B. LE CADRE NATIONAL
1. Le Conseil pour la recherche aéronautique civile française (CORAC)
Depuis juillet 2008, le Conseil pour la recherche aéronautique civile française (CORAC) fédère l'ensemble des intervenants du secteur (industriels, aéroports, ONERA, administrations).
La mission du CORAC - qui repose sur une convention d'objectifs 36 ( * ) conclue avec l'État - est d'établir une feuille de route de la recherche aéronautique et de proposer les moyens de sa mise en oeuvre (en s'appuyant sur l'amélioration de la coordination et de l'intégration des acteurs et sur le déploiement de démonstrateurs technologiques).
Le CORAC a trouvé son articulation avec le dispositif du Grand Emprunt, mais connaît des vicissitudes quant au financement de beaucoup des objectifs de sa feuille de route, ce qui est d'autant plus regrettable que les soutiens aux recherches fondamentales menées par l'ONERA faiblissent.
a) Le Grand Emprunt
Le commissariat général à l'investissement a été créé en 2010 pour gérer les 35 milliards du Grand Emprunt.
Ces actions sont partagées à 50 % - 50 % entre :
- des secteurs amont de la recherche et du transfert de technologie ;
- des affectations sur des thématiques industrielles d'avenir :
ü transports dont aéronautique
ü biotechnologie,
ü numérique.
Une enveloppe de 1,5 milliard d'euros a été affectée à l'aéronautique. Cette somme est gérée par l'ONERA qui applique les décisions du Premier ministre préparées par le CORAC et un comité de pilotage.
Les actions de soutien ont été regroupées sur deux secteurs :
- un soutien direct (A350 et Eurocopter) ;
- et la mise en place de 6 démonstrateurs.
Tous les dossiers sont présentés par des consortiums industriels. Par exemple, le dossier « avions composites » (105 millions d'euros) est mené par Airbus, Dassaut et Safran.
Le soutien prend trois formes :
- avances remboursables en cas de succès au programme (850 millions d'euros) ;
- subventions (570 millions d'euros) ;
- subventions avec retour (80 millions d'euros) qui impliquent le versement d'une redevance (jusqu'à 30 % du montant de la subvention) en cas de succès du produit commercial.
Par grands groupes aéronautiques , la répartition de ces soutiens est la suivante :
- EADS |
892 millions d'euros |
|
- SAFRAN |
287 millions d'euros |
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- et Thalès |
123 millions d'euros dont |
- 9,6 millions d'euros avec retour sur le projet GENOME |
- 13,6 millions de subventions sur l'avionique modulaire |
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- 55 millions de subventions sur l'hélicoptère du futur |
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- et 45 millions d'avances remboursables par l'hélicoptère X4 |
Par thématiques , les allocations du Grand Emprunt ont concerné :
• Les structures et les matériaux composites
Deux types de développement sont soutenus :
- le long courrier avec la version allongée de l'A350,
- et le moyen courrier avec le successeur de l'A320.
Ces applications posent des problèmes différents :
- les masses et les interfaces composites-métal ne sont pas les mêmes,
- les cadences et les coûts de production varient,
- et les gains de masse sont plus difficiles à obtenir sur les petits avions.
Pour :
- l'A350, il s'agit d'obtenir un gain de masse d'une tonne,
- et pour le remplacement de l'A320, il s'agit de concentrer l'effort sur les parties françaises de l'appareil (nez de l'avion, jonction fuselage-voilure), ce qui suppose 3 ou 4 ans de recherches.
• La motorisation (EPICE)
Le projet EPICE (Engin Propulsif Intégrant des Composantes Environnementales).
Il s'agit, à la fois, d'améliorer la poussée du moteur et de travailler sur son intégration dans l'avion :
- pour les courts et moyens courriers dont la taille du moteur est appelée à croître 37 ( * ) , il est recherché :
- une meilleure isolation phonique,
- une optimisation de l'intégration à l'avion,
- et un allègement des matériaux employés.
• L'électrification
Le projet GENOME (81 millions d'euros de soutien) porte sur la substitution de l'électrique à l'hydraulique (cela concerne notamment les trains d'atterrissage, les commandes de vols et l'air en cabine).
