I. UNE RÉPONSE JUDICIAIRE SYSTÉMATIQUE
A. ÉVITER LE PIÈGE DE LA LIBÉRALISATION
Le
débat sur la dépénalisation ou la libéralisation
des drogues est récurrent. On peut à cet égard citer
l'« appel du 18 joint » 1976, signé par
M. Bernard Kouchner, devenu par la suite ministre de la santé, les
propos de M. Charles Pasqua en 1993 appelant à l'ouverture d'un
débat, ou plus récemment l'envoi à tous les
députés d'un joint par le Collectif d'information de recherche
cannabique (CIRC), le 9 décembre 1997.
Les arguments sont bien connus et paraissent au premier abord
séduisants, mais l'analyse de leurs conséquences concrètes
conduit à les invalider.
1. Des arguments théoriquement séduisants
Les partisans d'une libéralisation mettent tout d'abord en avant « l'échec » de la loi de 1970, selon eux à l'origine des différents maux attribués normalement à la toxicomanie, avant de présenter les améliorations attendues.
a) L'échec de la loi de 1970, paradoxalement à l'origine de tous les maux
(1) Des résultats paradoxaux
Ainsi
que l'a fait observer à la commission d'enquête maître
Francis Caballero, président du Mouvement de légalisation
contrôlée, «
le système actuel s'appelle la
guerre à la drogue. Tout est interdit : l'usage, l'incitation et le
trafic, évidemment, dans des conditions de sécurité
extrêmes. (...) Pour un détenteur de quelques grammes de cannabis,
ce qu'on appelle une barrette, le droit positif, qui punit la détention
comme un acte de trafic, prévoit une garde à vue de quatre jours
avec un avocat au bout de 72 heures, c'est-à-dire trois jours,
alors qu'un assassin violeur d'enfants, une racaille qui a fait quinze
braquages de banque et a dix meurtres à son actif aura un avocat
dès la première heure et, de nouveau, au bout de vingt heures. Je
ne parle pas des perquisitions de nuit, de la prescription de vingt ans pour
les délits au lieu de trois ans, des peines perpétuelles ou des
vingt ans de réclusion pour la culture (...) On a des procédures
qui sont aussi dures qu'en matière de terrorisme
. »
Malgré tout, les partisans d'une légalisation des drogues
considèrent que cette guerre contre les drogues a été un
échec, en dépit des sommes colossales investies pour faire
appliquer la loi, faire fonctionner les tribunaux et remplir les prisons.
Ainsi, au Royaume-Uni, en 1991, la possession de cannabis représentait
75 % de tous les délits liés aux drogues illicites.
«
En France, on est passé de 2.000 à 100.000
interpellations et de 2.000 personnes dans les prisons françaises au
tiers des détenus pour les infractions à la législation
sur les stupéfiants
», a rappelé maître
Francis Caballero. Il s'agit le plus souvent d'affaires mineures qui mobilisent
les services de police et engorgent les tribunaux.
Ainsi que l'a indiqué lors de son audition M. François-Georges
Lavacquerie, membre du CIRC, en réponse aux déclarations du
ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure
et des libertés locales, M. Nicolas Sarkozy, devant la
commission d'enquête, «
90 % des gens ne sont pas
punis »,
ce qui, d'après le ministre,
«
signifie qu'ils sont dépénalisés de fait.
Nous pensons, nous, qu'il ne s'agit pas là d'un laxisme des juges, mais
de l'appréciation de la justice que 90 % de ces affaires ne
méritaient pas de poursuites réelles et qu'il n'y avait pas
là de quoi fouetter un chat. Il n'empêche que ces affaires ont
occupé à notre avis d'une manière excessive les services
de police et de justice
». Les coûts sociaux de cette
prohibition seraient considérables, les usagers de drogues étant
considérés comme des délinquants.
Or, la loi n'a pu empêcher l'augmentation de la consommation, la
banalisation du cannabis et l'apparition très préoccupante des
nouvelles drogues de synthèse.
De plus, le nombre d'injonctions thérapeutiques reste faible (environ
9.000), dont un tiers seulement donne des résultats satisfaisants. Ce
chiffre paraît dérisoire par rapport aux 160.000
héroïnomanes et aux 65.000 consultants qui se sont
présentés en 1995 dans les centres de soins
spécialisés, dont moins de 10 % sont arrivés par le
biais d'une injonction thérapeutique. De plus, l'injonction
thérapeutique n'est pas adaptée aux usagers de cannabis. Elle ne
serait utile que dans certains cas de cannabisme chronique, alors que les
usagers de cannabis constituent l'essentiel des personnes
interpellées.
