B. UNE ORGANISATION INSTITUTIONNELLE COMPLEXE, MAIS PLUS EFFICACE QU'EN FRANCE, QUI DONNE AUX PARTENAIRES SOCIAUX UN RÔLE DE PILOTAGE INCONTESTÉ

1. Une organisation institutionnelle complexe compte tenu du caractère fédéral de l'Etat
a) En Allemagne

En Allemagne , pas moins de quatre acteurs pilotent le système d'apprentissage.

Si les Länder gèrent toutes les écoles professionnelles ( Berufschule , équivalents des centres de formation d'apprentissage français, ainsi que les Berufsfachschule et Fachoberschule notamment), il revient à l' Etat fédéral de fixer les règles nationales du droit du travail, d'édicter les règlements d'apprentissage, de mettre en place des programmes spécifiques à destination de publics en difficulté, d'assurer l'orientation des jeunes, et d'organiser la recherche et l'animation statistique en formation professionnelle grâce notamment au BiBB précité. Ne disposant pas de services déconcentrés spécifiques, l'Etat intervient soit à travers l'équivalent de Pôle emploi ( Bundesagentur für Arbeit ), soit à travers des conventions avec les Länder. Contrairement à la situation française, il n'y a pas de séparation en Allemagne entre l'éducation, la formation et la recherche : toutes ces politiques publiques sont unifiées au niveau fédéral ( Bundesministerium für Bildung und Forschung ) et des Länder. En outre, les organismes fédéraux comme le BiBB donnent une large part aux partenaires sociaux et aux Länder.

Les chambres consulaires (chambre de commerce et d'industrie, et leurs équivalents dans l'artisanat et les professions libérales) conseillent les entreprises, certifient les formateurs, contrôlent l'aptitude des entreprises à délivrer une formation en apprentissage, vérifient et enregistrent les contrats d'apprentissage, organisent toutes les épreuves d'apprentissage et les examens finaux, contrôlent les formations pratiques délivrées en entreprise, assurent une fonction de modération en cas de différend, et organisent les manifestations de promotion de l'apprentissage.

Comme le constate Bertrand Martinot, les chambres consulaires allemandes exercent une grande partie des missions attribuées en France aux services académiques de l'inspection de l'apprentissage (SAIA) 34 ( * ) .

Enfin, les partenaires sociaux ont la mission d'élaborer par consensus les règlements pour chaque formation d'apprentissage ; de participer aux comités pour la formation professionnelle au sein des chambres consulaires 35 ( * ) ; de négocier les indemnités des apprentis dans chaque branche professionnelle ; de participer aux commissions d'examen de fin de formation en apprentissage et d'animer les comités d'entreprise, qui comprennent une formation spéciale pour les apprentis.

b) En Autriche

Il convient de rappeler au préalable que toutes les entreprises doivent adhérer à la chambre de commerce (WKÖ) territorialement compétente.

Symétriquement, tous les salariés doivent adhérer à la chambre du travail ( Arbeitskammer ou AK). Les syndicats sont réunis au sein de la Fédération des syndicats autrichiens ( Österreichische Gewerkschaftsbund ou ÖGB), qui fédère sept syndicats en fonction du secteur d'activité (secteur public, industrie, construction, transports, poste...). Toutes les sensibilités politiques sont représentées au sein des syndicats, aussi bien lors des élections dans les entreprises que dans les organes de gouvernance.

L' Etat intervient aussi bien sur le volet professionnel que le volet scolaire de l'apprentissage, et, depuis peu, sur son volet social.

S'agissant du volet professionnel, le ministère de l'économie édicte les ordonnances réglementant chaque filière d'apprentissage, conformément à la loi relative à la formation professionnelle ( Berufsausbildundsgesetz , ou BAG), qui constitue le cadre juridique de référence en matière d'apprentissage.

Le ministère saisit régulièrement le conseil fédéral de formation professionnelle ( Bundes-Berufsausbildungsbeirat , ou BBAB), qui remplit des missions assez proches de celles du BiBB allemand. En effet, le BBAB, dont les membres sont nommés par le Ministère de l'économie sur proposition des partenaires sociaux, se réunit en général une fois par mois pour proposer les grandes lignes des ordonnances relatives aux nouvelles filières d'apprentissage ou suggérer de modifier celles existantes.

Concernant le volet scolaire, le ministère de l'éducation fixe les « plans d'études cadres » pour les filières d'apprentissage dans le respect de la loi relative à l'organisation scolaire ( Schulorganisationsgesetz ). Les salaires du personnel enseignant sont pris en charge à hauteur de 50 % par le budget fédéral.

