III. UNE RÉPONSE JUDICIAIRE ERRATIQUE

A. LA RÉPRESSION DE L'USAGE : UNE DÉPÉNALISATION DE FAIT

1. Des interpellations à la baisse

Les interpellations par la police, la gendarmerie ou les douanes pour usage simple, après deux années d'augmentation, ont connu un recul notable en 2001 (71.667 usagers, soit une chute de plus de 14 %).

La structure des interpellations est toutefois restée inchangée : près de 9 interpellations sur 10 concernent des consommateurs de cannabis 84 ( * ) .

1998

1999

2000

2001

Interpellations pour ILS

91.048

95.910

100.870

84.533

Interpellations pour usage simple

74.633

80.037

83.385

71.667

Part d'interpellations des usagers simples (%)

82,0

83,5

82,7

84,8

Interpellations pour usage simple de cannabis

64.479

70.802

73.661

63.694

Part d'interpellations pour usage de cannabis (%)

86,4

88,5

88,3

88,9

INTERPELLATIONS

1997

1998

1999

2000

2001

Evol, 1/2

Trafic international

1.369

1.278

1.274

1.245

1.083

-13,0 %

Trafic local

5.191

4.263

4.232

5.286

4.355

-17,6 %

Usage revente

12.281

10.874

10.367

10.954

7.428

-32,1 %

Usage

70.444

74.633

80.037

83.385

71.667

-14,0 %

TOTAL

89.285

91.048

95.910

100.870

84.533

-16,2 %

1997

1998

1999

2000

2001

Evol,
01/02

Interpellations pour usage simple

Cannabis

58.134

64.479

70.802

73.661

63.694

-13,53 %

Opiacés

9.168

6.052

4.955

4.863

3.816

-21,53 %

Cocaïne et dérivés

1.557

2.513

2.740

2.651

2.059

-22,33 %

Amphétamines, ecstasy

1.585

1.589

1.540

2.210

2.098

-5.07 %

Total

70.444

74.633

80.037

83.385

71.667

-14,05 %

Interpellations pour trafic et usage-revente

Cannabis

11.957

11.262

10.950

12.313

8.593

-30,21 %

Opiacés

4.755

2.813

2.362

2.238

1.579

-29,45 %

Cocaïne et dérivés

1.329

1.640

1.862

1.829

1.666

-8,91 %

Amphétamines, ecstasy

800

700

699

1.105

1.028

-6,97 %

Total

18.841

16.415

15.873

17.485

12.866

-26,42 %

Source : OCRTIS, 2001

La commission d'enquête s'est interrogée sur la signification d'une telle chute des interpellations, qui lui a semblé due à une certaine démotivation ressentie par les forces de l'ordre devant la réponse judiciaire apportée. Ainsi, M. Jacques Franquet, premier vice-président de l'Organe international de contrôle des stupéfiants et ancien chef de l'Office central de répression du trafic illite des stupéfiants, a exprimé devant la commission d'enquête le sentiment partagé par nombre de policiers et gendarmes : « On emploie une sorte de double langage incompréhensible : l'usage est prévu dans la loi mais, d'un autre côté, on ne le poursuit pas, et il devient presque honteux de poursuivre les usagers. Je suis désolé, mais c'est dans la loi, et je trouve qu'il n'y a rien de honteux à ce que les policiers fassent des interpellations d'usagers. Ils font leur métier de policier. »  M. Pierre Mutz, directeur général de la gendarmerie nationale, a également déclaré devant la commission d'enquête : « Pour notre part, nous avons poursuivi systématiquement les usagers -on nous en a fait grief ces dernières années-, en considérant que des textes existent et que la gendarmerie fait partie des services répressifs qui doivent les faire appliquer. » Il a d'ailleurs indiqué que ces dernières années, marquées par une banalisation de l'usage dans les discours, les gendarmes voyaient de plus en plus de jeunes s'adonner à la consommation, ne serait-ce que dans un cadre convivial ou ludique, à l'occasion de certaines soirées et le week-end.

Il a semblé paradoxal à la commission d'enquête que des représentants de l'ordre soient ainsi contraints de se justifier d'exercer leur activité et elle souhaite elle aussi saluer l'action des forces de l'ordre en ce domaine.

Les directives en la matière paraissent en effet assez contradictoires.