(2) Usage de drogue ne signifierait pas forcément toxicomanie
La loi
serait un obstacle à l'instauration d'une prévention efficace en
refusant de reconnaître qu'à côté de la
dépendance peut exister un usage occasionnel, plus ou moins
régulier.
L'usage simple n'entraîne pas toujours la dépendance. Ainsi, comme
l'indiquait à la commission M. Hugues Lagrange, sociologue, si plus de
7 millions de personnes ont expérimenté le cannabis en
France, « seules » 300.000 sont dépendantes du
cannabis, ce qui montre combien l'écart est important entre
l'expérimentation et l'usage problématique (de 1 à 20).
Dès 1978, le rapport de Mme Monique Pelletier remis à
M. Valéry Giscard d'Estaing avait largement souligné
que l'auto-destruction n'était pas le destin inéluctable de tous
ceux qui consomment de la drogue, y compris les plus dures. Pour certains, ce
sont des facteurs d'ordre psychologique ou social qui, bien plus que les
propriétés des drogues, déterminent la toxicomanie.
En revanche, cette situation gênerait l'information des usagers de
cannabis qui, s'ils ne sont pas jugés, ne disposent d'aucun conseil non
plus, comme l'a rappelé maître Francis Caballero lors de son
audition.
En outre, il est difficile d'admettre l'amalgame entre l'adolescent fumeur
occasionnel de haschich et l'héroïnomane, le premier ayant un
comportement festif et initiatique et le second réellement
toxicologique.
(3) La dangerosité relative de l'alcool, du tabac et des médicaments
Une
certaine confusion s'est instaurée du fait de l'inclusion des drogues
licites dans le champ d'intervention de la MILDT et de l'exploitation
erronée des conclusions du rapport du professeur Bernard Roques relatif
à la classification de la dangerosité des drogues. Le consensus
sur l'interdit des drogues illicite s'est érodé, la distinction
entre produits licites et illicites ne reposant sur aucune base biologique
sérieuse.
Il en va de même s'agissant des polémiques entourant les
médicaments psychotropes. Par ailleurs, ainsi que le soulignait
M. Alain Ehrenberg lors de son audition, la notion de
dépendance est aujourd'hui beaucoup plus large que la dépendance
aux drogues et est entrée dans le vaste champ de la souffrance psychique
et de la santé mentale (jeu, sexe, nourriture ou drogue illicite).
Dans le même sens, les partisans de la dépénalisation
insistent sur le fait que la consommation de cannabis n'est pas mortelle et
qu'il n'y a pas de dépendance physique, la dépendance psychique
étant modérée (et inférieure à celle
entraînée par le tabac, l'alcool ou les médicaments
psychotropes). Comme l'a souligné lors de son audition M.
François-Georges Lavacquerie, membre du CIRC, «
l'alcool
tue 40.000 personnes chaque année, il est impliqué en outre dans
des dommages causés à autrui très importants et bien
documentés et il n'est pas pour autant interdit. Son usage est
simplement régi et restreint par un certain nombre de dispositions.
Quant au tabac, qui tue 68.000 personnes par an, il est en vente libre
absolue.
»
En outre, la théorie de l'escalade (selon laquelle le cannabis
mène aux drogues « dures ») est fortement
contestée, notamment par le rapport Le Dain paru en 1972 au Canada.
L'écart serait donc croissant entre la légitimité
sociale d'un usage de cannabis apparemment massif et l'illégalité
juridique du produit. L'interdit n'aurait plus de sens.
(4) La légitimité incertaine de la sanction pénale
Les
partisans de la libéralisation soulignent qu'il n'existe pas d'autre cas
où le risque pris par un individu pour sa santé, sans aucun
trouble à l'ordre public, est passible d'une peine d'un an de prison.
Ceci leur apparaît plus particulièrement choquant s'agissant d'une
consommation à domicile.
Pour maître Francis Caballero,
« le fait de
punir en théorie d'un an de prison, comme le fait aujourd'hui la loi, un
individu majeur et solitaire qui consomme chez lui une substance pour se
procurer des sensations est une honte au pays des droits de
l'homme
».
Il s'appuie en particulier sur la Déclaration des droits de l'homme et
du citoyen
112(
*
)
. Le
droit pénal ne saurait prétendre régir le comportement
privé des individus, pour autant qu'ils ne portent pas préjudice
à autrui, comme l'a rappelé M. François-Georges
Lavacquerie, membre du CIRC. De plus, le suicide n'est plus incriminé.
L'emprisonnement n'a pu empêcher l'explosion de la consommation et peut
aggraver le problème d'insertion sociale ou de relation avec les proches
souvent à l'origine de l'usage de drogue. De plus, la prison renforce le
lien des personnes détenues avec la délinquance.
