M. Gérard Neyrand, professeur de sociologie à l'université de Toulouse 3, directeur du Centre interdisciplinaire méditerranéen d'études et de recherches en sciences sociales
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.-
La parole est à M. Gérard Neyrand, professeur de sociologie à l'université de Toulouse 3, directeur du Centre interdisciplinaire méditerranéen d'études et de recherches en sciences sociales.
M. Gérard Neyrand, professeur de sociologie à l'université de Toulouse 3, directeur du Centre interdisciplinaire méditerranéen d'études et de recherches en sciences sociales . -
Je rappellerai brièvement mon implication en tant que sociologue dans l'histoire de la garde alternée qui, en 1987, est devenue la résidence alternée dès lors que la notion d'autorité parentale a été distinguée de la question de la résidence de l'enfant.
J'ai réalisé mon enquête au début des années quatre-vingt-dix, à une époque où la résidence alternée n'était pas encore reconnue juridiquement.
Si la résidence alternée concerne 8 à 10 % des décisions judiciaires, les 15 à 20 % que j'ai évoqués ce matin correspondent à la pratique de celle-ci. En effet, la résidence alternée peut être décidée par les parents en dehors de toute décision judiciaire. Lorsque j'ai effectué mon enquête, 8 à 10 % des personnes interrogées y avaient recours de façon quasi clandestine puisqu'elle n'était pas reconnue.
L'enquête portait sur soixante-dix couples, dont la moitié pratiquait la résidence alternée. Au terme de ma recherche - qui ne consistait pas en de simples témoignages individuels -, j'ai pu constater que la résidence alternée pouvait être bénéfique pour les enfants et pour les parents. Au-delà des difficultés rencontrées par certains et du mal-être manifesté par quelques enfants, les résultats de l'enquête donnaient une image éminemment plus positive de la pratique que celle qui était diffusée jusqu'alors par des cliniciens confrontés à des dysfonctionnements pathologiques dans un nombre limité de cas.
En effet, tout d'abord, en préservant la double relation parentale, une telle pratique est sans doute conforme au mode de vie antérieur des parents, un mode de vie égalitariste. Ensuite, il faut signaler l'intérêt manifesté par les enfants pour cette solution et les bénéfices éducatifs qu'ils peuvent en retirer, l'essentiel étant de maintenir un lien concret et régulier avec les deux parents. Enfin, cette pratique a des effets positifs sur la vie sociale et relationnelle des enfants : si les parents ont chacun leur enfant à mi-temps, ils sont plus disponibles dans la mesure où ils peuvent faire face à leurs contraintes professionnelles ou personnelles quand leur enfant n'est pas avec eux.
Contrairement aux craintes qui se sont manifestées, cet ensemble de facteurs concourt à l'équilibre psychologique des enfants.
D'autres enquêtes, surtout nord-américaines, ont confirmé ces résultats en montrant que les enfants en situation d'alternance ne présentaient généralement pas de troubles particuliers et que les perturbations qui avaient été constatées chez une minorité d'entre eux semblaient être liées davantage à la persistance du conflit parental qu'à la pratique de la résidence alternée.
Il est vrai qu'en cas de conflit parental, de surcroît lorsque l'enfant est au centre de celui-ci, l'alternance peut être préjudiciable à l'enfant. D'où l'intérêt des mesures de médiation familiale ou de pacification avant la mise en place de la résidence alternée.
Si les représentations de la résidence alternée ont évolué, si sa pratique est beaucoup mieux acceptée, aussi bien chez les cliniciens que chez les juristes, les résistances qu'elle suscite se sont focalisées sur la situation particulière des jeunes enfants.
La résidence alternée est très rare pour les bébés mais, compte tenu de la multiplication des séparations ayant lieu lorsque les enfants sont en bas âge, le nombre de jeunes enfants concernés n'est pas négligeable. Dans les trois quarts des demandes de résidence alternée, l'enfant unique ou le plus jeune des enfants a moins de dix ans. Surtout, dans un tiers des cas, il a moins de quatre ans.
