b) Les visages du supportérisme
Les études réalisées sur les supporters de football démontrent qu'ils représentent assez bien la composition sociologique des villes de l'équipe qu'ils soutiennent . Il s'agit bien d'une spécificité du football, qui est le spectacle culturel ou sportif, qui draine le plus fort pourcentage d'individus issus des milieux populaires, lesquels impriment forcément leur marque à l'atmosphère qui règne dans les gradins. Christian Bromberger a ainsi montré que la composition du stade vélodrome était le calque parfait de la structure de la cité marseillaise 14 ( * ) .
Les deux critères discriminants de la présence à un stade de football, sont le sexe (les femmes représentent 10 % des spectateurs) et l'âge : à Marseille, 83 % des spectateurs ont moins de 39 ans . Dans les années 1970, on a en fait assisté à une juvénilisation du football qui explique à bien des égards les changements d'ambiance dans le stade et l'essor du supportérisme radical. Ces jeunes sont en effet traditionnellement regroupés au sein du même kop 15 ( * ) , et ont un comportement à la fois organisé et très démonstratif.
Cette sociologie a ainsi contribué à donner aux manifestations de supporters les formes qu'elles prennent aujourd'hui.
c) Les caractéristiques de la ferveur « supporter »
Les supporters n'ont pas tous le même comportement. Les sociologues opposent traditionnellement deux modèles historiques de « supportérisme », britannique et italien. Le premier repose sur la ferveur des chants et la spontanéité de l'ambiance, liée à la faible intégration des supporters dans des associations. Le second se caractérise par son organisation : des groupes de supporters sont structurés avec des meneurs pour lancer l'ambiance, les animations (notamment les fameux « tifos 16 ( * ) ») réalisées ont une grande importance. Les stades français empruntent à ces deux traditions.
On peut schématiquement y distinguer quatre types de supporters 17 ( * ) :
- les supporters du premier type, qui constituent probablement la majorité du public dans les stades, viennent seuls au stade ou en petits groupes, et manifestent éventuellement leurs sentiments de manière isolée par des applaudissements ou des huées. Ils s'opposent aux insultes collectives et à la violence physique ;
- d'autres supporters sont adhérents d'associations traditionnelles de supporters , loyales et intégrées au club. Ils organisent leur présence au stade collectivement et manifestent leur soutien avec des chants et des animations (drapeaux, ballons gonflables, banderoles). Leurs associations s'opposent à la violence physique, voire verbale, et adhérent à la Fédération des associations de supporters (FAS), qui préconise une attitude fair-play 18 ( * ) . Elles sont des interlocuteurs privilégiés pour les clubs, ainsi que pour la Ligue professionnelle de football, qui admet un membre de la FAS au sein de la commission nationale... Ces supporters sont en général plus âgés et viennent aux matchs accompagnés de leur famille ;
- le troisième type de supporters adhère aux associations dites « ultras » . Leurs membres passent beaucoup de temps à soutenir l'équipe, à la fois par des chants continus dans le stade, par la présence régulière aux déplacements de l'équipe et enfin par la préparation de nombreuses animations pendant la semaine. Les supporters « ultras » se retrouvent pendant le match dans les kops et restent debout la plupart du temps. Ils affirment leur indépendance par rapport aux dirigeants du club en refusant les aides financières et en se permettant de critiquer la gestion du club. Quant à l'adversaire, tous les moyens sont bons pour le déstabiliser, et les slogans insultants sont légion. Si les démonstrations des ultras visent à produire une impression de violence afin d'affirmer la supériorité du groupe de supporters sur ses rivaux et à déconcentrer l'adversaire, elles ne dégénèrent qu'occasionnellement en actes brutaux, le plus souvent liés au contexte spécifique du match (rencontre décisive, incidents de jeu, « erreurs » d'arbitrage, provocation de supporters adverses). Leurs préparatifs qui peuvent ressembler à une campagne militaire, jusqu'à l'invasion du terrain, relèvent davantage du désir d'être vu et de ritualiser le combat plutôt que du désir de déclencher des événements violents. La passion de ces supporters est partagée entre le supportérisme et le football 19 ( * ) . Les questions de rivalité entre groupes de supporters font par ailleurs largement partie de leurs préoccupations.
