M. Crase, afin qu'il nous donne des explications.
M. Crase est depuis le 1
er
juillet 2017 adjoint
sécurité et sûreté, non cadre, sous
l'autorité du chef de sécurité, dans un service de huit
personnes chargé notamment de l'accueil et de la surveillance des locaux
de l'association. Je tiens l'organigramme de ce service à votre
disposition.
Lors de cet entretien, Vincent Crase nous a dit avoir agi en tant que gendarme réserviste, à la demande expresse de M. Benalla, avec lequel il était en contact dans le cadre d'opérations réalisées comme gendarme réserviste. Il m'a informé être chef d'escadron, gendarme réserviste depuis 1996, rattaché à l'Élysée, dans un cadre extra-professionnel. Il a confirmé que les faits étaient intervenus en dehors des heures de travail, hors de toute information de sa hiérarchie et qu'il n'en avait pas rendu compte. « Gendarme réserviste, par ailleurs employé de La République en Marche », c'est ainsi qu'il a été identifié par Bruno Roger-Petit, porte-parole de la présidence de la République. L'entretien a duré quelques minutes, car je devais présider un bureau exécutif de notre mouvement à 18 h 30. En déplacement pendant trois jours, du 3 au 5 mai, j'ai chargé M. Blouvac et M. Baratier de le recevoir le lendemain pour décider des conséquences à tirer de ces événements. Bien que les faits se soient déroulés hors de son cadre de travail, j'ai souhaité le sanctionner, car ces faits étaient graves. J'ai fait savoir, en premier lieu, à M. Crase que son attitude était en complet décalage avec celle attendue de nos salariés, particulièrement de ceux qui sont en charge de l'accueil et la sécurité, y compris hors du temps de travail. Une telle attitude, en second lieu, portait atteinte à l'image de notre mouvement.
Dans la mesure où M. Crase affirmait avoir agi comme gendarme réserviste et à la demande de M. Benalla, j'ai souhaité contacter le directeur de cabinet de la présidence, pour connaître les suites à donner et que sa sanction soit liée à celle infligée à M. Benalla. Un échange a eu lieu entre mon directeur de cabinet et celui de la présidence de la République à ce sujet, et c'est sur la base de cet échange que j'ai notifié le 3 mai à M. Crase la sanction de suspension pour 15 jours, du 4 au 18 mai. Il fait, depuis le 20 juillet, l'objet d'une procédure de licenciement fondée sur le trouble objectif au fonctionnement de l'association et l'atteinte portée à l'image de celle-ci. Aujourd'hui, sur la base du rapport de l'IGPN, je constate qu'à sa faute M. Crase ajoute le mensonge, car il n'était présent ni comme gendarme réserviste, ni comme personnalité dûment autorisée. Il a été présenté comme un collaborateur par M. Benalla, et le major Mizerski a indiqué n'avoir pas demandé de plus amples détails, compte tenu du statut de M. Benalla, représentant de la présidence de la République. Comme l'établit clairement le rapport de l'IGPN, l'activité salariée de Vincent Crase n'est en aucun cas liée à sa présence ce jour-là. Le général Bio-Farina l'a confirmé, à l'Assemblée nationale : « M. Crase (...) m'a dit qu'il avait suivi Alexandre Benalla de son propre chef ce jour-là. »
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Nous avons ici un seul combat, la vérité. Nous entendons mettre au jour les dysfonctionnements et faire des propositions pour y remédier. Votre propos contient déjà des éléments de réponse aux questions que je voulais vous poser.
Le 1 er mai, M. Crase n'avait nullement le statut d'observateur, contrairement à M. Benalla : il s'est donc rendu sur les lieux dans un cadre informel, sur la suggestion de M. Benalla ?
M. Christophe Castaner . - Sur la base des affirmations de M. Crase et du rapport de l'IGPN, la réponse est claire : il n'avait pas le statut d'observateur. Il n'en a du reste pas fait état lors de notre bref entretien, ni lors de celui qu'il a eu le lendemain avec mon directeur de cabinet. Il a dit : « Alexandre Benalla m'a appelé et m'a dit de venir, je suis venu. »
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Il est étonnant, compte tenu de cette procédure informelle, et des actes qui ont été commis, qu'aucune remontée interne ne soit intervenue au sein de la police : ni le préfet de police, ni le ministre n'ont été informés par cette voie, ils l'ont été le 2 mai par l'Élysée... De même, vous n'avez été informé que le 2 mai ?
M. Christophe Castaner . - Je vous le confirme. Le major Mizerski, compte tenu du statut de M. Benalla, n'a pas osé aller plus loin...
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Vous n'avez reçu aucune information, ni le 1 er ni le 2 mai ni ensuite, sur les faits qui se seraient produits préalablement, au Jardin des plantes ? Une enquête préliminaire est ouverte.
M. Christophe Castaner . - Non, à aucun moment.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - La gravité des faits qui se sont produits sur un théâtre d'opération de la police vous a conduit à prononcer une sanction, mais vous n'avez pas songé à saisir la justice à ce stade ? Pourquoi ?
M. Christophe Castaner . - Vincent Crase me disait être intervenu comme gendarme réserviste auprès l'Élysée et je n'avais pas compétence pour juger les conditions de son intervention. Dans le courrier que je lui ai adressé le lendemain, je lui ai rappelé que son attitude était en décalage complet tant avec ce qui était attendu d'une personne en charge de l'accueil et de la sécurité qu'avec les valeurs de notre mouvement.
M. Philippe Bas , président . - Gendarme réserviste ou pas, vous auriez pu signaler son comportement au parquet. Lorsque vous avez été en contact avec le directeur de cabinet de la présidence de la République, avez-vous eu un échange sur la question d'une transmission au parquet, lequel aurait apprécié l'opportunité de poursuites à l'encontre de M. Crase ?
M. Christophe Castaner . - M. Crase invoquant son appartenance à la réserve de la gendarmerie à l'Élysée, j'ai voulu savoir, d'abord, si le cabinet à l'Élysée était informé. Je souhaitais également appliquer un parallélisme des formes pour la sanction, par rapport à celle qui serait infligée à M. Benalla, qui me semblait l'auteur principal. Le général Bio-Farina a démis M. Crase de ses fonctions au sein de la réserve - je l'ai appris seulement au moment des auditions -, ce qui montre bien que ce statut était mis en avant par l'intéressé.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - M. Crase intervenait ponctuellement pour la présidence de la République : existait-il une convention entre l'Élysée et votre mouvement pour son emploi ?
M. Christophe Castaner . - Ses interventions avaient lieu en dehors de ses heures de travail, et c'est lors des auditions que j'ai appris qu'il avait effectué quarante missions entre novembre 2017 et avril 2018.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - N'avez-vous pas trouvé étrange que la sanction à l'égard de votre salarié soit annoncée par Bruno Roger-Petit, porte-parole de l'Élysée ?
M. Christophe Castaner. - C'est mon directeur de cabinet qui l'a annoncée à M. Crase.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Je parle de l'annonce publique.
M. Christophe Castaner . - Je n'ai pas à me prononcer sur le caractère « étrange » de cette annonce.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Le licenciement de M. Benalla a été justifié par un élément nouveau : s'être procuré, avoir accepté ou s'être fait offrir des vidéos transmises illégalement. Quel nouvel événement a justifié le licenciement de M. Crase ?
M. Christophe Castaner . - Hasard du calendrier, l'entretien de licenciement aura lieu tout à l'heure... Je considère que les récents événements ont porté à notre connaissance des faits nouveaux et ont mis en lumière la gravité de ces comportements, de nature à discréditer le mouvement et à porter publiquement atteinte à nos valeurs - et à ce que je suis, personnellement... et si ce n'est pas de nature à justifier un licenciement, j'assume le risque de contentieux aux prud'hommes.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - L'intéressé a reçu ou s'est procuré des vidéos auprès de trois agents de la préfecture de police : les avez-vous vues ?
M. Christophe Castaner . - Non.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Une copie en a été remise par M. Benalla à un conseiller de la présidence de la République, M. Ismaël Emelien. Or plusieurs comptes sur les réseaux sociaux ont reproduit ces vidéos, dont l'intérêt est de montrer les événements « amont » - des personnes commettant des atteintes sur les forces de l'ordre en lançant des projectiles, ce qui pourrait justifier une réplique (de la part des forces de police légitimes, s'entend). Avez-vous été au courant que des comptes de membres de La République en Marche ont été activés pour cette occasion ?
M. Christophe Castaner . - Aucun membre de La République en Marche à ma connaissance n'a relayé ces vidéos. Je ne sais à quels comptes Mediapart ou d'autres se réfèrent, une enquête judiciaire est en cours.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Vous n'avez aucune information sur une décision qui semble avoir été prise de retirer ces images de l'ensemble des comptes, simultanément ? Quelques personnes attachées au droit se sont sans doute avisées qu'il y avait là un problème juridique...
En somme, vous n'avez pas vu ces images, vous n'avez pas évoqué la question avec le conseiller de l'Élysée qui en a été destinataire, vous n'êtes pas au courant que certains comptes de membres de La République en Marche les ont diffusées, et vous n'avez pas eu connaissance d'une initiative juridique pour les retirer ?
M. Christophe Castaner . - Je n'ai eu connaissance de ces images que quelques minutes seulement avant leur diffusion par BFM , parce que le microcosme en parlait, puis à la lecture de l'article de Mediapart . À aucun moment dans la « maison » La République en Marche je n'ai été informé d'une quelconque présence ou utilisation de ces images.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Vous n'avez eu connaissance d'aucune instruction donnée ou initiative prise par quelque responsable de votre mouvement sur l'apparition ou la disparition de la vidéo...
M. Christophe Castaner . - Je suis convaincu - avec la limite de ma conviction - qu'il n'y a eu aucune instruction parmi nos cadres.
M. Philippe Bas , président . - Pouvez-vous nous préciser l'organisation de la communication de La République en Marche sur les réseaux sociaux ?
M. Christophe Castaner . - Nous avons un pôle communication stratégique, qui traite du développement du site, des médias, de la riposte, de l'opinion, du porte-parolat. Il compte des spécialistes de la gestion des plateformes numériques et du site de La République en Marche, mais ceux-ci n'ont pas vocation à diffuser des vidéos non officielles.
M. Philippe Bas , président . - Combien de personnes y travaillent ?
M. Christophe Castaner . - En mai 2018, ils représentaient vingt-cinq équivalents temps plein.
M. Philippe Bas , président . - Ainsi que des militants ?
M. Christophe Castaner . - Les seuls bénévoles s'occupent du « service après-vente » : appels aux sympathisants, envois de mails, aide apportée aux quelques agents professionnels dans les éléments de réponse.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Comment organisez-vous la sécurité de votre mouvement politique : faites-vous appel à un prestataire extérieur, ou avez-vous une division interne ?
M. Christophe Castaner . - Une responsable de service, au sein du pôle administration et finances, chapeaute le service sécurité et sûreté, lequel comprend un responsable, M. Baratier, deux chefs d'équipe, dont M. Crase, deux agents de sécurité et quelques agents spécifiquement en charge de l'accueil. La nuit et le week-end, nous faisons appel à une société extérieure, Tego, pour l'ouverture et la fermeture du site.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - M. Crase n'est donc pas un simple agent d'accueil, mais il a des missions de sécurité. Est-il titulaire d'une habilitation CNAPS ?
M. Christophe Castaner . - Il est responsable adjoint sûreté et sécurité, catégorie non cadre et sous l'autorité de son supérieur hiérarchique. Ses missions, fixées par sa fiche de poste sans que cette liste ne soit exhaustive, sont la surveillance générale des locaux de l'association, la sécurité des biens et des personnes, la surveillance technique des locaux et des équipements, l'accueil, l'orientation et l'information des visiteurs, éventuellement l'accompagnement à l'extérieur de personnalités. Je précise sur ce point que jamais Vincent Crase ne m'a accompagné en déplacement, encore moins en étant armé, comme l'affirme Libération ce matin - c'est un mensonge. J'ai lu dans la presse que M. Crase a fait une demande d'agrément de responsable de société, qu'il n'a pas obtenu. Il est titulaire d'un agrément CNAPS et muni d'une carte professionnelle, comme quatre autres professionnels chargés de la sécurité. Ils sont une petite équipe... en aucun cas une milice.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Quel rôle remplissait-il durant la campagne électorale ?
M. Christophe Castaner . - Je n'avais pas alors de responsabilité dans l'organisation, j'étais le porte-parole du candidat. Dans le cadre de relations contractuelles ponctuelles, M. Crase était prestataire depuis novembre 2016, comme support sur des missions de sécurité ; il a été embauché en CDI au 1 er juillet 2017 par le mouvement La République en Marche.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Des acteurs de sécurité privée du candidat En Marche pendant la campagne ont ensuite occupé des fonctions de sécurité à l'Élysée : M. Benalla, directeur de la sécurité pendant la campagne, devient adjoint au chef de cabinet, coordinateur de la sécurité, ou encore M. Crase. En outre, un ancien membre du GIGN qui a travaillé pour la sécurité du candidat est devenu contractuel au GSPR, or quelqu'un serait intervenu pour le faire embaucher. Êtes-vous intervenu dans son embauche ou celle des deux autres personnes ?
M. Christophe Castaner . - Pour aucun d'entre eux. Je n'étais pas aux responsabilités à La République en Marche lorsque ces recrutements ont eu lieu. J'ai entendu parler du troisième seulement hier lors de l'audition de M. Girier.
M. Jacques Bigot . - Vous vous dites choqué par des images contraires aux valeurs de votre mouvement politique, désormais important. Or les vidéos, selon les policiers, discréditent la police. Mais il ne vous est pas venu à l'esprit de porter à la connaissance publique l'information que vous aviez, plutôt que de la taire...
M. Christophe Castaner . - J'ai considéré que je n'avais pas à me substituer à l'autorité sous laquelle M. Crase était placé, comme gendarme réserviste. Il ne m'appartenait pas d'évaluer si les actes étaient proportionnés aux missions.
Mme Brigitte Lherbier . - Actes dont vous avez dit qu'ils étaient « contraires aux valeurs de La République en Marche ». Contraires à la démocratie, tout simplement ! Nous avons tous été choqués. M. Benalla se servait de son statut pour solliciter les personnes autour de lui. Avait-il déjà commis des abus d'autorité comme proche d'un candidat à la présidence de la République ? Se sert-il de sa proximité avec le Président ?
M. Christophe Castaner . - Nous avons en commun, vous et nous, les valeurs de la République. J'ai mentionné mon mouvement car je ne peux parler au nom des autres. Je suis surpris par ce qui est dit de l'influence de M. Benalla sur M. Crase. Je ne le connaissais pas personnellement durant la campagne, mais je l'ai rencontré régulièrement et chaque fois que je l'ai vu, il était cordial, efficace. Je l'ai rencontré pour la première fois comme porte-parole du candidat Emmanuel Macron vers la fin de l'année 2016. Jamais je n'ai été le témoin de tensions particulières, d'abus de fonction dans ses missions à l'Élysée. Sinon, j'en aurais référé au Président de la République.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - J'ai eu le sentiment, à entendre votre réponse à M. Bigot, que vous complétez un tableau... Les actes du 1 er mai, avez-vous dit, sont d'une exceptionnelle gravité. Le Président de la République a parlé d'actes « inadmissibles et inacceptables ». M. Benalla s'en est pris physiquement à des citoyens, et ce, sans aucun mandat : c'est grave en effet ! Le 2 mai, un certain nombre de personnes en sont informées. Or dans nos auditions, nous assistons à un jeu de renvoi de balle remarquable : le préfet de police n'a pas saisi la justice, n'étant pas ministre de l'intérieur ; le ministre de l'intérieur indique que l'intéressé relevait de l'Élysée ; mais ni le directeur de cabinet, ni le secrétaire général de l'Élysée ne considèrent qu'il y avait lieu pour eux de saisir la justice. Vous êtes l'employeur d'un des deux protagonistes, mais vous estimez qu'il ne vous revenait pas de vous en charger. Dans cette configuration, personne n'a estimé utile de le faire. Et pourtant les faits sont très graves !
M. Philippe Bas , président . - Ils relèvent effectivement d'une procédure pénale. En témoigne le fait que le procureur, dès qu'il a été informé, a ouvert une enquête préliminaire. Du reste, nous avons le devoir de transmettre les faits qui nous paraissent délictueux au procureur, et c'est lui qui déclenche une action publique. Autrement dit, celui qui est assujetti à une obligation de transmission n'a pas à se poser la question de la gravité des faits.
M. Christophe Castaner . - J'ai l'habitude d'assumer et je n'ai pas l'habitude de renvoyer la balle à qui que ce soit. La vérité est unique, mais elle est différente selon qu'on la regarde sur un téléphone portable, ou que l'on voit, quelques semaines après, toutes les images décortiquées, commentées. J'ai été choqué par les images, j'ai interrogé M. Crase, il a dit être intervenu comme gendarme réserviste sous l'autorité de la présidence de la République. Il n'était dès lors pas à mes yeux un citoyen intervenant de son propre chef dans la rue. Vous connaissez l'atmosphère qui régnait le 1 er mai, avec 1 200 Black blocs dans les rues... Bien sûr que mon regard, sur le coup, n'était pas celui d'aujourd'hui. Même chose pour les images de l'interpellation : il fallait neutraliser une personne agressive. Le regard que l'on porte est celui d'un instant donné... Puisque M. Crase était un réserviste, ma responsabilité était d'informer sa hiérarchie pour vérifier que ces faits étaient connus et qu'il y ait eu une sanction. M. Crase a été exclu dès le 4 mai par le général Bio-Farina de la présidence de la République et remis à disposition de la garde républicaine ; je ne l'ai pas su alors, je l'ai découvert lors des auditions...
M. Philippe Bas , président . - La réponse est subtile. Vous ne parlez pas de forces de l'ordre débordées, ni de bénévole auxiliaire du service public de la police, mais vous dites : j'ai la conviction que l'intéressé intervient comme réserviste, sous l'autorité de M. Benalla et de l'Élysée. C'est seulement ultérieurement que vous avez compris que les forces de police n'étaient pas débordées, en dépit de la violence des assauts. Néanmoins vous infligez tout de même une sanction à votre salarié : n'y a-t-il pas là une incohérence ?
M. Christophe Castaner . - J'ai appliqué par parallélisme la sanction décidée par l'autorité de M. Benalla. J'ai repris les termes de la lettre adressée à celui-ci. J'ai souligné dans mon courrier à M. Crase qu'il n'intervenait nullement dans le cadre de ses activités professionnelles et n'avait pas informé sa hiérarchie. Il ne l'a pas contesté. Je peux vous transmettre le courrier en question.
M. Philippe Bas , président . - Volontiers.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Vous avez estimé le comportement des deux hommes choquant... comme l'ont jugé toutes les personnes entendues. N'avez-vous pas craint, à conserver dans vos rangs l'un des auteurs, une crise politique - qui est aujourd'hui avérée ? Votre explication du gendarme réserviste est subtile, mais elle ne passe pas facilement dans l'opinion. Ce qu'on entend dire aujourd'hui, c'est que les intéressés sont licenciés uniquement parce que l'information est devenue publique : la sanction était-elle adaptée ?
M. Christophe Castaner . - Le licenciement a été engagé en raison de la mise en examen : il y a là une atteinte à l'image de notre mouvement. Nous ne pouvions pas licencier M. Crase pour un comportement en dehors de son travail. Il est certain qu'avec tous les éléments dont nous disposons à présent, mon attitude aurait été différente. Je le répète, oui, la vérité est unique, mais elle n'est pas toujours pareillement perçue.
Mme Catherine Di Folco . - La peine infligée à M. Crase comme à M. Benalla me semble bien légère : il y a tout de même eu usurpation de fonctions, violences physiques...
M. Philippe Bonnecarrère . - « Les partis concourent à l'expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement », proclame la Constitution. Votre liberté d'organiser votre formation politique est totale, notamment dans ses recrutements. Quels enseignements tirez-vous du comportement d'Alexandre Benalla et de Vincent Crase pour le fonctionnement de La République en Marche... et de toutes les formations politiques ?
M. Christophe Castaner . - Les enseignements que l'on peut tirer du comportement humain : naturellement bon, il peut déraper... Ayant été jeune chef de cabinet dans le gouvernement de Lionel Jospin, je sais comment certaines positions peuvent monter à la tête. C'est la question du facteur humain ! En politique, il y a une exigence particulière à avoir, grâce à des cliquets, des contrôles, une surveillance. J'ai demandé un audit de gestion sur la sécurité lorsque j'ai pris mes fonctions, et le 26 avril dernier j'ai reçu la contribution d'un cabinet d'avocats, afin que nous puissions bénéficier d'un service de sécurité le plus transparent possible et pour disposer d'une expertise extérieure sur la sécurité de La République en Marche. La réponse de M. Crase sur la réserve de gendarmerie a montré qu'il existe des anomalies, des dysfonctionnements. Il faut revoir l'organisation des services pour améliorer la transparence, j'en rendrai compte publiquement.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Quarante missions en six mois... Vous l'avez découvert tout récemment. Cela ne se ressent-il pas dans l'agenda de votre salarié ? Le CNAPS lui a refusé l'agrément pour diriger une société de sécurité privée : pour quelle raison, à votre connaissance ? Vous avez mentionné les échanges avec M. Strzoda à l'Élysée : vous êtes-vous concertés sur la nature de la sanction ? Avez-vous tous deux considéré la sanction infligée comme adaptée ?
M. Christophe Castaner . - Je n'avais pas connaissance des activités de gendarme réserviste de M. Crase. Ses horaires sont des horaires adaptés, il travaillait généralement une semaine sur deux. Il n'avait pas besoin de nous rendre compte de ces quarante interventions. J'ai néanmoins demandé à notre service juridique de me dire si la clause d'exclusivité qui figurait dans son contrat interdisait - il apparaît que non - son engagement dans la réserve de gendarmerie. Politiquement je souhaite favoriser un tel engagement, mais comme employeur licenciant son employé, j'avais besoin de cette précision.
Quant à l'autorisation du statut de chef d'entreprise de sécurité, j'ignore pourquoi M. Crase l'a demandée, j'ignore pourquoi on la lui a refusée.
Entre les deux directeurs de cabinet, celui de l'Élysée et le mien, il n'y a pas eu concertation mais information sur la sanction : le directeur de cabinet du Président de la République nous a fait parvenir la lettre qu'il avait adressée à M. Benalla, base grâce à laquelle nous avons pris la même lettre sanctionnant M. Crase.
Mme
Marie Mercier
. - Je note tout de même une certaine
confusion des missions de M. Benalla, comme de M. Crase. Vous ne
connaissiez pas tout son cursus, vous avez appris qu'il avait effectué
quarante missions
- c'est beaucoup ! Toutes se sont-elles
déroulées en compagnie de M. Benalla ? Avez-vous
noté au fil du temps un changement de comportement ? On loue
généralement la solidité psychologique, le
dévouement des gendarmes réservistes. Au cas présent, les
liens entre les deux hommes ont-ils pu déteindre sur votre
employé ? A-t-il pu se passer quelque chose entre les
deux ?
M. Christophe Castaner . - Il n'y a aucune confusion dans l'activité professionnelle de M. Crase. Je n'ai pas observé de changement de comportement, même si nos relations se bornaient aux politesses quotidiennes. Je n'ai pas les éléments pour me livrer à son analyse psychologique. Le général Bio-Farina a indiqué que les deux se connaissaient depuis longtemps, qu'il y avait un lien fort de l'un vis-à-vis de l'autre. Le 2 mai, Vincent Crase m'a précisé qu'Alexandre Benalla lui avait dit de venir... et qu'il était donc venu.
Mme Marie Mercier . - Quel âge a M. Crase ?
M. Christophe Castaner . - Il est né en 1973. Il a donc 45 ans. Cela dit, l'autorité n'est pas liée à l'écart d'âge...
Mme Agnès Canayer . - Hier, le chef de cabinet du ministre de l'intérieur nous a indiqué avoir remarqué la présence de M. Benalla et de M. Crase, salarié de La République en Marche, dès le 1 er mai au soir. Avez-vous eu vous des contacts avec le ministère de l'intérieur, avant ou après avoir pris connaissance des faits, le 2 mai, via les réseaux sociaux ?
M. Christophe Castaner . - Non, l'information m'est remontée par les réseaux sociaux. Ni le ministère de l'intérieur ni la préfecture de police ne m'ont informé des événements, ce qui, dans l'absolu, est normal. Je pense que Vincent Crase n'avait pas été identifié par leurs dispositifs. C'est ce qu'a précisé le préfet de police, notamment dans son audition.
Mon information est venue de la seule rumeur qui a circulé dans la maison La République en Marche dans la journée du 2 mai, le siège du mouvement étant fermé le 1 er mai. Je n'en ai pris connaissance que le soir du 2 mai.
Je n'ai eu aucun contact, à ce moment, avec le ministère de l'intérieur. Les seuls échanges que j'ai pu avoir avec celui-ci sont postérieurs au 18 juillet. À aucun moment, il ne m'a informé de la situation.
Mme Brigitte Lherbier . - M. Crase avait-il un permis de port d'arme et portait-il une arme sur lui ?
M. Christophe Castaner . - J'ignore s'il portait une arme, mais le rapport de l'IGPN précise que les images vidéo sont beaucoup plus parlantes s'agissant de M. Crase - pour qui le port d'arme de catégorie B constitue l'un des chefs d'inculpation - que concernant M. Benalla. Je ne doute pas que la justice permettra d'établir les faits, mais le faisceau d'indices devait être suffisant, pour qu'il ait été mis en examen à ce titre, ce qui ne remet évidemment pas en cause le principe de la présomption d'innocence.
Selon les informations en ma possession, Vincent Crase n'était pas autorisé à porter une arme. Si deux autorisations de détention d'armes lui avaient été accordées durant la campagne électorale, la fin de celle-ci les a rendues caduques. Ni M. Benalla, ni M. Crase, ni quiconque ne peut aujourd'hui prétendre bénéficier du droit de détenir une arme à La République en Marche au titre de ses fonctions.
M. Alain Richard . - Les termes mêmes de l'article 40 du code de procédure pénale prévoient que « toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République. »
Je vous indique, chers collègues, que M. Castaner, comme membre du Gouvernement, est bien concerné par cet article. Cependant, c'est dans le cadre de ses fonctions de dirigeant associatif qu'il a eu connaissance de faits répréhensibles imputables à M. Crase. Il me semble donc que les termes mêmes de l'article 40 ne pouvaient pas le conduire à se poser la question de son application.
M. Philippe Bas , président . - Ils pouvaient néanmoins l'amener à se demander s'il ne fallait pas dénoncer ces faits délictueux au parquet dans un autre cadre...
M. Christophe Castaner . - En préparant cette audition, j'ai eu l'occasion de réfléchir à cette question. Je n'ai pas souhaité soulever cette exception de droit, bien qu'elle me paraisse juste, parce qu'il m'a semblé que c'était aussi ma responsabilité en tant que responsable politique qui intéressait la commission. Je n'ai pas voulu esquiver la question. J'ai souhaité assumer la réponse que je voulais vous apporter sur le fond. Mais en droit, le débat peut effectivement avoir lieu.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Avez-vous connaissance d'autres personnes au sein de La République en Marche qui effectuent des tâches ou des missions de sécurité pour l'Élysée, notamment en tant que réservistes ?
M. Christophe Castaner . - Cette question ayant été abordée lors de l'une des auditions, je l'ai posée aux services de La République en Marche. On m'a répondu que non.
Je pense que la personne qui a été mentionnée a été un moment en responsabilité, je ne sais pas dans quel cadre mais je pense qu'elle ne l'est plus depuis de longs mois.
M. Jean-Yves Leconte . - Dans le rapport de l'IGPN, il est indiqué que, le 1 er mai, la présence de M. Crase n'a pas été contestée, compte tenu du fait qu'il avait été présenté comme accompagnant une personne qui s'affichait et qui était reconnue comme membre de la présidence de la République. Le fait que l'on n'ait pas vérifié l'identité de cette personne et qu'on l'ait laissée faire, parce qu'elle a été présentée avec ce statut, pose un problème sur la prééminence de la présidence de la République.
Qu'en tirez-vous comme conséquence politique sur la place de la présidence de la République dans nos institutions ? Que faudrait-il faire pour éviter que de telles situations de passe-droit ne se reproduisent ? Compte tenu du débat que nous avons eu, lors de la dernière discussion budgétaire, sur les cabinets ministériels, parfois réduits au minimum et empêchés de fonctionner correctement, quand la présidence de la République prend de plus en plus de place, ces événements vous conduisent-ils à faire évoluer vos positions sur la place de celle-ci dans nos institutions et sur la manière d'encadrer sa prééminence ?
M. Philippe Bas , président . - C'est une question importante. La maladie du pouvoir, de tout temps et sur tous les continents, a toujours été l'abus de pouvoir. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les constitutions ont été inventées.
M. Christophe Castaner . - Je n'ai pas à me prononcer sur la question de la vérification de l'habilitation à être observateur. Comme vous, j'ai lu que le rapport de l'IGPN faisait état d'une anomalie. Pour ce qui concerne les conséquences à en tirer sur le plan organisationnel, j'ai pu noter que le ministre de l'intérieur avait retenu la totalité des préconisations de l'IGPN et avait demandé leur mise en oeuvre, notamment s'agissant du statut d'observateur.
Pour ce qui est des conséquences politiques, vos propos m'amènent à une réflexion : ils ne sont que le reflet d'une interprétation politique d'une situation, interprétation qui vous appartient. Je ne suis pas sûr que ce soit dans le cadre de cette audition que je puisse vous répondre. Peut-être faudrait-il que nous y revenions dans d'autres instances, à l'occasion d'un autre débat.
Ce que je sais, c'est qu'Alexandre Benalla était un chargé de mission identifié comme tel à la présidence de la République et qu'il a eu un comportement individuel inacceptable, qui ne met en aucun cas en cause la présidence de la République et la façon dont le Président de la République exerce son autorité.
M. François-Noël Buffet . - Premièrement, nous avons appris que, pendant sa période de suspension, M. Benalla avait été rémunéré. M. Crase l'a-t-il également été, « par parallélisme des formes » ?
M. Philippe Bas , président . - La question n'est pas malicieuse ! C'est une question de fait.
M. François-Noël Buffet . - Absolument ! C'est une question importante sur le fond. Deuxièmement, M. Benalla a fait l'objet d'une rétrogradation. Qu'en a-t-il été de Vincent Crase, toujours par parallélisme des formes ?
M. Christophe Castaner . - M. Crase a été suspendu de ses fonctions entre le 4 et le 18 mai. Cette suspension lui a été notifiée par lettre recommandée avec accusé de réception. Son salaire, lui, n'a pas été suspendu.
Pour ce qui concerne la rétrogradation, je précise que, les fonctions de M. Crase n'étant pas tout à fait les mêmes que celles de M. Benalla, il m'était difficile de les réorganiser. En revanche, comme je l'ai dit tout à l'heure, M. Crase n'a plus fait aucun déplacement extérieur. De toute façon, il n'a jamais eu l'occasion de m'accompagner dans mes déplacements, je le répète. Ma sécurité personnelle est assurée par les officiers de sécurité mis à ma disposition en ma qualité de secrétaire d'État. Et faisons un sort aux fantasmes : toute personnalité politique ayant été accompagnée par des femmes ou des hommes armés dans l'intérêt de sa sécurité sait que ce n'est un plaisir pour personne ! J'ai fait l'objet d'une tentative d'attentat par un réseau terroriste, qui, depuis, a été démantelé - cinq personnes sont toujours en prison. Pour avoir été suivi, dans ma commune de Forcalquier, par des gens qui voulaient m'égorger, je peux vous dire que je préférerais un système où l'on n'aurait pas besoin d'officier de sécurité. J'y insiste, M. Crase n'a jamais été en charge de ma sécurité. Sa situation n'avait donc pas besoin d'évoluer.
M. Éric Kerrouche . - Vous avez déclaré, la semaine dernière, que les oppositions étaient la coalition de ceux « qui n'aiment pas l'État, de séditieux, de ceux qui rêvent d'une République affaiblie, avides de têtes qui roulent. » Cette audition et la qualité de nos débats vous rassurent-elles quant à nos intentions et à notre volonté d'aller vers une République plus transparente ?
M. Christophe Castaner
. - Monsieur
le sénateur, en préparant cette audition, vous avez sans doute pu
lire la totalité du texte que vous citez sur mon compte Facebook.
Certes, j'y évoque un rassemblement d'opposants
- j'imagine que
vous vous classez dans cette catégorie, le groupe politique auquel vous
appartenez étant, du moins à l'Assemblée nationale, membre
de l'opposition -, de séditieux,
etc
., mais ces
différents éléments sont séparés par des
virgules. Je ne considère pas que tous les opposants soient des
séditieux, bien au contraire ! Je tiens à vous rassurer, si
vous avez pu penser le contraire.
M. Philippe Bas , président . - L'urbanité que nous vous connaissons me faisait spontanément exclure cette hypothèse, mais il faut reconnaître que la phrase était ambiguë.
Mme Catherine Troendlé . - Monsieur le délégué général, pour avoir été membre actif du parti socialiste, vous ne pouviez bien évidemment pas ignorer que M. Montebourg avait demandé à M. Benalla de ne plus travailler pour lui, à la suite d'un comportement non recommandable. Dans un souci de transparence, mais également de sécurité, n'avez-vous à aucun moment signalé cette situation lorsque M. Benalla a été recruté dans le cadre de la campagne de M. Macron, puis à l'Élysée ?
M. Christophe Castaner . - Sauf erreur de ma part, je crois que personne ici, y compris ceux qui sont restés au parti socialiste, n'avait entendu dire que M. Montebourg avait renvoyé son chauffeur. C'est une information que M. Montebourg a révélée depuis. Mon statut de membre du parti socialiste, dépourvu de toute responsabilité nationale en son sein, ne m'amenait pas à connaître les décisions de ce genre que pouvait prendre un ministre.
Madame la sénatrice, vous avez indiqué que je ne pouvais pas ignorer cet événement. Je vous le dis : je l'ignorais totalement. Si j'en avais eu connaissance, je pense que je l'aurais signalé.
M. Jean-Luc Fichet . - Nous nous interrogeons tous sur l'amitié complice entre M. Benalla et M. Crase, qui a abouti au fait qu'ils se soient donné rendez-vous le jour du 1 er mai pour voir comment se déroule une manifestation, observer les comportements des uns et des autres - l'un, avec le titre d'observateur, et l'autre, sans aucun titre -, et finalement, interpeller des manifestants et faire preuve à leur égard de la brutalité que nous avons pu voir sur les vidéos, sans que jamais personne ne les interroge.
Depuis le début de nos auditions, chacun nous dit, de manière constante : « On ne savait pas ». Autrement dit, on peut circuler entre les services comme entre les mailles d'un filet, et commettre des actions extrêmement graves.
Monsieur le délégué général, avez-vous été amené à interroger les services ou l'environnement du mouvement La République en Marche pour savoir si d'autres personnes avaient pu, à un moment ou à un autre, avoir des comportements similaires, en raison d'un certain sentiment d'impunité issu de l'impression que l'on est défendu par tous, lorsque l'on travaille pour les services du gouvernement ou de l'Élysée ?
M. Christophe Castaner . - À cette question subjective, je vais d'abord répondre de manière objective, en évoquant la révision du statut d'observateur. Vous avez raison : que M. Benalla se soit considéré comme invité, que beaucoup l'aient considéré comme tel, qu'il lui ait suffi de présenter M. Crase comme son collaborateur, en dehors de toute habilitation, pour que personne n'ose plus dire quoi que ce soit, c'est une anomalie. Il est important de mettre un terme à de telles pratiques. La mise en oeuvre des préconisations contenues dans le rapport de l'IGPN doit sécuriser les choses sur ce plan.
Vous avez également évoqué des comportements qui ne sont pas des interventions en tant que telles. J'ai en tête les propos du préfet Michel Delpuech, selon lequel nombre de ceux qui ne connaissaient pas M. Crase et l'ont vu intervenir aux côtés des forces de l'ordre ont pensé qu'il était un policier et que sa participation était, par là même, légitime, même si l'on peut considérer que les conditions de son intervention étaient disproportionnées. Cela montre que tout doit être revu.
Quant à savoir si je me suis questionné sur l'existence d'un risque de dérives au sein de La République en Marche, je ne l'ai fait qu' a posteriori , parce que je ne pensais pas que ce risque pouvait exister.
Après le 18 juillet, dès le lundi suivant, j'ai réuni l'ensemble des salariés pour leur dire que notre maison devait être totalement transparente, notamment dans le cadre de l'enquête judiciaire qui pouvait conduire à des interventions de la justice au sein du siège. J'ai indiqué à chacun qu'il fallait se préparer à assurer toute la transparence sur ces sujets. En outre, j'ai demandé si d'autres personnes, dans la maison, pouvaient avoir un statut double, comme celui de gendarme réserviste. Il m'a été répondu que ce n'était pas le cas.
M. Alain Richard . - Je veux simplement faire une suggestion pour le travail de la commission. Comme chacun de ses membres, je ne suis là que pour la manifestation de la vérité. C'est la première fois qu'il est fait mention de l'écho de presse suivant lequel M. Benalla était chauffeur de M. Arnaud Montebourg lorsque celui-ci était ministre du redressement productif à Bercy. J'ai beaucoup de difficulté à imaginer que quelqu'un qui n'était pas fonctionnaire ait pu être chauffeur d'un ministre de Bercy.
M. Philippe Bas , président . - Cette remarque est judicieuse. Je me propose de demander à M. Montebourg si cette information est réelle et, si les faits sont établis, ce qu'il a fait ensuite.
M. Christophe Castaner . - Je veux apporter une précision. Actuellement, deux jeunes femmes salariées de La République en Marche sont engagées dans la réserve de la gendarmerie, ce que j'ignorais. Toutefois, ces personnes assurent des fonctions administratives et n'ont aucun lien avec la réserve de la gendarmerie de la présidence de la République ni même, me semble-t-il, avec celle de la garde républicaine.
M. Christian Cambon . - Dans votre déclaration liminaire, vous avez fait part de l'émotion qu'ont suscitée ces événements et de l'importance que vous y attachiez. Or, parallèlement, on a l'impression que, parmi les autres responsables de La République en Marche, notamment parmi les députés qui s'expriment régulièrement depuis quelques jours, la consigne est de minimiser les faits. Les mêmes éléments de langage sont répétés à l'envi. L'expression « 150 tonnes de mousse avec 15 grammes de savon » a sûrement été pensée quelque part, puisqu'on l'entend partout. La manière dont le travail d'enquête a été conduit par vos amis, à l'Assemblée nationale, montre aussi la volonté d'étouffer l'affaire. Vous-même, dans une formule assez lapidaire, avez qualifié M. Benalla de « bagagiste ». C'était au moment de la Coupe du monde.
Votre sentiment, en tant que délégué général de La République en Marche, se modifie-t-il à la faveur des investigations du Parlement, singulièrement de cette commission d'enquête, qui ne cesse, sous l'autorité de son président Philippe Bas et de ses rapporteurs, de montrer les incohérences et les dérèglements dont témoigne cette affaire ?
Alors que nous sommes à la veille d'une réforme constitutionnelle importante, considérez-vous, à rebours de l'impression que peuvent donner les différentes déclarations, que le rôle du Parlement, singulièrement celui du Sénat, est important pour équilibrer les institutions et faire la lumière sur les affaires d'État, par respect pour l'opinion publique ?
M. Philippe Bas , président . - La question s'adresse aussi un peu au secrétaire d'État chargé des relations au Parlement...
M. Christian Cambon . - Certes, mais la position d'En Marche m'intéresse beaucoup !
M. Christophe Castaner . - Monsieur le sénateur, vous avez le sentiment que certains ont voulu minimiser les événements. De mon côté, j'ai l'impression que certains tendent à les exagérer quand ils les qualifient d'« affaire d'État ». Tout cela est subjectif. Compte tenu de mon référentiel, je considère qu'il ne s'agit pas d'une affaire d'État, et je n'ai pas l'impression de minimiser les choses en le pensant. On voit comme le positionnement politique peut amener à porter un regard différent sur les mêmes faits.
Vous avez déclaré que j'aurais qualifié M. Benalla de « bagagiste ». Je tiens à rappeler les propos que j'ai tenus précisément.
Dès le 19 juillet, alors que peu de personnes s'étaient exprimées sur l'affaire, j'ai évoqué les événements à la télévision, parce que je n'ai jamais cherché ni à fuir une quelconque responsabilité ni à minimiser la gravité des événements. D'ailleurs, je suis la première personnalité de La République en Marche à s'être rendue sur un plateau de télévision pour évoquer les faits. Or, quand la journaliste m'a interpellé, elle a utilisé un mot qui n'était pas à la hauteur de leur gravité. Ma première intervention a consisté à la corriger, non pas pour lui donner une leçon de sémantique, mais pour que les événements soient qualifiés à la hauteur de l'émotion que m'avait inspirée leur gravité.
Lors d'une autre émission, diffusée le matin sur BFMTV et RMC , j'ai déclaré : « Je ne suis pas l'employeur de cette personne et je ne sais pas quelles étaient ses missions. J'ai entendu dire qu'il était en charge de la logistique, notamment des bagages. » Voyez comme votre restitution de mes propos est caricaturale ! Or cette version caricaturale a été abondamment relayée par certains.
Au demeurant, ce raccourci est insultant, notamment pour les agents du groupe de sécurité de la présidence de la République, le GSPR, qui, lors des voyages officiels, sont aussi en charge de la logistique et de bagages. D'ailleurs, comme cela a été évoqué au cours de certaines auditions, il conviendrait de réfléchir à l'éventualité d'une meilleure organisation. De fait, je considère que les membres du GSPR ne devraient pas avoir pour rôle de gérer les bagages des délégations officielles.
Enfin, sur un plan plus politique, s'il y a une personne qui, ici, assume l'importance du bicamérisme, dans le sens, d'ailleurs, des propos que le Président de la République a tenus tout récemment au Congrès, c'est bien moi ! En effet, en ma qualité de secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, je connais la particularité de votre approche et la responsabilité que vous incarnez, pour les côtoyer au quotidien. Je n'ai aucun doute sur ce sujet.
Les propositions de modification constitutionnelle, qu'une partie de l'Assemblée nationale a décidé de bloquer dans le courant du mois de juillet, ne visent en aucun cas à minimiser le rôle de l'Assemblée nationale ou du Sénat. Il s'agit, au contraire, de trouver la meilleure fluidité possible. Dans leurs échanges, le Président de la République, le Premier ministre et le président du Sénat Gérard Larcher ont toujours été d'accord pour que le Président de la République soit le garant de l'importance du bicamérisme et pour que les chefs de l'État et du Gouvernement soient à l'écoute de celui-ci et le mettent en oeuvre. Le bicamérisme est un fondement même de notre Constitution, qui, comme l'a rappelé le président Philippe Bas, est certainement le meilleur rempart pour la protection des libertés publiques.
M. Philippe Bas , président . - Monsieur le délégué général, j'ai senti que, autour de vous, on approuvait vos derniers propos sans réserve !
M. Christophe Castaner . - Je n'en suis pas surpris !
M. Antoine Lefèvre . - Monsieur le délégué général, vous avez évoqué un audit interne concernant la sécurité. Savez-vous si M. Crase a été dirigeant d'une société privée de sécurité ou s'il détient des parts dans une société de même type, puisque l'on a évoqué un refus d'agrément ?
M. Christophe Castaner . - Je ne dispose pas d'informations sur la demande d'agrément en tant que responsable d'entreprise, comme je l'ai précisé tout à l'heure.
Je sais que, pendant la campagne électorale, M. Crase a été rémunéré pour des prestations réalisées sous le statut d'auto-entrepreneur. Voilà le seul statut que je lui connaisse dans ce cadre et à ce moment.
Mme Dominique Vérien . - Quand avez-vous eu connaissance du refus d'habilitation de M. Crase ? Celui-ci ne devait-il pas faire jouer la clause d'exclusivité que vous avez évoquée à propos de son contrat de travail, le fait de demander une habilitation pour une présidence de société pouvant impliquer l'existence de deux emplois ?
Si je vous ai bien compris, c'est en tant qu'auto-entrepreneur que M. Crase a été prestataire lors de la campagne ?
M. Christophe Castaner . - Je vous le confirme, au vu des informations dont je dispose et sur la base des factures que j'ai pu voir. Je n'ai eu connaissance du refus d'agrément qu'hier soir, lors de la parution en ligne de l'article qui est sorti ce matin en format papier. Il semble que M. Crase n'a à aucun moment informé ni sa hiérarchie ni les ressources humaines de sa volonté de créer une entreprise.
Mme Éliane Assassi . - Vous êtes auditionné ce matin en votre qualité de délégué général de La République en Marche, mais chacun sait ici que vous êtes membre du Gouvernement, chargé des relations avec le Parlement. C'est d'ailleurs avec cette « casquette » que vous avez répondu à un certain nombre de questions ce matin.
À la faveur de l'affaire qui nous occupe, ne pensez-vous pas qu'il serait utile, voire nécessaire, au nom de la démocratie et de la transparence, de s'interroger sur la possibilité d'être à la fois premier responsable d'une formation politique et membre d'un gouvernement, quel qu'il soit ?
M. Christophe Castaner . - Non, je ne le pense pas. À mes yeux, il n'est pas honteux qu'un ministre, quels que soient ses choix, veuille faire de la politique. Le fait d'être ministre ne doit pas être un handicap.
Vouloir dépolitiser la fonction ministérielle en considérant qu'elle serait incompatible avec les fonctions de responsable d'un parti politique, même exercées à titre bénévole - contrairement à d'autres partis, La République en Marche ne considère pas que cet engagement doive être rémunéré - et, pourquoi pas, avec un mandat de parlementaire ou de maire ne me semble pas une bonne approche.
Dans mes fonctions de secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, je pense n'avoir jamais orienté mes choix en fonction d'une appétence politique. J'ai toujours recherché un meilleur fonctionnement de nos institutions, notamment des relations entre le Gouvernement et le Sénat - je n'y arrive pas toujours parfaitement, comme on a pu me le reprocher lors de la dernière réunion de la conférence des présidents.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - J'avoue rester un peu sur ma faim s'agissant du caractère approprié de la sanction des agissements de M. Crase, que vous qualifiez d'extrêmement graves. Si j'ai bien compris, celui-ci a simplement été dispensé de travailler pendant quinze jours, tout en restant rémunéré. Je n'y reviendrai pas, puisque vous vous êtes longuement expliqué sur ce point.
Ma question s'adresse plutôt au secrétaire d'État, puisque vous allez reprendre ces fonctions dans quelques instants. Elle rejoint l'intervention de Christian Cambon. Vous savez que nous nous soucions de la réalité de la sanction de M. Benalla, notamment de la nature de la rétrogradation dont il a fait l'objet. Nous l'avons vu dans le car qui a conduit l'équipe de France de football sur les Champs-Élysées, ce qui a étonné tout le monde. Dans les circonstances que vous avez indiquées, vous avez déclaré avoir « entendu dire » qu'il s'occupait de la logistique - je vous rassure, c'est ce que tous les membres de cette commission avaient compris.
Cela signifie-t-il que vous vous êtes enquis de savoir ce qu'il faisait dans ce bus et que vous vous êtes vous-même inquiété ou que vous avez vous-même été surpris de le voir exercer de telles fonctions ? En toute hypothèse, qui vous a donné cette information ?
M. Christophe Castaner . - Comme secrétaire d'État, il ne m'appartient pas de répondre sur l'évolution du poste d'un chargé de mission à l'Élysée, qui relève de l'organisation interne de l'Élysée, d'autant que, comme je l'ai dit lors de l'interview que j'ai évoquée, je ne disposais d'aucune information concernant M. Benalla, n'étant pas son employeur.
La petite polémique déclenchée par l'utilisation du mot « bagagiste » m'ayant légèrement agacé, j'ai cherché l'origine de cette information. Pour être honnête, je n'ai pas retrouvé par qui je l'avais « entendu dire ». Sinon, je l'aurais immédiatement retweetée, pour me protéger des moqueries dont j'ai fait l'objet. Je ne suis donc pas en mesure de répondre à cette question.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Monsieur le délégué général, monsieur le secrétaire d'État, nous sommes face à des faits graves, inadmissibles, inacceptables. Il y a peut-être même une seconde affaire Benalla, d'autres faits ayant peut-être été commis le même jour.
La République en Marche a prononcé des sanctions ; vous en avez parlé. L'Élysée a prononcé une mise à pied, avec des conséquences en matière de retenue sur congés. Or, une fois la mise à pied terminée, cette personne est redevenue visible lors d'événements extrêmement sensibles, comme le transfert des cendres de Simone et d'Antoine Veil au Panthéon, très symbolique dans notre République, ou l'arrivée des Bleus. Elle l'a également été, le 14 juillet, sur la tribune officielle. N'aurait-il pas été tout simple d'exfiltrer M. Benalla en le déchargeant de toutes ses responsabilités après les quinze jours de mise à pied ? N'est-il pas choquant, vis-à-vis des gendarmes, qu'il apparaisse ainsi publiquement, y compris à Roissy ?
On peut faire une lecture très simple des événements : si quelques journalistes ne s'y étaient pas intéressés et si une information n'avait pas été livrée, on aurait cherché à étouffer l'affaire. En effet, les sanctions véritables ont été prononcées bien plus tard. Le problème principal est que la justice n'a pas été saisie : elle s'est saisie elle-même. Quel est votre sentiment sur ce point ?
M. Christophe Castaner . - J'ai tenté de répondre aux questions de votre commission d'enquête par des faits. Je souhaite aujourd'hui, devant vous, en rester aux faits, ce qui me paraît essentiel. Il y a d'autres lieux pour exprimer des sentiments ou faire des commentaires.
M. Philippe Bas , président . - Nous ne vous en ferons pas reproche !
M. François-Noël Buffet . - Monsieur le délégué général, M. Vincent Crase était un réserviste actif de la gendarmerie et travaillait avec l'Élysée. Vous nous avez indiqué tout à l'heure que La République en Marche comptait deux autres réservistes. Devant l'Assemblée nationale, le général Bio-Farina a indiqué qu'une autre personne venant de La République en Marche était réserviste au sein de l'Élysée. Pouvez-vous nous dire si vous connaissez cette personne ? Est-ce l'une des deux personnes que vous avez citées tout à l'heure ?
M. Christophe Castaner . - Je répète que nous n'avons aucune trace de cette personne, dont j'ai découvert la possible existence lors de l'audition. Je ne saurais être plus franc ! Nous allons creuser cette question. Deux autres personnes, deux jeunes femmes, font partie de la réserve, sans être liées à la présidence. Je communiquerai leurs noms au président à la suite de cette audition - je ne préfère pas les citer publiquement, car leur engagement est privé. Je vous transmettrai également l'organigramme, ainsi que la lettre de notification de la sanction. Nous vous communiquerons avec diligence les autres pièces dont vous pourriez avoir besoin, monsieur le président.
M. Philippe Bas , président . - Il me reste à vous remercier, monsieur le délégué général, monsieur le secrétaire d'État, de votre coopération avec la commission des lois.
Mes chers collègues, il s'agissait de la dernière des auditions de ce cycle. Nous reprendrons nos travaux sur ce sujet à la rentrée.
Audition de M.
François-Xavier Lauch,
chef de cabinet du Président de la
République
(Mercredi 12 septembre 2018)
M. Philippe Bas , président . - En juillet dernier, la commission des lois du Sénat a créé une mission d'information pour examiner les conditions dans lesquelles des personnes n'appartenant pas aux forces de sécurité intérieure ont pu ou peuvent être associées à l'exercice de leurs missions de maintien de l'ordre et de protection de hautes personnalités et le régime applicable en cas de manquements. Elle a obtenu à l'unanimité le 23 juillet, et pour une durée maximale de six mois, les prérogatives attribuées à une commission d'enquête en application de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958.
Avec nos deux rapporteurs, Mme Muriel Jourda et M. Jean-Pierre Sueur, nous avons mené dix-neuf auditions. Nous avons sollicité un certain nombre de documents que, pour la plupart, nous avons reçus - c'est le signe d'une collaboration normale avec les différents services publics ; pour les autres, nous relancerons nos interlocuteurs.
Nous reprenons nos auditions, après plusieurs semaines d'interruption de nos travaux, afin de lever, autant que faire se peut, les contradictions qui sont apparues à nos rapporteurs. Nous allons entendre M. François-Xavier Lauch, chef de cabinet du Président de la République, qui nous expliquera la nature exacte de sa fonction et, au-delà de sa propre fonction, précisera, puisqu'il était dans la chaîne hiérarchique son autorité immédiatement supérieure, quel était le travail au quotidien de M. Alexandre Benalla.
Si nos travaux se tiennent dans un cadre formel, ils ne consistent pas à faire un procès, à prononcer une condamnation ; une audition n'est pas une comparution. Nous nous en tenons strictement à la mission qui est celle du Parlement dans le cadre constitutionnel et organique qui lui est assigné. Pour mémoire, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission est passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. François-Xavier Lauch prête serment.
M. François-Xavier Lauch, chef de cabinet du Président de la République . - Je crois effectivement utile, dans le cadre des travaux qui sont les vôtres, d'expliquer en quoi consiste l'office qui est le mien au sein de la présidence de la République, celui de chef de cabinet. D'abord, gérer l'agenda du Président de la République, évidemment, en lien étroit avec le secrétaire général, le directeur de cabinet et l'ensemble des conseillers du cabinet. Sont inscrits à l'agenda les rendez-vous mais également les déplacements du Président de la République. Ensuite, recevoir la correspondance adressée au Président de la République et y répondre. Enfin, organiser les déplacements du Président de la République, en lien, pour la partie stratégique, avec les conseillers du cabinet du Président, les cabinets ministériels, ainsi que les acteurs locaux qui reçoivent le Président - dont les sénateurs font partie à l'occasion. Préfectures de régions et de départements sont mes points de contact pour préparer ces déplacements que je construis, avec mon équipe, en me rendant préalablement sur place pour définir un programme et vérifier que les conditions du déplacement sont réunies. Je travaille en collaboration avec les services de l'Élysée : audiovisuel, intendance, presse et sécurité au titre de laquelle intervient le groupe de sécurité de la présidence de la République, le GSPR, et, plus rarement, le commandement militaire. Le jour du déplacement, le rôle du chef de cabinet ou de ses adjoints est de se trouver aux côtés du Président de la République pour le guider et adapter le programme si cela est nécessaire. Que le chef de cabinet et ses adjoints se trouvent à proximité du Président de la République lors de ses déplacements n'a donc rien d'étonnant. En quelque sorte, pour reprendre une expression déjà utilisée ici, je suis le chef d'orchestre des services de l'Élysée pour tout ce qui concerne l'agenda et les déplacements du Président de la République. Cette mission est extrêmement prenante ; le chef de cabinet et ses adjoints passent régulièrement plusieurs jours par semaine en province pour préparer ou accompagner un déplacement.
Lorsque j'ai pris mes fonctions à l'Élysée le 19 mai 2017, j'ai constitué une structure à mes côtés que nous appelons, dans notre jargon, la « chefferie de cabinet ». Elle se compose d'un chef de cabinet adjoint, qui est sous-préfet, et de deux chargés de mission, une sous-préfète et M. Alexandre Benalla, que j'ai recrutés lors de mon arrivée.
Concernant les faits qui se sont déroulés le 1 er mai, j'ai pris l'avion le 29 avril dernier pour la Nouvelle-Calédonie, où je suis arrivé le 30 avril après dix-huit heures de vol. Le 1 er mai, je menais une deuxième mission de préparation du déplacement du Président de la République en Nouvelle-Calédonie, marqué par une visite à Ouvéa pour la première fois dans l'histoire ; ce déplacement était particulièrement complexe à organiser, je ne vous ferai pas l'affront d'expliquer pourquoi. Le Président de la République est lui-même arrivé le jeudi 3 mai vers 17 heures, heure locale, soit 8 heures en Métropole, après deux jours en déplacement international en Australie, où l'accompagnait la chargée de mission de la chefferie de cabinet. Pour ma part, j'ai appris ce jeudi 3 mai, peu après 17 heures, heure locale, soit 8 heures heure métropolitaine, l'intervention de M. Alexandre Benalla lors de la manifestation du 1 er mai. J'en ai été informé par un contact avec mon directeur de cabinet, M. Patrick Strzoda - contact de routine, comme c'est l'usage, pour l'informer qu'un déplacement du Président de la République se déroule dans de bonnes conditions. Je l'ai appelé dès mon arrivée au Haut-Commissariat, vers 21 heures, heure locale, soit 12 heures en Métropole. M. Patrick Strzoda m'a immédiatement informé des faits et des sanctions qu'il avait prises à l'encontre de M. Alexandre Benalla. Ces sanctions, je le dis fortement, traduisaient la volonté qui était la sienne de prendre au plus vite des mesures à l'encontre de M. Alexandre Benalla, sans attendre le retour du Président de la République et de son chef de cabinet.
La sanction prise, à laquelle je ne pouvais que souscrire, mais à laquelle je n'ai pas été associé, en raison de mon déplacement en Nouvelle-Calédonie, a consisté en une suspension de quinze jours et en un écrit, inséré dans le dossier administratif de l'intéressé, indiquant qu'un nouveau comportement fautif entraînerait un licenciement - cela a été le cas, comme vous le savez, le 19 juillet dernier.
C'est également ce même soir, à peu près à la même heure, que j'ai pris connaissance d'un extrait de la vidéo qui circulait sur les réseaux sociaux. Je peux vous dire que j'ai été choqué par la scène très confuse d'affrontements violents et de poursuites entre manifestants et forces de l'ordre que j'ai pu voir, depuis la Nouvelle-Calédonie, dans des conditions que vous pouvez imaginer. J'ai vu intervenir une personne qui était manifestement M. Benalla et qui, à l'évidence, agissait en dehors des fonctions qui lui sont confiées à la présidence de la République. J'ai souhaité appeler M. Benalla immédiatement. Le premier contact téléphonique que j'ai eu avec lui est intervenu juste après mon premier contact avec Patrick Strzoda, le même soir. J'ai fermement sermonné Alexandre Benalla. Ce dernier a reconnu sa présence sur les lieux de la manifestation. Il a reconnu très clairement qu'il n'avait pas sollicité ma permission pour être présent sur ces lieux - puisque je n'étais pas là - mais celle du directeur de cabinet. Il a justifié son comportement par sa volonté d'aider les policiers pris à partie par des manifestants violents, qui, selon lui, avaient jeté des projectiles sur les forces de l'ordre. Je lui ai immédiatement indiqué qu'une sanction avait été prise à son encontre, ce qui lui avait déjà été signifié.
Je considère que ce qui s'est passé le 1 er mai est un comportement individuel fautif, clairement distinct de la mission que j'ai exposée. Je rappelle qu'une information judiciaire est ouverte sur ce cas d'espèce, mais également qu'une sanction administrative a été prise immédiatement - j'en ai rappelé la chronologie. Il appartient désormais à la justice de notre pays d'établir les responsabilités des individus poursuivis.
Pour ma part, j'ai la volonté de répondre précisément et complètement à toutes les questions des membres de la commission d'enquête, dans le respect des principes énoncés et avec la plus grande transparence. Le Président de la République m'a autorisé à venir devant vous. (Exclamations.) Je dis bien « autorisé »... Ce faisant, il souhaite contribuer à la manifestation de la vérité. Il m'a néanmoins demandé de rappeler le cadre juridique dans lequel s'inscrit cette audition. Je dois veiller au respect du principe de séparation des pouvoirs, auquel je vous sais attachés. Ce principe ne me permettra pas de répondre aux questions portant sur des faits donnant lieu à une information judiciaire et à celles qui ont trait à l'organisation interne de la présidence de la République.
M. Philippe Bas , président . - Monsieur le chef de cabinet, merci de votre exposé clair et factuel. Restent néanmoins un certain nombre de points à préciser. Par exemple, concernant la sanction prononcée, y a-t-il un document qui pose la rétrogradation par écrit ? Pouvez-vous nous assurer que le nouveau périmètre des fonctions de M. Benalla a été scrupuleusement respecté après la période de suspension ?
M. François-Xavier Lauch . - Comme je l'ai expliqué, en raison du souhait de mettre en oeuvre une suspension rapidement, je n'ai pas été associé à la prise de la sanction, étant en déplacement en Nouvelle-Calédonie. En revanche, à mon retour, j'ai évidemment discuté avec le directeur de cabinet, qui est mon autorité hiérarchique immédiatement supérieure, des nouvelles missions de M. Benalla.
Premièrement, la suspension administrative de quinze jours a été prise par le directeur de cabinet du Président de la République le 2 mai. Elle a été notifiée le 3 mai et est entrée en application le 4 mai. En ma qualité de chef de cabinet, j'ai eu à vérifier que M. Benalla n'exerçait plus ses fonctions de chargé de mission pendant les quinze jours qui ont suivi cette suspension. Je certifie devant cette commission que M. Benalla n'a pas eu à exercer ses fonctions de chargé de mission pendant ces quinze jours de suspension. En tout état de cause, je ne lui ai confié aucune mission et je ne l'ai pas vu pendant ces quinze jours. Après l'appel que je lui ai passé depuis la Nouvelle-Calédonie, je n'ai pas eu de contact avec M. Benalla avant de le rappeler juste avant son retour au service, précisément le vendredi 18 mai au soir. Je lui ai indiqué que, conformément à la mesure de suspension, il était attendu au service le mardi 22 mai au matin. Ne pouvant le recevoir ce jour-là, parce que j'étais en mission préparatoire à Ferney-Voltaire dans l'Ain, j'ai demandé à le voir le mercredi 23 mai à 9 heures. Je puis donc vous certifier que, du 4 mai au 22 mai, M. Benalla n'a pas exercé ses fonctions de chargé de mission à l'Élysée à mes côtés.
Pour ce qui concerne, deuxièmement, l'évolution
des missions de M. Benalla, que vous appelez
« rétrogradation », à juste titre, me
semble-t-il
- en tout état de cause, c'est ainsi que cette
décision a été prise, que l'intéressé l'a
perçue, et je crois qu'il aura à vous le dire -, dès
le retour au service de M. Benalla, c'est-à-dire à la fin de
la semaine qui se conclut par le 18 mai, j'ai eu à discuter avec le
directeur de cabinet des nouvelles missions de M. Benalla. Eu égard
à ce qui s'était passé, il était évident que
M. Benalla ne pouvait plus avoir les mêmes fonctions. Nous avons
donc décidé de lui retirer ce qui fait le sel des fonctions d'un
chef de cabinet, d'un chef de cabinet adjoint ou d'un chargé de mission,
qui est la préparation et l'organisation des déplacements
officiels du Président de la République - ce sont les plus
importantes des missions que j'ai citées. Dès lors,
M. Benalla n'a donc plus fait de missions préparatoires propres
à l'organisation d'un déplacement officiel du Président de
la République et n'a plus accompagné un seul de ces
déplacements. Nous lui avons également demandé de se
concentrer sur l'exercice de ses missions au Palais de l'Élysée.
C'est une décision qui n'était pas facile à prendre pour
le chef de service que je suis, parce que mes équipes sont
petites : très concrètement, il en a découlé
une charge de travail plus importante pour mes adjoints et pour
moi-même.
Par ailleurs, lorsque j'ai reçu M. Benalla le 23 mai au matin, je l'ai d'abord de nouveau fermement sermonné pour ses actes. Je puis vous dire, connaissant l'attachement qu'il avait pour la réalisation des missions qu'il perdait, qu'il a considéré cette rétrogradation comme une réelle sanction et qu'il l'a très mal vécue. Je lui ai notifié oralement ses nouvelles missions, après un échange avec mes autorités hiérarchiques et après validation de ses nouvelles missions par le directeur de cabinet du Président de la République et le gestionnaire des personnels à l'Élysée.
M. Philippe Bas , président . - Je m'interroge sur la pertinence de la sanction prononcée. N'est-il venu à l'esprit de personne, dans l'entourage du chef de l'État, devant la gravité des faits qui avaient été commis et dont les collaborateurs du Président de la République ont eu connaissance très tôt, que conserver dans l'équipe, dans un emploi diminué, cet agent, dont le comportement échappe pour le moins à l'exigence d'exemplarité que le chef de l'État a lui-même posée, en le dessaisissant des fonctions pour lesquelles il a été recruté et sans lui nommer de remplaçant, pouvait exposer inutilement le Président à un risque ? Vous nous avez dit vous-même que la décision a créé de l'embarras pour le fonctionnement de votre service.
M. François-Xavier Lauch. - Je ne veux pas verser dans la fiction administrative concernant la sanction qui a été prise : je n'étais pas là. Mesdames, messieurs les sénateurs, que penseriez-vous d'un chef de cabinet qui s'immisce dans la prise d'une sanction alors qu'il ne dispose d'aucun élément pour le faire à l'endroit où il se trouve ?
M. Philippe Bas , président . - Entendons-nous bien : je ne suis pas en train de vous adresser un reproche à ce sujet. Il est évident que vous ne pouviez pas, à une telle distance, apprécier les faits et prononcer la sanction. C'est la sanction prononcée qui m'interpelle. Je voudrais que nous parvenions à réfléchir ensemble à ce qui est approprié.
M. François-Xavier Lauch. - Vous connaissez la maison élyséenne. Elle est parfaitement organisée. Le chef de cabinet est sous l'autorité du directeur de cabinet, qui est un préfet. Pour ma part, je suis sous-préfet. À partir du moment où la sanction a été prise, j'en ai été dessaisi. Elle ne m'appartenait plus.
Pour ce qui concerne les nouvelles missions, la mesure de rétrogradation que nous avons prise, dans le cadre de la suspension, qui est une mesure conservatoire et qui donc peut continuer à dérouler ses effets en cas de nouvelle faute, est un geste extrêmement fort. Concrètement, M. Benalla ne pouvait plus préparer seul un déplacement officiel du Président de la République. Contrairement à vous, je considère que la mesure décidée par le directeur de cabinet était très importante. Elle a d'ailleurs été perçue comme telle par l'intéressé.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Vous nous avez expliqué que la sanction de rétrogradation, qui a été notifiée oralement à M. Benalla, lui retirait un certain nombre de ses fonctions, pourtant essentielles compte tenu de votre effectif réduit. Cette sanction avait-elle une durée fixée dans le temps ? Sinon, comment comptiez-vous pallier ses effets, puisque vous nous avez dit qu'elle était extrêmement préjudiciable ?
M. François-Xavier Lauch. - La sanction n'était pas limitée dans le temps. La chefferie de cabinet a continué à fonctionner avec quatre agents, mais avec une réorganisation des missions. Très concrètement, j'ai demandé à M. Benalla de prendre en charge l'ensemble de l'organisation des événements se déroulant au Palais de l'Élysée, alors qu'un certain nombre d'entre eux étaient préalablement pris en charge par mon autre chargé de mission. Du coup, ce dernier a pris en charge, à mes côtés, l'organisation des déplacements nationaux.
Par ailleurs, j'ai dû demander le renfort d'un autre service de l'Élysée pour assurer ces missions - cela peut aisément être vérifié. J'ai connu, pour ma part, un surcroît de travail dans l'organisation des déplacements, mais je répète que nous nous sommes tenus à la règle que j'ai énoncée auprès d'Alexandre Benalla le 23 mai au matin.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Dans votre esprit, cette sanction avait-elle vocation à être limitée dans le temps, ou était-ce une organisation définitive ?
M. François-Xavier Lauch. - En tout état de cause, compte tenu des faits, il fallait marquer le coup, si vous me permettez l'expression. Il était très important de redire fortement à l'intéressé, par cette sanction, que son comportement était inacceptable et de voir comment il évoluait par la suite, dans le cadre de la suspension. Des faits nouveaux ayant conduit à son licenciement, je n'ai pas eu à me poser cette question.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Nous avons pu constater, à la télévision ou dans les journaux, que M. Benalla apparaissait très fréquemment auprès du Président de la République, à l'occasion de missions relevant davantage de déplacements privés et organisés en province. Cela signifie tout de même qu'une certaine confiance a été maintenue à M. Benalla.
M. François-Xavier Lauch. - Je comprends parfaitement que le fait que M. Benalla ait pu apparaître sur des images à l'occasion d'événements précis puisse vous interpeller. Vous avez interrogé le directeur de cabinet à ce sujet. Je vais vous répondre à mon tour, à mon niveau de chef de service.
Il me semble que la présence de M. Benalla dans un dispositif engageant la présidence de la République a suscité des interrogations à quatre moments.
Premièrement, l'entrée des époux Veil au Panthéon, dont j'ai pris en charge la préparation personnellement. Cet événement très important a été précédé de nombreuses missions préparatoires. Je n'y ai pas associé M. Benalla. Le jour de l'entrée au Panthéon, celui-ci ne faisait pas partie du coeur du dispositif, où je figurais aux côtés de Marie Argouarc'h. Eu égard aux dimensions de l'événement et à la nécessité de mobiliser tout le monde ce jour-là - Patrick Strzoda et moi-même avions les idées très claires sur ce point dès le moment de la rétrogradation -, une mission a été confiée à M. Benalla qui consistait à synchroniser l'arrivée des cortèges. M. Benalla n'a rien fait d'autre. Il n'a participé à aucune mission préparatoire et n'était pas engagé dans le coeur du dispositif.
Deuxièmement, sa présence à Giverny. J'ai réalisé deux missions préparatoires à Giverny pour ce qui était alors un déplacement officiel du Président de la République, qui avait prévu d'y accueillir le Premier ministre japonais. Il se trouve que, en raison d'une catastrophe naturelle ayant eu lieu au Japon, celui-ci a décidé de ne plus se rendre à Giverny. Par conséquent, du jour au lendemain, cet événement a été déclassé en visite non officielle du chef de l'État, et c'est dans ce cadre, puisque ces fonctions ne lui avaient pas été retirées, qu'Alexandre Benalla a pu l'accompagner. Un déplacement officiel du Président de la République implique de coordonner une multitude de services pour ce qui concerne l'organisation matérielle - il faut prévoir des tables, des chaises, ouvrir des locaux, en aménager... - et la sécurité, des préfets, des policiers, des gendarmes étant mobilisés. Un déplacement privé ne requiert pas cette coordination. Alexandre Benalla en a donc été chargé, raison pour laquelle on a pu le voir sur des photos prises à Giverny.
Troisièmement, le 14 juillet. Au-delà de l'organisation des déplacements, notamment nationaux, Alexandre Benalla était en charge, avec le protocole de l'Élysée et le service de la correspondance présidentielle, des invitations pour le 14 juillet. D'ailleurs, si vous regardez les photos du 14 juillet, vous le verrez peut-être dans cette mission de vérification du placement et vous me verrez aussi aux côtés du Président de la République. Il a été engagé dans le cadre strict de cette mission et pas dans celui de la coordination générale du dispositif.
Quatrièmement, l'accueil de l'équipe de France de football le 16 juillet. Cet événement exceptionnel par sa dimension et son ampleur a mobilisé fortement la présidence de la République aux côtés des équipes de la préfecture de police. En matière d'ordre public, la manoeuvre était complexe : dans la période que nous connaissons, il n'est pas du tout évident de faire circuler un bus de cette manière sur les Champs-Élysées. J'ai participé moi-même - pas M. Benalla - à l'organisation de cet événement sans précédent, et ce dans des délais très contraints. Il fallait coordonner l'arrivée de l'équipe de France, relativement en retard sur le planning prévu, et la rencontre avec des jeunes au Palais de l'Élysée. J'ai mobilisé deux de mes adjoints au Palais de l'Élysée et demandé à Alexandre Benalla d'être le garant de la synchronisation de l'arrivée du bus. Il était donc en contact avec moi pour ce faire.
Tels sont les quatre cas d'espèce. Il ne s'agit pas de déplacements officiels du Président de la République. C'est la raison pour laquelle je considère que nous avons appliqué la décision prise avec le directeur de cabinet, décision que nous lui avons notifiée le 23 mai au matin.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Nous parlons beaucoup de la rétrogradation de M. Benalla, mais il faut au préalable connaître ses fonctions initiales. M. le directeur de cabinet s'était engagé à nous transmettre la fiche de poste de M. Benalla, ce qu'il n'a finalement pas fait. Pouvez-vous nous indiquer précisément ces missions ? Il semblerait qu'une fiche de poste ait été établie. Y avez-vous participé ?
M. François-Xavier Lauch . - En tant qu'organisateur de la chefferie de cabinet, j'ai eu à recruter mes adjoints. Il est naturel, lorsqu'on crée une structure, de l'organiser et de proposer à ses chefs une organisation. Je l'ai donc fait auprès de Patrick Strzoda par différents échanges écrits qui ne comportent pas que des éléments propres à l'organisation de la chefferie de cabinet, à la fin du mois de mai et au début du mois de juillet 2017. J'ai fait valider par le directeur de cabinet les missions de M. Benalla.
La première mission de M. Benalla consistait à m'appuyer dans l'organisation des déplacements nationaux. Cela signifie la possibilité pour lui de réaliser des missions préparatoires. Il en a fait très peu, je les ai quasi toutes assurées personnellement à l'échelon national, eu égard à l'enjeu d'un déplacement du Président de la République.
Par ailleurs, dans la pratique que j'ai instaurée avec mes équipes, j'ai fait en sorte que l'un de mes adjoints soit présent quelques heures avant l'arrivée du Président de la République lorsque celui-ci se déplace. Il m'est arrivé à de très nombreuses reprises - nous avons comptabilisé une centaine de déplacements nationaux et internationaux en un an et trois mois - de l'envoyer en avance pour vérifier que le dispositif mis en place était stabilisé. Il a accompli ces missions de « précurseur » auprès de moi.
Je veux dire avec force que M. Benalla était très précis dans ses fonctions. Vous savez l'importance qu'accordent les préfets à l'organisation des déplacements du Président de la République. Jamais je n'ai entendu un préfet de la République se plaindre de ce qu'a pu faire M. Benalla dans ses missions préparatoires ou de précurseur.
M. Philippe Bas , président . - Mais avez-vous jamais entendu, à l'occasion de cette centaine de déplacements, des préfets se plaindre au chef de cabinet du Président de la République du comportement d'autres collaborateurs ?
M. François-Xavier Lauch . - Pas du tout.
La deuxième mission avait trait, comme pour les autres chargés de mission de l'Élysée, à l'organisation des événements au Palais de l'Élysée. Cela va du rendez-vous à la réception mobilisant plus de 1 200 invités.
Une troisième mission consistait en la coordination, sous l'autorité du directeur de cabinet et non de la mienne, des deux services de sécurité de l'Élysée, le groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR) et le commandement militaire. En arrivant au Palais de l'Élysée, nous avons constaté que deux services de sécurité se côtoyaient. Aussi, sur des sujets qui n'ont rien à voir avec l'exercice de prérogatives de sécurité, il fallait organiser une meilleure coexistence entre eux : cela concernait le parc automobile - comment faire en sorte que le parc automobile du GSPR soit rénové et rehaussé ? - ou était en rapport avec les résidences du Président de la République. Il s'agit donc de considérations très administratives, absolument sans lien avec une immixtion de quelque nature que ce soit dans le commandement des deux chefs de service, le chef du GSPR ou le général commandant militaire du Palais.
Telles étaient les missions d'Alexandra Benalla,
auxquelles s'ajoute
- mais nous le faisions tous - la
préparation de déplacements non officiels du Président de
la République. C'est quelque chose qui fait beaucoup parler, mais,
même lorsqu'un déplacement du Président de la
République n'est pas médiatisé, il se prépare. Je
ne veux pas rentrer dans des détails, parce que je sortirais de mon
rôle et du mandat qui m'a été donné, mais un
Président ne se déplace pas seul : il faut organiser
l'alimentation des personnes qui se déplacent avec lui, prévenir
les personnes là où il se rend. C'est cela, le rôle du
chargé de mission du chef de cabinet dans la réalisation des
déplacements non publics du Président de la République.
M. Benalla avait donc également ce rôle-là.
Nous nous répartissions ces missions, en fonction d'un tour que je décidais.
Les fonctions de M. Benalla ont été extrêmement claires depuis le début, cadrées et arrêtées par mes soins, sous l'autorité du directeur de cabinet.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Je commencerai par une remarque. Comme le secrétaire général de l'Élysée et le directeur de cabinet, vous avez fait état de l'autorisation qui vous a été donnée par le Président de la République. Cette autorisation est sans objet et sans effet. En vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, tout citoyen convoqué par une commission d'enquête parlementaire doit déférer à cette convocation. À cet égard, nul n'est au-dessus des lois. Le Parlement vote la loi et contrôle l'exercice des pouvoirs publics. Dans ce cadre, comme l'a dit le président Philippe Bas, vous contribuez à notre mission.
Nous avons reçu le secrétaire général et le directeur de cabinet, et tous deux nous ont dit ce que Philippe Bas a appelé une sorte de vérité officielle, à savoir que M. Benalla ne s'occupait que de déplacements et n'exerçait aucune mission de police. Or nous avons ici le permis de port d'arme de M. Benalla sur lequel je lis : « Considérant que M. Benalla est chargé d'une mission de police... ». Nous avons aussi de multiples témoignages - nous avons auditionné dix-neuf personnes - nous avons lu les trois interventions dans la presse et dans les médias de M. Benalla.
Une fois cela rappelé, pouvez-vous, monsieur le chef de cabinet, sous serment, confirmer qu'à aucun moment, sous votre autorité ou à votre connaissance, M. Benalla n'a exercé de mission de police, soit en substitution soit en complément aux fonctionnaires et aux personnes chargés de la police, alors même qu'il a déclaré récemment, dans Le Journal du Dimanche qu'il était « en opposition avec les conceptions du ministère de l'intérieur » ?
M. François-Xavier Lauch . - Je ne vais pas épiloguer sur la question de l'autorisation. Je vous ai indiqué avoir reçu l'autorisation du Président de la République, je ne m'y étends pas. Il y a sans doute des débats constitutionnels sur ce sujet qui me regardent peu à mon niveau. Je vous prie en tout cas de croire que je viens devant vous pour faire oeuvre de transparence.
Vous avez parlé de vérité officielle. Il n'y a pas de vérité officielle, il y a une vérité lorsque l'on témoigne sous serment. Je peux vous assurer que M. Benalla n'a pas exercé de mission de police. Je sais un petit peu ce qu'est une mission de police pour avoir exercé trois ans au cabinet du directeur général de la police nationale.
Je rentre dans le détail du rôle du chef de cabinet. Le chef du GSPR a dit que c'était un chef d'orchestre des questions d'organisation matérielle. Lorsque le chef de cabinet se déplace pour une mission préparatoire et pour organiser le déplacement du Président de la République, il a pour rôle de vérifier que la sécurité du Président de la République et les conditions d'ordre public sont assurées. Pour ce faire, dans le panel des services qui se déplacent avec lui, il dispose du GSPR qui assure la sécurité rapprochée du Président de la République et qui est le conseiller du chef de cabinet dans ce rôle de chef d'orchestre. Il y a également des préfets de la République qui ont des compétences en matière d'ordre public, ainsi que des policiers et des gendarmes.
Lorsque j'ai commencé ma carrière de sous-préfet, le préfet m'a dit : « François-Xavier, lorsque vous êtes directeur de cabinet et que vous avez la responsabilité par délégation d'un dispositif d'ordre public, ne prenez pas la place des policiers et des gendarmes. Votre relation avec le directeur de la police et le colonel de gendarmerie, c'est de leur donner des effets à obtenir, de leur indiquer ce qui ne doit pas arriver et de les laisser faire leur oeuvre. » Le rôle d'un chef de cabinet dans une mission préparatoire et lors d'un déplacement, c'est exactement la même chose. Par conséquent, par délégation du chef de cabinet, Alexandre Benalla, chargé de mission, a pu demander des effets à obtenir soit au préfet de police, soit à un préfet de département, soit à un chef du GSPR, mais il n'a jamais pris la place du policier ou du gendarme. En ce sens, il n'a pas exercé de mission de police. Je puis vous dire que, si j'avais constaté cela, il se serait fait, là aussi, fermement sermonner.
M. Philippe Bas , président . - Monsieur le chef de cabinet, j'entends votre sincérité, mais mettez-vous à notre place : il y a des éléments contradictoires. Lorsqu'il délivre le permis de port d'arme, le préfet de police le fait bien sur la base des informations qui lui ont été données par l'Élysée ; il relève un certain nombre de considérants, dont celui-là : « Considérant que M. Benalla est chargé d'une mission de police dans le cadre de son action de coordination de la sécurité de la présidence de la République avec les forces militaires et le GSPR... ». Il a bien fallu que l'Élysée dise au préfet de police que M. Benalla avait une mission de police, sinon il n'aurait pas eu de permis de port d'arme.
Par ailleurs, pourquoi a-t-on demandé à trois reprises avant de l'obtenir un permis de port d'arme pour M. Benalla s'il n'a strictement aucune fonction de sécurité ? Je rappelle que, avant d'entrer à la présidence de la République, M. Benalla exerçait exclusivement un métier de sécurité.
Nous sommes face à des contradictions. Ce que vous avez dit répond à une logique d'organisation qui est tout à fait souhaitable, mais nous disposons d'autres éléments.
M. François-Xavier Lauch . - Je maintiens évidemment mes propos.
Je ne suis pas le rédacteur de ce texte réglementaire pris par le préfet de police. Vous l'avez interrogé, peut-être faut-il le réinterroger.
M. Philippe Bas , président . - Qui a demandé le permis de port d'arme ?
M. François-Xavier Lauch . - Patrick Strzoda a été très clair : c'est lui qui a été en contact avec la préfecture de police sur ce sujet.
M. Philippe Bas , président . - Alors pour quoi faire ?
M. François-Xavier Lauch . - Il a demandé, et je vous prie de reprendre les propos qu'il a tenus devant cette commission, à la préfecture de police d'analyser cette demande dans les règles de droit. Pour mon cas personnel, dans le cas d'espèce, cette demande de permis de port d'arme, fondée sur des questions de sécurité - il faut donc les différencier d'une protection personnelle -, n'a pas transité par mes mains. C'est normal, puisque les questions de sécurité sont traitées directement sous l'autorité du directeur de cabinet. Je ne peux donc pas vous répondre plus avant. Ce que je puis vous dire, en tant que chef de cabinet, ce sont les missions que j'ai confiées à M. Benalla.
M. Philippe Bas , président . - Étiez-vous informé qu'il bénéficiait d'un permis de port d'arme ?
M. François-Xavier Lauch . - Oui, j'en ai été informé.
M. Philippe Bas , président . - Lui donniez-vous mandat de prendre son arme pour certaines missions ?
M. François-Xavier Lauch . - Là aussi, je vais être très clair : comme vous l'a dit, je crois, le général Lavergne, je n'ai jamais vu M. Benalla avec son arme sur une mission auprès du Président de la République. Pour ce qui est des missions officielles, je ne l'aurais pas accepté , puisque la sécurité du Président de la République est assurée, par ailleurs, par le GSPR et par les forces de police et de gendarmerie mobilisées sous l'autorité des préfets.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Si l'on voulait entrer dans les détails , on pourrait aussi demander pourquoi M. Benalla a bénéficié d'une voiture de police .
Je veux revenir sur un autre point . M. Benalla a donc été observateur le 1er mai. Est-ce qu'il vous avait informé préalablement, puisque vous êtes son supérieur direct, de son intention d'être observateur ce jour-là ? Lui avez-vous donné l'autorisation ou pas ?
Ce que vous avez dit tout à l'heure est important : vous nous avez parlé du 14 juillet, de l'arrivée des Bleus, de l'entrée au Panthéon de Simone Veil et de son mari. Je suis extrêmement frappé par le fait que, en dépit de ce que vous dites, M. Benalla ait été au coeur des événements en question. Vous allez dire que ce n'est pas vrai, mais quand même. Nous parlons d'une personne qui a molesté des citoyens devant des CRS et des policiers, qui a dérapé gravement, et qui s'est retrouvée, on ne sait comment, à une réunion de commandement le soir. Ne vous est-il pas venu à l'esprit qu'il n'était pas très judicieux qu'il continue à exercer des missions ou des fonctions lors d'événements aussi importants que ceux que je viens de citer ?
Enfin, dernière question : pouvez-vous nous assurer, d'après ce que vous savez, d'après ce qu'il vous a dit, que M. Benalla n'a exercé aucune mission qui aurait consisté à définir des orientations stratégiques par rapport à la sécurité du chef de l'État et à l'organisation du GSPR et du commandement militaire ? Autrement dit, pouvez-vous certifier qu'il n'avait pas un rôle beaucoup plus important que ce qui nous a été dit dans la réflexion pour une organisation de la sécurité à l'Élysée qui s'affranchisse du ministère de l'intérieur ? En effet, il a déclaré dans la presse qu'il avait noté l'opposition du ministère de l'intérieur sur cette question. Comment analysez-vous ces déclarations ?
M. François-Xavier Lauch . - S'agissant du véhicule, vous avez utilisé les termes « voiture de police », mais ce n'en était pas une. Il s'agissait d'une voiture de service, et non pas d'une voiture de fonction.
M. Philippe Bas , président . - Il y avait quand même un pare-soleil avec « police » inscrit dessus.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - C'est curieux pour une voiture de service, non ?
M. François-Xavier Lauch . - Je suis peut-être un peu laborieux dans mes réponses, et je m'en excuse, mais je souhaite vraiment être précis.
Pourquoi M. Benalla avait-il un véhicule de service ? Il faut savoir qu'il passait ses journées et le début de ses nuits au Palais de l'Élysée, comme nous le faisons tous, pour organiser les déplacements du Président de la République. Il n'est donc pas étonnant que l'on ait pu lui confier un véhicule pour se rendre sur les lieux de ses missions, pour rentrer chez lui le soir, et, le matin, en revenir. C'est précisément la définition d'un véhicule de service.
Par ailleurs, s'agissant des moyens lumineux et des avertisseurs sonores, il se trouve que l'ensemble du parc de véhicules de l'Élysée est doté de ces équipements, pour la simple et bonne raison que ces véhicules peuvent être intégrés dans des cortèges présidentiels, dans lesquels il est fait usage de moyens lumineux, moins souvent sonores, pour la protection du Président de la République et la sécurité des autres automobilistes. S'il y avait ces équipements sur ce véhicule, ils n'étaient pas forcément utilisés, mais s'ils l'étaient, c'était selon des règles de sécurité que vous connaissez. Il me semble que c'est légal. L'Élysée n'est pas la seule institution à disposer de véhicules avec ce type de moyens.
Vous m'avez interrogé sur l'autorisation que j'aurais pu être amené à donner pour qu'il soit observateur. Non, il ne me l'a pas demandée. Cela peut vous étonner, puisque je suis son supérieur hiérarchique direct, mais j'étais à ce moment-là en Nouvelle-Calédonie. Il se trouve que nous avons la pratique, bonne, il me semble, à la chefferie de cabinet, de nous réunir tous les matins de la semaine, parfois même le week-end, vers 7 heures 45, pour faire le point avec Patrick Strzoda, directeur de cabinet, sur nos missions de la journée et de la semaine. C'est donc dans ces conditions que M. Benalla a demandé l'autorisation, en mon absence, au directeur de cabinet. Je n'aime pas faire ce que j'appelle de la fiction administrative, mais si vous me demandez comment j'aurais réagi s'il m'avait présenté la demande, je dirai que j'aurais vraisemblablement donné l'autorisation. En effet, je le répète, dans nos missions de coordination, nous avons à connaître de sujets de stratégie d'ordre public. Évidemment, j'aurais strictement limité l'autorisation à un rôle d'observateur et préconisé que M. Benalla soit accompagné pour qu'il s'en tienne à ce rôle, ce qui n'a malheureusement pas été le cas.
Sur les nouvelles missions, je crois que j'ai amplement répondu.
Vous m'interrogez également sur la capacité de M. Benalla à donner des orientations stratégiques sur le futur service chargé de la sécurité de l'Élysée. Actuellement, deux services sont chargés de la sécurité à l'Élysée : le GSPR et le commandement militaire. Ils ont à leur tête deux généraux. Je ne peux pas imaginer que l'on puisse penser que deux généraux seraient disposés à laisser un chargé de mission comme M. Benalla entrer dans leur organisation interne et commander à leur place. Ce n'était absolument pas le cas. Ils ont toujours été les chefs et les organisateurs des services. J'ai également entendu parler d'une milice privée à l'Élysée. Ce n'est absolument pas le cas.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Nous n'avons jamais employé ces mots !
M. François-Xavier Lauch . - Je sais, mais d'autres l'ont fait. Je passe mes journées avec les hommes et les femmes du GSPR à faire des missions préparatoires. Je connais tous les chefs de mission du GSPR ; j'ai passé trois ans à la direction générale de la police nationale (DGPN) : je n'ai vu que des policiers et des gendarmes qui exercent leurs fonctions conformément à la mission qui leur est assignée dans notre République. J'ai bien vu deux chefs qui commandaient leur service.
Qu'est-ce qui motive cette réflexion sur la sécurité actuellement au sein de l'Élysée ? Comme la Cour des comptes nous en a d'ailleurs fait le reproche, deux services coexistent et utilisent quasiment les mêmes moyens, mais avec un commandement différent. Il faut donc rechercher des synergies dans un objectif d'économies. C'est cela, et rien de plus !
Il va de soi, évidemment, que la sécurité du Président de la République sera toujours exercée par des policiers et des gendarmes, qui seront toujours formés par le ministère de l'intérieur et toujours en lien avec celui-ci. Il n'y a jamais eu aucun souhait de s'en affranchir. Je vous le dis comme une profonde évidence et avec le coeur.
Mme Esther Benbassa . - Vous dites que M. Benalla n'avait aucune mission de police. S'il n'était pas chargé de la sécurité du Président de la République, comment se fait-il qu'il ait souhaité observer la mouvance des Black Blocs ? Quel était son intérêt dans cette démarche ?
Par ailleurs, à quel titre M. Benalla a-t-il eu droit à un appartement quai Branly en juillet et à un passeport diplomatique, sachant que, depuis le 4 mai, il n'était chargé que de l'organisation d'événements à l'intérieur de l'Élysée et des déplacements privés du Président ? Il me semble qu'aucun chargé de mission de l'Élysée ne bénéficie de tels avantages.
Enfin, avez-vous communiqué à notre commission l'arrêté prononçant la sanction à l'encontre de M. Benalla, ainsi que les modalités de la suppression de son traitement durant 15 jours ?
M. Pierre-Yves Collombat . - Vous nous avez dit avoir recruté formellement M. Benalla, mais l'avez-vous sélectionné personnellement ? Est-ce que ce poste, dans la définition que vous en avez donnée, existait déjà dans des cabinets précédents ? Selon ce que vous nous avez dit, pour vous, l'essentiel résidait dans les missions préparatoires. Or vous nous déclarez qu'il n'en a pas faites pendant cette période. Que faisait-il alors ?
