II. DEUXIÈME TABLE RONDE - « ÉDUCATION ET SPORTS » |
Interviennent au cours de la seconde table ronde :
Mme Nina CHARLIER, Professeur d'éducation physique et sportive au collège Langevin Wallon de Blainville-sur-Orne, SNEP-FSU
Mme Béatrice CLAVEL, Psychologue - Université de Lyon II, vice-présidente du groupe de travail « Femmes et sport »
Mme Catherine DAUNY, Chef de l'établissement régional d'enseignement adapté, La Plaine à Eysines (Gironde)
Mlle Annabelle ECHAPPE, Élève de terminale au lycée professionnel Jean Jaurès de Nantes
Mme Nicole MOSCONI, Professeur en sciences de l'éducation à l'université de Paris X-Nanterre.
M. Emmanuel KESSLER
Cette table ronde est consacrée au second volet du rapport de la Délégation aux droits des femmes : l'éducation et le sport.
La problématique de la mixité à travers l'éducation et le sport a été fortement médiatisée. Un livre de Michel Fize, Les pièges de la mixité scolaire , a d'ailleurs fait l'objet d'un intense débat. Cet ouvrage, consacré à la mixité à l'école, suggère notamment de réserver ponctuellement des espaces non mixtes afin de faciliter l'éducation des garçons et des filles.
Comme le souligne le rapport, la réflexion sur la mixité scolaire et la mixité dans le domaine du sport n'a pas été approfondie. La mixité est venue à l'école sans qu'on y prête attention. C'est ainsi que le rapport et les études afférentes ont analysé l'introduction de la mixité à l'école. Nous sommes en quelque sorte rattrapés par les difficultés sociales. La question de la mixité est redevenue un thème d'actualité avec la loi sur les signes religieux à l'école et, au-delà, avec le constat d'une situation qui n'est pas encore totalement satisfaisante, c'est-à-dire ne permettant pas une véritable égalité des chances entre garçons et filles au niveau scolaire. En termes d'égalité des pratiques, le rapport est édifiant et montre que certains sports semblent effectivement réservés aux femmes - le patinage ou la gymnastique - tandis que d'autres sont davantage pratiqués par les hommes dans des proportions telles qu'au-delà des éventuelles questions d'aptitude, l'on peut se demander pourquoi les femmes ne sont pas plus nombreuses à jouer, par exemple, au football. Par ailleurs, les femmes ne sont quasiment pas représentées dans les instances de direction des fédérations. Les chiffres présentés par le rapport de la Délégation aux droits des femmes en témoignent.
Nos discussions nous permettront de chercher les moyens de faire évoluer cette situation.
Madame Nicole Mosconi, vous avez publié de très nombreux ouvrages. L'un d'entre eux, ancien mais toujours d'actualité, a un intitulé correspondant tout à fait au thème de notre table ronde : La mixité dans l'enseignement secondaire, un faux-semblant ? , publié par les éditions des PUF en 1989. S'agit-il toujours d'un faux-semblant actuellement ?
Mme Nicole MOSCONI, professeur en sciences de l'éducation à l'université Paris X-Nanterre
Oui. J'assume toujours ce titre.
Mes critiques ne visent pas à contester le principe politique de la mixité scolaire. Cette dernière fait, en effet, partie intégrante d'un système démocratique et est l'affirmation même de l'égalité entre les sexes dans tous les domaines du social, dont le domaine scolaire. Toute remise en cause de la mixité est toujours faite par des groupes ou des pays contestant l'égalité entre les sexes.
Cela étant indiqué, je souligne que, lorsque la mixité scolaire a été introduite en France dans les années 1960, elle n'a été pensée ni dans ses finalités politiques ni dans ses finalités pédagogiques et éducatives. Actuellement, les filles réussissent globalement mieux à l'école que les garçons en matière d'acquisition des savoirs et des diplômes. L'école ne se réduit cependant pas à l'acquisition des diplômes. Les jeunes passent à l'école un très grand nombre d'années et y expérimentent une forme de socialisation. Les familles, les médias et le milieu social influencent aussi ces jeunes et tendent à l'inégalité des sexes, même si les progrès sont nombreux. L'enjeu est de déterminer si l'école ira à l'encontre de cette tendance ou si elle la renforcera. Il me semble cependant que l'école confirme les stéréotypes de sexe, tant du point de vue des relations entre élèves que dans les relations entre enseignants et élèves. Je précise à ce titre, que très longtemps, aucun soutien n'a été accordé à la recherche sur la pédagogie et la mixité scolaire. A contrario , dès la création des grammar schools en Angleterre, dans les années 1960, des recherches en sociologie et en psychologie sur la mixité scolaire ont été organisées. La recherche dans ce domaine n'a absolument pas été soutenue en France.
Ces recherches ont permis de tirer trois principaux enseignements. En premier lieu, les enseignants ne traitent pas les filles et les garçons de la même manière en classe. Les enseignants réalisent un tiers de leurs interactions avec les filles contre deux tiers avec les garçons car ces derniers s'imposent, occupent l'espace didactique et sonore de la classe à tous les niveaux et, à la limite, empêchent les filles de prendre leur place. Les enseignants doivent ainsi gérer une tendance à l'opposition et à la non-conformité des garçons. Ce faisant, ils ne peuvent gérer la dynamique de classe qui impose la domination des garçons.
En deuxième lieu, les enseignants font preuve d'un double standard dans leurs attentes et leur manière d'évaluer les élèves. Les enseignants pensent d'emblée que les garçons n'utilisent pas tout leur potentiel qui est censé être grand, tandis que les filles sont censées déjà faire tout ce qu'elles peuvent. Il est considéré que les filles ont des capacités mais qui ne vont certainement pas au-delà de leurs performances. Les corrections de devoir en aveugle montrent que les devoirs supposés avoir été réalisés par des garçons sont favorisés, tandis que ceux qui sont supposés avoir été écrits par des filles sont défavorisés lorsqu'ils sont bons. À l'inverse, les enseignants sont plus indulgents vis-à-vis des devoirs réalisés par des filles lorsqu'ils sont mauvais.
Enfin, jusqu'à présent, le conseil national des programmes s'est très peu préoccupé des contenus d'enseignement. La socialisation transmise à travers ces contenus d'enseignement fait pourtant croire aux garçons - et c'est plus grave vis-à-vis des garçons car les filles luttent contre cela - que les femmes dans l'histoire, les arts, la culture et la littérature ne se sont jamais vraiment exprimées, n'ont jamais réalisé de grandes oeuvres et n'ont jamais pris de place majeure dans la société. Alors que dans les classes et les programmes, les filles et les femmes sont traitées comme étant secondaires, comment voulez-vous qu'ensuite, les filles soient capables de dire « je », soient émancipées et agissent de manière indépendante ? Elles le font mais leur environnement les oblige à fournir un effort très conséquent.
M. Emmanuel KESSLER
Malgré cela, les résultats scolaires des filles sont meilleurs que ceux des garçons.
Mme Nicole MOSCONI
Ce prétexte a été mis en exergue pour prouver que la mixité n'était pas problématique. Le rôle de l'école est, certes, de transmettre des savoirs mais le problème central est celui des orientations. Le système scolaire produit et reproduit une division des savoirs et des formations. Filles et garçons, au-delà de la formation obligatoire, ne sont pas dans les mêmes filières. De nombreuses sections sont majoritairement composées de garçons ou de filles au lycée. L'on déplore ensuite la situation des femmes - leur rémunération et leur état de subordination - dans le monde du travail. Cela n'est plus tellement vrai car elles accèdent à la formation universitaire grâce à leur réussite scolaire mais, malgré tout, la position des femmes reste subordonnée dans le milieu professionnel, ce qui est évidemment lié à leur formation mais aussi à l'organisation de l'ensemble de la société.
M. Emmanuel KESSLER
Annabelle Echappé, vous avez rencontré Madame Gisèle Gautier dans le cadre de la manifestation « Les défis du Net » dont le Sénat était partie prenante.
Madame Nicole Mosconi indique que le principe de la mixité n'est pas toujours appliqué dans les lycées. Quels échos provoquent en vous ces propos généraux ? Quelle est la situation dans votre lycée ?
