TABLE RONDE
OUVERTE À LA PRESSE ET AU PUBLIC
SUR LE DROIT D'AUTEUR À L'HEURE D'INTERNET

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles

Mes chers collègues, Mesdames, Messieurs, bienvenue au Sénat pour cette table ronde que nous avons souhaité consacrer à un problème qui mobilise autant les professionnels que le législateur. Nous savons tous ce qui s'est passé à l'Assemblée nationale. Ce texte sera transmis au Sénat, une fois que l'Assemblée aura achevé son examen. Je m'appelle Jacques Valade. Je suis président de la commission des affaires culturelles et j'ai, à ma droite, Michel Thiollière désigné par cette commission pour rapporter le texte. M. Thiollière travaille sur ce dossier, depuis plusieurs mois, afin de cerner les problèmes qu'il se pose. Il est très attentif au secteur artistique et culturel. Il a suivi l'évolution du dossier en rencontrant, autant à travers les auditions organisées par la commission qu'à travers celles qu'il a lui-même conduites, tous ceux qui pouvaient apporter des informations et exprimer un point de vue. Il a d'ailleurs déjà rencontré beaucoup d'entre vous et nous avons souhaité rassembler cette capacité d'expression autour de cette table ronde.

Comme vous le savez, le Parlement reprendra, dans les prochaines semaines, l'examen de ce projet de loi sur le droit d'auteur et les droits voisins dans la société de l'information. Ce texte comporte également des dispositions importantes relatives au dépôt légal et au droit d'auteur des agents publics. Il a pour principal objet de transposer, en droit français, une directive européenne datant du 22 mai 2001. Celle-ci se fixe pour objectif d'harmoniser certains aspects des droits d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information. Elle remonte à 2001 et nous avons l'obligation de la transposer dans notre droit interne. Elle privilégie, dans la lutte contre les atteintes au droit des auteurs et des acteurs de la culture, en général, facilitées par le développement d'Internet, des mesures techniques de protection auxquelles elle nous impose de conférer un statut juridique protecteur.

S'agit-il de la seule réponse envisageable au développement des échanges de musique et de cinéma sur les réseaux de « peer to peer » ?

A l'évidence non, comme l'ont démontré les débats, parfois tumultueux, des premières séances que l'Assemblée nationale a consacrées à l'examen du texte en décembre dernier.

Il n'est pas impossible, d'ailleurs, que le délai écoulé entre l'adoption de la directive, en 2001, le dépôt du projet de loi gouvernemental, à la fin de 2003, et le moment choisi pour aborder la discussion de ce dernier, deux ans plus tard, ait souligné les limites de cette approche, peut-être un peu exclusive. En effet, chez nos principaux partenaires européens, la transposition de cette directive a été à la fois moins tardive et, de ce fait, sans doute, moins houleuse.

Quoi qu'il en soit, parmi les nombreux amendements proposés à l'Assemblée nationale, deux dispositifs envisageaient de porter au projet de loi initial des compléments, voire des infléchissements majeurs. Nous étions, par conséquent, relativement au-delà d'une transposition pure et simple de la directive. Je fais allusion au dépôt, d'ailleurs tardif, des amendements par lesquels le Gouvernement proposait de mettre en place un dispositif de réponse graduée ainsi qu'à l'adoption, par l'Assemblée nationale, des amendements parlementaires instaurant un dispositif de licence globale. Cette licence proposait de légaliser le « peer to peer » et d'indemniser les ayants droit par l'instauration d'une rémunération assise sur les abonnements auprès des fournisseurs d'accès.

Cette nouvelle donne modifie sensiblement l'économie du projet de loi qui nous est soumis. Nous nous réjouissons que quelques semaines de répit nous soit accordées, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, pour approfondir notre réflexion sur les réponses législatives qui permettront de mieux garantir les droits des auteurs et de la filière culturelle, sans négliger la demande sociale que révèle le développement des échanges illégaux de fichiers culturels. C'est dans le cadre de cette nécessaire réflexion que nous avons souhaité vous réunir, aujourd'hui, pour recueillir votre point de vue sur quelques-uns des principaux éléments sur lesquels nous aurons à nous prononcer au cours de l'examen de ce texte. Notre rapporteur, M. Michel Thiollière, a préparé ces sujets et nous les aborderons en relation avec les membres de la table ronde, mais également avec le public qui est nombreux et que je salue cordialement.

Ce texte a d'abord été déposé à l'Assemblée nationale à qui il revient donc en premier lieu de l'examiner et de le voter. Au-delà de cette présentation un peu formelle, je veux vous dire notre état d'esprit. Il nous sera transmis et nous aurons à donner notre sentiment sur celui-ci avec le recul nécessaire. C'est dans cette perspective que nous souhaitons vous entendre pour nous forger une opinion. C'est la raison pour laquelle, dans ce moment stratégique de discussion et d'évolution du texte, nous avons souhaité vous entendre très largement dans le cadre de cette matinée. Nous souhaitons que chacun intervienne, à son tour, sur les points essentiels qui entraînent une interrogation et soulèvent notre intérêt. Nous avons essayé de réunir ceux qui avaient quelque chose à dire autour de la table, sans négliger le fait que vous êtes tous susceptibles d'intervenir dans un cadre horaire que nous allons tenter de maîtriser.

Nous retrouvons, ainsi, autour de la table des personnalités représentant des institutions, des organismes et des entreprises concernés au premier chef par le débat :

- des artistes : MM. Laurent Heynemann et Christophe Barratier , cinéastes ; M. Alain Chamfort , auteur, compositeur et interprète qui interviendra en tant qu'auteur ; M. Nicolas Folmer , artiste de jazz ;

- des syndicats les représentant : M. Alain Dorval , membre du Syndicat national des artistes et des professions de l'animation et de la culture (SNAPAC-CFDT) ; M. Pascal Rogard , directeur général de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) ;

- des représentants des consommateurs : Mme Frédérique Pfrunder , membre de Consommation, logement et cadre de vie (CLCV), qui s'exprimera au nom des associations de consommateurs participant à l'Alliance public-artistes ;

- des représentants des sociétés de production : M. Hervé Rony , directeur général du Syndicat national de l'édition phonographique (SNEP) ;

- des sociétés de répartition des droits : M. Xavier Blanc , directeur juridique de la Société de perception et de distribution des droits des artistes-interprètes musique et danse (SPEDIDAM) ; M. Claude Lemesle , président du conseil d'administration de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM) ; M. Bruno Ory-Lavollée , gérant de la Société civile pour l'administration des droits des artistes et musiciens interprètes (ADAMI) ;

- des sociétés de production : M. Jérôme Roger , directeur général de la Société civile des producteurs de phonogrammes en France (SPPF) ;

- des distributeurs : M. Guy Verrecchia , président du groupe UGC, et qui représente le Bureau de liaison des industries cinématographiques (BLIC) ;

- des représentants des fournisseurs d'accès : M. Giuseppe de Martino , président de l'Association française des fournisseurs d'accès et de services Internet (AFA) ;

- des représentants des logiciels libres : M. Christophe Espern , membre fondateur d'EUCD Info ;

- des industriels - M. Didier Huck , vice-président des relations institutionnelles de la réglementation de la société Thomson ;

- des experts : Mme Joëlle Farchy , économiste ; M. Pierre Sirinelli , professeur de droit à l'université Paris I.

Naturellement, nous souhaitons que le débat se développe avec la salle et les représentants des organisations qui n'ont pu figurer à la tribune. Je vais laisser, maintenant, la parole à Michel Thiollière afin que celui-ci précise les règles du jeu. Cependant, je veux insister sur le fait que nous n'avons pas de positions établies sur le sujet, que nous sommes attentifs à celles que vous allez exprimer et que nous admettons toute expression. Nous souhaitons, évidemment, que le débat soit convenable, que nos collègues sénateurs présents - que je salue - aient la possibilité d'intervenir et que nous respections l'horaire fixé.

M. Michel Thiollière, rapporteur du projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information

Je tiens également à vous remercier d'avoir accepté de participer à cette table ronde ou d'être présent dans la salle pour suivre ce débat et intervenir. Nous allons effectivement nous organiser pour que chacun puisse s'exprimer au mieux. Je vous demande donc de respecter votre temps de parole afin que les échanges soient les plus intéressants possible et que la salle ait le temps de s'exprimer.

Le premier thème que nous avons décidé d'aborder est le suivant : comment concilier Internet, et notamment le « peer to peer », avec le droit d'auteur ? Nous pourrions y consacrer environ une heure. Ce sujet est très médiatisé et pourrait se décliner autour de quelques questions. Le développement du « peer to peer » est-il compatible avec la défense des droits des acteurs culturels ? Si cela est possible, dans quelles conditions ? Ceux-ci doivent-ils, au contraire, y renoncer au profit d'un droit de rémunération dans le cadre d'une gestion collective obligatoire ? Afin de sérier, au mieux, ce sujet, nous pourrions envisager deux moments. Dans un premier temps, nous discuterions du principe de licence globale évoquée. Dans un deuxième temps, nous traiterions les alternatives qui permettraient de préserver les droits exclusifs. Quelques chiffres permettent de situer le débat. Si mes sources sont bonnes, les ventes de disques, au niveau mondial, ont évolué de 32,2 milliards de disques vendus en 2000, à 29,6 milliards en 2002 et 28,7 milliards en 2004. Sur le réseau du « peer to peer », sachant qu'environ deux tiers des réseaux sont occupés par le trafic mondial par Internet pour 2004 et 2005, le téléchargement concerne, en France, 1 milliard de fichiers musicaux en 2005, dont 2 % seulement ont été téléchargés dans un cadre légal payant. Cependant, il faut noter que ces derniers sont en progression.

La proposition de licence globale part du principe qu'il est impossible de mettre un terme aux pratiques illégales existantes et de faire évoluer Internet et les téléchargements en « peer to peer » vers une forme de marché dans lequel les titulaires de droit conserveraient la maîtrise de leurs oeuvres. Je pense qu'il faut tout de suite entrer dans le vif du sujet. Nous pourrions proposer aux membres de l'alliance public/artistes, en particulier à l'ADAMI, de nous expliquer comment ils envisagent ce dispositif.

M. Bruno Ory-Lavollée, gérant de la Société civile pour l'administration des droits des artistes et des musiciens interprètes (ADAMI)

Pour aller vite, je vais traiter trois points. Pourquoi les membres de l'alliance ont-ils proposé ce dispositif ? A quoi correspond celui-ci ? Et, surtout, à quoi ne correspond-il pas ?

Le constat que nous faisons se résume en quelques mots. On n'arrêtera pas le « peer to peer », ou plutôt les copies et les échanges sur Internet. La nature de l'ensemble, formé par les appareils de lecture à grande capacité et les réseaux est de créer une facilité de la circulation et de la copie, une révolution de la copie. De ce point de vue, et sans jugement de valeur, la logique de reconstruction d'un magasin de disque va à contresens de la nature même des technologies auxquelles nous avons à faire. Rappelons également que ces échanges et ces copies prennent de multiples formes et que le « peer to peer » n'en représente qu'une. Beaucoup d'échanges se font effectivement dans le cadre de correspondances privées, au travers des e-mails ou de conversations téléphoniques par Internet. Nous avons donc estimé que la répression serait impuissante à arrêter ces échanges, compte tenu de leurs multiples formes.

Nous avons également constaté que les artistes-interprètes ne touchent rien ou presque rien sur les ventes et échanges par Internet. S'agissant des ventes marchandes, ceux que représente la SPEDIDAM sont rémunérés de manière forfaitaire, au moment de l'enregistrement. Donc, plus ces utilisations secondaires se développent sur les réseaux, plus l'absence d'une rémunération dépendante de ces utilisations se fait ressentir pour eux. Pour les artistes solistes, que l'ADAMI représente, nous avons constaté que les grandes maisons de disque imposent - c'est le mot qu'il faut utiliser pour la grande majorité d'entre eux qui ne sont pas des stars - des conditions léonines dans les contrats, qui divisent par deux leurs parts des ventes pour les diffusions sur Internet. Des pratiques contractuelles visent donc à diviser par deux la part des artistes sur Internet, donc dans le monde de demain. Sur le « peer to peer », ni les artistes, ni les producteurs, ni les auteurs ne touchent de rémunération. Nous sommes dans la gratuité totale, soit une spoliation dont profitent d'autres acteurs comme les vendeurs de matériel et, surtout, les exploitants des réseaux.

Enfin, la proposition de licence globale repose sur l'idée d'essayer de défendre, dans le monde culturel, des espaces où l'accès se fait d'une manière libre, des espaces de bouche à oreille, des espaces de circulation des oeuvres en dehors de l'acte marchand. Ceci serait équivalent aux médiathèques ou aux jardins publics.

La licence globale repose sur l'application de la redevance pour copie privée aux abonnements aux fournisseurs d'accès à Internet. Cette redevance serait payée chaque mois par l'internaute. On nous a accusés d'être vagues sur son montant. Ceci est parfaitement logique puisque ce montant serait dépendant des contreparties proposées. Les particuliers acquerraient ainsi une autorisation de procéder à des échanges non commerciaux. La partie de mise à disposition que contiennent ces échanges serait gérée dans le cadre d'une gestion collective obligatoire. Je n'ai pas le temps de m'étendre sur ce point, mais nous pourrons y revenir. Les sommes ainsi collectées seraient très significatives. Sur la base d'hypothèses moyennes, elles représenteraient environ la moitié du chiffre d'affaires actuel de l'industrie du disque en France. Elles seraient partagées entre les sociétés de producteurs, d'auteurs et d'artistes-interprètes qui les répartiraient comme elles savent déjà le faire pour les redevances de copie privée prélevées sur les supports vierges. Nous pourrons également préciser ce point. L'idée repose sur la réalisation de sondages très vastes sur les échanges et les copies effectuées sur les réseaux. Ces sondages préserveraient l'anonymat des internautes et permettraient de répartir les sommes proportionnellement aux diffusions. Enfin, rappelons que 25 % du montant de la redevance pour copie privée finance des aides à la formation, au spectacle vivant et à la création. C'est donc une contribution du monde de la reproduction mécanique et numérique vers les formes vivantes du spectacle. Cette redevance représente également un mécanisme d'exception culturelle, tout à fait analogue aux mécanismes de financement du cinéma dont on dit souvent qu'ils constituent une des forces de la culture française.

A contrario, voici ce que la licence globale n'est pas. Il est important de rappeler ces points car nous avons été très caricaturés et l'opposition à la licence globale s'est presque toujours basée sur une caricature de cette proposition. La licence globale ne représente pas un accès à tout, dans n'importe quelle condition, pour une somme dérisoire. Dans le cadre de la gestion collective obligatoire, des limites peuvent être définies. Les amendements présentés par certains parlementaires limitent déjà son champ à la musique. Mais, il est également possible de n'autoriser que certaines pratiques d'échanges ou de copies ou de fixer des limites chronologiques. Par exemple, pour le cinéma, nous avons estimé indispensable d'attendre la diffusion hertzienne pour autoriser ces échanges. En effet, une fois l'oeuvre diffusée, dans le monde de la télévision numérique terrestre et des magnétoscopes à disque dur, une telle approche est possible. Par ailleurs, la licence globale ne représente pas l'unique moyen d'accès à la culture dans le monde numérique. De nouveau, ses pourfendeurs ont essayé de faire croire qu'elle ferait tomber à zéro les ventes de disques et les revenus des plates-formes marchandes. Ce scénario n'est pas probable et ne reflète pas nos intentions. La licence globale a pour vocation à cohabiter avec les ventes marchandes. En particulier, les limites qui lui seront fixées pourront garantir un avantage concurrentiel aux plates-formes marchandes. Nous avons mené différentes enquêtes qui démontrent que les utilisateurs qui pratiquent le « peer to peer » sont les mêmes qui achètent beaucoup de disques. L'affirmation selon laquelle la licence globale tuerait les revenus de l'industrie doit donc, au minimum, être soumise à un examen approfondi et donner lieu à un débat alors qu'elle a été considérée comme un présupposé.

Enfin, la licence globale se veut un antidote au monopole de l'accès marchand et le règne sans partage des DRM sur la culture dans le monde numérique. Nous devons garder en tête les dangers que représentent les DRM : un cryptage généralisé des oeuvres numérisées qui limiterait l'accès à la culture des citoyens et octroierait des monopoles aux détenteurs de ces DRM. Il engendrerait également des transferts de valeurs très importants du monde culturel vers le monde des logiciels. Enfin, il se traduirait par des possibilités d'intrusion très importantes dans nos vies privées. Ainsi, lorsqu'on propose de limiter les copies des fichiers téléchargés sur les plates-formes marchandes à sept grâce au DRM, ceci signifie concrètement qu'un fabricant de DRM saura exactement par qui et à quel moment les copies ont été effectuées. C'est un élément essentiel du débat !

M. Michel Thiollière

Nous avons effectivement bien compris le sujet. Je propose une première intervention du professeur Sirinelli afin d'examiner la compatibilité de votre proposition avec les engagements internationaux de la France. Le professeur Sirinelli est membre du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique qui a rédigé un récent rapport sur ce sujet.

M. Pierre Sirinelli, professeur de droit à l'Université Paris I

Dans un premier temps, je tiens à signaler que personne ne songe à vouloir arrêter le « peer to peer ». Ce mode de distribution des oeuvres constitue une vraie chance pour les industries culturelles. Chacun songe, ici, à l'utiliser au mieux en lui permettant, au travers d'un cadre sécurisé, de s'épanouir dans le respect des obligations internationales de la France. En ce qui me concerne, je ne me prononcerai absolument pas sur l'opportunité de la solution envisagée. Je vais tenter de voir si nous pouvons adopter pareille solution en fonction des textes qui nous engagent : traité de l'OMPI, convention de Berne, accords ADPIC de l'OMC et directive communautaire du 22 mai 2001.

La licence globale comprend deux volets. Le premier concerne le téléchargement descendant qui serait assimilé à de la copie privée et serait, de ce fait, soustrait au droit exclusif par exception au droit d'auteur et aux droits voisins. La solution a été envisagée à l'Assemblée nationale, mais celle-ci s'est arrêtée en cours de route. En effet, seule la première étape a été franchie en vue de l'adoption de cette licence globale. D'une part, l'Assemblée nationale ne s'est pas définitivement prononcée sur la question. D'autre part, le texte ne peut être opérationnel que si une solution identique est adoptée en termes de droits voisins. Est-il possible de prétendre que le téléchargement en « download » représente une copie privée ? Par rapport au droit positif actuel français, non, mais le Parlement peut changer cette situation mais à condition que la solution retenue soit conforme aux engagements internationaux de la France. Dans ce cadre, il faut prendre en considération le test des trois étapes, présent dans tous les textes que j'ai cités. Dans la version de la directive que nous devons transposer, il est indiqué : « Les exceptions et limitations ne sont applicables que dans certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre, ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire de droit . » Dans un premier temps, il faut donc vérifier que la solution qui serait adoptée par le Parlement serait conforme à ces points. L'analyse en copie privée est-elle susceptible de causer des pertes injustifiées aux intérêts légitimes des auteurs et autres titulaires de droit ? Ce mode d'exploitation est-il bien celui que les ayants droit envisageaient ? Je laisse chacun juge de la réponse et je n'ai pas le pouvoir de trancher ce point. Néanmoins, nous pouvons constater l'existence vraisemblable d'une perte économique puisque le dispositif de licence globale vise à instaurer une tentative de compensation. Quant au mode d'exploitation normal, chacun aura son opinion, mais le CSPLA a estimé, dans sa majorité, que les deuxième et troisième conditions n'étaient pas respectées. Si cette analyse est correcte, le législateur français ne peut pas adopter pareille disposition.