M. François Pillet . - Tous les collaborateurs de l'Élysée, y compris M. Benalla, ont-ils régularisé leur situation au regard des obligations imposées par la loi sur la transparence de la vie publique en déposant enfin auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique leur déclaration de patrimoine et leur déclaration d'intérêts ?
Quand avez-vous appris la demande faite par M. Benalla auprès du Conseil national des activités privées de sécurité, le CNAPS, pour obtenir l'habilitation à diriger une entreprise privée de sécurité, habilitation qu'il a d'ailleurs obtenue ?
M. François-Xavier Lauch . - Madame la sénatrice Benbassa, comme je l'ai déjà dit, en tant que chefs d'orchestre sur les déplacements du Président de la République, nous avons à connaître, en lien avec les préfets, des considérations d'ordre public, sans évidemment nous immiscer dans le commandement des forces de police. À mon sens, il n'était donc pas totalement inutile que M. Benalla puisse participer à une telle manifestation en tant qu'observateur. Il m'est arrivé dans ma carrière de sous-préfet d'être observateur à ce titre. Beaucoup d'autres personnes le font.
Sur l'appartement, compte tenu des sujétions liées à ses fonctions, le directeur de cabinet, qui gère le parc de logements, a décidé de lui attribuer un logement. Beaucoup de choses fausses ont été dites à ce sujet, notamment sur sa taille. Il mesure non pas 300 mètres carrés, mais 70. Il a été attribué pour nécessité de service, donc dans un cadre juridique connu, et M. Benalla ne l'a jamais occupé. Cette situation me paraît tout à fait légale.
S'agissant du passeport diplomatique, il se trouve que les agents de la chefferie de cabinet ont un passeport diplomatique, puisque nous avons l'occasion de faire des missions préparatoires ou d'accompagner le Président de la République lors de déplacements à l'étranger. Cela a toujours été le cas, à ma connaissance.
Monsieur le sénateur Collombat, lorsque je suis arrivé à l'Élysée, le 19 mai, M. Benalla, qui faisait partie de l'équipe de campagne de M. Macron, était présent. Avec beaucoup d'humilité, ne réclamant rien, il est venu se présenter à moi. J'ai pu observer ses grandes qualités en matière d'organisation des déplacements, ainsi que ses compétences en matière de coordination et de sécurité. J'ai donc proposé au directeur de cabinet, gestionnaire des ressources humaines, de le recruter, ce qu'il a fait.
Monsieur le sénateur Pillet, concernant les obligations de déclaration à la Haute Autorité, il a été demandé à tous les chargés de mission de faire le nécessaire dès le lendemain de la réunion de votre commission ayant mis ce point en lumière. N'étant pas secrétaire général ou directeur de cabinet, je ne suis pas en mesure de vous dire si tout a été fait, mais les informations vous seront prochainement communiquées si vous le souhaitez.
Enfin, je n'ai pas été informé de la demande adressée au CNAPS par M. Benalla. Il l'a faite à titre personnel, sans passer par la hiérarchie. Cela ne me semble pas étonnant. Ce n'est pas parce que vous êtes habilité à diriger une société de sécurité privée que vous en dirigez une dans les faits.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Alors, à quoi ça sert, surtout pour quelqu'un, rappelons-le, qui ne s'occupe ni de sécurité ni de police ?
M. François-Xavier Lauch . - Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne puis répondre que pour ce que je connais. Effectivement, cela ne servait à rien pour ses fonctions à l'Élysée. Pour le reste, vous devrez lui poser la question.
M. François Grosdidier . - Vous nous répétez des éléments de langage et nous retrouvons les mêmes contradictions avec les déclarations des syndicats de police que vous jugez fantaisistes, mais aussi avec celles de M. Benalla. Le 27 juillet, sur TF1, il ne contestait nullement le fait qu'il s'occupait de la réorganisation du service de protection, allant même jusqu'à dire qu'il avait le ministère de l'intérieur contre lui. Vous nous dites qu'il n'avait aucun problème relationnel ; or il nous confiait - je reprends ses mots : « Je suis l'extra-terrestre de la bande et ça fait chier beaucoup de gens ». Est-il complètement paranoïaque ? Vous dites l'avoir recruté alors que le directeur de cabinet nous avait dit que c'était lui. Dans son CV, ses compétences sont exclusivement liées à la sécurité : sur quels critères l'avez-vous dès lors recruté ? Son traitement serait de 6 000 euros, a-t-on appris hier soir à la télévision, soit autant que le directeur de Médiapart et un peu plus qu'un parlementaire. Sa rémunération se limite-t-elle strictement à cela ? Ou bien a-t-il bénéficié de primes ou d'autres rémunérations qui ne seraient pas mentionnées sur ses fiches de paie ?
Mme Brigitte Lherbier . - Vous nous avez dit avoir visionné la vidéo des incidents du 1 er mai. Heureusement que cette vidéo existait : auriez-vous été informé aussi vite et aussi bien si elle n'avait pas circulé sur les réseaux sociaux ?
Mme Nathalie Delattre . - Le Sénat cherche sereinement à comprendre les dysfonctionnements de l'État pour faire des propositions et l'intéressé, qui médiatise énormément son affaire, nous donne beaucoup de matière. Sur certaines photos qui circulent, nous voyons M. Benalla assurer la sécurité de Brigitte Macron. Serait-ce une autre mission que vous n'auriez pas citée ? Fait-elle l'objet d'un autre contrat ?
M. Patrick Kanner . - Je vous remercie de reconnaître par votre présence la légitimité de notre commission. Les récents propos de votre ancien collaborateur témoignent, eux, d'une certaine forme de fougue dans son caractère. Avez-vous eu connaissance de réserves ou de remarques sur son comportement avant son licenciement ? Confirmez-vous qu'il n'était pas précurseur d'un changement de braquet dans la sécurité du Président de la République ? Pouvez-vous aussi confirmer, ou infirmer, qu'une réflexion a été engagée sur la création d'une forme de garde prétorienne autour du Président - je reconnais que le mot est un peu fort - totalement indépendante des services de la police et de la gendarmerie nationales ?
M. François-Xavier Lauch . - En tant que chef de cabinet, je n'ai jamais reçu de courrier ou été interpellé au sujet de M. Benalla, ni par des commissaires ni par des officiers ou des gardiens de la paix qui se seraient plaints de son comportement.
Qui l'a recruté ? Je dirige un service. Il me revient de proposer le recrutement ; formellement, c'est le directeur de cabinet qui y procède.
Je ne m'exprimerai pas sur le bulletin de salaire de M. Benalla qui a été rendu public, hier. Je m'étonne que de tels documents puissent se retrouver dans la presse. Quoi qu'il en soit, sa rémunération est une et unique et elle comprend les primes.
Aurais-je été informé s'il n'y avait pas eu la vidéo ? Sans faire de fiction administrative, je constate que les échanges entre le directeur de cabinet et le préfet de police sont intervenus très rapidement, voire immédiatement, ce qui atteste un bon fonctionnement républicain.
Enfin, M. Benalla est un jeune homme de 27 ans, avec ses qualités et ses défauts...
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Heureusement qu'on ne tabasse pas forcément les gens dans la rue quand on a 27 ans !
M. François-Xavier Lauch . - Cette faute professionnelle m'a choqué, je l'ai dit. Cependant, même si cela n'efface rien, ce que vous qualifiez de « fougue » a aussi inspiré beaucoup de réactivité, de précision et d'énergie dans la préparation d'autres missions.
Mme Esther Benbassa . - Pour tabasser les gens !
M. François-Xavier Lauch . - Je crois avoir dit que ce comportement répréhensible m'a choqué, et la justice est saisie.
Il n'a jamais été question de créer une garde prétorienne à l'Élysée. Quelle que soit la réforme engagée, les personnes qui s'occuperont de la sécurité du Président de la République seront toujours des policiers et des gendarmes. Il va également de soi qu'il y aura toujours un lien avec le ministère de l'intérieur, car l'organisation des déplacements du Président de la République suppose d'adjoindre les compétences d'un service de sécurité rapprochée et une gestion de l'ordre public placée sous l'autorité des préfets.
M. Philippe Bonnecarrère . - Merci pour ces explications données avec modestie, et aussi pour avoir organisé le déplacement du Président de la République en Nouvelle Calédonie, déplacement complexe et réussi.
Si on laisse de côté l'agenda du Président de la République, M. Benalla travaillait sur les conditions des déplacements présidentiels. Ces fonctions exigent de la finesse, en matière tant administrative que politique ou économique. M. Benalla s'est manifestement montré très convaincant lors de son entretien d'embauche, ce qui est tout à son honneur. Cependant, sa candidature était-elle la plus appropriée pour des fonctions qui nécessitent autant de finesse ?
M. Mathieu Darnaud . - Vous avez justifié la présence de M. Benalla lors des événements qui ont eu lieu après le 1 er mai par leur caractère singulier et exceptionnel qui vous a permis de déroger aux nouvelles missions que vous lui aviez attribuées. Y a-t-il eu d'autres missions exceptionnelles, avant le 1 er mai, justifiant que M. Benalla sorte de ses attributions ?
S'il n'y a pas de vérité officielle, il y a des faits. Les syndicats de police nous ont clairement indiqué que M. Benalla s'était immiscé dans le commandement des forces de police. N'avez-vous pas constaté ou assisté à des faits de cette nature lors des déplacements où vous avez accompagné le chef de l'État ?
Mme Catherine Troendlé . - Le profil et les compétences de M. Benalla ont été examinés à plusieurs reprises. Vous nous avez dit avoir constitué une équipe très restreinte - une task force , pour ainsi dire - et vous avez porté votre choix sur M. Benalla au vu de ses seules compétences. Quel est le profil de l'autre chargé de mission ? Dispose-t-il d'un véhicule de service comme M. Benalla ? Avez-vous déjà recruté un nouveau chargé de mission sur ce poste ? Et si oui, quel est son profil ?
M. Alain Marc . - En tant que supérieur hiérarchique de M. Benalla, vous aviez connaissance de son permis de port d'arme, et vous nous avez dit n'avoir « jamais constaté qu'il portait une arme pendant ses missions ». N'auriez-vous pas plutôt dû lui dire qu'il ne devait pas porter d'arme, plutôt que de le constater a posteriori ? Pouvez-vous nous confirmer sous serment que vous n'avez jamais reçu d'ordre de la part d'instances supérieures pour donner une certaine latitude à M. Benalla, voire le laisser accomplir des missions que vous n'auriez pas vous-même définies ?
Mme Marie Mercier . - Vous avez recruté quatre personnes dans votre chefferie de mission. Pouvez-vous nous préciser selon quelle procédure M. Strzoda a effectué ce recrutement ? Y a-t-il eu une annonce, une mise en concurrence avec d'autres candidats ou bien a-t-on procédé par cooptation ?
Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Depuis le début de cette commission d'enquête, un certain flou s'est installé au sujet des personnes dont M. Benalla prenait les ordres ou auxquelles il devait rendre des comptes. Une succession d'intervenants nous ont dit : « Ce n'était pas moi, je n'étais pas là, je n'étais pas au courant ». Une fois que vous avez eu connaissance des faits reprochés à M. Benalla, pour quel motif avez-vous considéré qu'ils ne relevaient pas de l'article 40 du code de procédure pénale ?
L'informalité dont a fait preuve l'Élysée dans sa manière de travailler, avec des missions puis des sanctions dont aucun écrit n'atteste, crée un sentiment de malaise. Le Président de la République a annoncé hier la nomination d'un directeur général des services : Cela signifie-t-il qu'il a d'ores et déjà tiré les conséquences de cette affaire en considérant que votre organisation était déficiente ?
Mme Catherine Di Folco . - Pourrions-nous connaître la qualité de la personne qui vous accompagne et que nous avons déjà vue lors d'auditions précédentes ?
M. Benalla avait-il le titre d'adjoint au chef de cabinet, comme le mentionne une carte de visite que nous avons vu circuler ? Ou bien s'agit-il d'une usurpation de fonction ?
M. Vincent Segouin . - J'imagine que depuis son licenciement M. Benalla a été remplacé. Son successeur dispose-t-il d'un permis de port d'arme, d'une voiture de fonction et d'un passeport diplomatique ?
Mme Jacky Deromedi . - En ce qui concerne le traitement de M. Benalla, parle-t-on en brut ou en net ? Les avantages en nature doivent figurer sur les fiches de paie. Pourquoi n'en a-t-on aucune trace dans le cas de M. Benalla ?
M. François-Xavier Lauch. - J'avoue qu'il va m'être compliqué de répondre à neuf interlocuteurs d'un coup. Je m'efforcerai cependant de le faire complétement et dans le temps qui m'est imparti.
Monsieur Bonnecarrère , vous avez souligné toute la finesse dont doit faire preuve selon vous un chef de cabinet ou son chargé de mission. J'y vois un hommage, et je vous en remercie. Le chef de cabinet est un chef d'orchestre. Il ne joue pas lui-même d'un instrument, il est accompagné de conseillers, de chefs de service, dont il se sert pour assumer ses missions et organiser les déplacements.
J'ai été un peu étonné, M. Darnaud, des déclarations qui ont été faites devant votre commission concernant un éventuel comportement inadapté de M. Benalla. Je connais le responsable du syndicat qui les a faites. Il aurait pu m'appeler pour m'en parler. Or je n'ai reçu aucun signalement par écrit ou par oral. Aucun policier ou gendarme n'a remonté à mon niveau un tel comportement, lequel aurait immédiatement fait l'objet de ma part d'un rappel à l'ordre.
Vous m'avez interrogé, Mme Troendlé, sur le profil d'Alexandre Benalla et sur son recrutement. Lorsque je suis arrivé à l'Élysée, j'ai constitué une équipe, soit une partie de l'orchestre. Si l'équipe est petite, il y a derrière elle de nombreux services - l'Élysée est une grande maison -, dont le travail est de grande qualité. L'équipe que j'ai constituée est diverse. Elle comptait Alexandre Benalla, mais également des sous-préfets.
Lorsqu'on souhaite constituer une équipe, on cherche des qualités et des profils différents. Il m'a semblé à l'époque que M. Benalla avait quelques qualités. Il faut faire marcher la méritocratie dans notre pays et ne pas retenir que des sous-préfets ou des profils habituels. Cela permet parfois des approches un peu nouvelles dans la préparation des déplacements.
Une question très précise a été posée par M. Marc sur les ordres qui auraient été donnés directement à M. Benalla sans passer par son supérieur hiérarchique pour exercer des missions que moi-même je n'aurais pas acceptées. Je suis désolé, mais ce n'est pas ainsi que fonctionne l'Élysée. J'assume tout ce que j'ai fait en tant que chef de cabinet. J'ai dit ce que je pensais de l'acte fautif et personnel de M. Benalla.
J'en viens à la question de Mme Mercier sur la procédure de recrutement. Quand on recrute des collaborateurs de cabinet, on recherche des profils. Je vous ai expliqué comment avaient été recrutés M. Benalla et mes autres collaborateurs sous-préfets. Je me suis rapproché de leur administration d'origine pour trouver les profils que je considérais les meilleurs et les plus adéquats.
Il a également été question, pour Mme de la Gontrie, d'un flou dans les instructions qui ont pu être données. Je ne fais que vous dire le contraire. Je vous ai présenté l'organisation de la chefferie de cabinet de l'Élysée, elle est parfaitement claire : elle comprend des chefs de cabinet qui gèrent un agenda et organisent les visites, un directeur de cabinet qui est responsable des ressources humaines, et un secrétaire général, qui organise les politiques publiques.
La réforme qui est à l'oeuvre à l'Élysée a été lancée bien avant les faits du 1 er mai - une réflexion profonde est en cours depuis un an et trois mois -, mais ces derniers vont vraisemblablement l'accélérer.
Je me suis largement exprimé sur l'article 40 du code de procédure pénale. Dès lors que les faits étaient pris en compte à Paris par des personnes à proximité des faits, disposant de tous les éléments pour juger, et alors qu'elles n'avaient pas souhaité faire de signalement au procureur de la République - M. Patrick Strzoda s'est exprimé assez largement sur ce point -, il ne revenait pas au chef de cabinet, qui était à l'autre bout de la planète, en Nouvelle-Calédonie, qui n'avait aucun élément de jugement, de procéder à un tel signalement. Il m'est arrivé de faire des signalements au titre de l'article 40, mais, pour le coup, je n'étais absolument pas en position de le faire là où je me trouvais à ce moment-là.
M. Philippe Bas , président . - Plusieurs collègues m'ont signalé n'avoir pas obtenu de réponse à leur question. Vous êtes excusable, car, comme vous l'avez rappelé, neuf questions vous ont été posées.
Mme Delattre vous a interrogé sur l'organisation des déplacements de l'épouse du chef de l'État et sur le rôle qu'aurait pu jouer M. Benalla.
Mme Troendlé vous a interrogé sur son remplacement et sur le profil de la personne qui le remplacerait, sur ses attributions et sur un éventuel permis de port d'arme. Elle vous a également demandé de rappeler le profil de l'autre chargé de mission, une sous-préfète, je crois.
M. François-Xavier Lauch . - L'autre chargé de mission est bien une sous-préfète. J'ai un adjoint, qui a été sous-préfet et qui est administrateur civil. J'ai également une autre chargée de mission, qui a été sous-préfète et qui est administratrice civile. Il n'y a pas de remplaçant pour l'instant en raison de l'intense mouvement de réorganisation de l'Élysée. La chefferie de cabinet, comme tous les services de l'Élysée, est prise en compte dans ce mouvement de réflexion.
Quant à Mme Macron, elle a, via le GSPR, une équipe de sécurité rapprochée, comme en ont eu toutes les épouses ou compagnes de chef de l'État. M. Benalla n'avait aucune fonction en la matière, sauf lorsque Mme Macron accompagne le Président de la République lors d'un déplacement non officiel, et de la manière que j'ai expliquée tout à l'heure.
M. Philippe Bas , président . - Il vous avait aussi été demandé de nous présenter la collaboratrice qui vous accompagne...
M. François-Xavier Lauch . - Il s'agit de Mme Rebecca Peres, conseillère parlementaire au cabinet du Président de la République.
M. Philippe Bas , président . - Je vous remercie.
Audition du Général Éric Bio Farina,
commandant
militaire de la présidence de la
République
(Mercredi 12 septembre 2018)
M. Philippe Bas, président . - Nous accueillons le général Éric Bio Farina, commandant militaire de la présidence de la République.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Éric Bio Farina prête serment.
Mon général, vous avez la parole pour une brève intervention liminaire, afin de nous expliquer quelle est votre fonction et comment elle s'articule avec le groupe de sécurité de la présidence de la République.
Général Éric Bio Farina, commandant militaire de la présidence de la République . - Je tiens d'abord à saluer la représentation nationale.
Je vous rappellerai en quelques mots quelles sont mes fonctions, que j'occupe, à peu près dans le même périmètre, depuis mai 2012. Elles consistent à assurer la sécurité de la présidence de la République dans tous ses aspects, au-delà de la simple sécurité physique du Président lui-même. Le périmètre de mes fonctions s'étend de la sécurité des moyens mobiles à la sécurité physique des emprises présidentielles, jusqu'à la protection physique du Président de la République dès lors qu'il séjourne dans une enceinte présidentielle.
M. Philippe Bas, président . - Comment s'articulent la mission du commandement militaire du Palais et celle du groupe de sécurité de la présidence de la République ?
Général Éric Bio Farina . - J'ai été satisfait de constater que le rapport parlementaire sur la sécurité qui a été récemment remis reprenait un concept que j'avais énoncé lors de mon audition à l'Assemblée nationale, celui du continuum de sécurité. Entre le commandement militaire et le GSPR, il y a un lien de continuité dans la mise en oeuvre des procédures visant à assurer la sécurité du Président de la République. Cette continuité n'est jamais évidente, car, qu'on le veuille ou non, il y a une rupture à la fois physique et conceptuelle dans la doctrine de sécurité à partir du moment où le Président passe d'un lieu protégé de la présidence de la République à un lieu qui ne l'est pas, c'est-à-dire l'extérieur de la présidence.
Le GSPR s'occupe de la protection du Président de la République dès lors qu'il n'est pas dans une enceinte présidentielle. Il faut donc en permanence créer un lien entre le moment où le Président est chez lui et celui où il en sort. Tous les rapports entre le GSPR et le commandement militaire tiennent à la pérennité de ce lien, en permanence, 24 heures sur 24. Je précise que, évidemment, les résidences présidentielles ne se résument pas à l'hôtel d'Évreux. Cette continuité doit s'exercer dans une pluralité de lieux.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur . - M. Vincent Crase aurait été employé de manière régulière en tant que réserviste au sein de votre commandement militaire. Comment a-t-il été recruté ? Quelles étaient ses missions au sein de votre équipe?
Général Éric Bio Farina . - Vincent Crase est employé dans la réserve opérationnelle de la gendarmerie nationale depuis plusieurs années, six ou sept ans, je crois. Au départ, il servait en tant qu'officier de la réserve opérationnelle du groupement de gendarmerie départementale de l'Eure. Il m'a été suggéré par M. Benalla, à l'époque où je souhaitais créer une cellule de réservistes au sein de la présidence de la République, d'une part, parce que la réserve opérationnelle est un moyen assez performant en gendarmerie, les gens étant très bien formés, d'autre part, parce que c'était aussi le souhait du Président de faire en sorte que la réserve opérationnelle, ces citoyens qui s'engagent au service d'une cause patriotique, nationale, puisse servir au plus haut niveau de l'État.
J'avais donc décidé de créer une cellule de réserve pour la présidence de la République. Son volume était bien sûr destiné à rester très restreint ; il ne devait pas dépasser la vingtaine de réservistes.
Lorsque j'ai évoqué ce projet avec M. Benalla, il m'a suggéré le profil de Vincent Crase, qu'il connaissait et dont le parcours dans la réserve opérationnelle de la gendarmerie apparaissait exemplaire. Fort de ces garanties, j'ai recruté M. Crase, dont les fonctions, comme officier supérieur de gendarmerie, consistaient à gérer l'équipe de réservistes en cours de constitution, soit, concrètement, à planifier les convocations - tâche délicate considérant qu'il convient d'articuler lesdites convocations avec les contraintes professionnelles des réservistes - et à assurer la surveillance et le contrôle de la cellule.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur . - Vous avez indiqué, devant la commission des lois de l'Assemblée nationale, que M. Crase n'était pas mobilisé en tant que réserviste le 1er mai dernier. Or ce dernier a qualifié, dans la presse, de souple la définition de ses missions de réserviste à l'Élysée. Évoquant les événements du 1er mai, il a ainsi déclaré : « Il m'arrive souvent de réaliser des missions, qui sont régularisées quelques jours plus tard pour les faire passer comme journée de réserve. Pour moi, c'était une mission comme une autre et je n'ai pas outrepassé mes fonctions, je n'ai pas été violent, j'ai fait le travail que je fais habituellement. » La régularisation a posteriori de jours de réserve pris sur une initiative personnelle est-elle couramment pratiquée au sein du commandement militaire ? Cela nous semblerait pour le moins surprenant... Par ailleurs, M. Crase, invité par Alexandre Benalla à l'accompagner à la manifestation du 1er mai, aurait-il pu légitimement considérer qu'il effectuait là une mission de réserviste pour l'Élysée même s'il n'avait pas, comme vous l'avez indiqué, officiellement été mobilisé ?
Général Éric Bio Farina . - Je ne souhaite nullement commenter la stratégie de défense de M. Crase, dont je comprends néanmoins les objectifs, d'autant que les raisons de sa présence à la manifestation du 1 er mai et l'armement dont il était alors équipé font l'objet d'une enquête judiciaire, qu'il ne m'appartient pas d'évoquer.
M. Philippe Bas, président . - Enquête sur laquelle nous ne vous interrogeons pas, car elle n'est pas du ressort de notre commission...
Général Éric Bio Farina . - Nous avons à cet égard fourni à l'autorité judiciaire la preuve que M. Crase n'était pas mobilisé par la présidence de la République le 1 er mai pour une quelconque mission place de la Contrescarpe. Qu'aurait-il d'ailleurs fait hors du Palais de l'Élysée à la demande du commandement militaire ? Du maintien de l'ordre ? Il reviendra à la justice de trancher... Le commandement militaire ne mobilise par ses réservistes aléatoirement pour des missions pour lesquelles ils n'auraient pas été recrutés, mais selon des procédures officielles de convocation.
M. Philippe Bas, président . - Combien de réservistes compte l'équipe que vous avez créée à la présidence de la République ?
Général Éric Bio Farina . - Sur un objectif initial de vingt, quatorze réservistes ont été recrutés.
M. Philippe Bas, président . - Aucun n'est, à votre connaissance, salarié d'un parti politique ?
Général Éric Bio Farina . - Non, après vérification, aucun.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur . - D'après de nombreux témoignages et selon les propos tenus devant notre commission par le chef de cabinet de la présidence de la République, une réflexion - d'ailleurs légitime - serait en cours s'agissant des conditions d'exercice de la sécurité du Palais de l'Élysée impliquant une éventuelle fusion entre le commandement militaire et le groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR). Une cellule de réflexion aurait été chargée de préparer cette réforme, ainsi que l'a évoqué Alexandre Benalla dans Le Monde et Le Journal du Dimanche . Confirmez-vous l'existence d'une telle instance ? Était-elle placée sous votre autorité et sous celle du GSPR ? M. Benalla y participait-il ? Quel y était, le cas échéant, son rôle exact ? M. Benalla a également fait état, s'agissant de ce projet de réforme, de tensions avec le ministère de l'intérieur. Est-ce, à votre connaissance, exact ? Comment expliquer une telle opposition ? Depuis les débuts de la V e République, les personnels chargés de la protection du Président de la République relèvent du ministère de la défense ou du ministère de l'intérieur.
Général Éric Bio Farina . - Il existe effectivement un projet d'amélioration du dispositif de sécurité de la présidence de la République, reposant, comme M. Strzoda et moi-même l'avons indiqué lors de précédentes auditions, sur le principe de continuum de sécurité et lancé sous l'impulsion du Président de la République et de son directeur de cabinet. J'en ai personnellement piloté la phase conceptuelle, pendant laquelle ont été définis les éléments de doctrine relatifs au continuum de sécurité, afin d'en assurer la cohérence. Selon une méthode de travail validée par le directeur de cabinet du Président de la République, un comité de pilotage de conception, composé d'un nombre restreint de personnes, a été installé pour valider les lignes directrices du concept. Puis des groupes de travail interservices ont été mis en place sur différentes thématiques, notamment les questions de mutualisation et de convergence des moyens, au sein de l'Élysée. Leurs travaux, lancés en janvier dernier, sont désormais bien avancés.
M. Benalla participait, pour sa part, à certains des groupes de travail susmentionnés en tant que représentant de la chefferie de cabinet de la présidence de la République. Il jouait, en effet, un rôle charnière des plus intéressants entre le GSPR et le commandement militaire et connaissait, comme responsable de la sécurité du candidat Emmanuel Macron pendant la campagne électorale, l'approche du Président de la République s'agissant de sa sécurité personnelle. De fait, il est inenvisageable, en France, d'imposer un carcan sécuritaire au Président sans tenir compte de sa sensibilité en la matière.
Mme Muriel Jourda, rapporteur . - Vous qualifiez la mission d'Alexandre Benalla d'interface, en matière de sécurité, entre l'intérieur des espaces présidentiels et l'extérieur. M. Lauch, quant à lui, a évoqué son rôle de coordonnateur des services de sécurité de la présidence de la République, ce qui ne me semble guère éloigné de votre définition. Comment cette mission se traduisait-elle concrètement ?
Général Éric Bio Farina . - Il m'apparaît toujours difficile d'entrer dans le détail des procédures... Compte tenu du caractère sensible, au départ comme à l'arrivée, des déplacements présidentiels, il est nécessaire de disposer d'une interface entre l'intérieur et l'extérieur, afin d'obtenir des renseignements précis et fiables sur l'ambiance des lieux où prévoit de se rendre le Président de la République. Cette mission était celle de M. Benalla, qui s'en acquittait avec beaucoup de conscience et un appréciable sens de l'anticipation qui, à de nombreuses reprises, ont été utiles aux services de sécurité.
Mme Muriel Jourda, rapporteur . - Vos propos relèvent pour moi davantage du concept que de la réalité... Plus concrètement, Alexandre Benalla était-il amené, dans le cadre de ses missions, à donner des ordres à ses interlocuteurs ?
Général Éric Bio Farina . - Aucunement, puisqu'il n'en avait ni les moyens fonctionnels ni la capacité hiérarchique. Son rôle se limitait à transmettre des renseignements sur l'ambiance et le contexte des destinations de déplacement du Président de la République, à charge, pour le GSPR et le commandement militaire, d'intégrer ces éléments dans leurs plans de sécurité. M. Benalla n'était du reste pas le seul à nous fournir de telles informations.
Mme Muriel Jourda . - Les syndicats de policiers ont fait état devant notre commission de frottements intervenus entre M. Benalla et les services de sécurité de la présidence de la République. À quels moments des incidents pouvaient-ils se produire ?
Général Éric Bio Farina . - Vous faites, madame le rapporteur, davantage appel à mon imagination qu'à mes connaissances car je n'ai jamais assisté à de tels frottements, qui, par ailleurs, ne m'ont aucunement été relatés. Peut-être des divergences d'opinion se sont-elles manifestées sur le terrain ? Quoi qu'il en soit, le commandement militaire n'y était pas impliqué.
M. Philippe Bas, président . - Vous ne pouvez répondre que des faits dont vous avez eu connaissance, mais nous avons été frappés que M. Benalla lui-même admette l'existence de tensions. Vous dites n'avoir rien perçu de tel ?
Général Éric Bio Farina . - Effectivement.
Mme Muriel Jourda, rapporteur . - M. Benalla a-t-il conseillé ou appuyé d'autres recrutements que celui de M. Crase ?
Général Éric Bio Farina . - M. Crase m'a été présenté par M. Benalla. Son profil offrait à l'époque toutes les garanties nécessaires et suffisantes pour pouvoir servir au sein de la présidence de la République. M. Benalla ne m'a pas présenté d'autres personnes.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur . - Selon M. Benalla, le projet de réforme du dispositif de sécurité de l'Élysée suscitait une opposition de la part du ministère de l'intérieur. Est-ce exact ?
Général Éric Bio Farina . - Nous n'avions pas encore réellement commencé la phase des relations interministérielles. Dans le diagramme de programmation de la création et de la montée en puissance de la direction de la sécurité de la présidence de la République (DSPR), tous les groupes de travail ne devaient pas être activés au même moment. Le groupe de travail interministériel devrait être activé d'ici à quelques jours, car il semblait préférable de mûrir la réflexion en interne avant de présenter le projet au ministère de l'intérieur. Je veux bien croire qu'il y ait eu des oppositions doctrinales au sein du ministère de l'intérieur, mais je sais aussi que de nombreuses personnes y sont favorables puisque la création d'une telle structure répond à un réel besoin de sécurité. La création de cette direction ne portera en rien atteinte aux prérogatives du ministère de l'intérieur ni à sa présence future dans le cadre de la protection du Président de la République.
M. François Pillet . - Lors de son audition, le colonel Lavergne, nommé depuis général, chef du groupe de sécurité de la présidence de la République, a indiqué qu'il ne savait pas si des armes pouvaient être portées par des agents au sein de l'Élysée, hors bien sûr celles détenues par les gendarmes et les policiers qui sont sous ses ordres. Êtes-vous dans la même situation ?
Général Éric Bio Farina . - Si un agent a un permis de port d'arme à titre privé - par exemple, s'il pratique le tir sportif -, la présidence de la République n'en est à l'heure actuelle pas informée.
Autre question plus sensible : les agents détenteurs à titre privé d'un permis de port d'arme peuvent-ils utiliser leur arme dans le cadre des missions qui leurs sont confiées au sein de la présidence ? La réponse est non. Il existe évidemment un contrôle, ne serait-ce que visuel.
Quoi qu'il en soit, ma réponse rejoint donc celle du général Lavergne.
M. Philippe Bas, président . - Les citoyens que nous sommes et ceux que nous représentons sont étonnés d'apprendre qu'un collaborateur de la présidence de la République ayant un permis de port d'arme à titre privé puisse entrer avec son arme dans l'enceinte de l'Élysée. Il devrait y avoir des règles. Puisque vous êtes chargé de la sécurité du Palais, il serait utile que vous soyez informé de toute présence d'arme à l'Élysée, quel que soit le collaborateur qui l'y amène.
La question de François Pillet en comportait une autre : saviez-vous que M. Benalla avait un permis de port d'arme et en quoi ce permis était-il utile à l'exercice de sa fonction au sein de l'Élysée ?
Général Éric Bio Farina . - Le besoin de connaître d'un éventuel permis de port d'arme à titre privé doit a minima toujours reposer sur la notion de sécurité. Je ne pense pas qu'Alexandre Benalla représentait une menace pour la Présidence de la République.
M. Philippe Bas, président . - La question était d'ordre général, d'autant que M. Benalla avait un permis professionnel. Mais est-il normal qu'un individu ayant un permis de port d'arme à titre privé puisse entrer avec son arme à l'Élysée sans que vous le sachiez ? Quant à M. Benalla ou aux autres collaborateurs qui auraient un permis de port d'arme professionnel, le port de leur arme à l'Élysée est-il justifié par leur fonction ?
Général Éric Bio Farina . - M. Benalla a un permis professionnel. Il peut donc porter son arme, y compris dans l'enceinte de l'Élysée. Mais si une personne a un permis de port d'arme à titre privé, elle n'entre pas. Le système de contrôle se met en branle et elle est refoulée.
M. Philippe Bas, président . - Y compris si l'arme est dans le coffre d'une voiture ?
Général Éric Bio Farina . - Non...
M. Philippe Bas, président . - Le permis de port d'arme professionnel de M. Benalla était-il justifié par sa fonction telle que vous nous l'avez vous-même décrite ?
Général Éric Bio Farina . - Je n'ai pas assisté à l'audition du chef de cabinet. Seul lui est en mesure d'apprécier si Alexandre Benalla devait ou non porter son arme dans le cadre de ses missions. Portait-il d'ailleurs son arme dans le cadre des missions à l'extérieur ? Personnellement, je ne l'ai jamais vu.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Vous avez dit le contraire !
M. Pierre Charon . - Il en avait peut-être une dans le coffre de sa voiture...
Général Éric Bio Farina . - Dans les missions extérieures, je ne croisais jamais Alexandre Benalla ; ce n'était pas mon champ de compétences. Je ne l'ai donc pas vu avec une arme à l'extérieur.
M. Philippe Bas, président . - Et à l'intérieur ?
Général Éric Bio Farina . - Il me semble effectivement l'avoir vu avec une arme au retour d'une séance de tir.
M. Pierre Charon . - De tir aux pigeons !
Mme Esther Benbassa . - Comment expliquer que M. Alain Gibelin ait omis de parler du déjeuner du 25 avril entre vous, lui et M. Benalla, au cours duquel M. Gibelin et M. Benalla auraient discuté des équipements qui seraient remis à M. Benalla pour le 1 er mai ? Cette information est-elle exacte ?
Général Éric Bio Farina . - Il semble que nous ayons là quelques divergences, voire des points de contradiction mémorielle. Je ne peux pas dire autre chose que ce que j'ai déjà affirmé devant la commission de l'Assemblée nationale. Ce repas, pour moi, n'avait pas un caractère d'exception et je n'en ai pas retenu tous les détails. Je me souviens seulement que la manifestation du 1er mai a bien été évoquée.
Mme Esther Benbassa . - Pourquoi M. Gibelin a-t-il omis de parler de ce repas ? Il y a un problème...
Général Éric Bio Farina . - Ce repas a bien eu lieu. Il doit même y en avoir une trace à l'intendance de la présidence de la République. D'ailleurs, je ne suis pas certain qu'Alain Gibelin ait affirmé que ce repas n'avait pas eu lieu...
M. François Grosdidier . - Ma première question porte sur les réservistes à la présidence de la République. Je pensais que la protection du chef de l'État était réservée à nos forces d'élite. Pourriez-vous nous en dire plus ? Le choix des réservistes est-il seulement le fait des gendarmes ? Vous avez reconnu que l'on pouvait recommander les réservistes et donc les désigner sur affinité politique. Cela ne me paraît pas très professionnel. Y a-t-il également des réservistes au GIGN ou au RAID ?
Deuxièmement, on nous dit que M. Benalla avait une arme, mais pas pour les déplacements officiels. En portait-il une lors des déplacements privés, lorsqu'il entrait et sortait avec le Président de la République ?
Général Éric Bio Farina . - Monsieur le sénateur, vous n'êtes pas très amène sur la qualité professionnelle de nos réservistes opérationnels dans la gendarmerie. Il ne s'agit certes pas d'une troupe d'élite au sens où on l'entend généralement, mais il n'en demeure pas moins que sans elle les forces armées ne pourraient pas exercer leurs missions sur le territoire national et ailleurs.
À l'Élysée, la cellule de réserve opérationnelle a une vocation symbolique. Il s'agit de montrer qu'un citoyen bien formé, bien encadré, peut servir au plus haut niveau de l'État. Par ailleurs, la formation dispensée par la gendarmerie est très poussée. Elle s'adosse sur des compétences que les réservistes doivent avoir. De surcroît, à la présidence de la République, le rôle des réservistes était centré sur le contrôle des entrées. Ces réservistes n'étaient jamais seuls. Ils étaient toujours au moins trinômés avec deux gardes d'expérience. Grâce à de telles mesures complémentaires, cette force était parfaitement compétente pour remplir ses missions d'accueil.
Je ne sais pas si Alexandre Benalla accompagnait armé ou non les déplacements privés du Président de la République. En tout état de cause, lorsque le Président de la République se déplace, il le fait avec son équipe, laquelle est constituée de gendarmes ou de policiers, y compris pour les déplacements privés.
M. Philippe Bas, président . - Ce n'est pas vous qui les assurez...
Général Éric Bio Farina . - Non, mais je suis certain de ce que j'avance.
M. Philippe Bas, président . - Mes chers collègues, pour tenir notre horaire, je vous demande à présent de regrouper vos questions.
M. Pierre-Yves Collombat . - Plus on avance, plus on est dans le brouillard s'agissant de l'organisation de la sécurité. Vous avez insisté sur la continuité. M. Benalla est-il un élément de continuité ? On a appris qu'il intervenait lors des déplacements privés du Président de la République et que ce n'était pas pareil pour les déplacements publics. Or, là, vous reconnaissez qu'il donnait des éléments d'ambiance, c'est-à-dire qu'il faisait du renseignement. Sur le plan technique, ne vaudrait-il pas mieux faire appel à un service officiel plutôt que de confier cette mission à une personne dont on ne connaît pas les compétences exactes et dont on sait seulement qu'elle est très enthousiaste ?
M. Alain Richard . - Général, pouvez-vous nous préciser les règles légales d'affectation au commandement militaire ? Ces mécanismes reposent-ils sur une candidature du gendarme ? Quelles sont les conditions professionnelles requises ? Tous les gendarmes proviennent-ils des régiments de la garde ? Faut-il de l'ancienneté ? Les candidats sont-ils soumis à des tests professionnels spécifiques ? Quelle est la durée de cette affectation ? Celle-ci est-elle objective ou y a-t-il une part d'initiatives individuelles ?
Pour finir, tous les débats sur l'autorisation de port d'arme seront simplifiés lorsque nous aurons vu la demande d'autorisation de port d'arme présentée à la préfecture de police. Cette demande a-t-elle été faite ? Que nous dit la préfecture de police ?
M. Philippe Bas, président . - Oui, cher collègue, la demande a bien été faite. Nous n'avons pas obtenu satisfaction pour l'instant - nous avons hâte que ce soit le cas...
Mme Brigitte Lherbier . - Les éléments d'ambiance dont vous nous avez parlé tout à l'heure sont-ils des renseignements et, si oui, de quel type ? De nombreux services peuvent renseigner sur l'ambiance locale lorsqu'il y a un déplacement, aussi recourir à une tierce personne peut-il sembler bizarre.
Le fait que la sécurité du Président de la République dépende à la fois du GSPR et du commandement militaire a-t-il déjà, par le passé, créé des conflits entre ces deux entités ?
M. Jacques Bigot . - Vous avez dit avoir parlé à M. Benalla de l'organisation en cours d'une cellule de réservistes. Mais puisque la sécurité du Président de la République ne faisait pas partie de ses missions, ainsi que l'a expliqué le chef de cabinet tout à l'heure, à quel titre l'avez-vous fait ?
Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Général, j'ai réagi vivement tout à l'heure lorsque vous avez dit n'avoir pas constaté physiquement le port d'arme de M. Benalla sauf peut-être une fois de retour d'une séance d'entraînement, car vous avez dit l'inverse devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale le 25 juillet dernier à neuf heures et demie du matin : « Commençons par M. Benalla. Je l'ai vu porter une arme, bien sûr, dans le cadre de certaines de ses missions », tout en précisant que cette arme ne provenait pas du commandement militaire. Je ne souhaite nullement vous mettre en difficulté, simplement savoir dans quelles circonstances M. Benalla, dont notre commission peine à comprendre les missions réelles, portait une arme. Était-il, oui ou non, chargé de la sécurité du Président de la République ?
Mme Marie Mercier . - Général, vous exercez cette mission depuis mai 2012, vous avez donc une grande expérience. Vous nous avez dit qu'il était important que quelqu'un joue le rôle d'interface entre l'intérieur et l'extérieur : était-ce le cas avant M. Benalla ?
Connaissiez-vous M. Benalla avant qu'il soit recruté par M. Strzoda ?
Général Éric Bio Farina . - Je regrette que le brouillard persiste autour des objectifs de la sécurité de la présidence... Dire que nous travaillons à améliorer le continuum de sécurité me semble éclaircir le sujet. Reste une incompréhension : je n'ai jamais dit que M. Benalla était l'unique capteur permettant de couvrir, en matière de renseignement, cette zone sensible entre l'intérieur et l'extérieur. Il s'insérait dans tout un ensemble de capteurs, dont l'analyse nous permet, au général Lavergne et à moi-même, de prendre des décisions opérationnelles.
M. Pierre-Yves Collombat . - Cela fait beaucoup de monde !
Général Éric Bio Farina . - Je ne vous ferai pas l'affront d'enfoncer des portes ouvertes : le renseignement repose sur une pluralité de capteurs, sur une pluralité de renseignements qu'il appartient aux différents échelons de traiter et d'exploiter. On ne fait pas grand-chose avec un renseignement, on fait un peu mieux avec deux renseignements, et ainsi de suite.
Oui, les règles d'affectation au commandement militaire existent, et elles sont plus qu'objectives : elles sont normées. Le commandement militaire dispose d'une compagnie du premier régiment d'infanterie de la garde républicaine, la compagnie de sécurité de la présidence de la République, à partir de laquelle il organise la sécurité de la présidence. Au sein de cette compagnie, certaines équipes ont des missions particulières qui nécessitent une sélection, un entraînement et des compétences singulières, qui leur sont données dans un cadre parfaitement normé, soit au sein de la garde républicaine, soit en interne au sein du commandement militaire. Ces affectations se font au titre de mutations dont la durée est variable, comme l'est la durée de toute mutation dans les armées. Pour certaines fonctions nécessitant une stratification de compétences importante, la mutation peut-être plus longue qu'à l'accoutumée, car nous avons besoin de compétences rares.
Je le redis : M. Benalla s'insérait dans la zone d'interface - de coordination, comme l'a dit le chef de cabinet - entre le commandement militaire et le GSPR, dans un univers du renseignement plus vaste, dont il n'était qu'une partie.
Il n'y a jamais eu de conflits, depuis 2012 à tout le moins, entre le commandement militaire et le GSPR. Depuis mon arrivée en 2012, ce dernier a été commandé par le contrôleur général Sophie Hatt, puis par le général Lavergne. Il ne peut pas y avoir de conflit entre le GSPR et le commandement militaire, sinon nous serions dans les légions romaines de l'époque consulaire, avec un nouveau consul chaque jour... et ça se terminerait par la bataille de Cannes ! Non, il ne peut y avoir de conflits entre les deux forces qui concourent à la sécurité du Président. Il n'y a pas de place pour le conflit, les égos, les ambitions, encore moins pour les ambitieux. Il n'y a de place que pour le service suprême de la sécurité du Président de la République. Qu'il y ait parfois, en revanche, des prises de bec, des divergences d'opinion, évidemment. Et heureusement, car les échanges de points de vue contradictoires sont vertueux. Mais les conflits ne peuvent pas exister.
S'agissant de M. Crase, c'est lors d'une discussion à bâtons rompus que j'ai eue avec M. Benalla, ayant trait nécessairement à des questions de sécurité, qu'il m'a suggéré son profil, en pure opportunité.
Oui, j'ai vu Alexandre Benalla porter une arme, je ne renie
pas ce que j'ai dit à l'Assemblée nationale. Ce qui me revient,
c'est que je l'ai vu porter une arme de retour d'une séance de tir : il
me l'avait alors montrée
- physiquement, pour ainsi dire.
Oui, la fonction d'interface exercée par M. Benalla existait déjà. Alexandre Benalla s'est intégré parmi tous les capteurs dont nous disposons en amont et en aval d'une mission extérieure du Président de la République, qui sont recueillis par tous les services qui concourent à la sécurité : préfecture de police, DGSI, et d'autres. Le GSPR, évidemment, a ses chefs de mission ou ses officiers de liaison permettant de remplir cette fonction. M. Benalla semblait sanctuarisé dans ce rôle, qu'il jouait de manière plus systématique.
Mme Marie Mercier . - Vous ne m'avez pas répondu : le connaissiez-vous ?
Général Éric Bio Farina . - Non, je ne l'avais jamais vu avant mai 2017.
M. Philippe Bas, président . - Nous vous remercions.
Audition de M. Maxence Creusat,
commissaire de police
à la direction de l'ordre public et de la
circulation
de la préfecture de police de
Paris
(Mercredi 12 septembre 2018)
M. Philippe Bas , président . - Nous auditionnons à présent M. Maxence Creusat. Commissaire de police affecté à la direction de l'ordre public et de la circulation de la préfecture de police de Paris, M. Creusat a été à ce titre en contact avec M. Benalla, dont nous essayons de mieux comprendre le rôle, et l'articulation avec d'autres services de l'État. Je précise à mes collègues que M. Creusat a été mis en examen pour des faits relatifs à l'obtention et à la communication à M. Benalla d'enregistrements vidéo au mois de juillet dernier.
Je rappelle les règles, car je veux que les choses soient parfaitement claires : les missions d'une commission d'enquête et les missions de la justice sont parfaitement distinctes. Non seulement nous ne nous intéressons pas aux faits qui font l'objet d'enquêtes judiciaires, mais nous nous interdisons de poser toute question ayant trait à ces faits, car il s'agit de préserver, le cas échéant, les moyens de défense devant un tribunal de la personne que nous auditionnons. Notre mission, que la justice ne pourrait pas remplir, est d'assurer la fonction de contrôle du Parlement à l'égard des administrations, fonction qui prend sa source dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et est régie par une ordonnance du 17 novembre 1958 prise en application de la Constitution de 1958. Cette mission nous conduira à analyser le fonctionnement de services publics, et le cas échéant à faire des propositions pour améliorer le fonctionnement de l'État. Nous n'avons en revanche pas vocation - nous ne le pourrions d'ailleurs pas, car nous n'avons pas les moyens d'un juge d'instruction ou d'un procureur de la République - à nous intéresser à des faits qui pourraient donner lieu à des poursuites judiciaires. Je sais que mes collègues auront à coeur de respecter ces règles ; président de la commission des lois, j'en serai le garant.
M. Creusat, pourriez-vous à titre introductif nous décrire vos fonctions, les relations que vous pouviez avoir avec la présidence de la République et en particulier avec M. Benalla dans l'exercice de ses fonctions, et nous expliquer comment vous avez été amené, si c'est bien le cas, à organiser sa participation en qualité d'observateur à une opération de maintien de l'ordre en marge des manifestations du 1 er mai ?
Je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Maxence Creusat prête serment.
M. Maxence Creusat, commissaire de police à la direction de l'ordre public et de la circulation de la préfecture de police de Paris . - Entré à l'École nationale supérieure de la police en septembre 2011, j'ai été titularisé commissaire de police à Nantes en 2013, puis j'ai rejoint la direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC), le 3 janvier 2016. Comme tout commissaire de police de la DOPC, j'ai deux casquettes : celle d'autorité civile et celle de chef de service.
Au titre de ma casquette de chef de service, j'ai autorité sur certaines unités de l'état-major de la DOPC, dont la cellule Synapse, chargée de produire des analyses tactiques, techniques et juridiques sur toute problématique d'ordre public à partir des images et des informations disponibles. Cette cellule assure également la veille en temps réel sur les réseaux sociaux, ainsi que les Retex, c'est-à-dire les débriefings opérationnels.
Au titre de ma casquette d'autorité civile, je participe à l'encadrement, à la sécurisation et à la gestion de l'ordre public lors des manifestations festives, sportives, revendicatives, ainsi que des déplacements du Président de la République dans l'agglomération parisienne. Dans le jargon, c'est le Mosovo : « Maintien de l'ordre, service d'ordre et voyage officiel. » Les déplacements du Président de la République constituent moins de 15 % de mon activité en la matière. En tant qu'autorité civile sur ces services présidentiels, j'exécute ce qui figure dans une note de service et les instructions de ma salle de commandement, en mettant en musique un certain nombre de mesures de police prévues : par exemple, neutralisation de la circulation pédestre sur un trottoir ou mise en place de points de préfiltrage. Je ne conçois pas le service d'ordre que j'exécute. Sa conception relève d'un échelon supérieur, commissaire divisionnaire, voire contrôleur général.
Dans le cadre de ces déplacements prévus par notes de service, je peux avoir des contacts sur le terrain avec les services de l'Élysée, comme la chefferie du cabinet, le groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR), voire le commandement militaire. Hors les faits du 1 er mai 2018, j'ai rencontré l'ancien adjoint au chef de cabinet du Président de la République, M. Benalla Alexandre, une dizaine de fois. Ces services n'ont pas soulevé de difficultés particulières. Pour moi, autorité civile à la direction de l'ordre public et de la circulation, M. Benalla était l'adjoint au chef de cabinet du Président de la République. Il était en charge de l'organisation et de la coordination des services sur les déplacements du Président, sur plusieurs aspects, comme la sécurité générale et le protocole. Il exprimait les demandes de la présidence de la République.
Je n'entretiens que des relations strictement professionnelles avec M. Benalla. Je ne l'ai jamais vu en dehors d'un dispositif de service d'ordre prévu par note de service. Nous nous vouvoyons. Je n'ai pas son numéro de téléphone et je n'ai aucune relation de copinage ou d'amitié avec lui.
Comme vous l'avez rappelé, monsieur le président, je ne pourrai pas répondre aux questions portant sur les faits du 18 juillet, pour lesquels je suis mis en examen. J'estime n'avoir commis dans cette affaire aucune faute de nature pénale et je me considère comme un fonctionnaire de police loyal, honnête et intègre.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Vous indiquez avoir rencontré M. Benalla une dizaine de fois : s'agit-il bien du nombre total de vos rencontres ? Vous dites qu'il avait un rôle de coordination de la sécurité et du protocole. En quoi cela consistait-il précisément ? Nous n'arrivons pas à avoir des explications suffisamment précises sur la réalité de la fonction de M. Benalla.
M. Maxence Creusat . - J'ai rencontré M. Benalla une dizaine de fois sur des services d'ordre liés à des déplacements de la présidence de la République, hors les faits du 1 er mai. La DOPC compte quinze autorités civiles, dont l'une est de permanence lors de chaque déplacement du Président de la République. C'est dans ce cadre que je l'ai rencontré.
Sur le périmètre de compétences de M. Benalla, je vous donnerai ma vision d'autorité civile de la préfecture de police de Paris. Il avait la charge, comme les autres membres de la chefferie de cabinet, dont M. Lauch, d'être sur place lors d'un déplacement du Président de la République, d'organiser et de faire la coordination entre tous les services qui interviennent et qui relèvent de différentes autorités. Pour moi, autorité civile de la DOPC, ce rôle concerne essentiellement, en matière de coordination, la sécurité générale, l'ordre public et le protocole, à savoir les questions que je traite.
La chefferie de cabinet peut nous demander, par exemple, de déplacer un carré de journalistes. Je fais remonter cette demande à ma salle de commandement, en donnant un avis de technicien, laquelle la valide ou non. La DOPC étant compétente sur la voie publique, il peut aussi s'agir de prévoir une réserve de stationnement, avec déplacement ou enlèvement de véhicules, pour permettre au cortège du Président de la République de se garer. Ce sont des mesures d'ordre public demandées par la chefferie de cabinet puisque cela concerne la sécurité du Président de la République, mais exécutées sur la voie publique par la DOPC, compétente à Paris.
Pour moi, contrairement à ce que j'ai pu entendre, ce ne sont pas des instructions. Mon autorité à la préfecture de police, c'est le préfet de police. La chefferie de cabinet, donc M. Benalla ou M. Lauch, représente une autorité, celle de l'Élysée. La DOPC est prestataire de services en matière d'ordre public sur un déplacement du Président de la République. La chefferie de cabinet nous demande une mesure de police sur la voie publique. La DOPC voit si elle peut la mettre en oeuvre.
M. Philippe Bas , président . - La commission apprécie que vous soyez si concret.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Il a été indiqué, notamment par les syndicats de police, en des termes plus forts que les miens, que M. Benalla pouvait ne pas avoir de très bonnes relations avec les policiers. Avez-vous eu connaissance de relations difficiles ? Pour quels motifs l'auraient-elles été ?
M. Maxence Creusat . - Aucun fonctionnaire de la DOPC qui était sous mes ordres sur la dizaine de déplacements du Président de la République dont j'ai eu à m'occuper en tant qu'autorité civile et sur lesquels M. Benalla était également présent ne m'a fait remonter une quelconque difficulté.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Comme le président Bas, j'apprécie le caractère direct de votre propos liminaire. Nous avons entendu beaucoup de choses, beaucoup d'efforts rhétoriques pour nous expliquer qu'il y avait un « organisateur de voyages » qui n'exerçait pas de missions relatives à la sécurité et la police. Je voulais vous demander des précisions très claires à cet égard puisque vous êtes sous serment.
Est-il exact que M. Benalla avait accès à tous les télégrammes, notes de service et notes confidentielles de la préfecture de police ? Avez-vous été témoin de circonstances dans lesquelles M. Benalla donnait des instructions directement à des personnels relevant de la police ou de la gendarmerie ?
M. Maxence Creusat . - Je suis embêté par la première question, parce que vous reprenez une déclaration que j'ai faite lors de ma garde à vue et qui a « fuité » dans la presse. Je ne commenterai pas des propos que j'ai moi-même tenus.
Un déplacement du Président de la République fait l'objet d'un télégramme de la DOPC, où figurent des plans, parfois complexes, et des mesures pouvant porter sur une restriction de la circulation ou la fermeture de stations de métro. Il est normal que les services de la présidence aient accès à ces informations stratégiques et que M. Benalla, pour les déplacements du Président de la République au cours desquels il exerçait la fonction d'adjoint au chef de cabinet, ait été destinataire de ces télégrammes.
Quand je suis présent, en tant qu'autorité civile, sur un déplacement du Président de la République, je représente la DOPC et j'ai en charge les fonctionnaires de police de la DOPC, sauf si un autre commissaire de police d'un niveau hiérarchique supérieur au mien est également présent. Si demande de la chefferie de cabinet il y a, elle remonte jusqu'à moi. Sur la dizaine de services d'ordre du Président de la République dont j'ai eu à m'occuper et où M. Benalla était présent en tant qu'adjoint au chef de cabinet, je n'ai pas été témoin d'instructions directes de la part de M. Benalla.
Les déplacements du Président de la République peuvent être sensibles et donner lieu à des troubles à l'ordre public. Donc, parfois, la différence entre une instruction et une demande peut tenir au ton employé pour la formuler, lequel, dans certaines situations difficiles, stressantes, peut être direct. Tout le monde s'accorde là-dessus. Je vous le redis, mon autorité à la préfecture de police, c'est le préfet de police de Paris. M. Benalla et M. Lauch, en tant qu'adjoint et chef de cabinet du Président de la République, représentent une autorité. Quand celle-ci exprime une demande, on se met en mesure de l'exécuter, selon le schéma que j'ai précisé : je fais remonter cette demande à la salle d'information et de commandement, puis cette demande est validée et redescend.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Deux questions supplémentaires. Premièrement, à quel moment précis avez-vous eu connaissance des événements du 1 er mai ? Deuxièmement, comment s'explique, à votre avis, le fait que, ces événements s'étant déroulés en présence de fonctionnaires de police, aucun compte rendu n'en ait été réalisé à l'attention du préfet de police ou du ministre de l'intérieur - l'un et l'autre nous ont dit avoir été informés le lendemain par l'intermédiaire de l'Élysée ?
M. Maxence Creusat . - Je vais retracer la chronologie du 1 er mai, pour que nous soyons bien d'accord.
Vous me demandez si l'événement du 1 er mai a fait l'objet d'un compte rendu ; mais, pour moi, au soir du 1 er mai, l'événement de la journée, ce n'est pas M. Benalla, très clairement. L'événement de la journée, ce sont les dix heures passées, avec deux autres commissaires de police, trois compagnies républicaines de sécurité et deux engins lanceurs d'eau, à faire de l'ordre public sur le terrain, notamment à repousser 1 200 Black Blocs , individus cagoulés, gantés, armés de cocktails Molotov - j'ai récupéré et pris en photo six de ces cocktails. Pendant deux heures, sur le boulevard de l'Hôpital, de 15 à 17 heures, nous avons manoeuvré, en faisant usage de gaz lacrymogène, de grenades de désencerclement et d'engins lanceurs d'eau, dans une atmosphère extrêmement dégradée.
La question, pour moi, n'était pas de savoir où était M. Benalla ; il s'agissait de savoir comment éviter les blessés dans les rangs des forces de l'ordre et de la CRS qui était à mes côtés, l'excellente CRS 15 de Béthune, et comment intervenir sur le McDonald's qui était gravement pris à partie.
Le deuxième événement important du 1 er mai, c'est ce qui se déroule sur la place de la Contrescarpe. Mais ce n'est pas l'interpellation de deux personnes qui venaient, nous dit-on, y manger des crêpes ; c'est un rassemblement de 80 à 100 personnes dont les services de renseignement nous avaient dit - cette information a été transmise sur les ondes de la DOPC, fait assez rare pour être souligné - qu'elles avaient participé très directement aux déprédations sur le boulevard de l'Hôpital. Les services de renseignement nous ont fait savoir que le « bon public » - traduisez : les individus autonomes de la mouvance contestataire radicale - était présent sur la place de la Contrescarpe, et, très clairement, pas pour pique-niquer.
Ma deuxième priorité de la journée du 1 er mai était donc d'éviter la formation d'un cortège sauvage qui aurait ravagé le Quartier latin. Les instructions qui étaient les miennes, émanant de la salle d'information et de commandement, étaient de protéger le Quartier latin, d'éviter un départ de ces individus en cortège sauvage et d'intervenir très rapidement sur les barricades qui étaient susceptibles d'être montées. C'est ce que j'ai fait : le 1 er mai, de 20 à 23 heures, je suis intervenu - beaucoup de vidéos en témoignent - sur un certain nombre de barricades dans les rues du Pot de Fer, Clotilde, Lhomond ou Tournefort.
Tels sont, pour moi, au moment où je suis libéré du Quartier latin, au soir du 1 er mai, les deux événements importants. Le 2 mai, un autre événement devient important : c'est la fameuse vidéo.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Avant de poser ma dernière question, je précise que, si nous sommes extrêmement attachés à notre mission, qui est de découvrir la vérité et de mettre au jour tous les dysfonctionnements, nous sommes aussi extrêmement respectueux du travail considérable qu'assument, dans les circonstances que vous avez dites, les forces de police. Nous savons le grand dévouement de ces fonctionnaires au service de la République.
S'agissant des rapports entre M. Benalla et le GSPR, existait-il, à votre connaissance, des dysfonctionnements ? M. Benalla exerçait-il, d'une manière ou d'une autre, une emprise sur le GSPR, ou se contentait-il de participer à l'un des groupes de travail qui s'étaient saisis de questions prospectives ? M. Benalla a fait état, dans la presse, d'une opposition du ministère de l'intérieur aux projets auxquels il semblait tenir ; qu'en pensez-vous ?
M. Maxence Creusat . - Je suis un peu embêté...
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - C'est le but !
M. Maxence Creusat . - ... je ne peux pas répondre pour les autres unités de police. Je suis commissaire de police à la DOPC ; je peux vous parler de mon métier, mais je n'ai pas à juger de la pertinence de l'organisation du GSPR. Je n'y travaille pas !
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - N'avez-vous pas été témoin de faits qui pourraient éclairer nos travaux ?
M. Maxence Creusat
. - Je serais
bien en peine de vous donner une expertise sur la question que vous me posez,
puisque je ne suis pas dans la bulle de protection du GSPR. C'est normal :
je m'occupe de sécurité publique. Je ne capte pas le
réseau radio du GSPR ; je ne sais pas ce que les gens du GSPR se
disent entre eux - mon réseau radio est un réseau dit
« dirigé », relié à la salle de
commandement de la DOPC de la préfecture de police. Je ne connais pas
non plus le protocole d'organisation du GSPR qui
- c'est bien
normal - est secret. Je ne peux donc pas répondre à votre
question, monsieur le rapporteur.
M. François Grosdidier . - Monsieur le commissaire, vous nous avez dit que M. Lauch comme M. Benalla, indifféremment, pouvaient accompagner le Président de la République dans ses déplacements ; mais on a malgré tout l'impression, et même la conviction - les experts disent en avoir la certitude - que M. Benalla occupait bien, dans le dispositif, la place d'un responsable de la sécurité - il se comportait comme tel, et pas simplement comme chargé des voyages ou du protocole. Pouvez-vous réaffirmer, sous serment, que M. Benalla n'entrait jamais dans le dispositif de sécurité lorsque le Président de la République se déplaçait dans Paris ?
M. Maxence Creusat . - Derechef, je n'ai pas l'expertise nécessaire pour juger si M. Benalla faisait ou non de la sécurité rapprochée. Ce n'est pas que je ne veux pas vous répondre ; mais ce n'est pas mon métier. Quand vous installez une piscine, vous faites appel à un spécialiste de l'installation de piscine, pas à un plombier.
M. François Grosdidier . - Vous êtes policier !
M. Maxence Creusat . - Oui, mais je fais de l'ordre public, pas de la sécurité rapprochée.
M. François Grosdidier . - Je constate qu'en la matière, les choses sont aussi balkanisées qu'en médecine.
M. Maxence Creusat . - Je crois avoir démontré que, lorsque j'interviens sur un déplacement du Président de la République, je ne fais pas de sécurité rapprochée : je ne suis pas dans la bulle de protection ; je n'ai pas accès aux ondes du GSPR ; je ne connais pas le protocole du GSPR.
Mme Esther Benbassa . - Monsieur le commissaire, vous avez dit - je vous cite -que « M. Benalla représentait Macron pour toutes les questions de sécurité ». Le secrétaire général de l'Élysée a de son côté déclaré que la sécurité du Président de la République était assurée par le GSPR, que M. Benalla n'avait pas de responsabilité en la matière et que la présidence n'employait pas de vigiles privés pour assurer la sécurité du chef de l'État. Comment expliquez-vous cet écart entre votre version et celle de l'Élysée ?
Avez-vous été témoin des interpellations menées dans le jardin des Plantes ? Le cas échéant, avez-vous vérifié si M. Benalla avait bien le statut d'observateur ? M. Crase, lui, n'avait aucune raison d'être là ; pourquoi ne vous en êtes-vous pas inquiété ? Pourquoi n'êtes-vous pas intervenu ? Peut-être n'est-ce pas votre métier non plus ?
M, Philippe Bas , président . - M. Creusat nous a indiqué qu'il ne souhaitait pas commenter des déclarations qui proviennent ou proviendraient de la garde à vue à laquelle il a été soumis. N'insistons pas : M. Creusat a parfaitement le droit de nous opposer cet argument.
Quant aux manifestations du 1 er mai, si les faits reprochés à M. Benalla ne concernent nullement M. Creusat, il faut nous en tenir, dans nos questions, aux conditions générales de l'organisation de la présence de MM. Benalla et Crase en qualité d'observateurs. Ce qui nous intéresse, c'est de savoir comment s'est nouée la participation de ces deux hommes aux opérations de maintien de l'ordre du 1 er mai.
M. Maxence Creusat . - Madame la sénatrice, vous avez mélangé des bribes de propos sortis dans la presse avec ce que j'ai dit en guise de propos liminaire. Je répète ce que j'ai dit, stricto sensu , pour lever toute ambiguïté : « Pour moi, autorité civile à la direction de l'ordre public et de la circulation, M. Benalla était l'adjoint au chef de cabinet du Président de la République. Il était en charge de l'organisation et de la coordination des services sur les déplacements du Président, sur plusieurs aspects, comme la sécurité générale et le protocole. ». Il faut prendre cette phrase dans sa globalité : M. Benalla coordonnait les services qui font de la sécurité générale.
Par ailleurs, madame la sénatrice, je ne suis pas entré dans le jardin des Plantes ; un autre commissaire de police ainsi qu'une compagnie républicaine de sécurité y sont entrés, sur instruction, pour réaliser un certain nombre d'interpellations, puisqu'il était prouvé que des individus cagoulés, gantés et armés qui avaient participé aux dégradations du boulevard de l'Hôpital y avaient pris la fuite après avoir bénéficié de complicités pour ouvrir le portail. J'ai seulement vu 200 individus appartenant aux Black Blocs fuir vers le jardin des Plantes ; je me suis arrêté devant le Mcdonald's - nos ondes radio, qui sont enregistrées, peuvent l'attester.
S'agissant enfin des observateurs, j'ai appris le 1 er mai à 9 heures, lors de ma prise de service, que M. Benalla serait présent en tant qu'observateur sur le dispositif mis en place à l'occasion de la manifestation. Je l'ai appris de la bouche du numéro 3 de la DOPC, qui est un contrôleur général - il se trouve que son bureau se situe à côté du mien, comme celui du major de police, tuteur désigné de M. Benalla. Je l'ai appris, donc, en prenant le café.
Cette information ne posait aucun problème : nous accueillons très souvent des observateurs. Je suis moi-même souvent désigné comme tuteur - je l'ai été, par exemple, ces derniers mois, avec un journaliste de M6 ou avec un membre du cabinet du préfet de police. Il se trouve que, le 1 er mai, je n'étais pas désigné comme le tuteur de M. Benalla ; je n'ai eu l'information que parce que mon bureau est voisin de celui du major de police. Quant à M. Crase, je ne l'avais jamais vu avant le 1 er mai, et je ne l'identifiais pas. J'ai appris son identité et son statut le 19 juillet, lors du point presse de M. Roger-Petit.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - En quoi consiste l'équipement fourni aux observateurs ? Est-ce au tuteur d'en décider ?
M. Maxence Creusat . - Je commence par détailler la procédure par laquelle un tuteur peut être désigné pour accueillir un observateur à la DOPC. La demande est adressée au cabinet du préfet de police, puis, après validation, transférée au directeur de l'ordre public et de la circulation, puis au chef d'état-major, qui est mon supérieur hiérarchique direct. Ce dernier désigne l'un des quinze commissaires de police de la direction comme tuteur. La DOPC est une maison extrêmement hiérarchisée ; nous exerçons en tenue, et la circulation de l'information opérationnelle est extrêmement codifiée.
Le tuteur désigné prend en compte le statut de l'observateur qu'il accueille ; il sait ce que celui-ci « peut voir », sachant que des instructions du cabinet du préfet de police accompagnent en général la désignation comme tuteur. Le journaliste qui vient pour recueillir des images « spectaculaires » en vue d'un reportage télévisé n'a évidemment pas les mêmes besoins, en tant qu'observateur, qu'un représentant du Défenseur des droits. Quoi qu'il en soit, je ne décide pas moi-même d'accueillir quelqu'un.
Pour ce qui concerne l'équipement, il est courant - pour ma part, je le fais à chaque fois - de donner un casque de maintien de l'ordre à l'observateur pour qu'il puisse être protégé. On reçoit assez souvent des projectiles, même dans des manifestations de moyenne intensité.
J'anticipe deux autres questions : le brassard de police et Acropol.
Cela ne me choque pas qu'un observateur ait un poste Acropol P2G. C'est également lié à sa sécurité. Les messages diffusés sur les ondes radio sont éminemment importants : on dit où sont les forces en présence, où peuvent être les perturbateurs, où peuvent être les casseurs. Quand je suis tuteur, je ne vais pas passer la moitié de mon service à expliquer à l'observateur ce qu'il se passe. Disposer d'une radio lui permet d'avoir des informations en temps réel sur l'opération de maintien de l'ordre à laquelle il assiste. Il y a une logique à ce qu'il ait tout le cheminement de pensée.
Lors de mes trois dernières années à la DOPC, je n'ai jamais entendu un observateur parler à la radio. Je peux vous le dire, M. Benalla n'a pas parlé à la radio le 1 er mai. C'est totalement impossible ! Le réseau radio de la DOPC est extrêmement hiérarchisé : peu de personnes y parlent, et ce qu'on appelle la discipline sur les ondes est extrêmement rigoureuse, avec des indicatifs radio traçables. Si l'on prête un poste aux observateurs, c'est uniquement pour écouter.
J'en viens à la question du brassard.
Moi, j'exerce en tenue d'uniforme ; l'observateur peut être en tenue civile et accompagné de policiers en uniforme. Même si, d'un point de vue réglementaire, cela peut soulever une difficulté, à partir du moment où l'observateur est tout le temps avec moi, il faut qu'il puisse être identifié comme appartenant aux professionnels de l'ordre public. Là non plus, il n'est pas choquant qu'un brassard soit prêté. Comme je travaille en uniforme, je prête le mien ; l'observateur ne porte pas le brassard toute la journée, il le met uniquement - moi, c'est ce que je demande souvent - pour passer un éventuel barrage de police ou pour être identifié par les fonctionnaires des compagnies républicaines de sécurité. Les fonctionnaires des CRS ou des gendarmes mobiles avec lesquels je peux être amené à travailler ont aussi pour fonction de protéger l'autorité civile. S'il y a quelqu'un en civil à côté, cela peut poser une difficulté. Il faut donc qu'il soit identifiable. Dans ce cadre-là, le brassard, c'est une possibilité.
M. Mathieu Darnaud . - Vous avez opéré une distinction entre l'instruction relevant de votre autorité et la demande émanant de la chefferie de cabinet. Vous avez apporté cette précision s'agissant de la tonalité avec laquelle cette demande émanant de la chefferie pouvait être formulée s'il y avait, ce qui est compréhensible, une situation d'urgence ou de tension particulière. Ma question est donc claire : avez-vous eu, vous-même ou vos collaborateurs, une demande avec une tonalité insistante qui pourrait être assimilée à une forme de commandement ou d'instruction de la part de M. Benalla ?
M. Maxence Creusat . - Ce n'est pas le cas.
M. Philippe Bonnecarrère . - Vous contribuez au sein de la préfecture de police avec la chefferie de cabinet à la bonne organisation des déplacements du Président de la République. Dans ce cadre, chacun a-t-il toujours été dans son rôle ou avez-vous constaté qu'à certains moments la chefferie de cabinet de la présidence de la République prenait l'initiative de donner directement des instructions à des effectifs, voire à un commissaire de la préfecture de police ?
M. Maxence Creusat . - Je vais refaire la même réponse que celle que j'ai faite au président Bas : je ne peux parler que pour la DOPC ; je ne peux pas parler au nom des autres unités de la police nationale. Pour moi, chacun est dans son rôle à la DOPC.
J'en profite pour le dire, la DOPC est une très belle direction de la police nationale qui jouit d'une véritable expertise en matière d'ordre public. C'est une maison qui est tenue, rigoureuse et très hiérarchisée. Quand un gardien de la paix, un gradé, un officier ou un commissaire est sur le terrain, il fait le travail que lui demande la salle d'information, et il le fait avec rigueur dans le rôle qui est le sien.
M. Vincent Segouin . - Monsieur le commissaire, je vous remercie de vos propos très clairs. Je crois que c'est la première fois que nous entendons des propos aussi clairs.
Vous avez indiqué que vous n'étiez pas tuteur de l'observateur. Si vous l'aviez été, l'auriez-vous arrêté lorsqu'il a commencé à échanger des coups ?
M. Maxence Creusat . - Par expérience, en matière d'ordre public, je ne raisonne pas avec des « si ». L'ordre public est une matière fortement soumise au hasard et à l'aléa, puisque, vous le savez, les mouvements de foule sont difficilement prévisibles. Je me garderai donc bien de donner des leçons en disant que j'aurais fait différemment le 1 er mai.
Ce que je peux vous dire, puisque j'étais présent place de la Contrescarpe, c'est que l'ambiance était relativement difficile. Il y a eu des jets de projectiles, des gens qui vous criaient pendant deux ou trois heures « flics : porcs, assassins », qui vous jetaient des bouteilles, qui vous insultaient.
Concernant les deux personnes qui jetaient des projectiles, on nous dit maintenant qu'elles étaient venues manger des crêpes en toute bonne foi et se balader dans le Quartier latin. Moi, quand je vais manger des crêpes au Quartier latin, je ne jette pas de cendriers ou de bouteilles sur les fonctionnaires de police.
Cela étant, moi, je ne parle que pour Maxence Creusat, commissaire de police à la DOPC, je ne parle pour personne d'autre. Je ne parle pas au nom de M. Benalla ou du major qui a été désigné tuteur ce jour-là.
Mme Catherine Di Folco . - M. Strzoda, lors de son audition, nous a dit que c'était M. Simonin qui avait invité M. Benalla à être observateur de cette manifestation. Je ne me souviens plus du tout qui est M. Simonin. Pouvez-vous me le repréciser ? Est-il habituel que ce soit des fonctionnaires de police qui invitent une personne à être observateur ?
M. Maxence Creusat . - M. Simonin est contrôleur général à la DOPC. C'est le numéro 3 de cette direction.
Le processus conduisant à désigner M. Benalla comme observateur de la manifestation du 1 er mai était-il habituel ? N'ayant pris aucune part dans cette décision, je ne peux pas vous répondre. C'est une question qu'il faut poser à ma hiérarchie, c'est-à-dire aux commissaires divisionnaires, aux contrôleurs généraux, aux inspecteurs généraux et aux directeurs des services actifs de la DOPC.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Comme cela a été fait lors de l'audition précédente, je vous demande de bien vouloir nous présenter les deux personnes qui vous accompagnent.
M. Maxence Creusat . - Il s'agit de M e Thibault de Montbrial, qui est mon avocat dans le cadre de ma mise en examen sur les faits des 18 et 19 juillet, et du commissaire divisionnaire David Le Bars, qui est secrétaire général du syndicat national des commissaires de la police nationale et qui me défend dans le cadre de la procédure administrative.
M. Philippe Bas , président . - Nous avons d'ailleurs auditionné le commissaire Le Bars dans le cadre de cette commission.
M. Maxence Creusat . - J'en profite pour les remercier de leur soutien depuis le début de cette affaire.
M. Philippe Bas , président . - Je vous remercie d'avoir contribué à éclairer notre commission et d'avoir répondu avec précision et de manière concrète aux questions posées dans la mesure où vous pouviez le faire.
Mes chers collègues, nous aurons une nouvelle matinée d'auditions le mercredi 19 septembre.
Audition de M. Alexandre
Benalla,
ancien chargé de mission à la présidence de la
République
(Mercredi 19 septembre 2018)
M. Philippe Bas, président . - Nous entendons ce matin M. Benalla, c'est notre vingt-troisième audition depuis le mois de juillet. Nous souhaitons tous qu'elle se déroule comme les précédentes, c'est-à-dire en bon ordre et dans le climat de sérénité qui prévaut depuis le début de nos travaux. Nous n'avons pas à tenir compte ici de propos qui ont pu être tenus hors de notre enceinte, quels qu'ils aient été. En revanche, nous devons veiller à respecter les exigences particulières qui s'imposent à cette audition.
Je rappelle le périmètre exact de notre mission d'information, pour laquelle nous avons reçu, le 23 juillet dernier, les pouvoirs d'investigation d'une commission d'enquête : « les conditions dans lesquelles des personnes n'appartenant pas aux forces de sécurité intérieure ont pu ou peuvent être associées à l'exercice de leurs missions de maintien de l'ordre et de protection de hautes personnalités ». Ce périmètre est très différent de celui de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, qui portait sur « les événements survenus en marge de la manifestation parisienne du 1 er mai 2018 », il s'agissait donc, pour nos collègues de l'Assemblée nationale, d'enquêter sur des faits déterminés faisant l'objet de poursuites judiciaires, comme l'a très clairement fait remarquer Mme le garde des sceaux dans la lettre qu'elle a adressée, le 23 juillet dernier, au président de l'Assemblée nationale - lettre qui a été publiée.
Nous devons, quant à nous, continuer à nous conformer strictement à notre mandat, qui a été rédigé précisément pour se conformer strictement à la Constitution. Comme nous le faisons avec toute personne mise en examen, à l'instar de l'audition du commissaire Creusat la semaine dernière, aucune question ne portera sur les faits donnant actuellement lieu à l'enquête judiciaire dont fait l'objet M. Benalla. De la même façon, et comme nous le faisons chaque fois que nous entendons un collaborateur du Président de la République, nous ne posons aucune question sur des décisions ou des actes du Président de la République, qui sont couverts par l'irresponsabilité constitutionnelle du chef de l'État. Nous nous sommes toujours tenus à cette double règle à l'égard de la séparation des pouvoirs, donc il nous est naturel de continuer à le faire, bien entendu.
En revanche, nous avons souhaité entendre M. Benalla sur ses activités, ses missions et la manière dont il les a exercées, afin d'apprécier dans quelle mesure celles-ci ont pu interférer avec le fonctionnement normal de services qui relèvent de la responsabilité du Gouvernement.
Monsieur Benalla, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission est passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Alexandre Benalla prête serment.
M. Philippe Bas, président. - Si vous le souhaitez, ce n'est pas du tout une obligation, vous pouvez nous faire un exposé introductif sur vos fonctions et la manière dont vous les avez exercées en relation avec les services préfectoraux, les services de sécurité, notamment le groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR) et le commandement militaire du palais de l'Élysée, sinon nous passerons directement aux questions.
M. Alexandre Benalla, ancien chargé de mission à la présidence de la République. - Monsieur le président, madame, monsieur les Rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d'abord à préciser les propos qui ont été les miens sur France Inter, des propos sortis de leur contexte, car je sais que nombre d'entre vous ont été vexés ou choqués. (Exclamations.) Je tiens à préciser le contexte dans lequel je les ai prononcés. J'ai ressenti à un moment un acharnement médiatique, un acharnement politique. J'ai eu l'impression qu'un certain nombre de personnes se servaient des institutions de notre pays à des fins politiques et médiatiques. Je sers les institutions de mon pays depuis l'âge de dix-huit ans. En intégrant la réserve opérationnelle de la gendarmerie nationale, j'ai toujours défendu les institutions, j'ai toujours respecté les institutions et j'ai été élevé dans le respect de ces institutions. Je tiens à vous dire que j'ai un profond respect pour le Sénat, pour les sénateurs. Mon propos venait de l'impression d'être instrumentalisé à des fins politiques.
J'ai été bien élevé, et j'ai un profond regret pour le propos que j'ai eu à votre encontre, monsieur le président. Quelles que soient les circonstances, quelle que soit la pression, on ne s'en prend pas aux hommes. Je veux vous assurer de mon respect total des institutions, du Sénat et des sénateurs, et je vous présente mes excuses, monsieur le président Bas, pour les propos que j'ai pu tenir, car on n'attaque pas les hommes. C'est tout ce que j'avais à dire en introduction.
M. Philippe Bas, président . - Je prends acte de vos excuses ; je ne comptais pas revenir sur cet incident, qui est extérieur à nos travaux, comme je l'ai suggéré dans mon propos liminaire.
Mme Muriel Jourda, rapporteur . - Je vous poserai un certain nombre de questions sur votre formation, vos compétences et votre procédure de recrutement. Tout d'abord, quelle est votre formation, notamment en matière de sécurité et, éventuellement, de protection rapprochée ?
M. Alexandre Benalla
. - Je suis
titulaire d'un master 1 en droit, spécialité
sécurité publique. J'ai été auditeur
« Jeunes » de l'Institut national des hautes études
de la sécurité et de la justice (INHESJ) et de l'Institut des
hautes études de défense nationale (IHEDN) ; j'ai
intégré la réserve opérationnelle de la gendarmerie
nationale en 2009. J'ai suivi une préparation militaire gendarmerie
pendant quinze jours à l'issue de laquelle je suis sorti major de la
promotion. Au fil des années, dans le cadre de la réserve
opérationnelle, j'ai suivi un certain nombre de formations et obtenu des
qualifications, ayant trait au droit, à la procédure
pénale - dans quel cadre il est possible ou non
d'intervenir -, au maniement des armes et de certains équipements
particuliers. Telles sont ma formation universitaire et ma formation plus
opérationnelle au sein de la gendarmerie nationale : quand vous
signez l'engagement de servir dans la réserve, vous devez suivre un
certain nombre de cours dans le cadre de la formation continue
- pratiquer le tir tous les ans, mettre à jour vos
connaissances en droit pénal, en procédure pénale. C'est
ma principale formation.
En tant que réserviste opérationnel de la gendarmerie nationale, par le biais des équivalences, un certain nombre de qualifications m'ont été délivrées par le Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS). En 2011 ou en 2012, de mémoire, m'a été délivrée une première carte professionnelle « protection physique des personnes » : on juge que vous avez les compétences requises pour assurer la protection d'un certain nombre de personnes, des compétences que j'ai exercées dans un cadre privé.
Mme Muriel Jourda, rapporteur . - Quel a été votre parcours professionnel en matière de sécurité et de protection rapprochée ?
M. Alexandre Benalla
. - Je peux revenir
sur certains points, car ils sont publics. J'ai travaillé au service
d'ordre du parti socialiste où j'ai croisé un certain nombre
d'entre vous, que je reconnais dans cette salle. J'ai assuré la
protection de la première secrétaire pendant environ deux ans de
manière bénévole - le service d'ordre est
bénévole -, puis j'ai exercé les fonctions d'adjoint
au responsable du service d'ordre national pendant la campagne
présidentielle de 2012 - j'étais alors chargé de la
sécurité et de l'organisation générale des
meetings, des déplacements du candidat. Ensuite, j'ai
intégré le cabinet d'Arnaud Montebourg - je n'en suis pas
parti au bout d'une semaine, contrairement à ce qui a pu être dit,
mais après trois mois et pas pour les raisons qui ont été
avancées. J'ai intégré une société de
conseil et de sûreté pendant deux ans, où j'ai
exercé les fonctions de conseiller du président
- relations institutionnelles, stratégie, direction
opérationnelle. J'ai voyagé, rencontré des gens.
J'étais moins ici dans une fonction de protection opérationnelle.
J'ai travaillé pendant neuf mois au sein d'une organisation
internationale : je m'occupais principalement de la sécurité
du président de l'Office européen des brevets. J'ai
été recruté officiellement en décembre 2016
- j'ai travaillé bénévolement dès fin
septembre 2016 - comme directeur de la sûreté et de la
sécurité de La République En Marche. J'ai assuré,
organisé, aidé à la préparation d'un certain nombre
de déplacements du candidat Emmanuel Macron et
d'événements, tels que les meetings politiques, les
conférences de presse, les déplacements thématiques,
etc.
J'ai monté un étage de l'ascenseur social, je me
suis vu confier d'autres responsabilités en arrivant à
l'Élysée le 17 mai 2017.
Mme Muriel Jourda, rapporteur . - Quels entraînements avez-vous suivis pour l'utilisation d'armes à feu ?
M. Alexandre Benalla . - En 2009, j'ai suivi une préparation militaire gendarmerie. On vous apprend le maniement des armes en sécurité : à quel titre vous pouvez porter l'arme, l'utiliser ; vous tirez de manière régulière et vous tirez un certain nombre de cartouches - c'est obligatoire si vous voulez continuer à être sur le terrain. Je pratique également le tir sportif depuis un certain nombre d'années : je me rends au stand de tir une à deux fois par semaine pendant une heure. C'est un sport, une passion. À ce titre, je détenais un certain nombre d'armes. J'ai donc une parfaite connaissance et une parfaite maîtrise des armes à feu.
Mme Muriel Jourda, rapporteur . - Vous avez répondu, au moins partiellement, à la question que je souhaitais vous poser. Ces entraînements ont-ils été sanctionnés par des qualifications, des certificats ou des diplômes ?
M. Alexandre Benalla . - Tout à fait, et je suis en mesure de vous les fournir. Un certificat nous est remis deux fois par an ; je pourrai vous les transmettre.
Mme Muriel Jourda, rapporteur . - Je vous en remercie, la commission est tout à fait en demande de cela.
M. Alexandre Benalla . - Quand vous êtes tireur sportif, vous disposez d'un carnet de tir. Pour vous autoriser à acquérir et détenir des armes, la préfecture demande que vous soyez inscrit six mois au préalable dans un club de tir. Vous êtes alors astreint à un certain nombre de tirs sous le contrôle d'un moniteur agréé par la Fédération française de tir, qui tamponne votre carnet de tir. Vous devez fournir un certificat médical attestant que, psychologiquement, vous êtes stable. Vous devez fournir votre carnet de tir, qui fait valoir que vous venez régulièrement, que vous pratiquez dans les bonnes règles, que vous savez manier une arme en toute sécurité. Puis, une enquête de moralité est faite par la préfecture : vous répondez à un questionnaire et une enquête de voisinage est réalisée pour voir si vous êtes une personne tout à fait correcte. Le préfet émet un avis et vous délivre une autorisation d'acquérir et de détenir cette arme. Mais, pour conserver ces armes, vous êtes astreint à rester affilié à la Fédération française de tir et donc à pratiquer le tir trois fois par an au minimum. Je vous l'ai dit, je le pratiquais une à deux fois par semaine, avec un certain nombre de professionnels d'ailleurs : c'est un petit monde, qui est méconnu.
Mme Muriel Jourda, rapporteur . - Pouvez-vous nous expliquer comment vous avez rejoint la campagne présidentielle de l'actuel Président de la République ?
M. Alexandre Benalla . - J'ai été sollicité par un camarade - je pèse mes mots -, qui avait rejoint La République En Marche, au vu des compétences que je pouvais avoir en termes d'organisation et en termes pratico-pratiques. Un certain nombre de personnes dans les rangs de La République En Marche travaillaient plus sur des sujets de fond, mais une campagne présidentielle exige beaucoup de logistique, de pratique, et demande une certaine expérience. J'avais une petite expérience avec la campagne présidentielle de 2011-2012, une expérience unique que j'avais adorée. Une campagne présidentielle, c'est passionnant. J'y suis donc allé ; tout le monde m'a dit que j'étais un peu fou parce que le candidat n'avait aucune chance. Mais quand j'ai rencontré le personnage pour la première fois, j'ai été séduit et je me suis investi à 100 % dans cette campagne. On a commencé avec des petits moyens et l'équipe s'est étoffée au fur et à mesure, dans un bon état d'esprit. Le candidat Macron a pu devenir Président de la République grâce à un certain nombre de personnes qui ont fourni un travail important. J'ai rejoint le mouvement parce que j'avais été sollicité par un ancien camarade en qui j'avais totale confiance : il connaissait mes compétences, mes capacités d'organisation et de logistique, ainsi que mon engagement.
Mme Muriel Jourda, rapporteur . - Qui est cet ancien camarade ?
M. Alexandre Benalla . - Je souhaite le préserver pour le moment : c'est quelqu'un qui a travaillé à La République En Marche et qui y travaille toujours.
Mme Muriel Jourda, rapporteur . - De ce fait, vous étiez vous-même salarié à La République En Marche ?
M. Alexandre Benalla . - Tout à fait.
Mme Muriel Jourda, rapporteur . - Vous n'aviez jamais travaillé pour La République En Marche, pour le candidat Emmanuel Macron ou Emmanuel Macron lui-même avant cette date ?
M. Alexandre Benalla . - Jamais. Je ne me souviens plus si j'ai été engagé en CDD ou en CDI, mais je pourrai vous fournir le contrat de travail si vous le souhaitez. Le salaire était de 3 500 euros nets, un salaire divisé par trois par rapport à celui qui m'était versé par l'organisation internationale. J'ai été embauché le 5 décembre 2016 et mon contrat a pris fin le 15 ou le 16 mai 2017.
Mme Muriel Jourda, rapporteur . - Votre activité antérieure concernait une organisation internationale ?
M. Alexandre Benalla . - Tout à fait.
M. Philippe Bas, président . - S'agit-il de l'Office européen des brevets dont vous avez parlé précédemment ?
M. Alexandre Benalla . - Tout à fait. J'y ai travaillé entre sept et neuf mois.
Mme Muriel Jourda, rapporteur . - Quelle était votre activité au sein de cette organisation ?
M. Alexandre Benalla . - J'étais le conseiller du président de l'Office européen des brevets. Je m'occupais particulièrement de sa sécurité et, plus généralement, de la sécurité de l'Office, qui est basé à Munich. Nous étions une petite équipe de quatre personnes, nous nous partagions les tâches : il s'agissait de la sécurité opérationnelle et, surtout, de conseil.
Mme Muriel Jourda, rapporteur . - Organisation et opération.
M. Alexandre Benalla . - Exactement.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Quelles fonctions exerciez-vous pendant la campagne électorale ?
M. Alexandre Benalla . - J'étais le directeur de la sûreté et de la sécurité de La République En Marche.
M. Philippe Bas, président . - Qu'est-ce que cela veut dire ?
M. Alexandre Benalla . - Une équipe de quatre permanents travaillait avec moi. Quand on entend « sûreté et sécurité », on fait tout de suite un focus sur la protection rapprochée, mais cela ne faisait pas partie de nos tâches.
Au terme de ses fonctions de ministre de l'économie, Emmanuel Macron s'est vu retirer par le ministère de l'intérieur sa protection policière. Il a fallu faire avec les moyens du bord, si j'ose dire. Deux professionnels de la protection physique des personnes ont été recrutés pour assurer pendant deux mois et demi ou trois mois la sécurité du candidat Macron. Dès que la candidature a été officialisée, le ministère de l'intérieur a fourni un service d'officiers de sécurité comprenant quatre personnes - deux conducteurs et deux officiers de sécurité que l'on appelle les « sièges ». Puis, l'équipe est montée en puissance au fur et à mesure de l'avancée de la campagne.