Mlle Annabelle ECHAPPE, élève de terminale au lycée professionnel Jean Jaurès de Nantes
Mon lycée ne compte quasiment que des filles. Cela est un peu ennuyeux. La plupart des professeurs sont des femmes. Deux de mes professeurs sont certes masculins mais les filles sont beaucoup plus représentées dans ce type de lycée professionnel.
M. Emmanuel KESSLER
Quelles sont les spécialisations offertes au sein du lycée ?
Mlle Annabelle ECHAPPE
Le lycée prépare aux métiers de la comptabilité et de secrétariat.
M. Emmanuel KESSLER
Le lycée ne compte donc que des filles ?
Mlle Annabelle ECHAPPE
Les garçons préparent en très grande majorité le diplôme de comptabilité. Une des classes de comptabilité compte une seule fille. En secrétariat, un seul garçon partage notre classe.
M. Emmanuel KESSLER
Comment expliquez-vous cela ?
Mlle Annabelle ECHAPPE
Je ne l'explique pas. Tels sont les faits.
Je pense qu'il est rare qu'un homme veuille devenir secrétaire. Par ailleurs, les élèves du lycée professionnel appartiennent à une catégorie sociale particulière. Les filles y ont une mauvaise image d'elle-même. Pour avoir fréquenté également le lycée général, je sais que les élèves des lycées professionnels se dévalorisent beaucoup et pensent ne pas être capables de mener des études générales.
M. Emmanuel KESSLER
La majorité des jeunes filles pensent donc subir une forme de handicap social qui explique qu'elles se trouvent dans un lycée professionnel et non général ?
Mlle Annabelle ECHAPPE
C'est en effet ce que je pense.
M. Emmanuel KESSLER
Pensez-vous qu'un homme accepterait moins facilement ce handicap et ne serait, en conséquence, pas dans ce type de lycée ?
Mlle Annabelle ECHAPPE
Je l'ignore.
M. Emmanuel KESSLER
Les garçons semblent opter pour un autre type de formation, industrielle par exemple.
Je vais poser une question un peu provocatrice : n'avez-vous pas l'impression que certains métiers ou formations sont davantage faits pour les filles et d'autres pour les garçons ?
Mlle Annabelle ECHAPPE
Non.
M. Emmanuel KESSLER
C'est l'orientation après le collège qui doit induire cette séparation entre filles et garçons.
Mlle Annabelle ECHAPPE
Filles et garçons se côtoient en effet davantage jusqu'au collège. Comme le faisait remarquer Madame Gisèle Gautier, nous ne bénéficions que de très peu d'informations concernant les lycées professionnels et technologiques. Mes amis des sections générales ignorent tout de ces lycées qui, en conséquence, réunissent essentiellement une certaine catégorie de population. Il ne s'agit pas d'une discrimination mais la différence sociale est nette entre élèves des lycées professionnels et élèves des lycées généraux.
M. Emmanuel KESSLER
À vous entendre vous exprimer, je ne doute pas de votre réussite à vos examens.
Mlle Annabelle ECHAPPE
Je vous remercie.
M. Emmanuel KESSLER
Les chefs d'établissement souhaitent-ils prolonger ces réflexions ?
Mme Catherine DAUNY, chef de l'établissement régional d'enseignement adapté La Plaine à Eysines (Gironde)
Je vous remercie de m'avoir convié à participer à ce colloque. L'établissement que je dirige est très spécifique parmi les établissements publics locaux d'enseignement puisqu'il reçoit majoritairement des élèves handicapés moteurs du cours préparatoire à la terminale de préparation au baccalauréat professionnel. À la lecture du thème du colloque, j'ai d'emblée pensé, du fait de mon expérience professionnelle, à la mixité entre valides et handicapés. Chacun peut en effet interpréter différemment les mêmes mots. J'ai toutefois très vite tenu compte du type de mixité dont il s'agissait. Par ailleurs, la région dans laquelle le lycée est situé est relativement calme. Pour toutes les raisons précédemment citées, mon intervention aura donc une tonalité particulière.
Je ne reviendrai pas sur les caractéristiques de l'enseignement selon le sexe de l'enseignant ou de l'élève décrites par Madame Nicole Mosconi. Cela mériterait d'ailleurs une présentation particulière au sein des IUFM. Pour avoir suivi des groupes d'IUFM et pour en recevoir beaucoup dans l'établissement, je constate que les enseignants sont très bien formés en matière disciplinaire tandis que la carence est très importante en termes d'approche psychologique, notamment des adolescents. Je souligne que je suis plutôt favorable à ne pas gommer les différences avérées puisque hommes et femmes n'ont pas les mêmes réactions et que les garçons et les filles ne sont pas, encore actuellement, élevés de la même manière.
L'école a une influence très importante sur les élèves puisque ces derniers y passent environ huit heures par jour. L'influence du milieu familial est également très importante. Je souhaite que le monde enseignant prenne bien conscience des interactions entre les deux sexes dans et hors de la classe et prenne conscience de nos propres schèmes verbaux et corporaux. Ces derniers ne sont pas neutres et peuvent induire des réactions très particulières de la part des élèves. Ainsi, les professeurs femmes sont un peu plus chahutées dans les classes que leurs collègues masculins car elles n'ont pas la même manière de conduire leurs cours ou de transmettre des connaissances et des savoir-être.
Ces différences peuvent être prises en considération tant au niveau structurel qu'organisationnel dans nos établissements. Je considère que tout en respectant les directives du ministère de l'éducation nationale, chaque établissement devrait pouvoir s'adapter en fonction des contextes géographiques et socio-culturels de la population concernée. En effet, un établissement de filles, par exemple, ne se gère pas comme un établissement de garçons. De même, un établissement de petits ne se gère pas comme un établissement de grands. Un établissement appartenant à une classe sociale plutôt favorisée ne se dirige pas comme un établissement d'un quartier difficile. Nous devons donc pouvoir adapter nos classes et nos espaces transitionnels - peut-être non mixtes à certains moments - avec intelligence. Il convient de faire preuve de pragmatisme en fonction du contexte et de permettre par exemple aux jeunes filles d'expérimenter leur corps en EPS sans le regard des garçons au moment de l'adolescence où les jeunes sont souvent mal dans leur peau. L'éducation civique, juridique et sociale, dispensée notamment en lycées professionnels, pourrait, à la demande des jeunes, être également proposée à des groupes non mixtes.
Les différences entre les genres doivent bien évidemment être marquées dans le domaine structurel dans les sanitaires mais éventuellement aussi dans des salles de repos ou de convivialité, où les jeunes filles peuvent avoir envie de se retrouver entre elles.
M. Emmanuel KESSLER
Vous êtes donc favorable à l'instauration d'espaces non mixtes ?
Mme Catherine DAUNY
Oui, en fonction des demandes des élèves.
M. Emmanuel KESSLER
Vous n'êtes donc pas une adepte de la mixité à tout moment et en toutes circonstances.
Est-il cohérent, d'une part, de lutter contre les inégalités d'approche et, d'autre part, de dire que les garçons et les filles devraient pouvoir se retrouver entre eux ?
Mme Catherine DAUNY
Si des jeunes filles souhaitent aborder les questions de la maternité ou de la sexualité dans certains cours, je pense qu'elles ne sont pas suffisamment mûres pour intervenir sous le regard des garçons. Même si nous souhaitons que tout soit partagé entre filles et garçons, l'essentiel est que tous y trouvent leur compte. Il me semble donc que nous devons permettre que les jeunes filles se construisent et construisent leur « je » parfois sans les garçons si cela leur convient. À mes yeux, il faut écouter leurs désirs et leurs attentes spécifiques. Il faut éviter de faire preuve de dogmatisme et tenir compte des intérêts de chacun. Je précise que je ne me fais pas l'écho du syndicat auquel j'appartiens. J'exprime une conviction personnelle.
M. Emmanuel KESSLER
Cela fera certainement l'objet d'un débat.
Mme Catherine DAUNY
Certainement.