Concernant le deuxième volet de la licence globale, soit l'analyse qui consisterait à créer un système de gestion collective obligatoire pour le téléchargement ascendant, il faut envisager les mêmes textes internationaux. La question est la suivante : est-il possible de créer un système de gestion collective pour l'exercice de ce droit exclusif ? Elle est complexe, mais je vais tenter de la traiter en quelques secondes. Selon le principe cardinal des textes internationaux, les exceptions au droit exclusif des auteurs et des ayants droit sont normalement et limitativement énumérées par ces textes. Par exemple, il n'est pas possible d'adopter un système de licence légale dans des cas autres que ceux envisagés par ces règles internationales. Le système de l'alliance n'est pas un système de licence légale. Il est légèrement différent, car le dispositif de licence globale ne repose pas sur une négation du droit exclusif, mais repose sur un exercice obligatoire de ce droit sous forme de gestion collective. Il existe plusieurs approches dans ce cadre. Les tenants de l'alliance estiment que le système serait conforme aux engagements internationaux de la France sur ce point. La commission a réalisé une analyse quelque peu différente. Dans le fond, deux questions successives se posent, la première concernant une approche de principe, la seconde une approche dans les modalités.

Concernant l'approche de principe, il faut considérer que, d'après l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, lorsque les traités internationaux ne prévoient pas la possibilité d'instaurer un système de licence légale, on ne peut pas non plus imposer un système de gestion collective obligatoire. En effet, lorsque les textes internationaux consacrent un droit exclusif, le bénéficiaire de ce droit se voit reconnaître la liberté de l'exercer individuellement. Cette position a été affirmée à deux reprises par l'OMPI, notamment dans une réponse adressée au gouvernement hongrois qui souhaitait être éclairé sur cette possibilité. Un sérieux doute demeure donc sur le principe même de l'adoption d'un système de gestion collective obligatoire. En termes de modalités, le grief serait moins important puisque ces modalités peuvent être modifiées. Les modalités proposées dans le système de l'alliance correspondent-elles à un véritable dispositif de gestion collective obligatoire ? Ce système ne contient-il pas indirectement les effets d'un système de licence légale ? Si la réponse à cette question est positive, il faut le rebaptiser et le considérer comme un dispositif de licence légale. Deux points suscitent une difficulté dans ce cadre. D'une part, le montant de la rémunération serait déterminé, à défaut d'accord, par une commission. Or, les ayants droit ne seraient pas majoritaires dans celle-ci. L'avis de la commission s'imposera donc à ces ayants droit. De ce point de vue, le dispositif peut ressembler à une licence légale, sachant, de nouveau, que cette modalité est susceptible de réajustement. D'autre part, la répartition entre ayants droit se ferait conformément à une norme fixée par le législateur, et non suivant un accord fixé entre les ayants droit, ce qui suscitera également un obstacle.

L'analyse qui a été menée a été contestée par certains. Même si personne n'est en mesure d'affirmer détenir la vérité, nous citons quand même l'OMPI qui est le gardien des textes internationaux. Pour clore cette intervention, je tiens à dire que l'Association littéraire et artistique internationale, qui réunit tous les professionnels de la question dans le monde, a été fondée, il y a un siècle et demi, par Victor Hugo et est à l'origine de la Convention de Berne, s'est réunie en comité exécutif le 14 janvier 2006 et a adopté une résolution. Celle-ci est courte et, si vous me le permettez, je vais la lire : « Considérant que la règle fondamentale du droit d'auteur est, selon les textes internationaux, le droit exclusif de décider du principe et des modalités de diffusion de l'oeuvre et considérant que l'amoindrissement du droit exclusif n'est autorisé que dans le cadre des exceptions prévues par ces textes, l'Association littéraire et artistique internationale rappelle fermement que tout aménagement légal du droit d'auteur, quels qu'en soient la forme ou l'intitulé, dont le résultat serait de priver les auteurs de l'exercice effectif de leurs droits exclusifs en dehors des limites expressément autorisées est contraire à l'esprit et à la lettre des textes internationaux. » L'Association a pris position car le vote du Parlement a été observé à l'étranger. Par exemple, en Belgique, certains partis politiques s'en sont emparés. Cette solution est donc susceptible de se répandre.

M. Jacques Valade

Sans acharnement sénatorial, je souhaite effectuer une petite observation. Vous évoquez le texte qui sera étudié et voté par l'Assemblée nationale. Notre contribution, même postérieure, ne peut pas être négligée dans ce cadre.

M. Michel Thiollière

Après avoir posé le principe de licence globale et évoqué les problèmes de droit que celui-ci suscite, nous pouvons aborder la question de la tarification et de la redistribution des revenus. Qui souhaite s'exprimer sur ces éléments autour de la table ?

M. Pascal Rogard, directeur général de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD)

Pour le cinéma, j'ai compris des discussions qui se sont tenues à l'Assemblée nationale qu'aucun député ne souhaitait une licence légale, globale ou globale optionnelle pour ce secteur. En quelque sorte, nous avons été victimes d'une balle perdue puisque l'amendement voté légalise le téléchargement des films et des oeuvres audiovisuelles sans prévoir de rémunération. Nous serions donc les plus victimes des victimes si le système perdurait. Pourquoi aucune proposition n'a-t-elle été exprimée, dans ce sens, pour le cinéma ? Il est évident que le système de diffusion et de production des oeuvres cinématographiques ne tiendrait pas le coup face à la licence légale. Quel investisseur pourrait prendre le risque de financer des droits exclusifs alors que, simultanément, des internautes pourraient télécharger des oeuvres ?

Par ailleurs, je tiens à vous expliquer le mécanisme de contrefaçon numérique des oeuvres cinématographiques. Les films sont volés dans les laboratoires ou enregistrés, par caméscope, dans les salles. Ils sont donc disponibles, pour certains, avant l'exploitation en salle ou, pour d'autres, pendant cette exploitation. Ils sont, d'ailleurs, d'autant plus disponibles qu'ils obtiennent une notoriété en salle. Le cas le plus flagrant est celui du film de Christophe Barratier « Les Choristes », qui n'a commencé à être téléchargé massivement qu'en quatrième semaine d'exploitation en salle, alors qu'il commençait à connaître un grand succès. De plus, quel serait ce système, défendu par une « sainte alliance », qui voudrait faire payer, à des consommateurs, des fichiers dont la qualité ne correspond pas à celle que veulent les auteurs et qui peuvent parfois donner des résultats surprenants ? Nous avons récemment eu une entrevue avec Christine Boutin à qui nous avons expliqué que, lorsqu'elle croyait télécharger sur Internet le film « Palais Royal », elle avait quelque chance de télécharger un film pornographique dont je tairai le titre par respect pour cette assemblée. Enfin, à l'attention des organisations de consommateurs qui font partie de l'alliance et qui passent leur temps, à juste titre, à veiller à ce que les dépenses des consommateurs correspondent à des produits de qualité, je tiens à dire qu'il semble relativement curieux qu'elles acceptent que ceux-ci paient des oeuvres qui ne correspondent pas à la volonté de leurs auteurs et dont la qualité ne peut naturellement pas être garantie.

C'est tout ce que je tenais à dire puisque j'estime que, pour le cinéma, il n'y a pas de débat sur la licence globale ou légale.

M. Jérôme Roger, directeur général de la Société civile des producteurs de phonogrammes en France (SPPF)

Je voudrais m'exprimer au nom des producteurs de musique indépendante. La SPPF est une société de gestion collective qui regroupe 900 producteurs de disques indépendants. A ce titre, je veux rappeler que, contrairement à ce qui a été prétendu ici et là, le projet de loi débattu à l'Assemblée nationale en décembre n'est pas un cadeau fait aux multinationales du disque. Les indépendants du cinéma comme de la musique jouent un rôle essentiel dans le développement des carrières d'artistes et des oeuvres. En ce qui concerne la musique, qui, pour le coup, est véritablement concernée par cet amendement, je souhaite rapidement réfuter un certain nombre d'arguments développés par les représentants de l'alliance public/artistes.

La solution de la licence globale serait financièrement viable pour la filière musicale. C'est faux ! La mise en place d'un système légalisant les échanges illicites de morceaux de musique sur Internet bouleverserait inévitablement le comportement des consommateurs. Un feu vert légal serait donné au téléchargement de titres musicaux circulant sur la toile. Les échanges en « peer to peer » se généraliseraient à l'ensemble des consommateurs, au-delà de la portion d'internautes qui y a aujourd'hui recours, portion certes importante, mais minoritaire. En conséquence, une telle solution instaurerait une culture de la gratuité ou de la quasi-gratuité et accélèrerait, selon nous, la chute des ventes de disque. A ce titre, la chute spectaculaire de ces ventes sur les trois dernières années a été rappelée, celles-ci ayant, en France, subi un recul de près de 40 % depuis 2002. Cette solution tuerait le consentement à payer pour avoir un accès aux offres légales qui sont en train de décoller dans le pays, découragerait les efforts des distributeurs de services de musique en ligne et tuerait dans l'oeuf ces nouveaux modèles de distribution. Au nom du simple principe de précaution, il nous paraît extrêmement dangereux de mettre en place une telle solution.

La licence globale serait le meilleur moyen de réconcilier liberté de copie et responsabilité. C'est également faux ! En achetant un morceau de musique ou un album sur les dizaines de services de musique en ligne déjà existants, le consommateur a parfaitement le droit, aujourd'hui, de les copier ou de les transférer plusieurs fois. Nous évoquerons ultérieurement la question de l'interopérabilité. Il s'agit d'un autre débat qui ne doit pas être confondu avec celui du mécanisme de licence globale. Cette licence, nous dit-on, serait optionnelle et non obligatoire. Elle instaurerait, selon ses défenseurs, une véritable culture de la responsabilité. Je cite, là, les propos de certains députés. Mais, combien d'internautes seraient réellement disposés à souscrire à ce mécanisme optionnel ? Ceci pose un énorme problème de consentement à payer dès lors qu'il n'existe aucune obligation.

La licence globale serait une garantie d'un meilleur accès pour tous à la culture. C'est faux ! Internet est, d'ores et déjà, l'un des plus grands magasins de disques virtuels au monde avec près de 1,9 million de titres disponibles sur la toile pour un prix tout à fait abordable. Celui-ci pourrait vraisemblablement baisser parallèlement au développement des offres. Sauf à vouloir nationaliser, en quelque sorte, la culture et au-delà des considérations juridiques rappelées par le professeur Sirinelli, je pense qu'il faut faire confiance aux acteurs des industries culturelles pour multiplier le nombre de plates-formes de distribution de musique en ligne.

La licence globale serait le garant d'une véritable diversité culturelle sur Internet. Cette diversité ferait donc défaut actuellement. Je suis bien placé pour vous dire qu'en 18 ans d'application de la licence légale à la radio, sachant que ce mécanisme n'a strictement rien à voir avec celui que l'on cherche à appliquer à Internet, le dispositif n'a en rien empêché la concentration de la programmation musicale. En 2004, selon l'Observatoire de la diversité musicale à la radio, observatoire dont les données sont incontestables puisque celui-ci regroupe les acteurs de la radio et de la musique, 2,74 % des titres diffusés ont représenté 75,83 % du volume total des diffusions. Je souhaiterais donc que les intervenants qui évoquent le précédent de la radio pour démontrer une meilleure diversité dans l'accès des contenus culturels sur la toile m'expliquent en quoi cet accès va être amélioré.

Je conclurai rapidement mon intervention en évoquant l'assertion suivant laquelle la licence globale serait bonne pour la musique et dangereuse pour le cinéma. Je ne vais pas parler pour le cinéma. Mais, je considère que la musique, qui ne bénéficie pas d'un système de chronologie des médias, se trouve dans une situation tout autant, voire plus fragile que le cinéma. Ce secteur dispose, lui, de plusieurs digues protectrices, certes extrêmement fragiles. Nous n'avons, en revanche, pas de deuxième digue. Si la vente de disques dans le commerce ne résiste pas à la piraterie ou au mécanisme de licence globale, nous n'avons pas de possibilité de résister au-delà de cette première digue. Notre économie est donc extrêmement fragile puisque 95 % des revenus des musiques enregistrées proviennent de la vente de disques. On nous a traités de conservateurs. On a prétendu que nous ne souhaitions pas développer de modèle d'exploitation de musique en ligne. C'est complètement faux. Nous sommes très motivés par le développement d'Internet et nous attendons, de ce media, une multiplicité des modes d'exploitation de la musique en ligne, y compris des modèles de « peer to peer ».

M. Benjamin Ooghe, ingénieur de l'École centrale de Lyon, intervenant de la salle

Le précédent intervenant indique que la loi proposée ne représente pas un cadeau pour les majors. J'aimerais que les gens sachent que la directive européenne de 2001 a été passée par une députée européenne mariée au PDG de Vivendi. Par ailleurs, M. Roger, vous estimez que le « peer to peer » constitue une formidable opportunité pour la musique en général. Je suis parfaitement d'accord avec vous. Pour moi, ce point est complémentaire à un principe de licence globale. Pourquoi ? Il faut, pour cela, pouvoir proposer des produits à des prix normaux. Le système actuel, fixant un tarif d'un euro pour un morceau, revient à revendre des albums au même prix que le prix d'achat dans le commerce pour un amoindrissement de la qualité que vous reconnaissez vous-même.

M. Jérôme Roger

Ce tarif représente une réduction du prix de 40 % par rapport au prix de vente dans le commerce.

M. Benjamin Ooghe

Pour quel prix de distribution ? Il s'agit de simples copies numériques. Vous n'avez strictement aucun argent à investir pour pouvoir vendre ces produits.

M. Jérôme Huet, professeur de droit, intervenant de la salle

Pour décrisper un peu l'atmosphère, je voudrais évoquer l'existence de solutions alternatives à celles qui sont actuellement étudiées. Certaines permettent de préserver la liberté de chacun. Pour ma part, j'en soutiens une qui consisterait à donner la possibilité, aux auteurs et aux producteurs, de mettre des mesures de protection technique sur leurs oeuvres. Celles-ci ne circuleraient pas sur les réseaux, contrairement à celles qui ne seraient pas munies de protection car leurs auteurs ou leurs producteurs n'auraient pas souhaité les protéger. Ces oeuvres pourraient donc être librement téléchargées par les internautes. Ceci permettrait de laisser un espace de liberté aux internautes et un espace de liberté aux créateurs et aux producteurs. Bien sûr, si des oeuvres circulaient sur le réseau sans protection technique, cette circulation nécessiterait une compensation car ces oeuvres, protégées par un droit d'auteur, méritent une rétribution. Sur cet aspect, nous nous rapprocherions donc de la licence globale avec un surcoût intégré dans l'abonnement. Cette solution, qui ménagerait les intérêts de tous, serait extrêmement dynamique. Elle permettrait de tester les schémas économiques, les différentes possibilités restant ouvertes aux intéressés. Elle serait compatible avec nos engagements internationaux puisque le droit exclusif des auteurs serait préservé. Elle aurait le mérite de ne pas nous enfermer dans un tout répressif dans lequel nous allons nous débattre, pendant des années, entre les fichiers en provenance de l'étranger et les fichiers français. Je pense donc qu'il existe de nombreuses solutions alternatives qui permettraient à chacun de se réconcilier.

M. Jacques Valade

Je comprends la solution moyenne que vous proposez. Cependant, quel mécanisme empêchera un consommateur achetant une oeuvre, non susceptible de se trouver sur le réseau Internet, de la diffuser lui-même sur ce réseau ?

M. Jérôme Huet

Les mesures de protection doivent être suffisamment efficaces pour dissuader la diffusion sur le réseau. Celle-ci resterait peut-être marginale et il faudrait trouver des solutions pour régler ce genre de situations.

M. Michel Thiollière

Je propose que nous revenions à la table ronde et cédions la parole à M. Rony.

M. Hervé Rony, directeur général du Syndicat national de l'édition phonographique (SNEP)

Le projet de loi dont nous débattons et les amendements connexes qui ont été discutés ne doivent pas faire oublier un point central et déterminant. Nous devons traiter du droit d'auteur et des droits voisins. J'ai le sentiment que, de proche en proche, nous quittons ce terrain pour débattre du financement de la culture en France et de l'Internet, débat au demeurant fort intéressant. Néanmoins, il me semble que nous sortons du cadre strict du projet de loi et que nous faisons dire à ce texte beaucoup plus que ce qu'il porte en lui-même. Bien sûr, le débat sur la licence globale, très franco-français car il a atteint un niveau parlementaire qu'il n'a pas atteint dans les autres pays européens, exige d'évoquer le financement de la culture. On essaie de nous faire croire qu'il ne pourrait y avoir de financement de la culture qu'à travers les pourcentages que reverseraient les sociétés civiles. Ce n'est pas vrai. La culture vit également de l'investissement des producteurs et de tous les acteurs qui participent à la création, indépendamment des aides que personne ne nie et qui sont utiles. Il me paraît essentiel de bien comprendre ce qui est en jeu et qui a été rappelé par le professeur Sirinelli. A ce titre, d'ailleurs, je veux rendre hommage aux réalisations du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique. Je m'étonne parfois, et je le dis avec regret, que le ministre lui-même ne les ait pas évoquées davantage. Le travail effectué par Pierre Sirinelli, Joëlle Farchy et d'autres membres du CSPLA est tout à fait remarquable et il est temps de le dire, notamment devant le Sénat.

Il me paraît donc essentiel de savoir si nous allons rester fidèles à ce qui a toujours été le modèle français du droit d'auteur, c'est-à-dire l'autorisation demandée au titulaire du droit de savoir comment son oeuvre sera exploitée et, subsidiairement, comment les titulaires des droits voisins accepteront que cette oeuvre soit exploitée. C'est essentiel. Or, on tente de nous raconter des histoires sur l'intérêt des consommateurs. Je suis désolé pour les consommateurs. Ce ne sont pas les premiers concernés par la réglementation du droit d'auteur. Ce n'est pas non plus aux tenants du logiciel libre, que je respecte, de nous expliquer ce que sont les droits d'auteur depuis Beaumarchais. Je ne tiens pas ces propos pour faire preuve de « ringardisme ». Je ne prétends pas qu'il ne faut pas examiner comment Internet change le monde. Notre monde et nos métiers changent considérablement. Je rappelle simplement une question fondamentale et centrale. Nous ne devons pas nous laisser déborder par un certain nombre d'intervenants, au demeurant extrêmement habiles, qui ont réussi à nous faire croire qu'il s'agissait d'autre chose que cela.