Comme vous le savez, il y a une séparation entre le politique et l'institutionnel, notamment dans le cadre d'une campagne présidentielle. En vertu d'un certain nombre de textes, les policiers et les gendarmes n'ont pas le droit d'assurer - je pèse mes mots - l'ordre à l'intérieur des meetings politiques. Cette interdiction vaut aussi lors des meetings syndicaux et au sein des associations. Lors d'une campagne présidentielle, un certain nombre d'adversaires politiques peuvent venir faire le buzz dans vos meetings. Chez Les Républicains, le groupe de protection existe depuis fort longtemps ; il y avait un service d'ordre au groupe socialiste ; La France insoumise a aussi son service d'ordre. Tous les partis politiques, tous les syndicats ont un service d'ordre. Cela fait un peu « gros bras », mais ces services s'occupent non seulement de la sécurité, mais aussi de l'organisation, de l'accueil du public. Des personnes de tout âge s'impliquent bénévolement dans une campagne en collant des affiches, en distribuant des tracts, en faisant du mailing, de la veille sur les réseaux sociaux, du « calling », mais également en étant membres du service d'ordre. Sur la base du fichier des adhérents, nous avons sollicité un certain nombre de personnes.
Lors des déplacements, il faut des voitures, des chauffeurs, des personnes pour accueillir le public, assurer la sécurité du meeting - c'est une petite partie de l'effectif -, même si vous vous reposez, eu égard au cadre légal actuel et au contexte terroriste, sur des professionnels. On fait appel à des sociétés de sécurité privées, qui sont agréées. On peut aussi intervenir lors de réunions avec le préfet ou contacter le directeur de cabinet du préfet en cas de menaces sur les réseaux sociaux, lequel doit assurer à chacun, où qu'il aille, le même niveau de sécurité dans le cadre d'une campagne présidentielle. Mon rôle était aussi d'avoir des contacts avec l'autorité préfectorale, avec les renseignements territoriaux, avec les sociétés de sécurité privées locales, pour mettre en musique le meeting, le déplacement de A à Z au-delà du périmètre de la sécurité et de la sûreté, cela allait du bon acheminement du candidat sur le lieu du meeting, à la réservation des voitures, des hôtels, en passant par l'animation et la formation générale des bénévoles, qui sont non pas des militants, mais des adhérents chez En Marche. Mon rôle était de tout coordonner. Le service d'ordre est passé de 4 à 400 personnes environ. Je le répète, ce ne sont pas des « gros bras », ce sont des gens normaux qui se sont investis dans la campagne d'une manière différente.
M. Philippe Bas, président . - Vous êtes en train de nous dire, en décrivant ces fonctions, que vous exerciez déjà une fonction d'organisation...
M. Alexandre Benalla . - Tout à fait.
M. Philippe Bas, président . - ... mais vous exerciez aussi une activité de protection rapprochée, correspondant au métier que vous faisiez jusqu'alors en partie au moins.
M. Alexandre Benalla . - Pour vous répondre de manière très précise, à l'occasion de la campagne présidentielle, je suis au regret de vous dire que je n'étais pas le garde du corps d'Emmanuel Macron. Je n'ai jamais été le garde du corps d'Emmanuel Macron.
Dès lors que vous assurez l'interface entre le candidat et un certain nombre de personnes, vous êtes un facilitateur, vous avez une proximité physique avec la personne. Vous pouvez avoir besoin de lui dire que l'on est en retard, qu'il faut passer à la séquence suivante. Comme je vous l'ai dit, pendant une durée de trois mois environ - je vous fournirai les dates exactes des recrutements et de l'arrivée des officiers de sécurité du service de la protection (SDLP) -, deux personnes étaient chargées de la protection d'Emmanuel Macron, étaient dans la voiture avec lui, l'accompagnaient partout, y compris là où je n'allais pas, le soir, lors de rendez-vous, chez les média...
Pour ma part, j'avais une tâche d'organisation générale, de sécurité générale. Lors des meetings, j'étais proche de lui physiquement - on a vu les images dans les médias -, comme un certain nombre de personnes, sur lesquelles on ne porte pas aujourd'hui d'attention particulière. Cette proximité est nécessaire pour lui communiquer un certain nombre de messages. Je n'étais pas le garde du corps d'Emmanuel Macron et je ne l'ai jamais été.
Mme Muriel Jourda, rapporteur . - Sur ce point, je vous soumets une déclaration qui vous est prêtée par le Journal du dimanche (JDD), à qui vous avez donné une interview : « Il devient le « siège » du candidat, celui qui est assis à côté de son chauffeur et recrute une équipe. »
M. Alexandre Benalla . - C'est inexact.
Mme Muriel Jourda, rapporteur . - Le « siège » n'est pas une fonction opérationnelle ?
M. Alexandre Benalla . - Pour être tout à fait précis, c'est inexact.
Mme Muriel Jourda, rapporteur . - Qu'est-ce qui est inexact ?
M. Alexandre Benalla . - Ce n'est pas moi qui parle dans cette interview.
Mme Muriel Jourda, rapporteur . - Le JDD prétend retracer vos propos. Vous nous dites que vous ne les avez pas tenus ?
M. Alexandre Benalla . - Je n'ai jamais été le « siège » d'Emmanuel Macron. J'ai dû monter dans la voiture à deux ou trois reprises, c'est possible, mais je n'ai jamais été son « siège », ni son « épaule » d'ailleurs.
Mme Muriel Jourda, rapporteur . - Je continue sur votre parcours et vos compétences. Je souhaiterais que vous soyez un peu plus précis sur les conditions dans lesquelles vous avez rejoint la présidence de la République. Qui vous a recruté ? Avez-vous sollicité de vous-même un emploi ou avez-vous été recommandé ?
M. Alexandre Benalla . - À la fin d'une campagne présidentielle, qui plus est victorieuse, vous avez pu voir les compétences des uns et des autres. De la même manière que les parlementaires peuvent choisir leurs collaborateurs à l'issue d'une élection, le Président de la République et ses proches conseillers ont choisi leurs collaborateurs au vu de leur engagement, leur professionnalisme et la confiance, notion primordiale en politique.
Vous-mêmes, parlementaires, pouvez être amenés à proposer aux personnes efficaces, professionnelles, engagées à vos côtés durant la campagne sénatoriale ou législative un emploi de collaborateur parlementaire. Jean-Marie Girier, le directeur de campagne d'Emmanuel Macron, m'a demandé à la fin ce que je souhaitais faire. Il pensait que j'avais une compétence et que je pourrais les aider dans l'aventure présidentielle. Il est normal de ne pas claquer la porte à ceux qui n'ont pas dormi plus de trois heures par nuit pendant quatre ou cinq mois, n'ont pas vu leur famille et en plus ont été bons dans ce qu'ils faisaient. Je le dis sans modestie. Un certain nombre de personnes présentes pendant la campagne présidentielle et qui étaient dotées de certaines compétences ont été recrutées, certaines en tant que chargées de mission culturelle, d'autres comme attachées de presse. Moi, j'ai été recruté pour l'organisation, la logistique et la sécurité - on ne va pas le nier, parce que c'est ce que j'ai fait pendant neuf ans. C'est le fonctionnement normal, l'issue normale d'une campagne présidentielle.
M. Philippe Bas, président . - Je crois que Mme Jourda ne vous demandait pas si c'était normal ou pas ; mais comment vous avez été recruté.
M. Alexandre Benalla . - Je vais répondre précisément : on m'a indiqué que les fonctions ciblées pour moi concernaient la chefferie de cabinet parce qu'elles correspondaient à mes compétences : une mission d'organisation générale, de coordination générale, de terrain, ce que j'aime. J'ai ensuite été appelé par le service des ressources humaines de la présidence de la République, avec lequel j'ai eu un entretien et qui m'a demandé mes précédents emplois, mon salaire, mes compétences. Je leur ai apporté mes diplômes, mes attestations.
J'ai eu un entretien avec le directeur de cabinet du Président de la République, Patrick Strzoda, le patron de la « maison ». Même si un directeur général des services est aujourd'hui nommé, c'est lui qui recrute le personnel. On m'a annoncé que j'étais recruté sous le statut de chargé de mission. Vous avez été secrétaire général de l'Élysée, monsieur Bas, vous connaissez tout cela par coeur : il y a des chargés de mission, des conseillers et des personnes qui occupent une place à part, telles que le secrétaire général, le directeur de cabinet, le conseiller spécial. Le statut - il est très important de le rappeler - fixe votre salaire. Mon statut de chargé de mission était le niveau le plus bas au sein du cabinet du Président de la République. Il y en a une dizaine. J'ai occupé mes fonctions seul à la chefferie de cabinet pendant une dizaine de jours en attendant l'arrivée d'un chef de cabinet. On a découvert la maison, on est allé au contact du personnel, des chefs de service pour essayer de comprendre le fonctionnement.
Même si Emmanuel Macron avait déjà une expérience, tout était nouveau. Pendant dix jours, j'étais tout seul à la chefferie. Jean-Marie Girier n'était plus là. Puis, François-Xavier Lauch est arrivé. J'ai eu un entretien avec lui pour lui dire d'où je venais, ce que j'avais fait avant, de quoi j'étais capable. Il m'a dit : « OK, très bien », et j'ai été engagé comme chargé de mission auprès du chef de cabinet. Tout en conservant mon statut, mes fonctions ont évolué. Nous étions quatre au sein de la chefferie de cabinet : un chef de cabinet, un chef -adjoint de cabinet - ces deux dénominations sont des titres, car elles impliquent une nomination au Journal officiel - et deux chargés de mission dans des fonctions d'adjoint au chef de cabinet, comme cela a été précisé, me semble-t-il, par Patrick Strzoda devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale.
Il y a trois choses : le statut, qui détermine votre salaire ; votre position sociale au sein du cabinet, si je puis m'exprimer ainsi ; votre fonction, c'est-à-dire ce que vous faites au quotidien, et le titre, dont vous pouvez vous prévaloir, celui de chef adjoint de cabinet ou de chef de cabinet adjoint dès lors que vous êtes nommé au Journal officiel.
Mme Muriel Jourda, rapporteur . - Vous êtes précis... mais pas dans votre réponse à ma question : qui vous a recruté ? Vous avez parlé à deux reprises de Jean-Marie Girier, mais vous avez dit : « On m'a demandé ». Qui est « on » ? Concrètement, comment s'est passée la mise en contact ? On comprend bien que M. Strzoda est votre supérieur hiérarchique, et il est normal que ce soit lui qui vous recrute, mais comment le contact s'est-il fait ?
M. Alexandre Benalla . - Pour être très précis, Jean-Marie Girier a fait l'interface, dans la phase de transition. Quand vous êtes nouvellement élu à la présidence de la République, un certain nombre de personnes préparent la transition - certains vont rester, tandis que d'autres s'en vont occuper d'autres fonctions. Pour ma part, je ne sais pas qui a décidé pour moi. On m'a fléché : quand je dis « on », c'est sûrement le Président de la République avec Alexis Kohler et Patrick Strzoda, qui était nouvellement nommé - ce dernier n'ayant pas participé à la campagne présidentielle, il a été recruté pour ses compétences, son expérience professionnelle et en cabinet au plus haut sommet de l'État. À son arrivée, il ne connaissait pas Alexandre Benalla. Pour monter son équipe, il a été conseillé par l'ancienne équipe, en l'occurrence Jean-Marie Girier et peut-être Alexis Kohler. Ils n'ont pas passé trente minutes sur moi, ils ont dû considérer tous les profils des personnes qui occupaient des fonctions importantes pendant la campagne présidentielle, fléchant un certain nombre de fonctions sur le fond ou la forme. Voilà comment j'ai été recruté. Ensuite, j'ai été sollicité par Patrick Strzoda pour un entretien : il m'a indiqué que mon profil était bon et qu'il était bien d'avoir un profil différent à la chefferie de cabinet.
Mme Muriel Jourda, rapporteur . - Quelle est votre activité professionnelle actuelle ?
M. Alexandre Benalla . - Pôle emploi.
Mme Muriel Jourda, rapporteur . - Ce renseignement vaut ce qu'il vaut, mais, dans quasiment tous les journaux, il vous a été prêté une activité de garde du corps momentanée - peut-être est-elle inexistante, vous nous le direz - auprès d'une star de la téléréalité.
M. Alexandre Benalla . - Je ne suis pas tombé aussi bas, malheureusement. Je n'ai eu aucune activité professionnelle depuis que j'ai quitté l'Élysée. Il y a eu un certain nombre de fake news - je n'ai pas la maîtrise des médias.
M. Philippe Bas, président . - Nous non plus, monsieur Benalla.
M. Alexandre Benalla . - Je le sais bien, je l'ai compris. Mes avocats ont déposé un certain nombre de plaintes. Je ne lis plus la presse ; j'en ai des échos. Quoi qu'il en soit, je n'ai pas exercé de fonctions de garde du corps, pas plus que je ne souhaite monter une société au Maroc, comme cela a pu être dit. Je suis Français, je suis bien en France. Je m'explique devant vous et je m'expliquerai devant la justice. Ensuite, on reprendra une vie normale ; en tout cas, on fera autre chose.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur . - Je vais commencer par une question directe. Nous avons reçu le secrétaire général de l'Élysée, le directeur de cabinet du Président de la République et le chef de cabinet du Président de la République. Tous trois nous ont dit que vos fonctions consistaient en l'organisation de voyages et de déplacements, à l'exclusion d'autres missions. Pouvez-vous ici sous serment nous confirmer qu'à aucun moment, à l'Élysée, vous n'avez exercé de mission relevant de la police ou de la sécurité ?
M. Alexandre Benalla . - Je vous le confirme. Je n'ai jamais été ni policier, ni garde du corps du Président de la République.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur . - Vous n'avez jamais exercé de fonctions relevant soit de la sécurité, soit de la police ?
M. Alexandre Benalla . - Pour être très précis, j'énumérerai les quatre missions qui m'incombaient - je vous parlerai ultérieurement de la cinquième.
La première concernait l'organisation des déplacements nationaux, avec un certain nombre de réunions préalables, de déplacements préparatoires avec le préfet et son directeur de cabinet, le directeur départemental de la sécurité publique, en liaison avec un certain nombre de personnes de l'Élysée, telles que l'intendant, le service de presse, le chef du GSPR, le protocole quand il y a des personnalités étrangères.
Il faut bien préciser ce qu'est la chefferie de cabinet, car c'est assez flou, je le conçois, pour les gens. À l'Élysée, il y a le cabinet politique, avec les conseillers et les chargés de mission, et les services, chargés de la mise en oeuvre de ce qui a été décidé au niveau politique. C'est le politique qui a autorité sur les services. L'intendant agit en fonction de ce qui a été décidé par le conseiller concerné. Si le Président de la République souhaite inviter un certain nombre de responsables syndicaux, de responsables agricoles lors d'un cocktail organisé à l'Élysée sur la thématique de l'agriculture par exemple, vous allez recevoir la consigne politique du conseiller chargé de l'agriculture. Il vous appartiendra ensuite d'organiser une réunion avec les différents services concernés - le commandement militaire, le cuisinier, l'intendant, le service de presse - pour les informer de ce qui a été décidé. La chefferie de cabinet, c'est le coeur du réacteur en termes de logistique et d'organisation.
Un sénateur . - Vous ne répondez pas à la question.
M. Alexandre Benalla . - Je vais y répondre. Mais il faut comprendre le contexte.
Vous allez donc animer une réunion et expliquer à ces personnes ce que l'on attend d'elles. Quand je dis au général que quelque quatre-vingts personnes vont se présenter au 55, rue du Faubourg Saint-Honoré ou à un autre endroit pour que ce ne soit pas filmé, suis-je dans une fonction de sécurité ? Lorsque je parle à l'intendant ou au chef cuisinier, je ne suis pas moi-même ni intendant ni cuisinier ! Quand vous êtes à la chefferie de cabinet, vous êtes dans des fonctions transverses : vous êtes amené à parler et au chef du GSPR et au commandant militaire. Vous êtes là pour donner le but à atteindre, pas les moyens employés pour ce faire. Je n'explique pas aux personnes ce qu'elles doivent faire. Vous êtes une sorte de metteur en scène, de chef d'orchestre ; vous êtes sous l'autorité du chef de cabinet. Le rôle du chef de cabinet et de la chefferie, est très clair : c'est l'organisation générale, la coordination générale ; il est le chef d'orchestre des déplacements et des événements du palais, ainsi que le metteur en scène, si je peux me permettre de parler ainsi. Ma première mission était donc l'organisation des déplacements nationaux dans le cadre que je viens de vous exposer.
La deuxième mission visait l'organisation des événements au Palais - vous en aviez connaissance -, à l'instar de la première mission.
La troisième concernait les déplacements privés du Président de la République - je pourrais m'en expliquer si vous avez des questions.
La quatrième concernait la coordination des services de sécurité. Je vous ai expliqué mon parcours, j'ai une petite connaissance du domaine de la sécurité. Il ne s'agissait pas d'être le chef de la sécurité de l'Élysée ; ma mission consistait à conduire un certain nombre de réunions, de réflexions. Imaginons que le colonel Lavergne - promu depuis lors général - ait besoin de douze voitures supplémentaires pour son parc automobile. Sans appui politique, si le cabinet ne l'aide pas, il sera seul dans ses demandes face au ministère de l'intérieur. J'étais, par exemple, chargé du renouvellement du parc automobile de l'Élysée. À un moment, vous faites des réunions au niveau du cabinet : le cabinet du Président de la République saisit le cabinet du ministre de l'intérieur parce qu'il a besoin de moyens supplémentaires. Pour répondre très précisément, ce n'était pas une fonction opérationnelle de sécurité, c'était une fonction administrative.
M. Philippe Bas, président . - Vous avez évoqué une cinquième mission. Quelle est-elle ?
M. Alexandre Benalla . - Au cabinet du Président de la République, il existe une fonction pour laquelle personne ne se bouscule - j'imagine que lorsque vous étiez en fonction c'était déjà le cas : le service des présents diplomatiques, placé sous l'autorité d'un conseiller. Composé de deux personnels administratifs, il a la gestion des cadeaux que le Président de la République peut offrir à ses hôtes étrangers ou lorsqu'il part en déplacement, ainsi que la gestion des cadeaux qu'il reçoit. Il faut une autorité politique pour faire le choix du cadeau, orienter, faire des propositions. Je me suis occupé de ce service.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur . - Nous avons demandé la communication de la fiche de poste concernant votre travail et celle-ci ne nous a pas été adressée. Avez-vous eu connaissance de cette fiche de poste ? Par ailleurs, M. le directeur de cabinet nous a dit qu'il existait une note de service relative à vos missions. En avez-vous eu connaissance ? Pourriez-vous nous communiquer ces deux documents ? Jusqu'à ce jour, personne ne les a publiés.
M. Alexandre Benalla . - Bien entendu. La fiche de poste dont il est question est simplement une note. Quand vous êtes au cabinet du Président de la République, vous avez un certain nombre de choses à faire, mais votre périmètre est délimité de manière très claire. Cette note, qui était, de mémoire, adressée par le directeur de cabinet au secrétaire général de l'Élysée, indiquait que je remplissais les quatre missions que j'ai citées, la cinquième ayant été ajoutée par la suite. Je suis en mesure de vous la fournir sans problème.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur . - Je vous remercie de nous la fournir.
M. Alexandre Benalla . - Tout à fait.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur . - Concernant le déplacement et la protection très rapprochée du Président de la République - les « épaules » -, il existe, vous le savez, entre les quatre fonctionnaires qui assurent la protection ultra-rapprochée du Président une boucle de communication. Pouvez-vous nous déclarer sous serment que vous n'étiez pas dans cette boucle ?
M. Alexandre Benalla . - Pour être encore très précis, quand nous sommes arrivés au palais de l'Élysée, il n'était pas habituel que la chefferie de cabinet, le service de presse et les photographes soient en réseau radio. Lors des déplacements, quand il y a énormément de journalistes et de monde, il faut vous appeler au téléphone, vous chercher à droite et à gauche. Sous l'impulsion de François-Xavier Lauch, nous avons eu l'idée de mettre en place un système de télécommunications, un système de radio - c'est pour cette raison que l'on peut me voir sur les images avec une oreillette, celle-ci n'étant pas réservée aux gardes du corps -, entre le service de presse, la chefferie de cabinet, le photographe de l'Élysée et le chef du GSPR ou son adjoint. En aucun cas, vous n'aviez accès aux communications que peuvent avoir entre eux les officiers de sécurité du GSPR, afin de ne pas interférer dans leurs fonctions, parce qu'ils sont sur un réseau sécurisé. L'idée était de coordonner au mieux le déplacement du Président de la République de manière que tout le monde soit au bon endroit : on doit avancer de manière fluide et communiquer rapidement pour être efficace.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur . - Nous savons bien que ce réseau radio existe, mais je veux parler du réseau très spécial qui concerne les quelques fonctionnaires - on peut les compter sur les doigts d'une main - qui assurent la protection rapprochée. Démentez-vous, comme l'a écrit hier soir un organe de presse, que vous aviez accès à ce réseau-là ? Pouvez-vous déclarer sous serment que vous n'avez jamais eu accès à ce second réseau ?
M. Alexandre Benalla . - Pour être encore très précis, nous utilisons avec le service de presse, le photographe de l'Élysée et la chefferie de cabinet exactement le même appareil radio que le GSPR. Simplement, nous ne sommes pas sur la même fréquence.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur . - Vous n'avez donc pas accès à la fréquence des personnes du GSPR qui assurent la protection rapprochée ?
M. Alexandre Benalla . - Non. D'ailleurs, au début, l'idée de radio a posé problème, ce que je comprends, car ce n'était pas habituel. Le chef du GSPR, le colonel Lavergne, a décidé, en accord avec le chef de cabinet, que nous n'aurions accès qu'à une boucle radio très limitée : le chef de cabinet, l'attaché de presse présent, le photographe et le chef ou l'adjoint du GSPR.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur . - C'est une autre boucle.
M. Alexandre Benalla . - Exactement. Je n'avais pas accès à une boucle particulière de sécurité, je n'en avais pas connaissance.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur . - Quelle était votre fonction dans les déplacements privés du Président de la République ? Si j'entends bien ce que vous dites, votre fonction ne relevait pas de la sécurité ni de la police. En conséquence, vous n'étiez pas armé.
M. Alexandre Benalla . - Pour être très précis sur la question du port d'arme, j'ai tout entendu et je sais que l'on s'interroge car c'est inhabituel et cela peut poser question. J'ai fait, à titre personnel, une demande d'autorisation de port d'arme pour des motifs de défense et de sécurité personnelles. Quand vous exercez des fonctions à la présidence de la République ou pendant la campagne présidentielle, vous êtes vous-même exposé, vous passez dans les médias, vous êtes identifié quand vous habitez au même endroit depuis huit ans, il peut vous arriver quelque chose... J'ai donc fait une demande pour ma sécurité personnelle.
Je crois savoir qu'un nombre important de personnes ayant travaillé à l'Élysée se sont déjà vu délivrer des autorisations de port d'arme. Je pense - j'espère qu'il ne m'en voudra pas de citer son nom - à M. Michel Charasse lorsqu'il était collaborateur de François Mitterrand qui disposait d'une telle autorisation : était-il le garde du corps de François Mitterrand ? Je ne le crois pas. Sous la présidence Chirac, par exemple, des collaborateurs du Président ont pu disposer d'une autorisation de port d'arme. Un certain nombre de parlementaires disposent de cette autorisation ; cela ne fait pas d'eux des gardes du corps des autres parlementaires...
Une autorisation de port d'arme est quelque chose de très rare : le ministère de l'intérieur les délivre au compte-gouttes. En l'occurrence, j'ai d'abord essuyé un refus pour des motifs administratifs. Lorsque j'ai pris mes fonctions à l'Élysée, ma deuxième demande a été administrativement fondée sur une première demande formulée dans le cadre de mes fonctions de directeur de la sûreté et de la sécurité de La République En Marche. Cette seconde demande n'a pas été jugée recevable par la direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ) - ce qu'a expliqué en substance M. Stéphane Fratacci - car je n'avais pas renouvelé ma demande de port d'arme en ma qualité de collaborateur du Président de la République. La DLPAJ a refusé ma demande sur ce motif, ce qui est normal. Le dossier administratif doit être carré. Cela ne veut pas dire qu'il n'y avait pas de menace, mais sur ce point je n'entrerai pas dans les détails.
M. Philippe Bas, président . - Monsieur Benalla, nous pouvons tout entendre, mais il y a une réalité : ce sont les attendus de la décision du préfet de police. Elle n'indique pas que M. Benalla a demandé un port d'arme pour sa sécurité personnelle et que celle-ci est accordée parce qu'il a les qualifications nécessaires, mais que « M. Benalla est chargé d'une mission de police dans le cadre de son action de coordination de la sécurité de la présidence de la République avec les forces militaires et le GSPR ». Il a donc bien fallu que la demande comporte une description de cette fonction de police pour que le préfet de police, qui n'invente rien, puisse s'y référer.
Je laisserai de côté les allégations que vous avez pu avancer sur des personnes qui auraient eu des permis de port d'arme ou d'autres, peut-être à l'Élysée, qui en auraient aujourd'hui. Mais convenez tout de même qu'il ne suffit pas d'être collaborateur du Président de la République pour se trouver dans une insécurité telle que cela justifie une demande de permis de port d'arme. Je veux juste relever ces points. Je vous demande très simplement de m'expliquer pourquoi on a dit une chose au préfet de police et pourquoi vous dites autre chose aujourd'hui.
M. Alexandre Benalla . - Pour répondre encore de manière très précise, je n'ai pas rédigé mon arrêté d'autorisation de port d'arme. Celui-ci a été rédigé par la direction de la police générale : elle a essayé de faire entrer mon cas, qui n'est pas un cas conforme, dans les clous. D'ailleurs, il est très imprécis sur mes fonctions parce qu'il explique la coordination entre « les forces militaires » et le GSPR. Les forces militaires, je ne sais pas ce que c'est.
M. Philippe Bas, président . - Je pense qu'il s'agit du commandement militaire du Palais puisque vous nous avez vous-même expliqué la fonction de coordination des services de sécurité - M. Lauch nous l'a révélée alors qu'elle ne nous avait pas été précisée lors de nos premières auditions - qui, selon vos dires et les siens, comprenait la coordination du commandement militaire du palais et du GSPR.
M. Alexandre Benalla . - Tout à fait. Je sais. Le seul interlocuteur que j'ai eu concernant cette autorisation de port d'arme, c'est Patrick Strzoda. Il a dit : « On va faire les choses dans les règles. » C'est ce que l'on a fait. Il a saisi la préfecture de police de l'étude du dossier. Dans les considérants rédigés par l'administration figurent la menace terroriste - que personne n'évoque - et un certain nombre de menaces - précisées dans un alinéa de l'arrêté. Cette autorisation n'a pas forcément été donnée eu égard à mes fonctions de collaborateur du Président de la République ; il y avait d'autres menaces, à propos desquelles je n'entrerai pas dans le détail, mais qui sont précisées dans cet arrêté. Patrick Strzoda n'a en rien dicté cet arrêté à l'administration ; personne ne le croirait. Il a décrit ma situation en demandant ce qui pouvait être fait. La préfecture de police a répondu favorablement. Des administratifs, des juristes ont pris un certain nombre de considérants pour pouvoir attribuer de manière légale, réglementaire, une autorisation de port d'arme.
La mission de police fait référence à un arrêté qui leur permet de me délivrer cette autorisation. Est-ce « bancal » - excusez-moi d'utiliser ce terme - juridiquement ou pas ? Je ne le sais pas. Je ne suis pas un expert des arrêtés de port d'arme. Je dis simplement que la préfecture de police a pris sa décision après enquête administrative pour s'assurer du bien-fondé de la demande.
Par ailleurs, cet arrêté a été pris, de mémoire, fin septembre ou début octobre. J'étais donc alors un interlocuteur connu de la préfecture de police en raison de ma présence lors de la campagne présidentielle et lors des déplacements du Président de la République. Il y a sûrement eu un certain nombre de démarches administratives internes à la préfecture de police, sur la base de la requête de Patrick Strzoda, qui n'a en aucun cas dit : « Alexandre est policier. » Les termes sont inexacts.
Un certain nombre de considérants prennent en compte l'élément principal, c'est-à-dire la menace qui, à un moment, pouvait peser sur moi. Ils ont délivré un document qui me permettait de justifier le port d'arme. Cela est précisé dans mes missions. Quand vous êtes au cabinet du Président de la République, la mission est permanente. Je rentrais chez moi avec mon arme sur moi - en l'occurrence un Glock 43 - jusqu'à mon domicile.
M. Philippe Bas, président. - Vous me dites que l'on a voulu faire les choses en règle et que la préfecture de police a énoncé des motivations de nature à faire en sorte que le port d'arme soit légal.
M. Alexandre Benalla . - Tout à fait.
M. Philippe Bas, président . - Ne peut-on en déduire que si vous aviez fait cette demande uniquement pour votre sécurité personnelle, et non pas au regard de la mission de police relevée par le préfet de police, normalement et légalement, le permis de port d'arme aurait dû vous être refusé ?
M. Alexandre Benalla . - Ce n'est pas tout à fait exact.
M. Philippe Bas, président . - Comme il l'a été à deux reprises par le ministère de l'intérieur.
M. Alexandre Benalla . - Il a été refusé à deux reprises par le ministère de l'intérieur pour des motifs administratifs, liés non pas à des questions d'opportunité, même si, concernant la première demande, est intervenue une décision de Frédéric Auréal, chef du service de la protection (SDLP), qui n'a pas souhaité que je puisse porter une arme pendant la campagne présidentielle. C'est un problème purement administratif qui s'est posé lors de la deuxième demande : je n'avais pas fait état de mes nouvelles fonctions lors de ma demande de renouvellement. On avait relancé la première demande, ce qui a été refusé par la DLPAJ.
Le fait d'exercer une mission de police n'est pas un préalable à la délivrance d'une autorisation de port d'arme. Comme le précise le code de la sécurité intérieure, tout fonctionnaire ou agent public exposé à des risques dans le cadre de ses fonctions peut se voir délivrer une autorisation par le préfet territorialement compétent. C'est ce qu'a considéré la préfecture de police. J'étais agent public.
M. Philippe Bas, président . - Finalement, je constate que vous ne connaissez pas si mal les règles d'attribution de port d'arme...
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur . - Il nous a été refusé d'avoir accès au document faisant suite à la demande de port d'arme établie, comme vous l'avez précisé, par le directeur de cabinet du Président. Cela est étrange. Êtes-vous en possession de ce document ?
M. Alexandre Benalla . - Je ne pense pas qu'il existe. Le directeur de cabinet est en lien avec les préfets. Je suppose qu'il a directement décroché son téléphone, et demandé à Michel Delpuech si, selon les règles, il était possible de m'attribuer une autorisation.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur . - Ce permis de port d'arme, refusé à deux reprises par le ministère de l'intérieur, aurait donc été attribué par M. Yann Drouet - que nous allons recevoir - sur un coup de téléphone ? Il n'y a pas eu de demande écrite ?
M. Alexandre Benalla . - Le coup de téléphone n'a constitué, je pense, qu'un premier temps, pour exposer la situation, et savoir si l'autorisation était possible et entrait dans les clous. Patrick Strzoda est assez prudent, soucieux des règles, très droit. Il n'a exercé aucune pression, et n'a fait qu'appeler le préfet de police, pour lui exposer la situation dans laquelle j'étais et recueillir son avis. Le préfet de police a ensuite saisi son chef de cabinet, Yann Drouet, qui a saisi la direction de la police générale (DPG), laquelle, après m'avoir demandé des documents justificatifs - capacité à porter une arme, absence de problèmes psychologiques, médicaux - a rédigé l'arrêté. C'est entre l'intéressé et les services - direction de la police générale, 4 e bureau, de mémoire - qu'a lieu ce type d'échanges écrits, pas entre le préfet de police et le directeur de cabinet du Président de la République.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur . - Nous ne mettons pas en cause la droiture de quiconque. Nous avons entendu 23 personnes, qui toutes ont reçu une écoute très attentive, dans le respect de chacun.
Quand portiez-vous votre arme ? Puisque vous n'exerciez aucune fonction de sécurité directe, j'en conclus que vous ne la portiez pas lors des déplacements publics du Président de la République, pouvez-vous le confirmer ?
M. Alexandre Benalla . - Pour être encore très précis, je venais le matin, de chez moi, avec mon arme à la ceinture, et repartais le soir, de même. Ce n'est pas rien de porter une arme ; c'est aussi une responsabilité que l'on vous confie.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur . - Nous sommes d'accord.
M. Alexandre Benalla . - Il m'est arrivé, pour m'entretenir, de m'exercer avec les personnels du GSPR - qui sont les personnes les plus aptes et compétentes en la matière - ce qui m'a permis de m'entraîner avec eux - sur un stand de tir, proche de Paris - et de me perfectionner dans le maniement des armes. Si bien que, dans le cadre de l'organisation de ces séances de tir, il a pu m'arriver d'avoir mon arme à la ceinture dans l'enceinte du Palais, car je n'allais pas la mettre au coffre entre le moment de mon arrivée et celui où je partais, avec les membres du GSPR, vers 10 heures, pour l'exercice. Cela a dû m'arriver deux fois, de mémoire.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur . - Certes, mais est-ce à dire que vous confirmez n'avoir jamais porté votre arme lors des déplacements publics du Président de la République, puisque vous n'étiez chargé d'aucune mission directe de sécurité ?
M. Alexandre Benalla . - Le port d'arme, je vous le répète, n'était pas lié à la sécurité du Président de la République, mais à ma sécurité personnelle.
M. Philippe Bas, président . - Ce n'est pas ce que nous a dit le préfet de police, ni ce que mentionne son arrêté autorisant le port d'arme. Nous prenons acte de votre réponse.
Dites-nous simplement en quoi vous auriez été plus exposé que d'autres collaborateurs du Président de la République à des risques qui auraient justifié pour vous, et pour vous seul, l'obtention d'un permis de port d'arme ?
M. Alexandre Benalla . - Je n'évoquerai pas les menaces qui ont pu peser un moment, et encore aujourd'hui, sur ma sécurité personnelle. J'ai été exposé médiatiquement, pendant la campagne présidentielle, plus que tout autre collaborateur. Et je n'ai pas pu bénéficier tout de suite, pour nécessité absolue de service, d'un appartement à l'Alma. Je n'étais pas, comme le secrétaire général, le directeur de cabinet, le chef de cabinet ou certains collaborateurs qui habitent à l'Alma, accompagné par un chauffeur du service de régulation, composé de gendarmes armés. Dès lors que l'on exerce à la présidence de la République, on est exposé. J'ai fait le choix de conduire moi-même ma voiture et d'assurer ma protection parce que j'en étais capable. Je ne me suis jamais servi des chauffeurs de régulation qui accompagnent les personnels de leur domicile à l'Élysée le matin et inversement le soir et qui garantissent leur sécurité. Je n'entre pas plus dans les détails.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur . - Bien sûr. Je vous pose à nouveau la question : pouvez-vous nous certifier que vous n'avez jamais porté votre arme lors des déplacements publics du Président de la République, où vous n'exerciez aucune mission directe de sécurité ?
M. Alexandre Benalla . - Si j'intervenais en qualité de précurseur, et arrivais sur les lieux depuis mon domicile, il est possible que j'aie eu mon arme sur moi. Cela a pu arriver.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur . - J'en viens aux déplacements privés du Président de la République : quelle était exactement votre mission - vous avez annoncé que vous répondriez sur ce point ? Cette mission, par exception à votre statut, comportait-elle des tâches de sécurité ? Si oui, lesquelles ? Étiez-vous, en conséquence, armé ?
M. Alexandre Benalla . - De la même manière que pour les déplacements publics, pour les mêmes raisons que j'ai évoquées précédemment, il a pu arriver que je porte une arme à l'occasion d'un déplacement privé.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur . - Étiez-vous chargé, pour ces déplacements privés, outre de leur organisation et de leur préparation, d'une mission particulière de sécurité ?
M. Alexandre Benalla . - Ma mission et mes fonctions étaient exactement les mêmes que pour les déplacements officiels, sauf que je m'y trouvais tout seul.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur . - Aviez-vous accès, comme cela nous a été dit, à l'ensemble des télégrammes et notes de service du ministère de l'intérieur et de la préfecture de police de Paris ?
M. Alexandre Benalla . - Lorsque l'on est habilité, comme cela est le cas de l'ensemble des collaborateurs du Président de la République, au niveau du secret-défense, on peut avoir accès à un certain nombre de documents classifiés, selon le principe du « besoin d'en connaître ». À supposer que je sois désigné par le chef de cabinet pour être en charge d'un déplacement en petite couronne parisienne, j'ai accès à un dossier qui comporte outre le programme, des fiches biographiques sur les personnes rencontrées et des documents thématiques de fond, auxquels s'ajoute une « note d'ambiance », qui peut être établie par la direction du renseignement de la préfecture de police ou par le service central du renseignement territorial. Cette note n'est pas classifiée, mais elle est de diffusion restreinte (dite « DR »). Elle peut indiquer, par exemple, qu'une délégation syndicale se présentera à telle heure pour rencontrer le Président ; que telle personne, identifiée comme un agitateur local, pouvant poser un problème, sera sur place, etc. Cela nous aide à préparer au mieux le déplacement. Mais en aucun cas je n'avais un accès illimité à l'ensemble des documents classifiés.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur . - Pourquoi avez-vous jugé utile d'avoir la faculté d'accéder à l'Assemblée nationale, en tout lieu, - nous avons pris acte que vous ne l'aviez pas fait pour le Sénat - et y compris à l'entrée de l'hémicycle ?
M. Alexandre Benalla . - Cela peut paraitre surréaliste, mais, depuis que je travaillais au parti socialiste, je bénéficiais d'un badge d'accès en tant que collaborateur occasionnel, bénévole, qui me donnait accès à la bibliothèque, où j'ai préparé mes examens de master, et à la salle de sport, que j'ai continué à fréquenter. Je ne citerai pas les noms des deux députés qui me l'avaient accordé. Mais lorsqu'un badge est sollicité comme collaborateur du Président de la République, les services administratifs de l'Assemblée délivrent automatiquement un badge « collaborateur d'Emmanuel Macron », où il est écrit « H », ce qui correspond au plus haut niveau d'accès. C'est un process automatique. C'est le conseiller politique ou son secrétariat qui fait la demande de badge. Je reconnais que ma demande était un caprice personnel, car je souhaitais accéder à la salle de sport, à la bibliothèque, mais jamais je n'ai sollicité ce niveau d'accès. Je ne vois pas ce que j'aurais fait dans l'hémicycle, ma tête étant connue d'un certain nombre de parlementaires.
M. Philippe Bas, président . - Vous avez bien conscience que l'attribution de ce type de carte n'est pas destinée à permettre au bénéficiaire de pratiquer le sport, hors toute nécessité de service ?
M. Alexandre Benalla . - Il existe, à l'Assemblée nationale, des associations ouvertes à n'importe quel citoyen, administrées par des personnes extérieures, auxquelles je payais ma cotisation - le club de rugby, le club de golf... Il en va de même des associations sportives de la présidence de la République ou du Sénat, où existe aussi une association sportive et culturelle, ouverte à des personnes extérieures au Sénat, membres de vos familles ou autres.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur . - Ma dernière question porte sur le coeur de votre mission : l'organisation de la sécurité du Président de la République et des hautes personnalités. Pouvez-vous, sous serment, affirmer que vous n'êtes jamais intervenu, d'aucune manière, au sein du GSPR, sans respecter l'autonomie de son fonctionnement, sous l'autorité de son commandant ?
M. Alexandre Benalla . - Lors de la campagne présidentielle, j'ai été amené à travailler avec les officiers de sécurité du service de la protection (SDLP), j'en connais un certain nombre, avec lesquels j'ai conservé d'excellents rapports. Lorsque j'ai changé de fonctions, je suis devenu, pour eux, à la présidence de la République un facilitateur ; mais ce serait mal connaître le général Lavergne que de penser que j'aie pu interférer directement. C'est un homme de caractère, qui jamais ne m'aurait laissé diriger ou donner une consigne à qui que ce soit.
Cela étant, lorsqu'on se trouve sur le terrain avec le Président de la République et que l'on remarque une incohérence avec le dispositif préparé, par exemple, qu'un officier de sécurité est mal positionné, on peut être amené à le lui indiquer, gentiment, sans qu'il s'agisse d'un ordre. L'officier en question est libre de ne pas m'entendre, auquel cas j'en aurais parlé au colonel Lavergne, mais ce n'est jamais arrivé. Cela répond à une logique de terrain.
M. Philippe Bas, président . - Informiez-vous le GSPR à chaque fois que vous étiez partie prenante d'un déplacement et que vous portiez une arme ? Le GSPR le savait-il ?
M. Alexandre Benalla . - Par principe, une autorisation de port d'arme à titre exceptionnel exige que l'arme soit portée de manière discrète. S'il m'est arrivé, à trois reprises peut-être en un an, de porter une arme à la ceinture, lors d'un déplacement officiel ou lors d'un déplacement privé, le « siège » en était averti. C'était pour des motifs personnels - impossibilité de passer par l'Élysée, départ direct du domicile, ou à la dernière minute - et c'est arrivé trois fois... Et s'il s'était passé quelque chose, mon rôle n'était pas de la sortir : il y a des professionnels pour cela. Il n'y a jamais eu d'interférence entre mon action et celle du GSPR.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur . - Un groupe de travail a été mis en place en vue de réfléchir à une réforme de la protection du palais de l'Élysée et du Président de la République. Le commandant militaire et le général commandant le GSPR en faisaient partie, et vous y siégiez en tant qu'adjoint au chef de cabinet... dont vous étiez le modeste représentant. Ai-je bien décrit les choses ?
M. Alexandre Benalla . - Très exactement. Dans le cadre de ce groupe de travail, il s'agissait non pas, comme j'ai pu l'entendre, de mettre sur pied une milice ou une garde prétorienne, mais de suivre les recommandations de la Cour des comptes qui, pendant trois années consécutives de contrôle du budget de l'Élysée, a relevé des incohérences. De fait, deux services concourent, à l'Élysée, à la même mission de sécurité du Président de la République. Le commandement militaire s'occupe de l'intérieur du palais de l'Élysée, tandis que le GSPR est en charge de la protection du Président de la République à l'extérieur du Palais. Ces deux services utilisent des moyens différents, tant en matière de radio que de parc automobile. Celui du GSPR est contrôlé, à l'extérieur du Palais, par le ministère de l'intérieur. Si bien que si l'une des suiveuses du Président de la République a un problème mécanique, elle ne peut pas être réparée dans le garage de la présidence. Ceci pour vous donner un exemple.
Il s'agissait donc de réfléchir à des synergies, pour réduire les coûts, et les doublons. Imaginez, par comparaison, un service de presse coupé en deux parties, l'une pour le national, l'autre pour l'international, cela ne peut pas marcher ! Il faut un seul service, une seule tête, un seul état-major, un seul budget et des moyens mis en communs pour rationaliser tout cela.
Nous avons débuté par un groupe de travail à trois, qui réunissait le général Bio Farina, concerné au premier chef comme préfigurateur de ce que nous avions appelé la « DSPR », la direction de la sécurité de la présidence de la République, et le général Lavergne, pour le GSPR. Je vous l'ai dit, j'ai des connaissances en matière de sécurité, et une appétence pour les sujets de fond. Or, le principal service à faire le lien entre le commandement militaire et le GSPR est la chefferie de cabinet, qui travaille au quotidien avec le général Bio Farina et le général Lavergne, pour préparer les déplacements ou les évènements qui se tiennent à l'Élysée. J'ai été désigné par le chef de cabinet comme le représentant de la chefferie de cabinet et du directeur de cabinet, puisque la sécurité est placée sous la responsabilité exclusive de ce dernier, seul habilité à donner des ordres, tout ce qui est opérationnel relevant du chef de cabinet ou de ses adjoints. J'ai donc participé à un certain nombre de groupes de travail, sur le budget, etc . Je n'entrerai pas dans les détails, car ce projet est classifié confidentiel défense.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur . - Depuis les débuts de la V e République, la sécurité du Président de la République est assurée par des fonctionnaires qui dépendent du ministère de l'intérieur ou de la défense. Avec François Mitterrand, il s'agissait plutôt de gendarmes, avec Nicolas Sarkozy, plutôt de policiers, et avec François Hollande, que l'on sait plutôt attaché à la synthèse, c'était moitié-moitié. (Sourires). Dans tous les cas, le lien avec l'un et l'autre ministères était consubstantiel.
Or, il semble - peut-être à tort - qu'une volonté se soit fait jour de créer une structure bénéficiant d'une certaine autonomie à l'égard du ministère de l'intérieur. D'où ma dernière question, très importante à mes yeux.
Vous avez déclaré au Journal du dimanche : « S'agissant de ce projet, il y a eu une opposition nette au ministère de l'intérieur. Dès qu'il a fallu discuter avec eux, tout s'est bloqué. » Ce propos, vous l'avez tenu récemment. Dès lors qu'un adjoint au chef de cabinet du Président de la République déclare publiquement qu'il y a une « opposition nette », au ministère de l'intérieur, à un projet dont on comprend qu'il ne concerne pas seulement le palais de l'Élysée mais les rapports entre le ministère de l'intérieur, gestionnaire, en cotutelle avec le ministère de la défense, de l'ensemble des personnels mis à la disposition de la présidence de la République, il y a là un réel problème, sur lequel j'aimerais que vous nous apportiez quelques éclaircissements.
M. Alexandre Benalla . - Tout d'abord, lors de ces déclarations, je n'étais plus en fonction à la présidence de la République, et ne représentais que moi-même. J'ai donc donné mon opinion personnelle.
Il n'existe pas d'opposition officielle du ministère de l'intérieur à un projet de réforme de la sécurité. Il y a eu un problème de communication avec deux hauts fonctionnaires occupant des fonctions importantes au ministère, et opposés au projet pour des raisons corporatistes, par souci de protéger leur périmètre. Je pense que ce problème a été réglé depuis. Il n'engageait ni le ministère ni le ministre de l'intérieur, mais deux personnes ayant des fonctions éminentes et ne souhaitant pas voir ce projet aboutir, pour des raisons corporatistes. Ce que je dis n'engage que moi, c'est un avis personnel. Mais cela a été réglé par la suite. J'ajoute que je n'étais pas l'interlocuteur du ministère de l'intérieur sur ce projet de réforme : le seul interlocuteur légitime pour parler au nom de la présidence était Patrick Stzroda.
Nous n'avons fait que travailler en interne, sur un projet qui, dès qu'il s'est un peu ébruité, a suscité une opposition nette de deux personnes qui défendaient leur pré carré - ce qui est assez habituel, ainsi que j'ai pu le constater, dans l'administration.
M. Philippe Bas, président . - Je vais à présent donner la parole aux vingt collègues qui ont souhaité intervenir, et que j'appelle, afin de ne pas trop déborder sur l'horaire prévu, à rester très concis, à s'en tenir aux questions factuelles entrant dans le champ de nos investigations, en réservant l'analyse ou les commentaires pour la réunion de commission au cours de laquelle nous examinerons la moisson de toutes les auditions que nous aurons faites. Il importe que nous puissions entendre M. Benalla et que vos questions soient aussi précises que possible.
M. François Pillet . - Avez-vous déposé votre déclaration d'intérêts et votre déclaration de patrimoine auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) ?
À quelle fin avez-vous déposé au Conseil national des activités privées de sécurité, le CNAPS, en juin 2018, une demande d'agrément de dirigeant de société de sécurité, qui vous a été accordé le 9 juillet ?
Pouvez-vous nous exposer la procédure antérieure au prononcé de la sanction administrative dont vous avez fait l'objet à l'Élysée.
M. Philippe Bas, président . - À quelle sanction vous référez-vous ?
M. François Pillet . - La sanction administrative...
M. Philippe Bas, président . - Celle du 2 mai.
M. François Pillet . - Oui. Qui a décidé de vous l'infliger ? Qui vous en a informé ? Avez-vous été convoqué à un entretien préalable ? Vous a-t-on informé de la possibilité de vous adjoindre un conseil ?
M. Alexandre Benalla . - Ayant dû déménager, je n'ai reçu le courrier de la HATVP qu'il y a 48 heures. Je vais m'inscrire sur le site internet et m'en acquitter dès demain ou cet après-midi.
J'ai sollicité du CNAPS une demande d'agrément « dirigeant » dans l'éventualité d'une reconversion, au cas où je quitterais le palais de l'Élysée et monterais une société de sécurité. Je n'ai bénéficié d'aucun passe-droit. J'ai obtenu cet agrément après avoir fourni un certain nombre de documents.
S'agissant de la sanction administrative à mon
encontre, j'ai été convoqué par Patrick Strzoda une
première fois ; les faits ont été
évoqués
- sur lesquels je ne reviendrai pas ici -
et il m'a dit qu'il me tiendrait au courant des suites qui y seraient
réservées. Je ne sais pas avec qui il a décidé de
la sanction, mais c'est Patrick Strzoda qui me l'a annoncée.
Après le 1
er
mai, j'ai été suspendu
pendant 15 jours.
M. François Pillet . - Avez-vous eu un entretien préalable qui vous permette de vous défendre, si je puis dire ?
M. Alexandre Benalla. - J'ai pu exposer mes arguments à Patrick Strodza, qui les as entendus et a ensuite pris la décision, en tout cas c'est lui qui me l'a annoncée.
M. Philippe Bas, président . - Au cours d'un deuxième entretien ?
M. Alexandre Benalla. - J'ai eu un premier entretien avec Patrick Strzoda, puis un autre avec la cheffe du personnel, Mme Patricia Jannin, qui m'a remis un courrier et m'a fait signer, à la suite de quoi j'ai pris mes dispositions pour m'absenter 15 jours.
M. Philippe Bas, président . - Il n'a pas été question, alors, de ce que l'on a qualifié de rétrogradation ?
M. Alexandre Benalla . - La rétrogradation est intervenue à mon retour. Au bout des quinze jours, j'ai été convoqué et par Patrick Strzoda dans son bureau et par François-Xavier Lauch dans le sien. Ils m'ont expliqué que je ne participerais plus aux déplacements officiels du Président de la République, et que mes attributions allaient changer. Je l'ai très mal pris ; après une première sanction, je l'ai vécu comme une humiliation.
M. Philippe Bas, président . - Cette décision a été verbale, elle n'a pas été notifiée par écrit ?
M. Alexandre Benalla . - En effet. En fait, on m'a enlevé des missions pour m'en rajouter d'autres.
M. Loïc Hervé . - Vous êtes un admirateur de Franck Horrigan, personnage central du film Dans la ligne de mire. Vous avez déclaré au Monde, je crois, « la protection, ça ne s'apprend pas à l'école, ni lors des salamalecs avec des préfets. C'est un métier d'instinct, il faut être attentif aux gens, sentir le danger ». Pouvez-vous nous confirmer ces propos et pensez-vous que la protection du Président de la République française, parmi les premiers responsables politiques du monde, n'est qu'une affaire d'instinct ?
M. Alexandre Benalla . - Je pense que les policiers et gendarmes de haut niveau du GSPR sont recrutés principalement sur cette qualité, sur leur capacité à sentir les choses. Vous pouvez être champion du monde de boxe, et si vous ne voyez pas arriver une personne, rien n'y fera. Si vous avez, en revanche, un bon instinct de tennisman, peut-être pourrez-vous faire quelque chose. La réalité de ce métier, c'est l'instinct. Quant à la déclaration que vous mentionnez, je n'ai pas souvenir d'avoir prononcé le mot « salamalecs », mais puisque vous le dites, je vous crois bien volontiers.
M. Pierre-Yves Collombat . - Je sais que vous auriez préféré ne pas être là, et j'essaierai donc de limiter votre douleur en m'en tenant à quelques questions factuelles.
Vous semblez être un habitué de la préfecture de police, puisqu'il arrive même au préfet de tomber sur vous dans telle réunion. Quel document présentez-vous pour circuler dans les locaux, y compris ceux qui ne sont pas ouverts au public ?
S'agissant des déplacements véritablement privés du Président de la République - je pense à ceux limités à la présence de celui-ci et de son épouse - je m'interroge sur ce qui requiert votre présence. Pourquoi l'accompagner ? Puisque vous ne faites que de la coordination, vous n'avez alors plus rien à coordonner ?
M. Alexandre Benalla . - Sur la question des accès à la préfecture de police, j'ai pu accéder cinq fois, de mémoire, à ses locaux. Les deux premières fois, pendant la campagne présidentielle - je n'étais donc pas en fonction à l'Élysée -, pour le grand meeting de la porte de Versailles puis pour la phase de préparation de la soirée victorieuse du Louvre. Je venais donc en tant que représentant de l'équipe de campagne, accompagné de Jean-Marie Girier, directeur de campagne. Dans un tel cas, un policier ou un agent administratif, sur présentation d'une pièce d'identité, vient vous chercher et vous emmène jusqu'à la salle de réunion, où j'ai rencontré un certain nombre de responsables de la préfecture de police, tel le directeur de l'ordre public et de la circulation, la directrice du renseignement, le directeur de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne...
Pour les trois autres fois, il s'agissait, pour deux d'entre elles, de la préparation du One Planet Summit qui s'est tenu l'an dernier. La présence d'un certain nombre de chefs d'État et de gouvernement supposait de régler des questions assez lourdes. J'y suis allé, avec le général Bio Farina, en tant que représentant de la chefferie de cabinet. Je suis arrivé en voiture ; sur présentation de ma pièce d'identité, on m'a fait garer sur le stationnement réservé aux invités et j'ai été accompagné par un agent administratif jusqu'à la salle. La dernière fois, j'y suis allé dans le cadre de faits que l'on ne peut ici évoquer, accompagné jusqu'à la salle par un policier de la préfecture, de la même manière que l'ont été les collaborateurs du ministre de l'intérieur.
Pour les déplacements privés, mon rôle était, en effet, la coordination. Sans entrer dans le détail, car le Président de la République a droit au respect de sa vie privée, il peut arriver qu'il sorte, le soir, au théâtre, par exemple. Il s'agit, pour le coordonnateur, d'aller voir sur place, de faire une reconnaissance, pour régler non pas des problèmes de sécurité mais de placement, de visibilité, de tranquillité. Il s'agit d'assurer un certain confort, parce que le Président de la République ne se déplace pas, dans sa vie privée, avec cinquante personnes. Il a le droit d'aller au théâtre, par exemple. Et avant son arrivée, il s'agit d'être présent sur place, pour vérifier que ce que vous avez préparé en amont est appliqué. Pour servir, aussi, de point de contact, au cas où le Président reçoit un appel téléphonique. Ou préparer, après la représentation, une sortie au restaurant, s'il le souhaite. Les fonctions sont au total les mêmes que dans les déplacements officiels.
M. Pierre-Yves Collombat . - Si c'est une fonction d'aide de camp...
M. Philippe Bas, président . - Vous n'avez plus droit à la parole, nos collègues piaffent d'impatience pour poser leurs questions et il nous reste peu de temps...
M. Patrick Kanner
. - Vous avez
déclaré, lors de cette audition, à deux reprises, n'avoir
jamais été le garde du corps de M. Macron. Vous avez
également affirmé, employant les termes techniques du domaine de
la sécurité rapprochée, n'avoir été ni le
« siège » ni « l'épaule »
d'Emmanuel Macron.
À l'occasion du reportage d'une grande chaîne d'information en continu, BFM, vous avez évoqué le rêve de gosse qui était le vôtre, protéger les hautes personnalités, notamment de la République - à l'égard de laquelle personne ici ne doute de votre engagement. Dans ce reportage, on a pu voir des images de votre présence auprès d'Emmanuel Macron, lesquelles ont été soumises à un spécialiste de la sécurité rapprochée, qui a vu en vous « l'épaule droite » d'Emmanuel Macron. Vos déclarations contredisent le jugement de ce spécialiste sur votre rôle auprès du Président. Qu'en pensez-vous ?
M. Alexandre Benalla . - Une remarque personnelle, tout d'abord : j'ai vu un certain nombre d'experts en divers domaines raconter n'importe quoi en ce qui me concerne sur les plateaux de télé. J'ai un énorme respect pour celui que vous évoquez, car j'ai travaillé à ses côtés dans une société. Il a porté un oeil d'expert sur une situation donnée.
Si l'on avait fait, pour une raison ou une autre, le même focus sur François-Xavier Lauch, on se serait rendu compte que sa position auprès du Président de la République était exactement la même que la mienne. Quand on est adjoint ou chef de cabinet lors d'un déplacement du Président de la République, il faut être à sa proximité immédiate, pour lui passer des messages. Parce qu'aussi le Président de la République va au contact des Français, qu'il rencontre, le rôle du chef de cabinet est d'être le maître des horloges. Dans de telles situations, le Président vous sollicite : quand des dossiers lui sont remis, une demande d'intervention lui est présentée, il se tourne vers vous, il vous demande de laisser votre carte, vos coordonnées. Vous êtes aussi là pour orienter physiquement le Président de la République, afin d'assurer le respect du timing. J'ai vu hier soir des images du salon de l'agriculture : si j'ai été « l'épaule droite », alors M. François-Xavier Lauch aura été « l'épaule gauche ».
Peut-être sommes-nous plus jeunes, plus dynamiques, plus au contact que les équipes qui nous ont précédés, mais le GSPR s'y est adapté. Cela a pu les gêner un moment, je ne le vous cache pas, il a pu y avoir des explications entre le chef de cabinet et le chef du GSPR sur notre proximité physique avec le Président, mais quand ils ont compris notre rôle de facilitateurs dans cette position au plus proche du Président, ils se sont adaptés, parce qu'ils savent faire.
M. Mathieu Darnaud . - Vous avez dessiné les contours de vos fonctions, expliqué vos missions et répondu à M. Sueur sur la question de l'accès aux télégrammes et notes de service du ministère de l'intérieur. Au regard des éléments que vous nous avez livrés, pouvez-vous nous dire avec précision ce qui, selon vous, justifiait votre habilitation au secret de la défense nationale ?
M. Alexandre Benalla . - Je pense, tout d'abord, que c'est une sécurité pour l'État que d'engager une démarche d'habilitation. Lorsque vous êtes embauché comme collaborateur du Président de la République, l'administration ne vous connaît pas forcément. Ainsi, plusieurs enquêtes sont menées sur vous. L'ensemble des collaborateurs y est soumis. Ensuite, dans les fonctions qui sont les vôtres, vous pouvez être amené à organiser des déplacements sur des bases militaires, sur des zones réservées.
L'autorité habilitatrice est le commandant militaire du
palais de l'Élysée, le général Bio Farina, sous
l'autorité du directeur de cabinet. Ce qui ne veut pas dire que c'est le
commandement militaire qui enquête. Lorsqu'un collaborateur est
recruté par les ressources humaines de la présidence, son dossier
part à la direction générale de la sécurité
intérieure (DGSI), qui pousse l'enquête sur vos proches, votre
entourage et qui, s'il y a risque, émet un avis, positif ou
négatif. Si la DGSI juge qu'il y a une faille
- proximité possible avec un service de renseignement
étranger, problèmes financiers... - elle émet un avis
négatif, car vous pouvez, à un moment ou un autre,
représenter un danger pour la présidence de la République,
ou être en position de la compromettre.
L'habilitation est donc une façon pour l'Élysée, et pour d'autres administrations, de vérifier qui vous êtes et si l'accès qui vous serait ouvert à certains lieux ou documents au cas où vous auriez besoin d'en connaître ne constituerait pas un danger - car vous pourriez en révéler la teneur. Il ne s'agit en aucun cas d'un passe-droit qui permettrait de rentrer dans tel ou tel bâtiment officiel, mais d'une sécurité, en même temps qu'une responsabilité que l'on vous confie : lorsque la DGSI a émis un avis favorable, l'autorité habilitatrice vous fait signer un papier qui vous explique que si vous trahissez le secret de la défense nationale, vous encourez une des peines maximales prévues par le code pénal - bien supérieure à celle que l'on encourt pour ne pas se présenter devant une commission d'enquête...
Mme Esther Benbassa . - Dans un article du Nouvel Observateur de 2016, vous posez avec votre arme. (Mme Benbassa montre à l'assistance une copie de cet article.) Vous n'avez pourtant pas encore l'autorisation de port d'arme pour laquelle vous avez fait plusieurs demandes, en 2013, 2016, 2017. Vous aviez cependant obtenu, entretemps, une autorisation provisoire de port d'arme pour le seul QG de M. Macron. Je me demande si vous n'avez pas posé avec cette arme pour faire croire à son entourage et à lui-même que vous disposiez d'une autorisation de port d'arme, ce qui aurait pu vous ouvrir des portes pour vous occuper de la protection du Président.
J'ajoute que M. Delpuech nous a indiqué avoir délivré une autorisation à la demande de l'Élysée pour l'exercice de vos fonctions auprès du chef de l'État. Or, vous affirmez que ce port d'arme ne concerne que votre sécurité personnelle. Mais en 2016, vous portiez déjà une arme sans autorisation.
Autre question : comment expliquer que les syndicats de police que nous avons entendus aient dit que vous les terrorisiez ?
M. Philippe Bas, président . - Ce sont deux questions : commencez par la deuxième...
M. Alexandre Benalla . - C'est une remarque toute personnelle : si les policiers d'élite du GSPR et les gendarmes d'élite du groupement d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) détachés au GSPR me craignent, je suis assez inquiet pour la sécurité du Président de la République.
De mémoire, il n'y a jamais eu aucun incident avec aucun officier de sécurité du GSPR. Je les connais bien. Ce sont, pour la plupart, des camarades, avec lesquels je m'entends bien, j'allais à la salle de sports avec eux (pas à l'Assemblée nationale), au tir, j'ai passé beaucoup de temps avec eux, à la chefferie de cabinet. J'ai été abasourdi par les propos d'une personne qui s'est offert ici une tribune médiatique en racontant n'importe quoi. Si elle avait été dans son rôle, confrontée à un tel problème, elle l'aurait sans nul doute fait connaître par voie de presse, comme à son habitude. Or, je n'ai jamais vu ou lu, même dans un « indiscret » comme on en trouve dans le Canard enchaîné ou Le Point , que j'aie terrorisé qui que ce soit.
Vous évoquez un article du Nouvel Observateur dans lequel on me voit avec une arme. Pouvez-vous m'en indiquer la date ?
Mme Esther Benbassa . - Le 12 avril 2016.
M. Alexandre Benalla . - À cette date, comme je l'ai précisé au début de cette audition, je n'étais pas à En Marche mais à l'Office européen des brevets. La plaque que je porte autour du cou en témoigne. Cette photo est prise ailleurs, une autorisation de port d'arme n'était pas nécessaire.
Mme Esther Benbassa . - Qu'est-ce qui vous autorisait à porter une arme ?
M. Alexandre Benalla . - J'étais à l'étranger, en Allemagne, avec des autorisations particulières, au service d'une organisation internationale.
Mme Agnès Canayer . - Vous avez été membre de la réserve opérationnelle de la gendarmerie nationale, en 2009, en vertu de votre appétence pour les missions de sécurité et le maniement des armes. Depuis, vous avez été nommé au grade de lieutenant-colonel de réserve, comme spécialiste de la gendarmerie nationale. L'avez-vous demandé ? Si oui, à qui ? Et quelles sont les compétences qui justifient ce grade ?
M. Alexandre Benalla . - J'ai suivi un cursus parfaitement normal en matière de réserve opérationnelle. J'ai postulé, à 17 ans et demi. Mon dossier a été reçu, j'ai suivi une formation puis, entre 2009 et 2013, comme pourra vous le confirmer la direction générale de la gendarmerie nationale, j'ai effectué environ 300 jours de réserve. Cela signifie être sur le terrain, en tenue, sans distinction aucune d'avec les gendarmes d'active, avec les mêmes missions, sous le statut d'agent de police judiciaire adjoint (APJA) : il autorise à constater des infractions, à intervenir sur des faits délictueux voire criminels, comme je l'ai fait avec Vincent Crase dans le cadre de nos missions de réserve opérationnelle dans le département de l'Eure, nous avons d'ailleurs ensemble procédé à des interpellations.
Puis, deux ans durant, j'ai été moins engagé au sein de la réserve, si bien que la gendarmerie était inquiète de ne plus me voir, d'autant que j'avais obtenu un certain nombre de distinctions au sein de la gendarmerie nationale - médaille du service militaire volontaire, médaille de la défense nationale, lettres de félicitations, que je pourrais vous produire, monsieur le président, si vous le souhaitez. Le contrat dans la réserve est d'une durée de deux ans, renouvelable, mais si l'on ne fait pas un minimum de cinq jours de réserve active, on vous retire votre engagement à servir dans la réserve (ESR).
Un certain nombre de personnes, dont le directeur général de la gendarmerie nationale, que j'avais connu dans le cadre d'autres fonctions, regrettaient que je ne continue pas de servir dans la gendarmerie, où mon engagement avait été total, au même titre que dans toutes mes activités professionnelles. Il a jugé, au vu de mon statut de collaborateur du Président de la République à l'Élysée, que je pouvais intervenir sur une thématique particulière, en participant à un groupe de travail sur l'amélioration de la sécurité des emprises militaires de la gendarmerie, et m'a nommé lieutenant-colonel, sur le fondement de mes diplômes, de mon expérience professionnelle, et de mon statut à la présidence de la République. Cela n'a rien de scandaleux. Il n'est pas rare que des collaborateurs de l'Élysée, ou des parlementaires, soient ainsi engagés, au titre de la réserve citoyenne, en tant que spécialistes, dans des grades correspondant aux fonctions qu'ils occupent - mes fonctions à la chefferie de cabinet de l'Élysée ne justifiaient pas que je reste brigadier-chef de la réserve opérationnelle du département de l'Eure, où je n'aurais pas eu le temps de me rendre. Cela m'a permis de poursuivre mon engagement au profit de mon pays malgré mon agenda chargé. In fine, certes, je n'ai pas pu participer à beaucoup de réunions, mais il ne s'agit en rien d'un avantage indu : cette nomination, on me l'a proposée sans que je l'aie demandée.
M. Philippe Bas, président . - Tout de même, nous avons demandé les dossiers nécessaires à la direction générale de la gendarmerie nationale. Il n'en ressort pas avec évidence qu'il soit fréquent, naturel et normal d'être propulsé à un grade aussi élevé. Malgré toutes les qualités qui vous sont reconnues comme réserviste, vous auriez pu, tout aussi bien, être promu capitaine plutôt que lieutenant-colonel. Il y a là une interrogation pour la commission d'enquête. Pourquoi vous gratifier d'un tel grade, pour lequel il a fallu vous sortir du cadre général et vous faire entrer dans celui des spécialistes, où l'on ne passe pas comme cela, habituellement, du grade qui était le vôtre à celui de lieutenant-colonel.
M. Alexandre Benalla . - J'espère qu'il ne m'en voudra pas mais je vois ici un sénateur qui est membre de la réserve citoyenne de la gendarmerie nationale, au grade de colonel. Je ne pense pas qu'il ait porté l'uniforme huit ans durant et ait des compétences particulières pour être colonel.
M. Philippe Bas, président . - C'est votre appréciation.
M. Alexandre Benalla . - Permettez-moi de terminer mon propos.
M. Philippe Bas, président . - Vous pouvez prendre tous les exemples que vous voudrez, il s'agit d'un sénateur...
M. Alexandre Benalla . - Et j'étais collaborateur du Président de la République.
M. Philippe Bas, président . - Merci de nous le rappeler, nous le savons. Dans ce type de cas, ce n'est pas une trajectoire qui part de la réserve opérationnelle, telle que vous l'avez pratiquée, laquelle ne mène pas, normalement, à de tels grades, sauf après de très nombreuses années.
M. Alexandre Benalla . - Tout à fait. La gendarmerie utilise aussi la réserve pour se nourrir de compétences particulières. C'est ainsi que des gens sont nommés d'office au grade de colonel, dans la réserve citoyenne ou dans la réserve opérationnelle en tant que spécialistes. Des textes sont prévus à cette fin, et le cadre d'emploi que j'occupais à l'Élysée coïncide avec le grade qui m'a été attribué.
M. Philippe Bas, président . - C'est votre réponse.
M. Alexandre Benalla . - Ce sont les textes, monsieur le président.
Mme Catherine Troendlé . - Vous est-il arrivé d'appuyer ou de conseiller des recrutements ou affectations au sein du GSPR ou du commandement militaire du palais ? Vous est-il arrivé de faire entrer des personnes extérieures dans les bâtiments affectés à la présidence de la République sans que le commandement militaire en soit informé ?
M. Alexandre Benalla . - À votre première question, je réponds oui. Sans émettre, à proprement parler, un avis, j'ai pu dire le bien que je pensais d'une personne, en soulignant qu'il s'agissait d'un grand professionnel et qu'il serait bon qu'il rejoigne les rangs du GSPR. Ce policier a été soumis aux tests, au processus de sélection normal ; il disposait de toutes les compétences requises, et il a été recruté.
Vous allez auditionner Vincent Crase. Au fil de mes discussions avec le général Bio Farina, il m'est apparu incroyable, à moi qui ai servi au sein de la réserve, que le commandement militaire, composé essentiellement de gendarmes, ne soit pas plus ouvert sur l'extérieur. Vous n'êtes pas sans savoir que les dépenses publiques se réduisent, que le nombre de gendarmes en poste a diminué et que, pour eux, l'exercice est rude. Ouvrir le commandement militaire à des réservistes de la gendarmerie permettait de libérer un certain volume de temps de travail, et l'Élysée était le dernier palais national « fermé » aux réservistes. J'en ai discuté à plusieurs reprises avec le général Bio Farina. Il a considéré que c'était une bonne idée d'ouvrir ces fonctions à des profils différents. D'ailleurs, cette question a fait l'objet d'un certain nombre d'articles dans la presse spécialisée.
J'ai conseillé le recrutement de Vincent Crase, que je connais bien, puisqu'il m'a recruté comme réserviste dans l'Eure, lorsque j'avais dix-sept ans et demi. Un appel à candidatures a été lancé ; le général a reçu un certain nombre de dossiers. Divers entretiens ont été menés avec des jeunes hommes et des jeunes femmes venant d'horizons différents - étudiants, secrétaires administratifs, conducteurs -, à même d'apporter au commandement militaire, des compétences nouvelles, notamment administratives, au sein de l'état-major.
À ce titre, j'ai recommandé Vincent Crase. Il a été recruté par le général Bio Farina, et il a accompli un travail dont tout le monde m'a paru satisfait. De mémoire, 14 réservistes opérationnels exercent aujourd'hui au sein de l'Élysée. Je ne les connais pas particulièrement.
M. Philippe Bas, président . - Qu'en est-il de la seconde question posée par Mme Troendlé ?
M. Alexandre Benalla . - Quel que soit mon statut, seul le Président de la République pourrait faire entrer des personnes à l'Élysée sans l'autorisation du commandement militaire. La règle est simple : l'ensemble des visiteurs sont « audiencés » - on vérifie le cadre de leur réception, où et par qui -, qu'il s'agisse de visites privées ou officielles. Leur venue doit être annoncée 48 heures à l'avance au secrétariat du commandement militaire, afin qu'il puisse mener les vérifications d'usage. N'importe qui ne peut pas entrer à l'Élysée. Si quelqu'un se présente, demande à me voir, sans avoir été annoncé, il ne pourra pas entrer. Là-dessus, le général Bio Farina est intransigeant. Si une situation exceptionnelle exige un arbitrage, il appelle le directeur de cabinet. Mais, aujourd'hui, la règle est très stricte.
M. Philippe Bas, président . - Nous atteignons l'heure prévue pour la fin de cette audition ; nous allons continuer, mais je vous invite à grouper vos questions, afin que nous accélérions le rythme. De son côté, M. Benalla s'efforcera d'être à la fois précis et concis.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio . - Je m'interroge au sujet d'un avantage particulier lié à votre statut à l'Élysée. En quoi vos fonctions justifiaient-elles de bénéficier de deux passeports diplomatiques ? L'un de ces deux documents vous a été délivré le 24 mai 2018, soit, vraisemblablement, après la sanction qui vous a été infligée, et qui vous retirait toute participation aux déplacements du Président de la République. Pourquoi ? À ce jour, avez-vous restitué ces deux passeports ?
M. Dany Wattebled . - Lors de la campagne présidentielle de 2017, vous étiez responsable, notamment, de la sécurité du QG de campagne et de la protection rapprochée du candidat Emmanuel Macron. Puis, vous avez été embauché à l'Élysée le 14 mai 2017. Selon votre supérieur hiérarchique, M. François-Xavier Lauch, vous aviez trois missions : les déplacements du Président de la République, l'organisation des événements et la coordination des services de sécurité. Comme vous l'aviez dit, vous étiez également un facilitateur pour ce qui concerne les questions de sécurité impliquant le Président de la République et ses proches. À la lecture de votre contrat d'embauche, on comprend que vous étiez disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre, 365 jours par an. Mais, dans ces conditions, pourquoi avez-vous dû attendre quatorze mois pour obtenir un appartement de fonction quai Branly ?
M. Marc-Philippe Daubresse . - Vous l'avez confirmé il y a quelques instants, vous avez perçu la sanction qui vous a été infligée comme une rétrogradation, et même comme une humiliation. Selon le chef de cabinet du Président de la République, vous étiez chargé dès lors, pour l'essentiel, de la synchronisation des cortèges. Avez-vous continué à conduire une voiture siglée « police » et à porter une arme ?
De plus, j'observe que « l'épaule droite » et « l'épaule gauche » d'un ministre, d'un Premier ministre ou d'un Président de la République sont toujours des officiers de sécurité. Or, sur diverses photos, on vous voit assurer ce rôle physiquement. Lorsqu'un Président de la République ou un ministre est approché par telle ou telle personne, l'officier de sécurité sert souvent d'interface, pour porter un dossier ou transmettre une question. J'ai beaucoup fréquenté l'Élysée et Matignon, il en a toujours été ainsi. Comment expliquez-vous ce changement de pratique ?
M. Philippe Bas, président . - Autrement dit, si vous étiez à la place du garde du corps qui doit être en épaule... où était le garde du corps ?
Mme Catherine Di Folco . - Ma question porte sur le véhicule qui vous a été attribué. Il était équipé d'un gyrophare et d'un pare-soleil « police ». À quelles fins ? Surtout, ce véhicule vous a-t-il été retiré après votre rétrogradation, puisque vous ne deviez plus accompagner le Président de la République ? Tous les autres chargés de mission de la chefferie, notamment votre collègue sous-préfète, disposaient-ils d'un tel véhicule ? Enfin, le salaire mensuel net de 6 000 euros, que vous avez annoncé à la presse, inclut-il les primes de cabinet et les avantages en nature ?
M. Jean-Yves Leconte . - Au-delà de la place de la Contrescarpe, le 1er mai, vous avez été, depuis votre nomination comme conseiller du Président de la République, présent lors de plusieurs manifestations, et vous n'y étiez pas en tant que simple manifestant. Était-ce toujours sur vos temps de congés, ou dans le cadre de vos missions ?
En outre, vous avez été, à l'Office européen des brevets, « l'épaule droite » de M. Battistelli. On sait de quelle manière celui-ci a abusé de l'immunité que lui conférait la direction d'une organisation internationale. Le Président de la République et le secrétaire général de l'Élysée connaissent cette situation - ils ont eu l'occasion de s'interroger à ce sujet lorsqu'ils étaient au ministère de l'économie. Avez-vous évoqué ces questions avec eux, du fait de la proximité que vous avez eue avec M. Battistelli ?
M. Alexandre Benalla . - Les « avantages » évoqués par Mme Eustache-Brinio ne sont en fait que des usages. Les passeports diplomatiques sont délivrés et renouvelés de manière automatique à l'ensemble des personnels qui peuvent être appelés à se déplacer à l'étranger, pour accompagner le Président de la République, ou afin de préparer un déplacement. Un certain nombre de personnes peuvent en disposer, notamment les membres du service du protocole ; l'ensemble du personnel de la chefferie de cabinet ; et même certains membres de l'intendance, par exemple des cuisines. Ces titres ne sont pas des passe-droits et n'offrent aucune immunité. Le renouvellement de passeport du 24 mai 2018 est une procédure administrative classique. Les titres dont il s'agit sont restés dans le bureau que j'occupais à l'Élysée.
M. Pierre Charon . - Dans un coffre ?
M. Philippe Bas, président . - Veuillez poursuivre, monsieur Benalla, vous avez seul la parole.
M. Alexandre Benalla . - La résidence de l'Alma regroupe de longue date, monsieur Wattebled, des logements de fonction. Lors de ma nomination, il n'y avait pas d'appartement libre. De plus, à l'origine, je ne mesurais pas l'ampleur de ma tâche : je n'ai donc pas fait de demande en mai 2017. Puis, constatant que je commençais en général le matin à six heures trente, que je quittais mon poste à vingt-trois heures, minuit, voire une heure du matin, que je ne voyais plus ni ma femme ni mon fils et que je devais être en mesure de réagir immédiatement, en permanence, j'ai donc formulé sur le tard une demande de logement de fonction ; ce dernier m'a été attribué tout de suite par le directeur de cabinet, pour nécessité absolue de service, mais je ne l'ai jamais occupé.
Monsieur Daubresse, après avoir préparé les déplacements du Président de la République, j'ai été chargé de synchroniser des cortèges. On peut appeler cela comme l'on veut, mais c'était une rétrogradation, et j'ai considéré qu'il s'agissait d'une humiliation. C'est mon avis personnel.
Quant à la « voiture de police », qui n'est pas une voiture de police, comme les deux assemblées, l'Élysée dispose d'un parc automobile. Il s'agit, non de véhicules de fonction, mais de véhicules de service, équipés d'avertisseurs spéciaux, pour assurer la sécurité des personnes dès lors que l'on prend place dans un cortège, et pour faire face aux situations d'urgence. Dans les ministères ou dans les préfectures, l'ensemble des véhicules administratifs disposent d'ailleurs d'équipements semblables. Des attachés de presse de ministres ont des voitures de fonction avec gyrophares. Il n'y a rien de choquant à cela : le but, c'est que l'on puisse assumer ses missions au mieux, se rendre dans les délais impartis à un événement, ou intégrer le cortège du Président de la République en toute sécurité.
Je n'en n'ai pas fait le choix : tous les véhicules de la présidence sont équipés ainsi, comme les véhicules des présidents de commission au Sénat, du président de l'Assemblée nationale... Ce n'est pas un avantage, c'est un usage. J'ignore s'il est régi par des textes. Si l'on m'avait dit de me déplacer à vélo, je l'aurais fait ; mais tel n'était pas le cas.
M. Marc-Philippe Daubresse . - Après votre rétrogradation, vous avez continué à utiliser ce véhicule ?
M. Alexandre Benalla . - oui, mais j'insiste : si la vidéo d'une Talisman a tourné en boucle sur BFM, je n'avais pas de véhicule attitré. Le parc automobile de l'Élysée comprend également des Clio et des Zoé. On les prend en fonction des besoins. J'ai continué à utiliser ces véhicules de temps en temps pour me rendre, depuis mon domicile, sur des lieux où la présidence de la République organisait des événements. Je n'étais certes plus en charge de la sécurité ni de l'organisation des déplacements du Président de la République, mais toujours de certains événements connexes : le retour des Bleus, la panthéonisation de Simone Veil, etc. Dans ce cadre, je me déplace.
Si l'on peut me voir, sur telle ou telle vidéo, à l'épaule droite du Président de la République, à l'épaule gauche on verra un policier ou un gendarme du GSPR. Aujourd'hui, je suis sous le feu des projecteurs. Mais on aurait également pu voir François-Xavier Lauch, en permanence, à l'épaule droite du Président de la République...
M. Philippe Bas, président . - Vous l'avez déjà dit...
M. Alexandre Benalla . - Pour poursuivre ma réponse, c'est effectivement un changement. La fonction d'un officier de sécurité, n'est pas de porter des dossiers, le manteau du Président, ou de lui transmettre des messages ; c'est d'être attentif et de le protéger en permanence.
M. Philippe Bas, président . - Mais, si vous êtes dans une position caractéristique de la protection à l'épaule, où est le garde du corps qui assure cette protection ?
M. Alexandre Benalla . - Il était à droite si j'étais à gauche, et à gauche si j'étais à droite : c'est visible sur les images.
M. Antoine Lefèvre . - C'est formidable, comme réponse !
M. Marc-Philippe Daubresse . - Il s'agit du garde du corps qui devait être à votre place ?
M. Alexandre Benalla . - Il n'y a pas de place prédéfinie. J'insiste, les officiers de sécurité ne sont pas les valets des personnes qu'ils protègent.
Je suis désolé si je n'ai pas été clair sur ce sujet précédemment. La proximité physique, y compris du chef de cabinet, lors des déplacements du Président de la République, a donné lieu à des discussions entre le chef du GSPR et le chef de cabinet ; mais les membres du GSPR, qui sont des personnes intelligentes et professionnelles, se sont adaptés, ils ont trouvé des solutions pour que cette proximité soit préservée, afin que l'on puisse parler au Président à tout moment.
La chargée de mission que vous évoquez n'avait pas de véhicule de service, mais elle avait accès au service de la régulation. Ainsi, elle disposait d'un véhicule de la présidence de la République, avec un gendarme, en qualité de chauffeur, dès lors qu'elle en avait besoin dans le cadre de ses fonctions, notamment pour la préparation de déplacements. Au sein de la chefferie de cabinet, nous étions deux à disposer d'un véhicule de service, que j'ai d'ailleurs déclaré aux impôts : François-Xavier Lauch et moi-même. Enfin, je n'ai aucun avantage en nature : les 6 000 euros nets constituaient ma rémunération totale.
Monsieur Leconte, pourriez-vous me préciser à quelles dates, à quelles manifestations, autres que celle du 1 er mai votre question faisait référence ?
M. Jean-Yves Leconte . - Il s'agit notamment de la marche organisée en la mémoire de Mme Knoll. D'une manière générale, aviez-vous un rôle d'observation ?
M. Alexandre Benalla . - Cela fait partie des fake news répandues par un certain nombre de personnes. Je n'ai jamais été présent à cette manifestation ; j'étais alors avec le Président de la République au cimetière. Je n'ai pas souvenir d'avoir évincé M. Mélenchon lors d'une manifestation ; j'attends que l'on me montre les images dont il a été question.
M. Jean-Yves Leconte . - Vous n'avez jamais eu de mission d'observation, au titre de la présidence de la République, lors de manifestations ?
M. Alexandre Benalla . - Jamais. Sans aborder la manifestation du 1 er mai, j'indique que l'on ne m'a pas demandé d'aller observer les manifestants. Si j'y étais, dans ce cas, c'était pour comprendre. Je n'ai été présent à ce titre lors d'aucune manifestation depuis que je suis entré en fonctions, le 17 mai 2017.
Mme Brigitte Lherbier . - J'ai pu constater la difficulté des concours de commissaire de police et d'officier de gendarmerie, qui organisent la hiérarchie. Votre formation universitaire m'intéresse. Dans quelle université avez-vous obtenu votre master 1 « sécurité » ? À qui avez-vous présenté ce diplôme en premier ? Il semble avoir particulièrement intéressé toutes les personnes que vous avez rencontrées, notamment au sein de la gendarmerie.
M. Alain Marc . - Lorsque vous assuriez la sécurité au parti socialiste, puis à l'Office européen des brevets, avez-vous été lié à des sociétés privées de sécurité ? Si oui, quelle était la nature de ce lien ? Sans déflorer ce que vous allez renseigner sur le formulaire de la HATVP, pouvez-vous nous dire que vous n'aviez aucun lien avec de telles sociétés privées lorsque vous étiez à l'Élysée ?
M. François Grosdidier . - Vos compétences en matière de sécurité sont incontestables. Ce qui paraît moins vraisemblable, c'est l'affirmation selon laquelle vous vous occupiez de tout, sauf de sécurité. Il y a vos attitudes et gestes professionnels, peut-être des survivances, mais aussi les mentions de l'arrêté du préfet de police vous octroyant le port d'arme, les déclarations des syndicats évoquant un « comportement autoritaire et déplacé », des « relations exécrables avec le GSPR ». Vous contestez ces propos, mais vous avez reconnu être considéré par les membres du GSPR comme un « extraterrestre », comme un « gêneur ». N'est-ce pas parce que vous vous ingériez dans leur champ de compétences ?
Sur le port d'arme, vous n'avez pas été aussi clair que ce que l'on nous a pourtant dit ici : « Jamais dans les déplacements publics, seulement dans les déplacements privés ». Lorsque vous étiez armé au cours de déplacements privés, était-ce parce que le GSPR était absent - vous avez expliqué vous-même que le Président de la République voulait un dispositif léger -, ou bien s'agissait-il d'une double assurance ? Lors des déplacements publics, donniez-vous des instructions ou des ordres aux policiers et gendarmes, gradés ou non ?
M. Henri Leroy . - Vous avez été missionné, compter tenu de vos compétences, en tant que réserviste de la gendarmerie, pour la sécurité des casernements. Le général Richard Lizurey, directeur général de la gendarmerie nationale, l'a déclaré devant notre commission : pour vous crédibiliser, on vous a octroyé des galons « en zinc » de lieutenant-colonel. Une fois terminée cette mission, à laquelle vous avez participé de façon parcimonieuse, ces galons devaient vous être retirés, puisque cette mission n'a plus lieu d'être : pouvez-vous le confirmer ?
En outre, avez-vous donné des ordres aux préfets, sous-préfets, gendarmes et policiers que vous avez été appelé à côtoyer ou à rencontrer dans l'exercice de vos missions ?
Enfin, avez-vous des antécédents judiciaires ?
Mme Marie Mercier . - Pour des raisons d'absolue nécessité de service, vous deviez occuper un logement de fonction, mais à compter du 1er juillet 2018. Comment expliquer cette attribution à cette date, après la sanction dont vous avez fait l'objet ? Parmi vos anciens collègues de la chefferie de cabinet, certains ont-ils des appartements de fonction quai Branly ?
M. Jérôme Durain . - À vous écouter, il est très difficile de ne pas franchir l'étroite ligne de crête entre, d'un côté, les fonctions de coordination et d'organisation et, de l'autre, les fonctions de police et de sécurité. Vous dites ne pas avoir exercé de missions de police et de sécurité. Mais des témoignages de journalistes, voire des images, l'attestent : vous avez procédé à des fouilles ainsi qu'à un contrôle d'identité, à La Mongie, en décembre 2017, et, à Marseille, à la notification de mise en garde à vue d'un photographe. Qu'avez-vous à répondre ?
M. Philippe Bas, président . - Monsieur Benalla, j'ai vu que vous avez noté soigneusement toutes ces questions ; pouvez-vous répondre, tout d'abord, à la seconde partie de la question de M. Leconte ?
M. Jean-Yves Leconte . - Ma seconde question portait sur l'Office européen des brevets. M. Benalla a-t-il évoqué la situation de cet organisme avec le Président de la République ou le secrétaire général de l'Élysée ?
M. Alexandre Benalla . - J'ai un immense respect pour Benoît Battistelli, à la tête de l'Office européen des brevets. Très peu de Français dirigent des organisations internationales. J'ai vu le travail de sape mené par certains politiques pour essayer de le faire chuter. C'est un grand serviteur de l'État. Il est vrai qu'il a dirigé l'Office européen des brevets d'une main de fer, mais je n'ai jamais vu, dans cette maison, quoi que ce soit en dehors de la loi. Je n'ai jamais parlé de lui, ni avec Emmanuel Macron ni avec Alexis Kohler, ni de l'Office européen des brevets, où, après avoir dirigé l'Institut national de la propriété intellectuelle (INPI), il a exercé pendant six ans et obtenu d'excellents résultats : ces sujets n'étaient pas de mon niveau. Je n'ai pas ce genre de discussions avec le Président de la République, ni avec le secrétaire général de l'Élysée.
Pour ce qui concerne ma formation, madame Lherbier, j'ai obtenu mon master 1 de droit public, spécialité « sécurité publique », à l'école de droit de Clermont-Ferrand. Ce diplôme m'a ouvert les portes de l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) et de l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ), proposés dans le cadre du cursus.
Je n'ai eu, monsieur Marc, aucun lien avec une société de sécurité privée depuis que je suis à l'Élysée. Auparavant, j'ai exercé au sein de sociétés - cabinets de conseil en sûreté et sécurité. J'ai pu détenir des parts dans certaines sociétés de sécurité, il y a très longtemps.
Monsieur Grosdidier, quand j'ai dit que l'on me qualifiait d'extraterrestre, je faisais référence, non pas aux officiers de sécurité du GSPR, mais à un certain nombre d'administratifs « pur jus », aux yeux desquels je n'avais pas tout à fait le profil de l'emploi. Effectivement, il a pu y avoir des tensions avec eux. Quand on me demande de faire quelque chose, je le fais jusqu'au bout - à ce titre, je suis un peu dans l'esprit du Président de la République -, quitte à m'attirer des inimitiés de gens qui expliquent que l'on fait comme ça depuis quarante ans et que l'on ne vous pas attendu pour changer les choses... Cela peut parfois créer des tensions. Quand vous ne faites pas partie du club, on vous le reproche, en tout cas on vous le fait sentir.
Concertant les déplacements privés et le port d'arme, le seul responsable de la sécurité du Président de la République, c'est le général Lavergne. Les éléments du GSPR sont en permanence avec le Président de la République : il n'y a jamais eu de trou dans la raquette et ce dernier ne s'est jamais retrouvé seul. Même quand le dispositif était minimum, il y a toujours eu de la sécurité autour du Président de la République, officielle. Il y a toujours eu les forces de police ou de gendarmerie avec lui.
Je le répète, l'arme que je portais était destinée à ma sécurité personnelle.
Quant au grade de lieutenant-colonel de la réserve opérationnelle, il m'a été attribué, non pas à ma demande, mais sur proposition du directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN) ; j'en ignore la durée. J'avais signé un engagement à servir dans la réserve d'une durée de cinq ans, au cours desquels mon autorité d'emploi, à savoir le cabinet du DGGN, pouvait potentiellement m'attribuer plusieurs missions - et donc d'autres missions que celle de participer à un groupe de travail sur l'amélioration de la sécurité des emprises militaires de la gendarmerie. Malheureusement, je n'ai pas eu le temps, mon agenda à l'Élysée ne m'a pas permis d'assister à l'ensemble des réunions.