Le rapport mentionne par ailleurs un enjeu fondamental : il faut que les filles puissent se construire mais aussi que les garçons soient éduqués de manière à accorder un espace de vie aux filles. Il importe, en effet, d'éduquer et de soutenir les filles mais, si tout est oublié en sortant de l'école et si les garçons ne respectent rien en étant d'autant plus virulents qu'ils auront senti des prémisses d'émancipation, notre oeuvre ne sera que partiellement réalisée. Il faut que, parallèlement, le moyen de valoriser intellectuellement les garçons soit trouvé. Les garçons en situation difficile, dit-on, se construisent dans l'opposition, l'indiscipline, le mouvement et les mauvaises notes dans les disciplines littéraires car elles sont réservées aux filles. Je pense que, dès le plus jeune âge, il faut intéresser les garçons à toutes les disciplines scolaires. Il convient, pour cela, d'impliquer les familles et de leur faire comprendre l'importance de l'ensemble des disciplines à court, moyen et long terme.
Par ailleurs, le professeur principal et le conseiller d'orientation psychologique proposent des voies d'orientation en fin de 4 ème ou de 3 ème , au terme de la seconde générale ou du lycée. Encore faut-il que le milieu professionnel intègre tous les jeunes, dont les jeunes filles. J'ai pu constater, lorsque j'enseignais, qu'il fallait déployer des arguments de taille pour placer simplement en stage les filles préparant des BEP ou des CAP dans les métiers du bâtiment. On nous opposait, par exemple, la nécessité d'installer deux toilettes ou deux types de douches. Nous devons donc continuer à lutter dans les métiers du bâtiment car la résistance à l'intégration des jeunes filles est énorme. En revanche, j'ai le sentiment que l'évolution est positive dans l'industrie. Les filles sont considérées par les employeurs comme étant plus habiles, plus fines et plus patientes que les garçons dans le domaine électrotechnique - domaine que je connais bien. Elles y trouvent donc plus aisément des stages. À l'inverse, il faudrait que les écoles d'infirmiers puissent accueillir davantage d'hommes.
Je rappelle que la formation initiale et continue des enseignants est fondamentale pour leur faire prendre précisément conscience de l'influence de leurs attitudes vis-à-vis des élèves sous peine de reproduire indéfiniment des schémas défavorables.
M. Emmanuel KESSLER
Votre conclusion rejoint peu ou prou les remarques de Madame Nicole Mosconi quant à la reproduction d'un schéma contre lequel il est difficile de lutter.
Nous aborderons maintenant plus spécifiquement la question du sport. Madame Béatrice Clavel, vous êtes la vice-présidente du groupe de travail « Femmes et sports », groupe qui était conjoint au ministère de la jeunesse et des sports et au ministère de la parité et de l'égalité professionnelle.
Quel est l'état des réflexions actuelles concernant les femmes et le sport ? Le rapport de la Délégation aux droits des femmes présente quelques constats. Notamment, les femmes représentent 34 % des licenciés des fédérations sportives, contre 10 % des dirigeants de ces dernières.
Mme Béatrice CLAVEL, psychologue - université Lyon II, vice-présidente du groupe de travail « Femmes et sport »
Ce groupe de travail, présidé par Madame Brigitte Deydier a débuté ses travaux le 16 octobre 2003. Le rapport a été présenté aux ministres, Monsieur Jean-François Lamour et Madame Nicole Ameline, le 21 avril 2004. Deux commissions ont été constituées pour réfléchir, d'une part, à la place des femmes comme dirigeantes - cette commission est dirigée par Annie Courtade - et, d'autre part, à la pratique sportive des jeunes filles et des femmes dans les quartiers urbains sensibles. J'ai présidé cette dernière commission. Je contribue par ailleurs, depuis sept ans, aux travaux d'un centre de recherche et d'éducation par le sport dans le quartier des Minguettes, dans la banlieue lyonnaise. Cette expérience vise à la fois à aider les enfants de 6 à 12 ans à construire des règles à travers la pratique du football et à étudier particulièrement la pratique du sport par les jeunes filles.
Nous avons procédé à une soixantaine d'auditions dans le cadre de la commission « pratique sportive des jeunes filles et des femmes dans les quartiers urbains sensibles ». Six études ont, en outre, été menées notamment par le service des études statistiques du ministère des sports et auprès des services déconcentrés du ministère de la jeunesse, des sports et de la vie associative. Des enquêtes auprès des fédérations étaient par ailleurs destinées à mesurer l'évolution de la pratique sportive des jeunes filles durant les trois dernières années.
Monsieur Emmanuel Kessler a présenté des statistiques sur la place des femmes dans la pratique et l'encadrement sportifs. En réalité, en comptant la pratique dans les clubs, 48 % des sportifs sont des sportives. Ce chiffre ne se reflète pourtant pas dans la place des femmes dans les instances dirigeantes. En effet, les femmes ne représentent que 5 % des présidents de comités régionaux, départementaux et de fédérations,13,7 % des membres des bureaux, 3,5 % des présidents des fédérations et 3 % des directeurs techniques nationaux. Enfin, aucune femme ne dirige les services déconcentrés du ministère et les directions de la jeunesse et du sport.
Notre rapport, disponible sur le site Internet du ministère des sports, dresse des constats et formule des propositions.
Plusieurs propositions ont ainsi été formulées pour valoriser l'engagement des femmes dans le sport. Nous suggérons ainsi la création et l'attribution d'un trophée « femmes et sports » ainsi que l'organisation d'une journée dédiée aux femmes afin de valoriser la mixité.
Par ailleurs, un décret signé par Monsieur Jean-François Lamour, le 7 janvier 2004, a introduit le principe de proportionnalité dans le statut des fédérations. Le nombre des femmes dans les fonctions dirigeantes des fédérations devrait désormais refléter le nombre de licenciées d'ici 2008. Nous avons souligné la longueur de ce délai. Le ministre a précisé que des sanctions financières seraient mises en oeuvre à l'encontre des contrevenants.
Nous avons également insisté sur la création d'un réseau féminin aidant les femmes à prendre des responsabilités. Le nombre et le poids des responsabilités familiales ainsi que le mode de fonctionnement des instances dirigeantes, prévoyant notamment des réunions tardives, peuvent limiter la prise de responsabilité des femmes. Ces dernières mettent également en avant le manque de confiance en elles pour, par exemple, prendre la parole devant un public souvent majoritairement masculin. Nous avons ainsi envisagé un plan de formation et d'accompagnement destiné à aider les femmes en matière de prise de responsabilité. La création d'un système de parrainage et de tutorat nous a, en outre, paru intéressante afin que les femmes accédant aux postes de responsabilité soient accompagnées par celles qui sont déjà en place.
Concernant la pratique des jeunes filles dans les quartiers urbains sensibles, une enquête de l'Inserm montre que l'écart de pratiques sportives selon les genres est plus important parmi les populations d'origine étrangère. La différence est plus sensible parmi les 15/19 ans : 51 % des filles pratiquent du sport hors des ZEP et seulement 32 % en ZEP.
Les obstacles ont été clairement explicités durant les auditions et les enquêtes : ils sont d'ordre religieux, financier et s'ajoutent aux freins traditionnels à la pratique féminine ainsi qu'aux freins liés à l'offre sportive. Dans certaines communautés, les objectifs d'éducation des filles et des garçons sont différents rendant ainsi les freins budgétaires relativement peu déterminants. À budget égal, néanmoins, les familles choisissent d'inscrire prioritairement leurs fils plutôt que leurs filles à une activité sportive. En outre, certaines filles qui souhaitent pratiquer une activité sportive doivent s'opposer d'une certaine manière à leur famille et s'émanciper. Une jeune fille que je connais bien s'est ainsi inscrite dans un club de football lors d'un voyage de son père en Algérie.
Pour beaucoup, la cité est un lieu de domination territoriale. Malgré l'existence éventuelle de structures de sports de rue, ces dernières sont contrôlées par des bandes qui excluent les filles. Les sports de rue sont ainsi monopolisés par les garçons. Les filles qui tentent de les utiliser sont très rapidement insultées et ne souhaitent plus y retourner.
Par ailleurs, plusieurs conseillers d'orientation et responsables municipaux ont dénoncé l'abus de dispenses médicales délivrées aux filles. Ce phénomène est récent et conduit un certain nombre de jeunes filles à ne plus pratiquer les éducations physiques et sportives, surtout la natation.