M. Guy Verrecchia, président du groupe UGC, représentant le Bureau de liaison des industries cinématographiques (BLIC)

J'aimerais vous donner la vision de l'ensemble de la filière du cinéma sur la problématique du piratage et des prétendus moyens d'y remédier, comme la licence globale. Et quand je parle de la filière du cinéma, je parle bien de celle qui va des auteurs jusqu'aux propriétaires de cinémas. Comme d'autres l'ont dit avant moi, le cinéma est un art, mais c'est aussi une industrie. C'est une donnée un peu trop souvent oubliée. A ce titre, j'ouvre une parenthèse que je ne pense pas polémique : présenter le piratage comme un accès à la culture mérite une réelle réflexion. Je ne crois pas que le sujet soit celui-là. Le piratage, en vérité, est un fléau qui peut tuer les industries de la musique et du cinéma qui sont des industries fragiles. Si l'on regarde près de chez nous, le laisser aller italien a tué le cinéma italien alors que le phénomène de la télévision a été nettement moins massif que celui d'Internet.

Pour nous, la licence globale ne constitue pas une solution pertinente pour deux raisons. La première est économique. Les sommes nécessaires pour fabriquer un film sont très conséquentes et les sommes engendrées par la licence globale ne permettraient pas d'amortir les oeuvres. Cette question pourrait, d'ailleurs, ne pas se poser puisque les oeuvres pourraient tout simplement ne pas être financées. Pour comprendre cela, il faut connaître les mécanismes un peu complexes de ce financement, et notamment le système de chronologie des media. Les films sont exploités de manière séquentielle : d'abord dans les salles de cinéma, puis en vidéo, puis sur la télévision payante, enfin sur la télévision gratuite. L'ensemble des intervenants de ces différents segments participe au financement des oeuvres. Que se passera-t-il si, demain, ceux-ci n'ont plus la possibilité d'une exploitation paisible, y compris en matière d'exploitation patrimoniale ? En effet, nous travaillons dans une industrie de prototypes engageant des sommes conséquentes et comprenant des degrés de risque très élevés. C'est donc l'exploitation des oeuvres anciennes, qui ont réussi, qui permet d'entreprendre de nouvelles oeuvres. Il ne faut pas l'oublier. Le fait de piller des oeuvres anciennes pourrait paraître marginal, comparé à la possibilité de réaliser de nouveaux films. Ce n'est pas le cas car ces films permettent d'en entreprendre de nouveaux.

Nous sommes opposés à la proposition avancée pour une deuxième raison. En termes de principe, nous avons du mal à accepter l'idée que le cinéma et la musique devraient subir une forme d'expropriation de leurs droits patrimoniaux et moraux, comme une espèce de sacrifice rituel au nom du dieu Internet. Ne voyez pas en nous des ennemis des internautes. Nous sommes tous des internautes et les Français, s'ils ne le sont pas déjà tous, ont vocation à le devenir. Nous considérons simplement qu'Internet doit être un outil mis au profit d'un progrès économique et social, et non une arme de destruction massive, comme cela pourrait être le cas si nous n'y prenons pas garde. J'ajouterai également que je suis un peu choqué que l'on prétende défendre la culture, lorsque l'on trouve condamnable de copier des sacs Vuitton et parfaitement acceptable de piller des oeuvres de l'esprit. Dans un pays qui a inventé les droits d'auteurs, ceci me semble choquant. Si nous voulons être raisonnables, des solutions existent.

M. Michel Thiollière

Si vous le voulez bien, nous allons clore la discussion sur la licence globale avant d'évoquer ce point. M. Xavier Blanc pourrait-il, à ce titre, nous donner son avis sur la question de la rémunération ?

M. Xavier Blanc, directeur juridique de la Société de perception et de distribution des droits des artistes-interprètes musique et danse (SPEDIDAM)

Avant de vous répondre, si vous le permettez, je souhaiterais donner mon avis sur les éléments juridiques évoqués par le professeur Sirinelli. Je représente la SPEDIDAM qui regroupe 27 000 artistes-interprètes adhérents. Je suis également membre du CSPLA et j'ai participé à une partie des travaux du professeur. Je suis en profond désaccord avec ceux-ci et avec l'avis rendu. Enfin, je suis, sauf erreur de ma part, membre de la section française de l'ALAI et je ne me rappelle pas avoir été consulté sur la déclaration citée.

M. Pierre Sirinelli

Cette déclaration émane de la branche internationale.

M. Xavier Blanc

Je le sais bien. Cependant, dans un processus démocratique, une consultation devrait être organisée à la base. C'est ce que nous avons fait, pour notre part, avec nos ayants droit sur la licence globale. Je ne partage pas l'analyse du professeur Sirinelli sur l'impact du test des trois étapes en matière de vérification de la conformité avec les textes internationaux de l'exception au droit de reproduction constituée par la copie privée. Je ne pense pas non plus que considérer un téléchargement comme un acte de copie privée soit contraire au droit français. Que je sache, les juridictions françaises saisies, jusqu'à ce jour, ont bien considéré que les téléchargements constituaient des actes de copie privée. Concernant deux éléments évoqués pour le test des trois étapes, il n'est pas considéré qu'une exception porte atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre dès lors qu'il n'existe pas de possibilité d'exploitation normale. Or, dans le cadre de la reproduction réalisée par les internautes au travers du téléchargement, les ayants droit n'ont pas la possibilité d'exercer leur droit de reproduction. Par ailleurs, l'analyse consistant à veiller à ce qu'une exception ne cause pas un préjudice injustifié aux intérêts légitimes des ayants droit comporte un point déterminant. Il faut savoir s'il existe ou pas une rémunération en contrepartie. Or, la licence globale prévoit et organise cette rémunération. Nous considérons donc qu'il n'existe aucune difficulté à considérer qu'un acte de téléchargement puisse être qualifié d'acte de copie privée en application des principes internationaux.

La gestion collective obligatoire constitue un débat très subtil et nous pourrions discuter des heures de ce sujet. Un droit exclusif est-il toujours exclusif lorsqu'il fait l'objet d'une gestion collective obligatoire ? Nous considérons que ceci est possible dès lors que cette gestion représente le seul moyen d'exercer ce droit exclusif. Aujourd'hui, l'immense majorité du droit exclusif est exercée dans le cadre d'une gestion collective. Si celle-ci n'est pas obligatoire juridiquement, elle l'est de facto. Un auteur ou un artiste-interprète ne peut pas exercer son droit exclusif à l'égard de centaines de milliers d'utilisateurs ou de dizaines de milliers de lieux qui utilisent l'enregistrement de ses oeuvres. L'analyse selon laquelle cette gestion collective obligatoire n'est pas contraire aux engagements internationaux de la France est partagée par un certain nombre de personnes qui font autorité. Je mentionnerais, sur ce point, Mme Von Lewinski du Max Planck Institut et les travaux que nous avons fait réaliser par l'unité de recherche de l'Université de Nantes sous la direction du professeur André Lucas. Ces derniers ont conclu à la conformité d'un mécanisme de licence globale, tel que nous le proposons, aux engagements internationaux de la France tant au niveau de la compatibilité avec le test des trois étapes, qu'au niveau de la gestion collective obligatoire d'un droit exclusif.

Je voudrais également dire que, pour la première fois, nous voyons un droit exclusif exercé massivement pour interdire. Un droit exclusif permet d'autoriser ou d'interdire. Dans la situation actuelle, un ensemble d'ayants droit tente d'interdire des utilisations pratiquées par 8 à 10 millions de foyers. Je n'évoque même pas un nombre d'internautes, mais un nombre de connexions haut débit en France. Nous sommes face à un cas extraordinaire dans lequel l'utilisateur ne peut pas obtenir d'autorisation pour effectuer des échanges en « peer to peer » et est confronté uniquement à un droit d'interdire. Nous proposons donc de revaloriser le droit d'auteur en permettant aux internautes de réaliser des opérations qui n'ont rien d'intrinsèquement coupable ou illicite et aux ayants droit d'être rémunérés.

M. Michel Thiollière

Je vous propose de laisser la parole aux artistes pour qu'ils nous donnent leur sentiment sur ces problèmes de licence globale, de redistribution et de droits.

M. Alain Chamfort, auteur, compositeur, interprète

Je vais m'exprimer au nom des auteurs compositeurs que je suis venu représenter ici, et non en tant qu'interprète. Je suis membre du conseil d'administration de la SACEM. Un jour, j'ai décidé de vivre de la musique, d'écrire des chansons, de les confier à la SACEM et de prendre le risque de connaître le succès ou l'insuccès comme les autres personnes qui ont choisi cette activité. J'ai vécu, plus ou moins bien, selon les années et les succès qui se sont rencontrés. Mais, j'ai quand même la liberté de ce droit exclusif. J'ai la liberté de contrôler les sommes que je perçois et de vérifier de quelle manière elles ont été transmises grâce à une traçabilité très précise. Je tiens à conserver ce droit. Les auteurs et compositeurs de la SACEM ont tous cette même envie de conserver ce droit exclusif, ce droit moral sur leurs oeuvres et de ne pas laisser d'autres organismes prendre des responsabilités à cet égard et sans les consulter.

M. Nicolas Folmer, artiste de jazz

J'interviens, pour ma part, avec plusieurs casquettes. Je suis membre de la SPEDIDAM en tant qu'artiste-interprète. Je suis membre de l'ADAMI car je suis soliste. Je suis également membre de la SACEM puisque j'écris la musique que j'enregistre. Enfin, je suis souvent co-producteur, comme beaucoup d'artistes, des oeuvres que j'enregistre. J'ai donc une vision un peu globale de la situation. Depuis dix ans, les échanges « peer to peer » sont en croissance et, quelle que soit la casquette que je mette, je ne perçois absolument rien sur ces échanges. Il faut savoir que, l'an dernier, 0,025 % des échangeurs illégaux a été appréhendé, soit environ une personne sur 40 000. Le système répressif en place ne fonctionne pas très bien et, quand bien même ces personnes sont appréhendées, elles paient une amende pénale. Les ayants droit ne touchent donc rien non plus. Je ne crois pas vraiment à ce système répressif et la licence globale résoudrait le préjudice que nous subissons et que la répression ne résout pas. Ceci n'empêche pas le public d'acheter des oeuvres sur Internet. L'achat sur un site payant est sécurisé. Il est plus rapide. L'oeuvre est de meilleure qualité. L'utilisateur est certain de ne pas télécharger autre chose que le produit désiré et dispose d'un ensemble d'informations sur l'enregistrement - pochette, musiciens ayant joué, lieu de l'enregistrement, etc. Ces éléments ne sont pas disponibles dans un téléchargement gratuit. Un sondage Médiamétrie, commandé par le ministère de la culture, en juin 2005, est très intéressant. 75 % des internautes déclarent être favorables à payer la licence globale. 75 % d'entre eux, également, signalent que cette pratique ne changera pas leurs habitudes de consommation et d'achats de DVD ou de CD.

Par ailleurs, concernant l'accès à la culture, je suis également responsable pédagogique du Conservatoire national de Toulon Provence Méditerranée. Je suis donc en relation avec un public relativement large, souvent assez jeune. Ces jeunes sont très forts en informatique. Les systèmes de protection sont, d'après moi, tout aussi inefficaces puisqu'ils sont « crackés » six mois après leur apparition. D'ailleurs, même le système DRM n'est pas au point. J'ai acheté un disque protégé et n'ai rencontré aucune difficulté à le faire fonctionner sur mon ordinateur et travailler dessus. De plus, le public qui fait la démarche de fréquenter le conservatoire, donc d'avoir une activité culturelle, connaît la musique bénéficiant de la promotion importante des majors et est parfaitement inculte sur 80 % de la production culturelle de notre pays. Celle-ci est réalisée par des producteurs indépendants, que je pense également représenter et qui n'ont pas les moyens d'accéder à la télévision. Internet permet donc au public de télécharger une oeuvre d'un artiste qu'il ne connaît pas et, s'il est satisfait, il ira peut-être acheter le disque ou assister à un concert. Il est également très important de savoir que ces droits seront partiellement reversés au spectacle vivant. Qu'est-ce qu'un artiste sans son public ? Précédemment, M. Rogard a évoqué une « sainte alliance ». Effectivement, cette alliance est sacro-sainte car le meilleur artiste qui soit n'est absolument rien du tout sans public. Pour le cinéma, la situation est certainement différente, mais, actuellement, très peu d'artistes vivent de la vente de leurs disques. La plupart d'entre eux vivent de leurs concerts.

Je tiens à dire une dernière chose, en tant qu'artiste-interprète, à l'attention des maisons de disque et pour que le public le sache. Lorsqu'un soliste ou un artiste-interprète entre en studio, la première chose que lui demande une « major » est de céder ses droits de répartition équitable. Je tiens à la disposition de qui voudra des contrats de suspension de droits. Il s'agit d'un chantage au travail en violation de la loi Lang de 1985.

M. Hervé Rony

Je suis désolé de vous interrompre. Vous ne pouvez pas dire une chose pareille devant autant de représentants politiques. Ce n'est pas vrai.

M. Bruno Ory-Lavollée

L'ADAMI enverra des exemplaires de contrat appuyant ce que dit M. Folmer aux sénateurs.

M. Hervé Rony

Je suis tenu de contester ces propos qui sont beaucoup trop faciles.

M. Nicolas Folmer

Je tiens ces contrats à la disposition de la presse. Ce que subissent les artistes-interprètes est un chantage au travail. Vous ne voulez pas céder vos droits. Vous ne faites pas la séance et c'est terminé ! Quand les majors prétendent défendre les artistes et la création, c'est faux. Leur démarche est commerciale. Vous défendez votre business, c'est très bien. Mais cet argument ne prend pas avec les artistes-interprètes et solistes que je représente.

M. Jacques Valade

Mesdames et messieurs, nous vous demandons de respecter un peu d'ordre. Sinon, nous n'allons pas nous entendre, ce qui serait dommage car tout ce qui est exprimé est très intéressant.

M. Alain Dorval, membre du Syndicat national des artistes et des professions de l'animation et de la culture (SNAPAC-CFDT)

Je tiens à préciser que je ne suis pas syndicaliste professionnel, mais artiste-interprète et comédien. Le professeur Sirinelli a posé le problème du droit qui, pour nous, est essentiel. En effet, nous considérons que toute forme de gestion collective obligatoire correspondrait à une expropriation. Celle-ci, comme le professeur l'a indiqué, doit être appréciée au regard du test en trois étapes. En particulier, il revient bien aux ayants droit, et non à des personnes qui leur sont extérieures, d'intervenir en premier lieu sur la dernière phase du test qui consiste à évaluer s'ils sont lésés ou non. Les auteurs se sont largement exprimés sur ce sujet, ainsi que les producteurs. Quant aux artistes-interprètes, je n'ai pas la prétention de tous les représenter. Mais, j'appartiens à une fédération syndicale, la CFDT, qui ne regroupe d'ailleurs pas que des artistes, mais également des gens du spectacle. La fédération couvre effectivement les domaines de la culture, de la communication et du conseil. Elle dispose, entre autre, de sections syndicales à la SACEM et dans les entreprises d'édition phonographique. Il ne faut effectivement pas oublier que ces questions, si elles concernent directement les ayants droit, concernent aussi tous les salariés de ces filières. Quoi qu'on en dise aujourd'hui, la licence globale ne pourrait que supprimer, en grande partie, ces secteurs. Il faudrait être fou pour vouloir acheter ce que, demain, on pourra obtenir pour une somme ridicule et sans contrainte, ni limitation. A ce niveau, le problème du montant de la rétribution se pose. Ce montant n'a jamais fait l'objet de la moindre étude économique. Les chiffres avancés, pour l'instant, ont été obtenus par sondage. L'année dernière, l'ADAMI a fait connaître les résultats d'un sondage, qui, entre parenthèse, a dû coûter très cher aux artistes-interprètes puisque toutes les actions menées actuellement par l'ADAMI et la SPEDIDAM sont financées sur des fonds qui devraient revenir aux artistes-interprètes. Cette enquête demandait aux internautes quel serait leur choix entre la pénalisation ou le paiement pour éviter celle-ci. La réponse était évidemment incluse dans la question. On devrait d'ailleurs étendre ce principe, par exemple, à la taxation. On pourrait ainsi demander aux Français s'ils désirent payer plus, moins ou une somme identique d'impôt. La réponse serait difficilement douteuse. Par ailleurs, on oublie que si, par malheur, ce déni de droit était adopté, l'ADAMI et la SPEDIDAM sont aujourd'hui incapables d'en chiffrer les conséquences économiques. Or, il faudrait déjà soustraire la TVA de cette licence globale. Cette taxe serait évidemment applicable au taux de 19,6 %. Puis, un organisme devrait contrôler les abonnements, ce qui conduirait d'ailleurs à un flicage total de l'Internet. Ainsi, la licence globale rendrait réel ce que les internautes prétendent vouloir éviter aujourd'hui. De plus, cet organisme de contrôle, qui aujourd'hui n'existe pas, devrait être financé et devrait travailler avec une espèce de base de données commune à tous les fournisseurs d'accès. Tout ceci aurait donc un coût qu'on oublie de déduire des sommes éventuellement encaissées. Enfin, une société percevrait l'ensemble des sommes pour que celles-ci puissent être redistribuées entre les différentes sociétés d'ayants droit qui, M. Ory-Lavollée et M. Rogard ne diront pas le contraire, ont également des frais à couvrir. A l'ADAMI, les frais avoués représentent 18 %. Enfin, je précise qu'il n'est pas question pour nous, syndicats et fédérations, de remettre en cause le bien fondé de la gestion collective. Mais, quoi qu'en ait dit M. Blanc de la SPEDIDAM, nous sommes rémunérés sans gestion collective dans bien des cas, comme, par exemple, pour les rediffusions télévisuelles. Nous avons signé un accord dans le doublage. Nous avons signé un accord avec l'INA. Malheureusement, l'ADAMI a envoyé, par voie d'huissier, une injonction à cet organisme pour ne pas appliquer un accord signé par l'ensemble des organisations syndicales représentatives. C'est un peu fort !

M. Bruno Ory-Lavollée

Cet accord pose des problèmes juridiques ; il ne respecte pas le test en trois étapes.

M. Alain Dorval

Voilà, c'est ça. L'accord ne respecte pas le test en trois étapes ! Un problème de fond demeure aussi : qui représente les artistes-interprètes ? Nous avons une spécificité par rapport aux auteurs et aux producteurs. Nous sommes salariés et, en tant que tels, nous avons la prétention d'être représentés par des syndicats. Toutes les centrales syndicales disposent de syndicats représentatifs dans ce secteur. Il n'y a donc aucune raison pour qu'aujourd'hui, hier ou demain, les SPRD (Sociétés de perception et de répartition des droits) d'artistes-interprètes monopolisent la parole à leur profit.

