REPÈRES CHRONOLOGIQUES : DE LA PHARMACOPÉE DES EMPEREURS DE CHINE À L'ECSTASY DES RAVE PARTIES 12 ( * )

2700 av JC :

Le cannabis est déjà utilisé comme sédatif et traitement de l'aliénation mentale dans la pharmacopée de l'empereur chinois Chen-Nong.

1552 av JC :

Un papyrus égyptien témoigne que le chanvre fait déjà partie des drogues sacrées des pharaons.

VIIIe siècle av JC :

La Théogonie d'Hésiode mentionne le suc des capsules de pavot.

VIe siècle av JC :

Les moines bouddhistes fument pour la méditation diverses préparations à base de cannabis

Ve siècle av JC :

- Le cannabis gagne l'Europe occidentale, via le royaume des Scythes et les rives de la mer Noire.

- Hippocrate mentionne l'opium comme remède pour calmer les douleurs les plus variées.

IVe siècle av JC :

Alexandre utilise l'opium pour combattre ses migraines et emporte la plante miracle avec ses troupes jusqu'en Asie centrale, puis en Inde.

Ier siècle :

L'opium devient un médicament courant, apprécié des empereurs à Rome.

IIe siècle :

Le médecin grec Galien invente la thériade, un antidote contre les poisons à base de jus de pavot.

VIIIe siècle :

Les savants arabes Rhazès et Avicenne préparent la thériade de Galien pour soigner toux et diarrhées.

1090 :

Le Perse ismaélien Hassan ben Sabah fonde la secte des « haschischins », ou mangeurs d'herbe.

XIIIe au XVe siècles :

Les marchands arabes diffusent le cannabis vers l'Afrique centrale et australe, ainsi qu'au Maghreb et dans les Balkans.

XVIe siècle :

- Dans l'empire ottoman, l'opium est couramment fumé dans un narguilé, mélangé au chanvre et au tabac, ou mangé par les amateurs du produit (thériakis).

- Le médecin suisse Paracelse utilise la teinture d'opium comme médicament.

- Les conquérants espagnols découvrent dans le Nouveau Monde la coca, le peyotl et les champignons hallucinogènes.

- Les Portugais développent la production locale de l'opium dans la région de Malwa, au nord-ouest de l'Inde.

XVIIe siècle :

- Les Hollandais intensifient la production de l'opium du Bengale et développent son commerce vers les Philippines, Formose et le sud de la Chine.

1660 :

Le médecin anglais Thomas Sydenham élabore le laudanum en diluant l'opium dans du vin de Malaga, en lui ajoutant des épices : Cromwell et Charles II en font un large usage.

1715 :

Les Britanniques prennent le monopole des échanges commerciaux avec la Chine.

1729 :

Les empereurs mandchous promulguent le premier édit interdisant le commerce de l'opium en Chine.

1757 :

La victoire de Plassey assure aux Anglais, à l'initiative de l'East India Company, la domination du Bengale, jadis sous la coupe de l'Empire moghol, et le contrôle des terres à opium autour de Bénarès, Patna et Agra.

1775 :

Warren Hastings, gouverneur du Bengale, dirigeant de l'East India Compagny, obtient de Londres le monopole de la compagnie sur le contrôle, l'achat et la livraison à Calcutta de la récolte d'opium et s'efforce de conquérir le marché chinois.

1798 :

Débarquant en Egypte, Bonaparte interdit à ses soldats de boire la liqueur de haschisch et de fumer les sommités fleuries du chanvre sous peine de trois mois de prison.

1799 :

La législation anti-opium est renforcée par les autorités chinoises : les marchands de Canton ont l'interdiction d'acheter l'opium et de recevoir des navires qui le transportent.

1804 :

- Armand Seguin, médecin de l'armée napoléonienne, isole la morphine. Un chimiste de Hanovre la baptise du nom de « Morphium » en hommage au dieu des Songes.

- Le médecin écossais Alexander Wood procède à la première injection d'acétate de morphine.

1808 :

Les importations chinoises d'opium sont de l'ordre de 200 tonnes.

1820 :

Les rapides clippers des « country traders » transportent désormais la drogue de Calcutta jusqu'à Canton, seul port ouvert aux étrangers.

1822 :

Les « Confessions d'un anglais mangeur d'opium » sont publiées à Londres par Thomas de Quincey.

1828 :

La tradition de « l'opium littéraire » se développe en France avec la traduction par Alfred de Musset de l'ouvrage de Thomas de Quincey.

1838 :

- Les importations chinoises d'opium passent à près de 3 200 tonnes.

- Théophile Gautier publie « La Pipe d'opium ».

1839 :

L'empereur de Chine envoie à Canton son commissaire Lin Tsê-Hsu pour mettre fin au « scandaleux » commerce des marchands d'opium.