Comme votre rapporteur l'a déjà souligné, cette substitution permettra des gains de masse importants, notamment sur les systèmes hydrauliques (il y a des kilomètres de tuyaux dans un avion moderne) mais également de forts gains en maintenance et en volume.
Par ailleurs, les circuits hydrauliques dans un avion ne peuvent être changés. Ils sont, de plus, surdimensionnés pour faire face à des pics de puissance d'utilisation qui sont rarement sollicités (commande de vols et surtout train d'atterrissage).
Si on électrifiait ces systèmes hydrauliques, on éviterait ce surdimensionnement puisque on pourrait utiliser la puissance alternativement pour chacun des usages.
Mais l'électrification a ses propres problèmes :
- elle exige des générateurs de puissance forte ;
- elle nécessite des convertisseurs d'énergie (l'électricité est fournie par un alternateur branché sur le moteur) beaucoup plus efficaces ;
- et elle génère son propre réseau de câblage.
Enfin, l'aéronautique, outre les programmes mentionnés ci-dessus, a bénéficié d'une aide supplémentaire : la création de l'Institut de recherche technologique de Toulouse (45 millions d'euros) qui crée des collaborations dans trois domaines (matériaux, système embarqué, électrification de l'avion).
b) Une feuille de route technologique qui n'est pas financée
La feuille de route établie en 2009 par le CORAC 38 ( * ) comprend trois sujets :
- l'usine du futur, usine virtuelle fondée sur la réalité augmentée et dont un des objectifs est d'assurer une meilleure intégration de la chaîne de production entre les constructions et leurs sous-traitants ;
- les nouvelles architectures aériennes ;
- le programme SEFA (systèmes embarqués et fonctions avancées), qui a pour objet de préparer de nouvelles technologies, configurations, et fonctionnalités opérationnelles à forte valeur ajoutée, pour faciliter l'exploitation des aéronefs (maintenance incluse), les rendre encore plus sûrs, et accroitre leur compétitivité.
L'évaluation du coût de ces programmes ressort à 800 millions d'euros sur 7 ans dont 400 millions d'euros à la charge de l'État. Actuellement, ils ne sont pas financés.
Cette solution de continuité dans les financements est particulièrement préoccupante :
- elle met en cause le maintien d'une avance technologique européenne, à terme, car les domaines concernés s'appliquent à des briques de développement qui seront nécessaires pour la génération d'avions qui apparaîtront sur le marché en 2025-2030 ;
- elle ne peut être composée par les retours d'avances remboursables reçues au titre du Grand Emprunt (car celles-ci reviendront à la masse et ne seront pas disponibles avant plus de 15 ans) ;
Votre rapporteur rappelle que les effets d'entrainement des secteurs de pointe ne se mesurent pas uniquement aux emplois directs, qui sont peu délocalisés dans l'aviation civile, mais doivent incorporer les conséquences transversales qu'ils ont sur l'ensemble du tissu industriel français. Par exemple, on a déjà souligné le poids d'Airbus dans la région nantaise - qu'il s'agisse du pôle consacré aux nouveaux matériaux employés dans les transports ou du soutien à la robotique et aux logiciels robotiques.
Ce risque d'altération des efforts d'amélioration de l'industrie de pointe qu'est l'aviation civile, s'ajoute au danger - tout aussi redoutable -de diminuer la position de cette industrie en une quinzaine d'années, dans un contexte concurrentiel où les américains se maintiennent et où la concurrence chinoise pointe.
Ce retrait se marque également dans ce dernier des soutiens aux recherches de l'ONERA, domaine dans lequel on observe un décrochage préoccupant vis-à-vis l'Allemagne .
* 36 Les objectifs premiers étant environnementaux : à l'horizon 2020, réduction par deux du bruit perçu et réduction de 50 % des émissions de gaz à effet de serre et de 80 % des émissions d'oxyde d'azote. Mais ces objectifs environnementaux coïncident avec les contraintes économiques d'évolution de l'aviation civile.
* 37 Hors open rotor qui est géré sur des fonds européens (Clean Sky).
* 38 qui ne se borne pas à établir les ruptures technologiques nécessaires mais qui prévoit leur développement, assis sur des démonstrations qui ont aussi pour but de fédérer les actions et, en particulier, les PME.