Enfin, on nous parle d'un accès généralisé à la culture. Un rapport de l'Elysée, paru en 2005, faisait état de l'équipement des foyers français en matière d'Internet en 2004. Il estimait notamment que 30,7 % des foyers français étaient équipés d'un tel accès. Or, en regardant ces résultats plus finement, cet équipement concernait 67,5 % des cadres contre seulement 23 % des foyers considérés comme ouvriers. Où est l'accès généralisé à la culture ? Nous sommes très clairement face à un accès de « bobo ». Ce sont donc des gens qui pourraient payer qui prétendent accéder quasi-gratuitement à la culture. Ce n'est pas ainsi que cette culture sera répandue dans les milieux les plus défavorisés. Quand, de plus, la progression de l'équipement des foyers en accès Internet s'établit à 5,2 %, soit 9 % pour les cadres et 4,4 % pour les milieux ouvriers, ce clivage ne fait que s'accentuer. Il est certainement encore plus important au niveau de l'accès en haut débit. J'attire votre attention sur un autre point de détail. Certains évoquent des millions d'internautes qui téléchargent. Or, on confond souvent, à ce sujet, les internautes qui téléchargent réellement et les abonnés au haut débit. J'ai entendu Mme Boutin, par exemple, annoncer un niveau de 8 millions d'internautes qui téléchargent. C'est faux. Il y a vraisemblablement 8 millions d'abonnés au haut débit, ce qui n'a strictement rien à voir. On oublie également que les entreprises s'abonnent à Internet et, particulièrement, au haut débit. Or, l'idée qu'une entreprise prenne cet abonnement pour permettre à ses salariés chéris de télécharger pendant les heures de travail me semble un peu hasardeuse. Pourquoi ne pas leur fournir également les CD et les DVD vierges ? Cela ferait alors partie des avantages sociaux, au même titre que les tickets restaurants.

M. Jean-Marie Moreau, auteur, représentant du Syndicat national des auteurs-compositeurs et administrateur de la SACEM, intervenant de la salle

Je voudrais simplement énoncer trois points très simples au nom des auteurs. En premier lieu, si Internet était un petit village de quelques millions de personnes, nous pourrions nous contenter de la licence globale comme exception au droit d'auteur. Mais, vous savez tous que, demain, toute la culture et toute la musique passeront par Internet. Adopter la licence globale revient donc à brader l'ensemble de la culture mondiale pour un forfait. Dire oui à la licence globale, c'est dire non au droit d'auteur et à l'avenir de la création et de la diversité culturelle. Par ailleurs, ce dispositif revient au schéma suivant : sous prétexte qu'il serait impossible d'empêcher le vol à l'étalage dans les supermarchés, il serait décidé, pour un forfait ridicule, de laisser tous les consommateurs entrer et vider les rayons. Très rapidement, les rayons seront vides : les producteurs et les créateurs ne mettront plus rien dedans. Effectivement, la licence globale va favoriser les consommateurs dans un premier temps. Tout le monde sera très content car tout le monde préfère ne pas payer une baguette que de la payer. Enfin, je tiens à vous dire que les auteurs et les compositeurs ne sont jamais rémunérés, contrairement aux musiciens de la SPEDIDAM qui touchent des cachets. C'est très bien comme cela. Néanmoins, nous prenons tous les risques. Notre seule rémunération est le droit d'auteur et nous ne voulons pas être rémunérés pour des oeuvres que nous n'avons pas faites. Le droit exclusif permet donc que nos oeuvres soient identifiées et que nous soyons rémunérés exclusivement pour la diffusion de celles-ci. Je tiens également à ajouter que nous ne sommes opposés ni à la copie privée, celle-ci étant une exception au droit exclusif, ni au logiciel libre, qui est une très belle chose. Il ne doit simplement pas favoriser le piratage.

M. Jacques Valade

Nous comprenons parfaitement votre position sur le premier point. Quelle solution proposez-vous dans ce cadre ?

M. Jean-Marie Moreau

Les solutions sont déjà connues, la première d'entre elles étant les plates-formes de téléchargement légal qu'il faut favoriser. De plus, il est suicidaire de prendre des décisions aujourd'hui. Des solutions existent et existeront. Il ne faut pas se précipiter.

M. Jacques Valade

Je me permets d'aller dans votre sens car nous n'avons pas évoqué, ni les uns, ni les autres, le problème de l'évolution technologique. Il est bien évident que des avancées technologiques sont en cours, et qu'elles permettront peut-être d'aboutir à un meilleur contrôle.

M. Bernard Miyet, président du directoire de la SACEM, intervenant de la salle

Tout d'abord, j'ai entendu M. Bruno Ory-Lavollée évoquer le droit d'auteur. Je rappelle que ce droit est celui des auteurs et non celui des artistes-interprètes. Il s'agit donc de deux choses différentes et la SACEM s'estime habilité à représenter et défendre le droit d'auteur dans le secteur de la musique. Personne d'autre ne le fait. Ce point est important. Deuxièmement, je souhaite rappeler qu'une licence globale signifierait une gestion collective obligatoire, ce qui signifierait, pour la SACEM, la certitude que tout passerait par elle. Pourquoi la société des auteurs compositeurs éditeurs ne retient pas le système que vous proposez et dans lequel elle constituerait pourtant le point de passage obligé ? Ceci ne doit-il pas susciter des questions ? Avec le conseil d'administration, nous avons fait le choix de défendre les intérêts des auteurs, compositeurs et éditeurs, français comme internationaux, avant ceux de l'institution. La SACEM est souvent attaquée. Je rappelle que cette maison a été créée, est gérée et administrée par les auteurs, les compositeurs et les éditeurs eux-mêmes. Nous avons pris cette décision car nous avons conscience que le système proposé serait totalement destructeur de valeur. Au bout du compte, pour une aumône à court terme, nous détruirons toute possibilité de le défendre ultérieurement. Par ailleurs, nous ne croyons pas aux dispositifs, optionnels ou sectoriels, qui ne résolvent en aucun cas le problème de la répression. En effet, on fait croire aux internautes que le système réglera cette question. C'est faux ! Au contraire, les dispositifs optionnels ou sectoriels imposeraient certainement plus de contrôle et de « flicage ». Enfin, sur le plan de la valorisation, nous ne voulons pas que les auteurs compositeurs et éditeurs soient dépossédés de leurs capacités à défendre et à négocier leur droit et que, au bout du compte, le prix fixé soit politique, administré et ne reflète en rien la valeur des oeuvres. Comme cela a été dit, un auteur n'a rien. Il n'est pas intermittent du spectacle et n'a aucune protection pour le chômage. Sa seule rémunération est constituée des sommes touchées par l'intermédiaire de la SACEM du fait de l'utilisation de son oeuvre. Tout assimiler à de la copie privée revient à faire en sorte que la rémunération marginale accessoire de l'auteur devienne sa rémunération principale. Il y a là un problème majeur. De plus, sur ces sommes, 25 % du total seraient amputés pour aller financer le spectacle vivant. S'il est positif que les musiciens et les artistes-interprètes profitent de ces sommes, ceci constitue un transfert majeur de ressources entre l'auteur, le compositeur, qui est déjà en situation totalement précaire, vers le spectacle vivant, c'est-à-dire les artistes-interprètes. En tout dernier lieu, certains vont prétendre que le tarif de 99 centimes pour un titre téléchargé est élevé. Les mêmes téléchargent des sonneries téléphoniques à 2 ou 3 euros. Il y a donc beaucoup de confusion dans les esprits en matière de perception de la valeur des choses.

M. Alexandre Grauer, président directeur de Quartz, intervenant de la salle

Je suis président directeur d'un programme, intitulé Quartz, qui fédère, autour d'un événement, 2 500 labels de musique électronique sur les 10 000 référencés sur la planète. Je suis membre de la SACEM et de l'ASCAM en tant qu'essayiste.

Dans un premier temps, en qualité d'indépendant, je précise que la SPPF n'est pas mon syndicat et ne me représente pas. Je ne lui donne donc pas la parole pour me représenter. De plus, je suis étonné d'entendre que tout va mal quand les subventions allouées à l'aide à la production ont augmenté de 50 % cette année. Pour les indépendants, le secteur de la musique électronique, qui représente une petite part de marché, enregistre une progression annuelle de 2,5 % depuis plusieurs années et maîtrise l'ensemble des nouvelles technologies. Le secteur est en survie du fait du monopole sur les media et la distribution. Mais, la distribution indépendante de musique électronique se porte à merveille même si nous sommes les premiers concernés par le « peer to peer » aujourd'hui. Au niveau des sites marchands, il y a vraiment tromperie. On nous vend, pour 0,99 euro, un titre téléchargé dans un format qui n'est pas de qualité égale au web et non interopérable sur différentes machines. Il coûte donc plus cher qu'un titre acheté, sur un CD, dans le commerce. Par ailleurs, si vous essayez de bloquer le « peer to peer », vous allez voir arriver le « darknet » que vous ne pourrez jamais maîtriser puisque ces échanges sont invisibles. Enfin, les « créative commons » pourraient constituer une très bonne alternative pour l'avenir d'Internet. Cette question me semble très importante.

M. Michel Thiollière

Nous avons fait un tour d'horizon, certainement succinct et imparfait, de la licence globale et nous avons entendu, dans ce cadre, les tenants et les opposants à ce principe. Je crois que nous devons maintenant aborder les alternatives éventuelles à la licence globale qui seront respectueuses du droit. Nous savons que des plates-formes légales sont proposées, ainsi que des technologies qui permettraient de légaliser et solvabiliser le « peer to peer ». Je propose que Mme Joëlle Farchy nous donne quelques éléments sur ce sujet avant que nous demandions l'avis des consommateurs.

Mme Joëlle Farchy, économiste

Je vais peut-être rapidement dire un mot sur la licence globale. Puis, je reviendrai sur les autres modèles.

La licence globale, à mon sens, n'est ni une solution géniale, ni le diable incarné. Il s'agit simplement d'une bouée de sauvetage à laquelle s'est rattaché un certain nombre d'acteurs car elle offre une solution apparemment simple à un problème extrêmement complexe. Il faut, cependant, noter deux points. Sur les modalités de sa mise en oeuvre, je ne pense pas que la licence globale puisse constituer un système optionnel. On inventerait ainsi une forme d'imposition optionnelle qui semble assez fantaisiste. Par ailleurs, je ne crois pas que le mécanisme puisse être provisoire. En effet, les dispositifs de cette nature contiennent des effets de cliquets. Il sera donc impossible de revenir en arrière dans quelques années. Enfin, la question du montant pose un réel problème. S'il est vrai qu'on ne peut pas déterminer celui-ci a priori, je pense que, de toutes façons, on ne peut pas le déterminer. En effet, le montant de cette rémunération est pris dans une contradiction absolue. Nous ne savons quels contenus seront échangés. Soit l'accès de l'internaute est limité, entraînant une rémunération relativement faible et supportable pour le consommateur ; soit l'accès est illimité et la rémunération associée à l'abonnement au fournisseur d'accès insupportable. Donc, soit vous brouillez le message de simplicité, soit la contribution est trop élevée.

Plus fondamentalement, la finalité économique du droit d'auteur ne consiste pas uniquement à rémunérer les ayants droit. C'est surtout une incitation à créer et à produire. Or, dans le modèle proposé par la licence globale, l'assiette de rémunération ne repose pas sur la stratégie des acteurs de contenus, mais sur le nombre d'abonnés des fournisseurs d'accès Internet qui n'a plus rien à voir et n'est pas extensible à l'infini. Donc, l'assiette de rémunération n'est pas incitative. Je crains donc que la licence globale transforme le système en une usine à gaz qui fournira une rente de situation à certains et dans laquelle, une fois que les sommes seront réparties, la rémunération de la création sera dérisoire et aucun mécanisme n'encouragera l'innovation dans le monde numérique. Le fait que je ne crois pas à l'efficacité économique de la licence globale ne signifie pas qu'il faille renoncer à tout mécanisme de redistribution publique pour satisfaire des objectifs de politique culturelle. J'ai été très troublée par une des interventions de M. Bruno Ory-Lavollée. Celui-ci se félicitait que 25 % de la rémunération liée à la copie privée financent le soutien à la création. Je pense qu'il faut faire, avec le droit d'auteur, ce pour quoi il est fait - inciter à la création et à la production -, et développer parallèlement les mécanismes publics. Mais, on ne peut pas faire faire tout au droit d'auteur et vouloir que celui-ci devienne un système global de mécanisme de soutien à la création culturelle.

Mme Frédérique Pfrunder, Consommation, logement et cadre de vie (CLCV)

Je vous remercie de me donner la parole car la légitimité des associations de consommateurs à s'exprimer sur ce sujet a été mise en cause à plusieurs reprises et par différents intervenants. Certains d'entre eux se sont notamment étonnés que celles-ci acceptent de faire payer aux consommateurs des fichiers de mauvaise qualité. On peut donc s'interroger sur la nature de leur mission ! D'autres ont souligné que ces questions ne concernaient que le droit d'auteur et que les consommateurs n'avaient donc rien à faire dans le débat. Pour ma part, je pense que, quand la société change très fortement et que le droit d'auteur et les droits voisins sont confrontés à ces évolutions, il est naturel que les consommateurs, soit le public, s'intéressent également au débat. Les associations de consommateurs se sont donc penchées sur ces questions et ont créé l'alliance public/artistes, avec l'ADAMI et la SPEDIDAM au départ. Les consommateurs sont bien les premiers concernés par la question, en particulier à partir du moment où des internautes se retrouvent devant la justice pour des questions de droit d'auteur. Je dirai également que, si les industries culturelles avaient réussi à interdire, il y a quelques années, les baladeurs mp3 ou le développement des disques durs, nous n'aurions peut-être pas à traiter ces questions. Les consommateurs auraient moins d'accès à la diversité culturelle et moins de facilité d'utilisation et d'écoute des oeuvres. Sans ces nouveaux usages, nous n'aurions effectivement rien à dire et nous resterions dans un univers inchangé où chacun resterait dans son coin. Ce n'est pas le cas. Les technologies se développent. Les consommateurs ont de nouvelles attentes, dont certaines ont d'ailleurs été créées. Ils disposent désormais de nouveaux produits dont ils souhaitent se servir. Ils doivent avoir les moyens de le faire. Le « peer to peer » a répondu à ces attentes auxquelles les industries culturelles n'ont pas su répondre, il y a quelques années. Effectivement, si ces questions avaient été traitées plus en amont, nous n'en serions peut-être pas là aujourd'hui. Cela n'a pas été le cas. Le « peer to peer » est, aujourd'hui, une réalité. Au moins 4 millions d'internautes téléchargent par ce biais. Ce chiffre est considérable. Ces 4 millions d'internautes doivent-ils être considérés comme des délinquants ? Très clairement, non. On ne peut pas considérer une personne qui veut télécharger de la musique pour l'écouter chez elle exactement comme une personne qui revend un sac Lancel contrefait.

M. Guy Verrecchia

De mon point de vue, c'est pire car contrefaire des sacs stimule l'artisanat dans les pays en voie de développement.

M. Laurent Heynemann, cinéaste

Ne croyez pas que ceux qui volent des copies de film dans les laboratoires pour les contrefaire ne sont pas des gangsters ! Ne mélangez pas le simple internaute qui télécharge avec la mafia qui s'est organisée pour piller le cinéma ! Ne mélangez pas et, surtout, ne vous rendez pas complice de cet état de fait !

Mme Frédérique Pfrunder

Je pense que ce n'est pas moi qui mélange et les internautes qui sont devant la justice, pour la plupart d'entre eux, n'ont pas volé de copie dans les cinémas et ont simplement téléchargé des morceaux de musique ou des films pour les regarder ou les écouter. Je pense également - je l'espère en tout cas - que certains artistes ne sont pas uniquement intéressés par la vente de leurs disques, mais sont aussi heureux qu'on les écoute. Personnellement, cela me choque que l'on compare un morceau de musique avec une baguette de pain. Evidemment, les artistes souhaitent vivre de leur art. C'est parfaitement normal. C'est la raison pour laquelle les associations de consommateurs, aujourd'hui, décident de demander aux consommateurs de payer, comme l'a fait remarquer M. Rogard. Très honnêtement, cela n'est pas forcément facile pour de telles associations de demander à leurs adhérents, sachant que la répression actuelle touche relativement peu de personnes, de payer un abonnement Internet plus élevé pour cela.

M. Jérôme Roger

Excusez-moi, mais ce n'est pas le consommateur qui fixe le prix d'un véhicule, d'une baguette, d'un billet d'avion ou d'un ticket de cinéma. Il y a là un renversement de valeur. Pourquoi serions-nous la seule industrie à devoir être assujettie à un mécanisme de fixation du prix par, entre autre, les consommateurs ? Un tel cas de figure n'existe nulle part ailleurs.

Mme Frédérique Pfrunder

Je vais simplement revenir sur la question de la complémentarité. Nous envisageons la licence globale uniquement sous cet angle et cette complémentarité est bien affirmée. Encore une fois, l'utilisation du « peer to peer » est réelle avec 4 millions d'internautes qui téléchargent par ce biais. Que constate-t-on aujourd'hui ? Les ventes de disques ont probablement chuté à un moment donné. Mais, elles se stabilisent. Les chiffres du SNEP confirment bien une stabilisation du marché. Parallèlement, et malgré les problèmes que ces dispositifs comportent, un développement relativement important du téléchargement sur les plates-formes de sites légaux est constaté. Je pense que nous reviendrons sur ces points.

M. Hervé Rony

Parlez en un peu plus ! Si vous évoquiez autant les offres légales que la légalisation d'une activité illicite, cela serait formidable. Vous feriez réellement votre métier.

Mme Frédérique Pfrunder

Nous allons certainement aborder les offres légales ultérieurement et, très honnêtement, j'ai beaucoup de choses à dire sur ce sujet. Je ne pense vraiment pas que ces dispositifs constituent la meilleure solution pour les consommateurs à l'heure actuelle. Il leur est effectivement très difficile de pouvoir écouter la musique qu'ils achètent légalement. Malgré ces différents problèmes, le téléchargement sur les plates-formes de sites légaux se développe ; les ventes de disques restent à peu près stables ; le téléchargement sur téléphone mobile est en croissance. Bref, il existe un vrai marché complémentaire. De la même manière, les Etats-Unis enregistrent, certes, une baisse de la vente de disques, mais également une croissance à trois chiffres du téléchargement sur les plates-formes légales et une stabilisation des échanges en « peer to peer ». Cette stabilisation est, d'ailleurs, relativement normale sur un marché largement équipé en accès Internet. La complémentarité existe donc et toutes les études, menées par la SPEDIDAM, l'ADAMI et, également, par le ministère de la culture, montrent effectivement que les plus gros acheteurs de disques et de DVD sont aussi des téléchargeurs. La complémentarité est également là car, comme cela a été souligné précédemment, des fichiers de mauvaise qualité circulent en « peer to peer ». Les consommateurs peuvent donc souhaiter les écouter sous cette forme, puis acheter le disque ou le télécharger sur des plates-formes légales. Enfin, le « peer to peer » offre bien une diversité culturelle. Certains évoquent 700 000 à 800 000 titres sur les plates-formes légales. Or, celles-ci ne proposent que le top 100 des ventes et les consommateurs souhaitent également avoir accès à d'autres oeuvres. C'est ce que leur offre le « peer to peer » et ce à quoi nous ne voulons pas renoncer.

M. Jérôme Roger

Si le top 100 des ventes représentait 800 000 titres, j'en serai très heureux.

Mme Frédérique Pfrunder

Je termine simplement mon intervention. Nous pouvons constater l'intérêt des échanges interpersonnels sur les réseaux. Un groupe anglais actuel s'est fait uniquement connaître par ce biais et, lors de la sortie de son disque en bac, il y a quelques semaines, il a explosé les records de vente en une journée. La complémentarité existe et on ne peut pas la nier. La licence globale a pour vocation de combler un vide, et non de se substituer à des revenus qui peuvent exister par ailleurs. Aujourd'hui, le « peer to peer » existe et les artistes, auteurs, interprètes et producteurs ne touchent rien sur ces échanges. Avec la licence globale, nous cherchons à mettre en place une rémunération et assurer une sécurité juridique aux internautes. Effectivement, ceux-ci ne savent pas, aujourd'hui, ce qu'ils ont le droit ou pas de faire. La jurisprudence estime que le téléchargement représente un acte de copie privée et la mise à disposition un acte illégal. Cette situation est incompréhensible pour un consommateur lambda qui ne connaît rien au droit d'auteur. Notre objectif repose donc sur la sécurisation juridique et la rémunération de tous les ayants droit.

