II. LES CONSÉQUENCES

J'ai commencé par évoquer le problème irlandais, car les solutions retenues pour essayer de le régler conditionnent la suite.

1. Les élections européennes

Compte tenu du délai retenu pour le second référendum irlandais, il est clair que les élections européennes auront lieu sous l'empire du traité de Nice. Cela aura une influence sur le nombre des députés - qui sera de 736 et non de 751 comme le prévoyait le traité de Lisbonne. Et cela aura surtout une répercussion sur la répartition des sièges entre les États membres, qui ne correspond plus aux réalités démographiques.

La répartition des sièges entre les États membres est en principe fondée sur la « proportionnalité dégressive » : plus un État est peuplé, plus le nombre d'habitants par député est important. Pour les plus petits États, un député représente environ 80 000 habitants, pour les États « moyens », un député représente environ 500 000 habitants, pour les plus grands, ce nombre dépasse 800 000.

Or, avec la répartition des sièges résultant du traité de Nice, compte tenu des évolutions démographiques qui sont intervenues, ce principe sera très mal respecté. Un député français et un député espagnol représenteront nettement plus d'habitants qu'un député allemand, un député suédois représentera nettement plus d'habitants qu'un député hongrois, bref les élections devront avoir lieu sur la base d'une répartition des sièges devenue incohérente. Le traité de Lisbonne permettait de corriger ces anomalies en augmentant le nombre des sièges de telle sorte que les sièges supplémentaires puissent être affectés aux pays désavantagés.

Pour essayer de régler ce problème, le Conseil européen a adopté une déclaration dont le contenu est assez peu habituel. Elle prévoit en effet l'adoption d'un acte qui changera la composition du Parlement européen en cours de mandat, en créant les sièges supplémentaires prévus pour corriger les anomalies.

Le problème est que le compromis dégagé dans le cadre du traité de Lisbonne n'avait pas seulement pour effet d'accorder des sièges supplémentaires aux pays désavantagés : il avait également pour conséquence d'enlever trois sièges à l'Allemagne, qui passait de 99 à 96. Or, il est apparu difficile de faire disparaître des sièges en cours de mandat. L'Allemagne gardera donc jusqu'en 2014 les 99 sièges que lui attribue le traité de Nice. Autrement dit, on appliquera le traité de Lisbonne en cours de mandat, sauf pour l'Allemagne !

La législature 2009-2014 : des anomalies dans la représentation

La lecture du tableau figurant en annexe I fait constater à quel point la répartition des sièges applicable pour les élections européennes de 2009 s'écarte de la « proportionnalité dégressive ».

S'il est normal, en fonction de la « proportionnalité dégressive », que chaque député européen maltais représente 80 800 habitants tandis que chaque député européen belge en représente 477 773 et chaque député européen français 873 417, il est en effet contraire au principe de la « proportionnalité dégressive » qu'un député européen allemand représente 832 707 personnes, c'est-à-dire moins que ses homologues français ou espagnols (875 160) par exemple.

Or, la correction qui interviendra en principe en 2010 laissera subsister des anomalies : un député européen français continuera à représenter plus d'habitants qu'un député européen allemand, un espagnol plus qu'un italien.

Il serait nécessaire que la composition du Parlement européen repose enfin sur des règles et non sur des marchandages obscurs.

La modification adoptée par le Conseil européen de décembre dernier supposera l'adoption d'un acte soumis à la ratification des parlements nationaux. En effet, le traité de Lisbonne permet que l'on modifie, par une décision du Conseil européen adoptée à l'unanimité, la composition du Parlement européen mais à condition que l'on respecte les principes posés par l'alinéa 2 de son article 14 :

- le nombre des députés européens ne doit pas dépasser 750 plus le président,

- la représentation des citoyens doit être assurée de façon dégressivement proportionnelle, avec un seuil minimum de 6 députés et un maximum de 96 députés par État membre.

Or, ces conditions ne seront pas respectées par la modification prévue, puisque le nombre total des députés européens passera à 754 et que l'Allemagne aura plus de 96 sièges. Il faudra donc adopter un acte ayant valeur de modification des traités. L'objectif étant que la nouvelle répartition des sièges s'applique « dans le courant de l'année 2010 », y aura-t-il un acte séparé, ou bien cet acte sera-t-il joint au traité d'adhésion de la Croatie ? Ce n'est pas dit. En tout cas, cette affaire laisse une impression de « bricolage ».

Comment seront attribués les éventuels deux nouveaux sièges français ?