(5) Une incompréhension croissante de la part des jeunes qui décrédibilise la loi
Ainsi
que l'a souligné lors de son audition le docteur Francis Curtet,
psychiatre : «
On en est arrivé maintenant à un
stade dans lequel, pour la majorité des jeunes, le cannabis est
considéré comme leur apéritif, en comparaison à
l'alcool, qui serait l'apéritif des parents. Cela ne veut pas dire que
la majorité des jeunes prend du cannabis, mais si on faisait un
micro-trottoir sur ce point, je pense que plus de la moitié des jeunes
répondraient que, pour eux, c'est l'équivalent de
l'apéritif de leurs parents et que c'est même moins
dangereux
. » Ils ne comprennent pas l'interdit dont le cannabis
fait l'objet, vécu comme une mesure anti-jeunes.
Par ailleurs, le cannabis étant plus ou moins
dépénalisé de fait depuis la circulaire Peyrefitte de
1978, complétée par une circulaire Badinter de septembre 1984,
conserver une sanction pénale qui n'est pratiquement plus
appliquée devient dérisoire et déconsidère la
justice aux yeux des adolescents, dont certains n'ont d'ailleurs plus
conscience de violer l'interdit tant le phénomène leur
paraît banal. Beaucoup estiment qu'interdire une drogue si largement
consommée revient à encourager le non-respect de la
législation.
Si beaucoup de ces remarques s'appuient sur la réalité, leur
interprétation prête à discussion et les solutions
préconisées divergent de celles de la commission d'enquête.
Comment gérer la légalisation ? Par un monopole d'Etat ou un
système de franchises privées ? Quel type de contrôles
pourraient exercer les instances nationales pour garantir la qualité et
l'approvisionnement ? Comment et par qui les drogues seraient-elles
distribuées (médecins, pharmaciens, débits de tabac ou
autres) ? Des exceptions seraient-elles prévues pour les mineurs et
certaines catégories spéciales ? Quelles drogues
légaliserait-on ? Seul le cannabis, ou bien toutes les autres
drogues ?
A toutes ces questions fondamentales, les réponses apportées par
les tenants d'une légalisation paraissent peu pertinentes.
b) La proposition d'une légalisation réglementée
Tant le
« Mouvement de légalisation contrôlée »
que le CIRC entendus par la commission d'enquête ont
préconisé une légalisation de l'usage du cannabis,
assortie de sa réglementation. En revanche, seul le
« Mouvement de légalisation contrôlée »
propose d'étendre à terme cette mesure à toutes les
drogues.
Au lieu de faire la guerre à la drogue, Maître Caballero propose
une lutte civile contre l'abus des drogues, en les légalisant et en les
contrôlant. Il préconise de commencer par le cannabis, dont la
consommation est selon lui devenue un phénomène de
société.
L'Etat serait chargé d'organiser la structure opérationnelle,
«
L'Etat (étant) fait pour réglementer les vices
parce qu'il ne veut pas tuer ses citoyens ni défoncer sa
jeunesse
». Il cite à ce propos l'organisation des
loteries, interdites au 19
e
siècle de peur de provoquer des
faillites. L'époque coloniale est en outre régulièrement
citée en exemple (kif du Maroc...) par les partisans d'une
réglementation de l'usage du cannabis.
Reconnaissant les dangers du cannabis en cas d'abus et dans certaines
circonstances (notamment au volant en état d'ivresse cannabique),
maître Francis Caballero a estimé qu'il fallait l'interdire au
volant (mais sur des bases scientifiques fondées), ainsi qu'aux
mineurs : «
Je propose la légalisation mais non pas la
dépénalisation. Je ne propose pas une
dépénalisation de l'usage qui, pour moi, doit rester puni dans
les lieux publics, au volant, évidemment, et lorsqu'il prend la forme
d'une offre aux mineurs.
»
M. François-Georges Lavacquerie, membre du CIRC, a exposé devant
la commission d'enquête le projet de son organisation :
«
Nous avons pensé qu'il serait bon qu'il y ait un
système légal de distribution. Pour cela, nous n'avons pas fait
de plans sur la comète ni de projets chimériques : nous nous
sommes fondés sur deux éléments : le système
du cannabistrot hollandais et le régime des alcools et tabacs en France.