1839-1842 :

Première « guerre de l'opium ».

1842 :

Signature du traité de Nankin qui contraint la Chine à ouvrir cinq ports aux navires britanniques et à céder Hong-Kong.

1845 :

- L'aliéniste Joseph Moreau de Tours, de retour d'Egypte, publie son ouvrage « Du haschisch et de l'aliénation mentale ».

- Le club des Haschischins se réunit désormais dans l'hôtel de Pimodan, quai d'Anjou : Baudelaire, Nerval, Gautier, Delacroix, Daumier, Balzac y  dégustent le dawamesc.

1846 :

Théophile Gautier publie son conte fantastique, « Le Club des Haschischins ».

1850 :

- Les exportations indiennes vers la Chine atteignent 3 300 tonnes et l'opium est vendu à bas prix pour gagner une clientèle populaire.

- La loi du 19 juillet 1845 constitue la première législation sur les stupéfiants en France : elle assimile l'opium à un poison, la range comme la morphine dans la liste des substances vénéneuses et renforce son contrôle à la vente.

- La morphine se démocratise avec l'invention de la seringue hypodermique.

1853 :

Jean Martin Charcot expérimente sur lui-même les effets du haschisch.

1856-1858 :

La deuxième guerre de l'opium est déclenchée par les Français et les Britanniques pour forcer plus encore les portes du marché chinois.

1858 :

- Le traité de T'ien-Tsin ouvre onze nouveaux ports au commerce occidental et autorise officiellement l'importation de l'opium en Chine, dont la consommation devient un problème de santé publique.

- Le terme « stupéfiant » apparaît en France dans l'Encyclopédie du XIXe siècle.

1859 :

Le chimiste viennois Albert Niemann isole la cocaïne de la coca.

1860 :

Baudelaire publie « Les Paradis artificiels » : cette compilation d'un texte de 1858 sur le haschisch et d'un résumé commenté des confessions de De Quincey constitue une ferme condamnation des drogues.

1870 :

Angelo Mariani, préparateur en pharmacie d'origine corse exploite les vertus stimulantes de la coca du Pérou en créant le vin Mariani.

1875 :

Le médecin allemand Edouard Levinstein publie un ouvrage très remarqué « Sur la morphine ».

1876 :

1 700 fumeries sont recensées à Shangaï, devenu centre du commerce avec l'étranger et capitale du vice.

1880 :

Sigmund Freud expérimente sur lui-même à Vienne les effets euphorisants et stimulants de la cocaïne, dont il devient un consommateur régulier : en raison de graves réactions psychotiques, il prend rapidement ses distances avec cet alcaloïde.

1882 :

La France instaure en Cochinchine une Régie de l'opium.

1888 :

Les exportations d'opium des marchands anglo-indiens vers la Chine atteignent 5 507 tonnes, contre une production chinoise de 13 300 tonnes, soit 85 % des besoins intérieurs : au début du XXe siècle, le nombre de fumeurs chinois réguliers est estimé à 20 millions de personnes.

1890 :

Les laboratoires Bayer mettent au point un dérivé de la morphine, commercialisé à partir de 1898 sous le nom d'héroïne.

1897 :

Paul Doumer étend la Régie à l'ensemble de la colonie et la charge de l'achat du produit brut, du monopole du raffinage et de la vente de l'opium.

1898 :

Les Etats-Unis prennent le contrôle des Philippines où l'opiomanie fait des ravages.

1905 :

A la demande de Théodore Roosevelt, les Etats-Unis envoient une commission officielle dans le sud de la Chine et en Indonésie.

1906 :

Un édit impérial interdit la consommation de l'opium en Chine.

1907 :

L'affaire Ullmo aboutit en 1908 à la restriction du commerce de l'opium en France. 13 ( * )

1908 :

Le décret du 1 er octobre complète la loi de 1845 et permet de poursuivre les individus soupçonnés de détention ou de préparation d'opiacés.

1909 :

Les grandes puissances européennes et les pays d'Asie et d'Amérique concernés par le problème de l'opium se réunissent à Shanghai : les pays prohibitionnistes (Chine, Etats-Unis...) s'opposent aux pays producteurs et aux métropoles coloniales (France, Angleterre...)

1911-1912 :

Une convention est votée à la conférence de La Haye pour contrôler la production, le commerce et l'usage de l'opium, de la morphine et de la cocaïne.

1914 :

- Les gains de la Régie en Indochine représentent plus du quart du budget de la colonie.

- Le Harrison Narcotic Act aux Etats-Unis est adopté pour contrôler la circulation et la vente des stupéfiants et n'en autoriser que les usages médicaux.