Comment s'effectuera la mise en oeuvre, en France, de ce changement en cours de législature du nombre des députés européens élus en France ? Il semble que le décret qui répartira les sièges entre les circonscriptions interrégionales en fonction de leur population devra prévoir l'hypothèse où deux sièges supplémentaires seraient attribués à la France, de manière à ce que l'attribution de ces sièges à telle ou telle circonscription s'effectue sur des bases indiscutables. Ensuite, il faudra prévoir que ces sièges seront pourvus en refaisant les calculs à partir du résultat des élections un an plus tôt. Le Conseil d'État jugera-t-il qu'un décret peut suffire pour mettre en place un tel mécanisme ? N'estimera-t-il pas nécessaire de recourir à une loi ?

2. La nomination de la Commission

La nomination de la Commission qui succèdera à la « Commission Barroso » pose elle aussi un problème. Le mandat de l'actuelle Commission prendra fin le 1 er novembre prochain. Normalement, à cette date, le référendum irlandais aura eu lieu, et si tout va bien le traité de Lisbonne entrera en vigueur, ce qui signifie qu'on devra avoir une Commission composée selon le principe : un commissaire par État membre.

Mais si le nouveau référendum est par malheur négatif, il faudra bien appliquer le traité de Nice. Ce traité, comme vous le savez, pose le principe que, dès lors que l'Union comptera vingt-sept membres, il faudra qu'il y ait moins de commissaires que d'États membres. Or, depuis l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie, cette condition est remplie. Si le référendum est négatif, il faudra donc que le Conseil prenne, à l'unanimité, une décision pour dire quelles seront les règles de composition d'une Commission où il y a moins de commissaires que d'États membres. En effet, ces règles ne sont pas définies par le traité de Nice, qui se borne à dire qu'il faudra une rotation strictement égalitaire entre les États membres pour le droit de proposer un commissaire.

Seulement, il faut bien noter que le processus de désignation du président de la Commission européenne, puis de la Commission elle-même, débute normalement au lendemain des élections européennes, c'est-à-dire au mois de juin, afin que la nouvelle Commission soit complètement formée et en mesure de fonctionner le 1 er novembre suivant.

Le Conseil européen a d'ailleurs pris soin de préciser que ce calendrier serait respecté. Il faudra donc normalement que la nouvelle Commission soit désignée et investie avant le 1 er novembre. Il est très vraisemblable, dans ces conditions, qu'une grande partie du processus de désignation s'effectuera de toute manière sur la base du traité de Nice, et sans qu'on sache quelles règles s'appliqueront finalement.

Cela pose notamment un problème pour ce qui est du choix du président de la Commission, qui intervient en premier lieu. Car en choisissant le président, on choisira en même temps par avance un des États membres qui se trouvera « représenté » au sein d'une éventuelle Commission resserrée. Cela reviendra à anticiper sur la décision qu'il faudra prendre en cas d'échec du nouveau référendum. Bref, tout dépendra de la date finalement retenue pour le nouveau référendum, mais il y a toutes les chances pour que le processus de formation de la Commission se déroule sans qu'on sache avec certitude selon quelles règles la Commission devra être composée. C'est tout de même une situation étrange.

3. Le futur « président stable » du Conseil européen

Enfin, je voudrais mentionner une dernière conséquence de la non-entrée en vigueur du traité de Lisbonne à la date prévue. Elle concerne le président stable du Conseil européen prévu par ce traité.

Si le calendrier prévu avait été respecté, ce président aurait été élu maintenant. Initialement, on pensait d'ailleurs que ce serait une des tâches importantes de la présidence française que de préparer cette élection. Si le président stable avait été élu maintenant, le choix aurait été complètement indépendant du résultat des élections européennes. Le choix aurait pu se faire avant tout sur l'« équation personnelle » du candidat. Mais finalement le président stable sera élu, en cas de référendum positif, à l'automne prochain, donc peu après la mise en place de la nouvelle Commission européenne. Il sera difficile d'éviter qu'il y ait un marchandage comprenant le président de la Commission, le président du Conseil européen, et le Haut représentant de l'Union. Dans ce type de marchandage, chacun le sait, on privilégie les équilibres entre forces politiques, entre « petits » et « grands » États, entre anciens et nouveaux membres. Il n'est pas sûr, dans ces conditions, que cette innovation importante du traité de Lisbonne reçoive toute sa portée.

Or, pour ma part, s'il y a une leçon que je tire de la présidence française, c'est que l'Europe est efficace lorsque ses institutions coopèrent pleinement entre elles, et que l'Union et les États membres travaillent dans le même sens ; et que pour obtenir ce résultat, il faut une présidence active, volontaire, sachant écouter mais aussi provoquer la décision : une présidence capable d'entraîner. Est-ce que c'est ce type de présidence qui ressortira d'un marchandage global ? Je n'en suis pas certain, même si, en ce début d'année, il faut savoir rester optimiste.

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