M. Emmanuel KESSLER
Cette question a également été mise en exergue lors du débat sur la laïcité. Elle a conduit certaines municipalités à ouvrir des plages horaires réservées aux femmes dans les piscines municipales. Les pouvoirs publics devraient se prononcer à l'encontre de cette mesure.
Mme Béatrice CLAVEL
À cet égard, le ministère de l'intérieur et le ministère de la jeunesse et des sports élaborent conjointement une circulaire qui sera adressée aux préfets de régions et aux préfets des départements afin de conforter la position des élus locaux. Ces derniers peuvent, en effet, difficilement s'affirmer sans faire référence à un tiers.
Par ailleurs, des désordres vestimentaires comme la superposition de vêtements, même durant l'été, ou le port du voile par les filles lors de tournois de basket-ball ou de hand-ball, ont été signalés.
Enfin, les filles semblent peu apprécier pratiquer le sport avec des garçons.
Au regard de ces différents constats, le groupe de travail a émis un certain nombre de propositions.
La première proposition consiste à développer la mixité dans l'encadrement sportif. Cette proposition est commune aux deux groupes de travail puisque la nécessaire augmentation du nombre de femmes dans l'encadrement encouragera également les jeunes filles à pratiquer. Elles apprécient en effet qu'un encadrant, homme ou femme d'ailleurs, sache les écouter et adapter sa pédagogie en conséquence.
En second lieu, il convient d'améliorer la formation des éducateurs sportifs locaux car les formations fédérales ne permettent d'appréhender ni la pédagogie adaptée aux quartiers difficiles ni l'interculturalité.
Ensuite, il faut soutenir la pratique du sport en milieu scolaire. Les résultats des enquêtes menées auprès de l'UNSS durant les trois dernières années ne permettent pas de conclure à une diminution de la pratique sportive dans le cadre scolaire des jeunes filles des quartiers urbains sensibles. Il faut en outre encourager ces dernières à s'inscrire dans des clubs et des associations sportifs afin qu'elles puissent s'émanciper. Toutes les initiatives associant le sport scolaire et les clubs doivent ainsi être promues.
Enfin, il est indispensable de veiller à l'offre sportive, aux activités sportives comme aux lieux de pratique. Certains lieux de pratique sportive sont en effet rédhibitoires pour les jeunes filles lorsque, par exemple, les sanitaires ne sont pas séparés. Elles peuvent également refuser de prendre leur douche en commun et être obligées de rentrer chez elles.
Par ailleurs, l'enquête qui a également concerné les femmes a montré que l'offre sportive leur était totalement inadaptée. Les femmes souhaitent en effet pratiquer un sport afin de préserver leur santé et leur bien-être. Or, très peu d'offres publiques existent dans le domaine du sport/santé.
M. Emmanuel KESSLER
Les souhaits de pratiques sportives diffèrent donc entre les hommes et les femmes ?
Mme Béatrice CLAVEL
Ces souhaits diffèrent en effet selon le genre et, entre les femmes, selon l'âge. Les jeunes filles de toutes les origines pratiquent généralement un sport jusqu'à l'adolescence. C'est à cette période que leur pratique sportive décroît.
Il a en outre été noté que la nécessité de prendre les transports en commun constitue un frein à la pratique sportive. Les jeunes filles ne peuvent, en effet, se rendre dans les clubs qu'après l'école. La perspective de prendre seules les transports en commun à 21 ou 22 heures dans des quartiers sensibles constitue un réel obstacle. De nombreuses propositions ont ainsi été formulées afin de remédier à cela. En particulier, l'instauration d'horaires aménagés s'est révélée probante dans les sites pilotes. Ces horaires aménagés sont le cadre d'échanges entre écoles et clubs sportifs. Ils permettent aux jeunes filles de pratiquer les sports en club durant l'après-midi, ce qui lève la difficulté liée aux transports.
M. Emmanuel KESSLER
Je vous inviterai, ultérieurement, dans le cadre des débats avec la salle, à présenter votre expérience spécifique dans les Minguettes.
Madame Nina Charlier, vous êtes professeur d'éducation physique et sportive et membre du SNEP. Les constats exprimés par Madame Béatrice Clavel trouvent-ils un écho dans votre expérience ?
Mme Nina CHARLIER, professeur d'éducation physique et sportive au collège Langevin Wallon de Blainville-sur-Orne (Calvados)
C'est partiellement le cas. Il me semble que la problématique de l'EPS à l'école n'est pas du tout prise en compte.
Je vous remercie de m'avoir invitée. Je souhaite rendre justice à une discipline qui est au coeur de la problématique du colloque. L'éducation physique est, en effet, au carrefour de l'école et du sport. Qu'il s'agisse de violence, de santé ou de mixité, l'EPS mérite d'être étudiée. En conséquence, il me semble très dommageable que nous n'ayons pas été auditionnés lors de l'élaboration du rapport de la Délégation aux droits des femmes.
Je précise que le volume horaire de l'éducation physique des collégiens est aussi important que celui des cours de mathématiques. L'institution a ainsi choisi de mettre au premier plan cette discipline qui a trait non seulement aux compétences physiques des jeunes mais aussi à des sujets transversaux de citoyenneté ou de respect des règles.
De même, la discipline et ses enseignants méritent d'être étudiés concernant la parité. En effet, la discipline était, historiquement, entièrement paritaire. Deux concours de recrutement étaient organisés et des postes prévus pour les hommes et pour les femmes. Les établissements scolaires devaient respecter cette parité. Nous avons actuellement perdu et l'un et l'autre. Nous pouvons nous interroger sur les raisons de l'abandon de la parité en éducation physique et sportive, discipline sensible s'il en est. Quoi qu'il en soit, les importantes difficultés que nous rencontrons avec nos élèves actuellement n'existaient pas dix ans auparavant. Il est vrai que la société a évolué. Il convient, en tout cas, de justifier l'abandon de deux concours de recrutement distincts.
M. Emmanuel KESSLER
Les professeurs d'EPS du sexe féminin sont-elles majoritaires ?
Mme Nina CHARLIER
Les hommes enseignant l'EPS sont plus nombreux. La profession est jeune. Il serait judicieux que la parité soit de nouveau considérée.
Je souhaite, avant de présenter la spécificité de l'éducation physique et sportive, souligner un manque. Nous disposons, en effet, de nombreux bulletins de santé mais de peu d'ordonnances. Nous sommes confrontés à de très nombreux problèmes : de mixité, certes, mais aussi matériels - les installations sportives sont souvent insalubres et inadaptées - et liés à la violence. Nous travaillons souvent dans l'urgence et manquons de recherches pédagogiques et didactiques nous permettant d'aider l'ensemble des élèves à progresser.
Les cours d'EPS méritent d'être mieux considérés car ils sont spécifiques au sein de l'école et du sport en général.
En premier lieu, on apprend par le corps. Les savoirs moteurs sont sexués et sexuellement déterminés. Garçons et filles vivent des expériences corporelles différentes. Certains ignorent ces différences mais j'estime qu'il convient d'en tenir compte lorsque l'on enseigne. Les autres disciplines enseignent des savoirs extérieurs à la personne. En EPS, en revanche, l'objet et le sujet de l'enseignement sont confondus.
Ensuite, on apprend à partir des pratiques sociales. À ce titre, l'EPS et les activités artistiques représentent la vie en société. Je rappelle que les pratiques sociales sont historiquement sexuées. Le sport a en effet été créé par les hommes pour les hommes. Les filles et les femmes doivent y trouver leur place, ce qui n'est actuellement pas aisé. Les disciplines se féminisent certes mais selon des rythmes différents. Les activités sportives sollicitant la force physique et la puissance, l'haltérophilie ou la lutte par exemple, sont ainsi celles qui se féminisent le plus tardivement.
Enfin, on apprend en groupe. Alors que la solitude et l'isolement caractérisent les cours en salle de classe, où les élèves sont placés les uns derrière les autres, la solidarité est fondamentale en EPS. Les élèves développent des interactions nourries notamment par leurs représentations des relations sociales et de l'activité sportive. Les enseignants d'EPS doivent ainsi gérer de nombreuses difficultés : violences entre élèves, problèmes d'espace ou simplement de vestiaires. Je pense que les autres enseignants ne sont pas confrontés de la même manière que nous à ces questions.