Si la circulaire du garde des Sceaux du 17 juin 1999 préconise en effet que « les procureurs de la République attireront particulièrement l'attention des services de police et de gendarmerie sur les personnes dont la consommation cause des dommages sanitaires ou sociaux pour elles-mêmes ou pour autrui », la circulaire du ministre de l'intérieur du 11 octobre 1999 relative au renforcement de la lutte contre l'usage et le trafic local de stupéfiants tend à apporter des précisions aux services de police, la circulaire de la Chancellerie du 17 juin 1999 ayant provoqué des interrogations parmi les forces de l'ordre quant à l'attitude à adopter face aux usagers, et à dissiper le malaise provoqué par l'approche de l'usage de la MILDT.

Ainsi, elle précise aux policiers que l'interpellation privilégiée de consommateurs problématiques ne dispense pas d'agir également à l'endroit de tous les usagers, notamment de cannabis.

La baisse constatée en 2001 semble donc due en partie à un manque de lisibilité des objectifs de la MILDT, outre les modifications procédurales plus contraignantes intervenues à la suite de l'entrée en vigueur de la loi renforçant la présomption d'innocence.

Les signes forts donnés par le nouveau gouvernement et les objectifs ambitieux affichés dans la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure de l'été 2002 semblent avoir rasséréné les forces de l'ordre.

Ainsi, M. Pierre Mutz, directeur général de la gendarmerie nationale, a indiqué lors de son audition que les faits élucidés en 2002 avaient augmenté de 14,6 % par rapport à 2001, soulignant que « cette variation était cohérente avec le degré d'investissement des enquêteurs de la gendarmerie dans la lutte contre ce type de délinquance ». M. Bernard Petit, chef de l'OCRTIS, a également indiqué lors de son audition que « tous ces chiffres seront à la hausse en 2002. Cette année 2002 est assez bonne pour les services répressifs, une année de reprise très nette ». M. Michel Bouchet, chef de la MILAD a évoqué pour sa part un « saut qualitatif et quantitatif important dans la répression ». Les chiffres fournis par M. Alain Quéant, sous-directeur à la direction de la police urbaine de proximité de la préfecture de police de Paris, sont particulièrement impressionnants : en 2002, les faits constatés ont augmenté de 50,42 % et le nombre de personnes mises en cause de 47,9 %.

M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, a d'ailleurs rendu hommage à la mobilisation des forces de l'ordre lors de son audition : « Je veux souligner, parce que c'est mon devoir, que dans ce contexte, les services de police et de gendarmerie n'ont malgré tout, et c'est très méritant, pas relâché leurs efforts. Il faut du mérite, parce que cela donnait vraiment l'impression de vider la mer Méditerranée avec une cuillère à café. (...) Comment maintenir cette mobilisation des policiers et des gendarmes si l'on peut en toute impunité fumer du cannabis à la sortie même du tribunal où l'on a été convoqué ? (...) Tous les services se sont fortement mobilisés en 2002 dans la lutte contre la toxicomanie. Par rapport à 2001, c'est simple, les arrestations de trafiquants ont augmenté de 20 %, (...) les interpellations d'usagers ont augmenté de 13% et le nombre de saisies de drogues s'est accru de 23 %. Ces chiffres se passent de commentaires. »

Ainsi que l'a rappelé M. Michel Bouchet, chef de la MILAD, « il n'y aurait pas de cohérence à réprimer sévèrement le trafic si, dans le même temps, l'attitude des pouvoirs public donnait le sentiment d'une forme de tolérance concernant la consommation. Trafic et consommation ne sont en effet que deux aspects de la même problématique et si, de toute évidence, les sanctions doivent être différenciées, il ne peut y avoir un langage et une action forts sur l'un et faibles sur l'autre. C'est pourquoi le ministère de l'intérieur tient très fermement à marquer l'interdit qui pèse sur la consommation. Ainsi, pour l'année 2002, les interpellations d'usagers de stupéfiants ont augmenté dans les mêmes proportions que celles des trafiquants et leur nombre s'élève à plus de 80.000. »

