B. LA NAISSANCE DU CONCEPT DE PERTURBATEURS ENDOCRINIENS
Le concept de perturbateur endocrinien est né de découvertes qui se sont à un moment cristallisées à la conférence de Wingspread en 1991. Sa définition reste encore débattue.
1. L'invention du mot à Wingspread en 1991
La conférence de Wingspread dans le Wisconsin qui a réuni 21 participants du 26 au 28 juillet 1991 , est le fruit du travail de Theodora Colborn , l'auteur de Our stolen future 20 ( * ) . Elle a réuni à cette occasion plusieurs chercheurs avec qui elle avait été amenée à collaborer lors de son étude américano-canadienne sur l'état écologique des grands lacs. Elle avait alors pu acquérir une vision globale de la pollution et de ses conséquences sur l'environnement et les espèces animales, notamment sur le système reproducteur et le comportement sexuel.
C'est au cours de ce colloque qu'est progressivement apparue l'idée que l'ensemble de ces phénomènes dus à différentes substances relevaient d'un même mécanisme, l'action mimétique des hormones naturelles par des produits chimiques présents dans l'environnement et conduisant à des perturbations.
A l'issue de la conférence, les participants ont publié une déclaration qui est à la source des nombreux développements d'aujourd'hui sur les perturbateurs endocriniens.
LA DECLARATION DE WINGSPREAD Altérations du développement sexuel induites par les produits chimiques : le sort commun des animaux et des hommes Énoncé du problème De nombreux composés libérés dans l'environnement par les activités humaines sont capables de dérégler le système endocrinien des animaux, y compris l'homme. Les conséquences de tels dérèglements peuvent être graves, en raison du rôle de premier plan que les hormones jouent dans le développement de l'organisme. Face à la contamination croissante et omniprésente de notre environnement par des composés susceptibles de produire de tels effets, un groupe de spécialistes de toutes disciplines s'est réuni à Wingspread (Wisconsin, États-Unis), du 26 au 28 juillet 1991, afin de faire le point sur les connaissances à ce sujet. Les participants provenaient de diverses disciplines : anthropologie, écologie, endocrinologie comparée, histopathologie, immunologie, mammalogie, médecine, psychiatrie, psychoneuroendocrinologie, physiologie de la reproduction, toxicologie, gestion de la faune, biologie des tumeurs, zoologie et droit. Les objectifs de cette rencontre étaient : 1. De mettre en commun les découvertes de chacun et d'évaluer l'ampleur du problème ; 2. De tirer des conclusions fiables des données existantes ; 3. De proposer un programme de recherches afin de dissiper les incertitudes qui subsistent. Déclaration commune La déclaration suivante est le fruit d'un consensus entre les participants. 1. Nous savons avec certitude que :
2. Nous estimons extrêmement probable que :
3. Les modèles actuels prévoient que :
4. Nos prévisions comportent de nombreuses incertitudes parce que :
5. Nous estimons que :
6. Pour améliorer notre aptitude à prévoir :
Dr Howard A. Bern, Université de Californie. Berkeley Dr Phyllis Blair, Université de Californie, Berkeley Sophie Brasseur, Institut de recherche pour la gestion de la nature, Pays-Bas Dr Theo Colborn, Fonds mondial pour la nature (W WF) et Fondation W. Alton Jones Dr Gerald R. Cunha, Université de Californie. San Francisco, Dr William Davis, Agence américaine de protection de l'environnement Dr Klaus D. Döhler, Développement et production Pharma Bissendorf Peptide SA, Hanovre, Allemagne Glen Fox, Centre national de recherche sur la faune sauvage, Environnement Canada Dr Michael Fry, Université de Californie, Davis Dr Earl Gray [2], Directeur du département de toxicologie du développement et de la reproduction [1] Les produits chimiques connus pour leurs effets sur le système endocrinien comprennent : le DDT et ses produits de dégradation, le DHEP ou di-2-éthyl-hexyl-phtalate, le HCB (hexachlorobenzène), le dicofol, la chlordécone, le lindane et autres hexachlorocyclohexanes, le méthoxychlore, l'octachlorostyrène, les pyréthroïdes de synthèse, des herbicides (triazines), des fongicides (carbamates, triazoles), certains PCB, le 2.3,7,8 TCDD et autres dioxines, le 2,3,7,8 TCDF et autres furanes, le cadmium, le plomb, le mercure, la tributyltine et autres composés de la même famille les alkylphénols (détergents non biodégradables et anti-oxydants présents dans les polystyrènes modifiés et les PVC), les produits à base de styrène, les aliments à base de soja et des produits pour animaux de laboratoire et animaux domestiques. [2] Bien que les recherches décrites ici aient été financées par l'Agence américaine de protection de l'environnement, elles ne reflètent pas nécessairement ses vues et n'ont pas valeur d'approbation officielle. De même, la mention de certaines entreprises ne signifie pas leur approbation et ne constitue pas une publicité. |
Si le mot est inventé à Wingspread en 1991, ce sont deux publications qui vont donner au débat sa publicité et son tour actuel .
La première est le rapport rédigé en 1995 par Niels-Erik Skakkebaek et Jorma Toppari à la demande du ministère danois de l'environnement et de l'énergie dans lequel, avec un groupe de chercheurs internationaux, ils cherchaient à faire le point sur le rôle des produits chimiques présents dans l'environnement et ayant des effets oestrogéniques sur les altérations de la reproduction masculine.
La seconde est le livre publié, en 1996, par Theodora Colborn, Our stolen future . Il est préfacé par Al Gore, vice-président des États-Unis , et aura un retentissement mondial.
Dans des registres différents, ces documents ont constitué un tournant en synthétisant les connaissances et en les diffusant auprès du public et des décideurs. Ils ont eu un impact direct sur le fait que depuis cette date les perturbateurs endocriniens sont devenus une préoccupation croissante, sur l'orientation de la recherche et sur l'évolution de la réglementation des produits chimiques.
En France, la première conférence a été organisée par l'I.N.S.E.R.M. à Aix-les-Bains en 1996.
On peut donc dire que la prise de conscience publique et scientifique du phénomène des perturbateurs endocriniens date d'une quinzaine d'années. C'est un délai qui reste très bref dans le domaine de la recherche .
* 20 Cf. supra.