- La brigade mondaine se dote en France d'une équipe chargée de la répression du trafic des stupéfiants.

1915 :

Des toxicomanes, dont la plupart en attente de jugement, sont évacués de la capitale et de la zone des armées pour être internés au camp de la Ferté-Macé en compagnie d'autres indésirables et suspects du point de vue national (ressortissants des pays ennemis, Alsaciens-Lorrains, « filles soumises », danseurs de tango...).

1916

La loi de 1916, adoptée en pleine guerre mondiale, réprime, outre « l'usage en société », le commerce et la détention frauduleuse de « substances vénéneuses », réservant leur seul usage légal à une médecine sous haute surveillance. Après une campagne engagée dès 1911, alors que l'on s'inquiète de l'effet délétère sur l'armée des « poisons boches » (morphine et cocaïne), cette loi de prohibition est votée par le Parlement à l'unanimité. Le sénateur Dominique Delahaye dénonce à la tribune l'« une des invasions les plus dangereuses de nos « amis »  les boches » 14 ( * ) . Elle fait l'objet d'une critique acerbe du poète Antonin Artaud : « Lettre à Monsieur le législateur de la loi sur les stupéfiants ».

1920 :

- Le Dangerous Drug Act en Grande-Bretagne officialise les restrictions du temps de guerre.

- La SDN crée la commission consultative de l'opium et autres drogues nuisibles (CCO), chargée de renforcer la législation internationale.

- Les seigneurs de la guerre encouragent la reprise de la production et du trafic de l'opium en Chine.

1922 :

- Tous les Etats signataires appliquent désormais la convention de La Haye de 1912, à l'exception de l'Allemagne qui est l'un des premiers producteurs mondiaux de cocaïne et d'héroïne.

- Victor Margueritte, dans son best-seller « La Garçonne », dépeint un Paris mondain, gangrené par la drogue, l'opium et la cocaïne.

- La loi du 13 juillet impose au juge de prononcer l'interdiction de séjour contre les individus convaincus de trafic et de facilitation d'usage ; elle autorise la police à effectuer des visites domiciliaires, de jour comme de nuit, et en dehors de toute réquisition judiciaire préalable, dans les lieux où des individus se livrent à l'usage des stupéfiants : cette mesure dérogatoire s'appuie sur l'article 10 du décret des 19 et 22 juillet 1791 autorisant les autorités à pénétrer à tout moment, même la nuit, dans « les maisons de jeux et les lieux notoirement livrés à la débauche ».

1923 :

La police internationale Interpol est créée et consacre rapidement une large part de ses activités à la lutte contre les trafiquants.

1924 :

Lors de la seconde conférence sur l'opium, qui se réunit à Genève, le délégué égyptien demande aux autres délégations d'inclure le cannabis dans la liste des stupéfiants.

1925

- Dans « Satan conduit le bal », Georges Anquetil dénonce, à partir des archives de la police, le développement de la toxicomanie dans le Paris des Années folles.

- La convention de Genève met en place un système de certificats destinés à contrôler étroitement la circulation des produits. Ce texte sera renforcé par la convention de 1931 qui tente de planifier strictement les besoins médicaux mondiaux afin d'éviter toute fuite vers les circuits clandestins.

1929 :

- L'Allemagne se dote enfin d'une législation restrictive.

- Le gouvernement Tchang Kaï-Shek lance une campagne de prohibition.

Années 30 :

- Marseille devient, quarante ans avant la « French Connection », notamment avec les trafiquants Carbone et Spirito, le pôle national et même mondial du marché de la drogue.

- Le sénateur Justin Godart devient le responsable européen de l'association internationale de défense contre les stupéfiants

1930 :

- Une « commission interministérielle sur les stupéfiants », lointain ancêtre de la MILDT, est créée pour constituer un carrefour interadministratif permanent d'information et de concertation entre les différents services concernés.

1931 :

Pierre Drieu la Rochelle publie « Le Feu follet ».

1933 :

Un « service central des stupéfiants » est créé : il succède à l'ancien « service des stupéfiants et de la traite des blanches ».

1936 :

- Cocaïnomane notoire et trafiquant, Lucky Luciano est arrêté aux Etats-Unis.

- Hergé publie « Le Lotus Bleu ».

1937 :

La mission d'enquête sur l'Indochine confiée par Marius Moutet, ministre des colonies du gouvernement de Front populaire, au sénateur Justin Godart, constate que les régies fonctionnent toujours.

1939 :

L'article 130 du décret-loi du 29 juillet relatif à la famille et à la natalité française renforce les prescriptions de la loi de 1916 en augmentant la fourchette du montant de l'amende et en portant la durée maximum de l'emprisonnement jusqu'à cinq ans.

