b) Le tropisme vers le choix « anglais LV1 - espagnol LV2 »
(1) Le couple anglais - espagnol dominant
La
volonté affichée de diversifier les langues enseignées a
conduit dans le second degré à de bien piètres
résultats : dans les faits, l'hégémonie de l'anglais
et de l'espagnol se renforce, et la part laissée aux autres langues
reste négligeable :
-
de dominant, l'anglais est en passe de devenir
hégémonique
: 97 % des élèves
l'étudient en LV1 ou LV2 ; le poids de l'anglais est
particulièrement écrasant
en LV1
: il concerne
plus de 90 %
des collégiens, et près de 89 % des
élèves de lycées d'enseignement
général ;
-
l'espagnol consolide d'année en année sa position de
LV2 majoritaire
: 62 % des lycéens des filières
générales et technologiques optent en faveur de l'espagnol,
et près de
70 % des collégiens,
ce qui laisse
présager un renforcement de la tendance dans les années à
venir ;
RÉPARTITION DES ÉLÈVES DE SIXIÈME
SELON LA PREMIÈRE LANGUE ÉTUDIÉE (EN %)
(France
métropolitaine - Public + Privé)
|
1990-91 |
1995-96 |
1999-2000 |
2001-2002 |
Anglais |
86,1 |
88,1 |
89,7 |
90,5 |
Allemand |
12,7 |
11,0 |
9,4 |
8,7 |
Espagnol |
0,8 |
0,7 |
0,7 |
0,7 |
Italien |
0,1 |
|
|
0,1 |
Autres langues |
0,3 |
0,2 |
0,2 |
0,2 |
RÉPARTITION DES ÉLÈVES DE
QUATRIÈME
SELON LA DEUXIÈME LANGUE ÉTUDIÉE
(France
métropolitaine - Public + Privé)
|
1990-91 |
1995-96 |
1999-00 |
2001-2002 |
Allemand |
27 |
20,1 |
15,4 |
13,6 |
Anglais |
16 |
13,4 |
10,8 |
9,6 |
Espagnol |
52 |
59,3 |
66,3 |
69,1 |
Italien |
6 |
6,9 |
6,9 |
7 |
- la tendance est encore plus marquée dans les lycées professionnels , où le choix de l'anglais en première, et souvent unique, langue est presque unanime (95 % environ des effectifs) ; quant aux élèves qui étudient une seconde langue, ils se tournent encore plus massivement vers l'espagnol (74 %)...
RÉPARTITION DES EFFECTIFS EN LV1 À LA
RENTRÉE 2002 (EN %)
France métropolitaine + DOM -
Public+Privé
|
Allemand |
Anglais |
Arabe |
Espagnol |
Italien |
Portugais |
Russe |
Autres langues étrangères |
Collèges |
8,75 |
90,38 |
0,02 |
0,7 |
0,06 |
0,01 |
0,06 |
0,02 |
Lycées d'enseignement général et technologique |
10,41 |
88,57 |
0,02 |
0,72 |
0,07 |
0,02 |
0,09 |
0,1 |
Lycées professionnels |
2,97 |
94,95 |
- |
1,91 |
0,12 |
- |
- |
0,05 |
RÉPARTITION DES EFFECTIFS EN LV2 À LA
RENTRÉE 2002 (EN %)
France métropolitaine + DOM - Public +
Privé
|
Allemand |
Anglais |
Arabe |
Espagnol |
Italien |
Portugais |
Russe |
Autres langues étrangères |
Collèges |
13,15 |
9,44 |
0,1 |
69,83 |
7,01 |
0,11 |
0,12 |
0,24 |
Lycées d'enseignement général et technologique |
19,93 |
12,16 |
0,12 |
61,88 |
5,39 |
0,07 |
0,2 |
0,25 |
Lycées professionnels |
13,46 |
7,26 |
- |
73,93 |
4,61 |
- |
- |
0,74 |
A en faire oublier qu'un nombre pléthorique de langues peut officiellement être proposé : un bel effet d'affichage, qui ne suffit pas pour que la France fasse exception en Europe à la prédominance de l'anglais.
UNE OFFRE THÉORIQUE DE LANGUES VIVANTES A PRIORI EXEMPLAIRE EN EUROPE
Les
programmes officiels se déclinent dans un éventail
très large de langues susceptibles d'être proposées aux
élèves dans les collèges et lycées :
- en LV1, les élèves peuvent théoriquement porter leur
choix sur non moins de 12 langues étrangères (allemand, anglais,
arabe, chinois, espagnol, hébreu moderne, italien, japonais,
néerlandais, polonais, portugais, russe) ;
- pour la LV2, s'ajoutent à cette liste le turc et une dizaine de
langues régionales (basque, breton, catalan, corse, créole,
gallo, langues mélanésiennes, langues régionales d'Alsace,
langues régionales des pays mosellans, occitan-langue d'oc,
tahitien) ;
- en outre, 44 langues peuvent être présentées au
baccalauréat ...