Ces trois dimensions font de l'EPS une discipline fortement sociale, à défaut d'être une discipline socialisable, comme nous tentons de l'imposer.
Je pense qu'au-delà d'une réflexion interdisciplinaire sur la mixité, il convient d'approfondir l'analyse spécifique concernant l'enseignement de l'EPS. La mixité est très récente en EPS. Cela illustre la difficulté pour les enseignants de travailler à la fois avec les garçons et les filles et de déterminer un programme commun d'activités. Malgré l'insuffisance de leur formation en la matière, je pense que les enseignants doivent analyser les disciplines sportives qu'ils proposent aux élèves. Un programme composé essentiellement de football, de rugby et de lutte ne laisserait pas beaucoup de place aux filles. À l'inverse, un programme d'activités comportant de la danse, de la GRS et de la gymnastique ne laisserait pas non plus beaucoup de place aux garçons.
M. Emmanuel KESSLER
Pensez-vous que certaines disciplines sont plus naturellement dédiées aux filles ou aux garçons ?
Mme Nina CHARLIER
Certaines disciplines ont, historiquement, été constituées par les hommes ou par les femmes. Je regrette que le sport soit en quelque sorte un conservatoire des idées. Il convient de développer le sport à l'école pour remédier à cela.
Par ailleurs, l'école a inventé la mixité par le sport scolaire. A contrario , les garçons et les filles ne pratiquent pas le sport ensemble hors de l'école et lors des compétitions. Le sport a inventé les sports pour les filles, d'une part, et les garçons, d'autre part, mais il n'a pas inventé la mixité.
M. Emmanuel KESSLER
Les garçons et les filles participent séparément aux compétitions sportives car leurs performances ne sont pas les mêmes. Les femmes n'ont pas les mêmes performances que les hommes à Roland-Garros.
Mme Nina CHARLIER
Cela est-il déterminant ? L'essentiel est que tous acquièrent des compétences identiques. La question primordiale est de savoir comment faire pour que garçons et filles acquièrent les mêmes compétences dans le cadre d'une culture commune. Je réitère mon souhait de voir davantage de recherches concernant la problématique de l'égalité d'accès aux compétences. Des garçons sont d'ailleurs aussi en difficulté en EPS. Il semble que ces difficultés sont presque plus douloureuses pour l'identité des garçons que des filles car ces dernières sont considérées comme rencontrant naturellement des obstacles dans cette matière.
Un groupe de réflexion réunissant des enseignants de l'académie préoccupés par cette question de l'égalité d'accès à la compétence a ainsi été constitué pour approfondir notre analyse concernant nos pratiques et attitudes, qu'elles soient conscientes ou non. À ce titre, nous avons besoin de l'appui des chercheurs.
Enfin, le sport scolaire a inventé la mixité. Des compétitions mixtes, de rugby ou de football, existent et peuvent être organisées au sein des écoles.
M. Emmanuel KESSLER
Je tempère mes propos concernant Roland-Garros car un tournoi de double mixte y est organisé. C'est d'ailleurs une des catégories les plus amusantes du tournoi.
Mme Béatrice CLAVEL
Nous avons été attentifs au sport scolaire dans le cadre de l'élaboration de notre rapport. Notre troisième proposition sur le soutien de la pratique sportive à l'école en témoigne. Nous avons insisté sur l'importance du milieu scolaire dont l'influence favorise la pratique du sport par les adolescentes.
DÉBAT AVEC LA SALLE
Mme Isabelle COLLET, bureau de l'association Les Chiennes de garde
Je rappelle que l'exemple doit venir du plus haut niveau.
Nous avons défendu deux sportives du lancer de marteau qui, après avoir subi des viols collectifs dans leur équipe olympique, ont dû abandonner leur carrière pour pouvoir porter plainte. Elles ont eu de grandes difficultés à se faire entendre. Elles ont, de surcroît, vu leurs agresseurs défiler sous le drapeau français lors des derniers Jeux Olympiques. Je tenais à relever le machisme féroce qui règne dans le milieu sportif, et la manière dont les femmes y sont traitées.
Madame Marylib BALDECK, chargée de mission à l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT)
Mon intervention prolonge la précédente. Les difficultés de Catherine Moyon de Baecque n'ont toujours pas pris fin puisqu'elle est actuellement victime de harcèlement moral de la part du ministère des sports.
L'AVFT soutient des femmes qui ont eu le courage d'intégrer des milieux traditionnellement non mixtes et qui en payent un prix très élevé sur leur personne, puisqu'elles sont victimes de violences sexistes et sexuelles. Les structures d'encadrement souffrent d'un manque manifeste de préparation à ce sujet. Tant l'encadrement des lycées professionnels que celui des entreprises se renvoient la responsabilité en cas de violences.
Comment articuler mixité, violence et intégration des femmes dans des milieux traditionnellement plus masculins ?
M. Jean-Pierre LEPOIX, responsable national du Syndicat national de l'éducation physique (SNEP/FSU)
L'association EPS et Société traite des relations entre l'éducation physique et la société.
En premier lieu, je note que la parité à la tribune a été abandonnée lors de cette seconde table ronde.
M. Emmanuel KESSLER
Il est vrai que je suis minoritaire. Je n'ai pas lieu de m'en plaindre.
M. Jean-Pierre LEPOIX
La composition de la tribune n'est peut-être pas tout à fait innocente. Cela illustre sans doute le fait que le monde scolaire et sportif véhicule encore des séparations strictes.
Concernant les leviers destinés à accroître la responsabilité des femmes dans le milieu sportif, il me semble que l'organisation de réunions tardives peut aussi être un moyen pour les femmes d'exprimer leur volonté et de se soustraire des tâches ménagères. Je pense qu'il est judicieux de conduire un questionnement contradictoire et dynamique pour toute proposition.
Ensuite, je travaille dans un lycée qui valorise l'intégration et la mixité entre valides et personnes handicapées. Accueillir des élèves handicapés moteurs en EPS relève d'une double mixité : celle des valides et des handicapés ainsi que celle des garçons et des filles confrontés à la tâche d'intégrer des élèves handicapés moteurs dans une activité sportive. De tels espaces de progression - prometteurs - existent.
En quatrième lieu, au-delà de l'adage qui veut que l'on s'enrichisse des différences, il convient de définir ce qu'implique concrètement pour les professeurs de chaque discipline d'enseigner les différences. Cela constitue-t-il un enjeu dans la manière dont on aborde l'acquisition des connaissances ?
Par ailleurs, je note l'existence d'un discours relativement dominant et un peu victimiste. Les femmes doivent mener un combat que nul ne saurait mener à leur place. Quelle est la part des hommes dans cette lutte? Comment les sollicite-t-on pour qu'ils prennent part au combat visant à instaurer l'égalité des chances en matière scolaire et sociale ?
Enfin, contrairement à ce qui a été prouvé dans les autres disciplines, les résultats des garçons en EPS sont meilleurs que ceux des filles. Nous devrions y réfléchir ensemble.
M. Emmanuel KESSLER
La Délégation aux droits des femmes est composée d'une majorité de femmes. Néanmoins, 16 hommes contribuent à ses travaux visant à promouvoir l'égalité.
Mme Nicole MOSCONI
Je ferai partie du jury d'une thèse qui sera soutenue par une formatrice en STAPS dans quelques jours. Elle étudie les différences de résultats sportifs entre filles et garçons au baccalauréat. Dans ce cadre, elle essaie de comprendre de manière précise et intelligente l'influence des pratiques pédagogiques des enseignants d'EPS sur ces résultats. Elle formule, enfin, un certain nombre de propositions pour remédier à cela.
Par ailleurs, je note que la parité n'est pas non plus respectée dans l'auditoire.