M. Nicolas Sarkozy l'a d'ailleurs également rappelé : « Quelle logique y aurait-il à vouloir éradiquer les trafiquants sans lutter contre la consommation ? Tolérer la consommation est favoriser le travail des trafiquants, évidemment. Si le nombre de consommateurs augmente et si l'on peut tranquillement consommer, pourquoi voudriez-vous que les grands réseaux de trafiquants internationaux ne considèrent pas que notre pays est un lieu d'atterrissage, d'expansion et de commercialisation particulièrement sympathique, puisque vendre de la drogue est très mal, mais on ne dit rien si l'on en consomme ? Si ce n'était si grave, nous pourrions parler d'incohérence. Depuis quelques années, le discours dénonce les trafiquants, mais reste complaisant avec les usagers qui détiennent quelques grammes de cannabis ou quelques cachets, « toujours pour leur consommation personnelle ». C'est un illogisme absolu puisque, je l'affirme, il ne peut y avoir de trafic sans consommation. »

Le ministre a enfin clairement refusé de distinguer entre les drogues dites dures et le cannabis : « Le combat est pour que de moins en moins de jeunes consomment de moins en moins de drogues, quelles que soient ces drogues, quels que soient ces jeunes. Certaines substances sont illicites, mais il n'y a pas de drogues douces ou dures, pas de petite consommation personnelle, pas d'expérience individuelle, pas de jeunes « libres et branchés » ; il n'y a que des drogues interdites, des usagers qui mettent en péril leur santé et transgressent la loi, des drogues interdites parce que quoi que l'on ait pu en dire parfois, toutes les drogues sont nocives ;(...) Il faut ajouter, et c'est important, que ce ne sont pas les jeunes qui sont visés, mais bien ceux qui transgressent la loi, quel que soit leur âge. »

On l'aura compris, les forces de l'ordre ont désormais une « feuille de route » claire.

LA POLITIQUE DU GOUVERNEMENT À L'ÉGARD DES RAVE PARTIES

Le premier rassemblement de sound systems (un groupe de DJ et leur sono-ambulante) a eu lieu en France il y a 10 ans à la faveur d'un mouvement house et techno naissant.

Les raves se sont débord déroulées dans des entrepôts, péniches ou carrières abandonnées avant de devenir officielles, mais régulièrement interdites. Les free parties se sont alors développées. Ces rassemblements musicaux d'une durée de 2 à 4 jours se traduisent par l'afflux de milliers ou de dizaines de milliers de personnes vers des terrains ne comportant aucun équipement susceptible d'accueillir ce type de manifestation. Il en résulte des nuisances parfois fortes pour le voisinage, tandis que les sites occupés peuvent subir d'importantes dégradations. De même, la consommation de drogues, et en particulier d'ecstasy, apparaît particulièrement importante dans ces manifestations.

La prévention de ces rassemblements est très difficile en raison de leur caractère imprévisible, ainsi que du secret entourant le choix du site.

La loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne prévoit désormais que les « rassemblements exclusivement festifs à caractère musical organisés par des personnes privées dans des lieux qui ne sont pas au préalable organisés à cette fin et répondant à certaines caractéristiques fixées par décret en Conseil d'Etat » (paru le 3 mai 2002) doivent faire l'objet par les organisateurs d'une déclaration auprès du préfet.

Cette déclaration mentionne les mesures envisagées pour garantir la sécurité, la salubrité, l'hygiène et la tranquillité publiques, ainsi que l'autorisation d'occuper le terrain donnée par le propriétaire. Le préfet peut imposer toute mesure nécessaire au bon déroulement du rassemblement, notamment la mise en place d'un service d'ordre ou d'un dispositif sanitaire, et interdire le rassemblement si celui-ci est de nature à troubler gravement l'ordre public ou si, en dépit d'une mise en demeure préalable adressée à l'organisateur, les mesures prises par celui-ci pour assurer le bon déroulement du rassemblement sont insuffisantes.

Si le rassemblement se tient sans déclaration préalable ou en dépit d'une interdiction prononcée par le préfet, les officiers et agents de police judiciaire peuvent saisir le matériel utilisé, pour une durée maximale de six mois, en vue de sa confiscation par le tribunal.

Ainsi que l'a indiqué M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure, et des libertés locales lors de son audition par la commission d'enquête, il n'y a pas de raison d'empêcher l'organisation d'événements musicaux tels que les rave parties, chaque époque ayant eu son style musical et les concerts afférents.