La France apparaît ainsi exemplaire en Europe et fait figure d'exception.
En effet, l'enquête Eurydice sur « L' enseignement des
langues étrangères en milieu scolaire en Europe »,
réalisée en 2001, révèle que dans la
majorité des pays, l'éventail des langues proposées en LV1
ou LV2 est assez restreint, à six langues en général. Seul
le Royaume-Uni dépasse la France et propose un choix de 19 langues pour
la première langue obligatoire...
Mais cela semble être beaucoup de bruit pour rien... Le rapport Eurydice
souligne
qu'il ne suffit pas de proposer un large éventail de langues
pour élargir la palette des langues effectivement
enseignées
: « Une offre plus étendue de
langues n'implique pas forcément une plus grande diversité dans
l'enseignement des langues ».
(2) Un choix figé par des représentations bien ancrées
Le choix
dominant pour l'anglais et l'espagnol est porté par la conviction que ce
bagage est le meilleur passeport pour circuler et se faire comprendre dans une
large partie du monde : les élèves et leurs familles y
trouvent un équilibre, dans leur perception des langues, entre une
« langue de communication », l'anglais,
qui jouit de
l'étiquette de « langue internationale », et une
« langue de loisir », l'espagnol, autrement dit entre une
« langue utile » et une « langue
facile ».
D'autres préjugés tenaces contribuent à figer ce
choix :
-
l'opposition entre « langue facile » et
« langue difficile »
profite à l'espagnol en LV2
et à l'italien en LV3, du fait des consonances voisines entre langues
latines, mais détourne de l'apprentissage de langues à
sonorités gutturales, comme l'allemand ou le russe... La
réputation de langue élitiste s'est en effet retournée
contre l'allemand, dès lors que la politique consistant à casser
tout effet de « filière » en créant des
classes hétérogènes ne garantit plus que le choix de
l'allemand soit une stratégie pour « être dans une bonne
classe » ;
-
l'image renvoyée par le pays
est également un
critère déterminant : si cela est un handicap pour
l'allemand ou le russe, pays perçus à tort comme peu dynamiques
sur le plan culturel, il est incontestable et incontesté que la
montée en puissance de l'espagnol est portée par le succès
de la vague « latino » et l' «
effet
Costa del Sol
»... ; en outre, l'exotisme joue pour le
relatif essor du chinois ou du japonais, même si leur part reste minime.
Ces représentations sociales jouent ainsi le plus souvent au
détriment des langues les moins connues, et contribuent à figer
les choix linguistiques. Or elles sont souvent
en inadéquation avec
l'importance réelle des langues concernées.
Si le ministre
Jack Lang déclarait en mars 2001, déplorant la
« faiblesse statistique de la demande d'apprentissage de langues
dont nous savons tous l'importance dans les échanges culturels et
économiques avec notre pays ou pour les relations
internationales
», que «
le rôle de
l'éducation nationale est précisément d'éclairer la
demande des usagers de l'école pour les aider à adapter leur
demande de formation aux enjeux de l'avenir
»,
il n'existe
aucune campagne nationale d'information et de sensibilisation de la population
aux enjeux de la diversification.
Or cette bataille ne se gagne que si
l'opinion publique est gagnée à la cause du plurilinguisme, et
que les enjeux liés à la maîtrise de plusieurs langues sont
clairement explicités.
Il s'agit de guider la demande sociale dans l'élaboration de parcours de
langues répondant à une
stratégie de distinction, afin
d'éviter qu'elle ne se reporte sur des « stratégies de
sécurité »
, c'est-à-dire le choix
majoritaire anglais-espagnol. Cela revient à
restaurer une image plus
authentique des langues, pour conduire à un rééquilibrage
dans les choix de langues.
Certaines académies tentent de remédier à cette
lacune : en support de sa politique linguistique ambitieuse,
l'académie de Lille diffuse une brochure réalisée en
partenariat avec l'ONISEP,
« Quelle langue
choisir ? »
, qui présente les intérêts
et enjeux économiques, culturels et géopolitiques des
12 langues proposées dans l'académie, et leurs principales
caractéristiques linguistiques, afin de susciter des vocations et briser
quelques idées reçues...