M. Jacques Valade

M. Ory-Lavollée souhaite trente secondes d'intervention supplémentaire. Je les lui accorde.

M. Bruno Ory-Lavollée

Il est impossible de penser les plates-formes payantes comme une alternative à la licence globale. Si nous estimons que des échanges et des copies seront réalisés sur les réseaux, une solution comme la licence globale est indispensable. Dans le cas contraire, nous devons définir comment nous gérerons la situation, car c'est effrayant ; il faudra rendre les DRM omniprésents sur toutes les plates-formes, tous les disques, toutes les radios. Tous les logiciels de « peer to peer » devront être interdits. Il faudra entièrement verrouiller le monde Internet.

Mais dès lors qu'un fichier est présent sur le réseau, il peut se multiplier, il y a donc forcément des espaces de copie. La licence globale est donc inéluctable comme cadre indispensable pour rémunérer et réguler les copies et les échanges qui sont l'essence même des réseaux.

M. Laurent Heynemann

Je voudrais me tourner vers les sénateurs car j'ai l'impression qu'ils peuvent être victimes d'une confusion qui est entretenue par certains intervenants. Il s'agit de la confusion entre le mot « artiste » et le mot « auteur ». Un artiste est souvent un interprète, dans la musique, et un comédien, dans le cinéma. Comme cela a été rappelé, il est salarié et la rémunération pour copie privée constitue, pour lui, une cerise sur le gâteau. Je suis tout à fait content que celle-ci existe. A contrario, les auteurs, qui écrivent les oeuvres pour le cinéma, la télévision ou la musique ne vivent que de la rémunération proportionnelle. Nous ne sommes pas salariés. Le droit d'auteur est notre statut social et nous ne vivons que de cela. C'est la raison pour laquelle nous traitons la licence globale comme une atteinte à la culture. Notre rémunération, c'est le droit d'auteur ou, en d'autres termes, la fortune de notre oeuvre. J'ai réalisé des films qui ont rencontré du succès : j'ai gagné beaucoup d'argent. J'ai réalisé des films qui n'ont pas fonctionné : je n'ai pas gagné d'argent. J'évoque là le risque de l'auteur. C'est également ce point qui a fondé le droit européen et l'extraordinaire popularité de la France dans le monde culturel. Nous sommes en train de devenir les moutons noirs culturels car nous sommes en train de légaliser la piraterie. Nous sommes en train de décider que, puisque nous n'arrivons pas à attraper les voleurs, nous n'allons plus les considérer comme tels. C'est ce qui se produit actuellement. Cette affaire n'est pas qu'une question d'argent. Pour ma part, je ne souhaite pas évoquer cet aspect. Il s'agit d'une question culturelle fondamentale. Peut-on faire croire à nos concitoyens que la culture est gratuite ? Peut-on leur faire croire, lorsqu'il navigue sur un site contenant de la publicité, que ceci est gratuit, que personne n'est payé et que les auteurs ne souhaitent pas être rémunérés ? La culture n'est pas gratuite ! Les auteurs doivent être payés ! Pour faire un film ou un disque, il faut de l'argent ! Faire croire autre chose revient à placer notre pays dans une stratégie qui me semble très dangereuse.

M. Christophe Barratier, cinéaste

Je tiens à dire que, membre de la SACD et de la SACEM, je suis également consommateur et internaute. J'estime disposer de ces quatre qualités pour aborder ce débat au travers d'un point particulier qui concerne mon film « Les Choristes ». Quinze jours après la sortie de celui-ci en salle, le film était disponible sur des sites de « peer to peer » suite à un détournement. Dans ce cadre, il faut signaler un point particulièrement agaçant. On cherche à opposer les artistes et les ayants droit aux internautes. Pour ma part, j'adore le net et je ne pense pas que ma fille soit une délinquante. Je refuse qu'on nous oppose de cette façon car, entre l'oeuvre et l'internaute, il y a des sites et ceux-ci hébergent des bannières publicitaires de sociétés nationales et multinationales. Nous nous retrouvons donc face à des sociétés très importantes qui diffusent des bannières publicitaires sur des sites sur lesquels il est possible de télécharger, en toute illégalité, des films sortis quelques semaines auparavant. Lorsque certains indiquent que le téléchargement est un acte isolé, qu'ils se détrompent ! Le film « Les Choristes » a été téléchargé 700 000 à 800 000 fois. Entre ces oeuvres et les internautes, beaucoup d'argent circule. Pour notre part, nous avons entamé une procédure, assez rare, en action directe vis-à-vis du Parquet. Le jugement sera rendu au mois d'avril et j'ai bon espoir qu'il soit rendu dans le bon sens. Les consommateurs ont également été évoqués. Nous savons bien qu'une personne, dans sa chambre, se demandera forcément pourquoi elle ne téléchargerait pas alors que d'autres le font. Evidemment, ce raisonnement se tient. Il est humain. Or, si les sociétés qui placent leurs encarts publicitaires sur les sites de « peer to peer » permettant un téléchargement illégal, si elles se rendent évidemment complices de contrefaçon, elles donnent surtout à l'internaute une sorte de vernis de respectabilité. Celui-ci voit effectivement des entreprises nationales, internationales et multinationales, apparaître sur son site de « peer to peer ». Il peut ainsi avoir l'impression que l'acte de téléchargement n'est pas si grave que cela. A ce propos, je note que, depuis que nous avons entamé notre action judiciaire, ces bannières publicitaires ont cessé d'apparaître sur les sites concernés.

M. Michel Thiollière

Nous avons vu que les usages évoluaient très rapidement. C'est également le cas de la technologie. Nous pourrions demander à M. Didier Huck, responsable des relations juridiques de Thomson, d'évoquer cette évolution et, notamment, les nouveaux logiciels comme le logiciel Snocap.

M. Didier Huck, vice-président des relations institutionnelles de la réglementation de la société Thomson

Thomson est un prestataire technique de l'industrie des médias et du divertissement à qui nous fournissons un ensemble de solutions permettant de sécuriser la chaîne de bout en bout. Je voudrais reprendre un point du débat précédent. Le piratage apparaît effectivement très en amont dans cette chaîne. Nous déployons donc des efforts assez intenses pour éviter le détournement et le vol dans les studios de post-production et de montage. Disposer d'une licence globale en aval reviendrait à légaliser le circuit de distribution des oeuvres volées, ce qui drainerait, comme cela a été souligné par le précédent intervenant, des montants assez considérables en termes de publicité. En effet, dès lors qu'un système de distribution est légalisé, tout le monde s'y engouffre. La licence globale inciterait donc, encore plus, au détournement des oeuvres en amont, au niveau des sociétés de production. Un mouvement irrésistible serait alors enclenché dans une pente qui ne nous permettrait plus de revenir en arrière. Cela semble très dangereux.

Par ailleurs, un ensemble de technologies a effectivement été développé. Vivendi met en oeuvre le logiciel Snocap. Nous ne sommes pas directement présents sur ce projet, mais celui-ci concerne des technologies assez similaires basées sur l'empreinte digitale de l'oeuvre et qui permettraient de mettre en place une solution de « peer to peer » légalisé. Nous pensons que le tatouage et l'empreinte numérique constituent une voie importante. Elle offre une portabilité au consommateur de l'oeuvre tout en mettant en place un ensemble de dissuasions destinées à empêcher la réexportation de celle-ci sur le net. Snocap est un exemple à citer. Il y en aura d'autres. Il est important de pouvoir mettre en lumière les intérêts que ces dispositifs présentent pour le consommateur. Ils permettent également une rémunération liée directement au marché et au succès de l'oeuvre. Il n'empêche pas la portabilité entre les différentes plates-formes. Nous tendons donc vers une solution qui devrait contenter les ayants droit, les distributeurs et les consommateurs.

M. Christophe Espern, membre fondateur d'EUCD Info

Je vais rapidement rappeler ce qu'est EUCD Info. Il s'agit d'une initiative citoyenne, lancée par la branche française de la fondation pour le logiciel libre. Celle-ci est tombée sur un avant-projet de loi qui avait filtré du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique à la fin de l'année 2002. A sa lecture, elle s'est rendu compte qu'au-delà des problèmes majeurs rencontrés par les auteurs et les utilisateurs de logiciel libre, un questionnement était lancé sur l'avenir du droit d'auteur à l'ère du numérique. Comme nous sommes essentiellement des techniciens, nous nous sommes dit que nous pourrions donner notre point de vue sur cet aspect précis et sur ce qui était proposé au travers du projet de loi. La fondation pour le logiciel libre existe depuis 1984. Elle a pour objectif de promouvoir le logiciel libre à travers le monde. Elle produit donc du logiciel libre et représente les auteurs qui lui ont donné mandat pour le faire. A ce titre, je suis heureux que la différence entre le droit d'auteur et les droits voisins soit rappelée. Les auteurs de logiciel, qui ne sont pas salariés, disposent d'un droit d'auteur au sens le plus littéral du terme. Nous défendons donc également la vision de ces auteurs qui ont décidé de partager leurs oeuvres. En effet, un logiciel libre est un logiciel que vous pouvez redistribuer, copier, utiliser et modifier car l'auteur vous en a concédé les droits au travers d'une licence éditée par la fondation pour le logiciel libre. Cette licence permet de créer, de manière parfaitement légale, un fonds commun partagé auquel chacun pourra ajouter et duquel nul ne pourra retrancher. Un bien commun de l'humanité est ainsi créé. Ceci s'illustre, par exemple, par le projet GNU, lancé par le président de la fondation pour le logiciel libre et aujourd'hui classé trésor du monde par l'Unesco. C'est effectivement un moyen de diffuser le savoir informatique, qui n'est, en fait, qu'une mise en oeuvre de mathématiques. L'idéal philosophique promu par la fondation pour le logiciel libre utilise le droit d'auteur d'une certaine façon, qui n'est pas celle utilisée habituellement en matière de logiciel. En effet, l'utilisation est libre et, au-delà, la copie, la reproduction et la modification. La fondation pour le logiciel libre produit également du code, au travers du projet GNU, et cherche à sécuriser juridiquement les auteurs et les utilisateurs de logiciel libre, par exemple par la licence GNU GPR. Celle-ci protège, d'ailleurs, le noyau Linux qui est très connu et utilisé par des dizaines de millions de personnes, d'organisations et d'Etats à travers le monde. Elle permet une sécurisation par rapport aux avancées législatives qui pourraient impacter ce modèle de développement.

Pourquoi avons-nous créé EUCD Info ? Nous pensons que les droits d'auteur reposent sur un équilibre entre les droits moraux et patrimoniaux des auteurs et le droit du public. En droit français, des exceptions sont inscrites, dans le droit de la propriété intellectuelle, à l'article L. 122-5. Nous estimons que ces exceptions, telles qu'elles sont actuellement rédigées, participent à la protection des libertés individuelles et des droits fondamentaux des internautes. Nous évoquions précédemment le pastiche ou la parodie. La liberté de pensée et d'opinion permet de réutiliser des parties d'oeuvres pour les caricaturer. Nous pouvons également penser à la courte citation ou à l'analyse critique. Enfin, il y a l'exception de copie privée. Nous en débattons beaucoup et, dans ce cadre, il faut distinguer la lutte contre la contrefaçon, qui constitue la mise à disposition publique d'oeuvres sans autorisation, et la copie privée, qui représente une exception échappant au monopole. A partir du moment où nous nous situons dans la sphère privée, le monopole exclusif et opposable à tous d'autoriser ou d'interdire n'existe pas. L'utilisateur doit donc pourvoir copier une oeuvre qu'il a obtenue. Mais, nous évoquerons certainement la copie privée ultérieurement.

Par ailleurs, pour contrôler une oeuvre dans la sphère privée, il faut mettre en oeuvre des moyens techniques qui peuvent être particulièrement intrusifs. Par exemple, aux Etats-Unis, les mesures techniques de protection des droits d'auteur sont elles-mêmes protégées juridiquement car elles sont insuffisamment efficaces. Le dispositif ne fonctionne donc pas. Pour lutter contre la contrefaçon par la technique ou contre la technique par la technique, il faut mettre en oeuvre des mécanismes qui portent atteinte à la sécurité des individus, des organisations et à la souveraineté de l'Etat. Je pourrais détailler ceux-ci d'un point de vue technique. Mais, il me semble préférable de citer le rapport que le député Pierre Laborde vient de faire paraître sur la sécurité des systèmes d'information en France. Dans celui-ci, le député évoque les nouvelles mesures techniques qui, en l'état actuel, pourraient être efficaces. Il indique : « En restreignant les droits des utilisateurs, NGSCB (next generation secure computing base) donne un droit de regard aux constructeurs de matériels et de logiciels de l'usage fait des oeuvres des ordinateurs personnels. Cette émergence d'une informatique dite de confiance conduirait un nombre très limité de sociétés à imposer leur modèle de sécurité à la planète en autorisant ou non, par la délivrance de certificats numériques, les applications à s'exécuter sur des PC donnés. Il en résulterait une mise en cause de l'autonomie des individus et des organisations, une restriction des droits de l'utilisateur sur sa propre machine. Cela constitue une menace évidente à la souveraineté de l'Etat . » Pour pouvoir contrôler la copie à destination du public et créer des modèles économiques de contrôle de l'usage privé, il faudra déployer massivement ce type de dispositifs dans les périphériques et les assistants personnels. Dans ce cadre, il faut donc s'interroger : est-il légitime de vouloir contrôler l'usage privé de l'utilisateur ?

M. Michel Thiollière

Je me tourne maintenant vers M. Giuseppe de Martino qui représente l'Association française des fournisseurs d'accès. Une des questions qui nous est posée est la suivante. Lorsque je m'abonne à la télévision par câble, par satellite ou par TNT, je dispose d'un bouquet de chaînes qui me permet un accès à différentes oeuvres culturelles. Je ne m'occupe pas du tout de la rémunération de ces oeuvres car il existe une sorte de chaîne en cascade qui permet celle-ci sous une forme de forfait global. Peut-on imaginer qu'un jour, les fournisseurs d'accès proposent au grand public une telle offre qui permettrait de sécuriser le droit des auteurs et serait relativement large ? Les fournisseurs d'accès peuvent-ils se comporter, dans le monde numérique, de la même manière que les opérateurs de télévision ?

M. Giuseppe de Martino, président de l'Association française des fournisseurs d'accès et de services Internet (AFA)

Vous m'avez placé, à bon escient, au bout de cette table car je représente une industrie juridiquement neutre. Pour les textes communautaires, nous sommes effectivement un simple tuyau. Mais, nous sommes également une industrie qui devient progressivement mature et qui a pris ses responsabilités. Personne, pour le moment, n'a encore évoqué le fait qu'en juillet 2004, les fournisseurs d'accès ont signé, sous l'égide du ministère de l'industrie, une charte pour lutter contre la piraterie dans le monde de la musique. Cette charte comportait trois piliers. Le premier reposait sur une communication grand public. Nous avons relayé, auprès de nos abonnés, des petits films réalisés par l'industrie musicale. Le deuxième pilier concernait la sensibilisation par l'envoi de messages rédigés par la filière musicale et sensibilisant les internautes sur le fait qu'ils faisaient de la contrefaçon. Ce projet n'a pas abouti car la CNIL n'a pas donné son accord sur le dispositif. Enfin, nous avons traité la problématique de l'offre légale dont, je crois, nous reparlerons ultérieurement. Néanmoins, sur ce point, nous aurions surtout souhaité que les pouvoirs publics fassent évoluer la situation en termes d'interopérabilité. Celle-ci n'a pas progressé d'un pouce depuis cette signature. Par ailleurs, il y a quinze mois, suite à l'élaboration de la charte avec l'industrie musicale, nous avons décidé de nous rapprocher de l'industrie du cinéma. Nous avons rencontré hebdomadairement ses représentants, pendant toute cette période, et, comme vous l'avez entendu précédemment, voir M. Pascal Rogard, toutes les semaines au petit matin, n'est pas forcément une sinécure ! Dans tous les cas, nous avons appris à connaître nos intérêts et nos secteurs réciproques et avons abouti à un texte commun basé sur le même principe que la charte musicale : sensibilisation, riposte graduée et offre légale. Il ne s'agit pas d'une alliance, mais d'une saine coopération qui aboutit à un texte signé. Nous sommes une industrie jeune et je reconnais franchement que nous avons été mauvais en termes de communication. Le texte sur l'offre légale a été signé quelques heures avant que le texte sur l'approche graduée soit présenté au Parlement et sans que nous ayons la possibilité d'expliquer en quoi consistait cette approche. Pour nous, cette démarche est réellement réfléchie et permet une véritable sensibilisation des foyers, et pas seulement des utilisateurs de « peer to peer ». Nous regrettons cet échec. Mais, dans tous les cas, nous continuons à croire en une approche graduée. Nous continuons à échanger avec nos camarades du cinéma. Je tiens, cependant, à apporter un bémol. Je vous demande de m'excuser de conclure sur un cas particulier, mais je me dois de rebondir sur les propos de M. Barratier concernant son procès pour le film « Les Choristes ». J'ai confiance dans la décision des juges et je me réjouis que les principales associations du cinéma, qui sont nos interlocuteurs dans ces négociations, ne se soient pas jointes à ce procès alors même que M. Barratier en est un membre éminent. Je pense à l'ARP et la SACD.

M. Guy Verrecchia

Libre à vous de considérer que seules l'ARP et la SACD sont représentatives du secteur du cinéma. Il faut, cependant, préciser qu'un certain nombre d'associations professionnelles s'est joint au procès de M. Barratier et vous ne pouvez pas prétendre le contraire.

Mme Sylvie Forbin, directeur des affaires institutionnelles et européennes de Vivendi Universal, intervenant de la salle

Je souhaitais intervenir pour compléter l'intervention de M. Didier Huck concernant les formules alternatives. En effet, nous avons beaucoup évoqué la licence globale. Il serait souhaitable que les sénateurs, présents ce matin, puissent entendre parler d'autres solutions qui n'ont pas bénéficié de la même couverture médiatique. Tout d'abord, nos discussions ont lieu dans le cadre d'un processus et la loi intervient peut-être un peu trop tôt ou un peu trop tard. Nous nous trouvons au milieu d'un gué et nul parmi nous ne peut présenter une solution idéale qui permettrait d'ajuster les intérêts des uns et des autres à l'évolution technologique. La loi que vous allez devoir adopter, d'ici quelques semaines, doit, au mieux, aider à l'émergence de ces solutions et ne pas les bloquer.