Enfin, le Ministère du travail a mis en place depuis quelques années l'apprentissage en dehors de l'entreprise ( Überbetriebliche Lehrausbildung ou ÜBA ), pour aider les jeunes qui ne parviennent pas à trouver une place d'apprentissage en entreprise (voir infra ).

Au niveau des Länder , plusieurs acteurs s'occupent de l'apprentissage.

Le bureau d'apprentissage de la chambre de commerce évalue l'aptitude de l'entreprise à accueillir un apprenti, il établit le contrat d'apprentissage, conseille les apprentis et les entreprises d'accueil, verse les subventions aux entreprises et organise les examens de fin d'étude.

En règle générale, avant la signature d'un contrat d'apprentissage, un représentant des salariés de la chambre du travail et un représentant des employeurs se déplacent ensemble dans l'entreprise d'accueil pour accréditer l'entreprise après une rencontre avec l'employeur et le maître d'apprentissage. Ils ont pour mission de vérifier que l'entreprise est bien autorisée à exercer son activité conformément au code autrichien de l'artisanat et de l'industrie, qu'elle dispose des équipements nécessaires à la transmission des compétences et de formateurs compétents en nombre suffisant. Ainsi, le maître d'apprentissage doit disposer de qualifications professionnelles (diplôme de fin d'apprentissage ou brevet professionnel spécialisé, école professionnelle ou supérieure, études spécialisées), de compétences pédagogiques et de connaissances juridiques.

Le Gouverneur du Land est compétent en appel sur les décisions relatives aux formations en apprentissage (par exemple le retrait de l'autorisation de former un apprenti ou l'annulation de l'enregistrement d'un contrat d'apprentissage) et il nomme les membres des comités consultatifs des Länder pour la formation professionnelle.

Enfin, les inspecteurs scolaires des Länder vérifient notamment que les programmes d'études régionaux sont bien respectés dans les écoles professionnelles.

En définitive, comme le montre le graphique à la page suivante, l'organisation institutionnelle de l'apprentissage en Autriche est complexe, car elle accorde une place de choix aux Länder et aux partenaires sociaux, ce qui ne semble pas nuire pour autant à la qualité de la formation délivrée et au pilotage de cette politique publique.

Figure n° 10 : Les institutions impliquées dans la formation des apprentis et leurs attributions

Figure n° 10 : Les instit impliquées dans la formation des apprentis et leurs attributions

2. Une formation définie par des partenaires sociaux, qui répond avec diligence aux besoins des entreprises
a) En Allemagne

Outre-Rhin, pas moins de 327 métiers sont préparés par la voie de l'apprentissage, dont 303 relèvent de la compétence du ministère fédéral de l'économie et de l'énergie (les autres relevant de la compétence d'autres ministères comme celui de la justice pour les professions juridiques), contre plus de 600 au début des années 1970 36 ( * ) .

Seul l'apprentissage donne en théorie accès à ces métiers. Ce monopole est inconnu en France, car la plupart des diplômes préparés dans un centre de formation d'apprentis, à l'exception du brevet professionnel, peuvent être également préparés dans un lycée professionnel.

Les référentiels de formation ( Ausbildungsverordnung ) sont élaborés et actualisés par l'institut fédéral de la formation professionnelle (BiBB), qui comprend les partenaires sociaux, puis adoptés sous forme d'ordonnance par le ministère fédéral compétent. Comme l'indique l'étude précitée de la Dares, ces référentiels sont donc « le résultat d'un consensus entre des intérêts qui peuvent diverger entre d'un côté des syndicats souhaitant favoriser une formation large permettant de favoriser l'autonomie de l'apprenti et de l'autre, les employeurs souhaitant une formation plus directement opérationnelle » 37 ( * ) .

La situation est différente dans notre pays car la création, l'actualisation ou la suppression des diplômes professionnels , du CAP au BTS, relèvent de la compétence des ministères concernés . Les projets des ministères sont ensuite soumis pour avis aux commissions professionnelles consultatives (CPC), dans lesquelles siègent les partenaires sociaux, les pouvoirs publics et les personnalités qualifiées 38 ( * ) . Certes, l'avis des CPC est presque toujours suivi par les ministères. Mais il n'en demeure pas moins que l'initiative et l'élaboration du contenu des diplômes professionnels échappent aux partenaires sociaux, qui ne sont consultés qu'en bout de chaîne.

b) En Autriche

Pas moins de 204 métiers techniques et commerciaux et 14 métiers agricoles et forestiers ne sont accessibles que par la voie de l'apprentissage.

S'inspirant du modèle allemand, il revient au ministère de l'économie d'édicter par ordonnance un règlement de formation professionnelle pour chacun de ces métiers, après expertise du conseil fédéral de formation professionnelle.

