B. LA LIBÉRALISATION DANS LE TRANSPORT FERROVIAIRE VOYAGEURS

1. Panorama européen

Autant il y a une relative harmonisation dans l'application de la libéralisation du fret en Europe, autant la situation dans le transport voyageurs est très disparate. Plusieurs situations se présentent :

- Premier cas : les pays dont le libre accès est garanti et actif

C'est le cas de l'Allemagne : le libre accès au marché ferroviaire est inscrit dans la loi, pour tout type de trafic (fret et voyageurs). Tout le marché est ouvert. Pour reprendre la distinction entre « concurrence sur le marché » et « concurrence pour le marché », on se trouve là dans un cas où la concurrence a lieu pour le marché. L'autorité a le choix de son prestataire, mais si ce dernier obtient le contrat, c'est le seul sur le marché. L'usager n'a pas le choix de l'opérateur.

Le secteur est ouvert aux compétiteurs européens. En 2007, les concurrents de la DB ont ainsi assuré 16,7 % de la circulation des trains régionaux.

La concurrence dans le transport ferroviaire en Allemagne (12 ( * ))

L'Allemagne est, avec le Royaume-Uni, le pays de l'UE qui a connu le plus de changements dans l'organisation du transport ferroviaire et qui a une expérience sérieuse d'ouverture à la concurrence. Le mouvement est lié d'une part, à une restructuration complète de la Deutsche Bahn (DB), opérateur historique, avec une séparation fonctionnelle entre quatre branches regroupées en holding (grandes lignes/transport régional/fret/infrastructures), et d'autre part, à l'introduction de la régionalisation ferroviaire assez semblable à la situation française, mais assortie - c'est là la principale différence - d'une possibilité de mise en concurrence.

La régionalisation a été votée en 1993. L'ouverture juridique du réseau de la DB aux entreprises ferroviaires a été décidée en 1994. Les premiers appels d'offre ont été lancés en 1996 mais la concurrence privée n'a commencé à se développer qu'à partir des années 2000.

Sept ans de pratiques permettent de dresser un premier bilan.

- La politique suivie par les Länder a été très variable. Certains Länder ont défini de véritables calendriers d'ouverture à la concurrence, tandis que d'autres procédèrent au cas par cas, notamment à l'occasion de réouvertures de lignes. La concurrence a pu jouer sur des petites lignes régionales, puis sur des grandes lignes. La concurrence existe principalement pour le marché (opérateur unique sur un réseau et une ligne), mais il existe aussi quelques cas de concurrence sur le marché (avec plusieurs opérateurs différents sur une même ligne). Les contrats accordés sont de durée variable (de 2 à 20 ans) mais la moyenne est entre 7 et 10 ans.

Ces différences d'approche expliquent aussi des résultats différents selon les Länder. En 2004, les parts de marché des concurrents de la DB variaient de 2 % (Berlin ou Saxe) à 30 % (Schleswig-Holstein). Dans trois Länder, cette part dépassait 25 %. 25 % des « trains/km » ont été mis en concurrence. Globalement, en 2007, les entreprises ferroviaires autres que la DB ont assuré 16,3 % des circulations de trains et transporté 9,5 % des voyageurs régionaux.


Ces résultats, encore modestes, ne doivent pas faire illusion. La percée de la concurrence est réelle. La concurrence remporte 60% des appels d'offres. Les premières études d'opinion montrent une grande satisfaction des Länder et des usagers. Sur certaines lignes, le trafic a doublé en cinq ans et la concurrence a même permis des réouvertures de lignes.

L'éventail des opérateurs de la concurrence s'élargit chaque année. Le principal concurrent de la DB est Veolia, organisée en filiales régionales. Mais on compte aussi parmi les concurrents des opérateurs historiques des pays voisins (CFF - chemins de fer fédéraux suisses), des entreprises publiques appartenant aux Länder (AKN, EVB) ou aux villes (AVG, Hochbahn), des groupes de transport internationaux (EuRailCo unissant la RATP française et Transdev, filiale de la Caisse des Dépôts), et des entreprises privées : outre Veolia, déjà citée; on peut relever l'arrivée d'investisseurs privés, notamment des sociétés britanniques et même australiennes. En 2004, le groupe britannique Arriva a racheté la compagnie régionale (RegentalBahn), qui exploite 600 km de lignes en Bavière.

La distribution des billets est généralisée. Dans la plupart des cas, la vente dans les gares se fait par la DB, obligée de vendre les billets des compagnies concurrentes. DB Vertrieb retient une commission de 15 % sur les ventes effectuées pour le compte des concurrents.

L'échéance attendue est celle des années 2010-2014, lors du renouvellement des premiers contrats.

- Deuxième cas : le libre accès est inscrit dans la loi sans être actif.

C'est le cas du Portugal, de l'Italie et de quelques nouveaux États membres. Le cas de la Pologne est le plus innovant avec le développement de co-entreprises, c'est-à-dire mêlant une société polonaise à une société d'un autre État membre (notamment britannique).

Le marché privé devrait se développer en Italie puisque l'opérateur privé NTV a commandé à Alstom 25 rames à grande vitesse de toute dernière génération, qu'il prévoit de faire rouler à partir de 2011 sur la ligne Rome-Milan.

Le marché est ouvert mais sous conditions. L'entreprise doit être de droit italien, avoir un siège en Italie. L'accès aux opérateurs étrangers est très encadré par des conditions de réciprocité.

- Troisième cas : la concurrence généralisée sur le réseau et pour le marché.

Le cas du Royaume-Uni est très particulier. C'est le seul pays à avoir tenté la privatisation de la gestion des infrastructures (exploitation, entretien, et même construction...).

La privatisation de l'infrastructure a été opérée en 1996 et a duré à peine six ans. Le réseau ferroviaire a été confié à la société privée Railtrack, cotée en bourse. La décision a été bien accueillie en son temps, avant que les difficultés de gestion et de graves problèmes de sécurité ne viennent mettre un terme à l'expérience. Railtrack a été déchue de la gestion du réseau en 2002. Celui-ci a été alors transféré sous la responsabilité de Network Rail, société « privée à but non lucratif », mais de fait sous le contrôle de l'État.

L'autre particularité du Royaume-Uni est une grande ouverture à la concurrence sur les services voyageurs mais sous le contrôle de l'État.

Ainsi, les services « nationaux » ont été découpés en «groupes de lignes », par « franchise », dont la gestion est attribuée par le ministre des transports, après appel d'offres (sur la base de la subvention demandée la plus faible) à des entreprises privées, y compris, bien sûr, à des compagnies non britanniques. Les résultats ont été variables. En 2003, la Stratégic Rail Authority a retiré la concession du réseau South Eastern à Connex, la filiale transport de Veolia, en raison de qualité de service insuffisante (retards pour les trois-quarts des trains !). La même année, l'autorité britannique a attribué le réseau de TransPennine (région de Manchester) au consortium formé par First Group et Keolis (filiale de la SNCF).

- Quatrième cas : les pays fermés, où le transport voyageurs relève, jusqu'en 2010, du monopole ou du quasi monopole d'opérateurs historiques. C'est le cas de la France, de l'Espagne, de la Belgique, de l'Irlande et de la plupart des nouveaux États membres.

* (12) Source : Conférence de formation organisée à la SNCF le 11 décembre 2007.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page