Mme Catherine DAUNY
La réussite des garçons en EPS et leur relatif échec à l'école nous obligent à nous interroger concernant l'évaluation globale. Intégrant dans un établissement spécialisé de jeunes valides qui ne trouvent pas de place dans d'autres lycées, les professeurs d'EPS de mon établissement évaluent intelligemment l'ensemble des élèves, puisque leur appréciation est fondée sur la progression de chaque élève et non en fonction des performances du groupe. Dans le cadre des disciplines collectives, les équipes sont composées de manière à ce que chacun ait sa place et y trouve son compte. Je pense que l'éducation nationale devrait réfléchir davantage à l'évaluation globale.
Par ailleurs, le milieu professionnel est complexe pour les jeunes. Il conviendrait de mieux préparer les jeunes des lycées professionnels au monde du travail. Il faut toutefois noter qu'il est difficile de préparer les jeunes filles à intégrer un milieu professionnel traditionnellement réservé aux hommes car nous ne connaissons pas toujours la voie suivie par ces jeunes qui, d'ailleurs, ne travaillent pas toujours immédiatement. Je pense que ces jeunes ont l'occasion, lors des stages, de constater les difficultés supplémentaires auxquelles elles peuvent être confrontées dans le milieu professionnel. Ainsi, le retour d'expérience après les stages est important pour connaître la situation mais je ne pense pas que nous puissions avoir une grande influence dans ces milieux très masculins.
Mme Nina CHARLIER
En EPS, l'écart représente en moyenne 1,2 point au détriment des filles au baccalauréat. Malheureusement, il me semble qu'aucune enquête de ce type n'a été menée pour le brevet des collèges.
Tant que les activités physiques et sportives proposées aux élèves ne seront pas plus diversifiées, la situation restera problématique. L'académie de Caen est par exemple pilote quant à la mixité. Pour autant, seuls 12 % des établissements scolaires enseignent la danse au collège. Ce constat est redoutable et explique les écarts de résultats. Nous espérons faire progresser les filles mais il est parallèlement indispensable que le choix des activités par les équipes pédagogiques soit plus judicieux.
La responsabilité des enseignants est évidente, comme le rappelait Madame Nicole Mosconi, et ce, dans toutes les disciplines. Les écarts en orthographe sont plus considérables qu'en EPS mais nul n'y prête attention, comme si la question n'était pas, dans ce domaine non plus, sexuée. J'ai ainsi constaté trois points d'écart de moyenne entre les garçons et les filles de sixième en orthographe. J'invite tous les responsables à s'interroger à cet égard car si les enseignants d'EPS sont au carrefour de toutes les disciplines, ils ne peuvent, seuls, faire évoluer les élèves. Le niveau de compétences exigible devrait être défini dans toutes les disciplines sous peine de continuer à victimiser les filles sous le prétexte qu'elles sont naturellement moins douées que les garçons dans certains domaines.
Je répète qu'il faut, en premier lieu, que les programmes scolaires visent à adapter les activités. Ensuite, il convient d'encourager les chercheurs à étudier le contenu des programmes et les modes d'enseignement. Enfin, il faut savoir que 32 minutes d'éducation physique sont dispensées en moins depuis dix ans. L'on ne peut espérer améliorer les compétences sportives des filles dans ces conditions, d'autant plus que les familles n'encouragent pas les petites filles à pratiquer des activités sportives et physiques.
M. Emmanuel KESSLER
Annabelle Echappé, pouvez-vous nous décrire l'enseignement du sport dans votre lycée ? Pouvez-vous pratiquer toutes les disciplines sportives ? Existe-t-il des différences entre filles et garçons ?
Mlle Annabelle ECHAPPE
Les filles tendent à refuser les sports de garçon. Elles n'ont, par exemple, pas voulu pratiquer la lutte.
M. Emmanuel KESSLER
Étiez-vous prête vous-même à pratiquer la lutte ?
Mlle Annabelle ECHAPPE
Oui. Je n'y vois pas d'objection.
M. Emmanuel KESSLER
Dans votre lycée, filles et garçons pratiquent-ils des sports différents ?
Mlle Annabelle ECHAPPE
Notre classe compte un seul garçon. Il n'y a donc aucune différence. Nous avons pratiqué cette année du volley-ball, du basket-ball ou du tennis de table.
M. Emmanuel KESSLER
Pensez-vous qu'il y ait des sports de fille et des sports de garçon ?
Mlle Annabelle ECHAPPE
Je ne pense pas. Il a été décidé d'emblée de qualifier certaines disciplines comme étant des sports de fille en pensant qu'elles seraient peut-être plus à l'aise, mais je ne pense pas qu'il y ait des sports de fille ou des sports de garçon.
M. Emmanuel KESSLER
N'hésitez pas à intervenir pour souligner ce qui vous paraît contestable.
J'invite Madame Hélène Luc à prendre la parole.
Mme Hélène LUC
Je prie les participants de bien vouloir excuser mon absence momentanée. Je connais Madame Nicole Mosconi pour avoir lu ses ouvrages et parlé de ses travaux en délégation. Lorsque j'ai lu ses ouvrages pour la première fois, j'ai noté que les enseignants n'ont ni les mêmes attentes ni les mêmes critères de progression vis-à-vis des filles et des garçons. Cela m'a surpris et interpellé. Cette inégalité exige une analyse approfondie et des solutions.
Je suis sénatrice du Val-de-Marne et membre de la Délégation aux droits des femmes. J'ai assisté à toutes les réunions de travail de la Délégation qui ont été menées à un rythme soutenu durant huit semaines, alors que le débat sur la laïcité avait parallèlement lieu. La richesse et l'intérêt de nos débats étaient tels que nous ne nous quittions que difficilement.
Nous avons tous convenu, y compris les représentants des syndicats de l'enseignement privé catholique, qu'il n'était pas question de mettre en cause la mixité car elle représente un progrès. Ce consensus est extrêmement positif.
Nous avons également rappelé que la mixité a été imposée pour des questions budgétaires, sans travail de réflexion et d'adaptation. Les mesures adéquates n'ont donc pas été mises en oeuvre afin que la mixité puisse conduire à l'égalité entre filles et garçons.
La précédente table ronde a montré qu'il est malaisé de différencier la problématique de la mixité à l'école, à l'hôpital ou dans le cadre d'activités sportives. Le problème est en effet global.
Madame Nicole Mosconi a intitulé une de ses interventions « Pas de démocratie sans mixité ». À mes yeux, nous pouvons également affirmer qu'il n'y a pas de mixité sans démocratie. La mixité ne pourra, en conséquence, progresser que parallèlement à l'évolution de la justice sociale. En outre, la mixité s'appréhende au regard des problèmes sociaux qui ne se posent pas de la même manière que ce soit dans des quartiers de Paris ou en banlieue. J'habite à Choisy-Le-Roy qui est une commune limitrophe de Vitry, où une jeune fille a été brûlée vive dans un local à poubelles. Cet événement était dramatique. Les jeunes filles qui ont ensuite manifesté leurs sentiments et leur colère nous ont remercié de notre soutien tout en soulignant leur désarroi. Elles devaient en effet continuer à vivre dans des cités où elles ne sont pas respectées. Je considère que la mixité doit contribuer au respect des filles et des garçons. L'apprentissage de la mixité peut être fait à l'occasion de tous les cours - et notamment d'éducation physique -, lors de toutes les interactions - en récréation ou lors des repas. Je souligne, à cet égard, que comme vice-présidente du conseil général du Val-de-Marne, j'ai décidé, avec d'autres élus, de veiller, par exemple, à un meilleur aménagement des sanitaires pour les filles que pour les garçons car elles en ont besoin. Il s'agit d'une mesure simple mais elle est importante pour témoigner du respect dû aux filles.
Par ailleurs, le sort des jeunes filles diplômées qui ne trouvent pas le poste qu'elles souhaitent parce que la préférence est accordée à un homme ou parce que son éventuelle grossesse est considérée comme un handicap a été largement évoqué. L'hémicycle comptait plus de 500 femmes le samedi 12 juin puisque, outre les 321 « sénatrices », de très nombreuses femmes remplissaient les tribunes. Plusieurs d'entre elles ont témoigné de l'inégalité professionnelle qu'elles subissent durant les recrutements et en matière salariale. Il est d'ailleurs étonnant que, même au sein d'EDF-GDF, une femme ingénieur ne gagne pas autant que son collègue masculin.