C'est la raison pour laquelle cette solution peut créer un malaise chez une minorité d'enfants, comme je l'ai constaté, et entraîner parfois chez ceux-ci des troubles psychiques. Bien que l'origine de ces troubles soit complexe, leur existence, à laquelle sont d'abord confrontés les pédopsychiatres, a poussé certains d'entre eux à adopter une position hostile à la résidence alternée, peut-être avec l'idée que la seule personne capable de s'occuper d'un bébé ou d'un jeune enfant serait la mère. Même si l'on considère que les jeunes enfants ont toujours besoin d'amour, l'on peut se demander si la mère est la seule personne capable de le leur apporter. Est-ce que la prépondérance maternelle en la matière, qui a été théorisée il y a plus d'une cinquantaine d'années par de nombreux auteurs - je vous renvoie aux travaux de René Spitz et de John Bowlby, notamment, sur l'attachement -, doit véritablement être considérée comme exclusive d'autres attachements utiles au bien-être et à l'équilibre de l'enfant ?
Qu'est-ce qui permet d'affirmer qu'une résidence alternée serait a priori plus préjudiciable à l'enfant qu'une résidence unique chez la mère ? À ma connaissance, rien n'a jamais été véritablement démontré. Personne ne conteste que, sous l'influence de déterminations bioculturelles, les mères sont prédisposées à s'investir davantage dans la relation avec le bébé. D'ailleurs, bien des pères ne seraient pas capables de prendre la place que tient leur conjointe sur le plan des soins et de l'éducation jusqu'à un âge relativement avancé de l'enfant. Sauf exception, ces pères ne demandent pas une résidence alternée de leur enfant, surtout si ce dernier est très jeune.
En même temps, un certain nombre de pères sont très investis dès la naissance dans le soin apporté à leur bébé et se constituent donc en figure d'attachement pour celui-ci, autant que la mère, voire davantage, compte tenu du fait que la double activité est devenue la norme aujourd'hui et que, dans un certain nombre de cas, les pères peuvent être au chômage alors que les mamans travaillent.
En cas de séparation, la demande de résidence alternée apparaît logique. Elle s'inscrit dans ce que les parents perçoivent comme la préservation de l'intérêt de leur enfant, même si cela ne concerne qu'un nombre limité de cas.
Pourquoi, dès lors, ces situations devraient-elles être appréhendées selon un modèle qui ne les concerne pas ? En fait, pour la plupart des cliniciens, la présence de deux figures principales d'attachement pour un bébé doit être préservée. Le refus de l'alternance, qui prive l'enfant de l'une d'entre elles, semble alors participer plus d'une position idéologique que d'une analyse strictement scientifique.
L'absence plus ou moins prolongée d'un père impliqué - je vous renvoie aux travaux de Jean Le Camus - n'engendrerait-elle pas aussi des souffrances pour l'enfant et des carences préjudiciables à son bien-être ? Pour autant, cela ne revient pas à dire que le père et la mère sont interchangeables : ils ont bien sûr chacun une spécificité liée à leur position sexuée.
De fait, de nombreux témoignages de parents et d'enfants ayant vécu l'alternance de la résidence montrent que, lorsque les liens psychiques sont établis, celle-ci peut être bien vécue à tout âge, quitte à ce qu'elle soit aménagée en fonction des enfants, par exemple en augmentant le rythme d'alternance pour les plus jeunes. Le rapport au temps des jeunes enfants n'est pas le même que celui des enfants plus âgés et des adolescents. Pour les premiers, il est donc nécessaire que le rythme de l'alternance soit inférieur à la semaine. Dans ces cas-là, la stabilité des liens est plus importante à préserver que l'unicité du lieu de vie pour l'enfant.
L'hostilité de principe de certains pédopsychiatres à ce mode de gestion de l'après-séparation ne découle pas seulement du constat du mal-être de certains bébés qui, parfois, en résulte. Il faut reconnaître que des bébés ou de jeunes enfants peuvent manifester des troubles dans des situations d'alternance. Néanmoins, on peut se demander si ces troubles sont liés à l'alternance ou à des problèmes relationnels avec les parents, qui ont pour conséquence de placer l'enfant au centre d'un conflit qu'il ne peut pas gérer, surtout s'il est très jeune.
Aujourd'hui, les possibilités de réorganisation du lien familial sont multiples. Aussi, il est nécessaire de préserver la possibilité que celui-ci puisse être maintenu lorsque les parents le demandent et lorsqu'ils sont prêts à s'investir l'un et l'autre dans une double pratique de résidence de l'enfant.