M. Henri Leroy . - Pouvez-vous nous indiquer si vous avez encore ce grade ?
M. Alexandre Benalla . - Il faudrait le demander à la DGGN.
Sur la possibilité de donner des ordres à des préfets, des commissaires de police ou des officiers de gendarmerie : lorsque vous préparez un déplacement du Président de la République, vous êtes l'autorité politique, en tant que membre du cabinet. Vous donnez à certains responsables - préfets, ambassadeurs, policiers, gendarmes - une idée générale du déplacement prévu. Il serait inconcevable que le préfet ou l'ambassadeur décide du programme du Président de la République. Le Président souhaite, en rencontrant certaines personnes, en présentant ses idées, développer telle ou telle thématique. Leur mission n'est pas d'arrêter un programme, mais de mettre à disposition un certain nombre de moyens, afin de le mettre en oeuvre. Le préfet a autorité sur les forces de l'ordre ; vous lui expliquez le mode d'arrivée du Président, son itinéraire, etc. , la mise en oeuvre lui appartient. Diverses personnes entrent dans la boucle, dont le service de presse et les membres des services de sécurité. Souvent, pour faire face à un risque de manifestation, ils annoncent leur intention de déployer tel ou tel dispositif. Puis, vous donnez votre avis au préfet quant aux moyens qu'il compte mobiliser. Mais, à ce titre, il est le seul maître à bord.
Vous ne donnez pas des ordres à des policiers ou des gendarmes. Vous présentez l'objectif - que le déplacement se déroule dans tel cadre et dans de bonnes conditions. Il s'agit souvent d'aller à la rencontre des gens, donc de ne pas mettre trop de forces, pour ne pas les tenir à distance. Vous êtes une sorte de cadreur, de coordinateur, vous agissez en responsabilité, et l'autorité administrative compétente prend les décisions opérationnelles.
Lorsque j'explique à l'intendant que le Président va manger avec 25 personnes à 12 h 30, j'ai le passé qui est le mien, mais personne ne me suspecte d'avoir voulu être le superintendant de l'Élysée. Il en allait exactement de même avec les gendarmes, les préfets, les ambassadeurs...
Enfin, vous pourrez vous assurer auprès du Parquet que je ne fais l'objet d'aucune mention au fichier de traitement des antécédents judiciaires. J'ai fait l'objet de plusieurs enquêtes avant d'entrer à l'Élysée. Je ne suis ni un voyou ni une « petite frappe », comme on a pu me qualifier. Je crois avoir répondu à toutes vos questions.
M. Jérôme Durain . - Qu'en est-il des fouilles, des contrôles d'identité, des interpellations de journalistes ?
M. Alexandre Benalla . - Je n'ai jamais fouillé un journaliste ou contrôlé son identité.
Un exemple : lors du déplacement du Président de la République en Guyane, 500 personnes ont attaqué les gendarmes, les policiers, la préfecture. Les autorités préfectorales se tournent vers vous et vous demandent : « qu'est-ce qu'on fait ? » Ce n'est pas politiquement correct de le dire, mais c'est la réalité. L'autorité administrative ne prendra aucune décision sans l'aval de l'autorité politique.
De même, quand des personnes portent atteinte à la vie privée du Président de la République, le harcèlent sur son lieu de vacances, vous prenez vos responsabilités et venez dire aux membres du GSPR d'intervenir, quand la personne a franchi les limites et est entrée dans une propriété privée, pour photographier Madame ou Monsieur en maillot de bain, et vous agissez en responsabilité. Je n'ai a pas donné l'ordre d'interpeller le gars : il a commis un délit, et a été placé en garde à vue par un commissaire de police, pas par Alexandre Benalla.
M. Philippe Bas, président . - On va s'en tenir là, car si M. Benalla avait procédé lui-même à des contrôles d'identité ou à des fouilles, il s'agirait de faits potentiellement délictueux, or il n'appartient pas à notre commission d'enquête parlementaire de le conduire à s'exprimer sur des délits qu'il aurait éventuellement commis.
M. Alexandre Benalla . - Ce qui n'est pas le cas, monsieur le président...
M. Philippe Bas, président . - Nous devons nous en tenir à la réponse générale qu'il a voulu nous faire. Monsieur Benalla, je vous remercie d'avoir coopéré avec la commission des lois, investie des pouvoirs de commission d'enquête. Cette audition est terminée.
Audition de M. Vincent
Crase,
chef d'escadron dans la réserve opérationnelle
de la
gendarmerie nationale
(Mercredi 19 septembre 2018)
M. Philippe Bas , président . - Mes chers collègues, comme je l'ai rappelé en ouvrant la précédente audition, M. Crase ayant été mis en examen, il est évidemment exclu que nous lui posions la moindre question qui puisse avoir une relation avec les faits relevant de l'enquête judiciaire.
M. Crase a servi au commandement militaire du palais de l'Élysée en qualité de réserviste. Nous lui poserons des questions afin d'éclairer la commission quant au fonctionnement des services chargés de la sécurité du palais présidentiel, qui relèvent de la garde républicaine, de la gendarmerie nationale, du ministère de l'intérieur et du ministère de la défense, pour le recrutement des collaborateurs qui y servent, pour la gestion des moyens dont ils disposent, de leurs carrières ou de leur organisation. C'est seulement à ce titre que nous le recevons aujourd'hui.
Monsieur Crase, vous aviez demandé le huis clos, comme la législation le permet. Votre demande a été soumise à l'appréciation de la commission, qui en a délibéré ce matin avant de procéder aux auditions et qui ne l'a pas acceptée, dans un souci de transparence, toutes les autres auditions ayant eu lieu en public. Néanmoins, une audition n'est pas une comparution ; ici, nous n'instruisons aucun procès, nous ne prononçons aucune sanction. Nos questions ne touchent pas à des faits qui pourraient vous être reprochés. Simplement, nous attendons de vous que vous nous apportiez, de manière coopérative, un éclairage au cours de cette audition, qui n'est peut-être pas la principale de celles que nous avons menées et que nous mènerons.
Notre commission ayant été investie des prérogatives d'une commission d'enquête, je dois vous rappeler qu'un faux témoignage serait passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Vincent Crase prête serment.
M. Philippe Bas , président . - Souhaitez-vous vous exprimer avant que nous vous posions quelques questions, ou n'est-ce pas nécessaire ?
M. Vincent Crase, chef d'escadron dans la réserve opérationnelle de la gendarmerie nationale . - Non.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Pouvez-vous nous rappeler votre formation et votre parcours professionnel, notamment en matière de sécurité et de protection rapprochée ?
M. Vincent Crase . - Mon parcours professionnel a débuté en 1996, lorsque j'ai été nommé enseignant de français et d'histoire-géographie dans un centre de formation des apprentis. J'ai exercé ce métier pendant neuf ans. Au préalable, j'avais effectué mon service militaire dans l'armée de l'air, dont j'ai été réserviste jusqu'en 2005. J'ai alors intégré la réserve opérationnelle de la gendarmerie nationale, dans le département de l'Eure. Je suis titulaire d'un diplôme universitaire professionnel (DUP), dans le domaine de la sécurité privée, pour le métier d'enquêteur privé. J'ai obtenu ce diplôme au sein du centre de Melun de l'université Panthéon-Assas.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Dans quelle mesure avez-vous été associé à la campagne présidentielle d'Emmanuel Macron ? Était-ce comme prestataire ou comme salarié ? Quelle était la nature de vos prestations ?
M. Vincent Crase . - J'ai été associé à la campagne présidentielle du candidat Emmanuel Macron à partir de la fin septembre, ou du début octobre 2016. Dans un premier temps, j'ai accompagné le service d'ordre, à titre bénévole. En cette qualité, je travaillais avec M. Benalla. Je recrutais et formais les volontaires choisis sur les listes d'adhérents dont nous disposions. Ces volontaires, eux aussi bénévoles, avaient pour mission d'assister le service d'ordre lors des meetings et d'assurer l'accueil au quartier général (QG) de la rue de l'Abbé Groult, où nous nous sommes installés le 15 novembre 2016.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Donc, dans un premier temps vous étiez bénévole, puis vous avez changé de fonction ?
M. Vincent Crase . - Oui, j'ai ensuite été prestataire pour En Marche et, le 1 er juillet 2017, après la victoire à l'élection présidentielle, je suis devenu salarié de La République En Marche (LaREM).
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - J'allais vous poser la question : depuis quand étiez-vous employé au sein de LaREM ? Qui vous a recruté ? Quelles fonctions y avez-vous exercées ?
M. Vincent Crase . - J'ai été présenté par M. Benalla qui était entré antérieurement dans le mouvement. Nous nous connaissons depuis 2009, comme il vous l'a dit tout à l'heure. Je l'ai rencontré dans le cadre de sa préparation militaire de gendarmerie et nous nous sommes toujours suivis amicalement. Il m'a proposé de rejoindre les rangs d'En Marche. Ce n'est pas lui qui a décidé de tout. J'ai été adoubé par les membres du staff pour m'occuper notamment de la gestion des bénévoles au sein du QG de l'Abbé Groult qui avaient pour mission d'assurer l'accueil des personnes et regarder si toutes les personnes qui venaient au QG avaient quelque chose à y faire.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Dans quelles conditions avez-vous rejoint, en qualité de réserviste, le commandement militaire du palais de l'Élysée ? Avez-vous été recommandé ou appuyé pour cette affectation ? Combien de fois avez-vous été convoqué en tant que réserviste à l'Élysée ? Pour quelles missions ? Votre hiérarchie au sein de la République En Marche était-elle informée de votre emploi de réserviste à l'Élysée ?
M. Vincent Crase . - J'ai rencontré pour la première fois le général Bio Farina au mois de septembre 2017, sur la recommandation d'Alexandre Benalla. Il avait comme projet de monter une structure de réserve au palais de l'Élysée, pour gonfler les effectifs des gardes républicains qui sont des militaires d'active. Je rappelle d'ailleurs qu'à chaque fois qu'un réserviste intervient, il est en trinôme avec deux gardes. Le but était de gonfler les effectifs à l'occasion d'événements particuliers, tels que les journées du Patrimoine, mais aussi au quotidien, car les effectifs ne sont pas toujours suffisants.
Tous les palais de la République disposent ainsi de réservistes, notamment le Sénat qui a des réservistes du 2 e régiment d'infanterie. L'objectif était de proposer, sous forme d'appel à volontaires, aux réservistes du 1 er régiment d'infanterie de rejoindre le palais de l'Élysée. Cette mission avait pour particularité d'être exclusive de toute autre pour des raisons de confidentialité. Ainsi, je rencontre le général Bio Farina, nous discutons de ce projet, et il me confie la mission de monter cette structure de réservistes. À cette époque, j'étais réserviste dans la départementale, dans la région de gendarmerie de Haute-Normandie. Il a fallu transférer mon dossier, ce qui a pris un peu de temps, puisque l'administration militaire prend son temps pour faire les choses dans l'ordre.
Ma première journée de réserve au palais de l'Élysée a eu lieu le 10 novembre 2017. J'y ai été le 10 et le 11 novembre qui ont constitué des journées de découverte, aussi exhaustives que possible, du palais et des services. Ensuite, nous avons reçu des candidats réservistes qui venaient du 1 er régiment d'infanterie et qui étaient intéressés par cette mission. Il y a donc eu plusieurs filtres : un premier filtre avec moi et un autre officier du service de contrôle des entrées (SCE), qui dépend du commandement militaire - car la mission principale de ces réservistes est de travailler au profit du service de contrôle des entrées ; ensuite, second filtre, les candidatures sont validées par le général Bio Farina lui-même, en tant qu'autorité hiérarchique la plus haute, qui souhaite connaître toutes les personnes amenées à travailler pour le commandement militaire. Les candidats apportaient leur CV, ils passaient un entretien et s'ils donnaient satisfaction, ils étaient intégrés mais devaient quand même accomplir quelques journées d'observation.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Vous n'avez pas complètement répondu à toutes mes questions, il est vrai nombreuses. Combien de fois avez-vous été convoqué en tant que réserviste ?
M. Vincent Crase . - Une quarantaine de fois, mais je n'ai pas le chiffre exact en tête, entre 40 et 50. Sur ce total, j'ai effectué 17 jours en Bourgogne pour encadrer une préparation militaire de gendarmerie (PMG), qui vise, dans la mesure où il n'y a plus de service militaire, à donner à des jeunes volontaires issus du civil une formation militaire intensive pour les amener au premier stade opérationnel afin qu'ils puissent intégrer ensuite une unité. Le principe dans la réserve opérationnelle, c'est que la formation est continue ; vous devez valider une séance de tir chaque année, faute de quoi vous ne pouvez plus exercer. Ainsi, j'ai passé 17 jours à l'école de gendarmerie de Dijon, qui est sur l'ancienne base aérienne, pour former un détachement de gardes républicains, ce qui m'a permis de présélectionner des candidats potentiels pour la Compagnie de sécurité de la présidence de la République (CSPR).
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Votre hiérarchie au sein du mouvement La République En Marche était-elle informée de votre emploi en tant que réserviste ?
M. Vincent Crase . - Oui, je n'en faisais pas secret, je pense que ces personnes étaient tout à fait au courant de mon activité au palais de l'Élysée.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Les 14 réservistes qui ont été recrutés par le général Bio Farina ont-ils une mission clairement définie ou bien sont-ils plutôt affectés à une série de missions définies de manière aléatoire, ou au jour le jour ?
M. Vincent Crase . - Tous les 14 réservistes travaillent exclusivement au profit du service de contrôle des entrées (SCE). Vous savez que l'hôtel d'Évreux a une loge d'honneur qui donne sur le faubourg Saint-Honoré, une loge Ouest et une loge Est, ainsi que des emprises extérieures, mais qui sont dans le périmètre, à Marigny ou sur la rue de l'Élysée. Ces jeunes réservistes travaillaient exclusivement au contrôle des entrées de ces différents points.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Donc la mission en Bourgogne était exceptionnelle ?
M. Vincent Crase . - Pour moi, oui. Pour les réservistes, non : il s'agissait du premier sas de leur formation initiale.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Lors de vos missions au sein du commandement militaire de l'Élysée, aviez-vous à traiter avec M. Alexandre Benalla ?
M. Vincent Crase . - Avec Alexandre Benalla, on se côtoyait, on se croisait mais on ne se voyait pas tous les jours car nous n'avions pas du tout le même emploi du temps. Je n'ai aucun souvenir d'avoir eu le temps de déjeuner avec lui car nous étions bien occupés.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Donc vos relations étaient purement informelles et amicales ?
M. Vincent Crase . - Oui, parce qu'il n'y a pas de lien hiérarchique entre lui et moi au sein du Palais. Je dépends entièrement du commandement militaire, donc du général Bio Farina et des autres officiers.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Mais vous connaissez bien M. Benalla ?
M. Vincent Crase . - Tout à fait. Nous nous connaissons depuis 2009.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Nous posons beaucoup de questions, pour chercher à trouver la vérité, à identifier d'éventuels dysfonctionnements, à faire des propositions. À votre avis, exerçait-il exclusivement des missions d'organisation de déplacements ou bien a-t-il exercé des missions de police et de sécurité ?
M. Vincent Crase . - Vous avez auditionné...
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Beaucoup de monde !
M. Vincent Crase . - ... très longuement M. Benalla ce matin. Je pense qu'il a eu tout le loisir de répondre à cette question. Pour ma part, je me réserve le droit de ne pas y répondre.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Soit, mais puisque vous le côtoyiez et que vous le connaissiez, vous avez peut-être une idée sur la question ?
M. Vincent Crase . - J'ai forcément une idée, mais...
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Vous devez dire la vérité...
M. Vincent Crase . - Je dis la vérité, mais je ne suis pas M. Benalla, je suis M. Crase...
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - D'accord, mais vous connaissez le sujet...
M. Vincent Crase . - Bien sûr.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Vous pouvez répondre en toute sincérité.
M. Vincent Crase . - Mais cela ne me concerne en rien, monsieur le sénateur.
M. Philippe Bas , président . - Au fond, monsieur Crase, vous estimez que, de l'endroit où vous étiez, vous ne pouviez pas apprécier la réalité de la fonction de M. Benalla ?
M. Vincent Crase . - Je ne connais pas sa fiche de poste, je n'ai pas lu son contrat de travail, donc je ne vais pas me risquer à dire des approximations.
M. Philippe Bas , président . - Très bien, on peut le comprendre.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Quand même, excusez-moi d'insister, vous étiez à l'Élysée, vous le connaissez bien, vous pouvez nous dire ce qu'il faisait ! On nous a tout dit. On nous a présenté M. Benalla comme une sorte de gentil organisateur de voyages comme dans une organisation célèbre...
M. Vincent Crase . - Il est très gentil, je vous le confirme !
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Je ne porte pas de jugement sur ce sujet, mais voilà une information... D'autres éléments, comme son permis de port d'arme, montrent qu'il avait des fonctions de sécurité. Vous savez bien les choses. Ne dites pas que vous ne savez rien !
M. Vincent Crase . - Même si je sais ces choses, je ne vous répondrai pas.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Je prends acte de votre réponse.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Y avait-il au sein de cette cellule de réservistes d'autres salariés de La République En Marche ? Si tel est le cas, comment ont-ils été recrutés ? Est-ce par votre intermédiaire ? Sur recommandation ?
M. Vincent Crase . - Il n'y a pas, parmi les 14, de salariés de La République En Marche. En revanche, il y a un réserviste, que j'ai connu lors de la campagne présidentielle et qui s'est montré intéressé. Ayant eu l'occasion de le former à Dijon, de connaître sa droiture et d'apprécier ses qualités professionnelles pendant cette formation, oui, je l'ai recommandé. Toutefois, il n'y a pas eu de passe-droit : il a passé, comme les autres, un entretien avec moi et avec un autre officier et ensuite un entretien avec le général. S'il avait été mauvais, il n'aurait pas été pris. On ne peut pas prendre le risque de recruter quelqu'un qui n'est pas au maximum de ce qu'on exige, au palais de l'Élysée.
M. François Grosdidier . - Nous sommes un petit peu surpris de découvrir l'emploi de réservistes pour ces missions. M. Benalla nous expliquait tout à l'heure qu'il fallait ouvrir à la société civile les services de protection de la présidence de la République. On pensait que ces services étaient réservés à l'élite des plus professionnels des professionnels, même si la réserve de la gendarmerie est parfaitement honorable et si l'on apprécie beaucoup son intervention sur l'ensemble des territoires. Mais enfin, il s'agit là des missions les plus délicates qui concernent le sommet de l'État ! Qui, au départ, a décidé d'ouvrir ces services de protection de la présidence de la République à des personnes moins professionnelles ? Les personnes recrutées sont-elles essentiellement des sympathisants de la majorité présidentielle ou bien le recrutement est-il ouvert à l'ensemble des réservistes de la gendarmerie, indépendamment de toute considération partisane ?
M. Vincent Crase . - Il n'y a pas, parmi les 14 réservistes, de sympathisants, à la seule exception de celui que j'ai connu pendant la campagne. J'ai connu tous les autres soit lors de cet appel à volontariat auprès du 1 er régiment d'infanterie, soit lors de la préparation militaire de gendarmerie lorsque je les ai présélectionnés moi-même mais je ne leur ai pas demandé s'ils étaient adhérents de LaREM.
Vous vous étonnez de la présence de réservistes au palais de l'Élysée. Je ne suis pas un grand spécialiste des réserves militaires, mais aujourd'hui l'état des forces armées rend nécessaire l'emploi de réservistes. Chacun connaît les difficultés que vit notre armée. Je pense que sans l'apport de la réserve opérationnelle elles seraient encore plus grandes. J'ai une plus grande expérience de la départementale puisque j'y ai passé treize ans, je sais que l'apport des réservistes y est essentiel.
Mme Esther Benbassa . - Ma première question concerne l'attribution de votre statut d'observateur le 1 er mai : M. Bruno Roger-Petit, alors porte-parole de l'Élysée, nous a dit que vous vous possédiez effectivement une autorisation pour être observateur, tandis que le général Bio Farina a démenti cette information. Comment expliquez-vous ces différentes versions ?
Deuxièmement, je voudrais savoir si vous êtes toujours membre de LaREM, dans la mesure où les statuts prévoient que, lorsque l'un de ses adhérents commet un acte préjudiciable au mouvement, il doit être entendu par une commission disciplinaire interne. De nombreux militants ont ainsi déjà subi une procédure d'exclusion. Qu'en est-il dans votre cas ?
M. Philippe Bas , président . - Excusez-moi, M. Crase, mais la première question sur votre qualité à participer ou pas, en tant qu'observateur, à la présence policière le 1 er mai, est trop proche de l'enquête judiciaire, vous n'avez pas à y répondre.
Vous devez, en revanche, répondre à la deuxième question de Mme Benbassa.
M. Vincent Crase . - Merci, monsieur le président, c'était la réponse que je m'apprêtais à faire à madame la sénatrice.
Est-ce que je suis encore salarié de LaREM ? Non, puisque j'ai été licencié le 31 juillet... Si l'on peut retenir cette date car enfin, j'ai eu mon entretien préalable à un licenciement à 11 heures, le jour même, mais, à 8 heures du matin, il était déjà annoncé que j'avais été licencié... Cela été un peu baroque !
Suis-je encore militant ? Je ne sais pas. Je reçois encore les mails destinés aux adhérents, mais s'ils décident de ne plus me les envoyer, je ne le serai plus.
Mme Brigitte Lherbier . - Lorsqu'une mission est à pourvoir, y-a-t-il des feuilles de route bien précise ? Des rapports sont-ils à remettre au terme de la mission ?
M. Vincent Crase . - Une mission de réserve se prévoit à l'avance, dans les meilleurs délais possibles, quand cela est possible, mais parfois cela peut être un peu plus rapide. Toutes les missions font l'objet d'une convocation. Un logiciel nous permet de préciser en ligne le contenu de la mission qui doit être validée par l'autorité d'emploi. Si l'on veut se faire payer, il faut pouvoir prouver que l'on a bien réalisé cette mission. Des services de gestion s'occupent de cela. Pour ma part, je dépendais du 1 er régiment d'infanterie à Nanterre et tout a été validé en temps et en heure.
Mme Catherine Troendlé . - Qui a été à l'initiative de la constitution de cette structure de réservistes ?
M. Vincent Crase . - Je pense que c'est le général, en accord bien sûr avec les autorités du palais de l'Élysée. Je ne puis parler à la place du général Bio Farina ni du directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN). Il s'agit à la fois d'apporter un renfort opérationnel aux gendarmes d'active, qui ont des emplois du temps très lourds, en palliant les absences ou les permissions, et aussi de renforcer l'attractivité de la réserve puisque la gendarmerie nationale est constamment en recherche de réservistes : montrer que des réservistes peuvent exercer dans les palais nationaux, et notamment à l'Élysée, constitue une vitrine valorisante. Toutefois l'aspect opérationnel est décisif. Dès qu'il y a des malades ou des permissions, il faut pouvoir occuper, à l'optimum, tous les postes.
M. Philippe Bas , président . - Lorsque vous effectuiez votre service au titre de la réserve au palais de l'Élysée, vous étiez donc, vous aussi, comme les autres réservistes, affecté à une tâche de contrôle des entrées à l'Élysée. À l'occasion de cette mission, vous n'étiez donc jamais en contact avec le groupe de sécurité de la présidence de la république (GSPR) et vous n'aviez pas non plus d'autres activités au sein du Palais ?
M. Vincent Crase . - Mon activité principale au sein du Palais était le commandement de mes réservistes : vérifier qu'ils étaient bien à l'heure ; vérifier que la prise en compte de leur armement se déroulait dans les conditions prévues par les textes ; vérifier auprès des gendarmes d'active, des gradés, si ces jeunes réservistes faisaient bien leur service, s'ils étaient polis, courtois, puisque c'est ce qu'on leur demande, aux entrées. Je m'occupais principalement de cela.
Lorsqu'il y avait des événements, comme des dîners officiels - je me rappelle par exemple aussi du One Planet Summit en décembre - je prêtais main forte aux officiers. Comme on peut le voir sur les images, je suis toujours en civil, comme les officiers ou les cadres du SCE, alors que les gendarmes d'active qui sont dans les loges sont en uniforme. Je faisais le même travail que mes camarades d'active qui contrôlent les entrées pour vérifier les plaques d'immatriculation des véhicules et l'identité des personnes qui entrent au sein du palais d'Évreux.
Mme Marie Mercier . - Pourriez-vous nous repréciser votre grade exact ? Parmi les 14 réservistes sous vos ordres, y avait-il des lieutenants-colonels ?
M. Vincent Crase . - Je suis chef d'escadron, ce qui correspond au grade de commandant, avec quatre barrettes. Parmi les réservistes que je commandais, il ne pouvait pas y avoir de lieutenant-colonel puisqu'il aurait été d'un grade supérieur au mien. De mémoire, il n'y avait que des brigadiers, des brigadiers-chefs, des premières classes ou ce qu'on appelle des « moquettes », c'est-à-dire des réservistes sans grade, tout frais émoulus de leur formation.
Mme Sophie Joissains . - M. Benalla a fait état de tensions avec l'administration de l'Élysée. La presse aussi s'en est fait l'écho. En avez-vous eu connaissance à l'époque ? À quoi les attribuez-vous ?
M. Vincent Crase . - Je n'ai aucune connaissance de tensions particulières entre M. Benalla et d'autres personnes. En ce qui me concerne, je n'ai eu aucune friction avec qui que ce soit dans mon service. Je pense que le général Bio Farina a pu vous dire qu'il était globalement satisfait de moi. J'ai été noté, comme le sont tous les gendarmes, tous les ans, et j'ai eu une notation plus que satisfaisante. En ce qui concerne M. Benalla, je ne peux pas vous répondre plus précisément mais à mon avis, non, cela se passait plutôt bien, voire très bien.
Mme Esther Benbassa . - Ce sera ma dernière question. À quel titre avez-vous participé à la marche en mémoire de Mme Knoll ?
M. Vincent Crase . - Je ne sais pas qui est Mme Knoll...
Mme Esther Benbassa . - Il s'agit de la personne qui a été assassinée parce qu'elle était juive.
M. Philippe Bas , président . - Peut-être pouvez-vous demander : « avez-vous participé à cette marche » ?
M. Vincent Crase . - Je n'ai pas participé à cette marche.
M. Philippe Bas , président . - La question était simple et la réponse est claire.
Mme Esther Benbassa . - Il semble que l'on vous voit pourtant sur les images...
M. Vincent Crase . - Il ne peut s'agir que d'une confusion.
M. Éric Kerrouche . - Nous confirmez-vous que vous n'avez pas de permis de port d'arme et que vous n'avez pas jugé utile d'en demander un ?
M. Vincent Crase . - Je ne répondrai pas à cette question car elle est en lien direct avec ma défense.
M. Philippe Bas , président . - C'est parfaitement votre droit.
Je vous remercie d'avoir coopéré avec la commission des lois, investie des pouvoirs d'une commission d'enquête.
Audition de M. Yann
Drouet,
ancien chef de cabinet du préfet de police de
Paris
(Mercredi 19 septembre 2018)
M. Philippe Bas , président . - Nous accueillons M. Yann Drouet qui est secrétaire général de la coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme à la présidence de la République, mais convoqué au titre de ses fonctions antérieures, de chef de cabinet du préfet de police de Paris. Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission est passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Yann Drouet prête serment.
M. Yann Drouet, ancien chef de cabinet du préfet de police de Paris . - Je suis devant vous aujourd'hui au titre de mes précédentes fonctions de chef de cabinet du préfet de police de Paris, un poste que j'ai occupé de janvier 2016 jusqu'au 27 avril 2018. J'exerce les fonctions de secrétaire général de la coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme depuis le 30 avril 2018. N'étant plus en fonction à la préfecture de police le 1 er mai 2018, et n'ayant pas été impliqué dans la préparation de la manifestation du 1 er mai, je n'étais pas informé de la participation de M. Benalla en tant qu'observateur et je ne pourrai donc rien vous dire sur ces faits.
Avant de répondre à vos questions, je tiens à rappeler les missions qui étaient les miennes en tant que chef de cabinet du préfet de police de Paris : gestion de l'agenda et des dossiers du préfet de police ainsi que des nombreuses interventions qui lui sont adressées ; gestion RH et budgétaire du cabinet du préfet de police ; supervision de la direction de la police générale de la préfecture de police, au titre du cabinet du préfet, donc de l'ensemble des sujets dont elle est en charge (le droit des étrangers, les naturalisations, les papiers d'identité, les permis de conduire, les cartes grises et diverses polices administratives, notamment celles liées aux armes) ; pilotage de la sécurité et de la sûreté du site principal de la préfecture de police sur l'île de la Cité ; enfin, organisation des déplacements des hautes personnalités ou des grands événements à Paris, avec la coordination des différents services de sécurité impliqués lors de ces événements, en lien avec les chefferies de cabinet des personnalités concernées et les organisateurs des événements. À ce titre, j'étais le contact naturel et normal de la chefferie de cabinet de la présidence de la République pour la préparation et l'organisation des déplacements du Président de la République à Paris.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Monsieur le chef de cabinet, puisque c'est à ce titre que nous vous auditionnons, même si nous n'ignorons pas que vous occupez actuellement d'autres fonctions, je vous interrogerai uniquement sur le permis de port d'arme qui a été délivré à M. Benalla. Mme Jourda vous posera d'autres questions en complément. Vous connaissez ce document puisqu'il a été rédigé par vos soins ou sous votre contrôle...
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Il est étrange à beaucoup d'égards. Je voudrais tout d'abord savoir qui en a fait formellement la demande au nom de la présidence de la République ?
M. Yann Drouet . - C'est une question importante, qui nécessite que je prenne le temps de répondre pour détailler l'ensemble de la procédure. Le 5 octobre 2017, les services de la direction de la police générale de la préfecture de police m'informent de la réception d'une demande de port d'arme de la part de M. Benalla, chargé de mission à la présidence de la République. En l'absence de directeur au sein de cette direction, le poste étant vacant à cette période, les services souhaitent que le cabinet du préfet de police évoque le dossier à son niveau. C'est donc par l'intermédiaire des services administratifs de la préfecture de police que je prends connaissance de cette demande. J'informe alors le préfet de police, qui me demande de me rapprocher du cabinet du Président de la République, afin que le dossier nous parvienne par la voie hiérarchique.
Le 10 octobre 2017, le directeur de cabinet du Président de la République confirme la demande par courriel et sollicite son examen sur le fondement de l'article L. 315-1 du code de la sécurité intérieure, comme cela figure dans le courriel de transmission, « dans le strict respect des textes ».
Tels sont les seuls liens que nous avons eus avec le cabinet du Président de la République sur ce dossier.
Il me paraît utile de rappeler les textes applicables : l'article L. 315-1 du code de la sécurité intérieure dispose que les fonctionnaires et agents des administrations publiques exposés par leurs fonctions à des risques d'agression peuvent être autorisés à s'armer dans le cadre de leurs fonctions. Ces dispositions sont codifiées dans le code de la sécurité intérieure, et j'en viens aux articles mentionnés dans l'arrêté. L'article R. 312-24 dispose que les fonctionnaires et agents des administrations publiques, chargés d'une mission de police, et/ou exposés à des risques d'agression, peuvent être autorisés à acquérir et à détenir des armes. La situation d'Alexandre Benalla correspondant à ce cas de figure, nous avons donc lancé l'instruction du dossier en veillant à réunir l'ensemble des pièces nécessaires : le carnet de tir, la formation continue, le certificat médical, l'enquête de moralité, etc.
Après un examen approfondi, il est apparu que le dossier était complet et que les missions de M. Benalla entraient dans le cadre fixé par le législateur. Ainsi, considérant l'action d'Alexandre Benalla de coordination de la sécurité de la présidence de la République avec les forces militaires et le groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR) ; considérant qu'il exerçait sa mission auprès du Président de la République, qui fait l'objet de nombreuses menaces et dans un contexte où le niveau de menace terroriste n'a jamais été aussi élevé, et considérant qu'il était, de fait, manifestement exposé à des risques d'agression, comme cela est écrit dans l'arrêté, le préfet de police a validé sa demande et j'ai signé, le 13 octobre 2007, par délégation du préfet de police, l'autorisation de port d'arme de M. Benalla - une autorisation que nous avons limitée strictement à l'exercice de ses missions et à la validité de son contrat à la présidence de la République.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Soit, mais le secrétaire général de l'Élysée, le directeur de cabinet du Président de la République et son chef de cabinet nous ont affirmé que M. Benalla n'exerçait pas de mission de police. Tout le monde ici l'a entendu. Or je m'étonne que le permis de port d'arme porte la mention suivante « considérant que M. Benalla est chargé d'une mission de police ». C'est clair, net et précis...
Vous avez dit que la demande avait été faite par un courriel. Ce matin même, M. Benalla nous a dit qu'elle avait été faite par téléphone. S'il s'agit d'un courriel, je suppose qu'il existe toujours. Nous avons demandé le document par lequel l'Élysée, donc le directeur de cabinet, a demandé le port d'arme. On a refusé de nous communiquer cette pièce. Je suppose que ce courriel figure toujours dans les archives de la préfecture de police. Avez-vous le souvenir précis des mentions qui figuraient dans ce courriel ? Soit il y est écrit que M. Benalla exerçait des missions de police - et cela invalide les déclarations qui ont été faites à la fois par le secrétaire général, le directeur de cabinet et le chef de cabinet -, soit on ne comprend pas...
M. Yann Drouet . - Je confirme, sous serment, que c'est un courriel du directeur de cabinet du Président de la République qui a déclenché l'instruction du dossier. Il y était écrit - je le cite de mémoire - que le cabinet avait été informé de cette demande, que M. Strzoda la confirmait et nous demandait de l'instruire sur le fondement de l'article L. 315-1 du code de la sécurité intérieure, dans le strict respect des textes. Point final. Telle était la transmission, avec les pièces justificatives au dossier.
M. Philippe Bas , président . - Il peut paraître surprenant que le directeur de cabinet précise que c'est dans le strict respect des textes qu'il vous demande d'instruire une demande de permis de port d'arme. On pourrait imaginer que cela va de soi...
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Par deux fois, le ministère de l'intérieur avait refusé de délivrer ce port d'arme. En étiez-vous informés ?
M. Yann Drouet . - Je n'étais pas informé des refus opposés par le ministère de l'intérieur. Cela n'a rien d'anormal parce que nous intervenons sur des fondements juridiques différents. Le ministère de l'intérieur instruit les demandes de permis de port d'arme pour des personnes exposées à des risques exceptionnels d'atteinte à leur vie sur la base de l'article R. 315-5 du code de la sécurité intérieure. De leur côté, les préfets de départements et, à Paris, le préfet de police instruisent les demandes de permis de port d'arme des fonctionnaires et agents publics chargés d'une mission de police et/ou exposés à des risques d'agression dans le cadre de leurs fonctions sur le fondement de l'article R. 312-24 du code de la sécurité intérieure. C'est sur ce second fondement que la préfecture de police a été saisie et que le dossier a été instruit, dans le strict respect des compétences du préfet de police. Il n'y avait aucune raison d'interroger le ministère de l'intérieur sur le sujet.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Est-ce que d'autres membres de la chefferie de cabinet, soit quatre personnes, bénéficiaient aussi d'un permis de port d'arme ?
M. Yann Drouet . - Durant les deux ans et demi que j'ai passés à la préfecture de police, c'est la seule demande que nous avons reçue de la présidence de la République.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Ne trouvez-vous pas étrange que l'adjoint au chef de cabinet bénéficie de ce port d'arme et pas le chef de cabinet adjoint ni le chef de cabinet ?
M. Yann Drouet . - Je n'ai pas à porter de jugement de valeur. Ce qui revenait au service de la préfecture de police, c'était de juger si la demande était fondée en droit. La demande a été jugée fondée en droit, donc on y a répondu. On répond aux questions qu'on nous pose. Il ne m'appartient pas d'extrapoler sur des demandes qui auraient pu éventuellement nous parvenir.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Dans le courriel, le directeur de cabinet faisait-il état de missions de police stricto sensu ?
M. Yann Drouet . - Très clairement, non. Il n'était pas fait état de missions de police. Il faut lire ces considérants en entier, dans leur ensemble. Isoler un passage ne permet pas de comprendre...
Il est écrit dans l'arrêté que, dans le cadre de son action de coordination de la sécurité de la présidence de la République avec les forces militaires et le GSPR, les services de la préfecture de police et nous avons estimé que son action pouvait s'inscrire dans une mission de police. On a ensuite qualifié le niveau de menace dans lequel il exerçait sa mission, en évoquant un haut niveau de menace terroriste et la sensibilité de sa mission aux côtés d'une très haute personnalité, parmi les plus menacées de France. Nous avons donc considéré que, dans le cadre de sa mission, il était manifestement exposé à des risques d'agression. C'est pour l'ensemble de ces raisons, en s'inspirant de l'article R. 312-24 qui mentionne des missions de police - c'est de là que vient le terme de « mission de police » -, que nous avons considéré que les missions exercées par M. Benalla entraient dans le cadre fixé par le législateur. Le préfet de police a donc validé son port d'arme. La direction de la police générale à la préfecture de police, service qui instruit ce type de demande, ne comprend pas un seul policier. C'est une direction strictement administrative. Pour cette direction, il n'y a jamais eu aucune ambiguïté sur le sujet.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Le chef de cabinet, qui exerce des missions similaires avec une présence très proche du Président de la République, peut être considéré comme étant autant exposé à de tels risques. Si je comprends bien, vous ne verriez pas d'inconvénient à ce que le courriel nous soit communiqué...
M. Philippe Bas , président . - Nous l'avons...
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Alors, je retire ce que je viens de dire !
M. Philippe Bas , président . - En revanche, ce courriel fait état d'une note jointe, qui, curieusement, ne nous a pas été transmise, et c'est sans doute cela que vous vouliez dire... Nous souhaitons avoir ce document.
Nous n'avons pas non plus la demande initiale, qui précède ce courriel. Ce document permettrait peut-être, compte tenu de ce que vous nous expliquez, d'établir définitivement que c'est pour la sécurité personnelle de M. Benalla que la demande a été faite. Il suffirait de le vérifier en accédant à ce document.
M. Yann Drouet . - Le dossier de port d'arme ayant été saisi par la justice, je n'ai pas pu le consulter à nouveau et je n'ai pas en mémoire les éléments qui figuraient dans cette note d'accompagnement.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Il est fait état, dans le document autorisant le port d'arme, du fait que M. Benalla dispose de la possibilité de diriger un organisme de sécurité privée. Pourquoi ce considérant ?
M. Yann Drouet . - Parce que M. Benalla était connu des services de la préfecture de police, pour la détention et le port d'arme, dans le cadre de ses anciennes fonctions comme chef de la sécurité chez En Marche. Un fond de dossier existait sur M. Benalla. Il est vrai que ce considérant était inutile...
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Ou à titre décoratif, car la demande de port d'arme ne se justifiait que par ses fonctions à l'Élysée.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Vous nous avez indiqué que la demande de permis de port d'arme a été déposée le 5 octobre 2017, en tout cas, vous en avez été informé à cette date. Quelle forme avait pris cette demande initiale puisqu'elle n'était manifestement pas faite par voie hiérarchique ?
M. Yann Drouet . - La préfecture de police est un service public, ayant différents guichets, correspondant aux différentes procédures que les administrés veulent mener. M. Benalla s'est adressé au guichet « armes » de la préfecture de police, ce qui est une démarche normale pour ce type de demande.
Si l'on reprend l'ensemble de la chronologie des évènements, cela montre que la machine d'État a bien fonctionné. M. Benalla s'adresse au guichet « armes » des services administratifs de la préfecture de police, qui voient un collaborateur du Président de la République faire une demande de port d'arme. Ceux-ci alertent le cabinet du préfet de police et le préfet de police directement. Le cabinet du préfet de police, à son tour, informe la hiérarchie de M. Benalla pour obtenir confirmation de la demande et sa transmission par la voie hiérarchique. La demande est confirmée par la hiérarchie de M. Benalla et c'est sur cette base que nous lançons l'instruction du dossier. Cela montre tout simplement qu'il y a eu un fonctionnement administratif efficace, sain et totalement transparent.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Si j'ai bien compris, les missions de police étaient visées dans les considérants du permis de port d'arme parce qu'elles figurent à l'article R. 312-24 du code de la sécurité intérieure ? C'était une reprise pure et simple du texte ?
M. Yann Drouet . - En effet. Le premier alinéa de cet article dispose que les fonctionnaires et agents publics chargés d'une mission de police peuvent être armés. Le deuxième alinéa dispose que les fonctionnaires et les agents publics manifestement exposés à des risques d'agression dans le cadre de leurs fonctions peuvent être armés.
Dans l'écriture, peut-être maladroite, de cet arrêté, nous avons repris le premier alinéa, considérant que M. Benalla exerçait des missions de police. Nous les avons qualifiées : dans le cadre de son action de coordination des services de sécurité de la présidence de la République, en lien avec les forces militaires et le GSPR. Et nous avons repris le deuxième alinéa, jugeant que, dans le cadre de ses missions, M. Benalla était manifestement exposé à des risques d'agression, en raison du haut niveau de menace.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - J'ai du mal à comprendre le raisonnement. Les missions de police existent-elles ou non, lorsqu'on motive ce permis de port d'arme ? Vous semblez dire que c'est une reprise formelle...
M. Yann Drouet . - Je vous ai indiqué comment nous les avons qualifiées. Nous avons considéré que les fonctions de M. Benalla, dans le cadre de son action de coordination des services de sécurité de la présidence de la République, en lien avec le GSPR et les forces militaires, pouvaient s'inscrire dans le cadre général d'une mission de police.
M. Philippe Bas , président . - Selon les propos tenus par le préfet de police devant nous, un arrêté ministériel définit les services ou catégories de services qui accueillent des fonctionnaires et agents pouvant être armés au titre des dispositions légales et réglementaires que vous avez rappelées ; évidemment, la présidence de la République n'y est pas mentionnée. Nonobstant cet oubli ou cette carence du droit, le préfet de police et ses services ont estimé que les fonctions de M. Benalla pouvaient être assimilées aux fonctions énumérées dans l'arrêté.
Parce qu'au sein de la préfecture de police, vous avez été convaincu que M. Benalla exerçait une fonction de police, vous avez pu inscrire la délivrance de ce permis de port d'arme dans le cadre des textes en vigueur. Si vous aviez estimé au contraire qu'il n'exerçait pas de fonction de police, il eût été illégal d'attribuer ce permis de port d'arme. Ai-je bien interprété les choses ?
M. Yann Drouet . - Absolument pas. Il y a deux alinéas à l'article R. 312-24, et les deux conditions ne sont pas cumulatives. Le premier alinéa dispose que les fonctionnaires et agents des services publics chargés d'une mission de police peuvent être armés. Le second alinéa dispose que les fonctionnaires et agents des services publics exposés à des risques d'agression dans le cadre de leurs fonctions peuvent être armés. Et/ou : les deux conditions ne sont pas cumulatives. Donc, sans référence à la mission de police, nous aurions pu prendre l'arrêté, qui aurait été légal.
M. Philippe Bas , président . - Il aurait éventuellement été légal, peut-être... Mais le préfet de police, que nous avons auditionné, nous a expliqué qu'il s'était fondé sur cette activité de police - j'ai sa déclaration sous les yeux - pour délivrer le permis de port d'arme.
Je comprends que l'on y passe du temps, car c'est essentiel pour savoir quelle était la mission exercée par M. Benalla auprès du chef de l'État. Si c'était une mission de police, elle interférait évidemment avec celle des services, placés sous la responsabilité du Gouvernement, devant assurer la sécurité des déplacements ou de la personne du chef de l'État. Si vous aviez dû vous prononcer uniquement sur le fondement de la protection personnelle de M. Benalla, vous n'auriez pas eu besoin de mentionner qu'il avait une mission de police. Or, vous l'avez fait.
M. Yann Drouet . - Parmi les éléments qui nous avaient été fournis, figurait la mission de coordination des services de la sécurité de la présidence de la République, en lien avec les forces militaires et le GSPR. Nous avons considéré que cela pouvait être assimilé à une mission de police. Les services de la préfecture de police ont assumé ce choix, et le préfet de police l'a également assumé devant votre commission.
M. Philippe Bas , président . - Avez-vous le souvenir des éléments précis qui vous ont permis de considérer qu'il s'agissait d'une mission de police ?
M. Yann Drouet . - Je n'ai pas pu reconsulter le dossier saisi par la justice...
M. Philippe Bas , président . - Je ne fais appel qu'à votre souvenir...
M. Yann Drouet . - Mais les procédures administratives sont basées sur de l'écrit. Comme l'a souligné le chef de cabinet du Président de la République, l'écrit mentionnait l'action de coordination des services de sécurité de la présidence de la République.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - M. le président Bas rappelait que le permis ne pouvait pas être accordé à M. Benalla sur le fondement de l'arrêté, celui-là ne faisant pas partie des catégories de personnel visées par celui-ci. Quelles sont vos observations sur ce point ?
M. Yann Drouet . - Je n'ai qu'une observation : la préfecture de police a jugé que les missions exercées par M. Benalla entraient dans le cadre fixé par le législateur. C'est pourquoi le préfet de police a considéré que toutes les conditions étaient remplies, et l'arrêté a été signé. Je sens bien que vous voulez démontrer quelque chose. Je me limite aux faits et à la procédure.
M. Philippe Bas , président . - Nous ne voulons rien démontrer. Nous voulons comprendre : il y a des contradictions à lever. Il vous appartient de démontrer la position que vous soutenez, avec les éléments d'information qui sont les vôtres. Notre commission délibérera après l'ensemble des auditions pour déterminer sa propre position.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Dans le cadre de vos fonctions de chef de cabinet du préfet de police, avez-vous été amené à avoir des contacts avec M. Benalla ?
M. Yann Drouet
. - Tout à fait.
J'ai été pour la première fois en contact avec Alexandre
Benalla dans le cadre de la préparation de la soirée du second
tour de l'élection présidentielle, à la pyramide du
Louvre,
le 7 mai 2017. Il a ensuite intégré
l'Élysée, et nos relations de travail ont été
régulières, jusqu'à mon départ de la
préfecture de police, en avril 2018, au gré des
déplacements du Président de la République à Paris.
Le rôle du chef de cabinet du préfet de police consiste à
être en lien étroit avec les chefs de cabinet du Président
de la République, du Premier ministre et des différents
ministres, pour préparer et organiser des déplacements à
Paris. Nos relations étaient très cordiales, mais n'ont jamais
dépassé le cadre strictement professionnel.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Quelle était, selon vous, la nature des missions de M. Benalla à l'Élysée ?
M. Yann Drouet . - En tant que membre de la chefferie de cabinet de la présidence de la République, il était chargé de la préparation et de l'organisation des déplacements du Président de la République, en lien avec les préfectures des départements concernés. Ce sont des fonctions très classiques, de lien entre les préfectures et les cabinets, de coordination des différentes entités qui concourent à un déplacement, la logistique, le service de presse, les services de sécurité, les préfectures concernées, en lien avec les organisations d'accueil. Dans le cadre de l'instruction du dossier de port d'arme, j'ai découvert sa mission interne, que je ne connaissais pas, de coordination des services de sécurité de la présidence de la République.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - J'ai bien noté que vous n'étiez pas informé de la participation à la manifestation du 1 er mai, puisque vous êtes parti le 27 avril. Mais pourriez-vous nous expliquer le cadre général de la chaîne de validation hiérarchique lorsqu'une demande d'observation est adressée à la préfecture de police ?
M. Yann Drouet . - La préfecture de police est une institution très simple et très hiérarchisée : tous les types de demandes remontent au préfet de police, qui valide ou non la participation d'un observateur. La préfecture accueille très régulièrement des observateurs sur des manifestations : parlementaires, journalistes, étudiants, stagiaires. Si la demande avait été formulée selon les cadres définis au sein de la préfecture de police, cela aurait dû remonter au préfet de police. J'ai compris que ce n'avait pas été le cas.
M. François Grosdidier . - Les différentes déclarations sont contradictoires. M. Benalla nous a assuré ce matin que son port d'arme se justifiait uniquement pour sa protection personnelle. Or l'arrêté mentionne son rôle en matière de sécurité ; j'ignorais qu'il fallait une arme pour coordonner des services ! Faut-il mettre le pistolet sur la tempe de ceux que l'on doit coordonner ? Qui est à l'origine de la formulation de l'arrêté ? M. Benalla dit que ce n'est pas lui. Le directeur de cabinet du Président de la République assume parfaitement l'avoir demandé. Mais qui l'a rédigé ? Pourquoi ? Comment ? Ce n'est toujours pas clair.
Combien de fois M. Benalla s'est-il rendu à la préfecture de police de Paris lorsqu'il était en fonction ? Certains l'ont décrit comme omniprésent quand d'autres disent qu'il n'est venu que deux fois. Y a-t-il une traçabilité de toutes les entrées à la préfecture de police ?
M. Yann Drouet . - L'arrêté a été rédigé par les services de la préfecture de police, de la direction de la police générale. La préfecture de police endosse la responsabilité des termes utilisés.
À titre personnel, je ne me souviens que de deux visites de M. Benalla à la préfecture de police de Paris : d'abord, dans le cadre de la préparation de la soirée du second tour de l'élection présidentielle, le 4 ou le 5 mai 2017 ; puis, dans le cadre de la préparation du One Planet Summit , qui s'est tenu à Boulogne-Billancourt.
M. François Grosdidier . - Ce sont donc les services de la préfecture de police qui ont imaginé que M. Benalla était chargé de la mission de coordination de la sécurité de la présidence de la République ? La note de service décrivant son activité mentionnait simplement l'organisation des déplacements publics et privés et, éventuellement, les réceptions à la présidence de République.
M. Philippe Bas , président . - Quelques éléments d'explication pour M. Drouet, qui n'a peut-être pas pu suivre toutes nos réunions, bien qu'elles soient publiques... Lors de nos premières auditions, la définition formelle qui nous a été donnée des fonctions de M. Benalla comportait exclusivement trois points : la participation à l'organisation des déplacements publics du Président de la République ; l'organisation de l'accueil des visiteurs pour le 14 juillet, car ils sont très nombreux ; l'organisation des déplacements privés du chef de l'État ou de son épouse, qui était sa responsabilité en propre. Puis, la semaine dernière, le chef de cabinet du Président de la République a indiqué que M. Benalla avait aussi une fonction de coordination du GSPR et du commandement militaire du Palais. Cela ne signifie pas que le coordinateur, à l'instar du coordinateur national du renseignement, se situe au sommet de la pyramide, mais qu'en pratique, dans le fonctionnement quotidien, il jouait un rôle de trait d'union.
Cette semaine, fait nouveau, M. Benalla nous explique que le port d'arme servait pour sa protection personnelle, ce que vous venez de confirmer. Qu'est-ce qui pouvait bien spécifiquement l'exposer à de tels risques dans l'exercice de fonctions d'organisation et de coordination, dont il ne faut pas exagérer l'importance hiérarchique, car il n'était pas placé au-dessus des chefs du GSPR ou du commandement militaire du Palais ?
Si M. Grosdidier insiste, c'est qu'il y a eu des versions évolutives de la mission exacte de M. Benalla. Dans toutes ces versions, une énigme demeure : pourquoi donc avait-il besoin d'une arme ? Il nous a indiqué qu'il pouvait avoir cette arme sur lui en présence du chef de l'État, dans des déplacements publics ou privés.
Vous n'avez pas à nous répondre sur ce que faisait exactement M. Benalla, puisque vous n'êtes pas censé le savoir ; en revanche, la préfecture de police devait disposer d'éléments objectifs suffisants pour pouvoir affirmer dans l'arrêté autorisant le port d'arme que M. Benalla exerçait une mission de police. Tel est le contexte de la question de M. Grosdidier : à ce jour, nous n'avons pas réussi à avoir une vision parfaitement claire de cette mission. Si vous pouvez nous apporter un complément d'information, il sera le bienvenu.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Nous entendons beaucoup de personnes. J'ai envie de vous demander quel est votre sentiment intime, profond. Quelle est votre conviction ? Nous avons, peut-être à tort, le sentiment que l'on cherche, de beaucoup de manières, à minimiser le rôle de M. Benalla, mais qu'il était en réalité l'homme de confiance et disposait d'un pouvoir très large, jusqu'à, peut-être, celui de maître d'oeuvre d'une réorganisation de la sécurité du chef de l'État dans toutes ses dimensions, quand bien même ce serait en opposition avec le ministère de l'intérieur. Dans Le Journal du dimanche , M. Benalla, adjoint au chef de cabinet du chef de l'État, évoquait l'opposition du ministère de l'intérieur à ses vues... En tant que fonctionnaire de la République, que pensez-vous de tout cela?
M. Yann Drouet . - J'ai été convoqué en tant qu'ancien chef de cabinet du préfet de police, fonctionnaire, et c'est en tant que tel que je vais vous répondre.
Nous avons trouvé la mention de l'action de coordination des services de sécurité de la présidence de la République en lien avec le GSPR et les forces de sécurité dans le dossier. Nous avons jugé que cela pouvait être assimilé à une mission de police. Il ne faut pas isoler, mais prendre les choses dans leur ensemble. Nous avons considéré ensemble la mission de M. Benalla auprès du Président de la République, l'une des personnalités les plus menacées de France, dans un contexte de menace terroriste des plus élevées, et les risques auxquels il était manifestement exposé du fait de cette mission.
M. Philippe Bas , président . - J'entends bien que c'est l'appréciation que vous défendez. Nous verrons si la commission accepte de s'en convaincre.
Revenons sur la décision d'autoriser M. Benalla à assister, voire de l'inviter en tant qu'observateur au service d'ordre de la manifestation du 1 er mai. J'ai compris de précédentes auditions que le préfet de police n'avait pas été informé de cette participation. Puis d'autres témoignages nous ont appris qu'elle avait été évoquée au cours d'un déjeuner du 25 avril auquel étaient présents un certain nombre de protagonistes, notamment un cadre de la police, M. Simonin.
Avez-vous été informé par un représentant de la préfecture de police dans les jours qui ont précédé le 1 er mai de cette participation, qui semblait acquise depuis plusieurs jours ?
M. Yann Drouet . - Non, monsieur le président.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - L'administration a très bien fonctionné, l'affaire ayant été instruite en neuf jours entre la présentation de la demande au « guichet » et l'octroi du permis ! Pendant les deux ans et demi où vous avez été présent à ce poste, c'est la seule fois qu'un collaborateur de l'Élysée a demandé un port d'arme. C'était donc assez exceptionnel ! Pouvez-vous confirmer que, lorsque la préfecture de police est saisie d'une demande de port d'arme, le ministère de l'intérieur n'est jamais interrogé pour savoir si une demande a été formulée auprès de ses services ?
Avez-vous eu connaissance de menaces dont M. Benalla aurait fait l'objet ? Il semble qu'il était la seule personne à l'Élysée à connaître cette situation, puisque c'est la seule à avoir demandé un permis de port d'arme. Il est d'ailleurs curieux de placer une personne menacée auprès du Président de la République...
M. Yann Drouet . - Les procédures évoquées par votre première question reposent sur des fondements juridiques différents. En l'occurrence, une telle demande relève strictement du préfet territorialement compétent. À ma connaissance, il n'a pas interrogé le ministère de l'intérieur.
Je ne suis pas habilité à répondre à la deuxième question.
M. Vincent Segouin . - M. Benalla a demandé un permis de port d'arme uniquement pour sa sécurité personnelle. Or on nous a expliqué au cours de toutes les auditions qu'il était en permanence aux côtés du Président de la République, sur son épaule droite, pour assurer la coordination. Dès lors, le fait de lui octroyer un permis de port d'arme pour sa sécurité personnelle n'augmente-t-il pas les risques de sécurité auxquels la personne du Président est confrontée ?
Pour accorder un permis de port d'arme, la préfecture de police se préoccupe-t-elle seulement du respect de l'article que vous avez mentionné, sans se soucier du bon sens ou de la sécurité ?
M. Yann Drouet . - La préfecture statue en droit. Ce n'est pas pour la sécurité personnelle de M. Benalla qu'un port d'arme lui a été octroyé ; c'est du fait de ses missions et des risques d'agression auxquels il est manifestement exposé dans le cadre de ses fonctions. Compte tenu du niveau de la menace, cela ne me paraît pas aberrant.
M. François Pillet . - M. Benalla nous a clairement indiqué qu'il n'avait jamais déposé matériellement de demande et que seul un coup de fil de M. Strzoda avait déclenché la procédure. Or vous venez de nous dire qu'une demande classique avait bien été déposée auprès de la préfecture de police. Vous souvenez-vous si elle a été signée par M. Benalla ? Je ne pense pas qu'il puisse s'agir d'un imprimé non signé... Et quels sont les éléments à fournir en appui à une telle demande initiale ? Contrat de travail ? Déclaration sur l'honneur ? Attestation de moralité ?
M. Yann Drouet . - Je me souviens que j'ai été informé par les services de la préfecture de police le 5 octobre 2017 que M. Benalla avait déposé une demande. Je ne suis pas en mesure de vous répondre sur la forme de cette demande.
M. Philippe Bas , président . - Elle aurait dû être écrite...
M. Yann Drouet . - Nous avons fait entrer la procédure dans le cadre existant. La demande a été adressée au guichet. Elle a été faite dans le cadre de ses fonctions, nous avons donc saisi l'autorité hiérarchique, qui nous a confirmé la demande. De mémoire, le dossier papier a été transmis le 10 octobre 2017.
M. Éric Kerrouche . - Tout tourne autour de cette demande de port d'arme, qui devient un peu le « mystère de la chambre jaune » à la préfecture de police ! Si je comprends bien, la mention du pouvoir de police n'était pas utile pour l'octroi du port d'arme, puisqu'il existait un deuxième motif, mais il a tout de même été jugé utile d'y faire explicitement référence. On ne peut donc pas savoir si c'est sur la base des missions de M. Benalla ou sur celle des menaces auxquelles il était exposé que le permis lui a été accordé.
M. Yann Drouet . - Je vous confirme que nous aurions pu nous référer simplement au premier alinéa de l'article R. 312-24 du code de la sécurité intérieure ou simplement au deuxième alinéa du même article. Au regard des éléments en notre possession dans le dossier, nous avons considéré qu'il pouvait être fait référence aux deux...
M. Éric Kerrouche . - Validant par là-même les missions de police de M. Benalla ?
M. Yann Drouet . - Nous avons qualifié ces missions de police dans l'arrêté, en faisant référence à son action de coordination des services de sécurité de la présidence de la République, en lien avec les forces militaires et le GSPR.
Mme Brigitte Lherbier . - Y a-t-il un protocole bien établi concernant les vidéos ? Quelle est la démarche officielle quand on détecte quelque chose lors de manifestations ou de rencontres publiques ? Qui est renseigné ? Comment procédez-vous au niveau des états-majors ?
M. Yann Drouet . - La préfecture de police est une grande maison. Il y a plusieurs états-majors, plusieurs salles de commandement, en fonction des directions concernées. Il y a deux salles de commandement à la direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC), une à la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne, une à la direction opérationnelle des services techniques et logistiques (DOSTL), une à la direction régionale de la police judiciaire (DRPJ) et une à la direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP). Chacune de ces salles est équipée d'outils de vidéoprotection, en relation avec les effectifs présents sur le terrain. Si un opérateur voit une action manifestement délictuelle sur les écrans, il doit informer les effectifs sur place pour qu'ils donnent suite.
Mme Brigitte Lherbier . - Rien ne peut échapper à la surveillance vidéo ?
M. Yann Drouet . - Bien sûr, beaucoup de choses y échappent.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Je sais que vous n'étiez plus en fonction, mais il y a eu une réunion au plus haut niveau le 1 er mai au soir. À votre avis, lors de telles réunions, avec le ministre et le préfet de police, le chef de cabinet n'est-il pas tenu au courant de la liste des invités ?
M. Philippe Bas , président . - Peut-on venir à l'improviste à ces réunions d'état-major, emmené par un collègue ?
M. Yann Drouet . - Non. Il s'agit de salles sécurisées, avec des badges d'accès. Toute personne extérieure est forcément accompagnée et invitée.
M. Philippe Bas , président . - Qui invite ?
M. Yann Drouet . - Ce n'est pas tout le temps le préfet de police. Les directions ont leur autonomie pour inviter des parlementaires, des journalistes...
M. Philippe Bas , président . - Mais c'est bien un fonctionnaire d'autorité qui prend la décision d'inviter ou de laisser entrer telle ou telle personne ?
M. Yann Drouet . - Affirmatif.
M. Philippe Bas , président . - De quel niveau est ce fonctionnaire ?
M. Yann Drouet . - C'est forcément quelqu'un de l'état-major de la direction de l'ordre public et de la circulation.
M. Philippe Bonnecarrère . - Lorsque vous avez signé par délégation du préfet de police l'autorisation de port d'arme, il devait y avoir dans votre parapheur - élément central de la vie administrative française - soit deux projets d'arrêté, l'un accordant et l'autre refusant cette autorisation - dans cette hypothèse, vous étiez décideur -, soit un seul projet d'arrêté, favorable à l'octroi du permis, avec forcément une petite note d'accompagnement de vos services expliquant pourquoi vous deviez le signer. Dans une grande maison, aussi hiérarchisée, il y a nécessairement des visas des chefs de services successifs sur cette note. Comment se présentait le parapheur au moment où vous avez apposé votre précieuse signature ?
M. Yann Drouet . - Comme il n'était pas courant qu'un collaborateur de la présidence de la République émette une telle demande, celle-ci a été traitée avec beaucoup d'attention. Le préfet de police a validé l'instruction du dossier, puis le dossier lui-même, et les services ont rédigé les actes. Le chef de cabinet du préfet de police a une délégation de signature. C'est dans ce cadre que j'ai signé l'arrêté.
M. Jérôme Durain . - Je ne suis pas un spécialiste des questions de sécurité et de police, mais pour faire un travail de policier, ne vaut-il pas mieux être policier soi-même ?
M. Philippe Bas , président . - C'est une question facile...
M. Yann Drouet . - Très certainement. Mais, à ma connaissance, M. Benalla n'a jamais exercé le métier de policier.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Alors, comme ça, tout est clair...
Mme Catherine Di Folco . - Et pourtant lors de son audition, M. Collomb nous a indiqué avoir toujours pensé que M. Benalla était policier...
Mme Catherine Troendlé . - Nous l'avons bien compris, M. Benalla exerçait des missions hautement stratégiques à l'Élysée. De ce fait, il était exposé à des risques particuliers justifiant le port d'arme. Je suppose que les missions auparavant exercées par lui seront ou sont déjà exercées par d'autres personnes. M. Lauch, qui était son supérieur hiérarchique, est également particulièrement exposé, puisqu'il accompagne régulièrement le Président de la République dans ses déplacements.
Vous êtes à présent à l'Élysée : seriez-vous susceptible de proposer à la personne qui va remplacer M. Benalla de faire une demande de port d'arme ou faut-il envisager une stratégie de protection particulière pour l'ensemble des personnes travaillant sur les missions auparavant exercées par M. Benalla ?
M. Yann Drouet . - Je ne peux pas répondre à cette question.
M. Philippe Bas , président . - C'est donc votre réponse... Monsieur Drouet, nous vous remercions d'avoir coopéré avec notre commission des lois, bien que vous ne puissiez répondre à la dernière question.
Audition de M. Michel Besnard,
préfet, ancien chef du groupe
de sécurité de la
présidence de la République
(GSPR)
(Mercredi 26 septembre 2018)
M. Philippe Bas , président . - Nous entendons ce matin M. Michel Besnard, patron du groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR) entre 2007 et 2012, aujourd'hui directeur de la sécurité du Paris Saint-Germain. Je vous invite, si vous le souhaitez, à introduire cette audition par un propos liminaire, avant de répondre aux questions des membres de la commission.
Notre commission ayant été investie des prérogatives d'une commission d'enquête, je dois vous rappeler, monsieur Besnard, qu'un faux témoignage serait passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Michel Besnard prête serment.
M. Michel Besnard, préfet, ancien chef du groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR ). - Je souhaite d'abord revenir sur l'expérience qui m'a conduit à occuper les fonctions de chef du GSPR. Officier de police de 1986 à 2007, j'ai été nommé sous-préfet en 2007 puis préfet en 2010. Depuis le 1 er avril de cette année, je suis en disponibilité, à ma demande.
J'ai rejoint le monde de la sécurité rapprochée en 1992 au sein du service des voyages officiels et de la sécurité des hautes personnalités, devenu service de protection des hautes personnalités puis service de la protection (SDLP). En 1992, j'y assurais la sécurité des personnalités étrangères en visite sur notre territoire, avant, en 1993, d'être chargé de la sécurité du Premier ministre et candidat à la présidence de la République, Édouard Balladur. En 1997, j'ai assuré la sécurité de Lionel Jospin, alors Premier ministre et lui aussi candidat à la présidence de la République. En 2002, j'ai été nommé à la tête du service de sécurité de M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur. Je l'ai accompagné dans ses différentes fonctions ministérielles, avant d'être nommé chef du GSPR à compter de son élection à la présidence de la République, en 2007. En 2012, j'ai été nommé chef de l'unité de coordination des grands événements au cabinet du directeur général de la police nationale. J'avais alors la charge de l'organisation de manifestations comme le 70 e anniversaire du débarquement en Normandie, les sommets européens ou les commémorations.
J'ai donc pris mes fonctions à la tête du GSPR après cinq années passées auprès de M. Sarkozy : c'était en quelque sorte une suite naturelle. Le GSPR est chargé de la sécurité rapprochée du Président et de sa famille. La sécurité du Président doit être assurée à tout instant, dans le cadre officiel comme dans le cadre privé ; celle de sa famille repose sur un échange avec le Président et sur une analyse de la menace, qui déterminent le niveau de proximité jusqu'auquel elle doit être assurée. Au total, le GSPR employait, lorsque je le dirigeais, de 90 à 100 personnes suivant les moments, toutes sélectionnées par moi-même et issues du service de protection des hautes personnalités ou du RAID.
Durant les dix années où j'ai assuré la sécurité de M. Sarkozy, celui-ci n'a refusé à aucun moment la présence de notre service à ses côtés. Il est indispensable qu'un lien de confiance s'installe avec la personnalité protégée, ce qui, pour moi, était plus aisé puisque j'exerçais cette responsabilité auprès de M. Sarkozy depuis cinq ans lorsqu'il a été élu ; ce n'était pas le cas de certains de mes prédécesseurs ou successeurs.
M. Philippe Bas , président . - À la lumière de votre expertise, déduisez-vous des photos et vidéos montrant M. Benalla à proximité du Président de la République qu'il exerçait une fonction de protection rapprochée ?
M. Michel Besnard . - Le milieu de la sécurité rapprochée est complexe. On parle de cercles de responsabilité : le premier, celui de la protection rapprochée, est du domaine du GSPR ; le deuxième est pris en charge par d'autres services de police ou de gendarmerie, qui constituent un filtre autour du Président de la République. Au sein du cercle le plus proche peuvent se trouver d'autres personnes que le Président : des conseillers, qui ont une proximité avec lui en vertu de leur rôle, le préfet territorialement compétent dans le cadre d'une visite sur le territoire national, ou l'ambassadeur du pays concerné dans le cadre d'une visite à l'étranger.
Il m'est difficile de dire si M. Benalla était présent aux côtés du Président en tant que membre de son cabinet ou de responsable de sa sécurité. Pour répondre à cette question, il aurait fallu qu'une évacuation ait lieu, permettant d'observer le rôle de chacun. La seule présence auprès du Président n'est pas une indication sur le rôle : au demeurant, dans le premier cercle que j'ai évoqué, on trouve aussi des parasites, des courtisans, qui constituent une gêne pour l'équipe chargée de sa sécurité.
Pour conclure, à proximité immédiate du Président, on peut trouver des personnes chargées de sa sécurité, des membres de son cabinet, des autorités en représentation, ou encore des membres du public souhaitant s'adresser au Président.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - D'après les informations recueillies au cours de nos auditions, il y aurait deux cercles autour du Président : un cercle assez large, celui que vous avez décrit, et un autre ne comportant que quatre personnes, chargées de la sécurité rapprochée au titre du GSPR. Ces deux cercles existaient-ils à l'époque où vous étiez en fonction ?
M. Michel Besnard . - Le dispositif mis en place dépend du moment et de la menace. Le cercle le plus proche est constitué exclusivement de membres du GSPR. À mon époque - et, je le crois, encore aujourd'hui - il s'agissait d'un triangle composé d'un élément avancé, un élément évacuateur et un élément de contrôle arrière équipé d'une mallette en kevlar. En cas de foule importante autour du Président ou de menace avérée, ce triangle pouvait se compléter d'un carré dit « tireur », toujours exclusivement composé de membres du GSPR.
Dans un périmètre plus large, qui peut aller jusqu'à un kilomètre, la protection est assurée par les services de police ou de gendarmerie locaux, par exemple pour le contrôle de l'accès à une salle où s'exprime le Président de la République ou à un lieu qu'il visite.
M. Philippe Bas , président . - Si un collaborateur du Président est constamment à son épaule gauche ou droite dans un bain de foule, cela constitue-t-il une gêne pour sa sécurité ?
M. Michel Besnard . - Cela peut l'être. Pour le service de sécurité, tout l'art consiste, parfois, à utiliser cette personne, si je puis dire, comme un obstacle face à une éventuelle agression ou une sorte de matelas de protection pour le Président. On ne peut l'éliminer, puisque le Président peut en avoir besoin auprès de lui. La difficulté survient lorsque ces personnes sont trop nombreuses : dans ce cas, il faut faire un tri pour dégager un espace vital. On ne peut placer le Président sous une bulle et l'isoler du monde extérieur. Ce n'est ni son souhait, ni notre but.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Les autres membres des services de l'Élysée nous ont déclaré, lors des auditions, que M. Benalla n'exerçait aucune mission de police ou de sécurité. Pourtant, il a parfois donné des instructions aux services de protection. Au regard de vos déclarations, a-t-il pu être instrumentalisé en tant qu'obstacle par les véritables responsables de la sécurité ?
M. Michel Besnard . - Le mot « instrumentaliser » ne convient pas. À l'époque où je dirigeais le GSPR, il aurait été impossible qu'un autre que moi donne des instructions à un membre de mon service. Je prenais naturellement des informations auprès du Président de la République pour les déplacements privés, ou de son chef de cabinet lors des déplacements officiels, car ce dernier est chargé de leur organisation et nous transmet le programme du Président, sur la base duquel nous préparons des dispositifs plus ou moins importants. Je ne saurais dire quel rôle le GSPR aurait pu donner à M. Benalla ; quoi qu'il en soit, à mon époque, le GSPR s'entraînait à utiliser les personnes présentes à proximité du Président au profit de sa sécurité. Pour des événements comme le salon de l'agriculture, où les bains de foule peuvent durer très longtemps et où le Président recherche la proximité, mieux vaut procéder ainsi que d'éliminer les personnes qui l'entourent.
M. Philippe Bas , président . - Le cas de M. Benalla est quelque peu différent de ceux que vous avez évoqués, comme celui où le Président est accompagné du conseiller technique concerné par le déplacement. En effet, M. Benalla était un collaborateur du Président de la République autorisé à porter une arme - qu'il lui est arrivé d'avoir sur lui, comme il nous l'a confirmé, lorsqu'il se trouvait auprès du Président - et qui a assuré sa sécurité durant toute la campagne présidentielle. Notre commission cherche à comprendre quel était son rôle en matière de sécurité. Je crois comprendre, d'après vos propos, qu'à l'époque où vous dirigiez le GSPR, aucun des conseillers du Président de la République n'exerçait de fonctions aussi ambiguës.
M. Michel Besnard . - Aucun membre du cabinet du Président n'avait de fonctions en matière de sécurité rapprochée. Les conseillers pouvaient être présents, vous l'avez dit, en fonction de la nature du déplacement. Le chef de cabinet ou son adjoint était présent presque systématiquement auprès du Président pour l'organisation du déplacement et le lien avec les autorités d'accueil.
J'ai accompagné trois personnalités en campagne électorale pour la présidentielle, alors qu'elles exerçaient des fonctions ministérielles. Dans ce cadre, je collaborais avec les services de sécurité privée des partis politiques ; mais en aucun cas nous n'avons cédé nos prérogatives à ces services. Le partage des rôles était clairement défini : la sécurité éloignée - de la salle, du public, de la scène par exemple - était assurée par les services du parti, mais celle du candidat relevait de la sécurité rapprochée d'État. Il y avait naturellement de nombreux échanges pour délimiter les responsabilités et éviter les empiètements.
Les deux derniers présidents, MM. Hollande et Macron, ont été élus alors qu'ils n'occupaient pas de fonctions ministérielles ; à ce titre, ils n'étaient pas accompagnés par la sécurité d'État. Celle-ci intervient, en accord avec le candidat lui-même, seulement quelques semaines avant le premier tour ; avant cela, la sécurité du candidat est assurée par des sociétés de sécurité privée ou des militants, la plupart du temps non armés. Mais ce n'est pas mon expérience, puisque les candidats que j'ai accompagnés avaient des responsabilités gouvernementales.
M. Philippe Bas , président . - En 2007, M. Sarkozy avait démissionné de ses fonctions de ministre de l'intérieur au mois de mars.
M. Michel Besnard . - En tant qu'ancien ministre de l'intérieur, il avait droit à une protection d'État certes limitée. La proximité entre sa démission et l'élection a permis une continuité du dispositif de sécurité, même si le nombre d'agents était réduit.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - On nous indiqué, au cours des auditions, qu'il avait été décidé qu'un membre de la chefferie de cabinet se trouverait systématiquement à proximité du Président Macron. Est-ce un changement dans le dispositif de sécurité, et cette mesure est-elle de nature à protéger le Président en toute situation ?
M. Michel Besnard . - Ce n'était pas le cas lorsque je dirigeais le GSPR. La présence du chef de cabinet dans les déplacements du Président de la République était systématique, pour faire face aux événements organisationnels, en lien avec le préfet compétent, l'ambassadeur ou les autorités du pays hôte en cas de visite à l'étranger, mais sa présence à proximité du Président ne l'était pas et relevait, la plupart du temps, du choix du Président lui-même. La sécurité de celui-ci repose avant tout sur un lien de confiance, et les règles, sans être transgressées, sont adaptées à la personnalité du Président. La sécurité est une notion impalpable et difficile à percevoir. La plus grande réussite, pour un chef du GSPR, est précisément que le Président ne pense pas à sa sécurité. Dans le cas contraire, le lien de confiance est rompu. La présence du chef de cabinet ou de son adjoint à proximité du Président Sarkozy n'était pas systématique parce qu'il ne le souhaitait pas. La sécurité s'adapte à la volonté du Président.
M. Philippe Bas , président . - Vous avez également assuré la sécurité de plusieurs Premiers ministres ; je suppose que l'organisation d'un déplacement d'un Premier ministre ressemble à celle d'un Président de la République...
M. Michel Besnard . - Surtout en période de cohabitation !
M. Philippe Bas , président . - En ces occasions, avez-vous eu à tenir compte, dans le dispositif de sécurité, de la présence du chef de cabinet ou de son adjoint à l'épaule du Premier ministre ?
M. Michel Besnard . - Pas à l'épaule, mais à quelques mètres. Le chef de cabinet n'est jamais très loin, pour permettre les échanges sur l'organisation.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Étiez-vous totalement autonome dans la sélection des membres du GSPR ? Ceux-ci étaient-ils toujours issus des forces de sécurité intérieure ? Le service de la protection intervient-il dans leur recrutement et en est-il systématiquement informé ?
M. Michel Besnard . - J'ai recruté moi-même tous les membres du GSPR de manière entièrement autonome, avec cette limite qu'ils devaient être issus du service de protection des hautes personnalités - aujourd'hui service de la protection - ou du RAID. Tous ces fonctionnaires ont subi des tests physiques et psychologiques pour intégrer leur unité. Cette condition était nécessaire et suffisante.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - N'y avait-il aucune immixtion du service de la protection, ou un droit de veto, dans ce choix ?
M. Michel Besnard . - Il y avait un échange avec le directeur du service. Recruter au sein du service de la protection ne pose aucune difficulté, puisque ses membres, comme ceux du RAID, ont satisfait à des tests poussés - sauf à ce que l'agent concerné ait commis une faute.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Les personnes à proximité immédiate du Président qui ne font pas partie du GSPR sont-elles informées de leur rôle de « matelas » ?
M. Michel Besnard . - Je pense que les personnes qui ont l'habitude de ces déplacements ont compris quel rôle le service de sécurité pouvait être amené à leur faire jouer.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Les nombreuses auditions que nous avons conduites ont mis au jour un nombre conséquent de contradictions. Il nous a été dit que M. Benalla n'exerçait aucune fonction de sécurité ni de protection ; qu'il assurait la coordination des services de sécurité de la présidence de la République ; qu'il était membre d'une mission chargée de repenser les liens entre le commandement militaire et le GSPR, voire de concevoir le nouveau dispositif de sécurité du chef de l'État. Dans vos fonctions, la question de la coordination entre le GSPR et le commandement militaire s'est-elle posée ? Y a-t-il eu des groupes de travail sur ce thème ?
M. Philippe Bas , président . - Je complète la question : le chevauchement éventuel entre le GSPR, chargé de la sécurité du Président, et le commandement militaire du palais, chargé de la sécurité de l'Élysée, a-t-il pu engendrer des difficultés de coordination ?
M. Michel Besnard . - J'aurais dû préciser que le GSPR n'est pas responsable de la sécurité du Président au sein du palais, où elle relève de la garde républicaine. J'avais naturellement des échanges réguliers avec le commandement militaire pour coordonner les entrées et sorties du Président notamment ; mais la garde républicaine n'avait pas à connaître de mon travail à l'extérieur, ni moi du rôle de celle-ci dans le palais. Ce partage des rôles était clairement établi depuis toujours, et je n'ai pas éprouvé le besoin de le remettre en question, ni participé à une réflexion sur ce sujet.
Lorsque je le dirigeais, le GSPR était aussi chargé de l'organisation générale des déplacements du Président, ce qui implique la responsabilité des véhicules du cortège, de l'hébergement et de la gestion des bagages de la délégation du Président, en particulier à l'étranger, et de la discipline de la presse à proximité du Président. De trois à dix agents assurent la sécurité rapprochée, voire davantage dans les situations plus complexes, tandis qu'une vingtaine d'entre eux peuvent être engagés sur ces missions d'ordre plus général. J'ai souhaité prendre toutes ces fonctions sous ma responsabilité pour avoir une vision complète de la sécurité du Président. Dès lors qu'il descendait de l'avion, j'estimais être responsable de tout ce qui se passait autour de lui, des lieux où il se rendait jusqu'à la nourriture qu'il mangeait. Cela s'étendait à son entourage, car le Président n'est pas isolé. D'autres anciens responsables du GSPR ont une vision différente.
Je n'ai jamais éprouvé le besoin de repenser le fonctionnement du GSPR. J'avais, dans l'exercice de mes fonctions, l'assentiment du Président et de son chef de cabinet. Lors des déplacements à Paris et parfois en province, les conducteurs sont recrutés parmi les gardes républicains, qui sont également présents pour les cérémonies telles que les dépôts de gerbe. Je ne suis pas persuadé qu'une réforme soit nécessaire, et je n'ai aucun doute sur le fait que la sécurité du Président est bien assurée.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Lorsque vous étiez en poste à l'Élysée, des éléments extérieurs au commandement militaire et au GSPR ont-ils, à votre connaissance, disposé d'un permis de port d'armes ?
M. Michel Besnard . - Non. Si une menace avait pesé sur un conseiller, nous lui aurions attribué un dispositif de sécurité plutôt qu'une arme.
M. Philippe Bas , président . - Qu'en est-il de Matignon ?
M. Michel Besnard . - La réponse est la même.
M. Philippe Bas , président . - Vous qui avez connu deux périodes de cohabitation, pensez-vous que le rattachement du GSPR au ministère de l'intérieur pose problème ?
M. Michel Besnard . - Non. Lorsque je dirigeais le GSPR, il ne comptait que des policiers. Aujourd'hui, l'équipe associe des policiers et des gendarmes, car les textes le permettent. La sécurité rapprochée du Président doit être adaptée à sa volonté.
M. Philippe Bas , président . - Le ministre de l'intérieur est-il informé par les membres ou le chef du GSPR des faits et gestes du Président ?
M. Michel Besnard . - Je n'ai eu à signaler des faits au ministre de l'intérieur ou au directeur général de la police nationale (DGPN) qu'en de rares occasions. Une première fois à l'occasion d'un malaise du Président lors de son footing dans le parc du château de Versailles. Une seconde fois, au cours du déplacement en Libye qui a suivi la chute de Muammar Kadhafi, j'ai dû solliciter auprès du directeur général de la police nationale le concours de membres du RAID pour renforcer le dispositif, l'État libyen n'étant pas susceptible de garantir la sécurité du Président. En dehors de ces cas, je n'ai jamais eu à rendre compte à quiconque, si ce n'est au Président, du dispositif mis en oeuvre.
M. François Grosdidier . - Le directeur de cabinet du Président, à l'origine de la demande de permis de port d'armes de M. Benalla, nous disait qu'équiper celui-ci d'une arme dans le cadre des déplacements privés du Président, où le dispositif était plus léger, concourait à sa sécurité. Ces déclarations sont difficiles à comprendre puisque, d'après vous, il n'y a jamais de rupture dans le dispositif de surveillance. Qu'un membre de l'entourage du Président soit armé - et la demande de permis de port d'arme de M. Benalla était motivée par la sécurité du Président -, est-ce un « matelas » supplémentaire ou au contraire un élément de perturbation dans le dispositif de sécurité ?
M. Michel Besnard . - Je n'étais pas demandeur de ce type d'aide. Si le GSPR a besoin d'être assisté, il sollicite d'autres services. La présence de M. Benalla équipé d'une arme n'est pas une gêne, si celui-ci participe aux entraînements. En effet, les entraînements reposent sur des mises en situation où chacun à un rôle particulier à jouer.
Mme Esther Benbassa . - Ma question pourra vous sembler théorique. Jusqu'où pouvait aller la tolérance du GSPR vis-à-vis de M. Benalla, qui était chargé de la protection directe du Président ? Le GSPR semble être un corps très organisé. Pourtant, il semble que cet individu ait évolué librement, sans que l'on sache s'il portait une arme ou non. C'est assez mystérieux.
M. Michel Besnard . - Il y a des personnalités incontournables auprès du Président et nous n'avons pas vocation à entraver leur proximité. J'ai coutume de résumer ainsi nos différences avec nos homologues américains : le Secret service interdit, le GSPR s'adapte. Si une personnalité doit être à proximité du Président à tout instant - le préfet, le conseiller en charge du thème de la visite, un interprète, une personne qui fait visiter sa société par exemple - le GSPR fait avec, que la proximité soit récurrente ou non.
Mme Brigitte Lherbier . - Le GSPR s'adapte-t-il sur le fait ou dispose-t-il de renseignements en amont, par exemple dans le cadre de réunions d'état-major où vous seriez informé du nom des personnes qui porteront une arme ? M. Benalla nous a indiqué qu'il se rendait parfois directement de chez lui vers le lieu de l'événement, sans que l'on sache s'il portait son arme ou non.
M. Michel Besnard . - La préparation des déplacements commence avec des réunions en préfecture. Le préfet reste responsable de la sécurité du Président sur le territoire de sa compétence, et le GSPR agit alors en tant que conseil du préfet, qui en général suit ses avis. Nous sommes informés du programme du déplacement et de la délégation qui accompagne le Président. La menace fait l'objet d'une analyse précise à chaque déplacement, officiel ou privé. Ces critères nous permettent de dimensionner le dispositif. Si le Président sort acheter un médicament à la pharmacie, le dispositif est léger et discret - il en ira tout autrement pour les cérémonies du 14 juillet. Le dispositif est lié à l'analyse de la menace, à la nature du déplacement et aux besoins du Président.
Mme Brigitte Lherbier . - En cette période d'attentats terroristes, étiez-vous informé de tous ceux qui détenaient une arme autour du Président de la République, que ce soit dans le périmètre proche ou plus éloigné ?
M. Philippe Bas , président . - M. Besnard nous a indiqué que personne d'autre que les membres du GSPR et des forces de sécurité intérieure ne portait une arme autour du Président.
M. Michel Besnard . - Il faut y ajouter les officiers de sécurité étrangers, lorsque le Président accompagne une personnalité étrangère. Tout cela est clairement établi.
J'avais mis en place un dispositif d'identification des conseillers du Président de la République, sous la forme de pin's ; les membres du GSPR apprennent rapidement à les reconnaître, mais c'est aussi utile aux autorités de sécurité locales. Lors des déplacements officiels à l'étranger, le protocole distribue des badges aux membres de la délégation - journalistes, interprètes, conseillers ou invités, afin que chaque personne soit clairement identifiée.
M. Henri Leroy . - En tant qu'expert de la sécurité rapprochée, ne pensez-vous pas que M. Benalla, qui d'après les syndicats de police que nous avons entendus terrorisait les personnes chargées de la sécurité du Président, était devenu une gêne pour le GSPR, composé d'experts, policiers et gendarmes qui maîtrisent le maniement des armes et la sécurité rapprochée ? Un « matelas » n'est pas forcément un atout. Le patron du GSPR que vous avez été n'aurait-il pas fait part au Président de la République, via le chef de cabinet, du problème que pourrait constituer la présence permanente de M. Benalla auprès de lui ?
M. Philippe Bas , président . - Il est difficile, monsieur Besnard, de vous demander d'évoquer des situations que vous n'avez pas vécues, mais je comprends la question de M. Leroy : nous cherchons à comprendre ce qui a pu se produire.
M. Michel Besnard . - Je ne peux imaginer le contenu des conversations entre le chef du GSPR et le Président de la République. Je ne souhaite pas que l'on s'attache excessivement au terme de « matelas », mais en effet ce n'est pas un atout : nous préférons avoir les coudées franches, mais notre rôle est de nous adapter. Voilà notre maître mot. On ne peut imaginer le Président de la République isolé comme sous un globe.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Lors des déplacements privés, y avait-il systématiquement un membre de la chefferie de cabinet auprès du Président ?
M. Michel Besnard . - Très exceptionnellement, alors que cette présence était systématique lors des déplacements publics.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Quelle connaissance avez-vous des fonctions réelles qu'occupait M. Benalla ?
M. Michel Besnard . - J'ai rencontré M. Benalla lors de la préparation du sommet de décembre 2017 pour le financement des actions de la cause climat, qui rassemblait une quarantaine de chefs d'État étrangers sur l'île Seguin. J'y participais en tant qu'expert dans la sécurité des grands événements ; j'ai effectué des missions de reconnaissance sur le bateau-mouche qu'allaient emprunter les chefs d'État pour se rendre sur l'île. M. Benalla représentait la présidence de la République, et a dirigé des réunions en tant qu'adjoint au chef de cabinet du Président. Ai-je répondu à votre question ?
Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Après 24 ou 25 auditions, nous n'arrivons toujours pas à cerner précisément les fonctions de M. Benalla en matière de sécurité. Vos relations professionnelles, le milieu où vous évoluez vous ont nécessairement amené à avoir connaissance de ses fonctions. M. Benalla est sans doute intervenu en tant que chef adjoint de cabinet dans un certain nombre de manifestations, mais nous essayons d'identifier ses fonctions dans le domaine de la sécurité. C'est sur ce point-là que je vous interrogeais.
M. Michel Besnard . - Mes vingt années passées dans le domaine de la sécurité rapprochée ont eu un fort impact sur ma vie privée. C'est pourquoi j'ai souhaité, après la fin de ma mission auprès du Président Sarkozy, reprendre une vie plus normale. Je me suis également fixé pour principe de ne pas faire de commentaires sur la manière dont les fonctions de chef du GSPR étaient exercées par mes successeurs auprès de M. Hollande et de M. Macron, ou même mes prédécesseurs. Ce métier est trop difficile pour porter des jugements. Vous allez bientôt entendre un autre ancien chef du groupe de sécurité de la présidence de la République, avec qui j'ai travaillé lorsque j'assurais la sécurité du Premier ministre Lionel Jospin ; elle et moi avons exercé nos fonctions de manière différente parce que nous avions affaire à des personnalités différentes. Le cadre de ces fonctions est assez large pour être adapté aux personnalités des présidents successifs.
Mme Nathalie Delattre . - Merci pour la clarté et la précision de votre exposé et de vos réponses. Vous avez parlé d'une formation en triangle ou en carré, selon le niveau de la menace ou le nombre de personnes présentes autour du Président de la République. Comment les membres de cette formation sont-ils recrutés ? Sont-ils imposés au Président ? Un profil est-il défini par rapport à la personnalité de celui-ci ? Est-il arrivé, si la confiance ne s'établissait pas, que le Président vous demande un changement, ou même l'intégration d'une personne en qui il avait toute confiance ? Dans ce cas, est-il possible de s'opposer à sa demande ?
Jusqu'à quel degré de proximité dans la famille du Président de la République la protection s'étend-elle ? On a vu M. Benalla auprès de Brigitte Macron. Est-ce le GSPR qui couvre les déplacements, même privés, de la famille ou fait-il appel, faute d'effectifs, à des éléments extérieurs à la police nationale ?
M. Michel Besnard . - Je ne me suis jamais fait imposer quelque recrutement que ce soit. À aucun moment le Président ne s'est étonné de voir certaines personnes à ses côtés, ou n'a émis de remarques sur le physique, l'attitude, le sexe de ces personnes. En tant que chef du GSPR, je mettais en oeuvre le dispositif de sécurité en fonction de la menace, des habitudes du Président et du contexte.
Les agents du GSPR sont recrutés selon des critères professionnels et en fonction des besoins. Ainsi, au sein du pôle de sécurité figure un agent appelé le « Siège » parce qu'il occupe le siège avant droit de la voiture du Président. Sa fonction est de porter son manteau, sa mallette, son discours, autant de tâches qui pourraient faire obstacle à l'exercice de la mission de protection exercée par les autres agents. Il ne sera pas recruté sur les mêmes critères qu'un évacuateur ou qu'un tireur. Il n'y a jamais eu d'interférence, à mon époque, dans le choix des agents du GSPR.
J'en viens à la protection de la famille. Dès
qu'un Président de la République est élu, nous analysons
son environnement familial pour savoir quelle menace peut peser sur les membres
de sa famille et lui proposer, pour chacun d'entre eux, un type de protection.