Néanmoins, la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure du 29 août 2002 a fixé comme objectif de prévenir les nuisances liées aux rave parties. Après les incidents intervenus en août 2002 au col de Larche (Alpes-de-Haute-Provence), envahi par 5.000 ravers contestataires, des discussions se sont ouvertes en septembre et des médiateurs ont été mis en place dans chaque département. Les services du ministère de l'intérieur tentent de trouver des terrains, en échange de l'installation d'un PC de sécurité. Le festival techno du 1 er mai « Teknival », qui existe depuis 10 ans, a donc été organisé pour la première fois en concertation avec le ministère de l'intérieur sur la piste d'un aérodrome militaire désaffecté à Marigny-le-Grand (Marne). Il a réuni durant trois jours plus de 40.000 « teufers », sans incident majeur. La priorité absolue a été la sécurité du voisinage et la protection sanitaire des participants, souvent très jeunes. La Croix rouge comme Médecins du monde se sont félicités de pouvoir travailler dans ces conditions.

M. Nicolas Sarkozy a indiqué qu'il était exclu que la gendarmerie intervienne à l'intérieur des raves, qui peuvent compter jusqu'à 40.000 personnes : « une brigade territoriale de 4 ou 8 qui voit arriver 1.000 jeunes est de toute façon désarmée ». Il a cependant souligné que la gendarmerie assurait la sécurité en périphérie afin d'éviter tout débordement de la délinquance en dehors des lieux-mêmes des raves. Il en en outre souligné que si ces rassemblements n'étaient pas violents, l'intervention des forces de l'ordre pouvait tout faire basculer. Par ailleurs, il a rappelé qu'il était procédé à des contrôles d'alcoolémie et de drogue dans un périmètre de 30 kilomètres autour de la manifestation au moment de sa dispersion.

M. Xavier Raufer, criminologue, a indiqué à la commission que le profit potentiel pour les dealers se rendant dans une rave party était de plus de 750.000 euros par soirée.

Le phénomène des rave parties est suivi statistiquement depuis 1994. Il existe enfin un groupe d'étude commun police-gendarmerie sur les rave parties.

2. Une réponse judiciaire affaiblie et disparate

La loi du 31 décembre 1970 relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et à la répression du trafic et de l'usage illicite des substances vénéneuses a introduit l'article L. 628 du code de la santé publique réprimant l'usage des substances classées comme stupéfiants de deux mois à un an d'emprisonnement et de 500 à 15.000 francs d'amende. Néanmoins, l'article L. 628-1 du code de la santé publique prévoit une procédure d'injonction thérapeutique : le procureur peut décider de ne pas poursuivre un usager simple de drogues -quelles qu'elles soient- si celui-ci accepte de se faire soigner.

Dorénavant, les consommateurs encourent une peine d'un an d'emprisonnement et 3.750 euros d'amende sur la base de l'article L. 3421-1 du code de la santé publique, tandis que la procédure d'injonction thérapeutique est prévue aux articles L. 3413-1 à L. 3413-3 du code de la santé publique.

a) L'injonction thérapeutique : une mesure longtemps laissée en jachère et dont la relance reste difficile

La mesure d'injonction thérapeutique, plus ou moins tombée en désuétude à la fin des années 1970, a vu son importance réaffirmée par la circulaire Chalandon du 12 mai 1987 puis les circulaires interministérielles des 15 février 1993 et 28 avril 1995 relatives respectivement aux programmes justice-santé et à l'harmonisation des pratiques relatives à l'injonction thérapeutique, ainsi que plus récemment la circulaire du ministre de la justice du 17 juin 1999 relative aux réponses judiciaires aux toxicomanies, qui a déterminé la politique menée ces dernières années.

(1) Une mesure mise en sommeil dès l'origine ?

De 1970 à 1986, cette procédure a été mise en sommeil en raison des réticences du corps médical , considérant qu'on ne pouvait soigner par la contrainte. Le malaise est patent : le prévenu toxicomane n'est pas un prévenu comme un autre, le magistrat devient un prescripteur médical et le médecin l'exécutant d'une sentence . De même, les magistrats, découragés par l'absence d'interlocuteur dans le champ sanitaire et le manque de retour sur le suivi des traitements, les médecins refusant de communiquer des informations en arguant du secret professionnel, ont répugné à y recourir. Comme l'a indiqué le docteur Lucien Abenhaïm, directeur général de la santé, à la commission d'enquête, « l'une des raisons de l'échec thérapeutique était le fait que nous avions recours dans les années 1970 à des thérapies inefficaces, qui étaient surtout des approches psychosociales, psychoéducatives . Il y a donc eu un découragement assez rapide. »

Par ailleurs, se pose le problème des relations entre les parquets et les directions départementales des affaires sanitaires et sociales, qui peinent parfois à orienter les personnes vers les structures adéquates, en nombre insuffisant.