Nous avons travaillé sur plusieurs solutions, notamment au sein du CSPLA. A ce titre, je souhaite également rendre hommage à l'incroyable énergie qui a été dégagée dans ce groupe de travail et à celle de son président et de son vice-président qui ont cherché inlassablement, aux côtés des professionnels, à trouver une équation entre les pratiques constatées et le droit à venir. Nous avons fini par identifier des pistes qui nous semblaient répondre, en partie, aux préoccupations recensées. Celles-ci devaient permettre aux utilisateurs de télécharger en « download » et « upload » en toute sécurité pour la simple et bonne raison que les oeuvres téléchargées seraient rémunérées suivant le mode de rémunération existant. Le logiciel Snocap que nous avons évoqué est une solution. Ce n'est pas la seule. Cependant, dans le principe mis en oeuvre au travers de ce logiciel permettant de réguler les échanges en « peer to peer », il faut prendre en compte deux éléments. D'une part, l'autorisation et la liberté d'usage demandent l'identification des contenus qui circulent. Aujourd'hui, cette identification est possible techniquement. D'autre part, un « flicage » à l'excès de l'internaute n'est pas nécessaire car ce ne sont pas ces données qui sont importantes, mais l'identification des oeuvres qui circulent. Bien sûr, l'internaute s'identifie au moment où il effectue la transaction. Mais, ceci est valable dans tout mode d'économie numérique. Dans le cas contraire, sa sécurité même serait mise en cause. Les oeuvres sont donc bien identifiées indépendamment de la personne qui les échange. Enfin, elles sont rémunérées suivant un modèle de rémunération à l'unité, ce qui constitue la base du mode de rémunération exclusive et du mode de rémunération juste pour les ayants droit. Le modèle sera, de plus, évolutif et permettra l'éclosion de toutes sortes de systèmes. Il sera donc suffisamment élastique pour répondre aux demandes des utilisateurs. En dernier lieu, il ne sera pas fermé à la différence des plates-formes. Nous reconnaissons parfaitement que les plates-formes centralisées, aujourd'hui et pour des raisons parfaitement justifiées, ne donnent pas aux consommateurs l'accès à toutes les oeuvres. Ce processus permettra d'élargir progressivement l'offre. Avec le « « peer to peer » légal, il est donc possible d'avoir une rémunération et un mode d'identification des oeuvres. Je pense qu'il faut s'arrêter sur ces modèles et, en tout cas, en considérer le principe afin de ne pas aboutir à des solutions trop simplistes qui ne permettront pas de s'adapter aux évolutions.

M. Fabrice Le Fessant, chercheur à l'Institut national de recherche en informatique et automatique, enseignant à l'École polytechnique, intervenant de la salle

J'aimerais apporter certains éléments techniques concernant les précédentes interventions. En premier lieu, le logiciel Snocap et les différentes technologies basées sur le même principe me paraissent très facilement contournables. Il est effectivement très complexe d'identifier un contenu qui circule sur un réseau, simplement parce que celui-ci peut être chiffré et qu'il existe de nombreuses techniques de chiffrages. Ces solutions, d'un point de vue technique, ne sont donc pas mures. Je travaille sur le « peer to peer » depuis cinq ans et je n'ai jamais eu connaissance d'une proposition de solution viable à long terme en la matière. Quant à la répression, qui constitue une alternative à la licence globale, toutes les technologies sur laquelle celle-ci se base sont également obsolètes. Le « blacknet » était évoqué précédemment. Il est réellement très facile de cacher des données derrière des logiciels de téléphonies ou des logiciels d'échanges de photos de famille.

Mme Caroline Faget, Chambre syndicale de l'édition musicale (CSDEM), intervenant de la salle

Comme vous vous en doutez, je vous confirme que nous sommes opposés à l'adoption d'un principe de licence légale dans notre pays pour des raisons qui ont été très largement abordées et sur lesquelles je ne reviendrai pas. En particulier, Mme Farchy a soulevé les problématiques liées au montant de la rétribution, le professeur Sirinelli a brillamment exposé les problèmes liés au principe lui-même et M. Dorval a invoqué les difficultés logistiques. Au-delà de ces points, il faut bien comprendre que les éditeurs de musique interviennent très en amont de l'activité des producteurs. Lorsque des artistes comme Camille émergent soudainement sur la scène publique, il faut savoir que des éditeurs ont travaillé sur ces projets depuis plusieurs années, ont permis à ces artistes de vivre d'avances sur droit d'auteur ou de maquetter leurs oeuvres en studio pour démarcher les maisons de disque. Il est clair que, si la licence globale est adoptée, c'est toute la créativité française qui sera mise à mal. En effet, le territoire français sera alors totalement isolé. Les oeuvres anglo-saxonnes, que nous continuerons à représenter, vivront leur propre carrière commerciale sur les territoires étrangers. En revanche, les oeuvres des créateurs français, avec lesquels nous travaillons au quotidien, seront les seules à pouvoir être pillées dans une légalité franco-française. Est-ce vraiment ce que nous voulons ? Est-ce vraiment souhaitable pour la diversité culturelle ? Je pose la question et il me semble que j'induis la réponse.

M. Jacques Valade

Vous avez raison de décrire la situation telle que vous la ressentez. Mais, en tant que législateur, nous cherchons, en complément des discussions qui se déroulent à l'Assemblée nationale, à trouver la meilleure solution. Or, il ne se dégage aucune solution qui puisse avoir une traduction législative immédiate et une pérennité suffisante. Nous espérions, par exemple, que les avancées technologiques pourraient nous fournir des verrous supplémentaires. Les techniciens semblent infirmer ce point.

M. Hervé Rony

Je souhaite, en premier lieu, revenir sur l'intervention de Mme Pfrunder. Rendre disponibles 800 000 à 1 million de titres, pour 9 millions d'internautes connectés en haut débit, représente plus que ce que nous, parisiens, pouvons trouver lorsque nous nous rendons dans les grands magasins des Champs-élysées. Arrêtons de dire que ce qui a été fait, depuis un an, est anecdotique et artisanal. Ce n'est pas acceptable ! Vous défendez les consommateurs à votre manière. Je me permets de penser qu'il est presque insultant, pour l'ensemble de la filière musicale, de juger que passer d'une offre de 100 000 titres à 900 000 titres ne représente rien pour les Français.

Par ailleurs, le projet de loi discuté aujourd'hui constitue, pour une large part, la transposition d'une directive adoptée, en 2001, sous l'égide de M. Catherine Tasca, ministre de la culture, présente ce matin. Il a fait l'objet d'un compromis intelligent, précisément parce qu'il n'insulte ni l'avenir technologique, ni aucun des modèles à venir. Ceci me paraît essentiel. La licence globale, si elle était adoptée, figerait la situation. Je suis scandalisé qu'on puisse légaliser des sites comme Kazaa lorsqu'on considère, avec mépris, des enseignes françaises comme la FNAC et Virgin Megastore. Et je ne parle même pas des maisons de disque puisque je représente les majors et que je suis soupçonné à ce titre ! Revenons clairement à une chose simple : nous légaliserions aujourd'hui des logiciels qui ne participent nullement au processus de création française et à son financement et la loi ne dit rien contre qui que ce soit. C'est là que le débat public a largement été faussé. Si nous devions considérer que le projet de loi doit figer des modèles économiques, vous seriez bien en peine de légiférer. Dans ce cas, je vous conseillerais de laisser les choses se faire. En revanche, si vous ne légiférez que pour assurer une chose simple, la protection d'une oeuvre de l'esprit, légiférez conformément à ce que cette directive a stipulé et transposez-la avec fidélité dans le projet de loi français. Voilà ce qui semble essentiel ! Laissez l'ensemble des intervenants agir ! Si, demain, des artistes veulent diffuser librement leur musique sans appliquer de DRM, ils pourront le faire. Le texte proposé induit un quiproquo politique majeur. On croit qu'il peut empêcher le développement de certains modèles économiques. Or, il n'empêche rien. Voilà le fondement essentiel de nos discussions.

M. Nicolas Folmer

Je crois qu'une incompréhension demeure. Une décision va devoir être prise. On pourra dire aux internautes qu'il n'est pas bien de télécharger et que ces pratiques vont être punies. De toute façon, on ne pourra pas savoir qui télécharge quoi. En 2005, pour 1 milliard de fichiers échangés, seuls 200 ont été appréhendés. Donc, tout le monde continuera à télécharger, personne ne risquera rien et les ayants droit continueront à ne percevoir aucune rémunération. Moi, j'ai besoin des éditeurs pour créer mes oeuvres. J'ai besoin des répartitions de la SACEM. Je suis, d'ailleurs, profondément choqué que la SACEM n'ait pas fait la démarche de consulter ses sociétaires sur ce débat important. Pour ma part, je n'ai pas été consulté. Un peu de pédagogie, des réunions ou des débats entre compositeurs auraient été très intéressants et il est regrettable que cela n'ait pas été fait. La SPEDIDAM, elle, a organisé de telles rencontres, ce qui nous a permis de comprendre comment les choses se passaient. Nous ne sommes pas face à deux options : soit nous interdisons, soit nous mettons en place la licence globale. Nous aurons beau interdire, les internautes continueront à télécharger et, sans licence globale, les ayants droit ne toucheront rien. On peut déplorer que les montants ainsi obtenus soient insuffisants. Pour l'instant, il n'y a rien et, même si nous allons vers une politique de répression, celle-ci sera inefficace comme le disent les experts en informatique et il n'y aura rien. Enfin, la représentante de Vivendi Universal a évoqué la traçabilité des oeuvres. Celle-ci est souhaitable. Aujourd'hui, nous percevons nos droits au forfait. Par exemple, les radios qui diffusent du Boulez paient un forfait à la SACEM qui le répartit, notamment, en fonction des ventes de disques. Donc, un gros vendeur de disques, comme Jean-Jacques Goldman, pourrait toucher de l'argent des redevances payées par ces radios. Evidemment, cet exemple est caricatural. Mais, il démontre qu'une traçabilité sur Internet permettra une rétribution plus démocratique entre les gros et les petits ayants droit.

M. Jean-Marie Moreau

Avec la licence globale, ce seront justement les gros toucheurs qui ramasseront l'argent. Tous les autres passeront sous le radar de la licence globale.

M. Nicolas Folmer

Il est évident que non. Dans ce cas, il ne serait pas dans mon intérêt d'être en faveur de la licence globale.

M. Christophe Espern

Il a été prétendu que le projet de loi ne grevait aucun modèle et n'était une insulte à aucun acteur. Je vais peut-être être dissonant concernant le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique. Quand nous avons créé l'initiative EUCD Info, la fondation pour le logiciel libre a immédiatement demandé un siège pour participer aux travaux du CSPLA. L'avant-projet de loi posait effectivement de nombreux problèmes. Nous avons expliqué que nous étions à l'origine du projet GNU, que nous représentions des auteurs, que des millions de personnes avaient adhéré à nos licences et que nous portions un modèle alternatif. Pendant trois ans, nous avons multiplié les lettres sans obtenir de siège. Nous avons été auditionnés sur la protection des données personnelles et sur la libre concurrence. Dans les deux cas, nos analyses n'ont pas été intégrées aux rapports concernés. Puis, il y a quelques mois, nous avons vu apparaître l'amendement dit Vivendi Universal qui vise à imposer des dispositifs techniques dans les logiciels communicants. La rédaction de celui-ci était extrêmement floue et visait, à l'origine, 70 % des algorithmes dans le monde. Nous avons suivi les discussions concernant cet amendement car il y avait des fuites au niveau du CSPLA et avons demandé à intervenir. Pour le faire, et donc pour défendre les droits des auteurs de logiciel libre au CSPLA, j'ai dû demander un mandat à une autre association. L'amendement proposé allait tout simplement interdire le modèle du logiciel libre. M. Huck a très clairement indiqué qu'il souhaitait assurer une protection sûre d'un bout à l'autre de la chaîne. Or, le logiciel libre est livré avec son code source, soit le mode de fonctionnement du logiciel. Tous les dispositifs de contrôle d'usage privé nécessitent effectivement une protection de bout en bout, soit de l'allumage de l'ordinateur jusqu'à l'enceinte. Ceci permet toute possibilité de récupération du flux entre la lecture sur le disque dur et la transmission des informations dans les différents tuyaux de l'ordinateur. Dès que cela est possible, le contenu est intercepté. C'est parfaitement antinomique avec le modèle de développement du logiciel libre. D'ailleurs, la protection juridique initialement proposée reposait sur une protection par le secret. On disposait donc, d'un côté, d'un code source ouvert et, de l'autre, d'une fermeture par le secret. Comment les auteurs de logiciels libres pouvaient-ils ainsi proposer des lecteurs de DVD, des lecteurs musicaux ou des livres électroniques ? Ils étaient tout simplement exclus de ces marchés et nous nous en sommes rendu compte dans le cadre d'une négociation d'amendement qui s'est tenue pendant l'examen du projet de loi. Je rappelle que le député Bernard Carayon, qui est rapporteur auprès du Secrétariat général de la défense nationale, mais qui travaille également pour la commission des finances, de l'économie générale et du Plan, a bien pointé l'intérêt du logiciel libre d'un point de vue stratégique pour l'économie française. Aujourd'hui, les flux financiers engendrés par les logiciels sont pratiquement tous gérés par des sociétés américaines. Le logiciel libre permet donc de garder une certaine indépendance puisqu'il correspond à des PME et PMI qui travaillent et créent des emplois en France. On était donc en train de légiférer dans ces domaines et les entreprises du logiciel libre n'ont été convoquées que le jour de l'examen du projet à Matignon. Nous avons donc été oubliés alors que le projet de loi grevait des modèles économiques et empêchait des auteurs de divulguer leurs oeuvres. Ce texte comportait bien un problème et celui-ci existe d'ailleurs toujours.

M. Alain Dorval

J'aimerais interroger le professeur Sirinelli. En effet, il me semble qu'une dimension a été complètement oubliée. Nos débats sont restés franco-gaulois, comme s'il ne s'agissait que du téléchargement d'oeuvres françaises. Or, le téléchargement concerne aussi des oeuvres d'auteurs, producteurs, compositeurs et artistes étrangers. Sommes-nous en position de stipuler pour autrui ? Ces intervenants ne sont pas présents aujourd'hui pour se défendre. Dans quelle mesure pouvons-nous décider qu'ils abandonneront leurs droits au profit de la licence globale ? Par ailleurs, ceci soulève également des questions évidentes en termes de répartition. J'ai entendu récemment que les trois premiers artistes musicaux, au hit parade, sont Robbie Williams, Madonna, et James Blunt. La répartition de la copie privée, effectuée par l'ADAMI, ne concerne que les oeuvres fixées, pour la première fois, en Europe. En sera-t-il de même à l'avenir ? Il n'est pas nécessaire de réaliser des sondages pour savoir qui est principalement téléchargé. Quand nous trouverons trois artistes américains dans les plus fortes ventes, nous les exclurons automatiquement du dispositif. Si cette « chose » est adoptée, nous allons certainement au devant de longs procès internationaux. Les Etats-Unis ont été condamnés par l'OMC, il y a quelques années, pour non-respect du droit d'auteur. Il serait quand même extravagant que le pays dans lequel ce droit a été inventé se trouve demain condamné internationalement sur ce point.

Par ailleurs, il faut également aborder le problème d'une éventuelle répression car nous pouvons espérer pourvoir nous situer en dehors du contexte de licence globale. Or, le gouvernement semble achopper sur la réponse à apporter à la délinquance, ce qui se traduit dans le projet de loi. Nous considérons très clairement que nous traitons là d'actes de contrefaçon qui doivent être considérés comme tels. Cette contrefaçon est peut-être mineure par rapport à la fabrication de fausses pièces de voiture. Mais, elle se répercute à des millions d'exemplaires et devient, par ce biais, un phénomène majeur. Pour nous, nous n'avons pas fait mieux que la vieille méthode de la carotte et du bâton. Je respecte les limites de vitesse car on m'a enlevé quatre points sur mon permis de conduire. Même si aucun radar n'est installé tous les cent mètres, il existe bien une potentialité de trouver un radar tous les cent mètres. La répression n'a pas pour but de réprimer. Nous ne remplirons pas les caisses de l'Etat et comblerons nos déficits avec des amendes forfaitaires. La répression vise uniquement à dissuader. Cette dissuasion sera efficace s'il existe une offre légale attrayante. Je suis très étonné d'entendre tous les acteurs, les tenants de la licence globale comme ceux qui y sont opposés, déplorer le coût des disques ou du téléchargement. Vous êtes législateurs. Il existe, en France, un dispositif de TVA. Plus personne ne ressort ce « vieux machin »...

M. Jacques Valade

Pourtant, ce « vieux machin » est d'actualité.

M. Alain Dorval

Il l'est malheureusement avec nos camarades polonais. Mais, il faut avoir conscience que, si la TVA passait de 19,6 % à 5,5 %, le consommateur dégagerait une économie de près de 12 %, exactement de 11,798 %. Celle-ci serait, quand même, tout à fait appréciable et il semble malheureux de ne pas s'attarder sur ce sujet. Enfin, nous avons entendu un certain nombre de contrevérités. Les syndicats d'artistes étaient, jusqu'à une période très récente, en négociation avec le SNEP et l'ICIP qui sont, ici, tout à fait représentés. On peut regretter qu'aux vues de la situation, ces organismes aient demandé une suspension de ces négociations. Mais, je pense que ni M. Jérôme Roger, ni M. Hervé Rony ne me contrediront si j'affirme que ces deux représentants des producteurs de disques ont accepté le principe de rémunérer des droits pour les artistes-interprètes. J'évoque ici les artistes non-solistes.

M. Christophe Stener, président d'Alliance-tics (industries des technologies de l'information, de la communication et des services associés), intervenant de la salle

Alliance-tics est la fédération qui regroupe l'ensemble des industries de l'informatique et des télécommunications en France. Je vais être très bref. Dans un premier temps, nous avons eu le plaisir de participer au CSPLA. La voix du logiciel libre aurait effectivement dû être mieux entendue. Je le dis très simplement car notre organisation représente l'ensemble des sensibilités sur le sujet. Je n'ai donc aucune intention de prendre partie dans ce débat. Je veux simplement témoigner de la volonté de consensus, de recherche et d'écoute du président du CSPLA. En ce qui concerne l'industrie que je représente et qui est membre, par ailleurs, de l'ETAP, organisation représentant le secteur au niveau européen, nous adhérons totalement à l'analyse juridique réalisée par le CSPLA et rejoignons les arguments du professeur Sirinelli. Nous sommes, en particulier, en accord avec l'analyse des problèmes soulevés, en droit international, par cette application. Par ailleurs, je tiens à vous dire, de façon très modeste, humble et prudente, que, dans six ou neuf mois, la situation aura encore changé. Il est donc très complexe de savoir si, en qualité de législateur, vous êtes en mesure de prédéterminer un cadre d'exercice qui sera capable de fournir, à l'ensemble des acteurs, des modèles juridiques et économiques, sans fermer des hypothèses que personne ne contrôle complètement. Dans ce cadre, je tiens simplement à souligner deux points. Comme l'ont indiqué plusieurs intervenants, il existe une confusion dans ce débat. Celui-ci porte, d'abord, sur le droit d'auteur et les droits voisins et sur les problématiques liées aux logiciels libres et aux logiciels propriétaires. Il existe des DRM en logiciel libre et en logiciel propriétaire, même s'il y a, aujourd'hui, une prédominance des DRM propriétaires. Mais, dans les deux cas, vous ne réglez pas le problème de l'interopérabilité. Par ailleurs, ce n'est pas parce qu'il existera toujours un système pour voler une voiture, qu'il faut rendre le vol de voiture légitime et chercher à le mutualiser. Je rejoins donc complètement ce qui a été dit par de nombreux participants. Le piratage et l'atteinte aux droits exclusifs constituent bien le mal absolu et nous sommes des fervents défenseurs des droits exclusifs et de l'exception pour copie privée en droit français. Il n'existe aucune ambiguïté sur la position de l'industrie sur ce sujet.