Le conjoint est bien entendu la première personne à laquelle nous
pensons, mais nous ne nous y arrêtons pas. Lorsque j'étais en
poste, les enfants et la mère du Président de la
République étaient pris en compte par le GSPR, et uniquement par
lui. Ces personnes subissent notre protection, elles ne la souhaitent pas, car
elle intervient dans un cadre privé - même si l'épouse du
chef de l'État peut certes l'accompagner en déplacement officiel
ou effectuer elle-même un déplacement. À nouveau, cette
sécurité n'a jamais été assurée que par des
membres du GSPR, le cas échéant avec l'accord du Président
de la République, car imposer une telle protection à un enfant ou
un adolescent
- qui n'a pas choisi d'être fils ou fille du
Président de la République ou du Premier ministre - est
compliqué. Malheureusement, vu le contexte actuel, on ne peut pas
négliger ces personnes car elles peuvent constituer une cible ou un
moyen de pression pour atteindre le chef de l'État. Nous revenons sur le
lien de confiance : tout ce qui se passe au sein de la famille du
Président de la République doit rester confidentiel. C'est
pourquoi cela doit rester du domaine exclusif du GSPR.
Mme Catherine Di Folco . - J'ai noté qu'à votre époque, le GSPR était composé de 90 à 100 agents ; lors de l'audition de l'actuel chef du GSPR a été évoqué un effectif de 76 agents. Il y a eu, semble-t-il, une nette diminution. Savez-vous quand, par qui et pourquoi cette diminution a été opérée ? Vos propos donnent aussi l'impression que les missions du GSPR étaient à votre époque plus larges qu'elles ne le sont aujourd'hui. Dit autrement, il me semble que les missions de la chefferie de cabinet empiètent actuellement sur celles du GSPR que vous avez décrites. Est-ce parce que les missions de la chefferie de cabinet ont été accrues, et qu'elle a embauché des collaborateurs supplémentaires, ou parce que les effectifs officiels du GSPR ont été réduits ?
M. Michel Besnard . - Le nombre d'agents du GSPR a varié selon le Président de la République en exercice. Sous Jacques Chirac, l'équipe, composée à parité de policiers et de gendarmes, était d'une soixantaine de personnes, mais une quinzaine d'autres fonctionnaires travaillaient à l'organisation générale des déplacements du Président de la République. Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, j'avais souhaité qu'il n'y ait pas de distinction entre le groupe d'organisation générale et le GSPR, car je jugeais leurs missions respectives trop proches. Lorsque François Hollande a été élu, un autre choix a été fait, la parité policiers-gendarmes a été rétablie et les effectifs ont été réduits à un niveau que je ne saurais plus vous dire.
Ce que je peux dire, c'est que le GSPR a besoin d'entraînement, qui doit compter pour un tiers de son temps utile, complété par un temps de travail et un temps de repos. Si ces trois temps ne sont pas respectés, la sécurité ne sera pas bien assurée. Lorsque les effectifs sont insuffisants, on empiète sur le temps d'entraînement, parfois même sur le temps de repos. Cela peut arriver, mais cela doit rester exceptionnel. J'ai souhaité que ces temps soient respectés. Le Président de la République pour lequel j'ai travaillé avait une famille plus nombreuse, un plus grand nombre d'enfants, que les autres chefs d'État, ce qui a nécessité davantage de fonctionnaires. J'ai du mal à comprendre pourquoi les médias s'intéressent de si près au nombre de fonctionnaires du GSPR, car il s'adapte aux besoins. C'est au chef du GSPR de décider du nombre adéquat. J'avais pour ma part évalué que pour être bien accomplie, la mission du GSPR exigeait de 90 à 100 fonctionnaires, mais ce nombre a varié car la mission elle-même a varié.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Monsieur le préfet, vous nous avez indiqué que la famille du Président de la République bénéficie également d'une protection rapprochée de la part du GSPR. Lorsque sa famille - son conjoint, par exemple - se déplace sans le Président de la République, le GSPR intervient aussi. Avez-vous pu constater dans l'exercice de vos fonctions que la chefferie de cabinet accompagnait également le conjoint du Président de la République dans ce cas de figure ?
M. Michel Besnard . - L'épouse du Président de la République peut avoir des déplacements qualifiés d'officiels, à titre caritatif par exemple, sans le Président de la République. Les épouses des chefs d'État peuvent être invitées en tant que telles ; la chefferie de cabinet peut alors déléguer quelqu'un pour gérer le programme. Je qualifie de tels moments d'officiels, même si, faute de statut d'épouse du Président de la République en France, cela reste à la frontière de l'officiel. Clairement, ces situations s'imposent à nous. Je songe à un cas vécu : se rendre à un concert, ce n'est pas un moment officiel mais on peut être invité par une institution caritative ou un hôpital : c'est alors bien l'épouse du Président qui est invitée. Un membre de la chefferie de cabinet peut alors être présent pour organiser les relations avec la préfecture, les médias, ou apporter son conseil à l'épouse du Président.
Mme Marie Mercier . - Merci, monsieur le préfet, pour vos propos pleins de sagesse, précis, expérimentés, votre sincérité et le recul dont vous faites preuve. Nous cherchons à comprendre le rôle exact de M. Benalla. Le général Bio Farina nous a expliqué qu'il était une interface entre l'intérieur et l'extérieur à l'occasion des déplacements, ce qui a été confirmé par M. Benalla lui-même, qui a employé le terme d'« ambiance ». Disposiez-vous, dans vos fonctions à la tête du GSPR, d'une personne particulière chargée de vous faire part de l'ambiance qui régnait lors des déplacements, et cela vous semblait-il important ?
M. Michel Besnard . - Personne, au sein de la présidence de la République, n'était désigné pour collecter ce type d'informations à mon profit. Les capteurs, pour moi, sont ceux mis en place par les autorités locales, le préfet territorialement compétent, le directeur départemental de la sécurité publique, le commandement de groupement de la gendarmerie nationale, ou par toute autre autorité locale ou à l'étranger. Je vous l'ai dit, l'agent de sécurité rapprochée se place comme un expert, conseiller auprès du préfet ou de l'ambassadeur qui accueille le déplacement : les échanges ne se situent qu'à ce niveau-là. Les autres éléments dont on pouvait avoir à connaître, l'analyse de la menace, du niveau de dangerosité ou de risque du déplacement, tout cela relève des services de renseignement compétents. Bref, je ne vois pas trop en quoi consiste ce rôle d'interface.
M. Dany Wattebled . - Monsieur le préfet, si vous aviez vu un proche collaborateur du Président porter une arme en déplacement, auriez-vous prévenu votre ministre de tutelle, le ministre de l'intérieur ?
M. Michel Besnard . - Si j'avais constaté qu'une personne que je ne connaissais pas portait une arme sans que cela fasse partie de son rôle, je n'en aurais pas rendu compte, j'aurais opéré un contrôle, interpelé la personne ou demandé aux forces locales de vérifier le motif de ce port d'arme, car j'y aurais vu une menace. Pour moi, la détention d'arme ne peut être le fait que des forces de sécurité intérieure. S'il s'était agi d'un individu que je connais, une explication se serait imposée...
M. Dany Wattebled . - Je pensais à cette dernière hypothèse dans laquelle un proche du Président porterait une arme : préviendriez-vous l'autorité compétente pour qu'au moins la chose se sache ?
M. Philippe Bas . - Bref, vous seriez-vous opposé à ce qu'un collaborateur du Président de la République l'accompagne en déplacement avec une arme ?
M. Michel Besnard . - Je m'en serais étonné, mais je ne pense pas que je me serais adressé au ministre de l'intérieur, car je ne crois pas que ce soit de son ressort. Je m'en serais ouvert au chef de cabinet, au directeur de cabinet ou au secrétaire général de la présidence de la République, ça me semble plus adapté. N'ayant jamais été confronté à cette situation, je ne peux toutefois pas vous en dire davantage.
M. Vincent Segouin . - M. Benalla nous a dit disposer d'un permis de port d'arme pour sa seule sécurité personnelle. On peut donc considérer qu'il faisait l'objet de menaces. Était-il dès lors opportun de le maintenir dans le premier cercle du Président, au risque de faire peser sur ce dernier une menace supplémentaire ? Était-il indispensable à ce point ?
M. Michel Besnard . - J'ai indiqué que la solution la plus adaptée au problème de menace pesant sur un membre du cabinet du Président de la République est la mise en place d'une sécurité rapprochée, et non de lui donner une arme. La sécurité, selon ma conception des choses, vise à enlever les soucis liés à la menace et à permettre aux gens de se concentrer exclusivement sur leur travail. Une telle personne ne fait toutefois pas peser sur le Président de la République une menace supplémentaire, car des personnes menacées à proximité du Président de la République, il y en a tout le temps : chefs d'État étrangers, membres du Gouvernement, personnalités bénéficiant d'une sécurité... c'est un paramètre que l'on prend en compte et qui nécessite souvent une coordination avec la sécurité de la personne en question. Jamais je n'ai rencontré de personne se sécurisant elle-même, ce n'est pas adapté au milieu qui est le mien.
M. Philippe Bas , président . - On peut postuler que quand on est dans le périmètre du groupe de sécurité de la présidence de la République et qu'on est soi-même collaborateur du Président de la République, on est compris dans la protection qui s'applique au Président de la République et à son environnement.
M. Michel Besnard . - On peut en bénéficier.
M. Pierre Charon . - Remontons le cours des siècles. Le général de Gaulle, lorsqu'il se déplaçait, avait un mini-GSPR de quatre personnes, dirigé par le commissaire Paul Comiti, très efficace. Lors d'un déplacement en Bretagne, un jour, une pomme est tombée sur le capot de la DS noire du général ; le soir même, le préfet a été déplacé... Vous est-il arrivé, dans vos déplacements pour le Président de la République française Nicolas Sarkozy, de rencontrer ce genre de problème ? Je pense notamment à un déplacement dans la Manche où les préfets en charge de la sécurité n'étaient pas tout à fait formés à cette tâche et n'écoutaient pas les conseils de vos précurseurs...
M. Philippe Bas , président . - La Manche est un département particulièrement sûr, mon cher collègue, même si on y trouve peut-être plus de pommes qu'en Bretagne...
M. Michel Besnard . - Je vois à quel déplacement vous faites référence. J'ai effectivement eu à organiser un déplacement dans la Manche, dont on peut dire qu'il s'est moyennement bien déroulé : le cortège du Président de la République avait eu à traverser des groupes de manifestants, qu'il aurait plutôt dû contourner pour éviter qu'aucun ne se jette sur sa voiture ou ne l'agresse - ce qui n'est heureusement pas arrivé. Les conseils que les membres du GSPR avaient prodigués à l'époque n'ont pas été suivis. À nouveau, le GSPR est expert auprès du préfet territorialement compétent, qui reste seul responsable et compétent pour prendre une décision. Un mauvais choix a été effectué ce jour-là. J'ignore si l'avenir du préfet s'est trouvé entièrement lié à cette affaire mais en tout état de cause, selon moi, une erreur a alors été commise.
M. Philippe Bas , président . - Merci, monsieur le préfet, pour la précision de vos réponses.
Audition de M. Jean-Paul Celet,
préfet, ancien directeur du Conseil national des activités
privées de sécurité
(CNAPS)
(Mercredi 26 septembre 2018)
M. Philippe Bas , président . - Nous recevons M. Jean-Paul Celet, préfet, qui, jusqu'au 27 août 2018, exerçait les fonctions de directeur du Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS). Au titre des missions qui lui sont confiées, le CNAPS a eu à connaître de demandes émanant de M. Benalla pour être autorisé à exercer une activité de sécurité privée et être agréé comme dirigeant d'une entreprise oeuvrant dans ce domaine. Vous pourrez utilement, dans votre propos liminaire, nous exposer les procédures relatives à la délivrance des titres et agréments de la compétence du CNAPS. Je vous rappelle que notre commission des lois détient les prérogatives d'une commission d'enquête ; un faux témoignage serait passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-Paul Celet prête serment.
M. Jean-Paul Celet, préfet, ancien directeur du Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS) . - J'ai eu l'honneur de diriger, entre février 2016 et août 2018, le CNAPS, dont le champ de compétence comprend la surveillance - par des moyens humains ou électronique - et le gardiennage, la protection physique des personnes, le transport de fonds, les détectives privés et, depuis deux ans, la protection armée des navires. Il exerce dans ce cadre une triple mission d'examen des demandes de titres, de contrôle et de conseil.
Le CNAPS délivre environ 150 000 titres par an - des cartes professionnelles pour des activités de sécurité privée et des agréments de dirigeant de société de sécurité privée -, ainsi que des autorisations d'exercice pour lesdites sociétés et les organismes de formation. Cette première mission s'exerce dans le respect d'un double critère de moralité, évalué au regard des mentions figurant aux fichiers de police judiciaire que le CNAPS est habilité à consulter, et de qualification professionnelle vérifiée par un diplôme, un titre, un certificat ou, pour les anciens militaires et agents des forces de l'ordre, une équivalence. Je précise que le directeur du CNAPS ne délivre pas lui-même les titres, agréments et autorisations, mais propose l'acceptation ou le rejet des demandes à une commission locale composée de fonctionnaires, de magistrats et de représentants des organisations professionnelles, dont le président, après délibération, prend la décision finale. En cas de désaccord avec la décision prise, le demandeur peut faire appel auprès de la commission nationale, présidée par un avocat général près la Cour de cassation et dont le vice-président est un conseiller d'État.
Le CNAPS contrôle par ailleurs les professionnels de la sécurité privée oeuvrant dans les secteurs d'activité de son champ de compétence. À titre d'illustration, 1 800 contrôles ont été réalisés en 2017. Ils peuvent, en cas de manquements avérés, conduire à une demande de sanction par la commission locale pouvant aller jusqu'à une interdiction d'exercer pendant cinq ans.
Le CNAPS prodigue enfin des conseils, en matière de sécurité privée, aux entreprises et aux pouvoirs publics.
Régulièrement, le CNAPS effectue des rétro-criblages : si les titres délivrés sont valables cinq ans - 321 000 se trouvent en cours de validité -, une vérification des mentions aux fichiers de police judiciaire est réalisée tous les deux ans et peut, le cas échéant, conduire à une demande de retrait anticipé. Je tiens toutefois à préciser que le CNAPS ne traite en aucune façon les demandes de port d'arme, dont la délivrance demeure de la compétence du préfet ou du ministre compétent. Cette limitation apparaît logique puisque jusque récemment le port d'arme n'était pas autorisé aux agents de sécurité privée.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Combien de temps dure en moyenne l'instruction des dossiers ? De quels pouvoirs d'investigation dispose le CNAPS ? Procède-t-il notamment à l'audition des intéressés ?
M. Jean-Paul Celet . - Lorsqu'aucune mention ne figure aux différents fichiers et que la qualification professionnelle est clairement établie, un titre peut être délivré en moins de cinq jours. A contrario , le délai peut être supérieur à deux mois lorsqu'une mention nécessite la consultation du Parquet et, s'agissant d'une inscription au fichier des personnes recherchées (FPR), notamment pour un motif de sûreté nationale, des services spécialisés. Pour autant, le principe du contradictoire, par écrit ou sur audition, est garanti pour chaque instruction de dossier.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - S'agissant plus précisément de M. Benalla, pouvez-vous nous indiquer quand sa carte professionnelle d'agent de sécurité privée lui a été délivrée pour la première fois et au vu de quels compétences et justificatifs ? À quelle date a-t-elle été renouvelée ? Quelles activités autorisait-elle concrètement ?
M. Jean-Paul Celet . - Avant la création du CNAPS en 2012, la délivrance des titres afférant à la sécurité privée relevait de la compétence des préfectures. En 2011, la préfecture de l'Eure a ainsi délivré à Alexandre Benalla une première carte professionnelle l'autorisant à exercer une activité de protection physique des personnes. Une extension à l'ensemble des activités de sécurité privée lui a été accordée en janvier 2014 en conséquence du respect du critère de moralité et d'une qualification professionnelle obtenue par équivalence comme réserviste opérationnel dans la gendarmerie nationale. Récemment, le 28 juin 2018, M. Benalla a déposé une demande d'agrément de dirigeant d'une entreprise de sécurité privée, à laquelle le CNAPS a fait droit en application des critères précités : l'absence de mention aux fichiers de police judiciaire et la présentation de deux diplômes - une licence de droit, économie et gestion et un master 1 de sécurité privée délivré par l'Université Clermont Auvergne - faisant état de sa capacité à exercer une mission de direction. Depuis cette date, Alexandre Benalla dispose en conséquence d'un double titre. Je précise néanmoins qu'avant l'issue de mon mandat, j'en ai demandé le retrait, compte tenu des mentions apparues aux fichiers de police.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Aviez-vous connaissance, lors de l'instruction de cette dernière demande, des fonctions qu'occupait M. Benalla à la présidence de la République ?
M. Jean-Paul Celet . - Le CNAPS ne considère pas, pour rendre ses avis, les fonctions qu'exerce le demandeur dans une société de sécurité privée ou ailleurs. Nous n'avions donc nullement connaissance de l'activité professionnelle de M. Benalla.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Vous avez été, par le passé, professeur de philosophie. En réponse à ma curiosité, vous m'avez indiqué, avant que votre audition ne débute, qu'Husserl, qui a développé une philosophie de l'intentionnalité, était votre penseur favori. S'agissant plus précisément de M. Benalla, quelle était, selon vous, son intention lorsqu'il fit auprès du CNAPS sa demande d'obtention des différents titres et agréments que vous avez mentionnés ?
En tant que sénateurs, nous n'aurions pas forcément l'idée de demander un agrément pour diriger une société de sécurité privée. Pourquoi faire cette demande quand on est adjoint au chef de cabinet à la présidence de la République ? Cette question ne vous a pas effleuré. De la même manière, vous avez dit que vous n'aviez pas à vous intéresser à l'employeur ou au travail de la personne qui fait la demande. Cependant, vous êtes un préfet de la République, et il ne pouvait vous échapper, me semble-t-il, que M. Benalla était aussi adjoint au chef de cabinet du Président de la République.
M. Jean-Paul Celet . - Les textes sont clairs : dès lors que la personne remplit les deux conditions de moralité et de qualification professionnelle, le CNAPS doit délivrer le titre sauf réserves de la part de la commission locale d'agrément et de contrôle. Il n'y a aucune raison d'aller enquêter sur les motivations de la demande. En outre, l'agrément accordé à M. Benalla pour diriger une entreprise de sécurité privée date du 28 juin 2018, date à laquelle il n'avait pas encore de notoriété publique. Il l'a obtenu comme tout un chacun, sans préciser s'il allait ou non créer une société. Seul un contrôle nous aurait permis d'en savoir plus. Lorsque j'ai rencontré M. Benalla aux Assises de la sécurité, je ne savais pas qu'il avait fait ces demandes particulières. Le CNAPS s'articule autour d'un siège central et de directions territoriales, de sorte que M. Benalla a pu adresser sa demande à la direction de l'Île-de-France sans que cela remonte forcément jusqu'au siège. La question des motivations n'aurait pu être pertinente qu'au moment du contrôle, car nous traitons jusqu'à 150 000 demandes par an, et celles de M. Benalla n'avaient rien de particulier.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Comment jugez-vous la moralité de celui qui fait une demande ? Par exemple, s'il s'agit d'un détective privé, comment faites-vous pour savoir qu'il est moral ?
M. Jean-Paul Celet . - La moralité se vérifie au regard des fichiers consultés.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - C'est donc purement mécanique.
M. Jean-Paul Celet . - Lorsqu'une mention particulière figure dans les fichiers, nous engageons une enquête administrative. Si les fichiers sont vierges, nous n'avons aucune raison de pousser plus avant et surtout nous n'avons pas la compétence pour cela.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - M. Vincent Crase a déposé deux demandes de carte professionnelle d'agent de sécurité privée. Quand ces cartes lui ont-elles été délivrées ? Au vu de quelles compétences et de quels justificatifs ? Et quelles activités autorisaient-elles concrètement ? Plus spécifiquement, quand M. Vincent Crase a-t-il déposé sa demande d'agrément en qualité de dirigeant d'une société de sécurité privée et d'autorisation d'exercer cette fonction ? Et quelles suites lui ont-elles été réservées ?
M. Jean-Paul Celet . - M. Crase a fait une demande de carte professionnelle en 2013 qui concernait ses activités de détective privé. En sa qualité de réserviste opérationnel de la gendarmerie nationale, il pouvait justifier d'une équivalence, et il disposait également d'un diplôme d'enquêteur privé validé à l'université Paris II. Une carte de détective privé lui a donc été délivrée en 2013, et en 2014 il a demandé l'extension de cette carte à toutes les autres activités de sécurité privée. Deux critères justifiaient cette demande : la moralité au regard des textes du livre VI du code de la sécurité intérieure et son expérience de réserviste opérationnel de la gendarmerie nationale. En revanche, sa demande d'agrément de dirigeant déposée le 4 avril 2018 a été implicitement rejetée dans la mesure où le dossier était incomplet, car rien n'y justifiait d'une qualification professionnelle permettant de diriger une société.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Vous nous avez indiqué à deux reprises que l'équivalence avait été accordée à M. Benalla et à M. Crase en raison de leur qualité de réservistes. Je présume qu'il faut avoir été appelé un certain nombre de jours. Pouvez-vous nous préciser ce critère ?
M. Jean-Paul Celet . - Il faut avoir exercé pendant trois ans, ce qui était leur cas. Les conditions précises se trouvent dans la partie réglementaire du code de la sécurité intérieure.
M. Philippe Bas , président . - Vous avez indiqué qu'avant de quitter vos fonctions, vous aviez enclenché la procédure de retrait de la carte d'agent de sécurité et de l'agrément de dirigeant. Quand on enclenche une telle procédure, je suppose qu'une commission locale se réunit, puis que le président du CNAPS prend une décision sur avis de cette commission. Combien cela prend-il de temps ?
M. Jean-Paul Celet . - Dans ce cas précis, il faudra nécessairement engager une nouvelle enquête administrative. Au regard de la situation des deux intéressés, cela risque de prendre du temps. Néanmoins, les demandes ont été faites et sont en cours d'instruction auprès des commissions locales d'agrément et de contrôle.
M. Philippe Bas , président . - Aucune des deux personnes concernées n'a fait l'objet de la moindre condamnation. Considère-t-on néanmoins dans la jurisprudence encore récente du CNAPS que les poursuites dont ils font l'objet suffisent à leur retirer la carte et l'agrément ?
M. Jean-Paul Celet . - Conformément au cas général, j'ai considéré que dès lors que des faits étaient publiquement attestés, et qu'ils figuraient déjà dans les fichiers, notamment dans celui des traitements d'antécédents judiciaires (TAJ), il m'était possible de demander le retrait des cartes. En effet, selon les textes, les actes signalés sont incompatibles avec l'exercice d'une activité de sécurité privée. Prenons l'exemple parallèle d'un cas qui s'est présenté : si un agent de sécurité privée commettait des actes de violence sur une personne SDF dans une gare, que ces actes étaient filmés et les images retransmises sur les réseaux sociaux puis ensuite dans la presse, je serais parfaitement en droit de demander et d'obtenir le retrait de la carte de l'individu en question.
M. Philippe Bas , président . - Vous appliquez donc une doctrine.
Mme Brigitte Lherbier . - Lorsque sa première carte lui a été attribuée en 2011, M. Benalla avait 20 ans. Ne manquait-il pas un peu d'expérience ? Une fois le port d'arme obtenu, si la personne demande une deuxième carte, cette carte lui ouvre-t-elle des missions plus larges ? L'agrément est-il plus conséquent ?
M. Jean-Paul Celet . - C'est la préfecture de l'Eure qui a délivré sa première carte à M. Benalla en 2011, et je ne connais pas sa doctrine. Le CNAPS n'a été créé qu'en 2012. Je suppose que l'équivalence a été reconnue. M. Benalla était majeur et avait une expérience dans le domaine de la réserve opérationnelle, ce qui au regard des textes lui permettait d'obtenir un titre par équivalence. Quant au reste, il n'y a aucun lien, ni dans la jurisprudence, ni dans les textes, entre l'obtention d'une carte et le port d'arme. Jusqu'alors, la loi interdisait explicitement que l'activité de protection physique des personnes soit exercée avec une arme. Ce n'est que très récemment, en 2017, que cette disposition a été modifiée. Les arrêtés d'application du décret viennent à peine de paraître. Les cartes professionnelles pour l'activité de protection physique des personnes armées ne verront pas le jour avant le mois de juin de l'année prochaine.
Mme Catherine Di Folco . - La demande de M. Benalla, déposée le 20 juin 2018, est postérieure aux faits du 1 er mai mais antérieure à la divulgation de la vidéo. S'il l'avait déposée après le 19 juillet, M. Benalla aurait-il eu son agrément ?
M. Jean-Paul Celet . - Il aurait fallu que je sois alerté, mais j'aurais demandé le refus d'une telle demande.
Mme Marie Mercier . - Vous nous avez déclaré qu'il a été mis fin à vos fonctions en août 2018. Pouvez-vous nous préciser dans quelles circonstances ?
M. Jean-Paul Celet . - J'étais auparavant préfet de la Haute-Marne. J'ai été nommé par un décret du Président de la République. Je suis à la disposition du Gouvernement qui a mis fin à mes fonctions. Je n'ai pas d'autres commentaires à faire.
Mme Marie Mercier . - Ce n'était pas à votre demande ?
M. Jean-Paul Celet . - Non, mais j'ai rarement été nommé à ma demande.
M. Philippe Bas , président . - Vous manifestez là un très grand sens du service public.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Vous avez mentionné le fichier TAJ pour justifier votre demande de retrait des deux titres délivrés à M. Benalla. À quel titre M. Benalla peut-il figurer dans le fichier TAJ ? À ce jour, il me semble qu'il n'a pas d'antécédents judiciaires. Quoi qu'il en soit, je salue votre réactivité, car vous avez estimé qu'il y avait lieu de retirer ces titres à un moment où il n'était pas encore considéré comme pertinent d'engager des poursuites. Cependant, deux mois plus tard, il était mis fin à vos fonctions.
M. Jean-Paul Celet . - Le fichier TAJ est un instrument qui est parfois lent, parfois rapide. Dès lors que vous êtes engagé dans une procédure, que ce soit comme auteur, comme victime, ou comme témoin, vous pouvez faire l'objet d'une mention au fichier TAJ. Dans l'exemple parallèle que j'ai mentionné, j'ai demandé le retrait en urgence, parce que la personne exerçait une activité de sécurité privée. Dans les cas qui nous intéressent aujourd'hui, j'ai demandé le retrait dans une procédure normale.
M. Philippe Bas , président . - Le fichier TAJ est en effet un fichier très large. Il suffit qu'une personne fasse l'objet d'une enquête judiciaire pour y être inscrite même temporairement. Monsieur le préfet, nous vous remercions.
Audition de M. Alain Bauer,
professeur de criminologie
au Conservatoire national des arts et
métiers (CNAM)
(Mercredi 26 septembre 2018)
M. Philippe Bas , président . - Nous entendons maintenant M. Alain Bauer, qui a été président du Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS), et qui a eu à ce titre des responsabilités importantes dans la délivrance des titres et des agréments. Il est également professeur de criminologie et directeur du Centre de recherche interdisciplinaire du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), où il enseigne depuis un certain nombre d'années déjà, et c'est un spécialiste reconnu des questions de sécurité.
Je vous rappelle que notre commission est investie des pouvoirs d'investigation d'une commission d'enquête ; un faux témoignage serait passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Alain Bauer prête serment.
M. Alain Bauer, professeur de criminologie au CNAM . - Contrairement à l'idée répandue, ni le président ni le directeur du CNAPS n'ont le pouvoir de délivrer ou de retirer des cartes. Lorsque le CNAPS a été conçu, l'inspecteur général de l'administration, M. Berlioz, a souhaité qu'il soit le plus décentralisé possible afin d'éviter toute tentation de délivrer ou de retirer des cartes pour des raisons non expressément prévues par le législateur ou le pouvoir exécutif lorsqu'il exerce sa mission réglementaire.
Par conséquent, les présidents des commissions locales, qui sont soit des magistrats soit des préfets, exercent cette mission, et la commission nationale d'agrément et de contrôle est placée sous l'autorité conjointe d'un membre du Conseil d'État et d'un magistrat de la Cour de cassation. Le président du CNAPS ne peut pas être membre de la commission d'agrément et de contrôle, dans une stricte séparation des pouvoirs, telle qu'elle a été imposée au fil des ans pour toutes les autorités ayant un pouvoir disciplinaire.
Le CNAPS exerce à la fois une mission de police administrative, une fonction d'ordre professionnel et une mission de sanction non seulement disciplinaire mais aussi financière, dans des conditions qui ont été soit prévues par le législateur soit plus ou moins bricolées avec les difficultés d'exercice qui s'ensuivent. C'est le cas par exemple pour la mission de retrait en urgence des cartes, qui n'existe pas, alors que le collège du CNAPS la réclame depuis longtemps. Autre exemple, nous pouvions délivrer des sanctions financières, mais nous ne pouvions pas les percevoir ni vérifier qu'elles étaient appliquées. Nous pouvions délivrer des interdictions d'exercice ou des suspensions pour les entreprises, mais sans pouvoir les faire appliquer. Et pour un très grand nombre d'enquêtes qui dépassent la simple consultation des fichiers, nous devons relever d'une mission qui se rajoute à celles, innombrables, qui sont confiées aux policiers, aux gendarmes ou aux autorités des services de renseignement dans le cas de processus de radicalisation qui peuvent interférer. Nous avons donc beaucoup de missions et nous disposons de pouvoirs alternatifs, mais nous sommes aussi soumis à énormément de contraintes dans l'exercice réel de ces pouvoirs.
Depuis sa création, le CNAPS est une institution un peu baroque et un peu hybride, qui a moins de pouvoirs que l'Ordre des médecins, mais plus de compétences, et des limites à son exercice. Le législateur comme le Gouvernement ont fait beaucoup d'efforts pour rattraper le retard et améliorer notre efficacité et notre compétence. Un rapport récent de la Cour des comptes fait état des déficiences du CNAPS. L'ensemble du processus législatif prendra du temps. Nous n'avions pas de code de déontologie obligatoire, mais l'inspection générale de l'administration et le collège du CNAPS ont souhaité se l'appliquer à eux-mêmes. Nous gérons des catégories complexes de population puisque chez les détectives privés, on trouve tout aussi bien des salariés de cabinet de détectives que des professions libérales. Il y a également ce que l'État nous impose, notamment les agréments et les habilitations par équivalence. Il y a quelques semaines, un nouveau texte nous a aussi imposé d'accueillir et d'intégrer des personnels issus du monde militaire dans des conditions extrêmement allégées, ce qui n'est pas forcément conforme à la position plus stricte du collège du CNAPS.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Nonobstant ce que vous venez de nous expliquer, est-ce que les conditions dans lesquelles vous avez exercé vos fonctions au sein du CNAPS, et celles dans lesquelles une carte professionnelle d'agent de sécurité privée et un agrément en qualité de dirigeant d'une société de sécurité privée ont été attribués à M. Benalla vous paraissent tout à fait régulières ? La question est la même pour les demandes de carte professionnelle d'agent de sécurité privée, d'agrément en qualité de dirigeant d'une société de sécurité privée et d'autorisation d'exercer la direction d'une entreprise de M. Vincent Crase.
M. Alain Bauer . - Les autorisations initiales de M. Benalla ont été délivrées par le préfet, représentant direct de l'État. Il n'existait alors pas d'institution collégiale en charge de les attribuer. Son renouvellement de carte s'est effectué dans la plus parfaite régularité. Sa demande d'habilitation et d'agrément a été traitée après la fin de mon mandat, mais pour ce que j'en sais, aurais-je été président du CNAPS à cette époque, rien ne se serait opposé à sa délivrance. Quant à la carte de M. Crase, elle a été délivrée selon les mêmes règles et dans le même respect strict des textes, et son refus d'agrément de dirigeant s'est également fait dans le strict respect des textes, en prenant en compte l'absence de constitution d'un dossier complet.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Le fait que M. Benalla soit adjoint au chef de cabinet du Président de la République...
M. Alain Bauer . - Il ne l'était pas en 2014.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Oui, mais après. Cela n'a pas posé de problème par rapport à sa demande d'agrément ?
M. Alain Bauer . - Je n'ai pas souvenir que le statut des non-fonctionnaires contractuels de droit public s'oppose à cette possibilité. On recense environ 325 000 cartes professionnelles, dont seulement 150 000 sont détenues par des personnes exerçant leur activité. La carte accorde une autorisation d'exercer, sans garantir l'exercice de cette possibilité. Idem pour l'agrément de dirigeant, qui autorise à devenir dirigeant, sans valider le fait que vous exerciez ces fonctions. J'ai imprimé une demande de carte professionnelle pour que vous puissiez le constater de visu . À la fin du document, le collège a fait figurer une attestation sur l'honneur qui rappelle les règles applicables en matière de cumul d'emplois avec les fonctions publiques, prévues par le code de la défense, la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, et le décret du 2 mai 2017 relatif au cumul d'activités des fonctionnaires, des agents non titulaires de droit public et des ouvriers des établissements industriels de l'État. Elle rappelle aussi expressément à celui qui dépose sa demande qu'il lui est interdit d'exercer l'activité lorsque la loi s'y oppose.
Cependant, un militaire, un fonctionnaire de police ou un agent public qui prévoirait sa retraite dans six mois ou dans un an, peut parfaitement déposer à ce titre une demande de carte et d'habilitation, mais n'exercer qu'au moment où il ne sera plus dans l'interdiction de cumul. Il peut par ailleurs demander à exercer le cumul, notamment s'il est employé à mi-temps ou s'il entre dans le cadre des dérogations figurant dans le code général de la fonction publique. Il faut donc traiter les situations au cas par cas.
Nous contrôlons normalement les cartes tous les cinq ans. Nous avons renforcé notre dispositif dans le cadre de la lutte antiterroriste et de la lutte contre la radicalisation, et nous avons opéré un contrôle général avant l'Euro 2016. Nous procédons désormais à un contrôle général des 300 000 cartes tous les deux ans. Nous en délivrons environ 100 000 de plus tous les ans, et le rythme de renouvellement s'accélère, car le taux de rotation de la profession de la sécurité privée est supérieur à 70 %. Sans compter le pic qui arrive tous les cinq ans, les reprises d'activité, les reprises d'activité à temps partiel, ou les compléments d'activité en cas de besoin majeur. Les Jeux olympiques, par exemple, exigent un niveau de préparation qui risque de mobiliser tout d'un coup l'ensemble des titulaires d'une carte. Le CNAPS devra revoir toutes les cartes avant l'ouverture du processus préalable aux Jeux olympiques et qui se déploiera pendant toute la durée des Jeux olympiques et paralympiques.
Nous ne sommes peut-être pas au courant de l'activité exacte de M. Benalla à l'Élysée, et je ne suis pas sûr que grand monde savait très exactement ce qu'il y faisait avant que la presse et les commissions d'enquête décident de révéler la réalité de ses contrats. Cependant, à ma connaissance, l'interdit absolu du code général de la fonction publique ne se serait pas appliqué à son cas.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Vous êtes un spécialiste reconnu des questions de sécurité. À l'Élysée, la sécurité et la protection du Président de la République sont confiées au groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR) et au commandement militaire de la présidence de la République. Ceux qui exercent des missions dans l'une ou l'autre de ces entités relèvent du ministère de l'intérieur ou de celui de la défense, en co-tutelle pour ceux qui sont militaires. Dans le Journal du dimanche , M. Benalla a mentionné une opposition du ministère de l'intérieur au sujet d'un projet dans lequel nous ne connaissons pas son rôle exact. Quelle est votre appréciation sur le rapport entretenu par ceux qui s'occupent de sécurité à la présidence de la République et les ministères de l'intérieur et de la défense ? Il me semble que depuis le début de la V e République, ce personnel est géré par ces ministères de sorte qu'un lien évident est établi. Existe-t-il des cas de sociétés démocratiques où ce lien n'existerait pas ? Quelle appréciation porteriez-vous sur une évolution conduisant à une plus grande autonomie du personnel chargé de la protection et de la sécurité du Président de la République ?
M. Alain Bauer . - La sécurité d'un chef d'État se gère toujours dans des configurations qui sont propres à l'histoire de chaque pays ou à l'évolution de cette histoire. Le Président des États-Unis était protégé par une société privée, Pinkerton. Après la perte de deux ou trois hommes, il a été jugé plus utile de créer le Secret Service , avec deux missions : la protection du Président des États-Unis et la lutte contre la fausse monnaie. Cet organisme est placé sous l'autorité du secrétaire général de la Maison-Blanche, mais dépend sur les plans administratif, fonctionnel et budgétaire du département de la justice. Son autonomie est très grande.
Il existe dans de nombreux pays des régiments de garde présidentielle, et dans d'autres des mercenaires et des sociétés privées. Chacun fait un peu comme il veut ou comme il peut, pour des raisons liées à la confiance, la stabilité ou l'instabilité des dispositifs de sécurité ou à une longue tradition de coups d'État. Il y a ainsi dans notre ancien empire colonial une forme d'instabilité chronique, et le Commonwealth a connu les mêmes difficultés.
La France a connu un épisode très instable, entre la Libération et 1958, durant lequel on est passé d'une absence d'organisation structurée - à part la garde républicaine, il n'y avait pas d'outils clairs de protection des institutions - à l'apparition, autour du général de Gaulle et dans la période courant jusqu'à la fin des événements d'Algérie, que l'on ne qualifiait pas alors de « guerre », d'unités paramilitaires et de dispositifs qui n'étaient prévus ni par la Constitution ni par la réglementation. Il s'est ensuivi, au moment du retour de la paix civile et jusqu'en 1983, une situation plus républicaine avec la création du groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR) qui a regroupé, selon les époques, soit davantage de policiers que de gendarmes, soit l'inverse.
Quant au commandement militaire, il appartient à l'institution qui protège tous les édifices publics. Je n'ai pas souvenir d'un groupe de sécurité relevant du Premier ministre dont l'existence pourrait se justifier dans le cadre de l'organisation actuelle de la V e République. Cela n'a pas semblé nécessaire ; pourtant, le Premier ministre est aussi bien protégé que le Président de la République.
Les choix peuvent être extrêmement divers. La mise en cohérence d'un outil de sécurité est un enjeu majeur. Il est difficile d'avoir un outil qui s'occupe du « fixe » et un autre pour le « mobile », chacun relevant d'un chef différent au sein d'une organisation complexe.
Pour ce qui concerne les missions relevant des responsables politiques élus, il y a plusieurs phases. D'abord, il faut savoir qui les protège lorsqu'ils sont candidats. Être protégé par le ministre de l'intérieur de la majorité sortante quand on est dans l'opposition, c'est compliqué ; il faut trouver des accommodements républicains, en désignant des policiers ou des gendarmes dont l'appartenance au camp d'en face est connue. Ainsi, l'État fait son travail en protégeant les candidats, et ceux-ci se sentent en confiance, car ils savent que les policiers ou les gendarmes mis à leur disposition ne font pas un rapport tous les soirs au ministre de l'intérieur sur ce qu'ils ont fait, dit et pensé durant la journée. La presse s'en fait l'écho en indiquant qui est chargé de la sécurité du candidat, ou si celui-ci refuse d'être protégé par des agents publics. Pour ces cas, la protection est assurée par des services d'ordre, dont disposent toutes les organisations politiques et syndicales et qui ont des missions de protection rapprochée. On en a toujours vu dans les campagnes présidentielles, surtout pour les candidats les plus exposés ou les plus à même de gagner l'élection.
Une fois au pouvoir, la question se pose de la cohabitation. Nelson Mandela a pris avec lui son unité de sécurité, directement issue de la « lance de la nation », le groupe le plus dur de l' African National Congress - Congrès national africain (ANC) -, et a expliqué aux officier boers qui dirigeaient le gouvernement blanc et ségrégationniste d'Afrique du Sud que désormais ils feraient cause commune. Il faut être Nelson Mandela pour le faire, mais cela a fonctionné. Cela ressemble au cas des officiers appartenant à la Résistance qui, lorsque l'État républicain a été rétabli, succédant au régime de la collaboration, se sont trouvés intégrés dans les institutions de l'État et ont vu leurs titres gagnés dans la clandestinité reconnus.
Dans le cas du Secret Service américain, la logique d'État s'applique : il n'y a pas d'agents contractuels privés de sécurité auprès du Président des États-Unis, pas plus qu'auprès du Premier ministre de Grande-Bretagne ou de la Chancelière allemande. À ma connaissance, cela n'existe dans aucun pays de l'Union européenne ayant un régime démocratique. Le principe est la stricte séparation, mais il peut y avoir au sein du cabinet, au sens d'appareil politique, une personne qui s'occupe de la partie semi-privée ou semi-politique des déplacements, et qui a une fonction de lien local. Les choses sont alors clairement définies et déterminées.
Dans d'autres pays, la situation est exactement inverse. Du fait du spoils system , on ne fait confiance à personne et c'est une équipe privée qui prend le relais pour assurer la sécurité immédiate du chef de l'État.
Notre démocratie a une vieille histoire. Le fait qu'il y ait seulement des agents publics autour du Président de la République, sous un commandement unique, a du sens. On ne voit pas très bien comment on pourrait assurer, à la fois, la sécurité résidentielle et celle des déplacements avec deux commandements ou deux unités. Or ce point de vue rationnel n'entre pas toujours en ligne de compte au moment d'effectuer des choix plus personnels.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Pour ce qui est de la France, quelle appréciation portez-vous sur le développement des activités de sécurité privée et des missions confiées aux agents de sécurité privée ?
M. Alain Bauer . - Le paradoxe, c'est que la sécurité privée résiste avec détermination à la volonté de l'État de lui confier des missions toujours plus nombreuses, qui dépassent très largement les limites que le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel ont rappelées à plusieurs reprises. Je pense en particulier à tout ce qui concerne la voie publique et la garde, le transfert et l'hospitalisation des détenus.
L'État a créé la sécurité privée en France. L'action déterminée du préfet de police de la Seine est ainsi à l'origine de la première société parisienne de surveillance, laquelle employait des agents supplétifs et avait des missions spécifiques couvrant les habitations bon marché, les ancêtres des HLM, et le métropolitain, outil de transport quelque peu compliqué à gérer car souterrain - le rapport préfectoral en la matière date de 1900 ; rien de nouveau sous le soleil ! L'idée était de « recycler » quelques gardiens de la paix et de disposer d'une force annexe qui s'occuperait de ce qui est statique et peu dynamique. Débute alors l'histoire de la surveillance et du gardiennage.
Pour ce qui est des détectives, l'histoire est plus ancienne et remonte à l'action de François Vidocq, agent contractuel de la sécurité publique relevant de la préfecture de police, qui intervenait essentiellement en matière de fraude boursière via son « bureau de renseignements pour le commerce », la police d'État et les polices locales ne voyant pas l'intérêt de s'en occuper.
On a ainsi vu se développer toute une série de missions de sécurité privée au fur et à mesure que l'État décidait d'y renoncer. Lorsque l'État n'a plus souhaité assurer la protection du transport de fonds, la Poste a dû créer une filiale pour s'en occuper. C'est la même chose pour l'installation de personnes étrangères. Cela fait donc une trentaine d'années qu'il y a dans notre pays des agents de sécurité privée armés. Ils sont plusieurs milliers et l'on ne recense aucune bavure commise par ces agents, qui se font plus souvent tirer dessus qu'ils ne tirent eux-mêmes.
Pour ce qui concerne les ports et transports, à l'époque où je travaillais avec Michel Rocard à Matignon, deux lois ont prévu la privatisation ainsi que la sous-traitance du contrôle et de la surveillance des passagers et des bagages dans les ports, puis dans les aéroports. Puis sont arrivés les stadiers, dans une configuration un peu complexe.
Peu à peu, l'État a créé de nouveaux dispositifs. Il a ouvert encore le champ en créant la garde armée des navires, car les bateaux français n'étaient plus gardés que par des Anglo-saxons, ce qui posait des problèmes de souveraineté pour une partie importante de la flotte. Lorsque lui a été posée la question des gardes armés, le préfet Jean-Paul Celet a été optimiste, pensant que c'était interdit. Or la créativité bureaucratique du ministère de l'intérieur a été sans limite. Il a décidé que les agents de protection rapprochée avaient le droit de porter une arme du simple fait qu'ils étaient à côté d'une cible, en l'occurrence la personne qu'ils devaient protéger. Une centaine de personnes étaient ainsi armées en France, dans des conditions de légalité extrêmement contestables.
Après l'affaire Charlie Hebdo , le gouvernement français a décidé de sortir de l'ambiguïté, du bricolage et de cette tolérance, laquelle concernait également les accompagnants de personnalités étrangères qui n'étaient pas des agents publics et qui se situaient donc hors du champ des conventions internationales diplomatiques de protection des dirigeants en visite. Le texte qui entrera prochainement en application permettra de sortir de ce flou et de cette ambiguïté.
De la même manière, il existe des gardes armés travaillant pour des entreprises d'État désormais semi-privatisées qui, pour des raisons de souveraineté nationale ou du fait des enjeux en présence, comme le nucléaire, protègent certaines installations.
Il y a une sorte de consensus général sur les limites de cet exercice. Le consensus n'existe pas, en revanche, pour ce qui concerne la protection de la voie publique, la garde, le transfert et l'hospitalisation des détenus et tout ce qui relève de l'administration pénitentiaire. L'État est en effet souvent demandeur de sécurité privée dans des conditions qui me paraissent extraordinairement dangereuses, et j'espère que ces pulsions sont résistibles. L'État a une vision large de tout ce dont il pourrait se débarrasser au bénéfice de la sécurité privée. Je tiens à dire que le collège du CNAPS a expliqué à plusieurs reprises, et à l'unanimité, qu'il ne voulait pas de ces missions.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - À propos du port d'arme, vous paraît-il justifié que, parmi le personnel titulaire ou contractuel de l'Élysée, d'autres personnes que celles appartenant au commandement militaire et au GSPR soient détentrices d'un port d'arme ?
M. Alain Bauer . - Tout d'abord, n'importe qui peut demander un port d'arme.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Nous le savons...
M. Alain Bauer . - Cela nécessite de revoir la question de l'appréciation personnelle portée sur chaque demande individuelle de port d'arme.
Ensuite, sur le plan opérationnel, le plus sûr moyen de voir survenir un accident, un assassinat ou une bavure est de créer des commandements différents et de regrouper au même endroit des individus appartenant à des chaînes différentes, ayant des pratiques, une formation et une compétence différentes, et disposant tous de moyens létaux. Il ne peut et il ne doit y avoir qu'un seul opérateur, une seule chaîne de commandement et un seul dispositif de formation, de connaissance, de confiance et de réactivité.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Au regard de nos précédentes auditions, votre préconisation d'une unité dans la chaîne de commandement donne à réfléchir.
M. François Grosdidier . - Monsieur Bauer, vous êtes un spécialiste de droit comparé et un observateur des différents dispositifs qui existent dans le monde. Vous avez d'ailleurs évoqué les situations existant dans des démocraties balbutiantes ou des régimes autoritaires et instables. Y a-t-il des exemples dans de grandes démocraties, bien installées et anciennes, de dispositifs de sécurité présidentielle qui soient complètement dissociés des forces relevant normalement du Gouvernement, et qui peuvent même échapper à l'État de droit ?
Il existe un exemple d'autonomisation complète de la protection du Président de la République à l'égard du ministère de l'intérieur : les dérives survenues à l'époque mitterrandienne, lorsque des gendarmes s'étaient autorisés à procéder à des écoutes téléphoniques ; lorsque celles-ci leur étaient commandées, il était même possible d'invoquer le régime d'immunité du Président de la République dans l'exercice de ses fonctions.
Nous respectons tous la séparation des pouvoirs et souhaitons qu'elle soit respectée à l'égard du Parlement. Peut-on justifier, au nom de ce principe démocratique ancien, une séparation au sein de l'exécutif entre la sécurité présidentielle et celle relevant du Gouvernement, et notamment du ministère de l'intérieur ?
Il paraît qu'il existe un projet d'autonomisation complète de la sécurité élyséenne à l'égard du ministère de l'intérieur. Dans le même esprit, est-il possible de contester le droit du Parlement, qui contrôle l'action des services de sécurité dans toutes les démocraties, de contrôler la sécurité de la présidence de la République ? Qu'en est-il en droit comparé ? Si cela était confirmé, s'agirait-il de singularités françaises ?
M. Alain Bauer . - Même si l'éventualité d'une cohabitation s'est beaucoup restreinte d'après les constitutionnalistes, dès lors qu'il y a confusion de deux élections dans un délai rapproché, la dissolution d'une chambre n'est pas impossible. Le fait qu'il y ait un président d'une couleur, et un gouvernement ou une majorité parlementaire d'une autre couleur, est une possibilité. Cela pourrait-il constituer un risque si l'autorité présidentielle devait être combattue par un ministère de l'intérieur moins républicain qu'il ne l'a été jusqu'à présent ? Je rappelle que, lors des périodes de cohabitation, le choix du ministre de l'intérieur avait fait l'objet d'un dosage particulier, nonobstant la réalité du résultat de l'élection législative ou de la majorité des deux assemblées.
Quand on respecte les statuts du Président de la République et du Premier ministre, dont le niveau d'équivalence reste élevé, on peut s'en sortir. S'il y a un conflit majeur, l'idée selon laquelle la sécurité du chef de l'État, qui est chef des armées et dont les pouvoirs ont été élargis, notamment avec la création du Conseil de sécurité intérieure sur proposition du préfet Philippe Massoni et sur décision du président Chirac, peut être mise en cause montre que l'on est dans un espace compliqué.
Pour ma part, je suis très partisan du contrôle parlementaire. Pour ce qui est de l'autonomie, de l'indépendance et de la capacité du Président de la République, lorsqu'il n'est pas en situation de majorité parlementaire, il me semble raisonnable de faire un effort de compréhension particulière. Cela a été le cas jusqu'à présent sans qu'il ait été nécessaire de modifier les textes. Mais rappelons que le GPSR, sous Jacques Chirac, n'était pas le même que sous François Mitterrand ou sous Nicolas Sarkozy. Il faut donc prendre en considération certaines modalités, des assouplissements et des complexités.
Plutôt que d'attendre une crise pour gérer ce problème « à la française », alors qu'on aurait pu le faire calmement bien avant, peut-être le moment est-il venu de remettre à plat les conditions de fonctionnement d'un service de la sécurité présidentielle. La question se pose aussi, mais d'une manière différente, pour le Premier ministre : étant le chef de la majorité, on peut considérer qu'il n'aura pas les mêmes relations avec son ministre de l'intérieur que le Président de la République dans le cas d'une cohabitation.
Cette remise à plat est justifiée, car les dispositifs de sécurité des institutions de la République ont vieilli et ne sont plus tout à fait adaptés aux problématiques actuelles - je pense aux drones et au passage à la troisième dimension de la sécurité -, et c'est autant au Parlement qu'à l'exécutif d'y procéder.
Mme Marie Mercier . - Qu'inspire au criminologue que vous êtes la photo récemment publiée de M. Benalla, arme au poing ? Que pensez-vous de cette attitude de la part d'une personne qui se présente comme un professionnel de la sécurité ? Un tel comportement est-il fréquent ?
M. Alain Bauer . - J'ai rarement vu des selfies de campagne sur lesquels on essaye d'impressionner une serveuse avec son Glock ; c'est une nouveauté. Les réseaux sociaux sont passés par là... D'un point de vue professionnel, c'est contraire à l'ensemble des règles de port, d'usage et de maniement des armes. Si M. Benalla avait passé un examen, il aurait eu un zéro, la note éliminatoire.
M. Philippe Bas , président . - Ajoutons qu'il n'est pas légal de porter une arme dans de telles conditions.
M. Alain Bauer . - L'autorisation dont M. Benalla disposait à l'époque ne lui permettait pas d'exhiber une arme, et encore moins de la porter.
M. Philippe Bas , président . - Je vous remercie, monsieur Bauer, d'avoir apporté votre éclairage à notre commission.
Audition de Mme Sophie Hatt,
ancienne cheffe du groupe de sécurité
de la présidence
de la République, directrice des services actifs
de la police
nationale, directrice de la coopération internationale
au
ministère de
l'intérieur
(Mercredi 10 octobre 2018)
M. Philippe Bas , président . - Nous procédons ce matin à l'audition de Mme Sophie Hatt, que les rapporteurs et moi-même avons souhaité entendre en sa qualité d'ancienne responsable du groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR).
Si cet entretien clôt notre programme d'auditions, il nous reste à mener un travail - d'ores et déjà engagé - d'analyse approfondie de l'ensemble des déclarations recueillies, afin de mettre en évidence les points qui ont pu être éclaircis, les contradictions ayant émergé de ces auditions et, une fois certaines réponses apportées, celles qui subsistent. Ce travail, important compte tenu du volume de matière à traiter, se poursuivra pendant quelques semaines. Toute information selon laquelle nous serions en phase d'achèvement de notre mission serait donc excessive, même si les médias, aujourd'hui, sont naturellement moins enclins à donner à celle-ci un caractère spectaculaire, ce qui nous permet de continuer d'avancer avec la sérénité qui a toujours été la nôtre.
Les questions qui nous occupent ont principalement trait au fonctionnement de la sécurité du chef de l'État dans un pays qui, rappelons-le, est la cinquième puissance mondiale. Ce sujet intéressant l'ensemble de nos concitoyens, il est normal que le Parlement s'en préoccupe si des dysfonctionnements apparaissent.
Notre commission ayant été investie des prérogatives d'une commission d'enquête, je dois vous rappeler, madame Hatt, qu'un faux témoignage serait passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Sophie Hatt prête serment.
Mme Sophie Hatt, ancienne cheffe du groupe de sécurité de la présidence de la République, directrice des services actifs de la police nationale, directrice de la coopération internationale au ministère de l'intérieur . - En préambule, permettez-moi de vous exposer mon parcours professionnel, qui peut expliquer à quel titre je m'exprime aujourd'hui devant vous.
Commissaire de police depuis 27 ans, j'ai occupé différentes fonctions à la préfecture de police de Paris et à la direction générale de la police nationale. J'ai tout d'abord travaillé au sein de l'ancêtre de la direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC), en tant qu'attachée du deuxième district et en charge, principalement, de maintien de l'ordre, puis comme commissaire adjoint du XV e arrondissement et, enfin, comme commissaire du III e arrondissement. Jusqu'à la fin de l'année 1999, j'ai occupé les fonctions de commissaire central du III e arrondissement. J'ai été nommée chef du groupe de sécurité du Premier ministre le 2 février 2000, et j'ai donc assuré, de 2000 à 2002, la sécurité de Lionel Jospin. Ayant quitté le service de la protection des hautes personnalités (SPHP), j'ai été nommée à Marseille, puis adjoint du coordonnateur des services de sécurité intérieure en Corse. En 2010, je suis revenue à la préfecture de police de Paris et, après différentes affectations, j'ai été nommée cheffe du GSPR le 29 mai 2012.
Selon la volonté expresse du président François Hollande, j'ai composé ce groupe en intégrant des fonctionnaires de police issus du SPHP et des gendarmes issus du groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN). Le GSPR comprenait uniquement des officiers de sécurité, au nombre de 62.
J'ai quitté ces fonctions le 5 mars 2017 pour diriger la direction de la coopération internationale au ministère de l'intérieur.
M. Philippe Bas , président . - Le recrutement et l'évaluation des policiers et gendarmes d'élite du GSPR étaient-ils de votre ressort ? Vous revenait-il ou revenait-il au service de la protection du ministère de l'intérieur de mettre fin à une collaboration ?
Mme Sophie Hatt . - Tous les officiers de sécurité ont été recrutés, notés, voire remis à disposition - à de très rares occasions, quand leur comportement ou leurs performances n'étaient plus à la hauteur du niveau requis - par moi-même.
M. Philippe Bas , président . - Qui fixait les règles de fonctionnement du GSPR, vous-même ou le ministère de l'intérieur ?
Mme Sophie Hatt . - Les officiers recrutés par mes soins avaient subi des tests pour faire partie, soit du GIGN, soit du service de la protection, le SDLP ; ils avaient donc toutes les compétences requises en matière de sécurité rapprochée. Au sein du groupe, l'entraînement était assuré par un moniteur et ses collaborateurs. Il était constant et parfois assuré sur des sites extérieurs mis à disposition par la gendarmerie ou la police nationale.
M. Philippe Bas , président . - Étiez-vous autonome ou certaines décisions concernant la sécurité présidentielle lors des déplacements vous étaient-elles imposées ?
Mme Sophie Hatt . - J'étais totalement autonome, mais je rendais compte de tout incident ou difficulté à la directrice de cabinet, puis au directeur de cabinet qui l'a remplacée.
M. Philippe Bas , président . - Dans les déplacements, qui était en contact avec les acteurs de terrain pour assurer la coordination entre votre domaine de responsabilité et l'organisation de la sécurité sur la voie publique et dans les bâtiments ?
Mme Sophie Hatt . - Sur le territoire français, en métropole et outre-mer, je travaillais en collaboration constante avec le ou la chef de cabinet. L'organisation était très claire, le secrétaire général de l'Élysée ayant rédigé une note, dès le début du quinquennat, sur ce fonctionnement : l'organisation générale était de la compétence du chef de cabinet ; la sécurité rapprochée était de ma compétence exclusive ; la compétence générale était assurée au travers d'une coopération entre le chef de cabinet et moi-même.
M. Philippe Bas , président . - Un collaborateur du chef de cabinet était-il particulièrement dédié aux questions d'organisation de la sécurité ?
Mme Sophie Hatt . - Absolument pas.
M. Philippe Bas , président . - Les photos et les vidéos dans lesquelles M. Benalla apparaît « à l'épaule » du chef de l'État à l'occasion de déplacements sont-elles caractéristiques d'une protection rapprochée ?
Mme Sophie Hatt . - Les quelques images que j'ai pu voir ne me semblent pas forcément révélatrices d'une mission de sécurité rapprochée. Dans tout déplacement d'un Président de la République, il est fréquent qu'un ministre, un collaborateur, une autorité préfectorale ou étrangère soit à ses côtés. Cette présence, nécessaire au déroulement de la visite, ne tient nullement à une compétence en matière de protection rapprochée.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Évoquant sa présence « à l'épaule » du Président de la République, M. Benalla a déclaré : « c'est effectivement un changement, la fonction d'un officier de sécurité n'est pas de porter des dossiers ou le manteau du Président, c'est d'être attentif et de le protéger en permanence ». Constatez-vous un tel changement dans les images que vous avez pu voir ?
Mme Sophie Hatt . - À nouveau, il est très fréquent qu'un collaborateur ou qu'une autorité se trouve au plus près du Président de la République et il n'est pas du ressort des officiers de sécurité de lui porter son écharpe, son manteau ou un dossier. Il n'y a pas de confusion sur ce point. Parfois, les circonstances imposent, par exemple dans un salon ou un congrès, que les officiers de sécurité « chahutent » les collaborateurs ou les personnes qui se trouvent à proximité du Président pour pouvoir reprendre leur place.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Comment est assurée la sécurité du Président de la République dans le cadre des déplacements privés ?
Mme Sophie Hatt . - Le dispositif est identique à celui des déplacements officiels, mais il est plus discret et souvent moins lourd.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Que pensez-vous de la photo montrant le Président de la République à vélo, suivi à quelques centimètres de distance par M. Benalla ? Où est censé se trouver l'officier de sécurité dans ce type de déplacement ?
Mme Sophie Hatt . - Le champ de cette photo était insuffisamment large pour que je puisse subodorer la position des officiers de sécurité, mais je pense qu'ils respectaient une distance raisonnable : ils doivent être assez près pour pouvoir intervenir si la sécurité du Président est en jeu.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Lorsque vous étiez à la tête du GSPR, certains membres du cabinet du Président de la République disposaient-ils, à votre connaissance, d'un permis de port d'arme ?
Mme Sophie Hatt . - À ma connaissance, non.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Vous paraît-il crédible qu'existe un groupe de travail pour améliorer la coordination entre le GSPR et le commandement militaire ?
Mme Sophie Hatt . - Je n'en ai aucune idée.
M. Philippe Bas , président . - Avez-vous eu à faire l'expérience de difficultés entre le GSPR et le commandement militaire justifiant de placer les deux services entre les mêmes mains pour éviter des failles dans l'organisation de la sécurité du Président de la République ?
Mme Sophie Hatt . - Je n'ai rencontré aucune difficulté à travailler avec la garde républicaine durant mes cinq années d'exercice. C'était une collaboration pleine et entière.
M. Philippe Bas , président . - Cela ne justifiait pas l'existence d'un coordinateur ?
Mme Sophie Hatt . - Cela ne le nécessitait alors pas.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - « Nous avions contre nous le ministère de l'intérieur » : c'est le sens d'une déclaration faite par M. Benalla au Journal du dimanche , en rapport avec une réflexion qui aurait été engagée sur une réorganisation de la protection du Président de la République et d'autres personnalités afin de renforcer son autonomie à l'égard du ministère de l'intérieur. Comment réagissez-vous à cette déclaration ?
Mme Sophie Hatt . - Je n'ai pas lu cet article, mais je ne vois pas pourquoi le ministère de l'intérieur se serait opposé à une réforme ou à une réflexion sur l'amélioration de l'efficacité d'un service.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Depuis le début de la V e République, la sécurité du Président de la République est assurée par des fonctionnaires, dépendant du ministère de l'intérieur ou du ministère de la défense, et, à ma connaissance, on n'a jamais envisagé de la rendre autonome vis-à-vis du ministère de l'intérieur. Qu'en pensez-vous ?
Mme Sophie Hatt . - Tout en appartenant formellement au ministère de l'intérieur, les personnels du GSPR étaient placés sous l'autorité de la présidence de la République. Pour preuve, durant les cinq années où j'étais chef du GSPR, je n'ai jamais été notée par ma hiérarchie au sein du ministère de l'intérieur.
M. Philippe Bas , président . - Et vous ne rendiez pas compte au ministère de l'intérieur de ce que vous faisiez et notamment des déplacements privés du Président ?
Mme Sophie Hatt . - Des déplacements privés, absolument pas - cela fait partie de la vie privée du Président de la République - en revanche, à quelques reprises, je me suis entretenue avec ma hiérarchie de difficultés d'organisation au sein du GSPR et de suggestion d'amélioration de son fonctionnement, ou de décisions concernant des membres de l'équipe.
M. Philippe Bas , président . - Pouvez-vous nous citer des difficultés qui auraient justifié ces discussions avec le ministère de l'intérieur ?
Mme Sophie Hatt . - J'ai pu échanger avec le directeur du SPHP pour des raisons de service sur certaines décisions concernant le renouvellement de membres de l'équipe.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Vous semble-t-il normal que les événements du 1 er mai dernier n'aient donné lieu à aucun compte rendu dès le soir même au préfet de police ou au ministère de l'intérieur ?
Mme Sophie Hatt . - Vous me demandez là de m'exprimer sur le fonctionnement d'autres services auxquels j'ai appartenu il y a plusieurs années...
L'établissement de comptes rendus est un mode de fonctionnement habituel, au sein du ministère de l'intérieur comme de nombreuses autres administrations. Il est parfois écrit, parfois oral. Mais vous connaissez les règles mieux que moi et je n'ai pas d'appréciation particulière sur cette question.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Qui désigne les personnes présentes à une réunion de commandement, à laquelle participent le ministre de l'intérieur et le préfet de police ?
Mme Sophie Hatt . - C'est le cabinet du ministre qui décide des personnes pouvant assister à toute réunion présidée par celui-ci. C'est valable, concernant leurs cabinets respectifs, pour le préfet de police, comme pour d'autres autorités.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Lorsque l'on met bout à bout tous les témoignages recueillis sous serment au cours de nos auditions, il peut apparaître que M. Benalla était un organisateur de voyages, qu'il était un garde du corps, assurant notamment la sécurité rapprochée lors des déplacements privés, qu'il était doté d'une mission de confiance à caractère général, qu'il n'avait aucune fonction de sécurité ou encore qu'il en avait une, consistant à coordonner les différents services de sécurité avec d'autres services, voire à mener des réflexions prospectives et à donner des instructions à certains membres de la police et de la gendarmerie sur une évolution possible de l'organisation de la sécurité du chef de l'État. Que vous inspire cette énumération - qui, au passage, montre bien le travail qui nous attend pour trouver la vérité et forger notre intime conviction ?
Mme Sophie Hatt . - Au cours de mes cinq années à la tête du GSPR - seule chose sur laquelle je peux m'exprimer -, l'organisation était clairement établie : à moi, la sécurité rapprochée du Président de la République ; au chef ou à la cheffe de cabinet, l'organisation du déplacement. Aucun d'entre nous n'aurait accepté que l'autre empiète sur son domaine de compétences.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Quelle latitude le Président de la République a-t-il dans l'organisation de sa propre sécurité ?
Mme Sophie Hatt . - Aucun texte ne prévoit une soumission du Président de la République au responsable de sa sécurité. Dans mon cas, un lien de confiance s'est tissé entre le Président et moi-même au fil des ans. J'ai parfois attiré son attention sur certains dispositifs de sécurité ou certains déplacements à risque, toujours en lien avec le directeur de cabinet, voire le secrétariat général de l'Élysée, et, pour les déplacements à l'étranger, avec le chef d'état-major particulier. Je n'ai jamais eu à déplorer de mésentente ni à accepter des dispositifs qui ne me semblaient pas convenir à la sécurité rapprochée du Président de la République.
M. Philippe Bas , président . - Le chef de l'État ne se dérobait jamais aux dispositifs de sécurité convenus entre vous ?
Mme Sophie Hatt . - Non, j'ai exercé pendant cinq ans et lorsque j'ai quitté mes fonctions, son intégrité avait été préservée.
Mme Esther Benbassa . - En tant que cheffe du GSPR lors du quinquennat de François Hollande, quelle aurait été votre posture vis-à-vis d'un chargé de mission du cabinet de la présidence porteur d'une arme ? D'autres personnes, à l'Élysée, hors du commandement militaire et du GSPR, disposaient-elles d'un port d'arme ?
Mme Sophie Hatt . - Aucun membre du cabinet présidentiel ne disposait d'un permis de port d'arme. Au plus près du Président de la République, et en dehors des membres du GSPR, seuls les officiers de sécurité des services étrangers et les officiers de sécurité rapprochée de certaines autres autorités françaises pouvaient être armés.
Mme Brigitte Lherbier . - Auriez-vous pu ne pas avoir connaissance de l'existence d'un cas comme celui de M. Benalla ? Pour justifier sa demande de port d'arme, ce dernier nous a expliqué qu'il se sentait en insécurité : qu'auriez-vous fait face à une telle situation ? En amont des interventions de maintien de l'ordre, êtes-vous informée de toutes les possibilités d'enregistrement vidéo ?
Mme Sophie Hatt . - Pour répondre à votre première question, vous m'interrogez en substance sur la façon de savoir si quelqu'un est armé... Or le port d'une arme n'est en rien discret, surtout aux yeux de professionnels. En observant la démarche d'une personne, même furtivement, on peut savoir si elle est armée ou pas.
Par ailleurs, concernant le cas d'un conseiller qui se trouvait en « insécurité », il m'est arrivé d'accepter qu'un officier de sécurité du GSPR accompagne un conseiller de François Hollande dans un déplacement, parce qu'il s'annonçait un peu houleux, sur demande et en accord avec le directeur de cabinet. Il peut également y avoir une différence entre un sentiment d'insécurité et une situation réelle d'insécurité, mais je ne connais pas suffisamment le cas de M. Benalla pour pouvoir donner un avis sur son sentiment d'insécurité.
Enfin, concernant la vidéo, un smartphone est une caméra en soi : tous nos agissements sont donc susceptibles d'être filmés. C'est pourquoi nous devons être exemplaires.
M. Alain Richard . - L'idée d'un rapprochement entre le GSPR et le commandement militaire est, me semble-t-il, mentionnée dans un rapport de la Cour des comptes - rédigé à la demande de la présidence de la République sous M. François Hollande, mais dont j'ignore la date - dans un souci d'éviter les doublons en matière logistique. Ce rapport, qui serait utile à notre enquête, est-il déjà en possession de la commission ? Pouvons-nous y avoir accès ? Avez-vous été interrogée sur le sujet par les rapporteurs de la Cour des comptes ?
Mme Sophie Hatt . - J'ai reçu, trois années de suite, les rapporteurs de la Cour des comptes, et j'ai répondu à leurs questions sur les frais de fonctionnement et le coût du GSPR, mais je n'ai jamais été interrogée sur un rapprochement éventuel - et je n'ai jamais donné mon avis sur un tel rapprochement. Ce rapport a peut-être été rédigé alors que j'étais en fonction au sein du GSPR, mais il ne m'a pas été communiqué et le cabinet du Président de la République ne m'a jamais fait part d'une réflexion en ce sens.
M. Philippe Bas , président . - Nous parlons là, je le précise, d'une partie d'un rapport public, qui porte, non pas sur des défaillances possibles en termes de sécurité présidentielle, mais sur des mesures d'économie et de bonne gestion.
M. Éric Kerrouche . - Sur l'une des vidéos disponibles, on voit le Président de la République, en visite au Salon de l'agriculture, être victime d'un jet d'oeuf. M. Benalla est la première personne à intervenir pour le protéger. Est-ce normal ? Avec l'expérience qui est la vôtre, n'estimez-vous pas que cela aurait plutôt dû être le rôle d'un officier de sécurité ?
Mme Sophie Hatt . - La visite du Salon de l'agriculture est l'un des déplacements les plus complexes à gérer sur le territoire métropolitain parce que, outre la présence des animaux, des oeufs et des journalistes...
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Dans cet ordre...
Mme Sophie Hatt . - ... il y a beaucoup de monde. La pression est importante autour du Président de la République. La visite fait l'objet d'une mission préparatoire, comme tous les déplacements, mais aussi d'un dispositif très particulier. Le Président de la République est accompagné de personnes qui souhaitent rester toutes à proximité. Plusieurs zones sont définies en collaboration avec le préfet de police : une zone de sécurité très rapprochée, une zone plus éloignée et des zones gérées en coopération avec les effectifs du préfet de police et des renforts du GSPR. Dans une bousculade inorganisée, celui qui sera au plus près du Président pourra être un collaborateur, le ministre ou toute autre personnalité. Si M. Benalla a reçu ou écarté l'oeuf, c'est qu'il se trouvait dans le cercle le plus rapproché.
Mme Nathalie Delattre . - Avez-vous rencontré M. Benalla, qui semble connaître et rencontrer beaucoup de monde, dans le cadre de vos fonctions actuelles ou dans un autre cadre ?
Mme Sophie Hatt . - Je n'ai jamais rencontré M. Benalla, ni en tant que cheffe du GSPR, ni dans mes fonctions actuelles, ni sur le territoire français, ni à l'étranger. Peut-être était-il présent lors des occasions où j'ai pu rencontrer le Président de la République, mais je ne l'ai pas vu et je ne le connais pas.
Mme Marie Mercier . - M. Benalla nous a expliqué que, parmi ses nombreuses missions, il assurait l'interface entre l'intérieur et l'extérieur. Il transcrivait le ressenti, il faisait part de l'ambiance. Des personnes occupaient-elles de telles fonctions lorsque vous étiez à la tête du GSPR ?
Mme Sophie Hatt . - Nous n'avions pas de « capteur d'ambiance », de « transmetteur d'ambiance ». Mais, bien évidemment, je disposais de toutes les informations nécessaires pour prévenir un éventuel incident, via le directeur de cabinet du Président de la République ou le centre national du renseignement, placé auprès de la présidence de la République.
Mme Laurence Harribey . - Les collaborateurs qui sont à proximité du Président de la République sans avoir une mission de sécurité reçoivent-ils une formation spécifique ? À qui répondent-ils ? Ont-ils une totale liberté de comportement ?
Mme Sophie Hatt . - Je ne pense pas qu'une formation particulière soit dispensée aux collaborateurs susceptibles d'accompagner le Président de la République dans ses déplacements. Mais, lorsque je dirigeais le GSPR, je les connaissais tous et nous entretenions un dialogue constant, parfois un peu musclé, afin qu'ils sachent quelle devait être leur place.
Mais le Président de la République a lui-même besoin parfois de la proximité de certains collaborateurs, s'il a une question technique...
M. Philippe Bas , président . - Toute la difficulté de votre tâche est que le Président de la République est comme un aimant qui attire à lui de nombreuses personnes !
M. Jérôme Durain . - Est-il arrivé que des membres du cabinet vous demandent de fouiller ou d'interpeller des journalistes ?
Mme Sophie Hatt . - Cela ne s'est jamais produit. Nous avons parfois dû écarter des journalistes, un peu trop pressants ou dont le matériel était encombrant, mais jamais je n'ai eu à en interpeller un, ni sur ordre, ni de ma propre initiative.
Mme Jacky Deromedi . - M. Benalla nous a indiqué avoir obtenu un port d'arme parce qu'il était lui-même en insécurité. Est-il logique qu'une personne en insécurité soit aussi proche du Président de la République ? N'est-ce pas nuire à la sécurité du Président de la République ?
Mme Sophie Hatt . - L'insécurité n'est pas contagieuse. Des personnalités étrangères extrêmement menacées ont parfois accompagné, au plus près, le Président de la République, par exemple lors de la marche ayant suivi les attentats de janvier 2015.
Mme Catherine Di Folco . - Vous parlez de 62 officiers de sécurité au GSPR sous le quinquennat de François Hollande ; ils étaient je crois entre 90 et 100 sous celui de Nicolas Sarkozy ; ils sont 74, environ, à l'heure actuelle. Les chiffres sont assez fluctuants. Or l'argument d'un effectif réduit a été avancé pour justifier que le service de sécurité soit complété par des chargés de mission attachés au cabinet présidentiel. Pensez-vous que ce soit le cas ?
Mme Sophie Hatt . - Le dimensionnement du GSPR a été fluctuant sous la V e République. Je crois que sous François Mitterrand, il était de 150 personnes. Mais le fonctionnement diffère selon les mandatures, notamment du fait de l'entourage du Président de la République et du nombre de personnalités à protéger autour de lui.
Les textes ne fixent pas le périmètre des personnes à protéger, mais la sécurité des proches du Président de la République influe bien évidemment sur la sienne. Quand je le demandais, nous disposions de renforts, issus de la CRS 1, la compagnie républicaine de sécurité dédiée au renforcement du service de la protection.
M. Vincent Segouin . - Si l'un des collaborateurs de l'Élysée avait demandé un permis de port d'arme, en auriez-vous été avisée ? Auriez-vous pu opposer votre veto ?
Mme Sophie Hatt . - J'en aurais été avisée, je pense, dans le cadre du dialogue constant que j'entretenais avec le directeur de cabinet du Président de la République. Sur le plan juridique, je n'aurais pas pu émettre un veto à son port d'arme, mais il n'aurait pas été inclus dans le dispositif de sécurité du GSPR.
Mme Catherine Troendlé . - M. Benalla nous a expliqué que sa présence était indispensable auprès du Président de la République du fait d'un encadrement allégé des déplacements privés. Nous nous rappelons que François Hollande a effectué des déplacements très particuliers, dans un cadre privé - sur lesquels je ne porte aucun jugement -, toujours accompagné d'un garde du corps officiel. Cet accompagnement était-il suffisant à vos yeux ? Nécessitait-il la présence d'un conseiller du Président de la République ?
Mme Sophie Hatt . - Un membre du GSPR était toujours présent auprès du Président de la République, lequel était parfois accompagné, sur sa demande, de membres de son cabinet.
M. Jean-Luc Fichet . - M. Benalla aurait été porteur d'une oreillette. À quoi servait-elle d'après vous ? Des membres du GSPR ont-ils eu à se plaindre auprès de vous d'un comportement exagéré de M. Benalla ?
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Sur ce point, on nous a parlé de l'existence de plusieurs « bulles », dont une « bulle n° 1 » constituée des personnels, quatre ou cinq personnes, assurant la protection la plus rapprochée, à côté d'une autre « bulle » pour l'organisation du déplacement. M. Benalla, nous a-t-on dit, relevait de la première. Au vu des images, cela vous semble-t-il crédible ?
M. Philippe Bas , président . - Y avait-il déjà deux « bulles » de votre temps ?
Mme Sophie Hatt . - Effectivement, j'ai observé que M. Benalla portait une oreillette ; mais tout dépend à quoi elle était reliée. Il faudrait le lui demander. Lorsque je dirigeais le GSPR, seuls ses membres et les renforts de la CRS 1 étaient reliés au réseau crypté.
La première « bulle » relie le triangle de sécurité, chaque officier formant ce triangle ayant un rôle très précis et une mission de sécurité.
Ayant quitté le GSPR le 5 mars 2017, je ne peux pas répondre sur le comportement de M. Benalla.
M. Patrick Kanner . - Si vous étiez aujourd'hui patronne du GSPR, les fonctions que l'on prête à M. Benalla auraient-elles constitué une gêne pour l'exercice de vos missions ?
Mme Sophie Hatt . - J'ai été patronne du GSPR pendant cinq ans, cela s'est bien passé parce que cela s'est passé sans entraves ; si quelqu'un avait voulu s'insérer dans notre dispositif de sécurité, il aurait constitué une gêne. Vous faites référence à des témoignages, qui, même sous serment, demeurent subjectifs. Certains peuvent s'imaginer avoir des fonctions qui ne sont pas réelles. Lorsque j'étais en fonctions, la question ne s'est pas posée, car chacun était à sa place.
M. Philippe Bas , président . - Je vous remercie.
Audition de M. Patrick
Strzoda,
directeur de cabinet du Président de la
République
(Mercredi 16 janvier 2019)
M. Philippe Bas , président . - Je rappelle que pour notre mission d'information, nous avons reçu les pouvoirs d'investigation d'une commission d'enquête. Il ne s'agit pas aujourd'hui de refaire des auditions qui ont déjà eu lieu mais de rechercher les éléments d'information complémentaires dont nous avons besoin compte tenu des rebondissements survenus à la fin de l'année dernière.
De nouvelles informations ont en effet été publiées à la fin de l'année dernière entraînant des mises au point de la présidence de la République et une action judiciaire du ministre des affaires étrangères.
M. Benalla a utilisé un passeport diplomatique pour des déplacements alors qu'il avait été mis fin à ses fonctions à la présidence de la République. Il a été reçu en audience avec des hommes d'affaires par de hautes personnalités, notamment des chefs d'État, et en particulier le Président tchadien quelques jours avant la visite du Président français au Tchad.
De multiples informations font état d'une activité professionnelle débordante dont la nature reste obscure. Il a été avancé, puis en partie démenti, que des contacts réguliers avaient été maintenus entre le chef de l'État et son ancien collaborateur.
Ce matin encore, nous apprenons que des titres officiels et un téléphone permettant des communications cryptées auraient été restitués il y a quelques jours seulement par M. Benalla, sans d'ailleurs avoir été réclamés par la présidence de la République.
D'autres informations, qui ont donné lieu à une réaction exprimant la préoccupation de la présidence de la République, font état d'un contrat entre M. Crase et un oligarque russe à une date où il était encore chargé d'encadrer les réservistes de la gendarmerie participant à la sécurité du Palais de l'Élysée. Je vous informe que M. Crase a démenti ces informations dans un courrier qu'il nous a adressé le 9 janvier.
Nous avions déjà observé la difficulté rencontrée à partir du 2 mai par l'Élysée pour sanctionner M. Benalla de manière effective et au niveau qui convenait, et pour que la justice soit saisie des faits reprochés.
Nous ne pouvions laisser sans réponse les questions soulevées par ces nouvelles informations : sur les diligences accomplies pour mettre en oeuvre la sanction de licenciement prononcée en juillet dans toutes ses implications, y compris la restitution de tous les attributs de sa fonction ; sur la réalité de la rupture du lien entre M. Benalla et la présidence de la République après le licenciement de celui-ci ; sur l'exactitude des déclarations faites sous serment, notamment par l'intéressé, devant notre commission ; sur l'éventualité que M. Crase et M. Benalla aient pu collaborer à la conclusion d'un contrat avec un oligarque russe alors que l'un et l'autre exerçaient des responsabilités touchant à la sécurité du Président de la République ; sur les conditions dans lesquelles des règles déontologiques, voire des poursuites pénales, pourraient s'appliquer à M. Benalla lorsqu'il entre aujourd'hui en relation avec les dirigeants de pays étrangers pour le compte d'hommes d'affaires eux aussi étrangers, s'il porte à leur connaissance des informations acquises lors de sa collaboration avec le Président de la République.
Comme nous en avons l'habitude, nous veillerons bien entendu à respecter le mandat qui nous a été donné par le Sénat.
Ce qui touche à la diplomatie de la France et à la nécessité de préserver nos intérêts fondamentaux face au risque de divulgation d'informations confidentielles au bénéfice d'intérêts étrangers n'est pas de notre ressort, même si, comme tous nos concitoyens, nous avons en conscience le droit d'être préoccupés des raisons pour lesquelles des chefs d'État étrangers et des hommes d'affaires eux-aussi étrangers paraissent porter un intérêt aussi extraordinaire à un ancien collaborateur du Président de la République, pourtant de rang apparemment modeste.
Mais notre mandat porte sur les questions de sécurité et sur les sanctions aux manquements observés, dont font partie le licenciement de M. Benalla et, avec son licenciement, le retrait effectif de tous les attributs de son ancienne fonction.
Nous veillerons également à ne pas empiéter sur le bon fonctionnement de l'autorité judiciaire, qui de son côté a elle aussi toujours été attentive à faciliter l'exercice de notre mission constitutionnelle, celle du contrôle parlementaire qui prend racine dans l'article XV de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen et constitue, à égalité avec notre pouvoir de collaborer à l'édiction de la loi, l'autre attribution fondamentale du Parlement que nous devons remplir dans l'intérêt de nos concitoyens.
Le contrôle parlementaire et les poursuites pénales sont en effet deux missions constitutionnelles distinctes, complémentaires et non concurrentes qui, même quand elles portent sur des faits connexes, ne sont pas de même nature et n'ont pas le même objet. D'un côté, la recherche et la sanction d'infractions pénales. De l'autre, le contrôle du bon fonctionnement de l'État.
Je vous rappelle, s'agissant de l'utilisation d'un passeport diplomatique par M. Benalla, que non seulement celle-ci ne relève pas directement du mandat que nous avons reçu, mais que de surcroît, elle fait l'objet d'une enquête préliminaire à la suite de la saisine du procureur de la République de Paris par le ministère des affaires étrangères. Sur ce point, notre travail consistera donc exclusivement à déterminer si les diligences accomplies pour retirer à l'intéressé les instruments qui lui avaient été confiés pour l'exercice de ses fonctions, ou pour l'empêcher de s'en servir, ont été suffisantes.
Nous voulons connaître les initiatives qui ont été prises par la présidence de la République, par le ministre des affaires étrangères et par le ministre de l'intérieur pour que toutes les diligences soient faites à cet égard. Nous devrons recueillir aussi les informations nécessaires pour connaître la réalité des activités privées de MM. Benalla et Crase lorsqu'ils exerçaient des responsabilités de sécurité à l'Élysée et vérifier que toutes dispositions ont été prises pour que les intéressés respectent les exigences déontologiques qui continuent à s'appliquer à eux après la fin de leurs fonctions à l'Élysée.
Voilà quel est le champ de nos préoccupations, et donc le champ des questions possibles dans le respect de notre mandat et des prérogatives de l'autorité judiciaire. Nous avons montré notre respect de la séparation des pouvoirs et nous veillerons au respect absolu du mandat que nous avons reçu du Sénat le 23 juillet dernier.
Cette audition est ouverte à la presse et au public. Les sénateurs des autres commissions peuvent bien sûr y assister. Elle est diffusée en direct et en vidéo à la demande sur le site Internet du Sénat. Cette audition fera également l'objet d'un compte rendu publié.
Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission des lois, dotées des prérogatives d'une commission d'enquête, serait passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Patrick Strzoda prête serment.
M. Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République . - Tout d'abord, permettez-moi de vous présenter mes voeux sincères, de bonne santé et j'espère que vous apporterez réponse au besoin de confiance qu'expriment aujourd'hui nos concitoyens vis-à-vis de toutes nos institutions. C'est dans cet esprit que je viens devant votre commission.
Le 28 décembre, j'ai reçu un courrier dans lequel vous me posiez six questions relatives aux passeports diplomatiques dont a bénéficié M. Benalla et aux activités privées que ce dernier, ainsi que M. Crase, auraient pu exercer du temps de leurs fonctions à l'Élysée.
Dans ma réponse datée du 7 janvier, j'ai indiqué ne pas pouvoir répondre à deux des six questions que vous me posiez. En effet, le 29 décembre, le procureur de la République de Paris a fait savoir qu'il ouvrait une enquête préliminaire à la suite de la saisine du ministre des affaires étrangères, M. Le Drian, sur les chefs d'inculpation suivants : abus de confiance, usage sans droit d'un document justificatif d'une qualité professionnelle, exercice d'une activité dans des conditions de nature à créer, dans l'esprit du public, une confusion avec l'exercice d'une fonction publique ou d'une activité réservée aux officiers publics.
Dans ce cadre, j'ai été entendu pendant plusieurs heures par les enquêteurs qui m'ont posé deux questions identiques aux vôtres. Ils m'ont demandé de leur expliquer les démarches effectuées par les services de l'Élysée pour s'assurer, après le licenciement de M. Benalla, soit après le 1 er août 2018, de la restitution des passeports diplomatiques qui lui avaient été attribués. Ils m'ont également demandé de leur préciser si ces titres étaient restés dans le bureau de l'intéressé après son licenciement et s'il était revenu les chercher ou si quelqu'un les lui avaient remis. Ces deux questions figurent dans votre courrier du 28 décembre. J'ai également appris au cours de ces auditions avec les enquêteurs que M. Benalla serait convoqué dans les tous prochains jours par le procureur de la République. C'est pourquoi dans mon courrier de réponse du 7 janvier, je me suis permis de vous indiquer que je ne pouvais pas répondre de ma propre initiative à ces deux questions, sauf si une indication positive était donnée par une autorité judiciaire. Aujourd'hui, je ne pense pas que tel soit le cas.
Je vais donc avoir le souci de répondre le plus précisément à vos questions.
Tout d'abord, j'ai un très grand respect pour l'institution que vous représentez et, dans cette période troublée que traverse notre pays, il est important que nos concitoyens voient que les institutions travaillent et s'occupent de l'essentiel.
Je répondrai également à vos questions car je suis attentif à ce que le contrôle parlementaire fonctionne. Cela fait 40 ans que je sers loyalement l'État et je connais l'importance du contrôle. Vous comprendrez cependant que, dans mes réponses, je veille à ce qu'elles ne perturbent pas les investigations que mène actuellement le procureur de la République.
M. Philippe Bas , président . - Merci, monsieur le directeur, pour vos voeux et à mon tour je vous souhaite une très bonne année ainsi qu'aux institutions de la République que vous représentez. Je vous remercie également de cette disposition d'esprit de vouloir répondre le plus précisément possible à nos questions.
Vous avez compris qu'il n'y a aucune raison d'ordre constitutionnel pour privilégier une forme de contrôle de l'État sur une autre : la justice et le Parlement poursuivent des objectifs différents mais leurs pouvoirs d'enquête trouvent tous deux racine dans la Constitution et personne ne peut postuler que l'autorité judiciaire entraverait par son action les enquêtes parlementaires, ni l'inverse. Nous avons veillé à ce que la complémentarité des deux types d'investigation soit constamment respectée. La justice y veille aussi, et à juste titre.
Je ne voudrais pas qu'en fonction d'une interprétation que je crois inexacte de la Constitution, vous reteniez des informations que vous devriez livrer à notre commission pour les réserver à la justice. Encore une fois, la justice poursuit des infractions, essaye de les caractériser et, le cas échéant, les sanctionne. Nous ne faisons rien de ceci : nous nous intéressons au bon fonctionnement de l'État et c'est sur ce point que nous vous demandons d'apporter les explications nécessaires, sans préjudice de celles apportées le jour venu à l'autorité judiciaire.
Dans la mesure où vous prêtez serment, vous ne pouvez retenir d'informations et je vous invite à collaborer pleinement à notre commission.
M. Patrick Strzoda . - Je me suis sans doute mal exprimé. Il n'est pas question que je retienne des informations. J'ai dit qu'il fallait veiller à ne pas perturber l'enquête du procureur de la République. Nous allons certainement parler de M. Benalla. Je suis persuadé que si je divulgue un certain nombre d'informations, il pourra éventuellement les utiliser pour renforcer sa défense, ce qui irait à l'encontre de la manifestation de la vérité. Aujourd'hui, nous pouvons prouver un certain nombre de faits qui n'étaient pas aussi clairs il y a encore quelques semaines.
Je suis également très attaché à
ce que votre démarche aille à son terme. Actuellement, nous
entendons beaucoup de choses sur cette affaire
- police et diplomatie
parallèles. Nous sommes dans la désinformation avec les
réseaux sociaux et je compte sur cette audition pour vous dire ce qui a
été fait et pour démontrer que certains commentaires
relèvent plus du fantasme que de la réalité.
M. Philippe Bas , président . - Je vois que nous avons beaucoup en commun dans le souci de faire respecter la Constitution et nous allons pouvoir le vérifier dans un instant.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - La presse s'est fait écho cette semaine de ce que beaucoup ont estimé comme un manque de diligence de la part de la présidence de la République pour obtenir la restitution par M. Benalla de plusieurs facilités et objets dont il disposait dans le cadre de ses fonctions. Parmi les éléments qui ont été cités figurent un téléphone Teorem - téléphone ultra-sécurisé - dont M. Benalla aurait eu l'usage dans le cadre de ses missions à l'Élysée et qu'il aurait conservé depuis son licenciement. À quelle fin M. Benalla disposait d'un tel outil ?
M. Patrick Strzoda . - Hier soir, en lisant un hebdomadaire, j'ai pris connaissance d'un certain nombre de faits que je vais remettre dans leur contexte.
Le téléphone en question, appelé Teorem, est développé par la société Thales. Ce combiné téléphonique permet d'échanger des conversations chiffrées et donc sécurisées. Cela nécessite que les deux correspondants disposent du même type de matériel. Ce système est très répandu dans l'appareil d'État, puisqu'il existe 4 600 terminaux déployés auprès des autorités de l'État, mais également auprès des opérateurs d'importance vitale (OIV). Ainsi en est-il d'entreprises stratégiques pour la Nation. Contrairement à ce qu'affirme l'hebdomadaire auquel je faisais référence, ce matériel n'est pas classé secret défense.