Le rapport Pelletier, publié en 1978, souligne les disparités de traitement entre usagers selon les produits, les magistrats et les structures sanitaires . Il propose donc de différencier les usagers de drogues selon le produit consommé.

• La circulaire Peyrefitte du 7 mai 1978, inspirée de ce rapport, indique que l'usager de cannabis ne peut être considéré comme un véritable toxicomane et ne relève pas de la cure de sevrage et des dispositions de la loi sur l'injonction thérapeutique , préconisant une simple admonestation, hormis les cas de multiples réitérations. Comme l'a souligné lors de son audition le docteur Léon Hovnanian, président du Centre national d'information sur la drogue : « Il (le garde des Sceaux) a ainsi dépénalisé de fait le cannabis. Il a eu raison, à mon avis, de supprimer la peine de prison pour obtenir le sevrage, car il y a en effet de meilleurs moyens offerts par des prises en charge dans des structures éducatives d'accueil protégées, à condition de les créer. L'erreur de la circulaire Peyrefitte a été de supprimer une sanction sans proposer de mesures de remplacement. Elle a ainsi renforcé l'image du cannabis drogue douce. »

• La circulaire Badinter de 1984 porte un nouveau coup à l'injonction thérapeutique en exprimant de manière voilée le discrédit frappant cette mesure. Elle relève ainsi que cette mesure a montré ses limites, liées au caractère contraint de la cure et à l'association du médecin et du magistrat « dans des conditions difficiles à comprendre pour l'usager ».

Une seconde période s'ouvre ensuite, où les alternatives sanitaires prévues par la loi disparaissent pour laisser la place à une répression beaucoup plus dense, les usagers se livrant à la revente étant assimilés à des trafiquants et poursuivis pénalement. La faible progression du nombre de mesures ordonnées et l'abandon par le ministère de la justice de tout recueil de données concernant les alternatives sanitaires en sont d'autres signes.

Le choc de l'épidémie de sida fait redécouvrir la population des usagers, en particulier par voie intraveineuse. Les alternatives sanitaires sont réactivées, sans aucune évaluation de leur efficacité, avec comme nouvel objectif la mise en contact des usagers avec les services sanitaires.

(2) Une relance laborieuse

• La circulaire Chalandon du 12 mai 1987 relance l'injonction thérapeutique , en opérant pour la première fois une distinction entre l'usager simple, l'usager-trafiquant ou auteur d'un autre délit et le trafiquant. Pour l'usager occasionnel présentant des garanties suffisantes d'insertion sociale, le magistrat du parquet peut se contenter d'adresser un avertissement, mais doit y procéder personnellement, afin de donner à cette décision toute sa signification. Pour l'usager d'habitude présentant des signes d'intoxication ou déjà interpellé pour des faits analogues, l'injonction thérapeutique est préconisée, une fois les éléments d'information sur sa personnalité et son environnement socio-professionnel recueillis. Elle vise donc à adapter l'intervention répressive et supprime l'approche par produit.

• La circulaire Vauzelle-Kouchner du 9 février 1993 vise à généraliser sur l'ensemble du territoire national le recours à l'injonction thérapeutique, estimant que cette procédure permet d'insérer l'action de la justice dans une perspective socio-médicale ; elle rappelle que plus d'un usager de drogue sur deux faisant l'objet d'une telle mesure entre à cette occasion pour la première fois en contact avec un soignant.

Elle relève que malgré les recommandations de la circulaire de 1987, seules 4.000 mesures sont prononcées chaque année, et qu'elles ne concernent encore qu'un faible nombre de toxicomanes. Ce nombre variait en outre fortement d'un département à l'autre, ainsi qu'à l'intérieur d'une même région, le recours à l'injonction thérapeutique étant fonction des politiques policières, judiciaires et sanitaires mises en oeuvre au plan local. Elle rappelle en outre l'importance de la coopération.