M. Emmanuel KESSLER
Au regard des délais qui nous sont impartis et du nombre de questions qui restent à poser, je vous invite à conclure brièvement.
Mme Hélène LUC
Il me semble que les professeurs d'EPS sont justement ceux qui sont obligés de traiter de la mixité. Leur travail me paraît remarquable.
Les femmes ont été longtemps écartées du sport. Bien que la mixité soit actuellement mieux admise, les femmes sont toujours deux fois moins nombreuses que les hommes à détenir des licences sportives. Elles sont, en outre, trois fois moins nombreuses à participer à des compétitions. Elles restent enfin très minoritaires dans les instances dirigeantes sportives. Un travail considérable reste en conséquence à accomplir.
J'espère que ce colloque n'est qu'un début. Nous n'avons d'ailleurs pas pu auditionner toutes les fédérations sportives ni le président du Comité national olympique français.
Pour conclure, je souligne qu'il serait préférable, en matière de mixité, de ne pas se limiter à une simple dénonciation de l'attitude des garçons. Il convient de repenser l'éducation nationale ainsi que notre « vivre ensemble ». Je regrette que les hommes ne soient pas plus nombreux lors de ce colloque mais cela est représentatif d'un fait de société. La manifestation de samedi n'a d'ailleurs réuni, elle aussi, que très peu d'hommes.
Les auditions menées par la Délégation et le présent colloque m'ont paru passionnantes. J'espère qu'elles nous feront progresser. Je vous invite à nous soumettre vos propositions et vos commentaires afin que nous poursuivions le débat.
M. Emmanuel KESSLER
Je vous remercie d'avoir ainsi présenté les activités de la Délégation aux droits des femmes. Il est vrai que le présent colloque compte peu d'hommes mais ils sont valeureux.
M. Georges GINOUX
Étant le seul sénateur de la salle, je me sens obligé d'intervenir. Je ne suis en outre sénateur que depuis un mois. Je serai donc très prudent.
Je suis tout à fait partisan de la mixité. J'ai apprécié l'intervention de Madame Catherine Dauny concernant la nécessité de préserver des temps et des lieux de non-mixité. Malgré tout, j'observe, en effet, que mes petites filles préfèrent jouer à la poupée tandis que mes petits-fils préfèrent jouer au football. Je pense qu'il convient d'en tenir compte concernant les pratiques sportives des enfants.
M. Emmanuel KESSLER
Je vous remercie. Vos propos semblent soulever des contestations de la part des participantes.
M. Serge CHABROL, responsable national du Syndicat national de l'éducation physique (SNEP/FSU)
L'idée de réserver des espaces aux unes et aux autres à leur demande m'a tout d'abord semblé séduisante. À la réflexion finalement, cette idée me paraît maintenant dangereuse. Dans le lycée professionnel dans lequel j'enseigne, en effet, je pense que les élèves exprimeront leur souhait en fonction de leur communauté d'origine. Les cours de récréation sont devenus des lieux de séparation entre communautés d'origine turque, maghrébine ou africaine.
M. Emmanuel KESSLER
S'agit-il d'une sorte de communautarisme à l'intérieur de l'établissement ?
M. Serge CHABROL
Tout à fait. Ce phénomène, très inquiétant, n'existait pas il y a vingt ans. De même, la réservation d'espaces pour les femmes dans les piscines me semble dangereuse.
Par ailleurs, le comportement des enseignants d'EPS et le choix des activités sportives favorisent en effet la réussite des garçons. La thèse citée précédemment sera très intéressante à cet égard. La réussite des garçons par rapport aux filles est également favorisée par une pratique extrascolaire plus importante. Cela a été dit. Inversement, la meilleure réussite des filles en orthographe est liée au fait qu'elles lisent davantage que les garçons. L'école ne peut tout résoudre. Il est donc intéressant que le ministère des sports étudie également ces questions.
Enfin, Madame Catherine Dauny souligne que l'évaluation des élèves de son établissement est réalisée en fonction de la progression des intéressés. Cette mesure semble a priori satisfaisante mais résoudra-t-elle l'inégalité entre les filles et les garçons ? Une note identique pourrait, en effet, être attribuée à deux élèves quel que soit le niveau de compétences acquises par l'un et l'autre si seule la progression est évaluée. Cela serait injuste.
Nous souhaitons que les compétences à acquérir aux différents niveaux de scolarité soient définies pour les filles comme pour les garçons. L'égalité entre les filles et les garçons pourra être atteinte lorsque nous nous donnerons les moyens de permettre à tous d'accéder à ces compétences. En mathématiques d'ailleurs, la question de fonder les notes essentiellement sur la progression ne se pose pas. L'évaluation est fonction dans cette discipline de la maîtrise ou non d'un théorème. Il est par conséquent essentiel, comme l'affirmait Madame Nina Charlier, de définir les compétences à acquérir pour faire progresser l'égalité.
M. Emmanuel KESSLER
Pour faire écho à votre intervention concernant les horaires réservés dans les piscines, Madame Nicole Ameline, ministre de la parité et de l'égalité professionnelle indiquait, lors de son intervention au Sénat le 29 avril : « s 'agissant de l'utilisation d'espaces séparés dans les piscines, une circulaire sera prochainement envoyée par le ministre des sports aux préfets pour décourager les pratiques séparées ». Cette circulaire est en cours d'élaboration et sera probablement envoyée avant la rentrée.
Mme Catherine GUYOT, présidente de l'association Recherches sur la ville et l'habitat (ARVHA)
L'ARVHA est proche de l'association des femmes diplômées puisqu'elle est dédiée aux femmes architectes. Nous menons un programme IQUAL intitulé « accompagnement des jeunes et des femmes vers les métiers de la réhabilitation » en collaboration avec différentes associations et opérateurs du bâtiment, afin de promouvoir la place des femmes dans ces métiers. Nous avons dû faire face à de nombreuses réticences. L'ordre des architectes a, par exemple, refusé qu'une exposition sur les femmes dans le bâtiment soit organisée dans ses locaux. Cet ordre a pourtant récemment inauguré la maison de l'architecture ouverte aux associations mais apparemment fermée aux associations féminines, et surtout féministes. Malgré tout, nous exposerons dans les mairies parisiennes, notamment dans la mairie du XIX e arrondissement, le 16 juillet. Une grande exposition, intitulée « Construire en parité », sur les différents métiers du bâtiment exercés au féminin sera organisée dans la mairie du IX e arrondissement. Enfin, un colloque sur « Les femmes dans le bâtiment » sera organisé le 13 septembre au grand auditorium de Paris. Je me tiens à votre disposition car nous souhaitons inviter le plus grand nombre possible de participants.
Nous oeuvrons pour que les femmes soient présentes dans toutes les instances et tous les métiers du bâtiment, dans les métiers techniques, d'ingénieurs, architectes, chefs de chantier ou conducteurs de travaux. Dans ce dessein, nous travaillons en coopération avec des partenaires italiens et espagnols. Un nouvel EQUAL en collaboration avec la confédération des petites et moyennes entreprises du bâtiment sera mis en oeuvre.
Madame Nicole Ameline a annoncé qu'un label « égalité des chances » serait ultérieurement décerné aux entreprises méritantes. J'estime qu'un effort conséquent doit, en outre, être mené auprès du public scolaire et enseignant. Notre prochaine cible sera constituée des responsables d'orientation et des enseignants pour démystifier les métiers du bâtiment et promouvoir l'accès des femmes à ces métiers. D'une part, en effet, les entreprises ont besoin de personnel qualifié. D'autre part, l'accès des femmes aux métiers du bâtiment permettrait de réduire le niveau de chômage. Tout concourt ainsi à la mixité dans les métiers du bâtiment mais elle n'est pas encore instaurée.
M. Emmanuel KESSLER
Avez-vous constaté une progression de l'insertion des femmes dans les métiers du bâtiment ?
Mme Catherine GUYOT
La progression est minime. Seules 51 ou 55 % des architectes mènent des études et seules 9 % ouvrent un cabinet d'architecte. Les femmes sont donc soit salariées, soit collaboratrices. Les femmes représentent 9 % des professionnels du bâtiment, tous corps d'Etat confondus. Elles comptent pour 1 % des apprentis et des ouvriers. Elles sont également peu nombreuses dans les fonctions techniques d'architecte ou de chefs de chantier. Elles travaillent principalement dans les secrétariats. Elles intègrent quelquefois une administration où leur diplôme d'architecte n'est plus mis en valeur.