Enfin, pour vous donner une très modeste lueur d'espoir, des formes d'interopérabilité qui fonctionnent assez bien émergent en matière de téléphonie. Dans le domaine informatique, des avancées restent à faire, mais plusieurs instances y travaillent. Je ne vais pas vous faire un cours d'informatique qui serait incompréhensible pour un non-technicien. Néanmoins, le XML, sorte de grammaire générique utilisée par les administrations pour s'échanger de l'information, a été réalisée par un consortium, le W3C. Il s'agit d'une initiative privée. Des projets comparables existent en matière de DRM. Des consortiums regroupant des dizaines d'entreprises travaillent sur ces sujets. J'aimerais pouvoir vous annoncer que nous avons trouvé une solution. Mais, ce n'est pas le cas. Enfin, je rejoins l'intervenant précédent. Nous ne travaillons pas dans un cadre uniquement français. Nous traitons d'une question concernant Internet qui n'est pas français et nous agissons dans un cadre européen. Nous devons donc nous méfier de toutes les décisions qui pourraient créer des marchés gris ou des distorsions qui auraient des conséquences très graves en matière de gestion du marché intérieur. Le fait que les commissaires européens se soient saisis du dossier et sont très alertés sur le sujet ne doit pas être ressenti comme un interventionniste mal vécu. Il traduit simplement la préoccupation de faire exister une capacité européenne à développer le secteur et renforcer la diversité culturelle. Méfions-nous donc de ne pas créer un dispositif qui, par sophistication, aboutirait à des distorsions trop graves ! En dernier lieu, concernant les consommateurs, nous devons être attentifs à ne pas faire payer plusieurs fois les mêmes choses.

M. Pierre Sirinelli

En tant que président de la commission du CSPLA, je suis tenu à un devoir de neutralité. Je ne veux donc pas arbitrer entre les prétentions des uns et des autres. Cependant, je partage complètement l'analyse faite sur une solution franco-française. Je ne vois effectivement pas comment, en dépit du génie juridique français que le monde envie, nous pourrions imposer au reste de la planète un modèle donné. C'est la première observation. Par ailleurs, au cours du débat, nous traitons successivement le sujet de la licence globale, celui des autres solutions, puis les éléments afférents aux deuxième et troisième thèmes. Si ces points sont traités de manière parcellaire, nous n'aurons pas une vision précise de ceux-ci et n'aurons pas réussi à faire véritablement le tour de ces questions. Je tiens à dire que, pour un juriste, le droit n'est pas une fin en soi. Le droit est un instrument qui permet éventuellement d'atteindre un objectif, fixé par le législateur et déterminé par un contexte social et des données économiques et techniques. Pour un juriste de droit d'auteur, sachant que je ne suis pas un ayatollah de ce domaine, un constat simple doit être fait : le droit d'auteur français est doté d'une certaine plasticité. Pour preuve, il a surmonté, à partir de textes lapidaires et révolutionnaires datant de 1791 à 1793, l'arrivée du phonogramme, du téléphone, du cinéma, de la radio, de la télévision, du câble et du satellite. Aujourd'hui, il est confronté au phénomène Internet et il arrivera également à l'appréhender par sa plasticité. Je vais sortir légèrement de ma neutralité, mais j'exprime le point de vue du professeur de droit. Je ne crois pas que le temps soit venu de figer une règle juridique au nom d'une donnée technologique et économique mouvante, soit d'adopter une solution qui nous bloquerait à une analyse remontant à 2004 ou 2005. Cette approche ne me paraît pas constituer un bon art législatif. Essayons d'anticiper et de comprendre ce que pourra être demain sans figer la situation et de considérer la plasticité et la souplesse de ce droit.

Pour le reste, j'ai bien entendu les observations sur le logiciel libre. Sortons du jeu de rôle et convenons, vous et moi, que, si la question du logiciel libre n'avait pas été correctement appréhendée dans un premier temps, nous en avons discuté et les textes ont évolué. Ils n'ont sans doute pas suffisamment évolué de votre point de vue, mais il est bien hors de question de considérer que la protection du droit d'auteur doit se faire au détriment de l'innovation technologique. Celle-ci, justement, doit être au service du droit d'auteur par la suite et représente donc, pour celui-ci, une chance. Il doit donc exister une interaction entre les deux et je confirme solennellement, dans cette enceinte, que nous n'avons jamais souhaité bloquer le logiciel libre. Que ce secteur ait des intérêts à faire valoir, c'est très bien. Qu'il les exprime ! Mais, essayons d'élaborer, ensemble, un texte qui construise l'avenir. Laissons la pratique développer les modèles économiques et voyons, ensuite, comment le droit peut offrir un cadre sécurisé pour l'internaute, pour les créateurs de matériels et de logiciels et, surtout, pour les créateurs. En effet, sans créateur, il ne circulera rien d'autres que des informations boursières dans les tuyaux. Enfin, nous n'avons jamais prétendu que nous allions mettre des DRM partout ou que nous allions opter pour un dispositif tout répressif.

M. Jacques Valade

Je vous propose de ne pas recommencer le débat, ce qui pourrait susciter des interventions un peu agitées. Je voudrais simplement vous dire que la bonne volonté des parlementaires, notamment des sénateurs, est entière. Nous souhaitons aller vers une solution qui soit la plus cohérente possible avec les intérêts des consommateurs et des auteurs et qui permettent aux industriels, présents ici, de s'épanouir dans ce cadre. Convenez que la porte qui nous est laissée est singulièrement étroite. Je vais laisser la parole à Mme Catherine Tasca. Je vous prie également de m'excuser car je suis tenu par une obligation. M. Michel Thiollière poursuivra naturellement cette table ronde jusque l'heure de clôture prévue.

Mme Catherine Tasca, sénatrice

A ce point du débat, nous constatons quand même une opposition assez frontale entre deux points de vue et deux types de réponses aux questions qui nous sont posées. Pour moi, cela traduit le fait que le processus législatif a été engagé dans une précipitation qui n'est pas convenable et qui ne permet pas d'aboutir à des solutions positives. Des amendements ont été déposés le 21 décembre, le texte a été élaboré sous le coup de l'urgence, ...

M. Jacques Valade

Pardonnez-moi de vous interrompre, mais nous avions trois ans de retard dans la transposition de la directive.

Mme Catherine Tasca

S'il s'agit simplement de rattraper le retard, M. le Président, nous pourrions réaliser une transposition pure et simple de la directive dans un premier temps. Au cours de notre discussion, nous avons donc entendu s'opposer de manière frontale des intérêts divers, ce qui est normal puisque chacun représente des maillons de la chaîne qui ne sont pas tous dans la même position. Je voudrais quand même rappeler, comme cela a été dit par M. Laurent Heynemann précédemment, que s'il est important de chercher des solutions qui répondent aux nouveaux enjeux créés par l'évolution numérique, on ne peut pas mettre sur le même plan les droits des auteurs, les droits des industries, les droits des sociétés qui gèrent ces droits et les droits des utilisateurs. Si nous voulons avoir un débat productif, nous devons être clairs sur la hiérarchie des doits que nous défendons à travers ce texte. En tout premier lieu, il y a effectivement le droit d'auteur. A ce titre, je voudrais reprendre les propos de M. Laurent Heynemann. Si nous lâchons la proie pour l'ombre, si nous remettons en cause, aujourd'hui à travers ce texte et demain, peut-être, dans d'autres pays européens, la primauté du droit d'auteur, c'est tout un modèle de société que nous compromettons. On a souvent l'impression que ce droit représente un droit de propriété parmi d'autres. Nous savons qu'il est bien plus important que cela pour la vitalité de nos cultures et la capacité de nos sociétés à se reconnaître dans une identité culturelle et à faire place à des artistes. Si vous mettez sur le même plan que les auteurs, les industries, les fabricants de matériels et les utilisateurs, vous coulez le bateau auquel, j'en suis certaine, vous êtes attachés. En effet, les internautes téléchargent de la musique car ils sont des amoureux de musique et ont envie d'en entendre. Certains ont même envie d'en fabriquer comme nous pouvons le voir avec les logiciels libres. Je crois donc que, si nous voulons être utiles, nous devons d'abord réaffirmer la primauté du droit d'auteur. La révolution technologique ne doit pas modifier la hiérarchie des droits et nous devons, de ce point de vue, ne pas lâcher le système actuel de protection des droits d'auteur. Cela consisterait à lâcher la proie pour l'ombre tant que nous n'avons pas établi un modèle économique qui serve les intérêts des fournisseurs d'accès, des fabricants de matériel et des utilisateurs, mais qui garantisse ce droit, à mon avis, inaliénable. Cela signifie que, dans le processus législatif, nous ne devons pas nous retrouver coincer en corner et être contraints de pondre, à la va vite, un nouveau modèle qui, de plus et d'après les techniciens, sera rapidement contredit par les avancées technologiques, quel que soit le choix retenu. J'estime donc que le droit d'auteur l'emporte sur tous les droits que les uns et les autres représentent ici et doit être absolument défendu.

En revanche, nous ne pouvons pas nous installer dans un statu quo. Une révolution numérique est en cours et elle doit créer d'autres relations. Dans la difficulté et la confrontation frontale, nous devons donc être capables de remettre certains éléments en question. Je le dis tranquillement à tous mes amis qui sont présents aujourd'hui. Je pense, d'abord, que la séparation des droits d'auteur et des droits voisins constitue, par rapport à l'évolution technologique et la situation culturelle d'ensemble, une erreur. Nous devons faire une place, dans la chaîne légale, aux droits des interprètes et aux droits voisins qui, à mon avis, sont seconds par rapport à ceux des auteurs, mais qui méritent une place. Il est effectivement anormal de voir, aujourd'hui, des sociétés qui défendent les droits des interprètes s'en prendre de façon aussi vigoureuse aux droits des auteurs. Ceci s'explique peut-être car on ne leur a pas laissé la place nécessaire dans la construction de l'avenir. Je pense également que, derrière de nombreuses critiques formulées par les internautes ou tous ceux qui ont quelque chose à dire sur notre vie culturelle, des doutes se font ressentir par rapport au mode de fonctionnement des sociétés d'auteurs et à la confiance que nous pouvons accorder au mode de répartition entre tous les acteurs artistiques de la chaîne. Je le dis, ici, car je ne crois pas que nous défendrons très longtemps un statu quo absolu.

Ces dossiers représentent des chantiers qui ne peuvent pas être menés sous le coup de l'urgence par l'Assemblée nationale ou le Sénat. Il faut les rouvrir et, sans doute, se contenter d'une transcription de la directive pour laquelle nous avons des engagements européens à respecter. Il faut, enfin, ne pas opposer autour de la table le front historique des droits d'auteur et le front des droits des internautes débouchant sur la licence légale. Nous devons remettre l'ensemble de ces intervenants dans la même chaîne. C'est bien cela qu'il faut faire entendre aux utilisateurs d'Internet : le jour où nous aurons tué le vivier de la création, ils ne pourront plus utiliser, via Internet, les oeuvres qui font aujourd'hui leur bonheur. Lorsque nous évoquons le droit et la liberté des internautes, il faut faire très attention à ne pas oublier qu'en amont de cela, la liberté des créateurs nous sert à tous, où que nous nous situions dans la chaîne.

M. Jacques Valade

Merci de nous avoir communiqué votre sentiment sur ce sujet. Nous allons voir comment nous pouvons établir une stratégie au niveau de notre assemblée. Je laisse à M. Michel Thiollière le soin de poursuivre le débat et vous prie, encore une fois, de bien vouloir m'excuser.

M. Michel Thiollière

Je vous propose de discuter, pendant 20 à 25 minutes, de quelques points que nous n'avons pas encore évoqués. Les sujets d'actualité ne manquent pas et nous avons essentiellement abordé la question de l'avenir de la licence globale ou des autres systèmes existants.

M. Bruno Ory-Lavollée

Je souhaite intervenir très rapidement pour répondre à la question posée par M. le Président Valade : comment légiférer ? Il serait très simple d'élaborer une loi acceptable par tous. Cette loi devra organiser le développement du monde marchand et apprivoiser la nature des réseaux qui implique la circulation de copies. Le projet de loi, aujourd'hui, pourvoit abondamment sur le premier point consistant à organiser le monde marchand. Pour le deuxième point, les amendements sur la licence globale, je tiens à le répéter, proposent un cadre et une méthode pour reconnaître, rémunérer et réguler les copies sur le réseau. Une fois que nous aurons mis ce cadre en place, nous pourrons fixer des curseurs et des limites. C'est donc, à l'intérieur de ce cadre, que nous pourrons organiser, au mieux, la cohabitation d'un espace d'accès, d'échanges et de copies et d'un espace marchand. Encore une fois, nous n'avons jamais voulu la disparition de ce dernier et n'avons jamais considéré que la licence globale devait s'y substituer. J'espère qu'il restera, au moins, cela de cette matinée. Nous disposons de deux modèles qui ne sont pas antinomiques, mais qui, par la nature des choses, c'est à dire la nécessité de rémunérer la création et la nature des réseaux, doivent cohabiter. C'est effectivement plus complexe que de se situer dans une seule logique. Mais, si nous souhaitons aboutir à une bonne loi, nous devrons trouver une solution à cette équation.

M. Michel Thiollière

Je propose que Mme Farchy nous fasse un point, le plus rapide possible, sur l'économie du téléchargement légal.

Mme Joëlle Farchy

Je vais essayer d'être brève. J'avais prévu de commenter de nombreux éléments, mais je sens que le temps presse. Sur les différents modèles, je voudrais, avant tout, intervenir à contre-courant et faire un éloge de la gratuité. On a l'impression, aujourd'hui, que la gratuité est devenue un gros mot. Les promoteurs de la licence globale ne cessent de répéter qu'ils ne sont pas les apôtres de la gratuité. Or, la gratuité n'est pas synonyme d'illégalité et ne signifie pas qu'on renonce à financer les oeuvres. Ce terme, en économie, est simplement utilisé pour indiquer que le consommateur ne paie pas directement ce à quoi il a accès, à l'instar de l'enseignement ou de la santé. Il existe donc des mécanismes de redistribution marchands ou publics. Dans la culture, ce point est particulièrement important car on peut souhaiter promouvoir la gratuité dans un objectif de politique culturelle, de démocratisation. Ainsi, ce n'est pas la gratuité qui pose problème, aujourd'hui, mais le fait qu'une série d'agents économiques - fournisseurs d'accès, annonceurs publicitaires, éditeurs de logiciel, fabricants de matériel, etc. - bénéficie d'une production culturelle créative sans reverser d'argent à ceux qui participent à la création de cette production. Selon moi, le vrai problème est là et n'a rien à voir avec le fait que le consommateur paie ou ne paie pas. Il faut bien garder en tête que rien n'empêche que certaines offres puissent être proposées, aux consommateurs, de manière gratuite à partir du moment où celles-ci sont négociées et où les rémunérations de la création et de la production sont assurées. L'exemple de la presse est assez parlant. Ce n'est pas parce qu'il existe une presse gratuite pour les consommateurs que les journalistes qui collaborent à ces parutions ne sont pas rémunérés.

Concernant les nouveaux modèles économiques possibles, pour ma part et même si je suis consciente que tout peut être détourné, je crois beaucoup à l'idée d'un « peer to peer » légal. Celui-ci concilie les autorisations des ayants droit et propose des modèles innovants. Je crois à cette solution à condition qu'elle représente un réel modèle alternatif. En effet, une confusion importante est constatée, aujourd'hui, entre les offres légales et le « peer to peer » légal. Ces deux systèmes peuvent être différents, même si, pour l'instant, nous nous trouvons toujours à des stades d'expérimentation. Il faut donc que l'industrie culturelle s'empare réellement de cette question et n'utilise pas une simple étiquette pour ne vendre que de l'offre légale. Celle-ci, si elle comporte des avantages, ne résout absolument pas tous les problèmes et ne répond pas à toutes les attentes des internautes. Pour répondre également à certaines interventions, je suis persuadée qu'Internet n'est pas un gigantesque trou noir qui va absorber tous les modes de distribution. Une complémentarité importante existe forcément entre les modes de diffusion. Malgré tout, quelques zones de friction et de concurrence demeurent. Je crois donc que la diversité des modes de financement est possible et extrêmement saine. En effet, si vous voulez encourager une diversité culturelle et une diversité de production, vous devez laisser cohabiter plusieurs modèles de financement. Ceux-ci influencent forcément la nature de ce qui est produit. Dans le secteur de la télévision, des modes très différents coexistent du paiement direct de l'usager pour Canal+, à la redevance publique pour France Télévisions ou encore au financement publicitaire pour TF1. Ces dispositifs cohabitent économiquement très bien. Cependant, ces chaînes ne diffusent pas exactement les mêmes types de programmes. De la même manière, vous ne lirez pas exactement les mêmes informations dans la presse gratuite et dans la presse payante. Pour moi, la diversité des modèles de production et des financements est donc parfaitement saine.

Par ailleurs, j'ai indiqué précédemment que le fait d'être opposé à la licence globale ne signifiait pas une opposition à tout mécanisme de redistribution publique. Je pense qu'une vraie réflexion doit être menée dans ce domaine. Elle dépasse très largement la loi sur les droits d'auteur et concerne la place du financement public dans le monde numérique. Je suis frappée, à ce titre, par la relation très ambivalente de l'industrie du disque avec la sphère publique. D'un côté, l'industrie appelle au secours pour essayer de limiter les effets du piratage. De l'autre, on entend parler d'un risque de soviétisation de la culture. Depuis cinquante ans, il existe un programme de soutien du cinéma en France. On a reproché beaucoup de choses à celui-ci, mais jamais de soviétiser la culture. Donc, si nous nous inscrivons dans l'idée que la culture n'est pas une marchandise comme les autres, il faut acter ce principe en amont, avec des systèmes de soutien à la création et à la production, et en aval en ouvrant un large domaine public numérique. Celui-ci pourrait couvrir le domaine public classique d'un point de vue juridique, mais également d'autres oeuvres. Une vraie réflexion peut être menée sur ce point. Contrairement à la licence globale, ce dispositif ne consisterait pas à ouvrir un robinet de manière indifférenciée, mais pourrait s'inscrire dans le cadre d'une politique culturelle volontariste et régulée. C'est, là, à mon avis, toute la différence entre ces deux options.

M. Michel Thiollière

Dans le temps qu'il nous reste, il serait souhaitable que nous puissions évoquer un peu la question de la pédagogie et des sanctions avec les différents intervenants. Des comparaisons ont été réalisées avec le supermarché ou d'autres pratiques des consommateurs. Comment se situer dans ce cadre dans la mesure où les internautes ont pris de l'avance par rapport au droit et à l'offre légale même si celle-ci rattrape un retard important ? Certains usages se sont développés, aujourd'hui, de façon considérable et, comme cela a été souligné précédemment, il n'est pas question ici d'opposer les internautes qui téléchargent avec les artistes. Les deux peuvent être compatibles pour peu qu'une forme de pédagogie soit mise en place. Il est également possible, en cas de dépassement du cadre légal, d'envisager des sanctions. Comment les différents intervenants réagissent-ils sur ces points ?