• La circulaire interministérielle du 14 janvier 1993 visant à améliorer la prise en charge sanitaire et sociale des toxicomanes relevant de la justice généralise le recours à l'injonction thérapeutique pour les usagers de stupéfiants n'ayant pas commis d'autre infraction. S'agissant des toxicomanes impliqués dans d'autres infractions (atteintes aux biens, atteintes aux personnes, revente de drogue), le plus souvent liées à leur état de dépendance, elle préconise une réponse répressive diversifiée et réellement individualisée, associée à une politique efficace de prévention de la récidive, par le biais d'une prise en charge sanitaire et sociale adaptée.

Pour ce faire, elle met en place des conventions d'objectifs pour mieux prévenir la récidive en assurant la réinsertion dans 15 départements prioritaires et à Paris, afin de renforcer la coordination à l'échelle du département sous la responsabilité du préfet, en liaison avec les autorités judiciaires et si possible en étroite collaboration avec le président du conseil général et les maires des grandes villes.

Elles visent à accompagner sur le plan sanitaire et social l'ensemble des mesures de sûreté et des peines ordonnées par les juridictions à l'égard des délinquants toxico-dépendants, afin de mieux prévenir la récidive, qu'il s'agisse des alternatives à l'incarcération (contrôle judiciaire, ajournement ou emprisonnement avec sursis assorti d'une mise à l'épreuve, travail d'intérêt général) ou des modalités particulières d'application des peines de prison (semi-liberté, placement extérieur et libération conditionnelle). Des démarches spécifiques doivent concerner les mineurs.

Les préfets sont chargés d'une évaluation des besoins et du recensement et de l'analyse des réponses apportées par le dispositif sanitaire et social existant (en termes de prestations des structures d'accueil et de prise en charge, spécialisées ou non, de capacité d'accueil, de moyens et de circuits de financement). Les directeurs départementaux de la protection judiciaire de la jeunesse, des affaires sanitaires et sociales et le directeur chargé des services de l'enfance relevant du conseil général doivent étudier les modalités de prise en charge des mineurs usagers sous protection judiciaire, recenser les associations partenaires locales, repérer les liens existants avec le dispositif médical ou spécialisé en toxicomanie, et vérifier la qualité des prestations.

Les conventions doivent notamment prévoir le type de prestations dispensées par les associations, les modalités d'articulation des actions des différentes associations, le nombre de toxicomanes pris en charge, les modalités d'accueil du public (notamment en cas d'urgence), la répartition des responsabilités entre les acteurs de la prise en charge sanitaire ou sociale et les autorités judiciaires, la durée de la convention, le montant des crédits et les financeurs, ainsi que les modalités d'évaluation du dispositif.

• La circulaire interministérielle du 28 avril 1995 relative à l'harmonisation des pratiques relatives à l'injonction thérapeutique (Mme Simone Veil, MM. Pierre Méhaignerie et Philippe Douste-Blazy) restreint les catégories d'usagers susceptibles de faire l'objet d'une injonction thérapeutique en insistant sur le critère de nécessité sanitaire : « les usagers de stupéfiants tels que l'héroïne ou la cocaïne, ou ceux qui s'adonnant au cannabis en font une consommation massive, répétée ou associée à d'autres produits (médicaments, alcool...) ». Dans le même temps, la notion d'injonction thérapeutique est élargie, puisqu'elle doit permettre au toxicomane de favoriser son insertion, l'aspect sanitaire et l'aspect social étant étroitement liés .

La circulaire souligne une nouvelle fois que le succès de l'injonction thérapeutique dépend en grande partie de la confiance réciproque entre magistrats et médecins et préconise la signature de conventions d'objectifs pour en assurer le suivi. A cet égard, elle rappelle une nouvelle fois que la DDASS doit impérativement prévenir le parquet en cas d'échec, de même que le parquet du domicile est seul en mesure de mettre en oeuvre efficacement l'injonction thérapeutique.

Elle préconise le recours aux enquêtes de personnalité et souligne que les faits d'usage peuvent faire l'objet d'une réponse très diversifiée .

La DDASS est chargée de faire procéder à un examen médical de l'usager et de son orientation. Le suivi thérapeutique exercé par la DDASS doit articuler une prise en charge médicale, lorsque l'état de l'usager de drogue le justifie, avec un suivi psychologique et un suivi social, mobilisant à cette fin des profils différents : médecins, psychologues, éducateurs ou assistants sociaux.