Il convient d'insister sur la complémentarité des bénéfices que peuvent retirer les parents et les enfants de cette pratique. Contrairement à ce que laissent entendre certains de ses détracteurs, qui sont trop centrés sur les dysfonctionnements possibles, ce n'est pas leur seul intérêt que les parents défendent lorsqu'ils évoquent les bienfaits de la résidence alternée. En interrogeant un certain nombre d'enfants concernés, j'ai constaté que ceux-ci, en tout cas ceux qui étaient en résidence alternée depuis un temps relativement long, n'avaient pas envie de changer de système et trouvaient cette solution tout à fait convenable.
Je ne prétends pas que c'est la panacée puisque, même dans les pays où elle est juridiquement reconnue depuis longtemps, la résidence alternée ne dépasse jamais la moitié du total des modes de garde. Là où la pratique est la plus fréquente, que ce soit en Californie, dans d'autres États américains, ou dans des pays du nord de l'Europe, ce taux est au maximum de 40 %.
Un certain nombre de conditions contraignantes, parfois impossibles à réaliser, sont en effet requises pour la mise en place d'une résidence alternée. Il faut en outre que les deux parents veuillent la réaliser. Mais, pour un certain nombre de familles, celle-ci constitue sans doute la moins mauvaise des solutions pour organiser au mieux leur après-séparation.
Devant la diversité des situations familiales, notre système social a pour défi de soutenir les compétences des parents pour préserver la coparentalité et déterminer eux-mêmes les solutions qui conviennent le mieux à leur situation et à celle de leurs enfants.
M. André Lardeux.-
Monsieur Neyrand, vous avez présenté la défense du système de résidence alternée. Je vous poserai plusieurs questions.
Votre enquête avait porté sur soixante-dix couples, dont trente-cinq avaient adopté la résidence alternée. Je ne doute pas de la qualité de votre travail, mais estimez-vous que le nombre de cas que vous avez étudiés est suffisant pour valider scientifiquement l'ensemble des réflexions que vous venez de nous soumettre ?
Ensuite, vous avez parlé des troubles psychiques. Il en existe certes d'autres, mais ces troubles sont les plus graves qui puissent affecter les enfants. J'ai reçu quelques témoignages individuels, dont il ne faut, bien sûr, tirer aucune conclusion générale. Par exemple, une personne m'écrit qu'elle a « subi » - pour reprendre son propre terme - ce mode de garde bien avant que la loi ne l'ait institué. Elle se plaint de huit ans de changements d'environnement, de règles, d'autorité, de lit et de jouets, de transports de valises et de livres. Le rythme hebdomadaire de l'alternance, solution la plus fréquemment retenue, est-il le bon ? D'autres solutions ne pourraient-elles pas être envisagées tendant à allonger les délais de l'alternance et à diminuer le rythme des transferts des enfants ?
Ne devrait-on pas avoir recours à la résidence alternée en fonction de l'âge des enfants et de l'évolution des familles recomposées ? Au sein des familles recomposées, certains des enfants sont concernés par la résidence alternée, tandis que les autres ne fréquentent qu'un seul domicile. Cela ne va pas sans poser des problèmes pour les premiers. Que pouvez-vous nous dire en l'espèce ?
M. Gérard Neyrand.-
Mon enquête était qualitative. Il aurait d'ailleurs été très difficile de réaliser une enquête qui puisse prétendre à une quelconque représentativité. En effet, la résidence alternée n'étant pas reconnue à l'époque, il n'était guère possible de savoir à l'avance qui, parmi les personnes interrogées, était en situation d'alternance et qui était en situation de résidence unique.
À la suite d'une première étude que j'avais réalisée sur la situation de parents après leur séparation, j'avais rencontré un certain nombre d'entre eux qui pratiquaient cette garde alternée, préalablement à sa reconnaissance par la loi. Était-elle, ainsi que le prétendait le discours dominant de l'époque, véritablement impossible à pratiquer au motif qu'elle eût été déstabilisante et trop pénible pour les enfants, ou bien fallait-il donner raison aux parents que j'avais rencontrés au cours de ma première enquête et qui m'avaient parlé des bienfaits qu'ils avaient retirés de la résidence alternée et de leur souffrance qu'elle ne fût pas reconnue par le système social ?
