II. L'ENSEIGNEMENT DES LANGUES VIVANTES, ESPACE PRIVILÉGIÉ DU DIALOGUE INTERCULTUREL EN EUROPE
L'apprentissage des langues étrangères n'est pas
un
but en soi mais un vecteur au service de l'accès à la culture
qu'elles véhiculent et à la mobilité dans une Europe sans
frontière. Aussi l'enseignement des langues vivantes ne saurait
être une discipline comme les autres, cantonnée à la seule
transmission de savoirs langagiers. Lieu privilégié du contact
interculturel, il doit nécessairement
être
complété par des expériences et des savoirs culturels
.
La finalité est double :
- au niveau individuel, il s'agit de promouvoir une ouverture culturelle
et une approche de l'altérité, mais aussi de faciliter
l'insertion professionnelle des jeunes en améliorant leurs
compétences linguistiques ;
- au niveau institutionnel, il s'agit de contribuer à la
création d'une citoyenneté démocratique européenne
et de renforcer en retour la diffusion de la langue et de la culture
françaises chez nos partenaires.
Des expériences performantes et innovantes, porteuses d'un potentiel de
renouvellement des pratiques pédagogiques, ont été
menées ces dernières années aux niveaux européen,
national ou local. Leur diffusion doit devenir une priorité, afin que
ces actions au rôle pionnier, bien souvent encore trop confidentielles,
concernent demain une majorité d'élèves. C'est la
condition pour donner un sens concret à l'objectif de plurilinguisme.
A. LE DÉFI DU PLURILINGUISME EN EUROPE
Le Conseil de l'Europe et l'Union européenne ont érigé en combat commun l'amélioration des compétences en plusieurs langues des citoyens. L'objectif est de faire que cet enseignement participe à la constitution d'une appartenance européenne partagée , qui ne saurait être fondée sur une langue unique.
1. Les langues, un vecteur de citoyenneté pour l'Europe : « Vivre l'Europe, c'est vivre la diversité »35 ( * )
«
La possibilité de prendre part à
la vie
politique et publique de l'Europe implique une compétence plurilingue,
c'est-à-dire la capacité à interagir de manière
efficace et appropriée avec les autres citoyens
d'Europe »
36
(
*
)
.
L'Europe du libre-échange est un espace de communication et de
mobilité. Mais c'est aussi un espace riche d'une diversité
culturelle et linguistique entre les peuples qu'il unit : environ 225
variétés linguistiques autochtones, sans compter les langues des
immigrés et réfugiés, sont encore parlées en
Europe, dont plus de 40 ont le statut de langues officielles. Si ce patrimoine
constitue l'un des atouts les plus précieux de l'Europe, mais aussi sa
marque originale, le préserver fait partie de ses plus grands
défis :
défendre l'objectif de plurilinguisme, c'est
affirmer le sens de l'Europe que nous voulons construire. L'Europe des citoyens
ne peut se bâtir que sur l'Europe des langues.
Dans ce contexte, l'apprentissage des langues étrangères acquiert
une dimension particulière :
- il s'agit d'une part d'une compétence de base qui s'impose pour
faire face aux exigences de mobilité et d'adaptation sur le
marché du travail et tirer parti de la libre circulation à
l'intérieur de l'Union européenne ;
- d'autre part, la compétence plurilingue doit être
perçue comme une dimension essentielle de l'éducation de tout
citoyen européen : «
la maîtrise des langues
étrangères, outre ses dimensions culturelle et utilitaire, est un
facteur décisif de compréhension entre les peuples, de
tolérance entre les diverses communautés
»
37
(
*
)
.
En effet, une langue n'est pas un simple langage, un outil de communication.
C'est aussi le
vecteur d'une identité et d'une culture
.
Il serait donc très dangereux de se contenter d'une
lingua
franca
, à savoir une langue mixte, hybride, à laquelle on
accorderait un statut d'universalité..., autrement dit un mauvais
anglais des aéroports envisagé comme langue véhiculaire
unique de communication internationale. Ce serait nier la notion de
« courtoisie linguistique » irremplaçable dans toute
relation à autrui, comme gage de respect et pour préserver la
qualité de l'échange et du contact : aller vers une
meilleure connaissance de l'autre passe par la maîtrise de sa langue,
à des niveaux de compétences variables certes, et non par le
recours au truchement d'une langue tierce.
LE PLURILINGUISME N'EST PAS UNE RÉALITÉ EN EUROPE
Deux
enquêtes réalisées à l'occasion de l'Année
européenne des langues ont permis de mesurer la place des langues dans
les systèmes éducatifs européens et les opinions
publiques, et de prendre conscience de l'ampleur du défi à
relever pour contrer la prédominance de l'anglais et la voie du
monolinguisme en Europe :
- l'étude sur
« L'enseignement des langues en milieu
scolaire en Europe », réalisée par Eurydice
, dans
les 15 pays de l'UE et les 11 pays en préadhésion,
révèle que le choix effectif des langues enseignées est
réduit : même si l'éventail potentiel de langues
proposées a eu tendance à s'élargir, plusieurs facteurs,
en particulier les préférences des familles, le manque
d'enseignants spécialisés ou les effectifs trop faibles,
restreignent le choix et amènent à des résultats
très négatifs en terme de diversification. De surcroît, 11
pays imposent l'obligation d'apprendre une première langue
spécifique (il s'agit de l'anglais dans 8 d'entre eux) ; parmi ces
11 pays, 4 décident aussi quelle est la seconde langue obligatoire, ne
laissant donc aucun choix aux élèves.
-
L'enquête spéciale de l'Eurobaromètre 54
« Les Européens et les langues »
analyse les
compétences linguistiques des Européens et leurs attitudes
à l'égard de l'apprentissage des langues
étrangères :
* 47 % des Européens interrogés déclarent ne
parler aucune langue étrangère ; quant à ceux qui
maîtrisent une langue, il s'agit en majorité de l'anglais (41 %),
devant le français (19 %), l'allemand (10 %), l'espagnol (6 %) et
l'italien (3 %) ;
* si 71 % des Européens déclarent que « tout le
monde devrait être capable, dans l'Union européenne, de parler une
langue communautaire en plus de sa langue maternelle », seuls
32 % sont convaincus de l'utilité de maîtriser deux langues
étrangères ;
* l'anglais est jugé la langue la plus
« utile » par 75 % des Européens (puis le
français 40 %, l'allemand 23 %, l'espagnol 18 %,
l'italien 3 %, le néerlandais 1 %, le chinois 1 %), et
par 80 % des répondants des pays dont il n'est pas la langue
nationale.
* 35 Manifeste européen pour les langues du Forum des langues européennes.
* 36 Déclaration et Programme concernant l'éducation à la citoyenneté démocratique (CM (99) 76, Comité des Ministres, 7 mai 1999.
* 37 Recommandation 1383(1998) de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.