S'agissant des mineurs, la circulaire déplore la rareté des saisines des magistrats de la jeunesse et invite à recourir à l'injonction thérapeutique en cas de consommation importante de produits stupéfiants ou de polytoxicomanie. Il convient dans tous les cas pour le parquet des mineurs de faire convoquer dans les meilleurs délais le mineur usager et ses parents, de saisir les services de la DDASS et dans le même temps le service éducatif auprès du tribunal (SEAT) pour enquête.

La circulaire appelle enfin, ce qui est récurrent depuis 1971 (et avait été rappelé notamment en 1987), les services d'enquête à dresser des procès-verbaux et non des mains courantes pour toutes les interpellations pour usage, le recours à l'injonction thérapeutique ne pouvant avoir lieu sans une procédure préalable. De plus, elle insiste sur le fait qu'en cas d'impossibilité de déferrement, l'intéressé reçoit du service enquêteur une convocation à se présenter au parquet dans un délai inférieur à 8 jours (les toxicomanes éprouvant souvent de grandes difficultés à se situer dans le temps et tout retard risquant de se solder par un échec).

(3) Le bilan mitigé de l'injonction thérapeutique à la fin des années 90

La répétition, circulaire après circulaire, et ce pendant plus de 25 ans, des mêmes recommandations laisse songeur . Les difficultés d'ordre pratique, responsables dans une large mesure de l'échec de la procédure d'injonction thérapeutique sont bien connues, ainsi que leurs remèdes.

(a) Le constat : un faible nombre d'injonctions thérapeutiques

Le rapport de la Cour des comptes de 1998 notait que le dispositif avait été peu appliqué, malgré les circulaires publiées depuis 1987.

Les relances successives de l'injonction thérapeutique ont permis de faire progresser le nombre de mesures, mais sans commune mesure avec la progression exponentielle des interpellations pour usage illicite de stupéfiants, passées de moins de 2.000 en 1970 à près de 58.000 en 1996. Le nombre d'injonctions thérapeutiques, inférieur à 1.000 jusqu'en 1978, passe à 2.075 en 1981 et, après les relances successives, à 8.052 en 1997. En 1993, moins de 9 % des interpellations d'usagers aboutissaient à des injonctions thérapeutiques, dont un tiers seulement aurait abouti à des résultats satisfaisants 85 ( * ) .

Par ailleurs, si la circulaire du 28 avril 1995 visait à relancer la mesure, elle préconisait également d'en exclure les usagers de cannabis occasionnels. Le nombre d'injonctions thérapeutiques dans certains parquets a ainsi paradoxalement diminué.

De plus, 5,6 % seulement des consultations ou admissions de toxicomanes dans les centres de soins agréés étaient le résultat d'une injonction thérapeutique.

L'injonction thérapeutique, à vocation essentiellement sanitaire, apparaît en outre inadaptée aux nouveaux produits et modes de consommation.

La prise en compte de la personne dans sa globalité, incluant les problèmes sociaux et psychologiques, conduit à rechercher d'autres modes de prise en charge des usagers de drogues. De plus, il paraît difficile de proposer les mêmes traitements à des usagers de cannabis ayant une consommation à caractère dit festif ou récréatif et à des héroïnomanes fortement dépendants.

(b) La diversité des pratiques selon les parquets

Le rapport de la Cour des comptes relevait en outre le manque d'homogénéité de l'application de cette mesure sur le territoire national. Ainsi, les résultats varient considérablement d'une localité à l'autre, en fonction de la réalité des relations entre les diverses institutions impliquées dans la procédure.

La mise en place de l'injonction thérapeutique a été circonscrite à la région parisienne jusqu'au début des années 1980. Elle s'est ensuite étendue sur le reste du territoire national sans pour autant toucher tous les départements, la moitié des mesures prononcées en 1997 concernant l'Ile-de-France, alors même que la circulaire du 28 avril 1995 visait l'extension du dispositif à l'ensemble du territoire. Aucune injonction n'avait été prononcée dans 19 départements en 1995, même si 31 départements disposaient désormais d'une convention départementale d'objectifs pour la prise en charge des toxicomanes suivis par la justice. En 1996, en France métropolitaine, sur 175 tribunaux de grande instance, 17, soit 10 %, n'avaient prononcé aucune mesure et 13 % en avaient prononcé plus de 100.