M. Emmanuel KESSLER
Je vous remercie pour ces précisions qui complètent les propos relatifs aux métiers peu accessibles aux femmes.
Mme Marie-Josée GRANDJACQUES, présidente de l'association Femmes 3 000
Je me réjouis de constater que le Sénat fait preuve de dynamisme en matière d'égalité des sexes et de promotion des femmes. J'avais fait le siège des sénateurs - en particulier de droite - lors du débat sur la parité au terme duquel ils ont voté favorablement. Je suis également ravie que les sénatrices aient abordé la question de la mixité. Enfin, un sénateur m'a par ailleurs confié la mission de mettre en valeur des femmes françaises établies à l'étranger. Je puis vous assurer que je mets tout en oeuvre dans ce dessein.
Il est demandé aux autorités, au gouvernement ou au Sénat d'agir. Ne croyez-vous pas que les familles ont également un rôle en matière de parité ? J'ai été invitée à l'Institut d'études politiques où une étude a été réalisée par des jeunes filles sur l'avenir de la promotion féminine de 1998 et 2004. Malheureusement, aucun jeune homme n'a assisté à la présentation qui était pourtant fort intéressante. Il faudrait que les hommes soutiennent davantage nos initiatives. Les résultats de l'étude ont montré que tous les étudiants de l'IEP préparent l'ENA mais seules 30 % des étudiantes intègrent cette école, car les pressions des parents semblent être moins importantes vis-à-vis des filles que des garçons. Je pense que cette attitude des parents est générale et concerne tous les domaines. Le Sénat et le gouvernement doivent certes oeuvrer pour l'égalité entre les hommes et les femmes mais les mentalités doivent également évoluer. Monsieur le Sénateur, je pense que ce sont les parents qui donnent les poupées aux filles.
M. Emmanuel KESSLER
Mes trois garçons ont tous beaucoup joué avec des poupées Barbie. Je signale simplement qu'ils n'y jouaient pas tout à fait de la même façon que les filles...
Mme Nicole MOSCONI
Je pense, à l'instar de Madame Catherine Dauny, qu'un des problèmes fondamentaux du système scolaire est la formation des enseignants. Nous ne pouvons le reprocher aux responsables politiques. La convention de 2000 est d'ailleurs un texte remarquable car il plaide pour la formation initiale et continue des enseignants et de tout le personnel de l'éducation nationale, dont les conseillers d'orientation, car leurs conseils ne sont pas toujours heureux. Il faut reconnaître, à cet égard, les importantes réticences de la haute administration de l'éducation nationale, des directeurs d'IUFM et des formateurs. Un certain nombre de personnes, comme Madame Zancarini-Fournel, s'évertuent, pour l'instant en vain, à faire appliquer cette convention qui prévoit un module de formation obligatoire des enseignants. L'application concrète des textes est très difficile. Je pense qu'il convient de s'y atteler.
Mme Nina CHARLIER
La formation est, en effet, un enjeu fondamental. Sans formation, nous ne pouvons prendre conscience de la manière dont nous interagissons avec les élèves ni identifier les effets de notre enseignement. Nous réglons en effet prioritairement et fréquemment de nombreuses urgences liées à la santé des jeunes ou à leur sécurité, d'autant que notre espace de travail est plus large que celui d'une salle de classe. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons ardemment l'aide des chercheurs et des pédagogues.
Quelques collègues se sont préoccupés de pédagogie en entamant une démarche de recherche/action. Ils se sont aperçus, par exemple en escalade, que les différents membres d'une classe mixte grimpaient de manière différente. Je trouve cet exemple plutôt significatif. Il convient de s'intéresser aux stratégies spécifiques mises en oeuvre par chaque débutant. Il faudrait que d'autres mènent ce type de recherche. Nous ne pouvons tout faire.
Le groupe informel de recherche/action constitué dans l'académie de Caen a identifié quatre mesures nécessaires. En premier lieu, il faut développer l'ancrage culturel. Il ne s'agit pas de dénaturer des activités pour les rendre accessibles aux filles. Ensuite, il faut développer les cultures communes car il n'existe aucune raison pour interdire le football aux filles. Cela est évidemment aisé à affirmer et difficile à concrétiser. Je pense, de surcroît, que le football est loin d'être idéal pour favoriser la mixité mais les filles devraient pouvoir y avoir accès. En troisième lieu, il faut créer le besoin de l'autre, que cet autre soit une fille ou un garçon mais aussi un élève plus faible ou un élève plus fort. Nous travaillons souvent par équipes ou par duo. Il serait par conséquent judicieux de préparer les cours en tenant compte de la meilleure organisation possible. Il est impossible de laisser cette organisation au hasard. Enfin, il faut développer les compétences. Il est certain que les garçons ne souhaiteront jouer au football avec les filles si leur compétence n'est pas probante. Les filles sont généralement cantonnées à des rôles minoritaires en sport collectif : elles sont gardien de but ou défenseurs et ne reçoivent pas le ballon. Si elles ne peuvent avoir le ballon à l'école primaire, il est normal qu'elles soient distancées en terminale.
Pour conclure, je souhaite souligner que les filles sont une chance pour le sport, et inversement.
M. Emmanuel KESSLER
Annabelle Echappé, vous avez très attentivement écouté toutes les interventions, pouvez-vous conclure la table ronde ? Il vous reviendra de poursuivre le combat. Qu'avez-vous pensé de ce colloque ?
Mlle Annabelle ECHAPPE
J'espère que les mentalités, notamment celles des parents, évolueront. Je pense en effet que l'éducation est primordiale.
M. Emmanuel KESSLER
Quelle formation envisagez-vous de suivre ?
Mlle Annabelle ECHAPPE
Je souhaite devenir éducatrice spécialisée auprès des personnes handicapées ou des jeunes en difficulté.
M. Emmanuel KESSLER
Madame Catherine Dauny pourra vous informer à ce sujet. Je vous remercie de votre témoignage.
J'invite la dernière intervenante à s'exprimer très brièvement.
Mme Thérèse VAN LUNEN-CHENU, coordinatrice à l'unité de recherche et de documentation Genres en christianisme
Le thème de la religion n'a pas encore été abordé. Il n'est pas question de parler des lois ou coutumes particulières à une religion mais de l'interface entre la société et l'église. Il y aurait beaucoup à dire. On pourrait indiquer que ce qui a été décrit dans le milieu sportif se retrouve également dans certaines religions, dont la religion catholique. Nous sommes soucieux du poids sacralisé de certains stéréotypes qui sont maintenus par certaines religions - notamment par la religion catholique, dominante en France - et ceci, indépendamment de la pratique religieuse. J'insiste à cet égard. Mon propos est de souligner le poids sacralisé des modèles religieux à l'interface de l'église et de la société. Pauvres hommes qui ne sont pas doués pour les services ou l'altruisme ! Pauvres femmes qui ne sont pas douées pour intervenir dans les instances de décision et de réflexion centrales ! Pauvres femmes qui sont toujours tenues pour indignes et donc incapables et impures en matière de médiation du sacré !
À l'interface de la société et de l'église, je souhaite que les instances officielles ne se satisfassent plus d'une représentation uniquement masculine lorsqu'elles procèdent à des consultations. Nous avons porté cette demande à l'Union européenne, au Parlement européen et au niveau national.
M. Emmanuel KESSLER
Votre remarque est d'autant plus la bienvenue qu'elle prolonge les propos de Monsieur Maurice Toullalan quant à la nécessité de ne pas stigmatiser une seule religion. L'Islam a beaucoup été cité. Le poids culturel, celui des stéréotypes, influence encore la mentalité collective et l'imaginaire, quel que soit notre univers religieux, qu'on le veuille ou non, et malgré la séparation plus que centenaire de l'Eglise et de l'Etat en France.
Pour conclure ces débats très riches, Madame Gisèle Gautier en soulignera les enseignements et tracera les perspectives d'action de la Délégation aux droits des femmes.