Ces règlements transposent des accords entre partenaires sociaux autrichiens. Le ministère des affaires sociales ne fixe pas de document d'orientation, contrairement au ministère du travail français en vertu de l'article L. 1 du code du travail 39 ( * ) .

Les règlements comprennent en général trois parties :

- un profil métier, qui énumère les compétences qui doivent être transmises par l'entreprise d'accueil ;

- un profil professionnel, qui décrit les compétences que doivent maîtriser les apprentis à l'issue de leur formation ;

- une approche didactique, qui décrit notamment les exercices en conditions professionnelles réelles.

Depuis 2000, plus de deux tiers des métiers accessibles par la voie de l'apprentissage ont été modernisés et refondus. Selon les informations fournies à votre délégation par les responsables syndicaux de l'ÖGB, le délai moyen pour créer une filière ou en modifier une est compris entre un an et demi et deux ans.

Comme le montre le tableau suivant, la procédure pour créer ou modifier l'ordonnance réglementant une filière d'apprentissage est souvent initiée par les branches professionnelles concernées.

Figure n° 11 : La création d'un nouveau métier d'apprentissage

1. La préparation

§ Le ministère de l'économie, les partenaires sociaux ou les entreprises prennent l'initiative de créer ou de moderniser un métier en apprentissage

§ Etude des conditions cadre par le ministère de l'économie et les partenaires sociaux

§ Prise en compte des développements européens et internationaux et des solutions adoptées dans d'autres pays

2. La création d'un règlement de formation et d'un programme de formation cadre

§ Elaboration de projets de règlements de formation par des instituts de recherche en formation

§ Délibérations des experts du Conseil fédéral de formation professionnelle

§ Expertise du Conseil fédéral de formation professionnelle pour le ministère de l'économie

§ Développement d'un programme de formation cadre correspondant au règlement de formation par un groupe d'experts sous la direction du ministère de l'enseignement

§ Préparation des projets pour une évaluation à l'échelle de l'Autriche

3. Promulgation des règlements

§ Consultation de tous les milieux impliqués dans un processus d'expertise

§ Evaluation des avis

§ Mise en vigueur des règlements de formation par le ministère de l'économie et des programmes de formation cadres par le ministère de l'enseignement

4. Mesures de suivi

§ Création des guides complémentaires par l'organisation professionnelle des entreprises, en partie avec l'aide des représentants des salariés, ou par des instituts de formation professionnelle afin d'aider les entreprises d'accueil

§ Information des entreprises d'accueil par les bureaux pour l'apprentissage

§ Formation des formateurs des entreprises et des enseignants des écoles professionnelles

§ Formation des examinateurs pour les examens de fin d'apprentissage

§ Evaluation concomitante

Source : Ministère fédéral de l'économie, de la famille et de la jeunesse, « L'apprentissage : le système dual de la formation professionnelle en Autriche. Une formation moderne et porteuse d'avenir » (2012)

En outre, depuis 2006, l'Autriche a mis en place la modularisation 40 ( * ) des filières d'apprentissage, qui permet une adaptation rapide des enseignements en fonction des besoins des branches professionnelles à travers la création ou la modification des modules, ce qui contribue par ailleurs à la visibilité du système d'apprentissage.


* 34 L'apprentissage, un vaccin contre le chômage des jeunes : plan d'action pour la France tiré de la réussite allemande, étude de l'institut Montaigne, mai 2015, p. 38.

* 35 Ces comités, composés de six représentants des employeurs, six représentants des salariés et six enseignants en écoles professionnelles, sont consultés sur toute question relative à l'apprentissage et à la formation professionnelle dans le ressort territorial de la chambre, et règlent à l'amiable les conflits relatifs à l'exécution du contrat d'apprentissage.

* 36 Document d'étude de la Dares, op. cit, p. 9.

* 37 Document d'étude de la Dares, op. cit, p. 9.

* 38 Il existe actuellement 14 CPC rattachées au ministère de l'éducation nationale et 7 au ministère du travail.

* 39 Cet article dispose que tout projet de réforme envisagé par le Gouvernement qui porte sur les relations individuelles et collectives du travail, l'emploi et la formation professionnelle et qui relève du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle doit faire l'objet d'une concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d'employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel en vue de l'ouverture éventuelle d'une telle négociation. A cette fin, le Gouvernement leur communique un document d'orientation présentant des éléments de diagnostic, les objectifs poursuivis et les principales options.

* 40 En règle générale, deux années sont nécessaires pour suivre les modules fondamentaux, une ou deux années pour les modules principaux, et six mois à un an pour les modules de spécialisation. Ainsi, actuellement, neuf filières modulaires ont été mises en place, qui ont permis la formation de 20 000 jeunes.

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