M. Guy Verrecchia

Je souhaite intervenir rapidement sur les solutions. Dans ce cadre, je ne voudrais pas que nous raisonnions uniquement en étayant le volontarisme sur des objectifs ou difficultés techniques. Le même raisonnement appliqué à l'automobile, cette comparaison ayant déjà été mentionnée précédemment, reviendrait à constater que les automobiles roulent très vite et qu'on ne peut rien y faire. Avant l'invention des radars, nous aurions pu considérer que, étant dans l'incapacité de prendre tous les automobilistes en flagrant délit d'excès de vitesse, il fallait laisser les choses en l'état. Je crois donc qu'il faut réfléchir autrement et essayer d'être un peu volontariste dans la recherche de voies qui correspondent à l'intérêt général. Celui-ci, de notre point de vue, concilie la capacité à pouvoir continuer de produire des oeuvres et la capacité, pour les internautes, à avoir accès à celles-ci. Par ailleurs, puisque nous avons passé beaucoup de temps à critiquer la licence globale, je souhaite exprimer une remarque incidente sur celle-ci. Il a été expliqué que ce dispositif visait à échapper à un « flicage » et à aller dans le sens d'une plus grande diversité. Je m'interroge sur les moyens d'atteindre cet objectif par cette voie. Si la répartition est effectuée par sondage, je vous assure que nous constaterons une survalorisation des oeuvres qui bénéficient de la plus grande notoriété. Cela ne me paraît pas aller dans le sens d'une plus grande diversité. Dans le cas contraire, il faudra mettre en place un « flicage » encore plus important afin de restituer la totalité des sommes aux oeuvres qui ont réellement été vues.

Vous connaissez la solution qui nous paraît raisonnable. Je la rappelle malgré tout. Elle repose sur une offre légale qui existe déjà et qu'il faut développer. Comme cela a été souligné au cours du débat, nous avons signé des accords avec les fournisseurs d'accès qui vont dans ce sens. Ceci étant, ne soyons pas hypocrites. Si nous souhaitons développer une offre légale, nous ne pouvons pas faire coexister celle-ci, pour les mêmes oeuvres, avec une offre gratuite. Il faut donc, malgré tout, arriver à prendre des mesures qui permettent de juguler le piratage et de le ramener à un niveau raisonnable et économiquement acceptable. Nous pensons que cette évolution est possible par l'intermédiaire d'un ensemble d'éléments, notamment un volet pédagogique. En effet, je ne pense pas que nos concitoyens soient tous des délinquants en puissance. Les parents et les enfants sont capables de comprendre les finalités si nous leur expliquons. Probablement, pour les pires excès, il faudra un peu de répression. La solution repose donc sur un mélange d'offre, de pédagogie et de répression. Elle permettra d'inclure la diffusion par Internet, de la même manière que le cinéma a déjà réussi à absorber successivement toutes les innovations relatives à la télévision gratuite, la télévision payante, la vidéo. Le cinéma à la demande peut donc parfaitement trouver sa place. Nous avons, d'ailleurs, élaboré un système pertinent de notre point de vue.

M. Michel Thiollière

Quels types de sanctions sont envisagés ?

M. Guy Verrecchia

Nous avions élaboré un système équilibré. Il prévoyait un dispositif d'avertissements préalables aux sanctions. J'ai écouté l'intervention de Mme Tasca. Je souscris complètement à certains éléments, comme la hiérarchie des valeurs. Je peux même aller jusqu'à souscrire au point concernant le mode de présentation du projet. Celui-ci a effectivement été présenté d'une manière maladroite et paraît, aujourd'hui, complètement dépassé. Nous, nous avions tendance à le trouver plutôt positif. Le gouvernement aurait, paraît-il, élaboré un système alternatif sur lequel nous avons peu d'éléments d'information, ce qui, d'ailleurs, nous gène un peu. Nous n'avons aucune obsession sur ce que doit être le système pourvu que celui qui sera retenu semble disposer d'une présomption d'efficacité.

M. Pascal Rogard

Quelle a été la réaction du cinéma face au problème soulevé ? Comme l'a souligné M. Guy Verrecchia, elle a consisté à aller négocier avec les opérateurs concernés. Nous avons donc engagé une discussion avec les fournisseurs d'accès. J'ai compris que ce n'était pas une sinécure, non pas de me voir, mais de se lever tôt le matin. Nous avons ainsi établi un accord en deux volets. Le premier concerne le développement d'une offre légale qui, de par la volonté du législateur, contribue aux comptes de soutien à l'industrie cinématographique au travers d'une taxe de 2 %. Celle-ci est mutualisée afin de développer la création comme l'a souligné Mme Joëlle Farchy. De plus, l'offre légale est encadrée par la chronologie des médias et la contribution au développement du cinéma français et européen. En effet, les accords conclus anticipent sur le futur régime de la directive Télévision sans frontière qui est en cours de discussion à l'heure actuelle. Donc, l'offre légale contribue et contribuera à la diversité culturelle dans le domaine du cinéma. C'est un point extrêmement important. Le deuxième volet des accords consistait à traiter la question de la dissuasion des internautes en matière de téléchargements illicites. C'est ainsi que nous avons mis en place un système de réponse graduée qui va de l'avertissement par lettre recommandée à la sanction financière. Il est vrai que l'accord sur l'offre légale ayant été signé tardivement, le 20 décembre, nous n'avons bénéficié d'aucun délai pour aller l'expliquer aux parlementaires. Il est vrai que le gouvernement, ayant déposé l'amendement sur la réponse graduée la veille du débat parlementaire, aucune explication n'a pu être fournie sur cette solution. Il est vrai que le gouvernement a abandonné celle-ci sans indiquer clairement par quel dispositif il la remplacerait. Or, la communication du gouvernement nous inquiète en ce moment car elle pourrait faire croire que le téléchargement n'est pas un acte grave. A l'arrivée, la propriété intellectuelle pourrait être moins protégée que celle des sacs à main. Voilà le résultat de certaines propositions qui circulent dans les ministères ! Nous sommes donc extrêmement inquiets et pensons qu'il faut étudier calmement les solutions que nous avons déjà longuement discutées avec les opérateurs de télécommunication.

M. Jérôme Roger

Je voudrais rapidement revenir sur les solutions qui préservent les droits exclusifs. Je regrette effectivement que nous n'ayons pas eu le temps de développer un aspect de ce dossier qui est fondamental : le décollage d'un marché légal de la musique en ligne. Je voudrais rappeler un certain nombre de données importantes qui ont été communiquées à l'occasion du MIDEM. Les offres sont en train de se développer avec des dizaines de plates-formes de musique en ligne légales qui proposent entre 800 000 et 900 000 titres. 20 millions de titres musicaux ont été vendus, l'année dernière, par le téléchargement sur Internet ou sur téléphonie mobile. Ceci représente un chiffre d'affaires légèrement supérieur à 16 millions d'euros. Ces montants sont, certes, encore très faibles. Ils représentent 1 % à 2 % de l'économie du disque. Mais, aux Etats-Unis, cette activité atteint 5 % à 6 % du chiffre d'affaires de l'édition phonographique. Nous évoquons donc un secteur qui émerge et se développe. Si la question consiste à savoir s'il existe un enjeu fondamental à faire naître une offre légale, je ne peux pas imaginer une seconde que la réponse soit négative. Or, je reproche fondamentalement à la licence globale de mettre en place une solution avant d'avoir essayé tous les autres modèles. Comme cela a déjà été dit, elle représente la solution du désespoir. Effectivement, si, demain ou après-demain, nous constatons qu'il n'existe pas d'autres alternatives, nous devrons peut-être, en désespoir de cause, nous résoudre à percevoir une aumône dans le cadre de cette licence globale. Mais, j'ai confiance dans l'émergence d'un marché légal de musique en ligne et nous disposons, aujourd'hui, d'un certain nombre d'indicateurs qui sont de nature à rassurer, en particulier l'industrie de la musique. En conséquence, ce marché décolle ; l'offre de musique se déploie et devient riche et diversifiée et le consommateur fait état d'un consentement à payer, comme nous le voyons en téléphonie mobile. Cela signifie que, quand le « peer to peer » n'existe pas sous la forme de la gratuité, le consommateur est prêt à payer. Son consentement est intact. Il existe et s'exerce.

D'autre part, je voudrais insister sur un élément fondamental : les perspectives pratiquement illimitées qu'offrent les différentes formes d'exploitation de contenu musical sur Internet ou en téléphonie mobile. Pour l'instant, nous travaillons essentiellement sur un marché basé sur le téléchargement payant de musique par le biais de titres individuels ou d'albums. Mais, d'autres modèles se développent. Le pari consiste à laisser ces différents dispositifs émerger et être testés de façon gratuite ou payante. Je pense, en particulier, à des modèles d'abonnement qui ont commencé à apparaître aux Etats-Unis. Ceux-ci ne sont pas encore rentables, mais ils existent et se développent. Il faut également évoquer les modèles basés sur le « streaming », c'est-à-dire la possibilité d'écouter de façon payante ou gratuite des morceaux de musique ou des vidéos-musiques sur Internet ou en téléphonie mobile. Enfin, en matière de « peer to peer », Snocap constitue un modèle d'exploitation intéressant et pertinent. Il va se développer aux Etats-Unis. Personnellement, je travaille sur le terrain. Je défends et représente les droits de centaines de producteurs indépendants. Je suis en contact permanent avec des opérateurs de téléphonie et des opérateurs Internet. Je peux vous assurer qu'aujourd'hui, chez certains opérateurs, des chefs de projet travaillent sur des modèles de « peer to peer » monétisés basés sur des dispositifs de super-distribution. Ces modèles permettent d'utiliser la technologie du « peer to peer » qui, en elle-même, est neutre et que nous n'avons jamais condamnée. Il est effectivement très important de rappeler que nous avons condamné son utilisation illicite, comme cela a été dit au CSPLA et peu publiquement. Si nous pouvons faire migrer le consommateur vers des modèles de consommation payante en utilisant l'opportunité extraordinaire que constitue la technologie du « peer to peer », je crois et j'ai la faiblesse de penser que nous aurons trouvé l'antidote parfait à la licence globale. Nous répondrons ainsi à l'intérêt du consommateur pour cette technologie. Si celle-ci permet, de plus, de conserver les droits fondamentaux des auteurs, des artistes et des producteurs, nous nous trouverons dans un cercle vertueux. Des solutions sont donc à l'étude, en France, et j'appelle de mes voeux leur mise en oeuvre. Je souhaitais faire ce rappel car il me semble fondamental d'évoquer, devant Mesdames et Messieurs les sénateurs, les alternatives qui existent pour faire face à la piraterie et à la circulation gratuite illégale des fichiers de musique sur Internet. Celles-ci reposent sur la capacité que nous avons, les uns et les autres, de bâtir une économie des industries culturelles dans le domaine d'Internet.

M. Michel Thiollière

Je propose maintenant que nous nous tournions vers Mme Pfrunder pour savoir ce que les consommateurs pensent des modèles proposés et de la répression éventuelle. Comment vous situez-vous dans ce domaine ?

Mme Frédérique Pfrunder

Sur la répression et les sanctions, M. Verrecchia faisait une comparaison avec les voitures et les excès de vitesse. Pour moi, il existe quand même une différence fondamentale. Le contrôle des excès de vitesse se fait sur la voie publique. Or, là, nous allons rentrer chez le consommateur, sur son ordinateur, dans son disque dur. Il va quand même falloir trouver un moyen de savoir qui télécharge quoi ! Pour savoir que l'internaute télécharge sur des réseaux « peer to peer », il faudra donc s'intéresser à son disque dur et déterminer ce qu'il a téléchargé. En effet, il me semble que nous avons quand même le droit de télécharger certaines oeuvres libres de droit ou des fichiers personnels sur le réseau. Cette question pose bien, pour moi, le problème fondamental de la vie privée de l'internaute. Le respect du droit d'auteur est essentiel. Mais, il faut aussi, face à celui-ci, assurer un minimum de respect de la vie privée.

D'autre part, j'aimerais qu'on me dise si le téléchargement doit être considéré comme un acte de copie privée ou pas. Il me semble que des décisions de justice ont estimé que le « download » relevait de la copie privée. Un autre problème, notamment avec le principe de réponse graduée, consiste à savoir comment l'internaute peut se défendre et faire valoir qu'il a téléchargé des oeuvres libres de droit ou des fichiers qui ne relèvent pas de ce domaine. Une fois qu'il reçoit une contravention ou qu'il est convoqué devant un tribunal, comment cela se passe-t-il pour lui ? Enfin, sur les verrous et les DRM, M. Roger indique qu'il faut légiférer pour protéger l'oeuvre et que cela ne posera pas de problème. Il me semble, et je pense que les sénateurs sont largement conscients de ce point, que d'autres questions doivent être prises en compte, notamment concernant les moyens dont dispose l'usager pour accéder à l'oeuvre. Aujourd'hui, est-il vraiment normal qu'un consommateur qui souhaite télécharger de la musique sur Internet et qui ne dispose pas d'un I-Pod soit quasiment obligé d'avoir le système d'exploitation Windows XP ? Des questions de concurrence peuvent se poser derrière ces éléments. Je dispose de nombreux témoignages de consommateurs qui ont voulu télécharger de la musique et n'ont pas pu la lire sur leur ordinateur car ils disposaient d'un autre système d'exploitation ou ne possédaient pas les bons lecteurs. Ces points doivent être pris en compte. Les DRM réduisent considérablement les possibilités d'usage des consommateurs. Est-il normal qu'on puisse dire à ceux-ci ce qu'ils doivent faire des oeuvres téléchargés chez eux, sur quel matériel les écouter, combien de fois les écouter ou les transférer sur leur baladeur ? A partir du moment où l'oeuvre est légalement acquise, l'usager doit disposer d'une certaine liberté pour l'utiliser, l'écouter ou la regarder. Avec les DRM, nous nous retrouvons dans un système très limitatif.

M. Michel Thiollière

Vous êtes parfois interrompue et je le regrette. Mais, vos propos suscitent de l'intérêt et des réactions. Puis-je me permettre de vous interroger, de nouveau, sur les sanctions. Comment les consommateurs les perçoivent-ils ?

Mme Frédérique Pfrunder

Il est complexe de répondre à cette question dans la mesure où nous sommes favorables à la licence globale. Je peux donc difficilement vous dire ce que nous envisageons en matière de sanctions sur le « peer to peer » alors que, de notre point de vue, il faut trouver un système qui évite celles-ci. Ce qui nous paraît fondamental, en cas de sanction, c'est que l'internaute puisse se défendre et faire valoir ses droits. Je pense qu'il n'est pas possible d'assimiler le téléchargement ou la mise à disposition sans but commercial à de la contrefaçon ou de la piraterie. Cela me semble disproportionné sachant que la loi, en cas de contrefaçon, prévoit une peine de 3 ans de prison et 300 000 euros d'amende. De toute façon, je ne suis pas certaine que la contravention soit une solution pragmatique. Le nombre de conducteurs faisant des excès de vitesse est largement supérieur au nombre de conducteurs recevant des contraventions. C'est peut-être un moyen de faire rentrer de l'argent dans les caisses de l'Etat tout en maintenant le « peer to peer » sans que les ayants droit perçoivent une rémunération.

M. Michel Thiollière

Il est vrai que les risques vitaux sont différents d'un cas à l'autre. Je vais maintenant demander un point de droit au professeur Sirinelli. Nous serons ensuite contraints de conclure notre table ronde malgré l'intérêt que suscite ce débat.

M. Pierre Sirinelli

Je tiens d'abord à préciser que je ne suis ni auteur, ni société de gestion collective, ni créateur de logiciels. Ma seule qualité est d'être consommateur. Malgré tout, je réalise une analyse juridique qui ne va pas dans le sens de mes intérêts. On ne peut pas dire, aujourd'hui, que le téléchargement rentre dans le champ de la copie privée. Le fait que l'alliance ait fait voter un amendement pour pouvoir l'affirmer prouve ce point et l'existence d'un problème. En l'état actuel du droit, le téléchargement n'est donc pas de la copie privée. Il s'agit d'une multiplication de petits pains d'un ordinateur vers d'autres alors que la copie privée caractérise une copie que le copiste réalise pour son usage personnel, voire pour un usage familial. Vous ne pouvez pas aller chercher, dans la jurisprudence, des décisions attestant clairement que le téléchargement est un acte de copie privée, même si certaines d'entre elles partent dans tous les sens. Par exemple, la décision de la cour d'appel de Montpellier est citée partout sur Internet. Je suis désolé. Refaites l'analyse juridique. Appliquez les règles de droit d'auteur, les règles de procédure pénale, toutes les règles que vous souhaitez. La cour d'appel s'est prononcée sur la copie faite du disque dur vers les supports amovibles. Cela n'a rien à voir avec le téléchargement qui a lieu en amont. A supposer qu'on puisse tirer un tel raisonnement de la décision de la cour d'appel de Montpellier, ce que je réfute complètement, attendons au moins la position de la Cour de cassation ! La question doit donc être clairement posée et on ne peut pas dire, aujourd'hui, que le téléchargement constitue un acte de copie privée.

Indépendamment de ces points, il est parfaitement compréhensible que les consommateurs, dont je fais partie, estiment qu'un système entièrement répressif ne constitue pas une solution. Les dispositifs de prévention, évoqués par M. Pascal Rogard, permettaient effectivement d'alerter l'internaute sur l'acte de téléchargement. Manifestement, nous ne savons pas écrire ceux-ci sur un plan juridique. Enfin, dans les intentions manifestées par le texte, je veux bien que nous distinguions l'« upload » et le « download », le commercial et le non-commercial ou certaines limites de fichiers ou de volume dans l'« upload ». En admettant que ce dispositif puisse fonctionner, ce qui ne me semble pas certain d'un point de vue pratique, je vais quand même avoir du mal à expliquer à mes enfants que le « download » n'est plus possible si celui-ci coûte désormais 38 euros. Nous devons également transposer une directive du 29 avril 2004. Cet article 3, alinéa 2, stipule que les états membres doivent prévoir des mesures dissuasives. Or, un tarif de 38 euros n'est pas dissuasif.

M. Michel Thiollière

Ceci n'est évidemment pas un mot de conclusion. De toute façon, aucune des interventions réalisées autour de cette table n'est une conclusion, comme vous l'avez compris. La commission des affaires culturelles du Sénat souhaitait justement un échange. Je remercie les intervenants d'avoir bien voulu réaliser cet exercice dans un esprit tranquille, même si celui-ci a été vif sur le fond. Je remercie également la salle d'avoir contribué à cette discussion. Nous n'excluons pas d'organiser d'autres réunions pour traiter les sujets qui n'ont pas pu être abordés ce matin. En tout état de cause, je propose aux membres de la table ronde et aux personnes présentes dans la salle qui ont des éléments à rajouter de bien vouloir nous transmettre leur proposition ou leur avis par écrit. Nous serons heureux de les entendre dans le cadre des auditions que je continue à réaliser. Merci à tous.

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