Ce second terme de l'alternative fut, en quelque sorte, mon hypothèse de départ. L'enquête a effectivement démontré que la résidence alternée est, dans certains cas, non seulement possible, mais encore bénéfique pour les personnes qui y ont recours. Mais elle ne prétendait pas donner une représentation statistiquement exacte de la population concernée. On pouvait trouver des témoignages allant dans les deux sens : certains ont vécu la résidence alternée de façon très positive, et d'autres beaucoup moins. Même les enquêtes menées aux États-Unis ne sont pas statistiquement représentatives de la population. Il serait très difficile de parvenir à une représentativité exacte.
Le rythme hebdomadaire de l'alternance est-il le bon ? Il est en tout cas le plus pratiqué. Cela ne signifie pas qu'il convienne dans tous les cas. Ce rythme a tendance à s'allonger avec l'âge de l'enfant. D'ailleurs, un certain nombre des enfants que j'ai interrogés sont passés, à l'adolescence, d'un rythme hebdomadaire à un rythme bimensuel, et ce à leur propre demande. Dans le cas d'enfants très jeunes, le rythme d'alternance est inférieur à la semaine, justement parce que le rapport au temps diffère selon les enfants.
Ce rythme évolue en fonction de l'âge de l'enfant, des circonstances et des professions exercées par chacun des parents. L'alternance n'est pas toujours définie et peut légèrement varier selon les contraintes professionnelles du père ou de la mère.
L'évolution des situations de garde et de résidence de l'enfant après la séparation peut être liée à de multiples facteurs, y compris à des recompositions familiales. J'ai rencontré des enfants qui, dans un premier temps en résidence alternée, y ont finalement renoncé. Je me souviens du cas d'une jeune fille qui, adolescente, ne s'entendant pas avec sa belle-mère, a préféré rester vivre chez sa mère, après avoir pratiqué pendant douze ans la résidence alternée à sa plus grande satisfaction. Rien n'est jamais définitif et chaque situation peut être adaptée.
À l'heure actuelle, les situations familiales sont très évolutives. Les situations monoparentales sont souvent des séquences dans la vie d'un individu et durent plus ou moins longtemps.
Mme Catherine Troendle.-
Monsieur Neyrand, vous avez évoqué tout à l'heure une problématique qui me semble primordiale dans l'approche de ce sujet, à savoir le conflit entre les parents. Il est très difficile d'évaluer le degré de conflit qu'il peut y avoir entre des parents. Dès lors qu'il en existe un, confirmez-vous que, selon vous, la résidence alternée n'est pas la solution la plus adaptée pour l'enfant ?
En outre, j'ai l'impression que vous vous intéressez beaucoup à la situation et aux sentiments des parents. Quid de l'enfant ? On ne peut pas interroger les enfants en bas âge et on n'a peut-être pas suffisamment de recul pour interroger des enfants plus âgés. Néanmoins, il aurait été opportun - mais peut-être n'aviez-vous pas non plus suffisamment de recul - d'auditionner également les enseignants, dont les nombreux témoignages attestent qu'ils sont parfaitement à même de repérer dans leurs classes les enfants vivant mal la résidence alternée. La problématique semble s'aggraver au fur et à mesure que l'enfant grandit, notamment au collège, en classes de sixième et de cinquième.
M. Gérard Neyrand.-
Tout d'abord, un conflit conjugal non résolu ne me paraît pas constituer un obstacle définitif à la pratique de la résidence alternée, à condition que les parents parviennent à le dissocier de leur rapport avec leur enfant. Certains parents ont fait la part des choses et ont décidé, dans l'intérêt de l'enfant, de pratiquer une résidence alternée, en limitant la communication entre eux aux questions relatives à l'éducation de leur enfant.
Ce travail de dissociation est une nécessité absolue. Lorsque les parents n'y parviennent pas, il faut mettre en place une médiation, pour éviter que l'enfant pris entre les deux feux ne se trouve très perturbé.
De toute façon, il faudrait davantage prendre en compte les avis des éducateurs et des enseignants.
La pratique de la résidence alternée est née dès les années soixante-dix, principalement dans les couches sociales moyennes cultivées. Nous disposons maintenant d'un certain recul, avec le témoignage de personnes aujourd'hui âgées de trente ans ayant vécu une bonne partie de leur enfance en résidence alternée.
Mme Marie-Thérèse Hermange.-
Nous en convenons tous, la situation familiale des parents - mariés, non mariés, divorcés, en union libre - a une interaction sur la vie et le développement ultérieur de l'enfant, comme le souligne Serge Lebovici.