À l'Élysée, il existe 30 combinés Teorem qui sont utilisés par plusieurs services : celui de l'état-major particulier du chef d'État, service dirigé par un amiral ; les aides de camp qui officient dans la proximité du Président de la République sont également pourvus de ce dispositif, tout comme les membres de la cellule diplomatique, au nombre de 17, et qui ont tous rang de diplomates. Un poste est attribué à la chefferie de cabinet, c'est-à-dire l'équipe de trois cadres A qui, sous mon autorité, gère l'agenda du Président de la République et organise ses déplacements. Ce poste a été affecté à M. Benalla, compte tenu de la nature de ses fonctions. Comme je l'ai dit le 25 juillet lorsque vous m'aviez convoqué, M. Benalla était notamment chargé, dans le cadre des déplacements du Président de la République, d'adapter le dispositif lors des changements de programme au dernier moment, ce qui nécessitait des conversations protégées avec diverses autorités. Je pense notamment aux préfets, au commandant du groupement de gendarmerie, au directeur de la sécurité publique, etc.
Lors de son licenciement, M. Benalla aurait dû rendre ce combiné. Tout salarié qui quitte définitivement son entreprise rend toutes les affaires qui appartiennent à l'employeur. Cette obligation n'a pas été respectée à l'évidence. M. Benalla a quitté l'Élysée le 1 er août. Dans le courant de l'été, le 26 ou plutôt le 25 juillet exactement, son bureau a fait l'objet d'une perquisition, au cours de laquelle les enquêteurs ont saisi divers objets, sans nous dire lesquels. Certains objets ont été rendus aux services de l'Élysée : ainsi en a-t-il été des moyens informatiques. Les objets personnels ont été rangés dans un carton, après qu'un inventaire a été dressé. Ce carton est toujours à l'Élysée, car M. Benalla ne l'a pas récupéré.
Le 4 octobre, au cours d'un inventaire périodique effectué par le service gestionnaire des dispositifs Teorem, il a été constaté que le combiné affecté à M. Benalla manquait et nous nous sommes assurés que les enquêteurs ne l'avaient pas saisi. Le 4 octobre, le service gestionnaire a immédiatement rendu le matériel inutilisable : ce téléphone ne pouvait plus être utilisé pour converser en toute impunité. Le responsable du service a exploité les journaux de connexion de ce poste pour voir s'il avait été utilisé. Or, il ne l'avait pas été depuis le 1 er juillet 2018. Le responsable du service a fait un compte rendu de disparition de ce matériel le 4 octobre ; j'ai pris connaissance de ce document hier soir. Le 11 janvier, le conseil de M. Benalla m'a informé que le poste Teorem avait été retrouvé dans les affaires de M. Benalla, qui vit à l'étranger. Le conseil se propose de restituer l'appareil rapidement.
Hier soir, j'ai déclenché une enquête interne pour savoir pourquoi les chefs de service qui ont en charge la gestion des Teorem à l'Élysée n'ont pas engagé de démarche cet été pour demander à M. Benalla de restituer cet appareil. L'enquête est en cours et j'en aurai très vite les résultats. J'en tirerai toutes les conséquences.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Entre la date du licenciement de M. Benalla et le 4 octobre, aucune diligence n'a été accomplie pour retrouver ce téléphone Teorem. Dans quelles conditions tous les objets confiés à M. Benalla pour l'exercice de sa mission ont été restitués ? Qui s'est assuré de leur restitution ?
M. Patrick Strzoda . - Dès que nous avons constaté que le poste manquait, le 4 octobre, il a été neutralisé et nous avons découvert qu'il n'avait pas été utilisé. Certes, il y a eu des dysfonctionnements ou des manques de réactivité : je saurai ce soir pourquoi et par qui, et j'en tirerai les conséquences.
M. Benalla a été licencié le 1 er août et il a quitté le Palais de l'Élysée ce jour-là. Son bureau a fait l'objet d'une perquisition le 26 ou plutôt le 25 juillet, réalisée par des officiers de police judiciaire, au cours de laquelle un certain nombre d'objets ont été emportés. Le 2 août, à 16 heures, il a été procédé à un inventaire contradictoire par le chef de cabinet et le commandant militaire du Palais de tout ce qui se trouvait dans son bureau. Tous les objets ont été inventoriés et je tiens cet inventaire à votre disposition. Les passeports n'y étaient pas. Les objets ont été répartis entre leurs propriétaires respectifs. M. Benalla a été invité plusieurs fois à récupérer ses objets personnels, mais il n'a jamais répondu à notre demande. À la fin de l'année 2018, j'ai demandé au commandant militaire si nous avions bien récupéré toutes les affaires de M. Benalla et il m'a donné une liste de quelques objets que l'on ne retrouvait pas et dont on pouvait penser qu'il les avait gardés. J'ai adressé un courrier à M. Benalla le 3 janvier en lui demandant de restituer ces objets : cela a été le cas pour certains et pour d'autres, ce le sera prochainement.
À compter du 20 juillet, c'est-à-dire dix jours avant son départ effectif, plusieurs mesures ont été prises pour lui interdire l'accès à tous les servies de la présidence de la République, pour vider son bureau et effectuer un inventaire, pour contrôler l'accès de son bureau tant qu'il était inoccupé, pour organiser la restitution de ses effets personnels.
Le 20 juillet 2018, M. Benalla a été mis en garde à vue : j'ai alors demandé au commandant militaire de prendre une note de service pour tous les postes de contrôle à l'Élysée afin d'interdire l'accès de ces services à M. Benalla. L'instruction a été adressée à tous les services le 20 juillet, à 18 h 59.
Un inventaire complet de tous les effets de M. Benalla a été réalisé le 2 août à 16 heures, après la perquisition réalisée le 25 juillet. Au cours de cet inventaire, il est apparu que les passeports n'étaient pas dans le bureau.
Depuis le 1 er août, date effective de licenciement, toutes les ouvertures de son ancien bureau sont consignées dans un registre et ce registre ne permet pas de détecter des mouvements suspects dans ce bureau. Depuis le 15 septembre, ce bureau a été attribué à un nouvel agent de l'Élysée. Il a donc été libre du 20 juillet au 15 septembre.
Les effets personnels de M. Benalla ont été entreposés dans un carton fermé.
En conclusion, je peux donc affirmer que M. Benalla n'est jamais venu à l'Élysée après la date de son licenciement et que l'inventaire de son bureau effectué le 2 août confirme que ses passeports n'y étaient pas.
J'anticipe peut-être une question que vous allez me poser : M. Benalla prétend que ses passeports étaient restés au Palais et qu'ils lui auraient été remis par un agent de l'Élysée.
M. Philippe Bas , président . - Vous nous aidez beaucoup en posant vous-même les questions que nos rapporteurs auraient été tentés de vous poser...
M. Patrick Strzoda
. - Les mesures qui
ont été prises me permettent d'abord d'affirmer que les
passeports n'étaient pas à l'Élysée. Mais surtout
- information importante que je connais depuis quelques heures et que
M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères vous
confirmera - nous savons aujourd'hui que M. Benalla a utilisé
presque une vingtaine de fois ses passeports entre le 1
er
août
et le 31 décembre 2018. La première utilisation a
été faite entre le 1
er
et le 7 août. Les autres
utilisations s'étendent sur les mois d'octobre, novembre et
décembre.
M. Philippe Bas , président . - Merci pour cette information effectivement très importante. Comment avez-vous pu obtenir cette information ?
M. Patrick Strzoda . - M. le ministre des affaires étrangères répondra à cette question.
M. Philippe Bas , président . - Quel teasing !
M. Patrick Strzoda . - Cette affaire de passeport diplomatique a donné lieu, au sein du ministère des affaires étrangères, à une inspection pour voir comment ces documents de souveraineté étaient gérés. Ce travail a permis de constater que la gestion de ce type de documents devait être revue. Dans toutes les institutions où se trouvent des détenteurs de passeports diplomatiques, certaines procédures doivent être reprises. Des personnes détenteurs de passeports diplomatiques ont en effet oublié de les restituer quand ils n'étaient plus valides.
Le ministère des affaires étrangères a récupéré les deux passeports diplomatiques qui sont des éléments de l'enquête préliminaire déclenchée par le procureur de la République.
Selon la Constitution, le chef de l'État conduit la politique étrangère de la France : il n'est donc pas anormal que tout ce qui concerne le ministère des affaires étrangères, notamment les titres de souveraineté que sont les passeports diplomatiques, intéressent le chef de l'État et donc ses collaborateurs. Je pense donc ne pas avoir commis un excès de pouvoir en disposant de cette information que je vous livre.
M. Philippe Bas , président . - Nous nous interrogeons sur les diligences qui ont été déployées pour obtenir la restitution de ces titres diplomatiques et sur les obstacles que les services de l'État auraient pu mettre à l'utilisation de ces passeports. Dans nos courriers envoyés aux différents ministères figurait cette question. On comprend les interrogations que suscite l'utilisation de ces documents de voyage. Il nous a été dit qu'il n'était pas possible de vérifier leur utilisation. En réalité, un travail approfondi a permis au ministère des affaires étrangères, sans doute avec l'aide de la police aux frontières, de constater l'utilisation de ces passeports. Pouvez-vous nous dire si ces passeports ont été utilisés à la sortie du territoire national ? Comment procéder à l'inventaire des sorties du territoire de quelqu'un qui dispose d'un passeport diplomatique ?
M. Patrick Strzoda . - La délivrance, l'émission et le renouvellement des passeports diplomatiques relèvent du ministère des affaires étrangères, pas de l'Élysée. Je n'ai pas de compétence dans la gestion de cette matière technique.
M. Philippe Bas , président . - Ce qui est en revanche de votre responsabilité, ce sont les initiatives internes que vous avez prises devant l'importance que cette question a prise. Vous devez vous assurer du non emploi de ce passeport diplomatique qui a été utilisé, avez-vous dit, une vingtaine de fois.
M. Patrick Strzoda . - J'en viens aux démarches de l'Élysée pour récupérer ces passeports.
M. Philippe Bas , président . - Et pour empêcher que M. Benalla ne s'en serve...
M. Patrick Strzoda . - M. Benalla a été licencié le 1 er août et il aurait dû restituer ses passeports diplomatiques, du fait de la perte de la qualité qui lui avait permis de les avoir.
Nous avons affaire à un individu qui ne respecte pas les obligations dont il a parfaitement connaissance, puisqu'elles figurent dans son contrat de travail.
Dès le 26 juillet, le ministère des affaires étrangères, en l'occurrence la cheffe du bureau qui gère les passeports diplomatiques, a écrit à M. Benalla pour lui demander de restituer les deux passeports en sa possession. Ces documents n'ayant pas été rendus par l'intéressé, la cheffe de bureau a écrit une nouvelle fois le 10 septembre. J'ai été informé du fait que les passeports n'avaient pas été retournés début octobre et j'ai moi-même écrit le 9 octobre au responsable du service du protocole à l'Élysée qui est notre intermédiaire entre la cellule diplomatique au Palais et le ministère des affaires étrangères. Je lui demandais de faire le nécessaire pour reprendre possession de ces passeports et pour s'assurer qu'ils avaient fait l'objet d'une annulation. Le 15 octobre, le responsable m'a répondu qu'il avait transmis ma demande au ministère des affaires étrangères.
Depuis le 26 juillet, toutes les diligences ont donc été faites à l'Élysée pour demander la restitution et l'invalidation des passeports.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Tout d'abord, quelques remarques, suite à vos déclarations.
Je prends acte du fait que vous avez déclaré que M. Benalla n'était pas revenu à l'Élysée depuis son licenciement.
Je m'étonne que le seul Teorem mis à la disposition de la chefferie de cabinet ait été attribué à l'adjoint au chef de cabinet. Pourquoi pas au chef de cabinet lui-même ?
Je m'étonne encore plus, alors qu'il s'agit d'un système sécurisé, de haute protection, qu'on se soit aperçu que le Teorem était manquant seulement le 4 octobre et qu'il n'avait pas servi depuis le 1 er juillet. M. Benalla disposait de cet outil entre le 1 er et le 31 juillet : il a exercé diverses missions et il n'aurait pas fait usage de ce téléphone. Ces faits sont-ils conformes à la vérité ? Pourquoi ne s'est-on inquiété de la disparition de cet équipement que le 4 octobre et pas dès le moment du départ de M. Benalla ?
Je m'étonne de constater que vous ne vous êtes aperçu qu'aujourd'hui que le passeport de M. Benalla avait été utilisé une vingtaine de fois. Voilà quelqu'un d'un peu connu et qui franchi 20 frontières sans que personne ne s'en rende compte. Et voilà qu'en partant du Bourget, il s'en va voir le président du Tchad avec d'autres personnes, quelques jours avant que le Président de la République rencontre ce même président à l'occasion d'une visite officielle, et que l'Élysée n'en soit pas informé. Existe-t-il une DGSI, des services de renseignement ? Vos propos appellent ces questions.
Comment se fait-il que les passeports n'aient été réclamés par vos soins que le 9 octobre, alors que le licenciement date de fin juillet, que le ministère des affaires étrangères ait effectué deux démarches et que l'on ait enfin eu recours au fameux article 40 du code de procédure pénale ? Le 28 décembre, M. le ministre des affaires étrangère a enfin estimé qu'il fallait saisir la justice en vertu de cet article.
J'en viens à mes questions. Nous avons appris par l'hebdomadaire que vous avez évoqué tout à l'heure que M. Benalla avait, en plus de ses passeports diplomatiques, bénéficié d'un passeport de service. En étiez-vous au courant ? À la demande de qui et à quelles fins le ministère de l'intérieur lui a attribué un tel passeport ? Quelle utilité pouvait-il y avoir pour ce membre des services de l'Élysée de disposer d'un tel passeport alors qu'il avait en plus deux passeports diplomatiques ? N'est-ce pas un peu inflationniste ? Ce passeport de service vous a-t-il été restitué ?
Ma deuxième question porte sur le renouvellement du premier passeport diplomatique. La demande est formulée le jour où M. Benalla rentre de ses quinze jours de suspension imposés à titre de sanction pour son comportement le 1 er mai. La demande, bizarrement, n'est pas présentée par la voie hiérarchique normale, mais directement par M. Benalla sans en référer à ses supérieurs ni au service du protocole. Dans la lettre que vous nous avez adressée, vous dites : « N'ayant pas eu connaissance de cette demande, l'autorité hiérarchique n'a pas été en mesure de s'opposer à cette délivrance alors que suite à sa suspension M. Benalla avait été déchargé des déplacements internationaux ». Il n'a donc plus aucune fonction qui justifie la délivrance d'un tel passeport ! À qui M. Benalla a-t-il demandé directement le renouvellement de son passeport !? Comment pouvez-vous ne pas en être informé ? Comment cela a-t-il pu se passer ? Comment se fait-il qu'un employé de l'Élysée puisse demander un passeport diplomatique sans passer par le service du protocole ? Quand avez-vous eu connaissance de ce dysfonctionnement et quelles mesures avez-vous prises pour le sanctionner ?
M. Patrick Strzoda . - Je souhaite d'abord réagir aux observations de M. le rapporteur.
Le directeur de cabinet du Président de la République n'intervient à aucun stade dans la délivrance des passeports diplomatiques. Je me suis néanmoins renseigné sur les procédures qui ont permis à M. Benalla d'avoir des passeports diplomatiques, sur les personnes et leurs rôles respectifs. M. Benalla a déposé trois demandes de passeports diplomatiques. Le premier a été demandé par l'intéressé à l'adjointe du chef de service du protocole à l'Élysée. La demande a été faite le 30 mai 2017, quelques jours après l'installation du cabinet, et l'adjointe a transmis la demande au ministère des affaires étrangères. Le dossier a été instruit, le passeport a été émis le 2 juin et il a été renvoyé au service du protocole de l'Élysée qui l'a remis à l'intéressé. Ce passeport était valable pour une durée d'un an, soit jusqu'au 1 er juin 2018.
Le 18 septembre 2017, M. Benalla demande un nouveau passeport par le même canal et il justifie sa demande par le fait qu'il a signé un contrat de cinq ans et que donc son passeport doit être d'une durée égale. La demande est transmise au ministère des affaires étrangères et le passeport est émis le 20 septembre pour une durée de 5 ans.
Enfin, M. Benalla a fait une troisième demande, celle que vous évoquez dans votre question : le 23 mai 2018, il adresse directement sa demande - donc sans passer par le service du protocole ni l'échelon hiérarchique supérieur - au service du Quai d'Orsay, qui a émis le passeport, pour une période de 4 ans et 4 mois, le 24 mai 2018.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Donc sans passer par le protocole. Ce passeport a été délivré en un rien de temps.
M. Patrick Strzoda . - Cette demande n'ayant pas transité par un échelon hiérarchique et le ministère des affaires étrangères n'ayant pas eu connaissance de la décision de revoir les missions de M. Benalla - à savoir le décharger des déplacements nationaux et internationaux du Président de la République qui justifiaient un passeport - le passeport a été émis par le Quai d'Orsay. Il s'agit donc d'une initiative personnelle de l'intéressé.
M. Philippe Bas , président . - Le Quai d'Orsay a-t-il le droit d'attribuer à un agent de l'Élysée un passeport diplomatique qui n'a pas été sollicité par la voie hiérarchique ?
M. Patrick Strzoda . - Je vous ai dit que le directeur de cabinet n'intervient à aucun stade de cette procédure.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Cela ne va pas ! L'État est un ; le ministère des affaires étrangères n'est quand même pas sans lien avec l'Élysée ! M. Benalla vient de perdre les fonctions qui justifient la délivrance d'un passeport diplomatique, le ministère des affaires étrangères ne le sait pas et il délivre du jour au lendemain un passeport qui n'est pas réclamé par la voie hiérarchique, alors que tous les passeports diplomatiques de l'Élysée doivent transiter par le service du protocole...
M. Patrick Strzoda . - Les mesures de réorganisation interne n'ont pas à être notifiées à d'autres ministères. Mais ici, nous sommes confrontés à un comportement fautif d'un individu qui a profité des failles du système ; mais si la hiérarchie avait eu connaissance de cette demande, bien évidemment qu'elle s'y serait opposée.
J'en arrive aux deux passeports de service de M. Benalla. Le premier a été délivré bien avant qu'il soit à l'Élysée, lorsqu'il était chef de cabinet au sein de la délégation interministérielle pour l'égalité des chances des Français d'outre-mer. Ce passeport avait été délivré le 29 août 2016. Le deuxième passeport a été délivré le 28 juin 2018.
Le 30 juillet 2018, il a été demandé au ministère de l'intérieur d'invalider ces deux passeports. Cette invalidation figure dans la base des titres électroniques sécurisés : lorsqu'ils sont utilisés au passage d'un poste de frontière, ils sont signalés comme invalides. M. Benalla a été mis en demeure de restituer ces deux passeports par un courrier du chef de cabinet du Président de la République le 21 août 2018. N'ayant pas obtenu de réponse à ce courrier, j'ai adressé un courrier au ministère de l'intérieur le 10 octobre pour lui demander de poursuivre toutes les démarches pour récupérer ces passeports. Le deuxième passeport a été rendu au ministère de l'intérieur le 11 janvier et le premier passeport devrait être prochainement restitué.
Les démarches pour invalider les passeports ont donc été faites la veille de son départ de l'Élysée et plusieurs courriers lui ont été adressés pour qu'il les restitue. Il n'appartient pas au directeur de cabinet de l'Élysée de désigner un service de police pour aller récupérer les passeports au domicile de la personne. Nous sommes dans un État de droit. Les procédures ont été suivies à la lettre.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Le deuxième passeport de service a été délivré le 28 juin. La demande a-t-elle été faite par l'intermédiaire des services de l'Élysée ou directement par l'intéressé ? Les services auraient pu se demander à quoi servait ce nouveau passeport alors que M. Benalla disposait déjà de passeports diplomatiques.
M. Patrick Strzoda . - Votre question me permet de porter un nouvel élément à votre connaissance et qui vous aidera à cerner la personnalité de M. Benalla. Pour obtenir ce deuxième passeport, M. Benalla a adressé au ministère de l'intérieur une note dactylographiée à en-tête du chef de cabinet, note non signée de façon manuscrite. Nous avons demandé au chef de cabinet s'il avait adressé ce document au ministère de l'intérieur et il nous a dit ne pas être l'auteur de cette note. Soupçonnant une falsification de M. Benalla, nous avons signalé ce fait au procureur de la République en application de l'article 40 du code de procédure pénale.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Quand ?
M. Patrick Strzoda . - Ce matin.
M.
Jean-Pierre Sueur
, rapporteur
. - J'essaye de
comprendre...
Le 28 juin, le passeport de service est
délivré ; il a donc été demandé
antérieurement. Il est demandé par une note à
en-tête du chef de cabinet dont ce dernier n'a pas connaissance. Ce
document arrive au ministère de l'intérieur : il y a donc
usage de faux.
M. Patrick Strzoda . - L'enquête le dira.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Le ministre de l'intérieur délivre un passeport de service. Il faut attendre le mois de janvier pour que vous saisissiez le parquet en vertu de l'article 40 du code de procédure pénale. Vous n'avez découvert qu'il s'agissait d'un faux que très récemment. Mais quand l'avez-vous découvert ?
M. Patrick Strzoda . - Lorsque M. Benalla a quitté l'Élysée, la priorité était d'invalider les passeports de service. Cela a été fait avant son départ.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Mais comment saviez-vous qu'il avait un passeport de service puisqu'il l'avait demandé au ministère de l'intérieur avec un faux. Comment l'Élysée a-t-il pu le savoir ?
M. Patrick Strzoda . - Le ministère de l'intérieur nous l'a signalé.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Mais à quelle date ?
M. Patrick Strzoda
. - À
l'époque de l'invalidation, donc vers
le 30 juillet.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Et c'est le 30 juillet que vous avez pris connaissance du document litigieux ?
M. Patrick Strzoda . - Non, bien plus tard, récemment, au cours de l'automne. À ce moment-là, j'ai considéré que le problème était réglé puisque les passeports avaient été invalidés depuis le 30 juillet et toutes les démarches avaient été faites pour obtenir la restitution de ces documents. C'est récemment, à la vue de l'enquête préliminaire ouverte par le procureur de la République, sur la base d'abus de confiance et d'utilisation frauduleuse des titres, que j'ai souhaité qu'on verse cet élément supplémentaire au dossier, car nous sommes confrontés à un individu qui utilise régulièrement des faux pour obtenir un certain nombre de titres officiels.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - J'observe qu'après avoir pris connaissance à l'automne du fait qu'il existait un faux document, vous ne saisissez le parquet qu'au mois de janvier.
M. Patrick Strzoda . - L'enquête préliminaire a été ouverte le 29 décembre par le procureur. C'est un élément supplémentaire qui vient nourrir un dossier déjà très lourd.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Là-dessus, nous sommes d'accord.
M. Patrick Strzoda . - Pour moi, la priorité était d'invalider ces passeports.
M. Philippe Bas , président . - Parmi les effets bénéfiques de nos auditions, je note qu'elles permettent d'accélérer un certain nombre de décisions.
M. Patrick Strzoda . - J'aimerais également apporter quelques éléments aux observations de M. le rapporteur.
Vous vous demandez pourquoi nous n'avons pas été informés de tous les déplacements de M. Benalla, déplacements au cours desquels il a utilisé ses passeports diplomatiques.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Pour aller voir des chefs d'État !
M. Patrick Strzoda . - Je n'en sais rien.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Vous ne savez pas grand-chose, mais il est quand même étonnant...
M. Patrick Strzoda . - Je peux vous assurer que j'ai consacré beaucoup d'heures à préparer cet entretien et je suis venu avec le souci de vous donner le maximum d'informations. Si vous retenez de mes interventions que la maison n'est pas tenue, je peux vous assurer que c'est faux ! Toutes les procédures ont été suivies.
Il n'existe pas dans notre système un reporting automatique lorsqu'une personne franchit une frontière. Et heureusement ! Sauf si le passeport est sur un fichier qui permet de détecter son utilisation. Je ne vois pas pourquoi l'Élysée serait informé des déplacements d'un citoyen qui voyage de par le monde avec son passeport.
Nous avons été informés des déplacements de M. Benalla par des questions posées par la presse vers le 20 décembre, quelques jours avant que le Président de la République se rende au Tchad. Il n'y avait pas d'autres moyens de le savoir.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - J'assume mon interrogation. Il me paraît très difficile d'imaginer que M. Benalla ait pu être reçu par un chef d'État qui devait rencontrer le Président de la République quelques jours après sans que d'aucune manière ni l'ambassade, ni les services de renseignement n'aient pu fournir cette information à l'Élysée. Cela dit, je prends acte de ce que vous dites. Mais voilà quelqu'un qui est licencié pour faute, et qui est reçu par un chef d'État peu de jours avant que le Président de la République soit reçu par le même chef d'État. Je prends acte du fait que l'Élysée n'ait pas été au courant, mais cela m'apparaît un peu étrange. Il me parait bizarre que personne à l'ambassade de France au Tchad n'ait eu connaissance de cette audience.
M. Patrick Strzoda . - Quel rapport ces questions ont-elles avec l'objet de la commission d'enquête ?
M. Philippe Bas , président . - Cette audition est extrêmement intéressante et je mesure l'indignation contenue qui est la vôtre devant un certain nombre de constatations que vous avez faites. Je ressens la sincérité de vos propos à cet égard.
Nous nous efforçons, sans vous mettre en cause, de comprendre ce qui se passe. Cette affaire a pris des proportions qu'aucun d'entre nous ne pouvait imaginer. Nous essayons de faire notre travail en étant fidèles à notre mandat et aux règles de la séparation des pouvoirs. Vous avez apporté des réponses aux questions qui vous ont été posées et vous nous avez donné des informations très importantes. Nous vous en remercions.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Monsieur le directeur, vous avez indiqué que l'invalidation des passeports de service avait été sollicitée dès le 30 ou 31 juillet. Pourquoi la même procédure n'a-t-elle pas été suivie pour les passeports diplomatiques ? N'était-il pas possible, par exemple, de donner instruction à la police aux frontières d'empêcher leur utilisation ?
M. Patrick Strzoda . - Vous avez devant vous, madame, le directeur de cabinet du Président de la République. Il n'est pas dans mes compétences de gérer le suivi de l'utilisation des passeports diplomatiques.
Je suis essentiellement chargé de gérer l'agenda du Président de la République, d'organiser ses déplacements, de préparer des dossiers sur la lutte contre le terrorisme, l'insécurité, les flux migratoires, ainsi que des dossiers relatifs au conseil des ministres, de recevoir de nombreux responsables politiques, associatifs, syndicaux, de rédiger des notes, d'encadrer une équipe, et aussi de piloter, aux côtés du secrétaire général, le projet de réorganisation de l'Élysée, tout ceci au cours de journées de travail qui commencent à 7 h 15 le matin et finissent rarement avant minuit.
Vous comprendrez donc que les tribulations de M. Benalla ne sont pas ma priorité ; cet individu n'est plus dans mes radars depuis le 1 er août. Ceci dit, j'assume mes responsabilités : avec les services qui sont sous mon autorité, je viens devant vous pour vous dire ce qui a été fait lorsque nous avons découvert tel ou tel comportement fautif de la part de l'intéressé.
Pourquoi la validité des passeports n'a-t-elle pas été contrôlée à telle ou telle frontière ? Ceci ne relève pas de la compétence du directeur de cabinet du Président de la République. MM. les ministres de l'intérieur et des affaires étrangères, que vous allez auditionner tout à l'heure, vous donneront sans doute des éléments de réponse dont, quant à moi, je ne dispose pas.
M. Philippe Bas , président . - Nous partons du principe que, placé au niveau le plus élevé de l'administration de la maison Élysée - vous êtes le deuxième collaborateur du Président de la République -, vous n'ignorez rien des questions politiques, et que le chef de cabinet en rapporte directement à vous.
Compte tenu de la très grande importance de cette affaire, nous souhaitions savoir si la présidence de la République avait mis en place, avec les ministères concernés, ceux de l'intérieur, des affaires étrangères et de la défense, une organisation, même souple, genre « cellule de crise », ne serait-ce que dans le but de prémunir le chef de l'État contre de nouveaux rebondissements. Une telle organisation eût permis à chacun de rendre compte et de vérifier que toutes les mesures, absolument toutes, avaient été prises pour éviter que vous vous retrouviez dans la situation dans laquelle vous êtes, précisément, depuis le mois de décembre.
Nous sommes nous-mêmes très surpris des récents rebondissements : si l'information relative aux déplacements de M. Benalla peut aujourd'hui vous être communiquée, c'est bien qu'un tel relevé était disponible ! La personne chargée de ce relevé aurait donc certainement pu faire obstacle à l'utilisation des passeports diplomatiques si des consignes lui avaient été données en ce sens. On ne peut manquer de se demander - c'est presque du bon sens - pourquoi une « check-list » n'a pas été faite. Pourquoi n'a-t-il pas été prévu, par instruction adressée à la police aux frontières, d'empêcher ce monsieur, qui n'est pas n'importe qui, de se servir de ses passeports diplomatiques, comme cela a été le cas pour les passeports de service ?
En posant ces questions, nous ne souhaitons vous créer aucune espèce de difficulté personnelle ; nous ne faisons qu'exercer l'un des rôles fondamentaux qui sont ceux du Parlement, rôle de contrôle du bon fonctionnement de l'État. Nous sommes surpris du manque de maîtrise dont l'exécutif a fait montre, et regrettons qu'on en soit arrivé à pareille situation, ce dont chacun d'entre nous, vous le premier, certainement, se serait volontiers passé. Il ne s'agit pas de vous pousser dans vos retranchements, monsieur Strzoda ; mais nous avons du mal à comprendre le déficit d'autorité dans la conduite de cette affaire : pourquoi toutes les dispositions qui pouvaient et devaient l'être n'ont-elles pas été prises ?
M. Patrick Strzoda . - C'est moi qui, certainement, ai du mal à me faire comprendre. La traçabilité de l'utilisation des passeports diplomatiques se fait au moment du franchissement de la frontière, plutôt à l'arrivée, d'ailleurs, qu'au départ. S'il s'avère que M. Benalla a utilisé ces passeports dans des pays africains - je n'en ai pas la preuve, aujourd'hui -, c'est aux services de ces pays qu'il eût fallu pouvoir donner des instructions.
Vous avez le sentiment que tout n'a pas été fait pour empêcher M. Benalla d'utiliser ces passeports...
M. Philippe Bas , président . - Je m'interroge, sans tirer encore aucune conclusion.
M. Patrick Strzoda . - Je suis sûr que tous ceux qui nous regardent s'interrogent aussi. Je suis là, précisément, pour vous expliquer que toutes les démarches qui devaient être accomplies l'ont été. Nous évoluons dans le cadre d'un État procédural, où il n'est pas possible d'utiliser la force pour aller chez quelqu'un chercher un document qu'il n'a pas le droit d'utiliser : il faut d'abord lui faire une demande de restitution, via des courriers recommandés avec accusé de réception, puis des relances - c'est l'administration ! -, avant, éventuellement, de saisir le procureur, ce qu'a fait le ministère des affaires étrangères.
Monsieur Bas, vous avez utilisé l'expression de « cellule de crise ». Je peux vous assurer que, dès que nous avons eu connaissance, vers le 20 décembre, par rumeurs et par voie de presse, des déplacements dans des pays africains de M. Benalla, qui s'y prévalait de missions officielles, des instructions ont été données via le canal diplomatique, à tous les ambassadeurs notamment, pour leur dire qu'il n'existe pas de diplomatie parallèle, que la politique étrangère de la France est mise en oeuvre par le ministre des affaires étrangères et par ses ambassadeurs sous le pilotage du chef de l'État, et qu'il n'est besoin d'aucun émissaire officieux pour défendre les intérêts de la France.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Vous avez lu dans la presse les différentes déclarations s'agissant des activités privées que MM. Benalla et Crase ont exercé ou auraient pu exercer alors qu'ils étaient en lien avec ou employés par la présidence de la République. M. Benalla aurait déclaré avoir servi d'intermédiaire avec M. Vincent Miclet ; il est par ailleurs apparu que M. Crase avait pu jouer un rôle important - il le conteste, certes, dans une lettre qu'il nous a envoyée -, comme, peut-être, M. Benalla, auprès de M. Makhmudov, oligarque russe. De quels éléments d'information, en la matière, disposez-vous ? Qu'en savez-vous ? Vous avez envoyé une lettre sur ce sujet ; vous deviez avoir des raisons de le faire.
Par ailleurs, il est apparu que M. Benalla avait bel et bien des responsabilités stratégiques en matière de définition de nouvelles formes d'organisation de la sécurité du chef de l'État ; à cet égard, il participait à un groupe de travail, formel ou informel, avec M. le commandant du GSPR (groupe de sécurité de la présidence de la République) et avec M. Bio Farina. Selon un article du Journal du dimanche , la volonté explicite de M. Benalla était que cela se fît indépendamment du ministère de l'intérieur, l'objectif étant sans doute de définir une organisation spécifique à l'Élysée. Aviez-vous connaissance de ces orientations ? Ce travail était-il conforme aux instructions du Président de la République ?
M. Patrick Strzoda . - Aucune information concernant d'éventuelles activités privées que M. Benalla aurait pu avoir du temps de ses fonctions à l'Élysée n'a été portée à notre connaissance - la période concernée va du 15 mai 2017 au 1 er août 2018. D'ailleurs, de telles activités étaient exclues par son contrat de travail, dont l'article 6 précise qu'« il est tenu de consacrer l'intégralité de son activité professionnelle aux tâches qui lui sont confiées et ne peut exercer à titre professionnel une activité privée lucrative de quelque nature que ce soit » - ce contrat de travail vous a d'ailleurs été adressé, monsieur le rapporteur, durant l'été.
Dans le courant du mois de décembre 2018, la presse relayant des rumeurs et des journalistes nous posant des questions, nous nous sommes interrogés sur d'éventuelles missions personnelles et privées qu'aurait pu exercer M. Benalla comme consultant alors qu'il était en fonction à l'Élysée. Le 22 décembre, j'ai écrit à M. Benalla pour lui demander de nous communiquer toute information pertinente sur ce sujet, en termes de rémunération notamment. J'ai adressé une copie de ce courrier au procureur de la République, en lui demandant de nous informer de tout fait que révèleraient les enquêtes en cours et qui feraient apparaître des manquements de M. Benalla dans l'exercice de ses fonctions, ceci afin de nous permettre de prendre les mesures nécessaires et d'exercer les voies de recours qui s'imposeraient.
M. Benalla a répondu le 28 décembre 2018. Je vous donne lecture des passages les plus importants de sa lettre, que je tiens à votre disposition : « Pour répondre à vos questions, je vous confirme que tout au long des fonctions qui m'ont été confiées à l'Élysée, je n'ai jamais effectué de missions personnelles et privées et que je n'ai a fortiori jamais reçu directement ni indirectement de rémunération en résultant. Je tiens à votre disposition, dans le cadre de l'enquête interne qui est menée, l'ensemble de mes relevés bancaires pour la période du 15 mai 2017 au 1 er août 2018 ainsi que la déclaration de fin de fonctions adressée à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Les rumeurs dont je suis la cible sont dénuées de tout fondement, et il est clair que je n'ai eu aucune relation d'affaires en France et à l'étranger avec des intérêts privés pendant mes fonctions à l'Élysée. »
J'ai obtenu cette réponse, par courrier, le lundi 31 décembre, la journée étant essentiellement consacrée à la préparation des voeux du Président de la République. J'ai quitté mon bureau à 22 h 30. Je suis rentré chez moi ; j'ai regardé un épisode de Columbo et dégusté un Dalmore 62, grand cru. J'ai passé une bonne nuit, et, le 1 er janvier, de retour au bureau, j'ai écrit au président de la HATVP, lui demandant de vérifier les affirmations de M. Benalla. Mon courrier est parti le 2 janvier et M. Jean-Louis Nadal en a accusé réception le 11 janvier. Il m'a fait savoir qu'il examinerait notre demande avec une attention toute particulière ; le connaissant, je n'en doute pas un instant. Nous avons donc engagé des procédures de vérification, qui sont en cours.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur. - Avez-vous saisi la commission de déontologie, sachant que M. Benalla a semblé, après la fin de ses fonctions à l'Élysée, s'orienter vers de nouvelles activités ?
M. Patrick Strzoda . - S'agissant de M. Crase, d'abord, il était réserviste de la gendarmerie dans les services de l'Élysée, statut très différent de celui de M. Benalla. Les déclarations successives de M. Crase au sujet des emplois qu'il a occupés durant son temps de présence dans la réserve opérationnelle de la gendarmerie, de 2005 à 2018, figurent dans son dossier personnel de réserviste, dossier géré par la direction générale de la gendarmerie nationale. Je me suis adressé au directeur général de la gendarmerie nationale pour qu'il fasse les vérifications requises. Le dossier a été consulté ; il apparaît qu'aucune déclaration de M. Crase ne mentionne d'activité dans une entreprise privée dans le domaine de la sécurité durant cette période. Dans son dernier contrat d'engagement de réserviste, qui date du 23 octobre 2017, M. Crase déclare seulement exercer la profession de « responsable de sécurité ».
Dans un courrier du 3 janvier 2019, j'ai demandé à M. Crase de me donner toute information pertinente sur d'éventuelles missions personnelles ou privées dont la nature aurait été incompatible avec ses fonctions à la présidence de la République. M. Crase a répondu à mon courrier le 9 janvier ; il m'indique, dans sa réponse, qu'il n'a eu aucune activité, aucun contrat, aucune rémunération, pendant la période où il travaillait dans les services de la présidence, à savoir du 10 novembre 2017 au 4 mai 2018. Il m'indique en outre que ses activités actuelles sont conduites dans le strict respect des obligations liées à l'exercice de ses fonctions passées, et qu'il s'interdit de se prévaloir d'une quelconque recommandation de la présidence de la République. J'ai adressé mon courrier et cette réponse au procureur de la République.
Enfin, par courrier du 14 janvier, j'ai rappelé à M. Crase ses obligations au regard du décret du 27 janvier 2017 relatif à la commission de déontologie.
Monsieur le rapporteur, concernant la procédure de saisine de la commission de déontologie pour le cas de M. Benalla, je rappelle que cette obligation s'impose aux agents de cadre A qui quittent un service public, et qu'elle figure dans leur contrat de travail : dans celui que M. Benalla a signé le 2 juin 2017, à l'article 6, il est précisé qu'il est soumis aux dispositions du décret du 27 janvier 2017. M. Benalla était donc parfaitement informé de cette obligation, qu'il aurait dû respecter.
Par ailleurs, c'est à M. Benalla d'informer son ancien employeur, par écrit, lorsqu'il envisage d'exercer une activité privée. Ceci ressort clairement de l'article 2 du décret du 27 janvier 2017. À ce jour, depuis son licenciement, effectif au 1 er août 2018, les services de la présidence de la République n'ont été rendus destinataires d'aucune déclaration de ce genre de la part de M. Benalla. Je lui ai néanmoins rappelé cette obligation par un courrier du 11 janvier 2019. Si nous recevons une déclaration de l'intéressé, nous saisirons dans les quinze jours la commission de déontologie, dont je rappelle que M. Benalla peut d'ailleurs lui-même la saisir. En principe, c'est à lui qu'il appartient de faire cette démarche ; par précaution, je lui ai rappelé par courrier cette obligation.
M. Loïc Hervé . - Ma question a trait à la sécurité du Président de la République et des services de la présidence. Il semble que M. Benalla a restitué ou va restituer un téléphone crypté - vous nous l'avez confirmé. On sait aussi qu'il bénéficiait d'une habilitation secret défense, laquelle est conférée après qu'une enquête a été menée sous l'autorité du SGDSN (secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale). Quels éléments pouvez-vous nous communiquer sur le rapport d'enquête qui a été élaboré et sur la personne qui a mené cette enquête ?
M. Henri Leroy . - Monsieur le directeur de cabinet, les déclarations que vous avez faites font ressortir des indices graves et concordants de culpabilité. Les enquêteurs vous ont entendu, dans le cadre de l'enquête préliminaire, sans prestation de serment ; le procureur vous a-t-il fait savoir s'il requérait l'ouverture d'une information judiciaire et la désignation d'un juge d'instruction ?
Mme Brigitte Lherbier . - Je m'y perds un peu avec tous ces passeports, passeports de service, passeports diplomatiques... Y a-t-il vraiment des prérogatives spéciales attachées à la possession de tels passeports ? Existe-t-il un fichier particulier pour chacun d'entre eux ? Je pose la question naïvement : pourquoi M. Benalla aurait-il eu besoin de tant de passeports ?
Mme Esther Benbassa . - Vous avez déjà répondu à la question que je vais vous poser, mais je voudrais m'assurer que, depuis son licenciement, M. Benalla ne s'est pas rendu à l'Élysée.
M. Patrick Kanner . - Monsieur le directeur de cabinet, permettez-moi, s'agissant de tels collaborateurs, de compatir avec vous.
Vous êtes le patron de la chefferie de cabinet ; saviez-vous que M. Benalla était le détenteur du seul téléphone Teorem de la chefferie ? Considérez-vous cette situation comme normale au regard du fait que, sauf erreur de ma part, M. Benalla n'était pas conseiller technique ni chef de cabinet adjoint, mais seulement chargé de mission dans l'organigramme de l'Élysée ?
M. Philippe Bas , président . - Je complète cette question : lorsque, le 4 octobre, le téléphone Teorem de M. Benalla a été désactivé, un autre téléphone du même type a-t-il été attribué à la chefferie de cabinet, dans l'attente de la restitution de l'appareil que M. Benalla a continué à détenir ? Et qu'a-t-on fait dans l'intervalle ?
Mme Laurence Harribey . - Le 2 août, vous constatez l'absence de passeports, mais ne dites rien d'un téléphone manquant. Vous attendez un inventaire général, le 4 octobre, pour constater que le combiné est manquant. Pourquoi la méthode de l'inventaire n'a-t-elle pas été utilisée dès le 2 août ? Pourquoi, entre le 2 août et le 4 octobre, ne s'est-on pas étonné de l'absence de cet appareil ?
M. François Grosdidier . - Monsieur le directeur de cabinet, lors de votre précédente audition, vous nous aviez annoncé l'engagement de la procédure de licenciement de M. Benalla. Cette procédure a-t-elle bien été soldée ?
Par ailleurs, commentant l'évocation d'une « police parallèle » ou d'une « diplomatie parallèle », vous avez parlé de « fake news ». S'agissant de la police parallèle, vous nous aviez expliqué que M. Benalla s'occupait de tout, de protocole, de déplacements, mais pas de sécurité ; vous aviez ensuite dit que vous aviez fait pour lui une demande de permis de port d'arme afin qu'il renforce le dispositif de sécurité, alors même que, aux dires mêmes du GSPR, il y avait là plutôt une source d'insécurité. Rien n'est clair !
Quant à la diplomatie parallèle, si ce sujet était dans le champ d'investigation de notre commission, je vous demanderais si M. Benalla n'a pas utilement renseigné le Président de la République, mieux que la cellule Afrique, sur l'activité des Russes au Tchad, par exemple.
Le lien n'a-t-il pas été maintenu d'une façon ou d'une autre ? Y a-t-il eu, à votre connaissance, des échanges entre M. Benalla et l'Élysée, par exemple sur les questions de maintien de l'ordre et sur les conditions d'emploi de nos forces de l'ordre ?
M. Philippe Bas , président . - Je vous précise que nous avons reçu dès le début du mois d'août la copie de la lettre de licenciement de M. Benalla, qui est datée du 24 juillet 2018.
M. François-Noël Buffet . - M. Benalla a utilisé à au moins vingt reprises les passeports qu'il avait conservés pour voyager ; savez-vous à quelle fin il a fait ces voyages et qui il a rencontré ? Avez-vous diligenté une enquête pour en savoir un peu plus ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio . - Vous nous avez apporté énormément d'informations ; certaines sont stupéfiantes. M. Benalla, lorsque je lui avais posé la question des passeports, m'avait répondu, avec beaucoup d'assurance, qu'il les avait laissés dans son bureau. Pensez-vous clairement, en votre âme et conscience, que M. Benalla nous a menti lors de son audition du mois de septembre ?
Mme Catherine Troendlé . - Vous avez dit clairement qu'il n'y avait pas de dysfonctionnement. Néanmoins, s'agissant de l'utilisation de téléphones cryptés, vous nous avez expliqué tout aussi clairement pourquoi ce genre de matériel est utilisé : il équipe les personnes qui s'occupent de la sécurité des déplacements du Président de la République ; en cas de changement de programme, ces personnes doivent en être informées sans que ces informations fuitent.
Depuis que M. Benalla n'est plus en charge de ce type de missions, M. le Président de la République a continué à se déplacer ; qui est en charge de l'organisation de ces déplacements ? Cette personne est-elle en possession de cet outil qui semble absolument indispensable à la sécurisation des déplacements ?
M. Alain Marc . - Nous apprenons aujourd'hui que M. Benalla a fait une déclaration, postérieure à ses activités, à la HATVP. Au mois de juillet, nous vous avions posé la question de savoir si M. Benalla, en tant que membre du cabinet, devait faire une telle déclaration. Renseignement pris, il aurait dû le faire. Qu'en pensez-vous aujourd'hui ? Les membres du cabinet sont-ils tous désormais assujettis à une obligation de déclaration à la HATVP ?
M. Éric Kerrouche . - Vous nous avez dit, s'agissant des passeports de M. Benalla, que ce dernier était « un monsieur qui a régulièrement utilisé des faux pour obtenir des titres officiels. » Faites-vous référence à la lettre à en-tête du chef de cabinet, dont vous avez parlé, ou à d'autres modes de travestissement de documents ?
M. Patrick Strzoda . - Concernant la question qu'avait posée le rapporteur tout à l'heure sur la mission qu'aurait eue M. Benalla en matière de réorganisation du dispositif de sécurité de l'Élysée, beaucoup de choses qui ont été dites relèvent du fantasme. M. Benalla n'était pas en charge de cette réorganisation. Cette mission échoit au directeur du cabinet du Président de la République : c'est mon affaire, mon dossier.
De quoi s'agit-il ? Dans un souci d'optimisation du fonctionnement des services et afin de faire des économies d'échelle, le Président de la République a souhaité que les deux services qui assurent la sécurité, à savoir le commandement militaire, qui s'occupe de la sécurité des enceintes présidentielles, et le GSPR, qui s'occupe de la sécurité rapprochée du chef de l'État, mutualisent un certain nombre de fonctions : formation, acquisition de matériel, entraînement, véhicules, équipement.
Lorsque le projet a été présenté, certains ont dû se dire que leur position dans l'institution serait peut-être remise en cause ; un procès nous a été intenté, nous accusant de vouloir couper le lien avec le ministère de l'intérieur, alors que les personnes qui assurent la sécurité du Président de la République sont et resteront des policiers et des gendarmes. Deuxième procès d'intention : nous aurions voulu créer une garde prétorienne, une milice barbouzarde, autour du Président de la République. Évidemment, nous avons immédiatement démenti.
M. Benalla n'avait aucun rôle dans l'organisation de ces services ; c'était mon affaire. Il est vrai que, pour mettre en oeuvre ce rapprochement, nous avons créé des groupes de travail composés de policiers, de gendarmes et de collaborateurs de l'Élysée, donc, notamment, de cadres de la chefferie, ce qui n'avait rien d'anormal.
Monsieur le sénateur Hervé, s'agissant du dossier secret défense, M. Benalla a été habilité ; une enquête a donc été faite. Je n'ai pas connaissance de cette enquête, mais je suis persuadé qu'elle a été faite sérieusement. Je ne peux pas vous en dire plus à cette heure.
Monsieur le sénateur Leroy, vous avez employé le terme de « culpabilité » ; j'ai, quant à moi, parlé au conditionnel : il « aurait » utilisé son passeport. Une instruction judiciaire va-t-elle être déclenchée ? Je ne suis pas magistrat ; je ne suis que directeur de cabinet, ce qui suffit à mon bonheur.
Madame la sénatrice Benbassa, M. Benalla n'est pas venu à l'Élysée depuis le 20 juillet 2018, je peux l'affirmer très clairement - les personnes qui entrent à l'Élysée figurent sur un registre et des instructions strictes ont été données en termes de contrôles.
Monsieur Kanner, pourquoi M. Benalla était-il détenteur du Teorem alors qu'il n'était pas chef de cabinet ? Je fais naturellement confiance à mes collaborateurs, qui organisent le travail au sein de leurs équipes. Un combiné était affecté à la chefferie ; il appartient au chef de cabinet de répartir les fonctions au sein de son équipe. Je fonctionne dans une logique de subsidiarité et de déconcentration.
Madame Troendlé, M. Benalla a été remplacé dans ses fonctions par un chargé de mission qui n'a pas souhaité disposer d'un Teorem. Le Teorem permet d'avoir des conversations sécurisées pour gérer un certain nombre de séquences dans l'agenda du Président. Son successeur considère que, pour exercer sa mission, il n'a pas besoin de cet outil ; il n'en a donc pas. Les agents ont une marge de manoeuvre dans l'organisation de leur travail, et c'est heureux.
Monsieur Marc, je vous confirme que tous les chargés de mission sont désormais astreints à effectuer une déclaration à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique au moment où ils rejoignent les services de l'Élysée et au moment où ils les quittent.
M. Alain Marc . - Ils l'étaient déjà à l'époque...
M. Patrick Strzoda . - Cette règle est aujourd'hui appliquée de manière très stricte.
Par ailleurs, je n'ai pas dit que M. Benalla était un menteur ; madame Eustache-Brinio, ce n'est pas à moi de me prononcer sur ce sujet.
M. Philippe Bas , président . - M. le directeur nous a dit tout à l'heure que les passeports n'étaient pas dans le bureau ; M. Benalla nous avait dit qu'ils y étaient. Dont acte.
M. Patrick Strzoda . - Tous les documents, courriers, notes de service, courriels, que j'ai évoqués, sont à votre disposition.
M. Éric Kerrouche . - Monsieur le directeur, je veux être sûr d'avoir bien compris. Vous avez dit, en parlant de M. Benalla : « c'est un monsieur qui a régulièrement utilisé des faux pour obtenir des titres officiels. » Était-ce de sa part un comportement général ?
M. Patrick Strzoda . - Je suis allé un peu loin dans mon affirmation. Ce dont je suis sûr, à cette heure, c'est que le document qui a permis à M. Benalla d'obtenir son deuxième passeport de service est un faux. Mais, avec cet individu, on en découvre tous les jours...
Mme Laurence Harribey . - Quid de l'inventaire du mois d'août et de l'absence du fameux Teorem ?
M. Patrick Strzoda . - Au moment de l'inventaire, le 2 août, quelques jours après la perquisition, nous ne savions pas si le Teorem avait été saisi par les officiers de police judiciaire. Puis ce furent les vacances ; c'est au mois d'octobre qu'à l'occasion d'un inventaire des Teorem, nous avons constaté qu'il en manquait un.
M. Philippe Bas , président . - Je vous remercie.
Audition de M. Christophe
Castaner,
ministre de
l'intérieur
(Mercredi 16 janvier 2019)
M. Philippe Bas , président . - Nous accueillons M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur. Monsieur le ministre, je vous prie de nous excuser pour ce retard. Notre devoir était d'aller au bout de notre précédente audition ; pour autant, je regrette que ceci perturbe votre emploi du temps.
J'ai tout à l'heure rappelé dans quel cadre nous travaillons et les règles très strictes que nous observons. Il s'agit pour nous d'obtenir les informations dont nous avons besoin tout en respectant à la fois notre mandat et la séparation des pouvoirs, et notamment la complémentarité, et non pas la concurrence, entre notre travail et celui de la justice.
Notre commission étant dotée des prérogatives d'une commission d'enquête, je dois vous demander de prêter serment.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Christophe Castaner prête serment.
M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur . - Je vais tenter de répondre le plus précisément possible aux questions que vous m'avez adressées et de vous fournir tous les éléments dont nous disposons, comme le ministère de l'intérieur l'a fait depuis l'ouverture de cette commission d'enquête.
Sur les passeports de service, qui relèvent du ministère de l'intérieur, le ministère a fait l'objet d'une réquisition judiciaire. Je n'ai pas besoin de vous rappeler l'ordonnance de 1958 relative au fonctionnement des assemblées...
M. Philippe Bas , président . - Monsieur le ministre, c'est notre bible ; vous n'avez pas besoin de nous le rappeler. J'ai moi-même rappelé, tout à l'heure, que les missions de la justice et du Parlement, qui sont toutes deux de nature constitutionnelle, ne s'excluent pas mais se complètent.
M. Christophe Castaner, ministre . - Je finis néanmoins ma phrase, en précisant ce que je souhaite préciser : il est bien prévu qu'une commission d'enquête parlementaire ne doit pas entraver le déroulement d'une enquête judiciaire en cours. Mais je veux, dans la mesure du possible, répondre à toutes vos questions, et je vous laisse, monsieur le président, le soin d'apprécier ce qui relève ou non de la séparation des pouvoirs - je ne doute pas que cette appréciation soit la bonne.
M. Philippe Bas , président . - Je vous remercie beaucoup, monsieur le ministre, de cette excellente disposition d'esprit.
Le ministère des affaires étrangères nous a informés que, le 8 novembre dernier, vos services ont été saisis du fait que M. Benalla détenait des passeports diplomatiques, afin que des mesures soient prises pour l'empêcher de les utiliser à la sortie du territoire national. À la suite de cette saisine, quelles dispositions vos services ont-ils pris en ce sens ?
M. Christophe Castaner, ministre . - Pour être précis, je vais évoquer l'ensemble des échanges qui ont eu lieu non pas de ministre à ministre, mais entre M. Julien Guyot, chargé de mission à la direction des Français à l'étranger et de l'administration consulaire, et M. Yves Biscahie, commandant de police, officier de liaison au sein de la mission « délivrance sécurisée des titres ».
À partir du 19 octobre, ces deux collaborateurs ont échangé non sur le cas particulier de M. Benalla mais sur les modalités générales permettant de « débrancher » l'utilisation de passeports diplomatiques - lesquels ne relèvent nullement du ministère de l'intérieur - afin de mettre un terme à tout usage frauduleux de passeports volés ou perdus. Ces échanges se sont poursuivis au fil des mois d'octobre, de novembre et de décembre - je tiens ces courriels à votre disposition.
L'échange a d'abord eu pour objet la procédure d'invalidation, qui n'est que très rarement utilisée. Le premier échange porte sur le point de savoir si et comment on peut annuler un passeport diplomatique volé ou perdu. Il porte alors sur deux cas particuliers. Le 24 octobre, cet échange se poursuit sur des questions de procédure, car elle est très rarement utilisée. Le 5 novembre, la discussion se poursuit sur des aspects techniques généraux.
Puis, dans le cadre de cet échange informel, le ministère des affaires étrangères a communiqué pour la première fois, le 8 novembre, une liste de 25 passeports diplomatiques, dont deux au nom de M. Benalla, les autres étant des passeports perdus ou volés. C'est à cette date que le nom de M. Benalla apparaît, parmi 23 autres. Sur cette base, le collaborateur du ministère de l'intérieur a estimé que, compte tenu de la personnalité et de l'exposition médiatique de M. Benalla, cette question dépassait son niveau et devrait faire l'objet d'une saisine de la direction générale de la police nationale (DGPN), et que la demande devrait être complétée par la fourniture de certains documents.
M. Philippe Bas , président . - Ce collaborateur ne manque pas d'intuition.
M. Christophe Castaner, ministre . - A minima , il lit les journaux !
Cet échange a été confirmé par un nouvel échange de courriels les 20 et 21 novembre. Le 19 décembre, le service compétent du ministère des affaires étrangères a demandé au commandant « de bien vouloir porter le signalement sur les fichiers européens de manière à invalider le déplacement des personnes présentant ces passeports à la PAF ». La DGPN a alors été saisie.
Le 26 décembre, nos services ont précisé que, s'agissant des pertes et des vols, il existait bien un dispositif permettant d'intervenir, mais que tel n'était pas le cas pour les passeports qui perdaient leur cause d'émission. Il était donc impossible d'accéder à la demande du ministère des affaires étrangères.
Pour résumer, il y a donc eu un échange informel entre collaborateurs, puis une saisine formelle au bon niveau, celui de la DGPN, et une réponse, le 26 décembre, précisant que, techniquement, le ministère de l'intérieur n'est pas en mesure d'empêcher l'utilisation de ces passeports qui ne relèvent pas du ministère, sauf dans certains cas - si, par exemple, une procédure judiciaire est en cours.
M. Philippe Bas , président . - Voilà, comme vous le dites justement, comme l'avait pressenti le collaborateur dont vous avez cité le nom, un dossier concernant une personnalité qui fait couler des litres d'encre depuis plusieurs mois ; or le traitement de ce dossier reste cantonné à un niveau certes très honorable de notre administration, mais sans pilotage au niveau des plus proches collaborateurs des ministres - un tel pilotage aurait peut-être permis d'éviter, pourtant, qu'on se trouve dans la situation dans laquelle on a fini par se trouver, compte tenu des actes de ce personnage.
Pendant que les bureaux du ministère des affaires étrangères et du ministère de l'intérieur correspondaient chaque jour sur les réglementations applicables, M. Benalla accomplissait en effet vingt déplacements à l'étranger avec ses passeports diplomatiques. Convenez que, du seul point de vue du bon fonctionnement de l'État - c'est le seul qui nous intéresse dans le cadre de notre responsabilité constitutionnelle -, cette situation appelle des évolutions dans les manières de faire.
Nous avons posé tout à l'heure au directeur de cabinet du Président de la République la question de savoir si une cellule de crise avait été créée pour veiller point par point à ce que tous les attributs de sa fonction soient rapidement restitués par M. Benalla. Or on constate que des cadres des deux ministères se renvoient la balle pendant plusieurs semaines, sans que la police aux frontières soit alertée, et que, pendant ce temps, M. Benalla peut continuer d'utiliser un passeport diplomatique dont la restitution lui avait été demandée dès le mois de juillet.
M. Christophe Castaner, ministre . - Encore faut-il, pour qu'ils puissent intervenir, que les ministres soient saisis. Tel n'a pas été le cas.
Lorsque vous présentez un passeport diplomatique à l'aubette du contrôle de la police aux frontières, l'application Covadis (contrôle et vérification automatiques des documents sécurisés) reconnaît votre nom et deux bases sont interrogées : le fichier des personnes recherchées et le fichier SLTD ( Stolen and Lost Travel Documents ), lui-même relié à un troisième fichier, le FOVeS (fichier des objets et des véhicules signalés), qui recense les passeports volés ou perdus. Mais ce dispositif ne fonctionne pas pour les passeports invalidés. Le cas d'invalidation n'existe tout simplement pas, aujourd'hui, dans notre système numérique.
Je sais parfaitement, au nom du ministère de l'intérieur, émettre une information sur un titre émis par ledit ministère, ce qui n'est pas le cas pour les passeports diplomatiques. Notre système numérique est très efficace concernant l'ensemble des passeports émis par le ministère de l'intérieur ; en revanche, pour les passeports diplomatiques, qui, de surcroît, ne sont pas biométriques, il est impossible d'interdire leur utilisation.
Un signalement personnel serait possible, mais illégal. Jusqu'à nouvel ordre, en effet, M. Benalla n'a pas été condamné et aucune interdiction de sortie du territoire n'a été prononcée. La PAF n'est pas en mesure de décider qui peut ou non sortir du territoire national. Et lorsque le ministère des affaires étrangères émet un passeport diplomatique, nous n'en sommes pas informés, de même que nous ne sommes pas informés lorsqu'un passeport diplomatique perd sa vocation à être utilisé parce que son détenteur perd la fonction qui en avait justifié la délivrance.
Autrement dit, le ministère de l'intérieur assume l'émission et la gestion de quatre types de passeports, dont le suivi est possible. En revanche, une telle information n'est pas disponible pour les passeports diplomatiques, dont la « désactivation » avant expiration est impossible. À défaut de réquisition judiciaire, le ministère de l'intérieur n'est donc pas en mesure d'interdire leur utilisation.
Nous avons donc un problème technique. Le dispositif actuel remonte à un décret de 2005 ; il ne couvre pas le cas d'un passeport diplomatique qui n'aurait pas été perdu ou volé, qui n'aurait donc fait l'objet d'aucune déclaration devant la police, mais dont le motif d'émission serait caduc : s'il perd sa fonction, nous ne pouvons tout simplement pas le savoir. Ce constat est assez récent ; c'est la première fois que la question se pose dans les relations entre les deux ministères. Nous avons donc décidé, avec Jean-Yves Le Drian, qu'un groupe de travail serait mis en place pour réfléchir à l'élaboration rapide de solutions techniques.
M. Philippe Bas , président . - Nous comprenons parfaitement que tout citoyen français muni d'un passeport ordinaire et qui ne fait l'objet d'aucune poursuite puisse quitter le territoire national. Mais, en l'occurrence, il s'agit de savoir si vous pouvez donner à la police de l'air aux frontières une consigne destinée à empêcher un individu d'utiliser illégalement un titre qu'il n'a plus le droit de détenir. Il est intéressant d'apprendre que le ministre de l'intérieur ne dispose pas d'une telle faculté.
M. Christophe Castaner, ministre . - Pour qu'un policier puisse agir, il lui faut une raison juridique.
M. Philippe Bas , président . - Utilisation illégale d'un passeport diplomatique.
M. Christophe Castaner, ministre . - Encore faut-il disposer de cette information.
M. Philippe Bas , président. - Précisément, ce qui nous inquiète, c'est ce défaut d'information.
M. Christophe Castaner, ministre . - Je vous confirme que nous ne disposons pas de telles informations et que, en outre, nous avons un problème d'ordre informatique.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Dans la lettre qu'il nous a envoyée le 7 janvier, M. Jean-Yves Le Drian écrit : « Au vu de l'absence de restitution de documents, le ministère des affaires étrangères, à la demande de la présidence de la République, a décidé de lancer la procédure d'invalidation des passeports diplomatiques de M. Benalla, démarche confirmée le 8 novembre au ministère de l'intérieur. » Il me paraît tout à fait singulier qu'un individu qui dispose indûment d'un passeport diplomatique puisse l'utiliser à vingt reprises sans qu'aucune réaction soit possible, ni de la part de la présidence de la République - nous en avons eu, malheureusement, confirmation -, ni de la part du ministère de l'intérieur, ni, sans doute, de celle du ministère des affaires étrangères, s'agissant, de surcroît, des déplacements d'un personnage qui est sous les feux de l'actualité.
Monsieur le ministre, nous vous avons interrogé par écrit sur les éventuels permis de port d'arme délivrés à des personnels de l'Élysée. Confirmez-vous qu'à l'exception de M. Benalla et, bien entendu, des membres du GSPR (groupe de sécurité de la présidence de la République) et du commandement militaire, aucune personne travaillant à la présidence de la République ou y ayant travaillé depuis mai 2017 ne s'est vue attribuer un permis de port d'arme par le ministère de l'intérieur ? Si la réponse était positive, il y aurait là, de nouveau, une singularité concernant M. Benalla.
Autre question : vous nous avez indiqué, toujours dans votre lettre, que le ministère de l'intérieur n'a jamais été informé de la collaboration de M. Vincent Crase avec M. Iskander Makhmudov dans le cadre de l'exécution de prestations de sécurité privée. Ce défaut d'information n'est-il pas en contradiction avec l'obligation à laquelle sont soumis les réservistes opérationnels de la gendarmerie, dans le cadre de leur contrat d'engagement, de déclarer leurs activités professionnelles ? M. Crase se trouvait-il donc en faute pour ne pas avoir fait cette déclaration ?
Je fais observer, par ailleurs, que la présidence de la République nous a indiqué avoir demandé à M. Crase de s'expliquer sur les activités privées qu'il exerçait, ce qui montre que la question se posait.
M. Christophe Castaner, ministre . - Quand a été communiquée la liste de 25 passeports dont j'ai fait mention tout à l'heure, le commandant de police a immédiatement informé la personne avec laquelle il était en relation, par téléphone, que cette demande nouvelle concernait un document attribué à une personnalité particulièrement sensible, qu'à ce titre elle ne relevait pas de sa responsabilité et qu'elle nécessitait, a minima , une saisine officielle de la DGPN. Le commandant Biscahie indiquait par ailleurs à son interlocutrice que les documents transmis étaient incomplets, et lui demandait de bien vouloir les compléter.
Le 20 novembre, son interlocutrice a de nouveau transmis les fichiers dans lesquels figurait l'onglet « Passeports invalidés », inchangé par rapport à la première transmission. Le lendemain, 21 novembre, le commandant Biscahie a informé, par courriel, à 13h16, la cheffe du bureau des visas et des passeports diplomatiques, Mme Le Bohec, qu'il lui laissait le soin de saisir elle-même la DGPN sur une boîte fonctionnelle spécifique dont il lui communiquait l'adresse, ce à quoi elle répondait, à 13 h 51, qu'elle transmettrait sa demande sur cette boîte le 30 novembre au plus tard.
La réactivité de cet agent a donc été quasi instantanée. Le 19 décembre, près d'un mois après son échange avec le commandant Biscahie, Mme Le Bohec transmettait à la DGPN un tableau comportant trois onglets - le premier concernant 24 passeports déclarés perdus, le second recensant 7 passeports déclarés volés, et un dernier ne concernant que les deux passeports détenus par M. Benalla, portant toujours la mention « à invalider » -, lui demandant de signaler ces documents sur le fichier européen, de manière à interdire les déplacements des personnes se présentant aux frontières avec ces passeports.
Mais, comme je vous l'ai expliqué, la notion d'invalidation ne figure pas dans le cadre formel de nos logiciels, d'où la difficulté. Une semaine plus tard, le 26 décembre, la DCPJ (direction centrale de la police judiciaire), prenant le contre-pied des échanges informels, a répondu que nous n'étions pas en capacité d'alimenter directement les bases internationales SIS (système d'information Schengen) et SLTD, qui répondent à des règles qui ne relèvent pas de décisions simplement françaises, par des signalements. Nous en sommes restés là.
Il y a donc bien une anomalie s'agissant de l'émission des passeports diplomatiques, anomalie ancienne que nous allons corriger. Et je ne doute pas qu'un certain nombre de personnes, ici, lorsqu'elles ont eu entre les mains des passeports diplomatiques, se sont alors trouvées dans le même régime juridique que je viens de décrire.
Concernant les ports d'arme, je vous confirme ce que je vous ai écrit et je ne dispose d'aucune nouvelle information. Sinon, je les aurais évidemment communiquées au président de votre commission.
Concernant les relations entre M. Crase et M. Makhmudov, certes le premier avait une responsabilité du fait de son engagement dans la réserve opérationnelle, mais il agit ici comme un opérateur privé et mon ministère ne contrôle pas ce type d'activité.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Monsieur le ministre, je souhaite vous poser des questions techniques sur les passeports diplomatiques et les contrôles auxquels ils donnent lieu. Pouvez-vous nous préciser, dans un premier temps, quels types de contrôles sont effectués à la frontière sur les personnes détentrices d'un passeport diplomatique ? Y a-t-il un contrôle des fichiers de police, notamment du fichier des personnes recherchées ? Le cas échéant, ces contrôles donnent-ils lieu à un enregistrement ? Est-il possible de retracer par ces enregistrements le passage d'une personne détentrice d'un passeport diplomatique à la frontière ? Au regard de ces éléments, que vous avez dû d'ores et déjà contrôler, avez-vous pris, depuis lors, les décisions permettant d'améliorer l'information des services sur les entrées et sorties du territoire français ?
M. Christophe Castaner, ministre . - J'ai indiqué tout à l'heure le processus en vigueur : le passeport, qu'il soit diplomatique ou non, est présenté au contrôle et une application, Covadis, interroge immédiatement deux fichiers, celui des personnes recherchées et le SLTD. Cette dernière base de données va consulter le fichier des objets et des véhicules volés, FOVeS, qui inclut les passeports volés ou perdus. Dans le cas qui nous intéresse, aucun des trois fichiers n'a émis d'alerte, ce qui est normal, puisque M. Benalla n'y est pas enregistré : il n'est pas une personne recherchée, il n'est pas dans le fichier international SLTD et ses passeports ne sont ni volés ni perdus. À partir du moment où l'application n'émet pas d'alerte, le fonctionnaire qui contrôle laisse la personne passer. Je vous rappelle que le cas d'invalidation n'est pas prévu dans notre dispositif.
Par ailleurs, vous voulez savoir s'il existe une base de données recensant tous les mouvements. Aujourd'hui, non ! En revanche, nous avons la possibilité, sur réquisition judiciaire, de faire certains contrôles. J'insiste sur le fait que ces contrôles se font sur réquisition judiciaire. Et heureusement ! Car si le ministre de l'intérieur ou son ministère avait la possibilité de connaître la totalité des mouvements de l'ensemble des Français qui partent à l'étranger, il me semble que cela constituerait une anomalie démocratique et le président de la commission des lois ne manquerait pas de me rappeler à l'ordre...
Il est donc bien possible de faire de telles recherches, mais uniquement sur réquisition judiciaire. Le ministre de l'intérieur ne peut pas les décider lui-même. C'est pour cette raison que je ne suis pas en mesure de vous dire si M. Benalla a utilisé son passeport tel jour à telle heure, en passant à tel guichet de contrôle. Il n'y a pas eu de demande judiciaire sur cet aspect et je ne dispose pas d'un outil de ce type.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Les choses sont claires, mais j'ai encore une interrogation. Vous nous indiquez qu'il n'est pas possible, sauf réquisition judiciaire, d'opérer des contrôles pour connaître les passages aux frontières des personnes détenant un passeport diplomatique. Or, tout à l'heure, M. le directeur de cabinet du Président de la République nous a indiqué qu'une vingtaine de passages avaient été relevés. Comment est-ce possible ?
M. Christophe Castaner, ministre . - Je ne sais pas quelle réponse le directeur de cabinet du Président vous apporterait. Les services du Quai d'Orsay ont peut-être eu le passeport de M. Benalla entre les mains. Je l'ignore, mais sachez que le ministère de l'intérieur ne dispose pas d'un tel dispositif de contrôle et l'Élysée non plus.
M. Philippe Bas , président . - Mais dans ce cas, comment procédez-vous, techniquement, en cas de réquisition judiciaire ?
M. Christophe Castaner, ministre . - Je me suis posé la même question, monsieur le président, en préparant cette audition. Si j'ai bien compris les explications qui m'ont été fournies, les recherches s'effectuent manuellement, in situ sur les lieux de passage des frontières, ordinateur par ordinateur. En l'absence de fichier central, cette procédure est extrêmement lourde, mais elle se justifie dans le cadre d'une enquête judiciaire.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Monsieur le ministre, vous étiez peut-être mieux informés que nous, mais nous avons appris hier soir seulement que M. Benalla disposait d'un passeport de service. Or il nous a été indiqué que la délivrance de tels passeports était gérée par votre ministère. Pouvez-vous nous indiquer si ce passeport de service a été demandé officiellement par les services de l'Élysée ou directement par M. Benalla ? Vous est-il apparu utile de délivrer un passeport de service à quelqu'un qui disposait par ailleurs de deux passeports diplomatiques ? Quelle était son utilité, sinon celle de collectionner les passeports ? Est-ce que ce passeport vous a été restitué, lorsqu'il a été mis fin aux fonctions de M. Benalla par un licenciement ? S'il ne l'a pas été, quelles diligences avez-vous accomplies afin qu'il le fût ?
Par ailleurs, nous avons eu le sentiment qu'à l'Élysée M. Benalla faisait partie d'un petit groupe qui avait pour objectif de repenser l'organisation de la sécurité du chef de l'État. M. Benalla a déclaré au Journal du dimanche qu'il lui semblait préférable de dissocier cette réflexion du ministère de l'intérieur, ce qui vous a sans doute étonné. Comment appréciez-vous ces éléments, qui ont été rapportés entre guillemets par la presse ?
M. Christophe Castaner, ministre . - Je vais commencer par votre dernière question, en vous disant qu'à l'instant présent, je me fiche un peu des opinions techniques de M. Benalla sur l'organisation de la sécurité du ministère de l'intérieur comme de celle de la présidence de la République. Pour tout vous dire, je n'ai pas vu passer cette remarque.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Il est vrai que vous n'étiez pas encore ministre de l'intérieur.
M. Christophe Castaner, ministre . - En tout cas, chacun est libre de s'exprimer, mais rien de tout cela n'a vocation à peser sur les décisions que je suis amené à prendre en tant que ministre de l'intérieur.
Sur la question des passeports de service qui, quant à eux, relèvent du ministère de l'intérieur, j'ai le sentiment que toute diligence a été faite par les services. M. Benalla disposait de deux passeports de service. Le premier avait été délivré le 29 août 2016, soit durant l'ancienne mandature, à une époque où M. Benalla exerçait les fonctions de chef de cabinet du délégué interministériel pour l'égalité des chances des Français d'outre-mer - une réglementation prévoit bien ce cas de figure. Il a ensuite demandé, le 18 juin 2018, un second passeport de service, qui a été émis le 28 juin 2018.
Pourquoi deux passeports ? La question a peut-être été posée tout à l'heure à M. le directeur de cabinet du Président. Pour les passeports ordinaires, il existe une doctrine, selon laquelle un second passeport peut être demandé dans certaines circonstances, soit en cas de visas incompatibles entre différents pays, soit pour des raisons professionnelles, lorsque le demandeur voyage beaucoup, car dans ce cas il faut compter sur les délais d'instruction des demandes de visas.
M. Jean-Pierre Sueur . - Cela peut éventuellement justifier deux passeports, mais pas quatre !
M. Christophe Castaner, ministre . - Les situations que je mentionne sont déjà assez rares ; en ce qui me concerne, je n'ai qu'un passeport.
Vous devez comprendre que les services du ministère de l'intérieur n'ont pas accès à la base de données du ministère des affaires étrangères et ne disposent donc pas de l'information, selon laquelle M. Benalla a deux passeports diplomatiques. Seul le requérant peut nous informer à ce sujet.
Le ministère de l'intérieur délivre chaque année environ 6 000 passeports de service et tout cela ne remonte évidemment pas au niveau du ministre - en trois mois à cette fonction, je n'ai pas vu de demande de ce type. Le ministre fait évidemment toute confiance aux services compétents. N'ayant pas connaissance du fait que M. Benalla avait deux passeports diplomatiques, le fonctionnaire qui a instruit le dossier ne s'est pas inquiété particulièrement. Monsieur le rapporteur, je suis par ailleurs prêt à partager votre commentaire sur l'utilité de disposer de quatre passeports.
En tout cas, je peux vous dire que M. Benalla a restitué le 11 janvier, par l'intermédiaire de son avocat, l'un des passeports de service. Le ministère de l'intérieur a fait toute diligence en la matière.
La règle veut que l'autorité qui a fait la demande de délivrance d'un passeport de service, donc l'employeur de la personne, a la responsabilité de récupérer le document. Cette procédure vient du fait que le ministère de l'intérieur n'a pas connaissance du fait que la personne détentrice d'un tel passeport perd le statut qui a justifié la demande initiale, quelle que soit la raison de la perte de ce statut - démission, licenciement, mutation... C'est pour cette raison que le décret de 2005 qui organise les choses prévoit qu'il revient à l'autorité administrative de rattachement qui a signé la demande de passeport de le récupérer et de le restituer au ministère de l'intérieur.
Toutefois, dans le cas de M. Benalla, le ministère de l'intérieur a, naturellement, entendu parler de sa situation professionnelle et a « débranché » dès le 30 juillet - je reprends le terme que j'ai utilisé tout à l'heure - ses deux passeports de service. Ces passeports ont donc perdu immédiatement, dès le 30 juillet, leur capacité d'usage ; c'est quelque chose que nous sommes en état de faire. Pour autant, M. Benalla ne les avait pas restitués, il ne l'a fait, pour l'un des deux, que le 11 janvier et nous avons immédiatement envoyé une lettre en recommandé à son avocat pour que le second le soit également. Enfin, je dois dire que nous avons sollicité M. Benalla à plusieurs reprises sur ce sujet.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Vous ne m'avez pas répondu sur les conditions dans lesquelles ce passeport de service a été sollicité. Il a été question d'une lettre à en-tête du chef de cabinet, dont vous avez peut-être entendu parler, une lettre non signée et dont le chef de cabinet n'était pas informé. Cela n'a-t-il pas éveillé l'attention de votre ministère ?
M. Christophe Castaner, ministre . - Non, et pour une raison simple : c'est l'usage !
Je vais reprendre la manière dont les choses se sont passées. M. Benalla s'est adressé directement au bureau compétent du ministère pour demander un passeport de service. Ce bureau a réagi, en expliquant qu'il n'était pas possible de le délivrer sans une demande de l'autorité hiérarchique du bénéficiaire. Quelques jours après, M. Benalla a remis une lettre qui était un « original signé », c'est un type de lettre qui est utilisé dans les transmissions administratives, mais dans les faits une telle lettre n'est pas signée. Je participais aux questions d'actualité au Gouvernement lors de l'audition de M. Strzoda, mais j'ai entendu sa réponse à ce sujet.
Monsieur le président, je me propose de vous remettre cette lettre, sous réserve des éléments que nous avons évoqués au début de cette audition en ce qui concerne le champ de l'instruction judiciaire en cours. C'est une lettre à en-tête de la présidence de la République, qui demande la délivrance d'un second passeport de service, en en précisant les motivations - déplacements réguliers à l'étranger et raisons impérieuses de service, une formule classique en la matière. Cette lettre est revêtue de la mention « original signé », elle n'est pas, je le répète, réellement signée, ce qui est également traditionnel dans ce type de circonstances. À ce moment-là, pour le bureau compétent du ministère de l'intérieur, le dossier est complet, puisqu'il inclut bien la demande du chef de service du bénéficiaire du passeport. Tous ces éléments sont insérés dans le dossier de la demande, dossier qui sera d'ailleurs intégralement transmis à la justice, si elle l'estime nécessaire.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Vous avez donc eu copie de la lettre avec la mention « original signé », donc sans signature, mais l'original effectivement signé est-il arrivé dans le dossier ?
M. Christophe Castaner, ministre . - Madame la rapporteur, ce n'est pas le ministre qui a copie de ce type de document, c'est le ministère... Ensuite, l'expression « original signé » est un terme administratif, qui signifie que la transmission est effectuée, mais l'original n'est pas lui-même transmis. Tels sont les usages administratifs dans les relations entre services.
Je voudrais enfin préciser que nous avons transmis ce document à Patrick Strzoda, qui a évoqué un soupçon de faux à la fin du mois de décembre, ce qui a conduit à la saisine qu'il a indiquée tout à l'heure. Le ministère de l'intérieur ne pouvait pas soupçonner un faux. L'Élysée nous a alertés, si bien que nous avons procédé à des recherches dans le dossier. C'est ainsi qu'est apparu ce particularisme administratif - c'est un euphémisme...
M. François Grosdidier . - Monsieur le ministre, nous avons reçu votre prédécesseur, ainsi que les responsables de l'Élysée. Au départ, ils nous ont tous dit que M. Benalla s'occupait de tout - organisation des déplacements, protocole... -, mais pas de sécurité. Votre prédécesseur, qui n'avait par ailleurs rien vu ni entendu et ne pouvait rien dire, nous a quand même dit qu'il avait parfois croisé M. Benalla et qu'il l'avait pris pour un policier...
Même si vous n'êtes entré en fonction que depuis quelques mois, vous avez dû prendre le temps de vous approprier les dossiers, peut-être plus que votre prédécesseur, et de connaître les personnes qui vous entourent... À votre connaissance, quel rôle jouait M. Benalla en matière de sécurité ? Paraît-il lié, encore aujourd'hui, à des membres des forces de sécurité intérieure qui dépendent de votre ministère ou à certaines autorités, y compris le Président de la République ? À votre connaissance, a-t-il livré ses propres analyses à l'occasion du revirement opéré autour du 8 décembre en ce qui concerne la doctrine d'emploi des forces mobiles dans les manifestations ?
Par ailleurs, vous nous avez indiqué que vous vous fichiez des avis que M. Benalla pouvait vous rendre sur les sujets de sécurité, mais est-ce que certains s'y intéressent ?
En ce qui concerne le port d'arme, je n'ai pas eu connaissance des réponses écrites qui ont été adressées, mais je n'ai pas bien compris ce qui s'est passé. On nous dit que M. Benalla ne s'occupait pas de sécurité ; pourtant, le préfet de police lui a attribué une autorisation de port d'arme. Vous paraît-il concevable, en tant que ministre de l'intérieur, que la préfecture de police puisse octroyer une autorisation de port d'arme à une personne contre l'avis du GSPR ? Le directeur de cabinet du Président de la République nous explique que c'était pour renforcer la sécurité du Président lors des déplacements privés, alors que le GSPR nous dit de son côté qu'il est présent tout le temps, 24 heures sur 24, 365 jours par an. Dans ces conditions, est-il cohérent d'autoriser une tierce personne à porter une arme ?
Sur l'histoire des passeports, je n'ai pas tout compris non plus... Comment peut-on utiliser vingt fois un passeport qu'on est censé ne plus avoir ? Vous dites qu'il n'y avait pas de fondement légal pour empêcher son utilisation. Est-il possible d'utiliser un passeport diplomatique, quand le bénéficiaire n'exerce plus les fonctions qui lui ont permis d'obtenir ce passeport ? En outre, puisqu'un passeport de service a été obtenu au moyen d'un faux, ne s'agit-il pas d'un motif, autant que dans le cas d'un vol, pour annuler ce passeport ?
M. Philippe Bas , président . - Je me permets, monsieur le ministre, de prolonger cette question. Pourquoi vos collaborateurs ou vous-même n'avez-vous pas fait un signalement au parquet au titre de l'article 40 du code de procédure pénale, une fois que vous avez eu la conviction qu'un faux avait été commis pour obtenir le passeport de service ?
M. Jean-Yves Leconte . - Depuis le mois de juillet dernier, tous les Français connaissent M. Benalla. Dans ces conditions, ne trouvez-vous pas étrange, monsieur le ministre, qu'il ait pu passer la frontière avec un passeport diplomatique vingt fois depuis lors, sans que vous ayez reçu d'informations de la part de la police aux frontières ? J'imagine que les policiers l'ont reconnu ! Quelles conclusions en tirez-vous sur le fonctionnement de la PAF ?
Par ailleurs, je suis un peu abasourdi de ce que vous nous dites sur les passeports diplomatiques et sur le fait que, si le détenteur du passeport n'est plus en position légitime de le détenir, on ne peut pas l'annuler. Dans ces conditions, estimez-vous que ces passeports sont à ce jour suffisamment sécurisés ?
M. Philippe Bas , président . - L'annuler ou, à tout le moins, donner des consignes pour que son détenteur ne puisse pas s'en servir pour franchir la frontière française !
M. Jean-Yves Leconte . - Il est tout de même très étonnant d'apprendre qu'on pourrait continuer d'utiliser des passeports diplomatiques qui ne sont plus valables et qu'on ne sait pas les annuler.
M. Philippe Bas , président . - Monsieur le ministre, je retire ma dernière question, puisque le directeur de cabinet du Président de la République nous a indiqué tout à l'heure qu'il avait fait aujourd'hui même un signalement au parquet.
Mme Esther Benbassa . - Monsieur le ministre, il y aurait eu des échanges de messages via Telegram entre Emmanuel Macron et Alexandre Benalla, le dernier message datant du 24 décembre 2018 selon les propos tenus par M. Benalla lui-même. Selon vous, quelle a été la teneur de ces échanges ? Il s'agit tout de même d'un téléphone crypté...
M. Éric Kerrouche . - Si j'ai bien compris, le ministère de l'intérieur était informé des passeports diplomatiques de M. Benalla depuis le 20 juillet à la suite de sa garde à vue. Or, selon un hebdomadaire, il y aurait eu un rapport de la police aux frontières le 19 septembre sur le déplacement de M. Benalla à Londres avec un autre voyageur ; ce déplacement aurait fait l'objet d'un signalement à la DGPN. Quelle pièce d'identité a pu déclencher ce « repérage » pour un déplacement à Londres et pourquoi le même « repérage » n'est pas possible pour un déplacement en Afrique ? Je voudrais simplement comprendre ce qui se passe exactement.
Mme Brigitte Lherbier . - Monsieur le ministre, je suis tout de même profondément surprise des dysfonctionnements qui sont apparus pour le contrôle des passeports, notamment dans les relations entre le ministère de l'intérieur et celui des affaires étrangères. Je suis absolument certaine que vous allez y remédier, mais je rappelle que nous sommes dans une période de risque terroriste et de tension à nos frontières. Abstraction faite du problème spécifique de M. Benalla, tout cela me semble un peu fragile !
M. Christophe Castaner, ministre . - Monsieur le président, même si vous avez retiré votre question, je souhaite revenir sur l'utilisation de l'article 40 du code de procédure pénale : il ne peut être question de mettre en oeuvre cette procédure si vous n'avez aucun doute sur la validité du document qui vous a été transmis ! Le fonctionnaire qui a instruit ce dossier l'a donc fait correctement.
En ce qui concerne le rôle de M. Benalla quand il était collaborateur à la présidence de la République, monsieur le sénateur Grosdidier, je ne suis ministre de l'intérieur que depuis trois mois et je n'ai jamais eu connaissance, depuis lors, d'une quelconque activité ou d'un quelconque rapport.
Le 8 décembre, nous avons effectivement changé la doctrine d'emploi des forces de l'ordre, j'ai d'ailleurs eu l'occasion d'évoquer ce sujet devant votre commission. Ni mes collaborateurs, ni le secrétaire d'État Laurent Nunez, ni moi-même n'avons échangé avec M. Benalla sur cette question.
Concernant la décision de la préfecture de police d'accorder un permis de port d'arme, il n'est pas nécessaire de rappeler que le ministère de l'intérieur avait été sollicité en ce sens plusieurs fois par M. Benalla au long de sa - jeune - carrière et que le ministère, sous des ministres différents, avait systématiquement refusé. Le préfet de police a-t-il bien fait de délivrer ce permis de port d'arme ? J'ai en tête les propos que le préfet de police lui-même a tenus devant vous : il vous avait indiqué que cette décision prêtait à interrogation. D'ailleurs, il l'a abrogée dans la foulée, en considérant que cet acte était irrégulier, et je vous confirme les propos du préfet de police. Cette décision de retrait a été prise avant mon entrée en fonction, elle me suffit et je n'ai pas regardé le dossier depuis lors.
En ce qui concerne les passeports diplomatiques, je vous ai dit que nous n'en avons pas connaissance quand ils sont utilisés. Heureusement ! Monsieur le sénateur Leconte, les policiers qui voient passer un individu, même s'il est connu, ne font pas remonter l'information au ministère de l'intérieur. Les policiers travaillent dans un cadre procédural précis et agissent en cas d'alerte, par exemple si la personne qui tente de passer la frontière est inscrite au fichier des personnes recherchées. Si M. Benalla avait été inscrit dans un fichier ou interdit de sortir du territoire, ce qui n'est pas le cas, le ministère en aurait été averti.
En pratique, M. Benalla avait un document qui restait légal, mais qu'il n'avait plus le droit d'utiliser. Je rappelle d'ailleurs à l'ensemble des personnes qui sont détentrices d'un passeport diplomatique qu'elles doivent le rendre, lorsque le motif qui a permis sa délivrance n'est plus valide. En tant que ministre, j'ai été doté d'un passeport diplomatique et j'ai signé un papier dans lequel je m'engageais à le restituer. Vous voyez bien la difficulté : le document conserve un caractère légal, en particulier pour l'agent qui le contrôle, mais son détenteur n'a plus le droit de l'utiliser.
M. Benalla n'était pas sous surveillance, il s'est déplacé, il est libre de le faire et le ministère de l'intérieur n'a pas vocation à enregistrer ses sorties du territoire et à en faire état au ministre !
Les passeports diplomatiques ont-ils une sécurité suffisante ? Je laisserai Jean-Yves Le Drian vous répondre sur ce point, mais il est vrai que nombre de ces passeports ne sont pas biométriques et nous devons effectivement renforcer leur sécurité. Pour autant, les raisons de délivrance d'un passeport diplomatique sont limitées et il me semble que les risques qu'une personne qui en détient un commette un acte terroriste sont faibles.
Y a-t-il eu un échange de messages entre M. Macron et M. Benalla ? Je n'en sais strictement rien, madame la sénatrice Benbassa, et je n'ai pas vocation à le savoir ! J'ai lu dans la presse un certain nombre de choses, comme vous. On dit souvent que le ministre de l'intérieur est le « premier flic de France » et qu'il est très bien informé, mais vous n'imaginez pas le nombre d'informations dont il ne dispose pas...
En ce qui concerne la question de M. le sénateur Kerrouche, le ministère a eu le 8 novembre, je l'ai dit tout à l'heure, une liste de vingt-cinq références de passeports diplomatiques, dont deux concernaient M. Benalla, et les échanges entre nos ministères ont alors commencé.
Je n'ai pas connaissance de l'information selon laquelle la PAF aurait fait un rapport sur un déplacement de M. Benalla à Londres. Je n'ai reçu aucune précision à ce sujet le concernant. En revanche, j'aurais eu une telle information si M. Benalla avait été accompagné d'une personne inscrite dans l'un des fichiers qui sont consultés au moment d'un passage de frontière. Je crois avoir lu des éléments à ce sujet dans la presse, mais je ne veux pas me prononcer, parce que je n'ai pas davantage d'informations que cet article.
Si une personne est inscrite dans un fichier du type fichier S, une alerte apparaît au moment du contrôle du passage de la frontière et l'information remonte, uniquement dans ce cadre, au ministère, en tout cas pas au ministre. Nous avons donc un dispositif sécurisé en cas d'alarme, mais nous avons aussi une fragilité fonctionnelle sur les passeports diplomatiques qu'il nous faudra résoudre.
Mme Catherine Troendlé . - Monsieur le ministre, vous disiez que le système fonctionne à partir du moment où un passeport est signalé volé ou perdu. Dans la mesure où M. Benalla n'avait plus le droit d'utiliser ses passeports diplomatiques, une autorité, par exemple à l'Élysée, n'aurait-elle pas pu porter plainte ? J'imagine que ne pas restituer de tels passeports pourrait s'apparenter à un vol, même si ce n'est pas la définition juridique stricte. N'aurait-il pas été possible d'agir par ce biais ?
M. Philippe Bas , président . - Vous voyez, monsieur le ministre, que nous pouvons être amenés à formuler des propositions à partir des éléments que nous constatons.
M. Christophe Castaner, ministre . - Concrètement, il faut que nous créions une troisième catégorie. Il faut même que nous allions plus loin, en faisant converger les fichiers du ministère des affaires étrangères et ceux du ministère de l'intérieur. Jean-Yves Le Drian et moi-même avons conscience de cette anomalie et nous allons y travailler.