1943 :

- Le surréaliste Robert Desnos dénonce dans le « Le vin est tiré » les ravages croissants de la toxicomanie.

- Le chimiste suisse Albert Hofmann isole la molécule du LSD 25.

1953 :

- William Burroughs publie à New York « Junkie », qui décrit la trajectoire d'un camé et le monde de la défonce.

- La loi du 24 décembre met en place pour la première fois un volet sanitaire dans la législation française anti-drogues.

1955 :

- La France, avec la décolonisation, met enfin un terme à la Régie de l'opium.

- « Razzia sur la chnouf », d'Auguste le Breton, est porté à l'écran.

1964 :

Le mouvement psychédélique, dont le terme a été inventé par le psychiatre anglais Humphrey Osmond, prend son essor.

1965 :

Le LSD se répand dans le quartier hippie de Haight Ashbury à San Francisco. La chanson des Beatles (« Lucy in the Sky with Diamonds ») fait explicitement référence au LSD.

1966 :

Les Etats-Unis interdisent la fabrication et la vente de LSD sur le territoire américain ; la simple détention sera interdite en 1968.

1967 :

Le « Summer of love », fondé sur le slogan « Sex, drugs and rock'n roll », rassemble des groupes musicaux adeptes des stupéfiants (Joplin, Hendrix, Les Byrds, Jefferson Airplane...).

Années 70 :

Les drogues récréatives et psychédéliques cèdent la place à des produits plus durs, et notamment à l'héroïne.

1970 :

La loi française alourdit considérablement les peines contre les trafiquants, établit le délit controversé d'usage et crée l'injonction thérapeutique, c'est-à-dire l'obligation de se soigner contre une remise de peine.

1972 :

L'association « Le Patriarche » est créée.

1974 :

Le Maroc, par le dahir du 21 mai, classe le cannabis parmi les stupéfiants dangereux.

1976 :

- Le mouvement punk promeut l'usage des amphétamines (speed) et de la cocaïne.

- La loi hollandaise distingue les drogues dures des drogues douces en autorisant la vente contrôlée et la consommation de ces dernières ; il en résulte une floraison des cultures et des coffee shops, favorisant notamment le développement d'un narco-tourisme, tandis que l'usage des drogues dures n'est pas condamné, en dépit de leur interdiction.

1980 :

Faisant l'objet d'une promotion à bas prix sur les marchés clandestins, le crack devient la drogue des ghettos ethniques et de la misère sociale.

1986 :

L'ecstasy est inscrit au tableau des stupéfiants.

1989 :

Le retrait des soviétiques de l'Afghanistan, puis l'installation d'un gouvernement islamique à Kaboul, favorisent l'envol de la production d'opium.

Fin des années 80 :

Le mouvement des rave parties promeut l'ecstasy, un dérivé des amphétamines, qui permet aux ravers de danser des nuits entières au rythme hypnotique de la musique techno.

1998 :

Mort de la championne olympique Florence Griffith, vedette des JO de Séoul.

2002 :

Le Sénat crée une commission d'enquête sur la politique nationale de lutte contre les drogues illicites...

* 12 Cette chronologie sommaire a été établie notamment à partir du remarquable ouvrage d'Emmanuelle Retaillaud-Bajac, « Les drogues, une passion maudite » (Gallimard) et d'un dossier des Cahiers de la sécurité intérieure (« L'Etat et les stupéfiants : archéologie d'une politique publique répressive », par Igor Charras).

* 13 Jeune officier de marine, Charles Ullmo s'était emparé des codes confidentiels des signaux de la Royale et avait tenté de monnayer son forfait en menaçant de livrer ces informations à l'Allemagne. Arrêté et poursuivi pour tentative de trahison, ce fumeur d'opium fonda sa défense sur l'altération de sa personnalité par la drogue. Le retentissement considérable de cette affaire contribua à développer l'idée que l'usage de la « toufiane » par les officiers de marine constituait un problème de défense nationale.

* 14 Le puissant lobby colonial de l'époque veilla à ce que cette loi n'ait pas de répercussions trop négatives sur le budget des colonies et n'entrave pas le fonctionnement des Régies (d'opium en Indochine, de kif en Tunisie et au Maroc) qui participaient d'une manière non négligeable au financement de la colonisation. On rappellera que le Sénat comportait un « groupe colonial » depuis 1898 et la Chambre des députés depuis 1892, avec des effectifs qui s'élevaient à 200 membres en 1902 au Palais-Bourbon.

Albert Sarraut, qui fut un ardent défenseur des Régies en tant que gouverneur général de l'Indochine et ministre des colonies, dirigea ensuite la « croisade » anti-drogues contre les travailleurs « indigènes », notamment lors de ses passages successifs au ministère de l'intérieur.

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