Dans votre exposé, monsieur Neyrand, vous avez cité les études de John Bowlby, René Spitz, Donald Winnicott. Nous, législateurs, représentons, en fin de compte, l'opinion publique, soit, selon Gaston Bachelard, ceux qui pensent mal.
Pour ma part, j'ai toujours eu le sentiment que ces théories relatives à l'interaction et à l'attachement tendaient à démontrer la nécessité de « défusionner » la relation entre la mère et l'enfant pendant la période de vulnérabilité de ce dernier, notamment pour que le père puisse jouer son rôle de limite et d'autorité. Or vous semblez affirmer qu'aux yeux de ces experts les rôles du père et de la mère sont similaires.
Peut-être ai-je mal compris ! Il va sans dire que la perception que nous avons de ces différentes théories n'est pas sans influence sur nos travaux législatifs.
Même Jean Le Camus a insisté sur le rôle précis de la paternité. C'est aujourd'hui un point fondamental. Poser la question de l'autorité, c'est-à-dire de la limite, c'est poser celle de la paternité. Qui « fait le père » aujourd'hui ? Le législateur ? Le père ? L'instituteur ? Le juge ?
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales.-
C'est l'enfant-roi !
Mme Marie-Thérèse Hermange.-
Tout à fait !
M. Gérard Neyrand.-
C'est l'enfant qui « fait le père » !
Mme Marie-Thérèse Hermange.-
Peut-on parler de prédisposition bioculturelle de la mère ? S'il participe aux soins de ses enfants au même titre que la mère, le père doit-il pour autant négliger la question de la limite ?
M. Gérard Neyrand.-
Je partage l'avis que vous venez d'exprimer, même si je n'ai pas pu le développer au cours de mon intervention, mon temps de parole étant limité.
Spitz et Bowlby ont théorisé le fonctionnement du modèle familial dans les années cinquante, alors que les rôles paternel et maternel étaient très différenciés et qu'il revenait à la mère de s'occuper des enfants, notamment en bas âge.
Une évolution importante s'est produite depuis dans les comportements, mais aussi dans les positionnements théoriques. Les travaux de ces experts ont été non pas contredits, mais relativisés par les études ultérieures, notamment celles de Jean Le Camus.
À l'évidence, un enfant élevé avec un seul parent court un risque « fusionnel » en se renfermant sur la relation unique avec le parent gardien. À cet égard, la notion de tiers séparateur, de tiers tout court, qui permet à l'enfant d'avoir une bipolarité de relations, m'apparaît très importante.
Précisément, la résidence alternée donne à l'enfant la possibilité de maintenir un double système relationnel, sans s'enfermer dans une relation unique.
Nous touchons à la problématique que vous évoquiez concernant la paternité et la place du père aujourd'hui, sachant que son rôle ancien a été délégitimé, alors que la préservation de la coparentalité se révèle nécessaire, notamment sur le plan psychique.
M. Jean-René Lecerf.-
Permettez-moi de vous livrer un modeste témoignage. Je participe depuis plusieurs années au jury d'un concours qui est organisé conjointement par le Sénat et un quotidien d'information pour enfants.
Actualité oblige, la question posée cette année avait pour thème : « Si j'étais président... ». Dans les différents projets présentés par des élèves de l'enseignement primaire et du début du secondaire, à notre grande surprise, de nombreuses remarques ont eu trait au problème des familles séparées. La résidence alternée a été très critiquée, non pas sur le principe, mais sur ses modalités.
Ainsi, les enfants ont revendiqué de disposer chez chacun des deux parents d'une chambre, d'un bureau, de leurs manuels scolaires pour pouvoir faire leurs devoirs. Ils se sont insurgés contre la durée de transport, parfois supérieure à une heure, entre le domicile du père et celui de la mère. Enfin, ils ont considéré que les réformes ne pouvaient se faire sans leur accord puisqu'ils étaient les premiers concernés.
M. Gérard Neyrand.-
J'ai également constaté, au cours de mon enquête sur la résidence alternée, que les inconvénients soulignés par les enfants étaient d'ordre pratique, tandis que les avantages qu'ils relevaient étaient relationnels et psychologiques. Les discours tenus par les enfants montrent bien une différence à cet égard.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.-
Je vous remercie.