Le système hollandais fonctionne depuis vingt ans et permet
d'empêcher que les mineurs consomment, de tempérer la consommation
et de faire en sorte que les consommateurs ne soient pas en contact avec les
systèmes délinquants. En dépit du fait que toute l'Europe
déboule à Amsterdam, c'est un système qui marche bien. Il
souffre de deux contradictions : le fait que le commerce en gros est
interdit et donc que l'approvisionnement de ces lieux est illégal ;
le fait d'être isolé (...). Nous proposons donc une extension au
cannabis du régime des alcools et tabacs, avec une licence
particulière et des restrictions à l'entrée aux mineurs
(16 ou 18 ans, cela se discute), aux droits de publicité et aux droits
de marque, ainsi que la vente en vrac.
»
Le docteur Francis Curtet, psychiatre, s'est également prononcé
en faveur d'une légalisation contrôlée, soulignant que la
situation était devenue intenable vis-à-vis des jeunes qui
assimilaient totalement cannabis et alcool. Il a considéré qu'une
véritable information permettant une prévention
réelle serait alors possible : «
Mon idée
serait (et je répète que ce serait à contre-coeur) de
légaliser carrément le cannabis, mais de l'interdire formellement
aux mineurs et de faire enfin cette politique de santé publique et de
prévention à l'égard des jeunes qu'on n'a jamais
faite(...). Quant aux majeurs, on leur donnera une information exacte. On peut
en effet espérer que, comme ils sont majeurs, ils sont enfin capables
d'user sans abuser ou même de ne pas user du tout (...). On peut dire aux
gosses : « Si on vous l'interdit à vous, c'est parce
que vous savez bien que vous êtes à l'âge où vous
avez envie de tout essayer, où vous voulez toujours plus que ce qu'on
vous propose. Ce n'est pas par hasard qu'on a décidé que
c'était à partir de 18 ans que vous pourrez enfin conduire une
voiture et non pas à 13 ou 14 ans. C'est parce qu'il faut avoir un sens
des mesures et des responsabilités que vous allez acquérir en
grandissant.
». Le docteur Francis Curtet a néanmoins
reconnu les difficultés d'application de l'interdiction de la vente
d'alcool aux mineurs.
Pour sa part, maître Francis Caballero considère que
l'interdiction de la vente aux mineurs serait plus effective qu'actuellement,
où beaucoup de jeunes fument.
Sans aligner le cannabis sur le tabac et l'alcool, drogues culturelles pour
lesquelles il est difficile de revenir en arrière, il appelle à
un encadrement intelligent du cannabis, qui «
n'est pas culturel
mais devient un fait de société
». Certains
préconisent même d'instaurer une taxe spéciale
conçue pour améliorer les soins destinés aux toxicomanes.
On rappellera que le rapport de la commission de réflexion sur les
drogues et la toxicomanie mise en place sous l'impulsion de M. Charles Pasqua
et de Mme Simone Veil, alors respectivement ministre de l'intérieur et
ministre de la santé, et présidée par le professeur
Henrion, s'était en 1995 prononcé à une courte
majorité (9 sur 17) en faveur d'une dépénalisation
à titre d'essai pendant trois ans de l'usage du cannabis.
La commission d'enquête estime au contraire que les avantages
escomptés d'une libéralisation apparaissent pour le moins
utopiques.
c) Une vision idyllique et utopique de la légalisation des drogues
Dans le
monde merveilleux qui naîtrait à la légalisation, tous les
problèmes, liés non aux drogues elles-mêmes, mais au carcan
institué par l'interdit, disparaîtraient soudain, pour le plus
grand bonheur de tous, c'est-à-dire des personnes raisonnables capables
de faire un usage raisonné des drogues...
Outre la création annoncée par maître Caballero de 18.000
emplois permanents dans la distribution, la culture et les services, on
observerait des progrès dans les domaines de la santé et de la
sécurité.
(1) Des progrès en termes de santé publique
Les économies réalisées sur la répression et l'application de la loi pourraient servir à la prévention et au traitement des abus.
(a) Des drogues de qualité ?
En
régime de prohibition, le contrôle de la qualité est
impossible. Les usagers ne peuvent vérifier la qualité du produit
qu'ils achètent, ni en connaître le taux de THC (s'agissant du
cannabis), son effet ou sa durée. Au contraire, la légalisation
permettrait d'obtenir du cannabis avec de bonnes conditions de concentration,
de bonne qualité et à un prix réduit. Selon maître
Caballero, on verrait ainsi disparaître le « shit Tchernobyl
mélangé à du pneu ». Les autres drogues seraient
débarrassées de toutes les substances nocives qu'elles
contiennent du fait de la dilution pratiquée par les revendeurs
successifs.
Par ailleurs, les trafiquants qui contrôlent le marché ont
intérêt à répandre les produits au plus fort
potentiel addictif, ainsi que l'a montré le développement du
crack aux Etats-Unis dans les années 1980. La prohibition favoriserait
donc la consommation des drogues les plus dangereuses.
