III. LE MAINTIEN DE TRÈS GRANDES INÉGALITÉS
A. L'INDE EST LE PAYS COMPTANT LE PLUS DE PAUVRES AU MONDE
1. 80 % de la population en dessous du seuil de pauvreté défini au niveau international
Les Nations Unies utilisent comme seuil de pauvreté un niveau de revenu équivalent en parité de pouvoir d'achat (PPA), à 2 dollars par jour. Le rapport de 2004 du Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD) estimait qu'environ 80 % de la population indienne se situait sous ce seuil, soit 840 millions de personnes. Le décollage de l'Inde et ses premiers effets sur l'économie mondiale ne doivent pas masquer cette réalité .
Quant au seuil de grande pauvreté des personnes vivant avec moins de un dollar par jour (en PPA), il regrouperait près de 35 % des Indiens, soit 365 millions de personnes.
L'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) a évalué à 221 millions le nombre d'Indiens sous-nourris en 2001-2002. A titre de comparaison, ce chiffre était de 142 millions en Chine 18 ( * ) . De façon générale, la réduction de la pauvreté semble nettement plus rapide en Chine.
Tous les membres de la mission ont été particulièrement émus à la vue -poignante- du dénuement des sans-abris et du nombre de bidonvilles qui sont, dans les villes, une conséquence de cette situation. L'un d'entre eux a ainsi estimé qu'il avait eu l'occasion, dans sa vie, de voir la pauvreté, notamment en Afrique, mais qu'il avait découvert, là, la misère.
2. Les évaluations indiennes confirment ces ordres de grandeur
L'Inde a défini un seuil de pauvreté ( Poverty line , en anglais) exprimé en calories. Ce seuil varie selon que l'on considère les populations rurales ou urbaines, puisqu'il est de 2.400 calories par jour par adulte en zone rurale et 2.100 calories par jour en ville. Selon cette définition, 28,6 % de la population auraient été sous ce seuil de grande pauvreté en 2000, soit un peu moins de 300 millions de personnes.
B. LE MAINTIEN DES STRUCTURES SOCIALES TRADITIONNELLES EST DE NATURE À FREINER LE DÉVELOPPEMENT
L'impact négatif des systèmes sociaux discriminatoires et rigides sur le développement économique a été souvent étudié. Dans le cas de l'Inde, une étude d'Amartya Sen, prix Nobel indien d'économie et Jean Drèze, a montré la corrélation entre le décollage économique et la modernisation des structures sociales 19 ( * ) .
1. Le système des castes garde toute sa force
82 % de la population indienne est de religion hindoue. Les hindous distinguent quatre castes sociales ( varna ) associées à des degrés de pureté. On distingue ainsi, par ordre social décroissant :
- les prêtres ( brahmanes ) ;
- les guerriers ( kshatriya ) ;
- les marchands ( vaishya ) ;
- les travailleurs manuels ( shudra ).
20 % de la population hindoue n'appartiennent à aucune caste et sont désignés comme « intouchables » (parfois appelés paria ) et placés, en principe, au bas de l'échelle sociale.
Les membres de la délégation ont pu constater le caractère encore très prégnant de ces discriminations organisées. Ils ont été frappés par la relative acceptation sociale de cette situation, y compris par les plus défavorisés.
Les pouvoirs publics tentent d'amoindrir l'effet de ce système par une politique de discrimination positive . En outre, la démocratie permet la constitution de partis ou de groupes de pressions défendant les intérêts des « basses castes ». Reste que ce système, intimement mêlé aux représentations d'une religion pratiquée avec ferveur, garde des conséquences très concrètes dans la société indienne contemporaine. Celles-ci sont visibles dans les relations du travail et surtout dans les mariages qui, d'après les informations recueillies par la délégation, respectent très strictement les divisions par castes.
Il est évident, aux yeux des membres de la délégation, que le maintien d'un tel système discriminatoire a nécessairement un coût économique et qu'il est de nature à freiner le développement du pays et la diffusion, en son sein, des fruits de la croissance.
2. Les femmes font l'objet de nombreuses discriminations
Les discriminations envers les femmes sont un autre aspect marquant des structures sociales traditionnelles . Celles-ci consistent classiquement dans un moindre taux de scolarisation, élément dont l'impact négatif sur le développement des pays a été souvent présenté.
S'y ajoutent des traits spécifiques à la société indienne, comme les coutumes de dots qui font peser sur la famille des mariées des charges considérables et durables. On note même des tendances, dans certains milieux favorisés, aux avortements ciblés pour éviter les naissances de filles. On relève également, par -semble-t-il- appétit pour les dots, des meurtres de femmes mariées déguisés en accidents domestiques. Fort heureusement, leur nombre a diminué depuis l'adoption d'une loi instituant une mise en examen d'office de la belle-famille dans les cas de mort par incendie domestique.
* 18 Cf . Boillot, op. cit. , p. 59 et sq .
* 19 Amartya Sen et Jean Drèze, India's Economic Development and Participation. Oxford university Press, New Delhi, 2002.