Au-delà, il faut bien comprendre que les instructions qui organisent les procédures de retrait doivent s'appuyer sur des actes ayant une dimension judiciaire. Il existe une différence entre une plainte déposée pour perte ou vol de passeport - c'est cette plainte qui permet d'ailleurs de demander le renouvellement des papiers d'identité - et la déclaration d'une autorité hiérarchique à propos de l'un de ses collaborateurs. Une telle déclaration est d'ordre privé et le ministère de l'intérieur n'a pas vocation à en connaître. C'est ce qui explique la difficulté que nous avons rencontrée. Il s'agit, je le dis clairement, d'un dysfonctionnement qu'il nous faut corriger.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Monsieur le ministre, je me permets d'insister sur le point soulevé par Mme Troendlé. Lorsqu'un salarié quitte ses fonctions et qu'il ne restitue pas ses moyens de travail, son employeur peut parfaitement saisir la juridiction compétente pour les lui faire restituer sous astreinte. Je n'imagine pas qu'un collaborateur de l'Élysée puisse partir, sans qu'une procédure adéquate soit mise en oeuvre... Personne n'y a songé ? Cela aurait donné un fondement légal pour obtenir la restitution, si une décision de justice était prise.
M. Christophe Castaner, ministre . - Nous y avons évidemment songé et je vous ai fait état de l'ensemble des échanges techniques qui ont eu lieu. En outre, comme je le disais, nous avons la possibilité de « forcer la machine » et, aujourd'hui, les passeports diplomatiques de M. Benalla ne sont plus en fonction - s'il ne les a pas rendus, il ne pourrait les utiliser que si le contrôle était uniquement visuel. Nous connaissons un dysfonctionnement dans les échanges au niveau technique, mais il sera réglé, je n'en doute pas.
Il faut aussi que vous ayez en tête que, même si M. Benalla est un sujet important qui justifie que deux ministres soient convoqués devant vous cet après- midi, la gestion des passeports diplomatiques ne relève ni de vous ni de nous, ce qui n'est péjoratif pour personne ! Même s'il y avait une alerte, telle que celles que je vous ai indiquées, elle ne remonterait pas au ministre. En outre, je suis certain, même si je ne dispose pas de statistique à ce sujet, que le nombre de passeports de service ou diplomatiques non restitués à l'issue de la mission qui en avait justifié la délivrance est élevé - c'est sûrement le cas pour d'anciens ministres. Pour autant, nous avons maintenant identifié le problème et Jean-Yves Le Drian et moi-même ferons en sorte qu'il n'y ait plus de trou dans la raquette !
M. Philippe Bas , président . - Monsieur le ministre, vous aurez compris le sens de nos questions. Compte tenu de l'extrême sensibilité de tout ce qui tourne autour du licenciement de M. Benalla pour faute, nous ne nous étonnons pas tant du fait que les fonctionnaires n'aient pas donné l'alerte, mais plutôt du fait que les autorités gouvernementales n'aient pas mis ces mêmes fonctionnaires en situation de vigilance sur l'utilisation de tels documents de voyage pour franchir la frontière. J'entends bien vos explications, mais nous relayons des questions qui peuvent apparaître comme du bon sens. Il est étonnant que, dans l'application de la sanction, il n'y ait pas eu des vérifications systématiques, des réactions rapides et des diligences efficaces pour obtenir une restitution plus rapide et empêcher l'usage de ces documents.
M. François-Noël Buffet . - M. Strzoda nous a indiqué tout à l'heure que M. Benalla avait utilisé à vingt reprises, au moins, les passeports qu'il avait conservés illégalement pour se déplacer entre le 1 er août et le 31 décembre dernier. Savez-vous où il est allé et pour quelles raisons il a fait ces voyages ? Si vous ne le savez pas, avez-vous diligenté des instructions aux services pour qu'ils puissent déterminer la destination et les motifs de ces déplacements.
M. Christophe Castaner, ministre . - Monsieur le président, en ce qui concerne les titres émis par le ministère de l'intérieur, nous avons fait mieux que des vérifications systématiques et des interventions rapides ! Je vous ai rappelé que les deux passeports de service émis par le ministère ont été, l'un et l'autre, annulés. Les procédures ont été mises en oeuvre, nous avons immédiatement saisi les services de l'Élysée pour qu'ils réclament la restitution des passeports et, dès le 30 juillet, ils n'étaient plus opérants. Le ministère a estimé que l'Élysée était un employeur comme un autre et les procédures ont été suivies dans cet esprit.
En ce qui concerne les passeports diplomatiques, il n'appartient pas au ministère de l'intérieur de les gérer et nous ne sommes pas en mesure de le faire.
Avons-nous diligenté une enquête sur les voyages de M. Benalla ? Non, parce que la police judiciaire n'est pas sous l'autorité du ministre de l'intérieur, elle est sous l'autorité de la justice ! Une saisine judiciaire est donc nécessaire. Si j'avais demandé aux services d'essayer d'identifier les déplacements, j'aurais tout simplement enfreint toutes les règles de droit qui organisent le travail de la police dans ce pays, en particulier les lois votées par le Parlement. La réponse est donc négative ! Je vous rappelle qu'il n'est pas interdit à M. Benalla de sortir du territoire, il est libre de voyager. Le ministère de l'intérieur n'a pas vocation à connaître les déplacements des gens qui sont libres de voyager. Heureusement !
M. Philippe Bas , président . - Si, monsieur le ministre, vous aviez eu des raisons, indépendamment de toute enquête conduite par la police judiciaire, de mettre en oeuvre des mesures de police administrative pour surveiller les activités de M. Benalla, vous ne nous le diriez peut-être pas...
M. Christophe Castaner, ministre . - À vous oui, monsieur le président, au titre des fonctions que vous exercez par ailleurs en la matière, mais je pourrais parfaitement vous dire que ce n'est pas le cas.
M. Philippe Bas . - Je vous remercie.
Audition de M. Jean-Yves Le
Drian,
ministre de l'Europe et des affaires
étrangères
(Mercredi 16 janvier 2019)
M. Philippe Bas , président . - Nous recevons maintenant M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères.
Monsieur le ministre, je veux revenir brièvement sur ce que j'ai dit en commençant cette série d'auditions. Nous avons avant tout besoin que la lumière soit faite sur un certain nombre de questions, dont les conditions dans lesquelles l'utilisation de passeports diplomatiques, qui étaient l'attribut d'une fonction à laquelle il a été mis fin le 24 juillet dernier, n'a pas pu être empêchée pendant de longs mois. Nous avons même appris tout à l'heure du directeur de cabinet du Président de la République que ces passeports diplomatiques auraient été utilisés à vingt reprises depuis le 1 er août. C'est évidemment un sujet de préoccupation, mais nous avons d'autres interrogations. Ainsi, nous avons besoin, pour mener à bien notre tâche sur l'exécution d'une sanction qui a été infligée à M. Benalla au mois de juillet dernier, d'éclaircissements sur les modalités de fonctionnement de l'État.
Nous veillerons bien entendu, comme nous en avons l'habitude, à respecter le mandat qui nous a été donné par le Sénat. J'ai indiqué à mes collègues que ce qui touche à la diplomatie de la France et à la nécessité de préserver nos intérêts fondamentaux face au risque de divulgation d'informations confidentielles au bénéfice d'intérêts étrangers n'est pas de notre ressort, même si, comme tous nos concitoyens, nous avons le droit d'être préoccupés des raisons pour lesquelles des chefs d'État étrangers et des hommes d'affaires eux aussi étrangers paraissent porter un tel intérêt à M. Benalla, alors que, somme toute, sa fonction à l'Élysée était une fonction de rang apparemment modeste.
Notre mandat porte sur les questions de sécurité au sens le plus strict du terme et sur les sanctions aux manquements observés, dont font partie le licenciement de M. Benalla et avec lui le retrait effectif de tous les attributs de son ancienne fonction.
Nous veillons également - cela va de soi, mais il est toujours préférable de dire expressément ce genre de choses -, à ne pas interférer avec le fonctionnement de la justice, ce qui ne nous empêche pas de poser des questions auxquelles la justice peut elle-même s'intéresser, car nous poursuivons un tout autre objectif. La justice recherche des infractions et, le cas échéant, les sanctionne ; nous cherchons à connaître les modalités de fonctionnement de l'État pour faire la vérité et formuler des propositions d'amélioration à même de prévenir des dysfonctionnements que nous pourrions constater.
C'est la raison pour laquelle le coeur de cette audition portera non pas sur l'utilisation des passeports diplomatiques de M. Benalla à l'étranger et les rencontres qu'il a pu avoir lors de ses déplacements, mais sur les diligences qui ont été accomplies par les services gouvernementaux pour que le retrait de ces passeports soit effectif.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-Yves Le Drian prête serment.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères . - Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, j'ai déjà pu vous apporter des réponses écrites le 2 août dernier, puis le 7 janvier, et je souhaite revenir en complément sur quelques points.
En ce qui concerne la délivrance des passeports, comme je vous l'ai indiqué par mon courrier du 2 août, M. Benalla était en possession de deux passeports diplomatiques délivrés par mon département, au moment où il a été mis fin à ses fonctions en juillet 2018. Le premier de ces passeports, valable jusqu'au 19 septembre 2022, avait été délivré le 20 septembre 2017 et le second, valable pour la même période, avait été délivré le 24 mai 2018 - ce second passeport prenait la suite d'un précédent qui datait de juin 2017 et qui était parvenu à échéance.
Comme vous le savez, et je vous ai adressé à cet égard un tableau, il est relativement classique que des membres du cabinet du Président de la République, comme d'autres personnes, bénéficient de deux passeports, dès lors que leurs fonctions les conduisent à effectuer régulièrement des missions à l'étranger. Cela permet de disposer en permanence au moins d'un passeport, pendant que le second est en attente d'obtention d'un visa. C'est quelque chose de très fréquent.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Pour deux passeports, mais pas pour quatre !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Je ne suis responsable que des deux passeports diplomatiques !
Je mentionnerai aussi les difficultés qui peuvent exister dans certains cas, quand on veut entrer dans un pays, alors que son passeport contient un visa ou un tampon d'un autre pays. Il est donc assez courant de disposer de deux passeports, cela facilite l'exercice des missions de leur détenteur. Il n'y a donc pas eu, en la matière, de passe-droit particulier à l'égard de M. Benalla. Il va de soi que mes services ignoraient le 24 mai 2018, lorsque l'un des passeports a été reconduit, que M. Benalla avait été suspendu de certaines de ses fonctions.
Ensuite, quelles ont été les démarches conduites par mon ministère pour obtenir la restitution des passeports détenus à la fin de juillet 2018 ? J'ai déjà abordé cette question dans les réponses écrites que je vous ai fait parvenir. Je rappelle tout d'abord que, selon l'usage, M. Benalla a signé un engagement de restitution de ses passeports dès le terme de sa mission. Le plus récent de ces engagements est daté du 23 mai 2018, au moment du renouvellement de son passeport.
Dès le 26 juillet 2018, soit cinq jours avant la fin officielle de ses fonctions, le bureau des visas du ministère a adressé à M. Benalla, par lettre recommandée avec accusé de réception, une demande de restitution de ses passeports. Nous avons envoyé deux lettres recommandées, l'une adressée en Île-de-France, l'autre dans l'Eure. Ce second courrier a été réceptionné par un mandataire de M. Benalla le 6 août.
En l'absence de réponse et de restitution, une nouvelle lettre, dans les mêmes formes, lui a été adressée le 10 septembre, soit environ un mois après le premier envoi. Cette lettre n'a pas été retirée et a été renvoyée par la poste.
Je voudrais aussi vous faire part du fait qu'à ma connaissance une telle procédure de demande de restitution et d'invalidation d'un passeport n'a pas de précédent dans notre histoire diplomatique récente. Généralement, les détenteurs de passeports diplomatiques s'en tiennent aux engagements qu'ils ont souscrits par écrit.
Enfin, au bout de quelques semaines, et en l'absence de toute autre information, s'est posée la question de l'invalidation de ces passeports diplomatiques. Au vu de l'absence de restitution et à la demande de la présidence de la République transmise le 15 octobre, une procédure a été enclenchée.
Je le redis, une situation justifiant une invalidation de tels documents n'avait pas de précédent. Il s'en est suivi un dialogue entre mes services et ceux du ministère de l'intérieur. Le bureau des visas et des passeports diplomatiques a notifié par écrit, le 8 novembre, la demande d'invalidation et cette demande a été reconfirmée le 19 décembre.
L'invalidation n'a pas pu être immédiatement traduite concrètement dans les systèmes d'information pour des raisons techniques, que je pourrai peut-être développer tout à l'heure et qui sont essentiellement liées à l'incompatibilité entre les bases de données du ministère des affaires étrangères et celles du ministère de l'intérieur. La technologie informatique du ministère des affaires étrangères ne pouvait pas s'articuler avec le dispositif informatique du ministère de l'intérieur. Il a donc fallu réaliser l'ensemble des procédures manuellement pour récupérer les numéros de passeport et les transmettre. Cette difficulté dans l'articulation des systèmes constitue l'un des problèmes que j'ai constatés au cours de cette période.
Par ailleurs, étant donné les déclarations contradictoires de M. Benalla, à la lecture de certains articles de presse sur l'utilisation de ses passeports et au regard de certaines informations dont je disposais, j'ai décidé, le 28 décembre, soit quatre jours après les premières informations de presse, de saisir le procureur de la République en application de l'article 40 du code de procédure pénale : j'ai ainsi demandé l'ouverture d'une information sur les agissements de M. Benalla, en tant qu'il avait détenu et utilisé des passeports diplomatiques au-delà du terme de sa mission.
Enfin, le 3 janvier, à ma demande, le bureau des visas et des passeports a saisi les avocats de M. Benalla d'une nouvelle demande écrite de restitution des passeports qu'il avait reconnu détenir dans ses déclarations à la presse. Ces passeports ont été remis le 9 janvier par les avocats de M. Benalla à la police judiciaire et sont désormais entre les mains de l'autorité judiciaire.
Je voudrais maintenant parler de l'utilisation des passeports. Ce n'est que le 24 décembre, dans un article documenté paru dans le journal Le Monde , que j'ai appris l'utilisation faite de ses passeports par M. Benalla dans ses déplacements à l'étranger, en l'espèce dans le cas du Tchad. Jusqu'alors, aucune information ne nous était remontée. Au demeurant, contrairement aux déclarations de l'intéressé, l'utilisation d'un passeport diplomatique n'est en aucun cas signalée aux services du ministère ou aux ambassades. Nous avons obtenu confirmation du passage au Tchad de M. Benalla le 26 décembre.
Depuis lors, des éléments concordants nous laissent à penser que M. Benalla a utilisé ses passeports diplomatiques à de nombreuses reprises après son licenciement, et cela dès le mois d'août. Il appartiendra à l'autorité judiciaire que j'ai saisie de se prononcer sur ce manquement à la réglementation.
Concernant la gestion des passeports diplomatiques, je voudrais redire que le passeport diplomatique n'est qu'un titre de voyage destiné à simplifier les déplacements de son titulaire, en particulier aux contrôles frontaliers, quand il est chargé d'une mission qui justifie ces facilités.
En aucun cas, la détention d'un tel passeport ne confère à son porteur une immunité quelconque devant les juridictions. Seuls les agents dotés d'un statut diplomatique en raison des fonctions qu'ils occupent de façon pérenne ou ponctuelle peuvent se voir reconnaître ce qu'on appelle l'immunité diplomatique au titre des conventions de Vienne, mais sûrement pas le passeport diplomatique. Les documents dont nous parlons ne donnent donc aucun droit, simplement de la facilité et de la courtoisie.
Pour autant, compte tenu des difficultés que nous avons rencontrées pour assurer les bonnes connexions entre les fichiers du ministère des affaires étrangères et ceux du ministère de l'intérieur pour un cas qui ne s'était jamais présenté jusqu'à présent, j'ai demandé que l'inspection de mon ministère prépare un rapport sur les procédures relatives aux passeports diplomatiques et surtout sur le fonctionnement des systèmes d'information. Ce rapport m'a été communiqué le 15 janvier, j'ai l'intention d'en appliquer toutes les recommandations et, bien évidemment, je suis tout à fait disposé à vous le transmettre. C'est un document qui permettra d'éviter certaines lenteurs qui ont pu être constatées du fait du caractère totalement nouveau de cette situation et en raison des difficultés d'interconnexion des différents dispositifs informatiques. Il faut aussi noter que le système informatique du ministère des affaires étrangères est relativement ancien et il faudra donc y apporter des modifications, de même que prévoir son interconnexion avec celui du ministère de l'intérieur.
Ces difficultés n'ont pas empêché la poursuite de la procédure, à laquelle nous avons veillé très attentivement pendant toute la durée de cette affaire jusqu'à l'invalidation de ces passeports, puis leur restitution.
M. Philippe Bas , président . - Je vous remercie, monsieur le ministre. Nous souhaitons bien entendu recevoir le rapport dont vous nous avez proposé la communication et qui facilitera notre réflexion sur les améliorations à apporter au fonctionnement du système des passeports diplomatiques.
Au fond, nous nous demandons comment il est possible, après la tempête provoquée par cette affaire Benalla, que seul un pilotage aussi peu ferme fût mis en oeuvre. Une première lettre recommandée n'a pas eu d'effet. Une deuxième n'est même pas retirée. Il faut ensuite attendre le 8 novembre pour que le ministère de l'intérieur soit saisi et il semble qu'il y ait alors des discussions, assez longues, entre les bureaux de la Place Beauvau et ceux du Quai d'Orsay. On constate finalement qu'aucune consigne n'est donnée à la police aux frontières pour que l'utilisation, illégale, d'un passeport diplomatique à la sortie du territoire soit empêchée.
Autant on comprend très bien qu'un citoyen français qui franchit les contrôles de la police aux frontières pour se déplacer avec son passeport, comme tout un chacun, ne puisse pas être intercepté, s'il n'est pas poursuivi par la justice, par exemple ; autant il nous paraît difficile de comprendre que des dispositions n'aient pu été prises beaucoup plus tôt pour empêcher, à tout le moins à la sortie du territoire, l'utilisation d'un passeport diplomatique.
Je rappelle que la commission des lois du Sénat avait posé la question lors de ses auditions de l'été. Par conséquent, ce sujet n'était pas resté dans l'ombre, il avait au contraire été mis sur la table publiquement. Il est tout de même surprenant, dans ce type de cas, d'arriver au résultat que nous constatons tous. Il a fallu attendre de nouvelles informations de presse révélant l'usage abusif du passeport pour que de nouvelles initiatives soient prises. C'est la première question que je souhaite vous poser, monsieur le ministre. Êtes-vous convaincu - je suppose que vous l'êtes, mais nous le sommes moins - que toutes les diligences ont été faites pour empêcher l'usage de ce passeport qui n'était pas restitué malgré vos demandes ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Deux phénomènes concomitants sont intervenus. Dès le licenciement de l'intéressé connu, j'ai demandé l'application de ce qu'il avait lui-même signé : la restitution du passeport diplomatique lorsque la mission qui a motivé sa délivrance est interrompue. J'ai même engagé cette procédure quelques jours avant que le licenciement ne soit effectif, au moment où nous savions que la décision avait été prise. C'était la première démarche qu'il convenait de faire. Après le mois d'août et dans un délai de réponse qui me paraissait convenable, j'ai réitéré ma demande auprès de l'intéressé, qui n'a pas répondu.
À partir de ce moment-là, nous sommes rentrés dans la logique de la procédure d'invalidation qui, comme je l'ai dit dans mon propos introductif, n'a jamais eu lieu. C'est la première fois qu'une décision d'annulation de passeport est prise. Mais au fond, la véritable question est d'empêcher l'usage d'un tel passeport. À la demande du cabinet du Président de la République, nous avons engagé des discussions avec le ministère de l'intérieur pour procéder à l'invalidation du passeport à partir du 16, ou plutôt le 15 octobre, date à laquelle nous avons reçu une lettre du directeur de cabinet du Président de la République. Il y a eu des échanges internes qui étaient rendus compliqués par le fait que l'articulation entre les deux outils informatiques, comme je l'ai dit, était mauvaise. L'invalidation ne suffit pas en elle-même, il faut surtout que la police aux frontières en soit informée. Les échanges internes que je viens de mentionner ont abouti, le 8 novembre, à une démarche de ma part pour demander l'invalidation au ministère de l'intérieur.
Je le redis, divers échanges ont eu lieu entre les services par mail, à la fois parce que la situation était nouvelle et parce qu'il n'y avait pas d'interconnexion et de lien technique direct entre l'outil informatique du ministère des affaires étrangères et celui de l'Agence nationale des titres sécurisés. Il a fallu agir autrement. C'est pourquoi le ministère de l'intérieur nous a demandé des informations supplémentaires qui ont abouti à une deuxième demande d'invalidation, qui lui a été adressée par nos services le 19 décembre. L'invalidation a alors été transmise à l'ensemble des services concernés, c'est-à-dire aux services nationaux et aux différentes bases de données internationales - Schengen, Interpol et le fichier des documents volés.
Votre question en appelle une autre. À partir du moment où j'ai eu la conviction que l'intéressé avait utilisé son passeport diplomatique pour se rendre à l'étranger, j'ai estimé qu'il était dans une situation illégale et j'ai saisi le procureur. J'ai eu cette conviction au moment où j'ai appris le voyage au Tchad de l'intéressé, c'est-à-dire le 24 décembre. En recoupant des informations, j'ai eu la certitude que l'intéressé avait, lors de son déplacement au Tchad, utilisé son passeport diplomatique. À partir du moment où j'avais cette certitude, j'ai saisi le procureur de la République.
M. Philippe Bas , président . - La saisine du procureur de la République permet de poursuivre l'utilisateur d'un passeport diplomatique auquel il n'a pas droit, mais elle ne permet pas, dans la période qui précède la restitution du passeport, de faire échec, par une mesure de police, à l'utilisation de ce passeport, par ailleurs considérée comme illégale par l'autorité qui utilise l'article 40 du code de procédure pénale. Ce qui manque dans les diligences accomplies, c'est une demande adressée soit par vous-même, soit par la présidence de la République, au ministre de l'intérieur pour faire en sorte que ce passeport soit intercepté, s'il est utilisé à la sortie du territoire national.
Le directeur de cabinet du Président de la République nous a révélé tout à l'heure que le passeport diplomatique avait été utilisé vingt fois depuis le 1 er août et il nous a renvoyés vers vous pour nous apporter des précisions sur ce point. Ce qui nous intéresse, c'est de savoir si ces vingt utilisations ont été faites à partir du territoire national ou seulement à l'arrivée dans des pays étrangers. Si c'est à l'arrivée dans d'autres pays, nous ne pouvons pas reprocher aux autorités, tchadiennes ou autres, d'avoir accepté l'usage par un ressortissant français de son propre passeport diplomatique, mais si c'est à la sortie du territoire national, la question est d'une tout autre nature. Comment avez-vous eu l'information que vingt voyages avaient eu lieu ? Est-ce une information qui provient de la police, des services de renseignement, des postes diplomatiques ? Qu'est-ce qui permet d'affirmer qu'au cours de ces vingt voyages, un passeport diplomatique a été utilisé ? Était-ce au départ ou à l'arrivée ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Je n'ai pas compétence en matière de police, mais je peux vous donner des éléments d'information du point de vue de l'arrivée dans des pays étrangers. Le chiffre d'une vingtaine de voyages que vous évoquez me paraît tout à fait plausible. Que l'ensemble de ces voyages ait été effectué avec l'un des deux passeports diplomatiques me paraît aussi plausible.
Lorsque j'ai eu connaissance des faits relatifs au Tchad, j'ai demandé à notre poste dans ce pays de demander aux autorités tchadiennes, si elles voulaient bien nous faire savoir si M. Benalla avait utilisé son passeport diplomatique lorsqu'il est arrivé à N'Djamena. Les autorités tchadiennes ont confirmé l'utilisation d'un passeport diplomatique.
J'ai aussi interrogé un certain nombre de nos postes qui me paraissaient correspondre à des informations que je pouvais lire ici ou là, y compris des informations diffusées par M. Solomon qui se vantait que M. Benalla utilisait son passeport diplomatique.
Je note d'ailleurs que MM. Solomon et Benalla ont font preuve d'une imagination fertile, en faisant croire qu'utiliser un passeport diplomatique permettait de savoir où se trouvait son détenteur - je pense ici au déplacement de M. Benalla à Oyo au Congo-Brazaville, où il a rencontré le président Sassou Nguesso. Chacun sait que le passeport n'est pas un outil de police ou de renseignement. Si le ministre des affaires étrangères savait à chaque instant où se trouvent les titulaires d'un passeport diplomatique, ce serait tout simplement la fin de l'État de droit !
Je referme cette parenthèse et reviens à mon propos principal. À partir du moment où j'ai constaté qu'il utilisait ses passeports diplomatiques, j'ai sollicité un certain nombre de postes, ceux où M. Benalla est censé s'être rendu. Plusieurs pays m'ont répondu et confirmé l'usage d'un passeport diplomatique, parmi lesquels le Tchad et Israël. C'est à partir de ces éléments que j'en ai déduit que M. Benalla avait utilisé un passeport diplomatique pour une vingtaine de voyages, au Maroc, aux Bahamas, etc. , à des dates que l'on connaît par recoupement, grâce à ses déclarations et à celles de ses proches.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - En ce qui concerne le renouvellement du premier passeport diplomatique, la demande a été faite dans des conditions quelque peu surprenantes. En effet, elle a été formulée le 23 mai 2018, soit le lendemain du retour des quinze jours de suspension de M. Benalla, et elle a été présentée, alors même qu'il n'avait plus vocation à se déplacer à l'étranger, puisque ses supérieurs lui avaient retiré la préparation et l'organisation des déplacements officiels du Président de la République. Vous nous avez indiqué tout à l'heure que votre ministère n'était pas en mesure de connaître cet élément et je ne vous interrogerai donc pas sur ce point. J'entends ce que vous indiquez.
Cependant, cette demande présente un second caractère surprenant, puisqu'elle n'a pas été présentée par la voie hiérarchique normale, c'est-à-dire par le service du protocole de la présidence de la République. Elle l'a été par M. Benalla directement, qui n'en a manifestement pas référé à ses supérieurs. Comment se fait-il que vos services traitent cette demande sans effectuer des vérifications auprès du service du protocole ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - M. Benalla était à ce moment-là adjoint au chef de cabinet du Président de la République, chargé en particulier de la préparation et de l'organisation des voyages à l'étranger. Il était en possession d'un passeport, dont il demandait le renouvellement. Dans mon administration, personne n'est informé à ce moment-là du fait qu'il a été suspendu et qu'il n'exerce plus l'ensemble de ses fonctions précédentes.
Lors de la première attribution d'un passeport, de nombreuses données sont réunies et vérifiées concernant le demandeur, parmi lesquelles la validation par le service du protocole, lorsqu'il s'agit d'une personne travaillant à l'Élysée, et une copie du contrat de travail. Dans le cas d'un renouvellement, il est tout à fait classique que la procédure soit plus souple et le service concerné n'y a pas vu malignité. Vous avez cependant omis d'indiquer que nous avons envoyé copie de l'information au service du protocole.
M. Philippe Bas , président . - Une réaction très professionnelle !
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Je vais peut-être vous interroger sur quelque chose d'évident... Quelles sont les relations entre la présidence de la République et le ministère des affaires étrangères ?
Je vais fonder cette interrogation sur les faits suivants. Tout à l'heure, M. Strzoda nous a dit qu'il avait appris il y a quelques heures, donc très récemment, que M. Benalla avait utilisé à une vingtaine de reprises son passeport diplomatique pour se rendre dans les différents endroits que vous avez évoqués. Ce qui m'a beaucoup étonné, c'est le fait que, quand M. Benalla est arrivé au Tchad pour être reçu par le Président de la République de ce pays, quelques jours seulement avant l'arrivée pour une visite officielle du Président de la République, il semble que personne n'était informé à ce sujet. Je suppose que vous avez part aux services du Président de la République des informations que vous avez acquises auprès des postes diplomatiques que vous avez cités tout à l'heure. Pouvez-vous me le confirmer ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Monsieur le rapporteur, j'ai appris le 24 décembre le déplacement que M. Benalla a effectué au Tchad les 5 et 6 décembre. Comme tout le monde ! Je pense que le Président de la République l'a appris à peu près au même moment et je peux vous dire qu'il n'y a aucun problème de transmission d'informations.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Compte tenu de la qualité de nos services et de nos ambassades et du fait que M. Benalla a acquis une certaine notoriété, je suppose que certains services s'intéressent à son activité - c'est une hypothèse, je ne le sais pas. Dans ces conditions, vous paraît-il plausible que M. Benalla puisse être reçu par le chef de l'État, sans que personne à l'ambassade de France au Tchad ne s'en rende compte, n'en soit informé et ne vous saisisse de cette question ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - C'est une bonne question, monsieur le rapporteur. Je suis un habitué du Tchad et, si vous connaissez l'aéroport de N'Djamena, vous savez que l'atterrissage d'un avion privé de qualité ne passe pas inaperçu...
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Je voulais vous l'entendre dire...
M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Le 26 décembre, j'ai interrogé notre ambassadeur à ce sujet. Il m'a fait savoir qu'il avait été informé de ce déplacement, mais qu'il n'avait pas considéré qu'il fallait en faire rapport, estimant que cela relevait des relations entre le président Déby et un groupe de personnes, dont M. Benalla. Je lui ai fait savoir que c'était regrettable et il a reconnu que c'était une erreur d'appréciation.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Vous estimez donc, comme moi, qu'il n'est pas normal qu'il n'y ait pas eu d'information sur ce fait au plus haut niveau de l'État.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - J'estime qu'il y a eu un manque d'appréciation de la part de notre ambassadeur ; il s'en est expliqué depuis et a reconnu son erreur.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Vous nous avez fait état des diligences que vous avez menées pour que les passeports soient restitués à votre ministère, mais il faut être conscient que ce personnage se ballade avec quatre passeports, dont deux diplomatiques.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Et peut-être d'autres...
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Nous ne le savons pas en effet, mais je vais vous faire une confidence, monsieur le ministre. Nous regardons la presse chaque jour et je remarque - c'est une parenthèse - que les informations sont distillées de manière à nourrir une sorte de scénario, dont je ne connais ni l'objet ni la visée... À quoi tout cela sert-il finalement ?
Pour revenir à mes questions, vous nous avez dit que la copie de l'attribution du passeport diplomatique avait été envoyée au service du protocole de l'Élysée. Y a-t-il eu une réaction ? Il est tout de même bizarre que M. Benalla, sans passer par le service officiel du protocole de l'Élysée, demande lui-même le renouvellement de son passeport diplomatique, au moment même où il n'est plus chargé de l'organisation des voyages présidentiels, y compris à l'étranger. Et le ministre des affaires étrangères n'est pas informé de cela ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Non !
Monsieur le rapporteur, je n'ai pas à m'immiscer dans l'organisation interne de l'Élysée. Mon interlocuteur principal est le chef de cabinet du Président de la République, qui est chargé de l'organisation des déplacements et qui se faisait aider par plusieurs collaborateurs, dont M. Benalla. De ce fait, personne ne trouve à redire, lorsqu'une demande de renouvellement d'un passeport légalement attribué est déposée. C'est une procédure tout à fait classique, mais qui est toujours notifiée au service du protocole.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Il est tout de même étrange que le service du protocole qui reçoit cette notification ne fasse rien, alors qu'il ne peut pas ignorer, me semble-t-il, que M. Benalla a été déchargé de ses fonctions liées aux déplacements.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Nous le faisons en toute bonne foi, monsieur le rapporteur !
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - S'il s'avère que le service du protocole ignore que M. Benalla a été déchargé de l'organisation des déplacements, il y a un véritable manque de circulation de l'information. Peut-être a-t-on tellement voulu que cette décharge de fonction restât discrète que, finalement, ni le ministre des affaires étrangères, ni ses services, ni même le service du protocole de l'Élysée n'en ont été informés !
Enfin, j'ai tout de même l'impression que les délais ont été un peu longs entre le moment où vous vous êtes rendu compte que le passeport était indûment utilisé...
M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Le 24 décembre !
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - ... et votre saisine du procureur au titre de l'article 40 du code de procédure pénale.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Le 28 décembre...
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Nous évoquons l'article 40 depuis plusieurs mois, nous sommes donc heureux de constater que son utilisation prospère. Le 28 décembre, vous avez eu une illumination !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Monsieur le rapporteur, nous nous connaissons depuis longtemps et vous savez fort bien que je ne fonctionne pas par une quelconque et supposée illumination ! Je fonctionne sur des faits ! Je n'aurais jamais saisi le procureur de la République sur la base de l'article 40, si je n'avais pas eu connaissance de faits. Et c'est à partir du moment où notre ambassadeur au Tchad - il s'est rattrapé de son erreur initiale - me confirme que les autorités de ce pays avaient vérifié que M. Benalla avait utilisé son passeport diplomatique que je dispose de faits susceptibles de fonder une saisine.
C'est à peu près dans le même temps que j'ai eu confirmation par d'autres postes, comme je le disais tout à l'heure, que M. Benalla avait utilisé à d'autres occasions son passeport diplomatique. Les autorités israéliennes l'ont par exemple confirmé. C'est à partir de ce moment-là, et pas avant, que je m'estime fondé à recourir à l'article 40.
M. Philippe Bas , président . - Monsieur le ministre, si je comprends bien, vous vous estimez fondé à utiliser l'article 40 lorsque vous êtes certain que le passeport diplomatique de M. Benalla a été utilisé à l'étranger dans au moins deux pays. Est-ce cela ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Oui.
M. Philippe Bas , président . - Le centre de nos investigations n'est pas le même, nous voudrions comprendre comment il est possible que ce passeport soit resté entre les mains de l'intéressé et que des consignes n'aient pas été données à la police aux frontières pour le cas où il l'aurait utilisé en France. Vous vous intéressez à la fraude commise par M. Benalla, nous nous intéressons au fonctionnement de l'État. Il est normal que nous ayons deux examens de nature différente.
Vous nous avez indiqué, monsieur le ministre, que les passeports diplomatiques ont été invalidés, ce qui est manifestement une procédure nouvelle - vous l'avez dit. Pouvez-vous nous expliquer ce que signifie exactement ce terme ? Une fois que le passeport est invalidé, que se passe-t-il, matériellement, s'il est utilisé ? À quelle date cette invalidation a-t-elle été effective ? Quelles consignes ont été données aux différents services compétents à la suite de l'invalidation ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Ce ne sont pas des consignes. Comme je le disais tout à l'heure, la question n'est pas de faire un autodafé du passeport, mais de rendre son usage impossible. La difficulté résidait dans l'absence d'interconnexion entre les bases de données. Or pour permettre à la police aux frontières d'effectuer un contrôle pertinent, il fallait que, lorsque le passeport était présenté au contrôle, il entraîne l'émission d'une alarme.
M. Philippe Bas , président . - J'imagine que la police aux frontières est encadrée par des fonctionnaires qui ont une marge d'appréciation et que ce n'est pas simplement lorsque l'ordinateur émet une alarme qu'une alerte peut être donnée ! Je comprends très bien que l'ordinateur apporte une assistance aux fonctionnaires de police grâce à l'automaticité du mécanisme, mais il existe certainement d'autres moyens pour l'État de donner à ses services de police des instructions. N'aurait-il pas été possible de demander aux fonctionnaires de police de retirer ses passeports diplomatiques à M. Benalla, une personne dont la photo a été largement publiée dans le journal, s'il les utilisait ? Est-ce que l'invalidation des passeports a cette conséquence sur le fonctionnement des services de l'État ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Une fois invalidé, le passeport ne peut plus être utilisé pour voyager.
M. Philippe Bas , président . - À quelle date cette invalidation a-t-elle eu lieu ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Le 28 décembre. Depuis cette date, les passeports en question sont référencés dans les fichiers Interpol, Schengen... Ma responsabilité consistait à demander l'invalidation et c'est le ministère de l'intérieur qui contrôle les frontières. Je rappelle qu'il s'agissait d'un précédent et que les outils informatiques ne permettaient pas une telle invalidation.
M. Philippe Bas , président . - L'État n'était pas armé pour faire face à ce genre de difficulté, mais j'essaye de vous faire admettre que les ordinateurs ne sont pas les seuls outils permettant de mettre en oeuvre la police aux frontières.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - À ma connaissance, M. Benalla n'était pas recherché par la justice.
M. Philippe Bas , président . - Mais des instructions individuelles auraient pu être données en raison de l'utilisation illégale d'un passeport diplomatique.
M. Christophe-André Frassa . - Monsieur le ministre, il se trouve que, comme sénateur des Français de l'étranger, je suis titulaire d'un passeport diplomatique. Et par un heureux hasard, je dispose d'un visa pour le Tchad. Or quand on a un passeport diplomatique, obtenir un visa nécessite de fournir une note verbale. Monsieur le ministre, pourriez-vous rappeler aux membres de la commission, qui sont moins habitués que nous à voyager avec un tel document, ce qu'est une note verbale, comment elle se délivre, par qui et pour quoi faire ? Entrer au Tchad avec un passeport diplomatique nécessite un visa. Pouvez-vous me confirmer qu'il faut une note verbale pour obtenir un visa diplomatique sur un passeport diplomatique ?
M. Benalla a-t-il sollicité une ou des notes verbales auprès du bureau des visas et des passeports diplomatiques de votre ministère pour demander des visas diplomatiques ? Sinon, comment est-il entré avec son passeport diplomatique au Tchad, qui n'est pas un pays avec exemption de visa, comme l'est le Congo ? À l'instar des déclarations du directeur de cabinet du Président de la République à propos de la façon dont M. Benalla aurait obtenu un second passeport de service, pensez-vous que M. Benalla aurait pu utiliser de fausses notes verbales en vue d'obtenir de vrais visas diplomatiques ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Une partie de vos questions concerne les autorités tchadiennes et je ne vais pas répondre à leur place. En ce qui me concerne, je n'ai pas été informé d'une note verbale concernant M. Benalla et sollicitant auprès de l'ambassade du Tchad à Paris un visa pour son déplacement au Tchad. Je ne connais pas la réglementation propre à chaque pays, mais je ne suis pas certain que, pour un court séjour, un visa soit obligatoire pour le Tchad. C'est un élément à vérifier. En tout cas, je réponds non à votre question.
M. Philippe Bas , président . - Non à l'ensemble des questions, alors.
M. François Grosdidier . - Nous sommes un certain nombre à être perplexes. Il me semble qu'il y a une contradiction entre ce que nous a dit M. le ministre de l'intérieur, qui nous a expliqué qu'il était impossible d'invalider un passeport pour des raisons juridiques, et ce que vous nous dites, c'est-à-dire que la difficulté est d'ordre technique et non pas juridique. On s'interroge sur les motifs juridiques. Si quelqu'un n'est plus en fonction, son passeport diplomatique doit être supprimé ; l'argument juridique me semble clair. Et quid du passeport de service, obtenu au moyen d'un faux ? Ces questions restent ouvertes et les réponses ont été peu satisfaisantes.
Je ne peux vous interroger sur une éventuelle diplomatie parallèle menée par M. Benalla. Mais quel lien conserve-t-il avec la présidence de la République ? Donne-t-il des informations au Président de la République, par exemple sur la présence des Russes au Tchad ? Y a-t-il ou non, à votre connaissance, encore un lien ?
M. Jean-Yves Leconte . - Comme M. Frassa, je m'étonne : les notes verbales sont indispensables pour obtenir un visa sur un passeport diplomatique lorsque le pays ne pratique pas une exemption de visa. Les consulats sont sensibles à la délivrance de cette note verbale. On ne peut que s'étonner que des visas aient été accordés sans note verbale.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Je n'ai pas été soumis à une demande de note verbale sur le visa de M. Benalla lorsqu'il s'est rendu au Tchad. Je ne sais d'ailleurs pas s'il faut un visa pour le Tchad à l'occasion d'un séjour très court.
M. Philippe Bas , président . - Je vous demande au nom de la commission, dans le cadre de nos pouvoirs d'enquête, une réponse écrite de vos services d'ici la fin de la semaine, si le délai ne vous semble pas trop court.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Ce sera fait.
Mme Brigitte Lherbier . - Vous nous avez dit qu'il n'était pas possible de savoir, en amont, que M. Benalla se servait de son passeport diplomatique. A posteriori , peut-on avoir la preuve qu'il s'en servait lorsqu'il sortait de France ?
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Je n'ai pas saisi précisément en quoi consiste la procédure d'invalidation que vous avez mise en oeuvre fin décembre alors que vous nous avez précédemment expliqué qu'elle n'existait pas.
M. Philippe Bas , président . - Vous avez dit que le système informatique ne permettait pas d'empêcher le passage d'un individu avec un passeport diplomatique détenu illégalement mais aussi qu'Interpol et le fichier TES avaient été prévenus pour empêcher ce passage. Nous voudrions comprendre comment résoudre cette contradiction.
M. Jacques Bigot . - Après son licenciement, M. Benalla a trouvé très rapidement une activité d'intermédiaire grâce à un homme d'affaires. Dès lors, M. Benalla n'avait aucune interdiction de sortie du territoire et il pouvait utiliser un passeport ordinaire pour circuler. L'utilisation de passeports diplomatiques pouvait peut-être lui faciliter l'entrée dans certains pays, mais le fait de disposer d'un tel passeport et de se parer d'une fonction qu'il n'avait plus a pu lui faciliter les relations qu'il a nourries à l'international... Dans ce cas, n'y a-t-il pas un risque de mettre notre Président de la République en danger par le fait que l'un de ses anciens collaborateurs ait pu continuer à faire croire qu'il l'était encore et qu'il avait des relations particulières ?
Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Vous avez indiqué, monsieur le ministre, que notre ambassadeur au Tchad n'avait pas cru devoir faire remonter au ministère l'information concernant la visite les 5 et 6 décembre de M. Benalla. Avez-vous interrogé d'autres ambassadeurs dans d'autres pays qui n'auraient pas eu l'idée de faire remonter la présence de M. Benalla sur leur territoire ? Vous avez indiqué que vous aviez fait usage de l'article 40 le 28 décembre : pourquoi si tard, alors que la présence de M. Benalla a été rendue publique dès le 12 décembre par la Lettre du Continent , puis le 24 décembre par Le Monde ? Pourquoi si peu de curiosité ?
Je n'ai pas bien compris l'affaire de l'invalidation : à l'heure où nous nous parlons, ces passeports ont-ils été invalidés ?
M. Éric Kerrouche . - La révélation de la présence de M. Benalla au Tchad a été faite le 12 décembre dans la Lettre du Continent : cet organe est loin d'être inconnu lorsqu'on travaille dans les affaires étrangères. Le 9 janvier, un organe de presse a écrit que Mme la directrice de la coopération internationale aurait été informée de cette présence par l'attaché de sécurité intérieure de M. l'ambassadeur de France au Tchad. Pourquoi autant de temps pour que cette information arrive jusqu'à vous ?
Cet après-midi, on nous a dit que 23 passeports diplomatiques n'étaient pas restitués. Si j'ai bien compris, vous avez pris des mesures d'invalidation des passeports diplomatiques de M. Benalla avant même que l'utilisation illégale de ceux-ci ne vous soit connue. Pourquoi une mesure aussi exceptionnelle, inédite, historique avez-vous dit, pour quelqu'un qui, depuis le début de l'affaire, nous est présenté comme un acteur relativement périphérique dans les fonctions qu'il a pu avoir ? Pourquoi autant d'honneur ?
Mme Marie Mercier . - Nous avons du mal à y voir clair dans cette affaire. Avant le 1 er mai 2018, M. Benalla était chargé d'organiser les voyages à l'étranger du Président de la République. Connaissiez-vous M. Benalla ?
Pour obtenir un passeport diplomatique, il faut un contrat de travail, avez-vous dit. Quelle était la durée de validité du passeport de M. Benalla qui lui a été délivré le 24 mai 2018 ?
M. François-Noël Buffet . - Je pose la même question depuis cet après-midi : dès lors que nous avons appris que M. Benalla avait utilisé au moins à vingt reprises les passeports qu'il avait conservés, quel usage en a-t-il fait ? Les a-t-il utilisés pour des déplacements privés ? Où est-il allé ? Quelles ont été ses activités dans ces pays étrangers ? De quelles informations disposez-vous ?
M. Philippe Bas , président . - Pouvez-vous répondre à l'ensemble de ces questions ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Je ne sais pas quelle fut l'utilisation de ces passeports. L'enquête du procureur, dès lors que les passeports ont été rendus, permettra d'identifier les pays qu'il a visités grâce aux visas, cachets, etc . J'en ai identifié certains grâce aux déclarations peut-être intempestives de M. Solomon et par des recoupements dans certains postes. Je ne sais donc pas pour quel usage ces passeports ont été utilisés.
Non, je ne connais pas M. Benalla. Peut-être m'a-t-il vu, mais je ne le connais pas.
Le contrat de travail était de cinq ans. Nous pouvons attribuer un passeport diplomatique jusqu'à une durée de dix ans, mais généralement, la durée de validité de ces passeports est d'un, de deux, de trois ou de cinq ans, en fonction du contrat de la personne, et ces passeports sont renouvelables.
Le deuxième passeport était valable jusqu'à la fin de sa mission, le 19 septembre 2022...
M. Philippe Bas , président . - ... ou, à tout le moins, jusqu'à l'expiration de sa fonction !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Évidemment. C'est valable pour tout le monde.
Monsieur Kerrouche, pourquoi tant d'égards ? C'est bien parce qu'il n'exerçait plus sa fonction, qu'il n'avait donc plus le droit d'utiliser son passeport, que nous lui avons demandé de le rendre, tout simplement, comme il s'y était engagé en recevant les deux passeports.
Les autres passeports dont vous parlez n'ont pas été retrouvés, ce qui n'a rien à voir avec une invalidation.
Quant à la Lettre du Continent , je n'ai pas considéré que cet entrefilet était suffisamment significatif pour engager une procédure dite « article 40 ». J'ai considéré en revanche que l'article extrêmement documenté, très précis, du 24 décembre m'obligeait à agir, ce que j'ai fait avec la célérité que vous avez pu constater.
Madame Jourda, l'invalidation signifie que M. Benalla, dans tous les registres et fichiers de passeports au niveau international, n'a pas de passeport diplomatique. S'il en présentait un - cela lui sera désormais impossible -, ce document serait nul et non avenu ; il lui serait demandé soit son passeport « civil », soit de ne pas passer : son passeport diplomatique n'est plus reconnu par la police aux frontières.
M. Philippe Bas , président . - N'y a-t-il pas une contradiction entre cette procédure d'invalidation, qui ne semble se heurter à aucune difficulté technique ou informatique, et ce que vous avez dit auparavant sur la supposée impossibilité, pour la PAF, de repérer l'utilisateur d'un passeport diplomatique illégal et de mettre en oeuvre un barrage à la sortie du territoire en cas d'utilisation de ce document ? Quelle est la différence ? La réponse, c'est l'invalidation ; elle aurait pu avoir lieu au mois d'août. Puisque cette possibilité existe - vous l'avez utilisée - au mois de décembre, pourquoi pas au mois d'août ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Les procédures normales consistent à demander à l'intéressé de respecter ses engagements : nous avons fait deux lettres recommandées.
M. Philippe Bas , président . - Mettons septembre plutôt qu'août, si vous voulez.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Quant à l'invalidation d'un passeport diplomatique, cette notion n'existait pas dans nos systèmes informatiques. Elle existe désormais, mais il a fallu entrer le code dans les deux outils et le faire reconnaître par les deux outils. La solution a été trouvée ; le dispositif fonctionne.
Mme Laurence Harribey . - M. Castaner nous a expliqué qu'il existait une procédure pour les vols et les pertes, mais aucune procédure d'annulation, d'où le problème technologique.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Oui. Nous avons dû faire l'invalidation manuellement, sur un système informatique dont je précise qu'il est un peu vieillot : il date de 2008 et n'est pas connecté à l'Agence nationale des titres sécurisés, qui dépend du ministère de l'intérieur. Et l'option « annulation » n'existe pas dans le système de l'agence, qui intègre les vols et les pertes - les policiers de la PAF ne peuvent donc pas avoir l'information. Il a fallu, pour régler ce problème, forcer le système.
M. Philippe Bas , président . - L'invalidation est donc désormais possible ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Au ministère de l'intérieur, oui, me semble-t-il ; chez nous, le dispositif n'est pas encore achevé - d'où le rapport d'inspection.
Mme Brigitte Lherbier . - Le passage d'une frontière avec un passeport diplomatique donne-t-il lieu à un enregistrement physique ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Heureusement, non ! Imaginez que le président du Sénat ait un passeport diplomatique, et que je sois informé heure par heure de ses déplacements dans le monde ! Il ne serait pas content, et moi non plus.
Mme Brigitte Lherbier . - Même a posteriori ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Non ! Il n'y a pas d'enregistrement.
Mme Brigitte Lherbier . - Je pense aux cas de terrorisme.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Mais il s'agit alors d'individus poursuivis par la justice et recherchés. M. Benalla n'était pas poursuivi, à ma connaissance.
Concernant les intermédiaires, monsieur Bigot, je suis très clair et très ferme : je ne connais pas d'intermédiaire, et je souhaite ne pas en connaître. J'ai fait savoir à l'ensemble de nos postes diplomatiques, à la demande du Président de la République, que personne ne pouvait se prétendre l'intermédiaire de quiconque. Que M. Déby trouve intérêt à rencontrer M. Benalla, c'est son affaire ; je n'ai pas à dire quoi que ce soit sur ce point. Mais en aucun cas on ne saurait prétendre représenter le Président de la République ou moi-même dans quelque discussion que ce soit, à moins d'être dûment mandaté - mais, alors, tout le monde est informé. Je suis tout à fait intransigeant en la matière.
J'ai dit à quoi servait le passeport diplomatique : c'est une facilité pour passer les frontières et une facilité de courtoisie, point.
Je précise enfin que je ne détiens aucune information particulière sur des déplacements de M. Benalla autres que ceux que j'ai indiqués.
M. Philippe Bas , président . - Je vous remercie pour toutes vos réponses.
Audition de M. Alexandre
Benalla,
ancien chargé de mission à la présidence de la
République
(Lundi 21 janvier 2019)
M. Philippe Bas , président . - Nous achevons une nouvelle série d'auditions avec M. Benalla, puis M. Crase. Je vous rappelle notre mandat : d'une part, apprécier les conditions dans lesquelles des personnes étrangères aux forces de sécurité ont pu ou peuvent être associées à l'exercice des missions de maintien de l'ordre ou de protection de hautes personnalités, en l'occurrence le Président de la République ; d'autre part, vérifier la portée des sanctions prononcées en cas de manquement : tout a-t-il été mis en oeuvre pour les appliquer correctement ?
À ce titre, nous avons interrogé M. Benalla, en septembre dernier, sur la nature exacte de ses fonctions à l'Élysée, et en particulier sur l'étendue de sa mission, tant sur l'organisation et le fonctionnement général de la sécurité du Président de la République que sur la protection rapprochée du chef de l'État. Sauf s'il souhaite lui-même revenir sur ces différents points, il n'est sans doute pas indispensable de poser de nouvelles questions dans ce domaine. Nous ne refaisons pas l'audition du mois de septembre.
Nous avions aussi interrogé M. Benalla sur la réalité de la sanction qui lui aurait été infligée en mai 2018 après les fautes commises lors des manifestations du 1 er mai à Paris et sur l'application de la mesure de licenciement pour faute prise à son encontre à la fin du mois de juillet, y compris la restitution - comme il se doit - de ses instruments de travail et l'abandon des facilités qui lui étaient accordées dans l'exercice de ses fonctions. Notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio lui avait notamment posé la question de ses passeports diplomatiques. Votre réponse, monsieur Benalla, a depuis lors été démentie par des informations parues dans la presse, puis par les réponses apportées à notre commission tant par le directeur de cabinet du Président de la République que par les ministres des affaires étrangères et de l'intérieur. Vous aurez naturellement à vous expliquer sur ce point.
En revanche, nous n'avons pas reçu du Sénat le mandat d'interroger M. Benalla sur des questions importantes qui ont trait à la politique étrangère de la France et à la protection de nos intérêts fondamentaux à l'étranger. Ce que M. Benalla fait et dit quand il se rend à l'étranger au service d'hommes d'affaires ne nous est pourtant pas indifférent, et nous pourrons à tout le moins l'interroger sur l'observation par lui-même des règles déontologiques applicables à tout agent public après la fin de ses fonctions.
Alors qu'il nous avait déclaré n'avoir pas repris d'activité professionnelle en septembre, nous sommes fondés à lui demander à quelle date une collaboration s'est nouée avec son employeur actuel, si et quand la commission de déontologie de la fonction publique a été saisie et si elle s'est prononcée.
Par ailleurs, des informations font état de la participation de M. Benalla à la conclusion d'un contrat de protection de personnalités entre M. Crase et un oligarque russe, alors que M. Crase encadrait encore les réservistes de l'Élysée et que M. Benalla y était chargé de mission à la chefferie de cabinet. Nous nous devons de vérifier ces informations car, si elles étaient avérées, elles témoigneraient d'un point de vulnérabilité dans la sécurité du Président de la République, qui doit à l'évidence être à l'abri de toute influence extérieure.
Enfin, je signale que les investigations de l'autorité judiciaire se sont encore étendues depuis la dernière audition de M. Benalla, mais cela ne change naturellement rien à notre pratique, très soucieuse de l'indépendance réciproque des enquêtes judiciaires et parlementaires, qui doivent se combiner dans le respect mutuel de chaque institution. Nous ne poserons donc pas de questions sur d'éventuelles infractions pénales commises par M. Benalla, l'objet de notre enquête étant le fonctionnement de l'État dans les domaines couverts par notre mandat. La justice sanctionne des fautes individuelles lorsqu'elles présentent un caractère délictuel. Nous veillons de notre côté au bon fonctionnement de l'État ; nous sommes d'ailleurs les seuls, constitutionnellement, à être en mesure d'effectuer ce contrôle qui ne relève pas de la compétence de la justice. Il se peut que nous ayons à éclairer les mêmes faits, ici l'usage irrégulier de passeports diplomatiques, mais nous le ferons sous des angles différents : celui de l'infraction qu'a pu commettre le titulaire pour la justice, et celui des actions mises en oeuvre par l'État pour empêcher cet usage irrégulier de passeports diplomatiques pour ce qui concerne le contrôle parlementaire. Chacun respecte strictement son rôle ; le nôtre relève d'un droit fondamental des représentants de la Nation de veiller au bon fonctionnement des autorités publiques pour garantir le bon emploi des impôts que nous votons et prévenir les excès de pouvoir en veillant au respect de l'État de droit.
Cette audition est ouverte à la presse et au public. Elle sera diffusée en direct et en vidéo à la demande sur le site internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.
Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission des lois, dotée des prérogatives d'une commission d'enquête, serait passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Alexandre Benalla prête serment.
M. Philippe Bas , président . - Monsieur Benalla, si vous le souhaitez, mais vous n'y êtes pas contraint, je vous propose d'introduire cette audition par un propos liminaire à la suite duquel nous vous poserons des questions.
M . Alexandre Benalla, ancien chargé de mission à la présidence de la République . - Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je souhaitais avant tout, en propos liminaire, remettre l'ensemble de cette affaire, dite « affaire Benalla », dans le contexte qui est le sien, celui des événements dits « du 1 er mai » de la place de la Contrescarpe, sur lesquels, on est en train de le constater avec le temps qui passe, des contre-vérités et des approximations ont été relayées à la fois par la presse et par certains responsables politiques.
On m'a d'abord présenté comme le « tabasseur » des « gentils manifestants », des « opposants politiques » ou encore des « mangeurs de crêpes », comme ils se sont eux-mêmes présentés, en tronquant la réalité d'une situation qui était pour le moins assez tendue et, on est en train de le découvrir depuis plusieurs semaines, assez confuse. Dès le début, lors de mes différentes interventions médiatiques, à la fois au journal télévisé de 20 heures de TF1, dans Le Journal du dimanche et au journal Le Monde , je suis revenu sur ces événement et j'ai expliqué que les personnes qui étaient en face de moi n'étaient pas de « gentils manifestants », mais des lanceurs de bouteilles en verre sur des policiers, ce qui a été difficile à admettre pour un certain nombre de journalistes et de responsables politiques, mais s'est révélé constituer la réalité, dès lors que les vidéos sont sorties dans les médias après avoir été gardées sous le coude pendant quelques semaines. On y voit ces deux personnes en train de jeter des bouteilles en verre et d'agresser littéralement les policiers. Aujourd'hui, ces deux personnes, présentées comme de « gentils manifestants », sont convoquées par la justice pour répondre de faits de violences sur dépositaires de l'autorité publique.
Autre élément de contexte : Devais-je ou ne devais-je pas agir ? Ce n'est pas à moi de vous le dire aujourd'hui, ce n'est pas le sujet de cette audition, je l'ai bien compris. Ce sera à la justice de déterminer si je devais, comme je l'ai fait, contribuer à l'appréhension de ceux que je qualifie de « délinquants », car ils ont lancé des bouteilles sur des policiers. J'ai pensé bien faire, en vertu de l'article 73 du code de procédure pénale, selon lequel n'importe quel citoyen est autorisé à appréhender l'auteur d'un crime ou d'un délit flagrant. Or le jet d'une bouteille en verre sur des policiers constitue un délit ; il s'agit de violences volontaires sur dépositaires de l'autorité publique.
À l'issue de ces pseudo-révélations d'un grand quotidien du soir, il y a eu un déferlement médiatique, un déchaînement politique et un lynchage en règle, dont j'ai fait l'objet et je continue à faire l'objet depuis six mois, avec la construction d'un personnage - d'un « individu », selon quelqu'un que vous avez auditionné récemment et qui ne tarissait pas d'éloges me concernant en septembre - sa vision ayant apparemment changé assez rapidement. En six mois, on a construit ainsi un personnage que l'on dit « sulfureux », « diabolique », « infréquentable », tous ces qualificatifs étant employés à mon encontre. Je pense, très modestement, avoir contribué à la construction de ce personnage, par des propos que j'ai pu tenir et qui ont été cités hors de leur contexte, mais aussi par mon attitude, qui a pu parfois être jugée décalée. Je conçois que j'ai pu donner une mauvaise image de moi.
Mais je tenais devant vous, monsieur le président, à remettre dans son contexte cette pseudo-« affaire Benalla », dont le cheminement et la construction médiatico-politique n'avaient qu'un seul but : atteindre le Président de la République. Je pense que cela a marché et j'espère que cela va se terminer assez rapidement, pour mon pays et pour la réussite que je souhaite au Président de la République.
En l'espace de six mois, les choses ont bien changé ; elles ont évolué plutôt négativement en ce qui me concerne. Je dois le reconnaître, derrière la carapace, il y a un homme, sa femme, son fils âgé d'un mois et demi au moment du déclenchement de cette affaire, une situation professionnelle et personnelle assez troublée, qui ont fait que j'ai commis un certain nombre d'erreurs. Je les ai reconnues volontiers auprès de mon entourage et je les reconnais publiquement devant vous, comme je l'ai fait également devant la justice. Ces erreurs ont pu naître de rencontres, d'échanges avec certaines personnes, qualifiées de « sulfureuses », mais je tiens à vous dire que je rencontre qui je veux, quand je veux et dans le cadre que je veux, en fixant une limite morale que je garderai pour moi. Cependant, je n'accepte pas le personnage qui a été construit autour de moi et qui ne reflète pas qui je suis et ce que j'ai fait lorsque j'étais à la présidence de la République.
Je veux aussi rappeler devant vous que j'ai été recruté sur la base de mes compétences, qui n'ont jamais été, depuis le début de vos auditions, remises en cause par qui que ce soit. Je n'ai pas débarqué à l'Élysée par effraction. J'ai participé à une campagne électorale où j'ai exercé mes compétences, avec mes qualités et mes défauts. On m'a recruté sur la seule base de mes compétences et de mon savoir-faire.
Je demande juste un peu d'indulgence me concernant, de par le traitement médiatique, politique qui est le mien. La justice, qui fait son travail sereinement, a toute sa place dans notre pays pour faire la lumière sur tout ce qui m'a été reproché depuis le début de cette affaire. J'ai entendu un certain nombre d'approximations, de mensonges et de contre-vérités dans les précédents témoignages des personnes que vous avez auditionnées. J'ai un immense respect pour les fonctions que ces personnes occupent et, aujourd'hui, je ne vous parlerai pas de ce que je pense des hommes, dans la droite ligne de ce que je vous ai dit la dernière fois, monsieur le président Bas.
Je suis venu devant vous le 19 septembre, j'ai fait certaines déclarations. Je reste cohérent avec ces propos. J'ai pu entendre ici ou là que je n'avais pas été suffisamment clair sur certains points, que j'avais fait « de l'enfumage », etc. Aujourd'hui, je suis présent devant vous pour répondre à toutes les interrogations sur lesquelles vous m'avez jugé, peut-être, vague. Je veux juste vous confirmer mon propos, madame la sénatrice Eustache-Brinio, quand vous m'avez demandé si j'avais rendu mes passeports diplomatiques. Je ne me souviens pas des termes exacts de votre question, mais je me rappelle ma réponse : le 19 septembre, devant vous, sous serment, ayant répondu à l'ensemble des questions qui m'ont été posées, je vous ai dit : « ils doivent être dans mon bureau à l'Élysée et ils ont dû les restituer ». Je vous réaffirme solennellement, sous serment encore une fois, que le 19 septembre, mes passeports étaient à l'Élysée. Patrick Strzoda vous a affirmé que ces passeports avaient été utilisés entre le 1 er et le 7 août, ce que je ne dénie pas ; c'est la réalité. Je les ai restitués, à la demande de la présidence de la République et du ministère des affaires étrangères, qui m'a adressé deux courriers, ainsi qu'un e-mail reçu de la part du général Bio Farina, le 30 juillet. J'ai restitué mes passeports, les clés de mon bureau, le badge d'accès à l'Élysée et j'ai récupéré d'autres affaires, comme un siège-auto, un chéquier, une paire de clés et un anorak. Je les ai restitués dans le courant du mois d'août 2018, sans être précis sur les dates pour l'instant, car une information judiciaire est en cours qui viendra confirmer mon propos.
Ces passeports m'ont été rendus à nouveau, alors que j'avais été contacté par un membre du personnel salarié de l'Élysée, début octobre 2018, avec un certain nombre d'éléments personnels - un chéquier, une paire de clés, comme je vous l'ai dit. J'ai constaté et l'on m'a fait savoir que ces passeports n'étaient pas désactivés ; sinon, je n'aurais pas voyagé avec ces passeports. Je reconnais là une faute de ma part, un manque de discernement peut-être, une erreur, sans doute. Je l'ai reconnu devant la justice et je le reconnais devant vous. Mais je ne pense pas que cela ne mérite toutes les proportions que cela a pris depuis le début de cette affaire.
Je vous le réaffirme solennellement, je ne vous ai pas menti le 19 septembre lorsque je vous ai dit que mes passeports étaient à l'Élysée. Je fais confiance à la justice, qui travaille sur les événements du 1 er mai et fait émerger un certain nombre de vérités face aux mensonges, aux rumeurs, aux contrevérités qui ont été développés ici ou là ; elle fera de même sur cette affaire des passeports diplomatiques.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Monsieur Benalla, alors que nous étions encore interrogés très récemment, Philippe Bas, Muriel Jourda et moi-même avons toujours maintenu la même position. Nous sommes ici rassemblés pour trouver la vérité et mettre à jour les dysfonctionnements qui ont eu lieu, en chercher les causes ; ensuite, nous ferons un rapport dans lequel nous dirons ce que nous aurons à dire. Nous respectons nous-mêmes le principe du contradictoire en auditionnant toutes les personnes que nous avons décidé d'auditionner. Pour le moment, nous en sommes là et nous n'allons pas au-delà, conformément à notre mission de parlementaires.
Concernant votre activité, quand vous étiez à l'Élysée, pouvez-vous confirmer véritablement que vous n'avez été en lien avec aucune société privée liée à des activités de sécurité, de défense ou d'autres domaines pendant que vous y exerciez vos fonctions ?
M. Alexandre Benalla . - Je vais réaffirmer solennellement devant vous que je n'avais alors aucun lien d'ordre professionnel avec une société de sécurité ou de défense. Néanmoins, tout le monde sait ici que je suis issu du milieu de la sécurité et de la protection des personnes et que j'ai travaillé dans un certain nombre d'entreprises auparavant. J'ai donc créé des liens d'amitié avec un certain nombre de personnes dans divers domaines, et pas seulement la sécurité et la protection physique des personnes, et je continue, encore aujourd'hui, car les vrais amis restent, malgré ce déchainement, à entretenir ces liens.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Le journal Libération a publié une déclaration de vous selon laquelle vous auriez organisé « deux ou trois rendez-vous à l'Élysée », pendant vos fonctions, avec M. Vincent Miclet. Confirmez-vous cela ? De quoi s'agissait-il ?
M. Alexandre Benalla . - Je démens ces propos, et je ne commenterai pas les articles de presse, contenant tout et son contraire, et surtout beaucoup de contrevérités. Je n'ai jamais prononcé ces propos à Libération.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Je vous donne acte de votre réponse. Connaissez-vous M. Iskander Makhmudov ?
M. Alexandre Benalla . - Je ne connais pas cette personne, si ce n'est à travers la presse, et je ne l'ai jamais rencontrée.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Étiez-vous informé de la collaboration de M. Crase avec M. Makhmudov ?
M. Alexandre Benalla . - Je sais que M. Crase a eu des activités professionnelles, qu'il a créé une entreprise. J'étais au courant de ses affaires, car c'est un ami, je ne vais pas le cacher devant vous aujourd'hui. Toutefois, je peux vous affirmer que je n'ai jamais contribué à une quelconque négociation, conclusion, et que je n'ai jamais été intéressé au moindre contrat que M. Crase a pu passer avec qui que ce soit, et encore moins avec cette personne.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Avez-vous eu des contacts avec une personne particulièrement proche de M. Makhmudov, ce qui justifierait que vous ne l'ayez pas vu personnellement ?
M. Alexandre Benalla . - Je connais un certain nombre de personnes, on l'a tous lu dans des articles de presse, qui disent parfois des vérités, parfois des mensonges... Je connais beaucoup de gens, que j'ai rencontrés par mes anciens camarades, par mes anciennes fonctions ou par d'anciens emplois. On est un tout petit milieu et on se connaît absolument tous. Donc, je connais un certain nombre de gens, dans l'entourage de Vincent Crase ou de la société Velours pour laquelle j'ai travaillé. Je ne puis dire le contraire, vous pouvez aujourd'hui me le reprocher, mais oui, je connais beaucoup de gens.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Comment se fait-il que, après avoir quitté vos fonctions, vous ayez été employé pendant un mois, pour un salaire qui est connu, par une société créée pour les besoins de la cause, me semble-t-il, dont l'actionnariat est assez léger, et qui est dirigée par une personne que vous devez connaître ? Quelle a été votre activité - éphémère - dans le cadre de cette société qui venait de naître ?
M. Alexandre Benalla . - Je vais répondre à cette question, même si je n'y suis pas obligé, parce que c'est une activité professionnelle que j'ai exercée à l'issue de mes fonctions à l'Élysée. Je vous avais dit lors de ma première audition que j'étais à Pôle emploi, mais j'ai essayé d'en sortir le plus rapidement possible. Je m'efforce de refaire ma vie professionnelle et personnelle par mes propres moyens, avec certaines personnes qui me veulent du bien - je les en remercie. Je suis profondément choqué que ces personnes soient jetées en pâture. Ce sont des entrepreneurs, sérieux, qui passent des contrats - et quand une entreprise passe un contrat, cela me fait plaisir -, qui emploient des gens, sur la base de leurs compétences. Je suis profondément choqué que le nom de leur société, leur prénom, leur nom, leur passé, etc. soient ainsi jetés en pâture. C'est irresponsable, de la part des médias qui, depuis six mois, me harcèlent, ainsi que mes proches ! Je demande juste qu'on me laisse tranquille : je travaille, j'essaie de gagner ma vie par moi-même, ne pas être à la charge de la société, et cette personne que vous évoquez est un de mes amis depuis plus de cinq ans - M. Crase la connaît aussi très bien, et c'est un concours de circonstances qui ne justifie pas qu'on aille chercher la petite bête... Cet ami m'a employé pour une mission qui restera confidentielle.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Je me permets de vous demander quelle est la nature de l'activité qui a été la vôtre à ce titre en raison du fait que, lorsque l'on a servi dans un service public, en l'occurrence l'Élysée, ce que l'on fait après n'est pas indifférent, surtout si on a exercé des missions liées à la sécurité - vous savez qu'il y a une commission de déontologie... Je vous repose la question, avec insistance : quelle a été la nature de votre travail durant un mois au sein de cette société ?
M. Alexandre Benalla . - Pour des raisons de confidentialité évidentes, et dans la mesure où cela ne concerne pas aujourd'hui votre mission d'information, qui a les pouvoirs d'une commission d'enquête, je ne répondrai pas à cette question.
M. Philippe Bas , président . - Monsieur Benalla, c'est nous qui décidons si nos propres questions sont dans notre mandat ou pas ! Ce n'est pas à vous de le faire. Je vais vous préciser les choses, pour que vous les entendiez clairement. La sanction de licenciement pour faute qui vous a été infligée, comporte un certain nombre d'obligations pour vous. Si cette sanction est réelle, elle doit aller jusqu'au bout ; c'est la raison pour laquelle, comme vous le savez, vous deviez rendre tous les instruments et attributs de votre fonction, tels les passeports diplomatiques.
M. Alexandre Benalla . - C'est ce que j'ai fait !
M. Philippe Bas , président . - C'est aussi pourquoi, ayant servi au plus haut niveau de l'État, à la présidence de la République, même si vous n'étiez pas l'un des principaux collaborateurs du chef de l'État, vous deviez respecter l'obligation de soumettre à la commission de déontologie de la fonction publique vos nouvelles activités. Tout cela a du sens. Le droit, ce ne sont pas simplement des règles que l'on pose pour embêter les gens. Pourquoi existent-elles ? Pour s'assurer que, rétrospectivement, la personne qui exerce une activité dans le secteur privé après avoir servi l'État ne puisse se trouver en situation de conflit d'intérêts. C'est aussi pour vérifier qu'à l'avenir les fonctions que cette personne exercera pour le compte d'une entreprise - par hypothèse « respectable », comme vous venez de le dire -, ne mettront pas en cause des informations acquises dans l'exercice de la fonction de service public antérieure.
Notre commission d'enquête s'intéresse tout
à fait légitimement
- M. Sueur est tout à
fait dans son rôle en vous posant ces questions - à vos
activités et aux conditions dans lesquelles vous les exercez. Il y a
beaucoup de règles en France, il est vrai, mais elles ne sont pas toutes
inutiles et dépourvues de sens... Celle-là a beaucoup de sens.
Je reformule la question de Jean-Pierre Sueur : avant de prendre une activité dans une entreprise, avez-vous, premièrement, saisi la commission de déontologie ? Avez-vous, deuxièmement, informé la présidence de la République que vous repreniez, pour vous-même et votre famille, une activité professionnelle, et la nature de cette activité ? C'est extrêmement important : c'est le respect des dispositions du décret du 27 janvier 2017.
M. Alexandre Benalla . - Vous avez raison, c'est très important, à tel point que j'ai reçu le courrier de M. Strzoda m'indiquant que j'avais à saisir la commission de déontologie de la fonction publique, deux jours avant qu'il soit auditionné par vos soins, lors de sa dernière audition. Néanmoins, il serait intéressant de savoir combien de personnes ayant quitté l'Élysée, et ce depuis plusieurs mandats, ont saisi cette commission de déontologie pour exercer une activité professionnelle et créer leur entreprise. Pourquoi me demande-t-on, à moi, trois jours avant de venir devant une commission d'enquête, de saisir cette commission, ce dont je n'avais pas été informé, même s'il est exact que cette obligation était mentionnée dans mon contrat de travail ? Je ne l'ai pas fait, c'est une erreur de ma part, je le reconnais. Mais combien de personnes, en sortant de l'Élysée, saisissent cette commission ?
M. Philippe Bas , président . - Monsieur Benalla, vous n'avez pas de « phobie administrative »... Vous savez bien qu'il faut respecter un certain nombre de règles, qui figuraient de surcroît dans votre contrat de travail, comme vous venez de le rappeler. Ce n'est pas très compliqué à faire !
M. Alexandre Benalla . - La situation, à l'issue de mes fonctions à l'Élysée, était un peu compliquée. Je n'ai pas été orienté vers cette commission de déontologie. J'aurais dû en effet, le 1 er août, relire attentivement chaque paragraphe de mon contrat de travail et m'apercevoir que je devais saisir cette commission. Je ne l'ai pas fait ; c'est une erreur de ma part, mais j'avais d'autres priorités comme celles de mettre à l'abri ma femme et mon fils, de retrouver un appartement, un travail... Ce sont des situations un tout petit peu compliquées.
M. Philippe Bas , président . - Monsieur Benalla, nous ne sommes pas là pour vous faire la morale, mais pour essayer d'obtenir des informations qui nous permettraient d'établir la vérité. Évidemment, quand on respecte les règles, on est mieux protégé. Depuis lors, avez-vous effectivement saisi la commission de déontologie ?
M. Alexandre Benalla . - Non, je ne l'ai pas saisie, mais mon avocate est en train de s'en occuper.
Mme Muriel Jourda , rapporteur. - Mes questions porteront sur le port d'armes. Le préfet de police de Paris vous a délivré le 13 octobre 2017, outre un permis de port d'arme, une autorisation d'acquisition et de détention d'une arme de catégorie B, uniquement pendant la durée de vos fonctions à la présidence de la République. Selon mes informations, vous aviez déjà, depuis le mois de novembre 2016, une autorisation de détention d'armes de cette même catégorie au motif que vous pratiquiez le tir sportif... Avez-vous acquis une nouvelle arme, au titre d'une autorisation d'acquisition et de détention, délivrée par le préfet de police le 13 octobre 2017 ? Si oui, cette arme a-t-elle été acquise par vous-même à titre privé, ou par l'Élysée ?
M. Alexandre Benalla . - Je répondrai très succinctement, parce qu'une information judiciaire est en cours sur les armes - le fameux selfie - ; je peux juste vous dire que j'ai moi-même acquis l'arme dans le cadre de cette autorisation.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Dans la mesure où l'autorisation était liée à vos fonctions à l'Élysée, avez-vous restitué cette arme ?
M. Alexandre Benalla . - Toutes les armes que je détenais de manière légale ont été saisies par la justice dans le cadre de l'information judiciaire qui est en cours.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Le téléphone Teorem permet aux collaborateurs situés au plus haut niveau de l'État de passer des communications chiffrées. Selon les informations qui nous ont été données par M. Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République, la présidence dispose de 30 combinés, et vous pouviez en utiliser un dans le cadre de vos fonctions à l'Élysée. À quelles fins ? Pour préparer des déplacements, pour communiquer avec le Président ?
M. Alexandre Benalla . - Le Teorem est en effet un outil mis à disposition d'un certain nombre de collaborateurs du Président de la République et d'autres administrations, qui permet des conversations téléphoniques sécurisées. Quand j'étais collaborateur du Président de la République, j'étais très soucieux des procédures et de la sécurité de mes communications. Un Teorem m'a été attribué dans le cadre des missions que je vous ai exposées lors de la première audition. Certains n'ont pas jugé utile d'en avoir un, préférant passer par des messageries cryptées bien connues telles que Telegram, WhatsApp, etc.
J'ai respecté les procédures : lors des discussions avec des préfets, des autorités de police ou de gendarmerie, ou d'autres personnes travaillant à l'Élysée, j'utilisais le Teorem qui avait été acheté, plutôt que de le laisser dans un carton.
M. Philippe Bas , président . - Cela veut dire que le chef de cabinet du Président de la République ne jugeait pas utile, pour ses propres communications avec les mêmes correspondants, d'utiliser un tel appareil ? C'est donc vous seul qui, de votre propre initiative, l'utilisiez ? Vous avez pensé que c'était utile, alors que d'autres pensaient que c'était inutile ?
M. Alexandre Benalla . - Vous avez parfaitement résumé la situation, monsieur le président.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Doit-on saisir de vos propos, monsieur Benalla, que ce téléphone ne vous avait pas été attribué d'office et que vous l'aviez demandé ?
M. Alexandre Benalla
. - Nous avons
des postes fixes sécurisés, dans chacun de nos bureaux à
la chefferie de cabinet. Les postes mobiles ne sont pas attribués de
manière automatique, alors que, du fait de nos fonctions
- habilitation,
etc.
-, nous pouvons demander ce type de
mobile, en fonction de l'usage que l'on compte en faire. Pour ma part, je
respecte les procédures de sécurité et j'ai utilisé
ce téléphone pour avoir des conditions de sécurité
maximum. D'autres ne l'ont pas jugé utile, il faudra leur poser la
question.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Vous n'avez pas tout à fait répondu à ma question : l'aviez-vous demandé ou vous a-t-il été attribué d'office ?
M. Alexandre Benalla . - Il m'a été attribué.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Pouvez-vous confirmer que ce téléphone n'a pas été restitué lors de votre licenciement ? La restitution vous a-t-elle été réclamée après votre licenciement ? À quel moment ? Quelle diligence avez-vous accomplie pour que cette restitution ait lieu ?
M. Alexandre Benalla . - Dans le contexte général que j'ai exposé tout à l'heure, la situation après le 1 er août était un peu confuse me concernant : j'ai déménagé en six mois plus de quatre fois ; mes affaires étaient dans des cartons... Ce téléphone ne m'a jamais été redemandé, et je ne savais pas, jusqu'au mois de décembre, que je l'avais encore en ma possession. C'est lors de mon dernier déménagement, le 20 novembre 2018 pour être très précis, que l'on m'a demandé la restitution d'un certain nombre d'effets qui n'avaient pas été rendus à l'Élysée, dont la carte professionnelle, le pin's et un certain nombre d'autres documents. Le Teorem n'était pas mentionné. Avec ma femme, j'ai procédé à un inventaire complet des affaires qui n'étaient pas encore déballées, et nous sommes tombés sur le Teorem. J'ai alors appelé mon avocate, qui a effectué les démarches auprès de M. Strzoda pour savoir comment nous pouvions restituer ce téléphone. Depuis, il a été restitué à l'Élysée.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Quel usage avez-vous fait de ce téléphone depuis votre licenciement ?
M. Alexandre Benalla . - Je vous l'ai dit, il n'y a eu aucun usage de ce téléphone : pendant les six mois qui se sont écoulés, avant que je ne fasse un inventaire complet des affaires qui étaient encore dans des cartons, je n'avais pas connaissance du fait qu'il était encore en ma possession. Il n'a jamais été utilisé depuis le mois de juillet 2018.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - L'Élysée nous a affirmé vous avoir demandé de restituer ce téléphone le 4 octobre 2018. Cette date est un peu éloignée de celle de votre départ, et vous ne l'avez pas restitué le 4 octobre ?
M. Alexandre Benalla . - Je ne sais pas qui a dit cela, et sur quelle base : ce téléphone ne m'a jamais été réclamé le 4 octobre. Apparemment, l'Élysée a découvert que j'étais en possession de ce téléphone quand mon avocate lui en a fait part.
M. Philippe Bas , président . - En réalité, le téléphone a été « désactivé » le 4 octobre.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - C'est tout de même étrange : alors que vous avez quitté vos fonctions le 31 juillet, l'Élysée ne s'est rendu compte de cette affaire que le 4 octobre. De plus, si je comprends ce que vous dites, s'en étant rendu compte, l'Élysée n'a pas réagi auprès de vous pour vous demander de restituer ce téléphone.
M. Alexandre Benalla . - Je ne sais pas répondre à cette question ; je ne pense pas être le mieux placé pour y répondre.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Je vous pose à présent une question relative au port d'arme ; vous n'y répondrez peut-être pas, mais il pourrait être utile pour vous d'y répondre. Une perquisition a eu lieu - vous vous en souvenez. Les conditions dans lesquelles elle a été menée n'ont donné lieu à aucune instance judiciaire. Il a été question d'une armoire. Pouvez-vous nous en dire davantage sur son contenu ?
M. Alexandre Benalla . - La perquisition a eu lieu sur instruction d'un magistrat,...
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Bien sûr.
M. Alexandre Benalla . - ... donc de la justice ; cette question concerne l'information judiciaire et l'instruction. Si la justice a des questions à me poser à cet égard, elle me les posera. Tout s'est fait dans un cadre légal : il y a eu une vraie perquisition à mon domicile, avec de vrais policiers. J'en suis le premier témoin. Tout a été fait conformément à la loi.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - On a constaté que vous aviez une certaine appétence pour les passeports : après tout, chacun a ses marottes. Mais la situation est quand même un peu étrange pour ce qui concerne le passeport diplomatique dont vous avez demandé le renouvellement.
Premièrement, cette demande intervient après la sanction qui vous a été infligée, et après que vous avez été déchargé de la mission d'organisation des voyages du Président de la République. Cela peut sembler étrange : pourquoi avez-vous demandé ce passeport diplomatique, à ce moment-là, alors que vous n'aviez plus la fonction qui l'aurait justifié ?
Deuxièmement, vous n'êtes pas passé par le service du protocole de l'Élysée : pourquoi, puisque c'est la voie normale ? Vous avez obtenu le renouvellement du passeport très rapidement, auprès du ministère des affaires étrangères, qui - M. Le Drian nous l'a dit - en a d'ailleurs informé le service du protocole de l'Élysée. D'après nos informations, ce service n'a réagi d'aucune sorte.
M. Alexandre Benalla . - Je suis désolé, mais les conditions d'attribution, de détention, d'obtention et de restitution de ces passeports concernent l'information judiciaire en cours. Le juge d'instruction saisi m'interrogera à ce sujet. Je ne répondrai donc pas à ces questions devant votre commission. J'en suis désolé.
M. Philippe Bas , président . - Monsieur Benalla, vous êtes obligé de répondre à ces questions devant notre commission. Elles concernent le fonctionnement de l'État, et non pas des fautes que vous auriez pu commettre. Elles ne sont donc pas reliées à cette information judiciaire, à moins que l'on ait de cette dernière une compréhension particulièrement extensive.
Je vous précise, comme je l'ai dit plusieurs fois, que nos missions sont complémentaires. Nous pouvons nous intéresser aux mêmes faits, mais pas pour le même objet : la justice peut s'intéresser à l'utilisation que vous faites d'un passeport diplomatique si elle donne lieu à une infraction de votre part. Nous ne nous intéressons pas du tout à cela. En revanche, il est très important pour nous d'assumer notre mission constitutionnelle, sans en rien limiter les capacités d'action de la justice - nos missions sont complémentaires, et non concurrentes -, pour ce qui concerne les procédures administratives suivies. Nous voulons savoir comment cette attribution a eu lieu. Elle n'est pas poursuivie en tant que telle comme une infraction.
M. Alexandre Benalla . - Si.
M. Philippe Bas , président . - Non, pas l'attribution de ce passeport diplomatique. Nous sommes tout à fait d'accord pour que la justice vous pose des questions sur ce sujet. Mais, nous aussi, nous vous posons des questions à ce titre, et vous êtes obligé d'y répondre.
M. Alexandre Benalla . - J'ai bien entendu votre propos, monsieur le président Bas, mais je ne pourrai pas répondre à cette question, parce que, contrairement à ce que vous affirmez, la justice s'intéresse aux conditions de délivrance et d'obtention de l'ensemble des passeports, dans le cadre d'une information judiciaire qui est ouverte sur cinq motifs d'infraction et non seulement l'usage d'un passeport. J'ai été mis en examen pour usage abusif d'un document donnant une fonction, mais je suis placé comme témoin assisté sur quatre chefs d'inculpation. Ce n'est pas tant mon statut que l'ouverture d'une information sur ces cinq chefs d'inculpation qui m'empêche de répondre à votre question.
M. Philippe Bas , président . - Rappelez-nous ces cinq chefs d'inculpation.
M. Alexandre Benalla . - Je pense qu'ils ont été rendus publics par le parquet.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Notre question ne porte pas sur l'usage d'un passeport. Elle ne porte pas sur les passeports de service, au titre desquels vous êtes témoin assisté. Elle porte sur les conditions d'obtention et de renouvellement d'un passeport, alors que vous étiez dans une institution, l'Élysée.
Ce n'est pas parce que la justice fait son travail que nous ne devons pas faire le nôtre. C'est très clair et il s'agit d'une question absolument essentielle pour aujourd'hui et pour demain : les commissions d'enquête parlementaires doivent pouvoir exercer leur mission constitutionnelle, qui est de contrôler le Gouvernement et d'évaluer les politiques publiques. Or ce qui se passe à l'Élysée, notamment en matière de sécurité, relève de la politique publique.
À partir du moment où, au sein de l'Élysée, vous demandez et obtenez un tel passeport diplomatique, nous sommes en droit de vous interroger : pourquoi cette demande a-t-elle été formulée, alors que vous n'aviez plus de titre à disposer d'un passeport diplomatique ? Et pourquoi le service du protocole de l'Élysée a-t-il été contourné ? Ces questions sont très simples.
M.
Alexandre Benalla
. - Je vais réitérer mon propos
une troisième fois : la justice étant saisie des faits
concernant les passeports au sens large
- les passeports de service et
les passeports diplomatiques -, s'intéressant également
à leurs conditions d'obtention, et non pas simplement aux conditions
d'utilisation de ces passeports, une information judiciaire étant
ouverte, et étant, moi-même, très respectueux des
institutions, je répondrai aux questions des magistrats instructeurs.
M. Philippe Bas , président . - Ce n'est pas être très respectueux des institutions que de refuser de répondre aux questions qui vous sont posées par une commission d'enquête parlementaire.
Vous avez une conception singulière de ce qu'est le respect des institutions... Respecter les institutions, c'est aussi savoir que l'autorité judiciaire n'a pas vocation à porter d'appréciation sur un dysfonctionnement administratif. En conséquence, c'est bien à nous de le faire. Chacun a son rôle complémentaire : la justice vérifiera si vous avez ou non commis des infractions. À ce titre, elle peut tout à fait chercher des informations dans tel ou tel domaine de l'action administrative, mais elle ne peut porter d'appréciation sur la régularité d'une décision administrative. Il s'agit là d'une évidence pour tout le monde, et vous, qui avez fait des études de droit, vous devriez le savoir aussi.
Je vois votre obstination à ne pas répondre aux questions de la commission d'enquête et je n'en comprends pas la raison. Je tenais à vous le dire.
M. Alexandre Benalla . - Je n'ai absolument rien à cacher quant à l'obtention et l'utilisation de ces passeports, et je serais aujourd'hui le premier ravi de pouvoir vous expliquer comment j'ai pu les obtenir, comment ils m'ont été délivrés et comment je les ai utilisés. Mais, dès lors que l'on suspecte que les conditions de délivrance ont donné lieu à une infraction pénale, l'on n'est plus dans un cadre administratif, mais dans un cadre judiciaire. Aujourd'hui, la justice cherche à savoir comment j'ai obtenu ces passeports. Je le réitère pour la quatrième fois : je ne pourrai pas répondre à cette question, qui est d'ordre, non administratif, mais judiciaire.
M. Philippe Bas , président . - La justice s'intéresse-t-elle vraiment aux conditions dans lesquelles vous avez obtenu le renouvellement de votre passeport diplomatique au mois de juin dernier ? Ce n'est pas ce que j'ai entendu.
Le directeur de cabinet du Président de la République a utilisé l'article 40 du code de procédure pénale, non pas pour l'attribution de ces passeports diplomatiques, mais pour la note à en-tête du chef de cabinet du Président de la République par laquelle a été demandée l'obtention de votre passeport de service, ce qui n'a rien à voir avec le renouvellement de votre passeport diplomatique au mois de juin dernier.
Nous en resterons là : je vous donne acte de votre refus de répondre, mais je tiens à vous dire que votre interprétation est erronée. D'ailleurs, vous n'avez pas à opposer votre propre interprétation à celle que nous faisons, au sein d'une commission d'enquête parlementaire : c'est notre rôle d'interpréter notre mandat et de définir le champ des questions que nous avons à vous poser et auxquelles vous pourriez répondre.
En commençant cette audition, j'ai précisé à quel point nous sommes attentifs à ce que, dans ce cadre, la séparation des pouvoirs soit respectée ; la conception que vous en affirmez est, de mon point de vue comme de celui des rapporteurs, abusive.
M. Alexandre Benalla . - J'ai bien entendu votre remarque. Je suis assez inquiet de constater que, devant votre commission, le directeur de cabinet du Président de la République a dit que je serais convoqué dans les toutes prochaines heures ; cela pose quand même question quant à l'indépendance des institutions. Aujourd'hui, vous m'expliquez que vous n'avez pas connaissance du fait que la justice s'intéresse aux conditions d'obtention et de délivrance de ces passeports. Je ne sais pas si vous avez eu accès au dossier judiciaire vous-même, mais cela me pose question.
M. Philippe Bas , président . - Je me fonde sur les chefs d'incrimination retenus par le parquet et rendus publics...
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - À une certaine époque, pas moins de quatre ministres nous ont rappelé qu'il était tout à fait nécessaire que nous respections nos prérogatives. Nous ne pouvons qu'insister sur la grande nécessité de respecter l'indépendance de la justice, comme la justice se doit de respecter notre indépendance, et surtout comme le pouvoir exécutif se doit de respecter l'indépendance du pouvoir législatif.
Vous nous dites que, pour ces raisons liées à la justice, vous ne pouvez pas parler des passeports. Il y a là une petite contradiction avec votre déclaration préalable : vous avez commencé par nous parler de passeports. Vous nous avez dit, pour répondre à la question de Mme Eustache-Brinio, que, quand vous avez quitté l'Élysée, les passeports étaient restés dans votre bureau. Tout à l'heure, vous avez dit que les passeports étaient restés « à l'Élysée ». C'est une nuance qui a de l'importance. Pouvez-vous nous confirmer que les passeports sont restés dans votre bureau, à l'Élysée ?
M. Alexandre Benalla . - Je n'ai pas répondu à votre question relative aux passeports, puisqu'elle s'inscrit dans le cadre d'une information judiciaire ouverte. Dans mon propos liminaire, j'ai évoqué ces passeports : je suis simplement resté cohérent avec des propos tenus publiquement à travers deux communiqués, l'un de moi, l'autre de mon avocate. Je n'ai donc fait que répéter mes propos publics, qui datent d'une quinzaine de jours et que vous pouvez trouver dans la presse. Je n'ai pas révélé de secret ; et, il y a quinze jours, je n'étais encore ni mis en examen ni placé sous le statut témoin assisté pour ce qui concerne les passeports.