Ces associations dites « ultras » sont un élément important de la réflexion de vos rapporteurs, dans la mesure où, sans préconiser la violence, elles peuvent ponctuellement en faire usage. Moins prévisibles, elles sont également moins contrôlables que les associations traditionnelles.
La dénomination d' « ultra » ne rend cependant pas bien compte de la réalité de ces associations, qui sont composées essentiellement de jeunes hommes (15-30 ans), qui y cherchent souvent un réseau de sociabilité liée à leur passion pour une équipe (voir infra ). Les associations ont en outre l'avantage de pouvoir exercer un contrôle social sur leurs membres et éviter ainsi des débordements violents.
- enfin, les « hooligans » 20 ( * ) constituent la dernière catégorie de supporters, dont l'attachement au club, probablement réel au début, a dévié vers un soutien violent qui est devenu l'objet de leur venue au stade. Dans une quête de la visibilité sociale ou pour l'amour du risque, davantage que par passion pour le football, ils se regroupent de manière informelle 21 ( * ) , dans des bandes et non pas dans des associations, afin d'organiser des « fights » avec d'autres supporters, à savoir des batailles de rue n'ayant de but que la violence elle-même. Le stade étant un territoire où le contrôle est relativement aisé, ils ont tendance à exercer leurs violences sur d'autres terrains (gares, parkings...). L'ancien groupe parisien des « Tigris ultras » autodissous en juin 2006 s'est ainsi réunifié de manière informelle par la suite dans la « Ghetto Firm », bande de hooligans, et ses membres ont pris à partie des supporters adverses au début de l'année 2007.
Il est à noter que, selon l'ensemble des personnes auditionnées, la politisation de l'ensemble des groupes est très faible . La rhétorique d'extrême-droite est parfois utilisée, notamment par certains supporters du Paris Saint-Germain, mais les slogans racistes, bien qu'inacceptables, relèvent souvent de la provocation. Selon Nicolas Hourcade, « l'expression publique la plus visible dans les stades est celle de l'antiracisme ».
Cette rapide analyse montre la difficulté pour les acteurs institutionnels de répondre à la question des relations qu'ils doivent entretenir avec les supporters, dont les comportements sont très divers.
* 14 C. Bromberger, op. cit.
* 15 Le terme « kop » en référence au « Spion kop » de Liverpool, désigne les emplacements dans le stade, souvent dans les virages, où les supporters sont les plus actifs. L'origine du mot est à trouver dans le nom d'un champ de bataille où les tribunes britanniques furent battues par les Boers, malgré le combat héroïque d'un régiment de Liverpool.
* 16 Les tifos sont des grandes pièces de toile fabriquées par les ultras et délivrant un message symbolique de soutien.
* 17 Pour reprendre notamment la typologie de N. Hourcade, « La place des supporters dans le monde du football », Pouvoirs , 2002.
* 18 La philosophie de la Fédération des associations de supporters (FAS) a été présentée au groupe de travail par son président, M. Joël Archenault, auditionné le 21 mars 2007.
* 19 Un slogan classique des supporters du PSG à l'extérieur est ainsi « Paysan, paysan, paysan », clairement davantage destiné aux supporters des équipes adverses qu'aux joueurs.
* 20 Le terme de « hooligan », selon D. Bodin, op. cit., est « le résultat d'un jeu de mot de journaliste qui, cherchant une dénomination aux comportements violents qui se donnaient à voir, les affubla du nom d'une famille irlandaise particulièrement violente sous le règne de la reine Victoria : les Hoolihan. Jeu de mot, coquille d'imprimerie, le g et le h se côtoyant sur les claviers anglo-saxons comme sur les claviers « azerty », le terme de hooligan était né ».
* 21 Certains, appelés les « casuals », viennent seuls dans le stade et tentent ensuite de se mêler aux bagarres. Afin de passer inaperçus, ils évitent de marquer leur appartenance supporter et se mélangent aux autres spectateurs.