(b) Une politique de réduction des risques enfin cohérente
M.
Jean-Pierre Lhomme, responsable des missions échanges de seringues et
bus méthadone à l'association Médecins du monde, a
indiqué à la commission qu'il soutenait la
dépénalisation de l'usage de toutes les drogues, leur
incrimination constituant un obstacle à la prévention et aux
soins.
Tout comme M. Alain Ehrenberg, sociologue, il a estimé qu'en assimilant
les usagers de drogues à des délinquants, la loi avait
retardé la mise en oeuvre des mesures de réduction des risques
attachés aux pratiques d'injection (mises en oeuvre entre 1995 et
1999 seulement) et continuait à en perturber l'application, les lieux
d'échanges de seringues et les
sleep-in
étant autant de
circonstances où les services répressifs se trouvaient en
porte-à-faux, malgré les décrets, arrêtés et
circulaires. Citant l'interdiction de l'usage de l'injection, qui avait pour
corollaire la non-vente de seringues en pharmacie, il a souligné que
l'absence d'accès à cet instrument empêchait tout contact
en matière de prévention vis-à-vis des usagers de drogues.
(2) En termes de sécurité
(a) Les produits étant moins chers, la délinquance induite des
toxicomanes diminuerait...
La
prohibition vise à dissuader la production, le commerce et l'usage de
drogues, entraînant un renchérissement du coût des produits
et un effet de rareté. Le rapport entre le prix d'achat à la
production pour le paysan et le prix de vente final est ainsi de 1 à 300
pour la marijuana.
Le prix des produits sur le marché clandestin impose au toxicomane
dépendant de mobiliser d'importantes ressources pour se procurer le
produit. Les usagers dépendants se trouvent ainsi contraints de recourir
à des moyens illégaux pour financer une consommation qui
excède assez vite leurs moyens financiers. L'usager dépendant
devient dans ce système le plus motivé des vendeurs.
(b) ... ainsi que le crime organisé
Le lobby
de la légalisation est convaincu que la criminalité et le crime
organisé seraient grandement réduits.
Selon maître Francis Caballero, «
la guerre à la
drogue aujourd'hui ne peut se prévaloir d'avoir vaincu l'ennemi. Elle
fait même la fortune des trafiquants (...). Actuellement, cela
fournit des emplois au crime organisé, à la racaille et aux
trafiquants. Il existe une économie parallèle qui vit aujourd'hui
de la distribution de cannabis dans les banlieues. On leur piquerait le
business dans les huit jours, de la même manière que Distillers
and Co., les fabricants d'alcool américains, ont mis la mafia
américaine de Chicago et les bootleggers au chômage trois semaines
après l'abrogation de la prohibition
».
Les partisans de la légalisation estiment également que la
violence inhérente à un négoce illégal hautement
rentable (la guerre des gangs) disparaîtrait du fait de cette
légalisation.
De même, en assurant à la fois le maintien d'un prix
élevé et d'un haut niveau de risque -mécanisme de
« barrière à l'entrée »-, la
prohibition faciliterait la prise de contrôle du marché de la
drogue par les criminels les plus dangereux et les mieux organisés,
notamment lorsque la répression la plus efficace s'exerce au niveau de
la vente de rue, et non contre le grand trafic.
(3) Une légalisation sans augmentation de la consommation
Malgré la distribution à bas prix de drogues, la
consommation, susceptible d'augmenter au début, plafonnerait rapidement.
En effet, le rôle du toxicomane revendeur, facteur de diffusion des
drogues, disparaîtrait, de même que l'attrait du fruit
défendu.
Maître Francis Caballero et M. François-Georges Lavacquerie se
sont appuyés sur l'exemple des Pays-Bas. Pour le CIRC,
«
l'exemple bien connu et paradoxal, c'est la comparaison entre la
France, pays qui est parmi les plus répressifs d'Europe, et la Hollande
où, sans être légale, la consommation et l'achat de petites
quantités pour les consommateurs est libre : la Hollande a un taux
de consommateurs plus faible que celui de la France.
»
Par ailleurs, maître Francis Caballero a indiqué que l'explosion
redoutée «
a déjà eu lieu depuis trente ans,
puisqu'on est passé de 800.000 consommateurs estimés dans le
premier rapport officiel de 1978, celui de Mme Pelletier, à un
niveau de deux à cinq millions de consommateurs estimés (certains
parlent de sept millions, sachant qu'il s'agit de savoir s'ils sont chroniques,
occasionnels ou autres). »