Pour être encore plus précis que vous ne l'êtes, lorsque j'ai répondu à Mme Eustache-Brinio, j'ai dit : « je pense que mes passeports sont dans mon bureau à l'Élysée et qu'ils ont dû être restitués ». Le « je pense » est une nuance qui a une extrême importance. Penser n'est pas affirmer ; tout ce que je peux vous affirmer - je l'ai fait encore une fois sous serment aujourd'hui -, c'est que mes passeports étaient à l'Élysée le 19 septembre.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Une perquisition a eu lieu, et ensuite on vous a rendu les passeports. Pouvez-vous être plus précis ? Quelle personne vous a rendu les passeports, « au coin d'une rue », comme vous l'avez dit ?
M. Alexandre Benalla . - Je le répète, une information judiciaire est ouverte. La justice exposera dans des conditions claires la manière dont les passeports ont été rendus, puis restitués, comment et par qui.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - M. Strzoda nous a expliqué que vous bénéficiiez de deux passeports de service, l'un délivré en 2016, lorsque vous travailliez à la délégation interministérielle pour l'égalité des chances des Français d'outre-mer, et l'autre délivré le 28 juin 2018, dans le cadre de vos fonctions à l'Élysée. Si vous nous confirmez la détention de ces deux passeports, pouvez-vous nous expliquer quelle en était l'utilité, dans la mesure où vous disposiez déjà de deux passeports diplomatiques ?
M. Alexandre Benalla . - Je suis désolé, mais je ne pourrai pas non plus répondre à cette question, qui porte sur une information judiciaire en cours.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Vous avez une conception extrêmement large de l'information judiciaire. Je n'ai pas le pouvoir de vous faire parler si vous ne le souhaitez pas ; je ne peux que me rallier aux longues explications données par le président Bas et déplorer que vous ne souhaitiez pas répondre à la mission d'information.
M. Alexandre Benalla . - J'ai répondu de la manière la plus précise, complète et cohérente, depuis le début de vos auditions, à l'ensemble de vos questions. Je ne décide pas d'être mis en examen ou placé sous le statut de témoin assisté ; je ne décide pas qu'une information judiciaire soit ouverte ou non. Je respecte juste le cadre de ce qui m'a été conseillé par mon avocate : ne pas faire d'auto-incrimination.
Dès lors que je suis mis en cause par la justice - à ce titre, le statut de mis en examen ou de témoin insisté importe peu -, toutes les déclarations que je peux faire devant vous sous serment peuvent être retenues contre moi par la justice ultérieurement. Excusez-moi juste de respecter des principes qui me sont garantis par la Constitution.
M. Philippe Bas , président . - Je suis d'accord avec vous sur ce point. Nous-mêmes, nous ne voulons pas que vous puissiez encourir le risque de l'auto-incrimination.
Cela étant, il s'agit du fonctionnement de l'administration : nous ne vous demandons pas de parler des actes que vous avez commis, mais de ceux qui ont été accomplis par des services de l'administration. Vous voyez bien la différence entre les deux. Il faut que vous cessiez de considérer que les deux enquêtes, parlementaire et judiciaire, devraient s'exclure l'une l'autre. Elles ne sont pas en concurrence, elles se complètent.
Nous sommes ici très heureux que la justice fasse son travail. Elle fait un travail que nous ne pourrions pas faire, et, de la même façon, nous en faisons un qu'elle ne pourrait pas faire non plus. C'est pourquoi, dans notre République, les dispositifs de contrôle sont multiples : à chacun son rôle.
Pour l'instant, nous allons nous en tenir là sur ce sujet : mes collègues vous poseront d'autres questions, et vous aurez alors de nouveau l'occasion de vous exprimer.
M. Alexandre Benalla. - Vous me posez des questions sur l'administration. Les questions qui m'ont été posées me l'ont été directement, concernant des actes que j'aurais accomplis ou l'utilité que j'aurais pu avoir à me faire délivrer ces passeports.
M. Philippe Bas , président . - Oui !
M. Alexandre Benalla. - C'est la nature même de la question qui m'a été posée.
M. Philippe Bas , président. - Non, parce que cela touche à votre fonction à l'Élysée. La question était : pourquoi auriez-vous eu encore besoin d'un nouveau passeport diplomatique au mois de juin, alors que - on nous l'a dit et vous ne l'avez pas démenti - que vous étiez déchargé de vos missions d'organisation des déplacements du chef de l'État à l'étranger ? C'est pourquoi j'estime que vous auriez normalement dû être en mesure de répondre à cette question simple, sans vous exposer au risque d'auto-incrimination.
Je peux déduire de votre non-réponse que la question vous gêne !
M. Alexandre Benalla. - Pas du tout ! Si des questions me gênaient, je vous l'aurais dit depuis longtemps ; je n'aurais pas répondu de manière aussi claire, longue et précise, que je l'ai fait depuis le 19 septembre.
Si votre question concerne le fonctionnement de l'administration, voici ce que je peux vous dire : ces passeports m'ont été délivrés normalement, sans qu'à aucun moment une objection quelconque intervienne, depuis que j'ai quitté mes fonctions ou alors que j'étais en fonction. C'est tout ce que je peux vous dire aujourd'hui.
Si l'administration avait jugé anormale la délivrance des passeports, elle l'aurait soulevé. Les passeports de service ont été annulés ; les passeports diplomatiques, je constate que non.
M. Philippe Bas , président. - Et le service du protocole de l'Élysée, informé par le Quai d'Orsay du renouvellement de ce passeport diplomatique, ne vous a fait aucune observation ?
M. Dany Wattebled . - Entre le 1 er août, date de votre licenciement, et le 31 décembre 2018, vous avez, d'après M. Strzoda, utilisé deux passeports diplomatiques une vingtaine de fois. Lors de ces déplacements, avez-vous, comme vous l'avez indiqué dans un communiqué de presse, toujours prévenu « la plus haute autorité française » ?
M. Alexandre Benalla. - Je ne commenterai pas les articles de presse, mais uniquement mes propres déclarations. En l'occurrence, un communiqué qui était le mien.
J'ai avisé des personnes de l'ensemble de mes déplacements à l'étranger, par courtoisie républicaine. Je n'ai pas saisi la commission de déontologie de la fonction publique, mais j'ai un peu expliqué ce que je faisais depuis que j'avais quitté mes fonctions.
M. Dany Wattebled . - Ma question était plus précise : « la plus haute autorité française ».
M. Alexandre Benalla. - Je parle, non pas d'une personne, mais d'une institution.
M. Philippe Bas , président. - Qui sont les personnes que vous avez informées ?
M. Alexandre Benalla. - Des personnes travaillant pour la plus haute autorité française, c'est-à-dire des membres de la présidence de la République.
M. Philippe Bas , président. - Quelles fonctions occupent ces personnes ?
M. Alexandre Benalla. - Je ne souhaite évoquer ni leurs fonctions ni leurs noms ni leurs prénoms. Je suis désolé.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - À quelle date avez-vous prévenu les personnes en question de votre déplacement au Tchad ?
M. Alexandre Benalla. - Je suis désolé, mais je ne répondrai pas à cette question, qui concerne des déplacements postérieurs à mes fonctions à l'Élysée.
M. Philippe Bas , président . - Cela nous permet d'accélérer notre audition...
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Ce qui s'est passé après a un rapport avec ce qui s'est passé avant. Au cours des déplacements que vous avez faits récemment - vous avez tout à fait le droit de vous déplacer -, a-t-il été question de la sphère d'activité dont vous étiez chargé à l'Élysée ? Y a-t-il une connexion entre cette sphère d'activité et l'objet de ces déplacements, ou n'y a-t-il aucun rapport entre eux ?
M. Alexandre Benalla. - Il n'y a aucun rapport.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Lorsque vous avez été reçu par des chefs d'État, l'ont-ils fait en lien avec certaines missions, dont vous pourriez ou non nous parler, ou en lien avec vos anciennes fonctions ?
M. Alexandre Benalla. - J'ai été reçu en tant qu'Alexandre Benalla. Je n'ai pu changer ni de nom ni de prénom ! Malheureusement, et contre mon gré, mon nom a acquis une notoriété qui s'est répandue jusqu'en Afrique. Je n'ai jamais été reçu afin de remplir une quelconque mission pour mon ancien employeur ni pour occuper des fonctions ou un emploi, ou encore pour mener des discussions en rapport avec mes anciennes fonctions. Ces déplacements et ces rencontres avec certaines personnes ont été menés à titre privé, avec mon prénom et mon nom, en tant qu'Alexandre Benalla.
M. François Grosdidier . - Sur votre propos liminaire, il est exact qu'il y a eu des violences lors des manifestations du 1 er mai, telles que vous en faisiez état.
Premièrement, concernant les passeports, je voudrais vous interroger sur la pratique courante. Est-il, selon vous, pratique courante que des personnes ayant quitté leurs fonctions utilisent des passeports diplomatiques ou de service jusqu'à leur expiration ? Si c'est interdit, vous l'a-t-on dit ? Votre ancien employeur a porté plainte pour ce motif. En étiez-vous informé ? Seriez-vous la seule personne poursuivie pour avoir violé cette interdiction ?
Vous dites par ailleurs avoir informé la
présidence de vos déplacements. Vous refusez néanmoins de
nous donner les noms des personnes en question. À moins que vous ayez
été en mission parallèle
- pour la DGSE ou que
sais-je -, je ne vois pas ce qui peut justifier un tel refus. MM. les
ministres de l'intérieur et des affaires étrangères, ainsi
que M. le directeur de cabinet du Président de la
République, nous ont dit que, quatre mois durant, ils ignoraient tout de
vos déplacements à l'étranger, et qu'ils ne les avaient
découverts que dans
Le
Canard enchaîné
.
Cela vous paraît-il vraisemblable ? Pouvaient-ils l'ignorer ?
Marianne
vous cite, disant « comme cela, ils sauront
où je suis »...Vous paraît-il vraisemblable que notre
ambassadeur au Tchad n'ait pas informé Paris de votre déplacement
dans ce pays ? Vous paraît-il vraisemblable que M. le ministre
des affaires étrangères ait tout découvert le
26 décembre, comme il nous l'a dit, sachant que le Président
de la République était à N'Djamena le
22 décembre ?
Enfin, vous disiez vous-même avoir gêné dans vos fonctions. N'avez-vous pas le sentiment d'avoir gêné également plus tard ? Certains affirment que vous êtes « mort » aux yeux de l'Élysée ; selon d'autres, au contraire, vous auriez pu renseigner utilement le Président sur l'emploi des forces de l'ordre pendant les manifestations, ou encore, pourquoi pas, sur le Tchad, voire le rôle des Russes au Tchad... Il aurait été nécessaire, pour le Président, de le savoir, mais il n'aurait pu recevoir de telles informations par les voies officielles. N'avez-vous pas, alors, irrité certaines personnes ? Cela pourrait-il être à l'origine des ennuis qui vous sont faits et des informations qui nous sont données bien tardivement aujourd'hui ?
M. Alexandre Benalla. - On ne m'a pas informé, par quelque moyen que ce soit, que je ne pouvais pas utiliser ces passeports. Je le confirme : ils m'ont été rendus au début d'octobre. Ils étaient utilisables : aucune mention n'avait été portée dessus, et aucun courrier m'enjoignant de ne pas m'en servir ne les accompagnait. C'est une connerie de ma part de les avoir utilisés, au vu de la polémique qui s'en est ensuivie.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Qui vous a rendu ces passeports ?
M. Alexandre Benalla. - Je vous ai déjà dit que je ne répondrai pas à cette question, monsieur le co-rapporteur.
M. Philippe Bas , président. - La présidence de la République, alors, nous aurait-elle menti ?
M. Alexandre Benalla. - Je pense que l'enquête judiciaire déterminera la vérité avec les moyens qui sont les siens. Je vous affirme, sans porter aucune accusation, que j'ai rendu mes passeports à la fin du mois d'août et qu'ils m'ont été restitués au début d'octobre.
Concernant la pratique courante, j'ai entendu dire, à
l'occasion de vos auditions, qu'une inspection générale avait
été diligentée par le ministère de l'Europe et des
affaires étrangères ; elle a découvert qu'un certain
nombre de passeports diplomatiques dont les titulaires avaient cessé
leurs fonctions étaient toujours conservés, sinon
utilisés, par ces personnes. Je suis incapable de vous dire si des
personnes continuent de se servir de leurs passeports après la fin de
leurs fonctions ; je vous répète juste les propos d'une
personne que vous avez auditionnée : certaines personnes
- dans plusieurs administrations, d'ailleurs - qui disposent de
passeports diplomatiques ne restituent pas ces passeports en quittant leurs
fonctions. S'en servent-elles pour voyager ? Je suis incapable de
répondre à cette question.
Pour ma part, j'ai avoué de la manière la plus simple possible que j'avais voyagé avec ces passeports, et j'assumerai ma responsabilité devant la justice, qui me le reproche aujourd'hui. C'est tout ce que je peux vous dire à ce sujet.
Pourriez-vous répéter vos autres questions ?
M. François Grosdidier . - Le ministre des affaires étrangères et le ministre de l'intérieur pouvaient-ils ignorer vos déplacements ? L'ambassadeur de France au Tchad a-t-il pu oublier de signaler à Paris que vous vous étiez rendu à N'Djamena le 12 décembre, alors que le Président de la République y allait le 22 ? Est-il vraisemblable que le ministre des affaires étrangères n'ait découvert votre déplacement que le 26 ?
M. Alexandre Benalla. - Je n'en sais rien ; je ne suis pas dans la tête du ministre des affaires étrangères. J'ai lu une brève, dans le Canard enchaîné , selon laquelle la direction de la coopération internationale, service dépendant du ministère de l'intérieur, avait été informée de certains de mes déplacements à l'étranger ; elle n'aurait pas fait remonter l'information. Je peux vous affirmer que j'ai informé, par courtoisie, en mon nom propre et sous ma responsabilité, des personnes à la présidence qui devaient en connaître. Concernant les autres acteurs - ministres ou responsables d'administrations -, je ne sais pas quelles démarches ils ont prises ou non.
M. François Grosdidier . - Enfin, en détenant ou en révélant certaines informations, n'avez-vous pas indisposé la sphère administrative ou technocratique ?
M. Alexandre Benalla. - Merci de me donner cette chance de m'expliquer publiquement, clairement et sous serment. Je ne détiens aucun secret sur qui que ce soit, je ne fais aucun chantage. On essaie d'expliquer ainsi un certain nombre de dysfonctionnements de la part de l'État, ainsi qu'un certain nombre de négligences et d'erreurs et de fautes que j'ai commises, que je reconnais devant vous et que j'ai reconnues devant la justice. J'assume mes responsabilités, mais il ne faut pas en déduire que tout cela est dû à des secrets que je détiendrais. Je ne détiens aucun secret.
J'avais une fonction claire, que je vous ai décrite le 19 septembre ; j'ai rempli ma mission de manière claire et je ne suis pas parti en emportant des secrets sur qui que ce soit. J'essaie juste de reprendre une vie normale et de me refaire, par moi-même, sans demander l'aide de personne.
Mme Esther Benbassa . - Pour les détenteurs de passeports diplomatiques ou de service, une note verbale du ministère des affaires étrangères est demandée pour l'obtention du visa d'entrée sur le sol tchadien. J'ai le document ici. Je précise que cette formalité est exigée tant pour les courts séjours que pour ceux de longue durée. Aviez-vous à disposition une note verbale pour l'entrée sur le sol tchadien ? Comment avez-vous pu produire un tel document ? Vous a-t-il été délivré par le Quai d'Orsay ? Si vous n'aviez pas ce document, expliquez-nous par quel moyen vous avez pu obtenir ce visa.
Je voudrais savoir, si possible, qui vous a restitué les passeports en octobre.
Ensuite, vous avez révélé dans la presse avoir eu des contacts avec le Président de la République jusqu'au 24 décembre, par la messagerie Telegram. Vos échanges étaient-ils d'ordre privé, ou d'une nature plus officielle ?
Enfin, votre épouse était salariée de La République en Marche (LaREM) lorsqu'ont éclaté les affaires qui vous concernent. Quelles étaient ses fonctions ? Est-elle toujours salariée de LaREM ? Avez-vous toujours des contacts avec le parti présidentiel ? Y exercez-vous des fonctions ?
M. Alexandre Benalla. - Je n'ai pas connaissance de cette note verbale. Je suis entré au Tchad sans visa, avec un simple tampon. J'étais avec une délégation économique étrangère, comme je l'avais déjà précisé.
Mme Esther Benbassa . - C'est exigé pour les passeports de service et les passeports diplomatiques !
M. Alexandre Benalla. - Je suis entré au Tchad sans visa. Il faudra peut-être poser la question à d'autres autorités. Moi, je n'ai pas fait de demande de visa pour aller au Tchad.
Pouvez-vous me rappeler votre deuxième question ?
Mme Esther Benbassa . - Elle a pour objet la teneur de vos contacts avec la présidence lors de vos échanges par Telegram. Ces échanges étaient-ils privés, ou d'une nature plus officielle ?
M. Alexandre Benalla. - Je ne commente pas les articles de presse. Tout ce que je peux vous dire, c'est que je n'ai plus de contact avec qui que ce soit, à la présidence de la République ou au parti La République en Marche, depuis le 24 décembre.
Mme Esther Benbassa . - Quant à votre épouse, est-elle toujours salariée de LaREM ?
M. Alexandre Benalla. - Ma femme n'a pas grand-chose à voir avec toute cette histoire. Je ne parlerai donc pas d'elle ici.
M. François Pillet . - Si je vous posais la question que j'avais préparée, vous me répondriez, je le crains, ne pouvoir y répondre en raison de la procédure pénale en cours. J'aurais voulu savoir quelles raisons vous avaient poussé à solliciter quatre passeports en même temps ou les raisons pour lesquelles on vous les a attribués. Je vais néanmoins m'extraire totalement du cas Benalla et vous poser plutôt la question suivante : est-il habituel, pour des personnes remplissant les missions que vous nous avez dit remplir, d'avoir quatre passeports en même temps ? À quoi cela sert-il ?
M. Alexandre Benalla. - Ce n'est pas quatre, mais trois passeports. Le premier passeport de service m'a été attribué en 2016 dans le cadre d'autres fonctions. Sa restitution n'a jamais été demandée non plus à cette occasion. Il est habituel - le ministre des affaires étrangères vous a répondu, je pense, assez clairement sur ce point - de détenir deux passeports diplomatiques, pour des raisons liées aux demandes de visas. C'est fonctionnel. Quant au passeport de service, je le répète, je l'ai obtenu dans des conditions normales et pour des raisons normales. Je ne veux pas être affirmatif sur la question, mais certaines personnes détiennent plus de passeports diplomatiques que j'ai pu en détenir ; c'est quelque chose de normal. Dès lors que vous demandez à l'administration un certain nombre de documents, les contacts entre les administrations sont assez fluides. Si ma demande avait paru bizarre ou ubuesque, le ministère de l'intérieur n'aurait pas délivré le passeport en question.
Mme Brigitte Lherbier . - Lors de vos vingt déplacements à l'étranger, étiez-vous seul, ou bien en délégation ?
Lors des passages aux frontières, tant à l'entrée qu'à la sortie du territoire, les fonctionnaires ne vous ont-ils posé aucune question ? N'ont-ils pas été surpris de quoi que ce soit relativement à vos passeports ?
M. Alexandre Benalla. - Je vais répondre à cette question, alors que je n'y suis pas obligé, dans la mesure où elle concerne mes déplacements privés à l'issue de mes fonctions.
Je me suis déplacé parfois seul, parfois en délégation ; je vous le dis sans vous donner les détails exacts de ces déplacements. Mes passeports, qui ont été utilisés vingt-trois fois, pour être tout à fait exact, l'ont été simplement pour justifier de mon identité au passage de frontière. Ils ne m'ont fait bénéficier d'aucun avantage, sinon, à deux reprises, du fast track . Je suis passé plus rapidement, comme avec une carte premium. À une dizaine de reprises, je me suis déplacé en avion privé, avec les avantages que cela procure, mais je me suis soumis à l'ensemble des contrôles lors de ces déplacements. Le passeport diplomatique ne vous immunise absolument pas. Je suis passé sous les portiques de sécurité et mes bagages sont passés aux rayons X.
Mme Esther Benbassa . - Mais sans visa !
M. Alexandre Benalla. - Tout à fait !
M. Jérôme Durain . - Monsieur Benalla, le porte-parole du Gouvernement a évoqué l'existence de dysfonctionnements à l'Élysée. Ces dysfonctionnements sont au coeur de notre travail parlementaire. Ils concernent des faits, comme les conditions d'attribution, de restitution ou de non-restitution de votre arme de service, de vos passeports, du téléphone Teorem, mais ils impliquent aussi que nous comprenions les mécanismes et les circuits décisionnels propres à l'Élysée, ainsi que les interactions qui existent entre les différents protagonistes de l'administration élyséenne.
Nous avons appris que vous auriez demandé au directeur de cabinet du Président de la République de réécrire votre lettre de licenciement. Est-ce vrai ? Vous est-il arrivé assez fréquemment d'imposer ainsi vos vues à M. Strzoda ?
M. Alexandre Benalla. - Si je comprends bien, monsieur le sénateur, vous n'avez qu'une seule question et celle-ci concerne ma lettre de licenciement.
Tout d'abord, je vous informe que cette lettre est sortie dans la presse, alors qu'il s'agit d'une pièce de l'instruction judiciaire en cours sur les événements du 1 er mai. Il s'agit en réalité d'une exploitation de mon téléphone portable : j'ai envoyé un SMS à M. Strzoda l'informant que la lettre de licenciement qu'il avait écrite ne correspondait pas à la vérité et que je ne signerai que la réalité des faits. Je n'ai donc pas imposé mes vues ; j'ai juste exercé un droit, qui est le droit à la vérité.
La première mouture de la lettre de licenciement écrite par M. Strzoda indiquait que personne n'était au courant de mon stage d'observation à la préfecture de police le 1 er mai, ce qui n'est malheureusement pas la réalité. J'assume mes responsabilités, mais je ne les assume que lorsque les faits réels sont écrits. Quand on écrit un mensonge, je le dénonce. Je vous fais simplement remarquer que le courrier a été modifié et qu'il a finalement relaté la réalité des faits, c'est-à-dire que mes autorités étaient au courant que j'allais aux manifestations du 1 er mai en tant qu'observateur.
Mme Marie Mercier . - Monsieur Benalla, vous avez déclaré dans la presse que vous étiez resté en lien avec le Président de la République jusqu'au 24 décembre dernier. Vous avez dit que la teneur de vos échanges portait sur des faits sociétaux, sur votre manière de voir les choses, à propos des gilets jaunes, par exemple. Ces échanges auraient eu lieu par SMS. Or nous avons appris que le téléphone crypté Teorem que vous utilisiez avait été désactivé le 4 octobre. Cela veut-il dire que vos échanges ont eu lieu avec un téléphone que je qualifierai « de base » et, par conséquent, que le Président de la République utilise un téléphone ordinaire ?
M. Alexandre Benalla. - J'ai eu un certain nombre d'échanges avec un certain nombre de personnes via des messageries cryptées. Cette information est sortie dans la presse dès le début du mandat du Président de la République, et même depuis le début de la campagne. Je n'ai eu aucun échange avec le téléphone Teorem depuis le 1 er juillet dernier avec qui que ce soit.
M. Patrick Kanner . - Je souhaite revenir sur les déclarations que nous a faites M. Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, le 16 janvier dernier. Monsieur Benalla, le ministre nous a affirmé qu'une demande officielle de restitution de vos passeports diplomatiques vous avait été adressée le 26 juillet 2018 et que l'accusé de réception avait bien été retiré. Le 10 septembre, puisque vous n'aviez manifestement pas obtempéré, une nouvelle lettre vous a été transmise, laquelle n'aurait cette fois-ci pas été retirée. Entre-temps, le 1 er août, vous avez été licencié. Vous nous avez dit tout à l'heure que, pendant quelques jours, vous aviez utilisé vos passeports diplomatiques dans le cadre d'une mission privée dont vous ne voulez pas révéler la teneur.
Ma première question est simple : comment vos passeports ont-ils été restitués à l'Élysée, puisque vous nous déclariez le 19 septembre dernier que ces passeports y étaient restés ? À cet égard, permettez-moi de vous dire qu'il semblerait que vos propos étaient plus nets lors de votre première audition que ceux que vous avez tenus tout à l'heure.
Ma seconde question est plus factuelle : connaissez-vous un certain Philippe Hababou Solomon ?
M. Alexandre Benalla. - Votre première question concerne-t-elle bien la restitution de mes passeports ?
M. Patrick Kanner . - Oui, vous avez utilisé ces passeports pendant quelques jours au mois d'août, si j'ai bien compris.
M. Alexandre Benalla. - Oui, du 1 er au 7 août, pour être tout à fait exact.
M. Patrick Kanner . - Puis ceux-ci sont repartis à l'Élysée : comment ont-ils été retournés ? Êtes-vous vous-même passé à l'Élysée pour les rendre ? M. Strzoda nous a dit que vous n'y aviez pas mis les pieds depuis le 1 er août.
M. Alexandre Benalla. - Les propos de M. Strzoda ne sont pas tout à fait exacts. Sans entrer dans des détails qui, encore une fois, se rapportent à l'information judiciaire en cours, j'ai fait redéposer un certain nombre d'effets personnels, dont mes passeports diplomatiques, à un salarié de l'Élysée dans le courant du mois d'août, plutôt même vers la fin du mois d'août.
Concernant votre seconde question, je connais en effet M. Philippe Hababou Solomon, que j'ai rencontré après la fin de mes fonctions, en octobre 2018, pour être tout à fait exact.
M. Éric Kerrouche . - J'ai une première question toute simple. Vous nous dites que vous avez récupéré les passeports diplomatiques au début du mois d'octobre : pourquoi les avez-vous acceptés, alors qu'ils avaient manifestement un lien avec des fonctions que vous n'exerciez plus ?
Ma seconde question, même si je crains que vous ne souhaitiez pas y répondre, puisque vous faites aujourd'hui l'objet d'une enquête préliminaire pour faux et usage de faux, ce qui ne contrevient pas pour autant à l'activité de notre commission d'enquête, est la suivante : que pensez-vous de la déclaration de M. Strzoda laissant entendre que vous auriez fabriqué un faux pour demander un passeport de service au ministère de l'intérieur ?
M. Alexandre Benalla. - En ce qui concerne la restitution de mes passeports, j'ai reconnu une erreur, que je reconnais encore une fois devant vous. Moralement, il aurait été plus prudent de laisser ces passeports dans le sac plastique où ils se trouvaient. Je ne l'ai pas fait ; il s'agit d'une bêtise que j'assume à 100 %.
Concernant votre seconde question, le seul constat que je dresse, c'est que je n'ai pas été mis en examen pour faux et usage de faux. Je n'ai pas d'autre déclaration à faire concernant les propos de M. Strzoda.
M. Alain Marc . - Monsieur Benalla, lorsque vous avez intégré le cabinet de la présidence de la République, il semblerait que vous n'ayez pas fait de déclaration à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Vous auriez pourtant dû le faire, puisque les textes en la matière - nous les avons bien étudiés - sont très clairs.
Quelqu'un à l'Élysée vous a-t-il dit que vous auriez dû faire une telle déclaration à laquelle nous, parlementaires, sommes astreints, comme toute personne gravitant autour de l'exécutif ?
Vous allez bientôt faire une déclaration à la commission de déontologie, et ce six mois après la cessation de vos fonctions à l'Élysée. Quelqu'un vous a-t-il demandé ou a-t-il exigé de vous que vous fassiez cette déclaration ? Si oui, à quel moment ? Et pourquoi avez-vous mis autant de temps à la rédiger ?
M. Alexandre Benalla. - En ce qui concerne la déclaration à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique que j'aurais dû faire préalablement à mon entrée à l'Élysée, la pseudo « affaire Benalla » a révélé que les chargés de mission n'y ont jamais été astreints et qu'il s'agissait d'une pratique courante depuis un certain nombre de quinquennats. Ce n'est qu'à la suite de cette affaire que le directeur de cabinet du Président de la République a demandé aux neuf autres chargés de mission de l'Élysée de remplir une telle déclaration.
Je tiens à vous informer que, au mois de septembre dernier, après avoir quitté l'Élysée, j'ai transmis une déclaration de cessation de fonctions à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
Concernant l'obligation de saisir la commission de déontologie de la fonction publique, je n'ai, encore une fois, pris connaissance de cette obligation que trois jours avant l'audition de M. Patrick Strzoda par votre commission d'enquête, lequel m'a envoyé un courrier, que je pourrais éventuellement vous fournir si vous en avez besoin, dans lequel il m'informait qu'il était très important de saisir cette commission. Malheureusement, je n'ai pas relu mon contrat de travail au terme de mes fonctions ; j'en suis absolument désolé - il s'agit là encore d'une erreur de ma part.
M. Philippe Bas , président . - Il est vrai que ce courrier aurait certainement pu vous être adressé plus tôt, au mois de juillet par exemple,...
M. Alexandre Benalla . - Exactement.
M. Philippe Bas , président . - ... ce qui ne vous dispensait pas pour autant de remplir vos obligations.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio . - Monsieur Benalla, j'ai bien noté que vous confirmiez avoir laissé vos passeports à l'Élysée et que vous refusiez de répondre à la question de savoir qui vous les avait rendus et comment ils vous avaient été restitués.
Vous avez été licencié le 24 juillet avec effet au 1 er août.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio . - Le fait que vous ayez continué à utiliser ces passeports diplomatiques m'interpelle : pourquoi, comme tous les citoyens de ce pays, comme moi, par exemple, n'avez-vous pas utilisé un passeport ordinaire pour voyager ? Pour quelle raison avez-vous estimé que votre passeport diplomatique était nécessaire pour vous déplacer ? On peut parfaitement se déplacer avec un passeport ordinaire : on passe les frontières, peut-être un peu moins rapidement, mais on les passe ! Qu'est-ce qui justifie que vous ayez absolument tenu à utiliser des passeports diplomatiques pour vos déplacements ?
M. Alexandre Benalla. - Absolument rien ne justifiait l'utilisation de ces passeports. Je le répète encore une fois, il s'agissait d'une bêtise, d'une erreur de ma part. J'ajoute que ces passeports ne m'ont pas facilité la vie plus que cela au moment du passage aux frontières. Je n'ai échappé à aucun contrôle, que ce soit les contrôles d'identité ou les contrôles des bagages. C'était une erreur de ma part.
M. Jean-Yves Leconte . - Monsieur Benalla, je voudrais vous faire préciser quelques-uns des propos que vous avez tenus en réponse à notre collègue Esther Benbassa sur votre voyage au Tchad ; j'ai trois questions.
Première question : êtes-vous entré au Tchad avec votre passeport diplomatique, sans visa, comme vous nous l'avez dit, ou avez-vous présenté un passeport ordinaire aux autorités tchadiennes ? Deuxième question : des visas ont-ils été apposés sur votre passeport diplomatique depuis le 1 er août ? Troisième question : avez-vous voyagé avec votre passeport diplomatique dans des pays où le titulaire d'un passeport diplomatique, contrairement à celui d'un passeport ordinaire, est exempté de demande de visa ?
M. Alexandre Benalla. - Pour répondre à votre première question, je suis entré au Tchad avec mon passeport diplomatique. Ensuite, je n'ai jamais fait l'objet de demande de visa avec ce passeport diplomatique.
Mme Esther Benbassa . - C'est obligatoire.
M. Alexandre Benalla. - Je ne l'ai pas fait, madame, et on m'a accepté au Tchad. Il faudrait demander aux autorités tchadiennes la raison pour laquelle elles m'ont laissé entrer sur le territoire, mais, en tout cas, je n'ai pas été refoulé à la frontière.
Enfin, à ma connaissance, je n'ai pas voyagé dans des pays qui exemptent de visa les titulaires de passeport diplomatique.
M. Philippe Bas , président . - Monsieur Benalla, à votre sortie du territoire français, aucun fonctionnaire de la direction centrale de la police aux frontières ou des services de la douane ne s'est opposé à l'utilisation de votre passeport diplomatique ?
M. Alexandre Benalla. - À aucun moment, monsieur le président Bas.
M. Philippe Bas , président . - Vous avez donc utilisé ce passeport diplomatique pour sortir du territoire.
M. Alexandre Benalla. - Il m'est arrivé de l'utiliser.
M. Loïc Hervé . - Monsieur Benalla, vous nous avez dit tout à l'heure avoir restitué un pin's : est-ce celui du groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR) ?
Par ailleurs, en tant que collaborateur du Président de la République, vous bénéficiiez d'une habilitation secret-défense au terme d'une enquête menée par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). Quand avez-vous rempli et signé le formulaire de demande ? Combien de fois, quand et par qui avez-vous été auditionné pour obtenir votre accréditation secret-défense ?
Enfin, le début et la fin de votre accréditation secret-défense vous ont-ils été notifiés ? Si oui, quand ?
M. Alexandre Benalla. - J'ai entendu et lu beaucoup de choses dans la presse : en aucun cas, le pin's porté par les membres du cabinet de la présidence de la République n'est similaire à celui du GSPR.
Le pin's du GSPR est de couleur noire, comporte les armoiries de la présidence et trois étoiles qui correspondent à l'acronyme de la protection rapprochée. Le pin's délivré au personnel du cabinet de la présidence, ainsi qu'à certains membres des services administratifs, comme les photographes ou les intendants, pour que ceux-ci soient plus facilement identifiables lors des déplacements du Président de la République, est rond. On y trouve les couleurs bleu blanc et rouge et la mention « présidence de la République ». Ce pin's est numéroté et attribué nominativement par le commandement militaire du Palais de l'Élysée, sur instruction du directeur de cabinet.
L'enquête d'habilitation secret-défense n'a pas été réalisée par le SGDSN, car ce service n'enquête qu'en cas d'accréditation « très secret-défense », niveau auquel je n'étais pas habilité. Pour ma part, j'ai été habilité par mon autorité d'emploi, c'est-à-dire le directeur de cabinet du Président de la République, sur rapport de la direction générale de la sécurité intérieure, la DGSI, dont les enquêtes sont assez poussées, et dont je ne connais pas la teneur, ce qui est, par essence, le but que l'on vise quand on procède à ce type d'enquête.
Enfin, l'habilitation vous étant accordée dès lors que vous occupez certaines fonctions, elle devient caduque lorsque vous cessez de les occuper. C'est la règle dans l'administration : quand quelqu'un dispose d'un poste qui nécessite une habilitation secret-défense et qu'il le quitte pour prendre de nouvelles fonctions, il perd son habilitation.
M. Loïc Hervé . - Vous voulez dire que vous n'avez à aucun moment été auditionné en vue d'une habilitation secret-défense à votre arrivée à l'Élysée ?
M. Alexandre Benalla. - Sans trahir de secret en la matière, puisque je ne suis pas détenteur moi-même d'une telle habilitation, les services mènent des auditions uniquement dans le cas où ils identifient un problème. Ils vous demandent alors de vous rendre à une convocation à laquelle vous êtes tenu d'aller et de répondre à un certain nombre de questions sur des failles susceptibles de vous concerner. Dans la mesure où je n'ai pas moi-même été auditionné par ces services, c'est qu'il n'y avait aucune raison de douter ou de m'entendre sur des faits qui auraient été portés à leur connaissance.
Mme Catherine Troendlé . - Monsieur Benalla, à une question portant sur le téléphone Teorem, vous nous avez répondu tout à l'heure que vous aviez le souci du respect des procédures.
Ma question porte sur le moment où vous avez récupéré vos passeports diplomatiques. Vous avez déclaré qu'il vous arrivait d'informer certaines personnes très haut placées à l'Élysée de vos déplacements. Cette démarche résultait-elle d'une procédure ? Quelqu'un vous a-t-il demandé de le tenir informé de vos déplacements ? Dans le cas contraire, qu'est-ce qui peut expliquer votre démarche auprès de ces personnes, si ce n'est que vous souhaitiez que le Président de la République en soit informé ? Enfin, avez-vous informé ces personnes de votre déplacement au Tchad ?
M. Alexandre Benalla. - Pour répondre à votre question, je n'avais aucune obligation d'informer la présidence de la République de mes déplacements. Je l'ai fait par courtoisie et, paradoxalement, je l'ai fait pour éviter ce que l'on est en train de vivre aujourd'hui. L'erreur d'avoir utilisé les passeports n'a pas aidé en soi. Compte tenu de la notoriété que j'ai acquise à cause de cette affaire, je souhaitais que mes déplacements ne puissent faire l'objet d'aucune interprétation. En l'occurrence, je n'avais pas été informé du déplacement du Président de la République au Tchad trois semaines après mon propre déplacement. J'ai informé l'Élysée de mon déplacement au Tchad a posteriori , et non avant de m'y rendre. C'est d'ailleurs ce qui a provoqué toute cette histoire. Je n'avais aucune obligation à le faire ; je l'ai fait par courtoisie.
Mme Catherine Troendlé . - Vous avez donc informé la présidence de la République par courtoisie et pour que le Président de la République soit au courant.
M. Alexandre Benalla . - Je l'ai surtout fait pour que les services de l'Élysée et l'entourage du Président de la République soient informés de mes déplacements, et ce afin d'éviter toute confusion et de faire en sorte qu'ils soient avertis a minima de ce que je faisais après mon licenciement.
M. Jean-Luc Fichet . - Je veux simplement revenir quelques instants sur l'utilisation du téléphone Teorem. On nous a expliqué qu'il existait 4 600 appareils en fonctionnement à l'échelon national, que l'Élysée se servait d'une trentaine de ces téléphones, et que leur utilisation impliquait que son correspondant dispose d'un appareil du même type. La procédure semble donc extrêmement encadrée et précise.
Je voudrais savoir si vous utilisiez fréquemment ce genre de téléphone et, le cas échéant, savoir avec quel type de correspondants vous échangiez. Comment expliquez-vous qu'un téléphone crypté aussi important et rare ait pu être égaré pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, et que vous l'ayez retrouvé par hasard dans vos cartons, alors que vous semblez si soucieux d'être professionnel, de bien utiliser le matériel et de le rendre en temps voulu ?
M. Philippe Bas , président . - Il est vrai qu'il s'agit quand même d'un outil très précieux et rare !
M. Alexandre Benalla. - Tout à fait.
Tout d'abord, comme vous l'avez dit, il s'agit d'un outil qui a coûté très cher à l'État et qui est malheureusement très peu utilisé, alors qu'il est à la disposition de toutes les personnes qui en ont besoin. Je me déplaçais, j'organisais des déplacements et j'étais en lien avec les autorités préfectorales et les autorités de police - c'est avec ces personnes-là que j'échangeais.
Ensuite, je n'ai pas retrouvé ce téléphone par hasard. Après avoir reçu le courrier du directeur de cabinet, je voulais être sûr et certain que je n'avais plus rien en ma possession qui appartienne à la présidence de la République. Je l'ai retrouvé à la suite de mes propres recherches ; je l'ai rendu de manière spontanée, par le biais de mon avocate. En revanche, je ne sais pas pourquoi l'Élysée s'est rendu compte au mois d'octobre que ce téléphone n'était plus là. En tout cas, on ne m'a jamais sollicité pour que je le rende. Comme pour les passeports diplomatiques, après que le scandale a éclaté, je l'ai fait de ma propre initiative, via mon avocate.
M. François-Noël Buffet . - Monsieur Benalla, vous avez été licencié le 1 er août 2018. Vous bénéficiiez de passeports diplomatiques et de service liés à votre fonction. Pendant la période du 1 er août au 31 décembre vous avez voyagé à vingt-trois reprises. Vous avez dit tout à l'heure que c'était pour mener des missions personnelles, dont vous considérez qu'elles ne regardent pas la commission. À partir du mois d'octobre, le Gouvernement vous demande à deux reprises de restituer ces passeports. Les lettres qui vous sont envoyées ne seront pas retirées. Vous êtes, semble-t-il, soucieux de la régularité des procédures, vous l'avez redit. Trouvez-vous normal de voyager à titre personnel avec des passeports qui étaient liés à la fonction que vous n'occupez plus ?
M. Alexandre Benalla . - Monsieur le sénateur, vous vous êtes égaré dans les dates : j'ai reçu les correspondances du ministère des affaires étrangères à la fin du mois de juillet 2018, ainsi qu'un mail du général Bio Farina, qui me demandait de restituer un certain nombre d'affaires, ce que j'ai fait dans le courant du mois d'août 2018. Et depuis que ces passeports m'ont été rendus début octobre 2018, je n'ai plus jamais reçu de relance de la part du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. On m'a rendu ces passeports en l'état, sans aucune interdiction de les utiliser, si ce n'est hors d'un cadre que je qualifierai de « moral ». C'était une bêtise de les utiliser, et j'en assume la responsabilité. Vous avez raison de le souligner, monsieur le sénateur, ce n'était pas normal d'utiliser ces passeports. Je l'ai fait, et j'en assume la responsabilité devant vous et devant la justice également.
M. Philippe Bas , président . - Merci de votre réponse. Vous vous souvenez peut-être également - sans doute l'avez-vous appris - que le 10 septembre 2018, la chef du bureau compétent du ministère des affaires étrangères vous a écrit un deuxième courrier par lettre recommandée avec accusé de réception vous demandant de restituer ces deux passeports. D'après ce que l'on nous a dit, vous n'avez pas retiré ce courrier.
M. Alexandre Benalla . - Je n'en ai pas pris connaissance ; il n'a pas été retiré. C'était une période un peu compliquée, pour tout vous dire.
Mme Catherine Di Folco . - M. Castaner, ministre de l'intérieur, nous a dit, lors de son audition du 16 janvier, que vous aviez fait une demande directement auprès du Quai d'Orsay pour obtenir un passeport de service. Il vous aurait été refusé parce que cette demande doit émaner de l'employeur. Vous auriez donc produit un document rédigé par vous- même sur un papier à en-tête du chef de cabinet, document non signé. Est-ce l'usage de produire un faux document pour arriver à ses fins ? Pourquoi avez-vous eu tant besoin de ce passeport de service à la fin du mois de juin 2018, alors que vos missions avaient été considérablement réaménagées, et que vous n'aviez plus besoin a priori de vous déplacer avec le Président de la République à l'étranger ? Enfin, avez-vous produit d'autres faux documents à d'autres moments durant vos missions ?
M. Philippe Bas , président . - Ma chère collègue, je ne crois pas que M. Benalla puisse nous répondre sur le fait qu'il aurait ou non produit des faux documents. Je lui ai rappelé tout à l'heure quelle était l'étendue de notre mission. Même si je comprends votre préoccupation, que vous n'êtes d'ailleurs pas la seule à avoir, ces questions sont susceptibles d'être tranchées par la justice, quand bien même M. Benalla n'a pas été mis en examen pour cette raison s'agissant de son passeport de service, comme il l'a relevé. Quant à son passeport diplomatique, il n'a jamais été allégué qu'il aurait commis un faux, du moins à notre connaissance. Il a simplement été souligné que ce passeport diplomatique a été renouvelé, à la suite d'une demande émanant de M. Benalla, lui-même, alors que, normalement, c'est le service du protocole de l'Élysée qui fait les demandes de renouvellement des passeports diplomatiques des collaborateurs du Président de la République...
M. Alexandre Benalla . - Sur instruction du cabinet.
M. Philippe Bas , président . - ... ce qui n'a pas été le cas. Cependant, M. Benalla, qui a une conception extensive du champ qui relèverait exclusivement de la justice, n'a pas voulu nous répondre sur ce point, alors même qu'aucun soupçon ne pèse sur lui à cet égard. En revanche, un soupçon pèse sur lui au sujet des passeports de service, puisque le directeur de cabinet du Président de la République a déclenché la procédure de l'article 40 du code de procédure pénale, même si M. Benalla n'est pas mis en examen à ce jour.
Monsieur Benalla, vous pouvez répondre à la question dans la mesure où vous le souhaitez.
M. Alexandre Benalla . - Pour répondre partiellement à la question, ce n'est pas le service du protocole qui prend la décision d'octroyer ou pas un passeport diplomatique. Ce service fait simplement les démarches administratives sur instruction du cabinet du Président de la République.
M. Philippe Bas , président . - Évidemment, mais il n'en reste pas moins exact que le renouvellement de votre passeport diplomatique n'a pas été demandé par le biais du service du protocole.
M. Alexandre Benalla . - En tout cas, ma demande a été suffisamment considérée pour donner lieu à une délivrance normale.
M. Philippe Bas , président . - Oui, c'est ce qu'a pensé le ministère des affaires étrangères,...
M. Alexandre Benalla . - Exactement.
M. Philippe Bas , président . - ... qui a informé le service du protocole...
M. Alexandre Benalla . - Tout à fait. Et qui n'a pas trouvé à y redire.
M. Philippe Bas , président . - Mais vous-même n'avez-vous pas eu l'idée que, compte tenu de l'évolution de vos fonctions, rien ne justifiait une demande de passeport diplomatique ?
M. Alexandre Benalla . - Monsieur le président Bas, je vous ai justement dit que j'avais répondu partiellement à votre question. J'en suis désolé, mais j'ai répondu partiellement à votre question.
M. Philippe Bas , président . - C'est ce que je constate.
M. Alexandre Benalla . - Ce n'est pas le service du protocole qui prend la décision d'octroyer ou de délivrer un passeport diplomatique. Il a un rôle de transmetteur entre la présidence de la République et le Quai d'Orsay.
M. Philippe Bas , président . - Et ce service n'a pas transmis la demande de renouvellement ?
M. Alexandre Benalla . - Exactement, il a simplement reçu l'information selon laquelle le passeport avait été renouvelé.
M. Philippe Bas , président . - Et vous avez fait votre demande directement au Quai d'Orsay ?
M. Alexandre Benalla . - Ce n'est pas exactement comme cela que cela s'est passé.
M. Philippe Bas , président . - Alors comment cela s'est-il passé ?
M. Alexandre Benalla . - Je le dirai à la juge d'instruction.
M. Philippe Bas , président . - Mais peut-être qu'elle ne vous le demandera pas ! Tandis que moi, je vous le demande.
M. Alexandre Benalla . - La question m'a déjà été posée lors de ma garde à vue, pour tout vous dire.
M. Philippe Bas , président . - Certes, mais ce n'est pas une raison pour ne pas répondre.
M. Alexandre Benalla . - Cela fait partie de l'information judiciaire.
M. Philippe Bas , président . - Je reconnais que je reviens sur un aspect de nos échanges pour vous donner une ultime chance.
M. Alexandre Benalla . - Je comprends, monsieur le président.
M. Philippe Bas , président . - Je le fais en réalité avec bienveillance, monsieur Benalla.
M. Alexandre Benalla . - Je l'imagine bien, et c'est pour cette raison que je préférerais répondre à la justice.
M. Philippe Bas , président . - Vous choisissez la personne à laquelle vous préférez répondre.
M. Alexandre Benalla . - Tout à fait.
M. Philippe Bas , président . - Je vous en donne acte ; je ne puis faire autrement.
M. Alexandre Benalla . - En vertu des textes.
M. Philippe Bas , président . - Je suis tout de même obligé de vous rappeler que la personne qui refuse de déposer devant une commission d'enquête est passible de deux ans d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende. Nous aurons donc à délibérer de la manière dont vous nous avez répondu ou plutôt de la manière dont vous n'avez pas répondu à des questions dont je vous redis qu'elles relèvent de notre commission d'enquête, même si la dernière question a pu vous être posée...
M. Alexandre Benalla . - ... dans le cadre d'une information judiciaire.
M. Philippe Bas , président . - Oui, mais le juge d'instruction vous a certainement posé aussi beaucoup d'autres questions sur des faits au sujet desquels vous nous répondez lorsque nous vous interrogeons. Même si les faits qui occupent la justice sont abordés sous un angle différent, ce sont en partie les mêmes que ceux sur lesquels nous mettons en oeuvre nos investigations. Il est donc bien normal qu'un juge d'instruction vous pose des questions dans un domaine pour lequel il n'estime pas devoir engager des poursuites, et que nous posions aussi des questions sur ces faits.
Mais j'ai déjà eu l'occasion de vous expliquer tout cela : je suis persévérant et vous êtes obstiné, si bien que nous n'arriverons pas à déboucher sur une réponse qui paraîtrait satisfaisante pour la commission d'enquête.
M. Alexandre Benalla . - Je comprends bien votre souci, monsieur le président Bas. Mon seul souci, c'est celui de la présomption d'innocence...
M. Philippe Bas , président . - Je le partage entièrement.
M. Alexandre Benalla . - ... et de la non auto-incrimination.
M. Philippe Bas , président . - Mais je ne vous demande pas de vous auto-incriminer.
M. Alexandre Benalla . - À partir du moment où je vous parle sous serment, il y a des choses que je ne peux pas vous dire.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Des propos mensongers ?
M. Alexandre Benalla . - Non, ce ne sont pas des propos mensongers, contrairement à ce que vous dites, madame la rapporteur.
M. Philippe Bas , président . - Il n'y a pas de poursuites engagées sur ce point, monsieur Benalla.
M. Alexandre Benalla . - C'est mon droit, et il faut juste le respecter. À partir du moment où une information judiciaire est ouverte contre vous, quel que soit votre statut, il y a des choses que vous pouvez dire et d'autres pas.
M. Philippe Bas , président . - Je suis très soucieux de votre droit, monsieur Benalla, sachez-le.
M. Alexandre Benalla . - Merci, monsieur le président.
M. Philippe Bas , président . - Je crois que la manière dont ces débats ont eu lieu l'atteste.
M. Alexandre Benalla . - Bien entendu. Simplement, je vous le dis, il y a des questions auxquelles je ne peux pas vous répondre, et je réserve mes réponses à la justice ; j'en suis désolé. Je fais un choix, qui m'a été conseillé par mes avocats.
M. Philippe Bas , président . - Vous comprenez que nous puissions aussi interpréter votre non-réponse au regard de nos prérogatives constitutionnelles ?
M. Alexandre Benalla . - Bien entendu.
M. Philippe Bas , président . - Et que nous puissions nous interroger sur les raisons profondes de cette non-réponse ?
M. Alexandre Benalla . - Bien entendu.
Mme Catherine Di Folco . - Je me permets d'insister. Si vous ne pouvez pas répondre à l'ensemble de mes questions, peut-être pourriez-vous y répondre au moins en partie. Pourquoi aviez-vous besoin, le 28 juin 2018, d'un passeport de service, alors que vos fonctions avaient été modifiées, au point de faire une demande hors cadre ?
M. Alexandre Benalla . - Madame la sénatrice, votre précédente question pose quand même celle de la présomption d'innocence. Je vous fais remarquer, comme l'a dit le président Bas, que je n'ai pas été mis en examen pour faux et usage de faux.
Mme Catherine Di Folco . - Vous pouvez donc me répondre.
M. Philippe Bas , président . - Monsieur Benalla, aviez-vous encore réellement besoin d'un passeport de service, le 28 juin dernier, pour l'exercice de vos fonctions ? Nous laissons totalement de côté le point de savoir si vous avez demandé ce passeport de service au moyen de ce que le directeur de cabinet du Président de la République a qualifié de « faux » ou pas ; nous vous demandons si, eu égard à la fonction que vous exerciez alors, il était justifié de disposer d'un passeport de service ?
M. Alexandre Benalla . - Je vais vous faire la même réponse - cela fait trois fois que vous me posez la question -, car une information judiciaire est en cours : j'ai reçu ce passeport de la manière la plus normale du monde.
Mme Catherine Di Folco . - Ce n'est pas la question !
M. Philippe Bas , président . - C'est tout de même curieux. En vérité, vous vous abritez derrière la mission de la justice quand cela vous arrange. Vous avez fait tout à l'heure un long développement pour justifier les actes du 1 er mai qui vous sont reprochés. Pourtant, cette question, que nous ne vous avions même pas posée, relève intégralement de la justice. Et vous ne vous privez pas de porter une appréciation sur le rôle que vous avez eu et sur la justification de ce rôle au regard d'un article du code de procédure pénale que vous nous avez rappelé. Même si la justice a été saisie, vous êtes tout à fait à l'aise pour entrer dans des détails que nous ne vous demandons pas.
Mais, quand nous vous posons des questions ayant trait à votre mission à l'Élysée et aux raisons pour lesquelles vous pourriez avoir un passeport de service, vous vous abritez derrière une information judiciaire, alors même que, comme je l'ai dit et comme vous l'avez dit vous-même, vous n'êtes pas mis en examen, malgré le signalement au parquet effectué par le directeur de cabinet du Président de la République. Il y a, me semble-t-il, de véritables contradictions dans la manière dont vous utilisez le travail de la justice.
M. Alexandre Benalla . - L'utilisation de l'article 40 du code de procédure pénale a fort opportunément été rendue publique devant votre commission au moment même où le chef de cabinet était en train de déposer devant les policiers, à la veille d'une garde à vue qui vous a été annoncée. Je pense qu'il faudrait aussi soulever ce point. Quoi qu'il en soit, j'ai le droit à une défense.
Mme Catherine Di Folco . - Vous deviez être entendu, pas mis en garde à vue.
M. Alexandre Benalla . - On annonçait que j'allais être entendu dans les toutes prochaines heures, c'était à peu près compréhensible. J'ai droit à une défense. J'ai le droit de ne pas m'auto-incriminer. Vous avez le droit de me poser beaucoup de questions, et moi, je vous donne mes réponses, comme je l'entends.
M. Philippe Bas , président . - C'est ce que nous constatons. Vous mettez donc en oeuvre votre stratégie de défense devant la commission d'enquête du Sénat, alors qu'elle ne s'intéresse nullement aux questions dont la justice est saisie.
M. Jacques Bigot . - Monsieur Benalla, êtes-vous en possession d'un passeport ordinaire comme tous les Français peuvent en avoir ? Si oui, pourquoi n'en avez-vous pas fait usage ? Vous avez dit que c'était une bêtise d'avoir utilisé à vingt-trois reprises le passeport diplomatique - c'est toujours quand on est poursuivi que l'on se dit que l'on a fait une bêtise. Les passeports ne servent pas qu'à passer les frontières. Lorsque l'on veut rencontrer les hautes autorités d'un pays, comme vous l'avez fait, il est aussi souvent utile d'avoir un passeport diplomatique. Celui-ci peut faciliter les contacts dès lors qu'il s'agit d'accéder à la présidence de la République d'un État. Si vous aviez un passeport ordinaire, pourquoi avez-vous fait usage de passeports diplomatiques ?
M. Philippe Bas , président . - Cette question a déjà été posée, mais vous pourriez peut-être y apporter une réponse plus précise.
M. Alexandre Benalla . - Première réponse : j'ai un passeport normal et je l'ai utilisé entre le 7 août et début octobre 2018 parce que je n'étais plus en possession des passeports diplomatiques.
Deuxième réponse : j'ai fait une erreur, je le répète pour la sixième fois. Par ailleurs, quand vous êtes en visite dans un pays étranger, vous ne vous présentez pas devant le bâtiment de la présidence de la République en exhibant votre passeport fort, haut et clair en disant : « Je veux être reçu par le Président. Regardez, j'ai un passeport diplomatique ! » Cela ne fonctionne pas tout à fait comme cela. Vous vous présentez au contrôle des frontières pour justifier de votre identité, vous pénétrez dans le pays une fois celle-ci contrôlée et vous allez aux rendez-vous qui ont été convenus à l'avance. Vous n'envoyez pas non plus de mail avec la photocopie du passeport diplomatique que vous détenez encore pour obtenir ce type de rendez-vous. Ce n'est pas exactement comme cela que cela fonctionne.
Mme Laurence Harribey . - Vous avez répondu tout à l'heure à M. Pillet que les passeports avaient été délivrés normalement par l'administration. Nous pouvons en déduire qu'il était normal que vous ayez deux passeports diplomatiques et deux passeports de service, en tant que responsable de la sécurité. D'une manière générique, en faisant abstraction de votre cas et de la procédure en cours, pouvez-vous, au regard de vos fonctions, expliquer les utilisations respectives de ces deux types de passeports, ainsi que les raisons et les procédures pour lesquelles et par lesquelles ils ont été attribués ?
Par ailleurs, le téléphone crypté figurait-il dans l'inventaire des pièces qui vous ont été demandées dans le cadre de la procédure de restitution des effets liés à votre fonction ?
M. Alexandre Benalla . - Cette question m'a déjà été posée, et, suivant la même logique, je n'y répondrai pas.
Je n'étais pas responsable de la sécurité, je tiens à le souligner - je croyais avoir fait un exposé assez précis à ce sujet lors de ma première audition. J'avais un statut de chargé de mission, et j'exerçais des fonctions d'adjoint au chef de cabinet du Président de la République, ce qui n'est pas exactement la même chose que d'être responsable de la sécurité ou garde du corps, comme je l'entends encore régulièrement.
En ce qui concerne la restitution des effets personnels, je tiens à préciser que le téléphone Teorem n'était pas inscrit dans le courrier de Patrick Strzoda à mon intention.
M. Philippe Bas , président . - Bien que non-membre de notre commission, M. Cédric Perrin souhaite poser une question.
M. Cédric Perrin . - Vous avez expliqué que vous aviez eu non pas quatre, mais trois passeports diplomatiques,...
M. Alexandre Benalla . - Deux.
M. Cédric Perrin . - ... dont certains n'étaient plus valables. Avez-vous eu ces passeports diplomatiques avant de rejoindre La République en Marche et avant d'entrer à l'Élysée ?
M. Alexandre Benalla . - J'ai été en possession de quatre passeports, deux passeports diplomatiques et deux passeports de service. Trois de ces passeports m'ont été octroyés pendant ma présence à la présidence de la République, pour être précis, et je n'ai jamais eu de passeport diplomatique avant mes fonctions à l'Élysée.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Je poserai quelques questions complémentaires très courtes.
Vous êtes-vous rendu à l'Élysée depuis que vous avez été licencié ?
M. Alexandre Benalla . - Je ne répondrai pas à cette question, car l'information judiciaire peut s'appliquer à la période qui a suivi la fin de mes fonctions.
M. Philippe Bas , président . - M. Sueur veut savoir, en réalité, si je ne me trompe pas, si vous avez poursuivi une forme de collaboration avec la présidence de la République après votre licenciement, afin de vérifier que ce licenciement a été pleinement suivi d'effets. Tel est, me semble-t-il, le sens de la question.
M. Alexandre Benalla . - Tout dépend de ce que l'on entend par la présidence de la République : en tant que bâtiment ou qu'institution... Je n'ai jamais eu avec l'Élysée de collaboration professionnelle postérieure à mon licenciement.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Vous ne répondez pas, mais vous faites un distinguo entre le bâtiment et l'institution, si je comprends bien.
M. Alexandre Benalla . - Tout à fait.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - J'insiste sur le fait que ce qui s'est passé après votre départ fait strictement partie de nos prérogatives. En effet, vous auriez dû faire une déclaration auprès de la commission de déontologie ; vous allez sans doute le faire. Dans les mois qui suivent la fin de l'exercice d'une haute fonction comme celle qui a été la vôtre, il est très important, dans l'intérêt de l'État, qu'il ne soit fait usage d'aucune façon de la fonction précédente au bénéfice d'une fonction suivante. Après avoir pris note de votre réponse, il nous avait été dit que vous n'étiez pas venu à la présidence de la République, contrairement à ce que vous indiquez. Mais on ne sait pas si vous êtes venu dans le bâtiment ou dans l'institution. Peut-être est-ce dans l'institution...
Pour vous le dire gentiment, nous aimons les belles histoires, mais là, vous déposez sous serment.
Dans le cadre de votre activité, vous avez rencontré M. Hababou Solomon, avec qui vous avez ensuite voyagé, un voyage à but économique, comme vous l'avez indiqué, ce qui n'est en rien répréhensible, mais tout de même... Vous avez rencontré un, deux, trois ou quatre chefs d'État - ce n'est pas anodin - après avoir été licencié de l'Élysée. Vous participez à des délégations, et cela à titre personnel : c'est votre liberté. D'après ce que nous avons compris - peut-être ai-je mal compris ? -, M. Hababou Solomon s'occuperait de vendre des uniformes militaires. C'est en tout cas ce que j'ai lu dans la presse, et je sais que vous n'accordez pas beaucoup de crédit à ce genre de déclaration. Lors de l'entretien avec le Président du Tchad - là encore, vous pouvez ne pas répondre -, n'a-t-il été vraiment question que de cette activité marchande ? Dans le cadre de vos déplacements, êtes-vous certain qu'il n'a jamais été question des fonctions que vous avez exercées, que vous n'avez jamais été reçu en référence à ces fonctions ou au motif que vous pouviez, jusqu'au 24 décembre, communiquer en particulier avec l'Élysée ? Êtes-vous sûr que, dans les conversations d'ordre économique auxquelles vous avez légitimement, je le redis, participé, rien n'aurait eu trait à des questions liées à la défense ou à la sécurité ? Pouvez-vous engager devant nous sur ces questions sous serment ?
M. Alexandre Benalla . - Je ne vois pas le rapport entre le licenciement et l'impossibilité d'être reçu par un chef d'État étranger, qui est souverain et qui fait absolument ce qu'il veut...
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Bien sûr.
M. Alexandre Benalla . - ... s'il a envie de me recevoir, s'il a envie de m'inviter à venir le voir...
M. Jean-Pierre Sueur . - Je vous en donne acte. Vous avez tout à fait raison sur le plan du droit.
M. Alexandre Benalla . - Je vous en remercie.
... et s'il a envie d'avoir une discussion.
M. Philippe Bas , président . - Peut-être... sauf si la commission de déontologie n'a pas été saisie pour s'assurer que vos nouvelles activités étaient conformes aux règles déontologiques.
M. Alexandre Benalla . - Mais je ne pense pas que la commission de déontologie ait le pouvoir de m'interdire de rencontrer des gens, de voyager et d'essayer de faire quelque chose de ma vie, plutôt que de m'enfermer chez moi au fin fond de la Normandie, en touchant les allocations de Pôle Emploi.
M. Philippe Bas , président . - Il s'agissait bien d'une collaboration salariée ?
M. Alexandre Benalla . - Non. J'ai eu une collaboration salariée à partir du mois de novembre avec la société France Close Protection pour une durée d'un mois. Or vous me parlez des déplacements...
M. Jean-Pierre Sueur . - Ils étaient à titre privé et bénévoles ?
M. Alexandre Benalla . - Je veux juste être très précis avec le président Bas : je n'ai pas perçu de rémunération spécifiquement pour ce voyage au Tchad avec M. Philippe Hababou Solomon. Je n'ai pas été emmené au Tchad contre rétribution pour faciliter quelque affaire que ce soit, contrairement à ce qui peut être sous-entendu.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Par qui et pourquoi êtes-vous rétribué ?
M. Alexandre Benalla . - Je pense que cela ne vous concerne pas aujourd'hui, monsieur le rapporteur.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Mais si, cela nous concerne ! Dans les mois suivant l'exercice d'une fonction importante, la loi prévoit une obligation de saisir la commission de déontologie pour lui déclarer de nouvelles activités. Celle-ci doit statuer sur le fait qu'il n'y a aucun rapport entre les activités que vous exercez présentement et les missions qui étaient les vôtres, il y a quelques mois, au sein de la plus haute institution de l'État !
M. Alexandre Benalla . - Ne vous énervez pas, monsieur le rapporteur.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Je ne suis pas énervé, je suis plein de conviction - vous le savez bien et tout le monde le sait d'ailleurs.
M. Alexandre Benalla . - Cela regarde peut-être la commission de déontologie qui va être saisie par mon avocat, mais je n'ai pas à vous dire aujourd'hui ce que je fais, de quoi je vis, où je vis, avec qui et comment je me déplace.
M. Philippe Bas , président . - Toutes ces questions ne vous ont pas été posées.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - On ne vous le demande pas.
M. Alexandre Benalla . - L'équilibre entre les questions et les réponses est très subtil.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Nous vous demandons simplement quel est votre employeur, et quelle est votre activité. Nous avons le droit de le demander puisqu'il y a un droit de suite au regard des fonctions que vous exerciez à l'Élysée. D'une part, ces faits ne sont pas couverts par la justice et, d'autre part, si vous nous répondiez, nous aurions l'assurance qu'il n'y a aucun rapport entre ce que vous faites présentement et ce que vous faisiez à l'Élysée. Si vous exercez une activité dans d'autres domaines, nous ne pourrons que vous souhaiter bonne chance. Le fait que vous ne répondiez pas engendre forcément le soupçon : comment pouvons-nous être sûrs que ces voyages et ces contacts n'ont pas de rapport avec l'activité que vous exerciez auparavant, ou avec les contacts que vous avez entretenus jusqu'au jour de Noël avec la présidence de la République ?
M. Alexandre Benalla . - Encore une fois, je pense que les déplacements que j'ai pu faire avec les passeports diplomatiques et quel que soit mon titre entrent dans le périmètre de l'instruction. Quant à ma vie d'aujourd'hui, elle me concerne moi, et seulement moi. Je fais tout dans le respect des lois depuis que j'ai rendu mes passeports diplomatiques, tant dans ma vie privée que dans ma vie professionnelle. Je ne vais pas répondre de manière perpétuelle à toutes les questions qui me sont posées dix fois par jour par les journalistes : qui je rencontre, qui je vois, ce que je fais, de qui je suis salarié. Tout cela ne regarde que moi.
M. Philippe Bas , président . - Monsieur Benalla, les questions qui vous sont posées ici ne sont pas celles des journalistes, et le statut de vos réponses n'est pas le même que celui des réponses que vous apportez quand vous consentez vous-même à donner des interviews dans la presse. Nous allons nous en tenir là. Je vais vous demander de bien vouloir vous retirer ainsi que votre conseil, et nous allons poursuivre nos travaux.
Je demande aux collègues qui ne sont pas membres de la commission des lois de bien vouloir se retirer temporairement ainsi que le public et la presse, car nous avons à délibérer de la question de l'éventuelle audition à huis clos de M. Crase. En vertu des textes qui leur sont applicables, les travaux des commissions d'enquête sont en principe publics, mais le huis clos peut néanmoins être prononcé par dérogation.
Audition de M. Vincent
Crase,
chef d'escadron dans la réserve opérationnelle
de la
gendarmerie nationale
(Lundi 21 janvier 2019)
M. Philippe Bas , président . - Nous allons procéder à l'audition de M. Vincent Crase, auquel j'ai indiqué que la commission des lois avait décidé de maintenir la publicité de cette réunion, malgré sa demande de huis clos.
Après que M. Crase aura prêté serment, nous lui poserons des questions ponctuelles. Il ne s'agit pas de refaire l'audition du mois de septembre, mais simplement de l'interroger sur des informations rendues publiques au cours des dernières semaines : elles concernent un contrat portant sur des prestations de sécurité rapprochée qu'il aurait signé avec une personnalité étrangère alors qu'il aurait été encore en fonction à l'Élysée, chargé de l'encadrement des réservistes de la gendarmerie nationale. M. Crase, auquel nous avons posé des questions écrites, a démenti ces informations. Il nous apportera certainement des précisions à cet égard.
Je rappelle, comme je l'ai fait lors de chaque audition, qu'un faux témoignage devant notre commission des lois, dotée des prérogatives d'une commission d'enquête, est passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Vincent Crase prête serment.
M. Philippe Bas , président . - Vous pouvez, monsieur Crase, dire quelques mots préliminaires, mais vous n'êtes pas obligé de le faire.
M. Vincent Crase . - Commençons tout de suite.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Le ministre de l'intérieur nous a indiqué que vous n'aviez jamais, depuis le début de votre contrat d'engagement dans la réserve opérationnelle de la gendarmerie nationale, fait état d'activités privées. Avant d'être mobilisé au sein du commandement militaire du Palais de l'Élysée, avez-vous été interrogé par les services du ministère de l'intérieur ou par la présidence de la République sur le contenu de vos activités professionnelles et sur les éventuelles activités privées que vous exerciez alors ?
M. Vincent Crase . - Lorsque j'ai signé mon contrat de réserve pour intégrer la Garde républicaine, dans le courant du mois d'octobre 2017, j'ai déclaré que j'étais salarié au service de la sécurité d'En Marche. Je ne me souviens pas avoir mentionné que j'avais une société, celle-ci n'ayant pas d'activité.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Ma question était : avez-vous été interrogé sur vos activités ?
M. Vincent Crase . - Non, pas dans mon souvenir.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - La presse, pour laquelle nous avons un grand respect - même si nous gardons une totale indépendance à son égard, comme à celui de la justice et du pouvoir exécutif -, s'est fait l'écho au cours des dernières semaines de prestations de sécurité privée que vous auriez exécutées, par le biais de la société Mars, pour le compte de M. Iskander Makhmudov. Pourriez-vous nous indiquer quel était l'objet exact de ces prestations ?
M. Vincent Crase . - Il s'agissait de prestations de sécurité privée. M. Makhmudov souhaitait que ses trois enfants bénéficient d'un accompagnement journalier, et que lui-même dispose d'une équipe comprenant un chauffeur et deux personnes, durant ses villégiatures en France.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Quelle a été la durée de ce contrat ?
M. Vincent Crase . - J'ai signé ce contrat le 6 juin 2018, sachant que j'avais quitté le Palais de l'Élysée le 4 mai 2018. Ce contrat a duré trois mois : l'affaire du 1 er mai ayant explosé le 18 juillet, mon prestataire et le client en ont été émus et ils ont préféré y mettre fin. La durée d'essai prévue étant de trois mois, le contrat s'est terminé en septembre.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Ces prestations ont-elles été effectuées par la seule société Mars, ou avez-vous eu recours à la sous-traitance ?
M. Vincent Crase . - J'ai recouru à la sous-traitance, parce que je n'avais pas l'habilitation du Conseil national des activités privées de sécurité (Cnaps) m'autorisant à être dirigeant de société de sécurité. Comme j'aime faire les choses légalement, j'ai donc dû passer par un prestataire de services qui disposait de cette habilitation.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Vous venez de nous indiquer que ce contrat avait débuté au mois de juin 2018. Quand ont commencé les négociations du contrat ?
M. Vincent Crase . - Elles ont commencé au mois de mai 2018, après mon départ de l'Élysée.
M. Philippe Bas , président . - Quand avez-vous quitté le Palais de l'Élysée ?
M. Vincent Crase . - Le 4 mai 2018, mon poste de chef d'escadron pour la réserve opérationnelle au Palais de l'Élysée, qui consistait à encadrer les 14 réservistes que j'avais recrutés et instruits, est fermé. Je suis alors réorienté vers le 1 er régiment d'infanterie pour lequel j'ai effectué jusqu'à l'affaire, c'est-à-dire jusqu'au 18 juillet, deux journées d'instruction.
M. Philippe Bas , président . - Quelles raisons vous a-t-on donné, le 4 mai, pour mettre fin à vos fonctions à l'Élysée ?
M. Vincent Crase . - La médiatisation des images qui commençaient à tourner et étaient arrivées jusqu'au Palais n'était pas compatible avec mon maintien en poste.
M. Philippe Bas , président . - On observera que la présidence de la République considère que les mêmes images sont compatibles avec le maintien en poste de M. Benalla. Mais vous n'avez pas à commenter ce point...
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Quand avez-vous rencontré pour la première fois M. Makhmudov ?
M. Vincent Crase . - Je ne l'ai jamais rencontré.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Qui est l'intermédiaire qui vous a mis en contact avec lui ?
M. Vincent Crase . - Je n'ai jamais été en contact avec M. Makhmudov.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Je suppose qu'il y a eu tout de même eu un lien entre lui et vous...
M. Vincent Crase . - Oui, il s'agit de son homme d'affaires. M. Makhmudov ne s'occupe pas directement de son « intendance ». Il a beaucoup d'avocats et de gens qui travaillent pour lui.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Vous nous avez indiqué par écrit qu'Alexandre Benalla n'avait pris aucune part à la conclusion de ce contrat, et nous en prenons acte. Pouvez-vous nous dire sous serment qu'il n'est intervenu aucunement, auparavant, dans la conclusion de marchés de prestations de sécurité privée que vous auriez assurées ?
M. Vincent Crase . - M. Benalla n'est jamais intervenu lors des négociations de ce contrat, pas plus que dans sa signature ou son application, et il ne figure pas dans les statuts de ma société.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Je veux parler de marchés portant sur des activités de sécurité privée qui auraient précédé ce contrat. Pendant que vous travailliez directement ou indirectement pour l'Élysée, avez-vous eu un contact avec monsieur Benalla, d'une façon ou d'une autre, à propos de ces activités de sécurité privée, qui ne se limitent pas à votre contrat avec M. Makhmudov ?
M. Vincent Crase . - Je n'ai eu aucune autre activité de sécurité privée, à part ce contrat avec M. Makhmudov.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Et antérieurement, jamais non plus ?
M. Vincent Crase . - Antérieurement, il nous est arrivé d'en parler ensemble. Nous sommes des amis, donc nous nous voyons, nous nous côtoyons, nous sortons et nous faisons beaucoup de choses ensemble. Bien sûr, je lui en ai parlé, mais M. Benalla n'est pas un acteur de ce contrat.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Les activités de sécurité privée que vous avez eues avant la signature de ce contrat ont-elles interféré d'une façon ou d'une autre sur les questions de sécurité qui étaient traitées à l'Élysée ?
M. Vincent Crase . - Absolument pas. Entre le 10 novembre 2017, date de ma première journée au Palais de l'Élysée, et la dernière semaine d'avril 2018, lors de laquelle j'effectue mon dernier jour d'activité pour l'Élysée, et jusqu'au 4 mai, date à laquelle je rends mon badge et l'on me dit que mon poste est fermé, je n'ai exercé aucune activité de sécurité privée. J'étais en effet salarié chez En Marche, et passais le reste du temps au Palais de l'Élysée. Il me restait quelques week-ends, de temps en temps, pour rentrer en Normandie m'occuper de ma famille.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Vous nous avez indiqué avoir été en contact avec l'homme d'affaires de M. Makhmudov, et non avec M. Makhmudov lui-même, ce que l'on peut parfaitement entendre. Mais comment cet homme d'affaires a-t-il eu connaissance de l'existence de votre société si vous n'exerciez pas d'activités par ce biais ?
M. Vincent Crase . - La sécurité privée est un petit monde, on se connaît tous. J'avais entendu dire, avant mon entrée en fonction à l'Élysée, que cet homme d'affaires cherchait à changer sa sécurité. Une fois que j'ai intégré l'Élysée, je n'y pense même plus parce que mon objectif, comme je l'ai dit lors de ma première audition, est d'avoir une activité pérenne au sein du Palais, par le biais du commissionnement. Cela ne s'est pas fait, les événements du 1 er mai m'ayant empêché d'accéder à ce poste.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - J'entends bien que la sécurité privée est un petit monde, mais cette personne vous a-t-elle contacté, ou est-ce vous qui l'avez contactée ? Comment les choses se sont-elles passées concrètement ?
M. Vincent Crase . - J'ai dû rencontrer cette personne au mois d'octobre 2017 ou début novembre 2017. J'avais sa carte et nous avions alors échangé en anglais. Je l'ai recontacté après mon départ de l'Élysée pour savoir si ce contrat était toujours d'actualité et si je pouvais m'y impliquer. Après de multiples rendez-vous et négociations, j'ai présenté une proposition qui a été étudiée et acceptée, puis a été signée le 6 juin 2018.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Cela signifie-t-il qu'aux mois d'octobre et de novembre 2017, il n'avait pas donné suite aux contacts que vous aviez pu avoir ? Avait-il décidé de ne pas changer de service de sécurité ?
M. Vincent Crase . - Je ne peux pas vraiment le dire. Je m'étais quelque peu désintéressé de la chose du fait de mon actualité élyséenne, sur laquelle je misais tout. Pour être très précis sur ma situation personnelle à l'époque, j'étais alors en poste à la sécurité de La République en Marche. Or, si la période de la campagne électorale avait été très intéressante, avec un quotidien extrêmement chargé, une fois les élections législatives passées, fin juin, j'ai commencé à prodigieusement m'ennuyer ; c'est la raison pour laquelle je voulais aller à l'Élysée.
Une fois que mon poste à l'Élysée est tombé à l'eau, je me suis dit que j'allais utiliser la société que j'avais créée et essayer de développer une activité, faire quelque chose.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Après qu'il a quitté ses fonctions, M. Benalla a été employé pendant un mois par une société dont il ne nous a pas dit le nom - nous le connaissions - mais nous n'avons pas pu savoir quel était l'objet de cette société. Puis il nous a dit qu'il avait été employé ailleurs, pour exercer des activités dont nous n'avons rien su. Savez-vous quelque chose à cet égard ?
M. Vincent Crase . - Je n'ai plus de contact avec M. Benalla. Du fait du contrôle judiciaire sous lequel je suis placé, il m'est m'interdit d'avoir quelque contact que ce soit avec les protagonistes de l'affaire. Je ne sais donc pas ce qu'il fait. J'apprends des choses sur lui en lisant la presse ou en regardant la télévision.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Avant d'être mobilisé au sein du commandement militaire de l'Élysée, avez-vous été interrogé par les services du ministère de l'intérieur ou par la présidence de la République sur le contenu de vos activités professionnelles et sur les activités privées que vous exerciez antérieurement ?
M. Vincent Crase . - J'ai déjà répondu à Mme Jourda sur ce point. Lorsque j'ai signé mon contrat à la Garde républicaine, j'ai déclaré que j'étais salarié de La République en Marche en tant qu'adjoint, chargé de missions de sécurité. Je n'ai pas précisé que j'avais une entreprise de sécurité privée parce que la perspective de rejoindre le Palais de l'Élysée se concrétisait ; j'allais donc fermer ma société, qui resterait une structure vide.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - M. le ministre de l'intérieur nous a répondu par écrit qu'il trouvait bien qu'il y ait des relations entre les policiers, les gendarmes et les agents des sociétés de sécurité privée. Pensez-vous, comme lui, que c'est une bonne chose ou qu'il y a un risque de mélange des genres ? Je vous demande une appréciation.
M. Vincent Crase . - Les relations entre policiers, gendarmes et agents de sécurité privée ne me posent pas de problème si tout est fait dans la stricte déontologie et si chacun sait rester à sa place.
Mme Esther Benbassa . - Mediapart a révélé que, pour l'exécution du contrat dont vous avez bénéficié auprès de M. Makhmudov, vous étiez passé par la société de sécurité privée Velours. Est-ce vrai ?
Cette société a employé M. Benalla par le passé. Vous avez dit qu'il n'y avait eu aucune relation entre vous et M. Benalla s'agissant de la sécurité privée de M. Makhmudov. Toutefois, je vous repose la question : savez-vous si M. Benalla a également collaboré avec M. Makhmudov ? Si oui, travaillait-il déjà à l'Élysée ?
M. Vincent Crase . - D'après ce que je sais, M. Benalla ne connaît pas M. Makhmudov, sauf de nom.
Pour ce qui concerne mon prestataire, il s'agit d'une société que je connais depuis 2012. La sécurité privée comprend plusieurs strates. Il y a ainsi des agents qui sont affectés aux arrière-caisses ; je ne veux pas les dénigrer mais nous assurons, quant à nous, la protection rapprochée des personnes.
Je connais cette société, comme d'autres. Ce sont des personnes avec lesquelles j'apprécie de travailler, et c'est un groupe très sérieux. Ils ne m'auraient d'ailleurs pas suivi s'ils avaient pensé que l'affaire que je leur proposais n'était pas elle-même sérieuse.
M. Benalla a travaillé pour Velours, je crois, en 2014. Quant à moi, je les connaissais précédemment.
M. Dany Wattebled . - Au sujet de Mars, la société privée de sécurité que vous avez créée en juin 2017, j'ai trois questions à vous poser. M. Benalla est-il lié d'une façon ou d'une autre à cette société ? Lors de sa création ou ultérieurement, a-t-elle perçu de l'argent de la part d'une personne étrangère ou d'un pays étranger ? Cette société est-elle encore en activité ?
M. Vincent Crase . - Négatif, M. Benalla n'est en aucun cas lié à ma société, qui est une société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU). J'en suis donc le seul actionnaire, gérant et président.
J'ai reçu le 28 juin sur mon compte en banque, qui est un compte de société domicilié en France, des sommes qui ont été rendues publiques ; nous sommes encore au-delà du périmètre élyséen. Ayant perçu cet argent, j'ai fait des virements à mon prestataire. Ce sont les seuls mouvements qu'il y ait eu sur mon compte société et tous mes relevés de compte le prouvent.
Mme Brigitte Lherbier . - Comment réagissent vos anciens collègues de l'Élysée face aux soucis que vous et M. Benalla rencontrez ? Vous épaulent-ils, vous soutiennent-ils ou, au contraire, vous lâchent-ils ?
M. Vincent Crase . - C'est le silence le plus complet. J'ai l'impression de ne plus exister. Ce n'est pas très grave, c'est la vie.
M. François Grosdidier . - Votre ancien employeur, l'Élysée, vous a-t-il informé quant à vos obligations, sur ce que vous pouviez faire ou non légalement, sur les relations contractuelles que vous pouviez avoir ou non, ou sur les obligations formelles que vous deviez remplir préalablement ?
M. Vincent Crase . - J'ai reçu le 16 janvier 2019, il y a peu, un courrier de M. Patrick Strzoda m'indiquant une saisine et mentionnant l'article de loi m'obligeant à déclarer mes activités privées à la commission de déontologie de la fonction publique.
Avec mon conseil, nous avons passé en revue les articles de lois qui régissent la commission de déontologie : ils concernent les personnes ayant exercé des activités durant plus de 6 mois. Ayant assumé mes fonctions du 10 novembre 2017 au 4 mai 2018, soit un peu moins de 6 mois, je n'entre pas dans le champ d'application de la mesure. En outre, je tiens à préciser que j'étais réserviste opérationnel. La presse a dit que j'étais salarié, chargé de mission, fonctionnaire de catégorie A... J'ai tout entendu ! Non, j'ai exercé en tant que réserviste opérationnel durant 47 jours, du 10 novembre 2017 au 4 mai 2018. De ces 47 jours vous pouvez en ôter 17, pendant lesquels j'encadrais une préparation militaire gendarmerie (PMG) à Dijon. Il reste donc 30 jours sur 6 mois, soit en moyenne 5 jours par mois et un jour et demi par semaine.
M. François Grosdidier . - Quel est le motif de votre licenciement par La République en Marche ?
M. Vincent Crase . - L'image négative donnée au mouvement. Précédemment, une mise à pied de 15 jours avait été décidée pour les mêmes raisons.
J'ai dit le 19 septembre dernier que j'avais trouvé quelque peu baroque la façon dont s'était déroulé mon licenciement. En effet, le délégué général du mouvement l'avait annoncé à 9 heures du matin à l'Assemblée nationale, alors que j'étais convoqué à 11 h 30 pour un entretien préalable portant sur un éventuel licenciement. Il y a là une contradiction.
M. Philippe Bas , président . - Avez-vous contesté votre licenciement devant le conseil de prud'hommes ?
M. Vincent Crase . - Pas encore, car j'ai beaucoup de problèmes à régler en ce moment. J'attends que la tempête s'apaise avant de revenir à ces considérations.
Mme Marie Mercier . - Lors de votre audition, le 19 septembre dernier, j'avais noté que votre métier était d'être professeur : vous enseigniez l'histoire-géographie dans un centre de formation d'apprentis.
M. Vincent Crase . - J'ai été enseignant, en effet, de 1996 à 2005.
Mme Marie Mercier . - Vous avez une appétence particulière pour le monde de la sécurité ; avec ce que vous vivez, ne regrettez-vous pas le monde de l'éducation ?
M. Vincent Crase . - Cela devient un exposé sur ma vie... Pourquoi pas ? J'ai été professeur, détective privé, agent d'assurance, j'ai travaillé dans la sécurité privée. Aujourd'hui, j'ai envie de tourner la page, de commencer autre chose, et je me consacre à l'écriture.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - La chronologie exposée par Mediapart fait ressortir des concordances de dates qui soulèvent quelques questions.
Fin septembre, la société Velours Close Protection cesse d'assurer la protection de la famille de M. Makhmudov. Le 30 septembre, M. Petit ouvre une boîte aux lettres pour France Close Protection dans un centre de domiciliation situé à quelques encablures de l'Élysée. Le 2 octobre, les statuts de cette nouvelle entité sont signés par son fondateur. Une semaine plus tard, le 9 octobre, le gendarme Vincent Crase ferme le compte bancaire de sa société Mars. Dix jours plus tard, France Close Protection voit le jour. Son objet social est, selon ses statuts, « d'assurer, en France et à l'étranger, la protection de personnes » mais aussi de « réaliser du conseil pour les affaires ». Le 30 novembre vous mettez fin au contrat de domiciliation de Mars.
Ces faits me conduisent à vous poser la question suivante : peut-on considérer que s'est soudainement créée, indépendamment de vous, une société qui s'appelle France Close Protection et n'a embauché qu'une seule personne, M. Benalla ? Vous avez fermé une société. Au même moment, une autre s'est ouverte. Pouvez-vous garantir devant nous que ces deux faits sont indépendants, qu'il s'agit d'un hasard ? Que la société France Close Protection n'exerce pas un droit de suite sur les activités de la société Mars ? Que cette société n'exerce en aucun cas des activités liées à M. Makhmudov et à son groupe ?
M. Vincent Crase . - Le contrat, pour moi et ma société Mars, se termine le 30 septembre. Après, je ne sais pas, je n'ai plus de contacts avec qui que ce soit dans ce milieu et je me refuse à en avoir : je tourne la page.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Vous n'avez pas entendu parler de la création de cette société ?
M. Vincent Crase . - Pas du tout.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Vous n'en avez pas été informé ?
M. Vincent Crase . - Absolument pas. J'ai d'ailleurs trouvé très étrange que cette société soit située dans la boîte de domiciliation de la rue de Penthièvre.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - En effet... C'est la même boîte de domiciliation, c'est la même date, et vous l'ignorez.
M. Vincent Crase . - C'est un hasard, une coïncidence.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Cette société embauche une seule personne, M. Benalla, et vous ne le savez pas.
M. Vincent Crase . - Négatif, je ne le sais pas. Je n'ai plus de contacts avec M. Benalla : comment pourrais-je le savoir ?
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Personne ne vous parle de M. Benalla et de cette société, et la vôtre s'arrête au moment où l'autre commence, avec la même domiciliation. Et vous n'êtes pas au courant.
M. Vincent Crase . - Absolument pas.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Dont acte.
M. Vincent Crase . - Je n'ai plus de contacts avec les intervenants qui étaient liés à ce contrat. Le contrat est terminé, je ferme la parenthèse, je passe à autre chose.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Avez-vous une idée de la manière dont le contrat russe continue à être exécuté ? La société en question a toujours les mêmes besoins de surveillance... Qui assume cette mission aujourd'hui ?
M. Vincent Crase . - On peut imaginer que ce sont les sept personnes qui avaient été salariées. Nous avions sept revenus à verser, avec les cotisations sociales afférentes.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Vous connaissez les sept intéressés ?
M. Vincent Crase . - Pas tous, mais je connais les principaux, puisque c'est ma société qui avait ce contrat. On peut imaginer que les gens sur place ont voulu continuer la mission, puisque celle-ci ne s'arrête pas.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - En connaissez-vous certains qui continuent la mission ?
M. Vincent Crase . - Je n'en ai pas la connaissance. Je n'en sais rien.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Et vous n'avez aucune idée de l'entité qui les emploie ?
M. Vincent Crase . - Je n'ai aucune preuve formelle, aucun indice.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Pour un spécialiste du renseignement... Je prends acte de ce que vous dites, mais mettez-vous à notre place...
M. Vincent Crase . - Le contrat s'arrête pour moi, je ferme ma société. Cet article de presse est cousu d'erreurs : je n'ai pas fermé mon compte en banque, j'ai simplement changé de banque. Je ne pouvais pas fermer mon compte en banque puisque ma société était en liquidation et que mon expert-comptable devait encore régler diverses taxes et cotisations sociales.
En tous cas, je n'ai plus de liens avec les gens qui tenaient ce contrat et je ne sais pas qui l'a repris, sous quelle forme, avec quelle entité juridique.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - M. Benalla a évoqué, dans le journal Libération , « une mission de conseil à l'international » pour justifier les 12 000 euros reçus pendant un mois par cette société qui a justement vu le jour quand la vôtre a cessé d'exercer cette mission. Cela ne vous évoque rien ?
M. Vincent Crase . - Je n'ai plus de contact avec M. Benalla. Les seules sources d'information que j'ai sont la presse ou la télévision. J'ai ainsi appris qu'il avait voyagé beaucoup à l'étranger, j'ai appris comme tout le monde l'histoire des passeports... Mais je n'ai pas d'éléments supplémentaires.
Mme Muriel Jourda , rapporteur . - Vous avez dit que vous espériez une situation plus pérenne à l'Élysée par le biais d'un commissionnement. De quoi s'agit-il ?
M. Vincent Crase . - C'est le fait, pour un civil ou un réserviste, c'est-à-dire quelqu'un qui n'est pas un militaire d'active, d'avoir un contrat sur quelques années pour remplir une mission spécifique pour les armées. Cette mission, en l'espèce, aurait été d'encadrer la réserve et peut-être la faire grandir pour le Palais de l'Élysée et pour les autres palais nationaux. L'emploi de réservistes fait faire aux armées des économies significatives.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Est-ce M. Benalla qui vous a permis de nourrir l'espoir de ce commissionnement ?
M. Vincent Crase . - Il m'en avait parlé, mais ce n'est pas lui qui avait les leviers de commande pour ce genre de choses. Il n'est pas le seul à m'en avoir parlé.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Qui d'autre ?
M. Vincent Crase . - L'encadrement militaire. C'était une hypothèse, un rêve, mais je n'ai jamais rien signé, et on ne m'a jamais rien promis.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Connaissez-vous M. Yoann Petit ?
M. Vincent Crase . - Oui, bien sûr, depuis 2016.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Connaissez-vous l'identité du seul actionnaire de la société France Close Protection ?
M. Vincent Crase . - Non, je ne sais pas. Peut-être Yoann Petit ?
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Non, il en est le président-directeur général. Tout de même, cela ne vous paraît-il pas étrange que cette société s'installe justement rue de Penthièvre, à la place de la vôtre ou concomitamment ? Et que cette nouvelle société s'appelle France Close Protection, après Velours Close Protection ?
M. Vincent Crase . - Je n'ai choisi le nom ni de la première, ni de la seconde puisque je n'ai rien à voir avec ces deux sociétés. Et la boîte de domiciliation de la rue de Penthièvre, au coeur du huitième arrondissement est centrale et donc commode.
M. Philippe Bas , président . - Merci des réponses précises que vous avez bien voulu nous donner.