Ces disparités régionales peuvent difficilement s'expliquer par la seule présence ou absence d'usagers de stupéfiants dans les régions 86 ( * ) , même si les disparités dans les poursuites résultent notamment du nombre d'affaires soumises au parquet. Malgré les circulaires et les formations destinées aux magistrats, ces derniers sont toujours perplexes sur le rôle de la justice pénale dans la prise en charge des usagers. M. Setbon 87 ( * ) note que les magistrats des parquets les plus farouchement opposés à l'injonction thérapeutique réfutent la réalité même de l'usage de l'héroïne, en estimant que tout consommateur est également vendeur, ce qui exclut l'orientation pénale vers une injonction thérapeutique.

On notera que les données administratives publiées ne répartissent pas les injonctions thérapeutiques par produit . Néanmoins, il apparaît que la part de chaque produit dans les injonctions thérapeutiques prononcées est variable selon les juridictions et montre une évolution vers une diversification des produits.

La part de l'héroïne a tendance à baisser, du fait du développement des traitements de substitution. La part de la cocaïne est non négligeable dans la banlieue parisienne où elle tend à augmenter.

Certains parquets appliquent l'injonction thérapeutique à tous les usagers de drogues illicites, quel que soit le produit consommé, ecstasy, cannabis ou héroïne. Les injonctions thérapeutiques s'appliquent majoritairement à des usagers de cannabis (en 1997, seulement 36 % des mesures concernaient les héroïnomanes), contrairement aux orientations interministérielles recommandant de les réserver aux usagers toxico-dépendants.

Selon une enquête effectuée en 1996 auprès des parquets, une majorité d'entre-eux mettait en oeuvre l'injonction thérapeutique pour les usagers de cannabis, alors même que certains relativisaient l'existence d'un état de dépendance pour ceux-ci. Les parquets plutôt favorables aux poursuites pénales des usagers de stupéfiants tendaient à prononcer les injonctions thérapeutiques pour le cannabis, tandis que ceux qui voulaient éviter les poursuites classaient sans suite pour le cannabis et prononçaient l'injonction thérapeutique pour les autres drogues.

L'extension de la conception de l'injonction thérapeutique, intégrant des préoccupations de suivi socio-éducatif, de prise en charge psychologique et de délivrance d'un message préventif et informatif en terme de santé publique, a également été diversement appréciée par les tribunaux de grande instance.

(c) Un cloisonnement des acteurs préjudiciable

Les réponses judiciaires à la toxicomanie demeuraient encore trop marquées par le cloisonnement des interventions des différents acteurs du processus (police, justice, autorité sanitaire), malgré quelques progrès. Ainsi, si les circulaires des gardes des Sceaux successifs depuis 1978 recommandaient pour les usagers de privilégier le soin et la réinsertion, les interpellations pour usage avaient plus que doublé en cinq ans, avec une proportion croissante d'usagers de cannabis (environ 85 % en 1998), alors que moins de 5 % de ces interpellations donnaient lieu à des condamnations pénales, rarement sévères.

Par ailleurs, si la circulaire du 25 août 1971 indiquait déjà : « il est évident que l'application des prescriptions exige une concertation réelle entre les magistrats du parquet et les responsables des services de l'action sanitaire et sociale de manière à définir en commun les modalités pratiques qui donneront à la loi son maximum d'efficacité. A cette fin, des rapports étroits seront entretenus avec les services intéressés et les magistrats des parquets ne devront pas hésiter à prendre l'initiative de les établir » , tel n'a pas été le cas partout. De même, certains parquets ont expérimenté certaines procédures originales, comme l'incitation aux soins, afin de pallier l'inertie des DDASS.

b) La politique du gouvernement pour la période 1999-2001 : des intentions louables

La politique du précédent gouvernement en matière de répression de l'usage des drogues illicites s'est articulée autour du plan triennal 1999-2001 de la MILDT, décliné, s'agissant de la réponse judiciaire, dans la circulaire du garde des Sceaux du 17 juin 1999 et, s'agissant de la réponse répressive, dans la circulaire du ministre de l'intérieur du 11 octobre 1999.

(1) Le plan triennal 1999-2001 de la MILDT

Ce plan triennal adopté le 16 juin 1999 vise à définir les conditions d'une meilleure articulation entre les politiques sanitaire et répressive.

S'il n'envisage pas une modification de la loi du 31 décembre 1970, qui réprime le simple usage d'une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à un an, il recentre la lutte sur le trafic, tout en rappelant l'interdit aux usagers.

Comme l'a indiqué lors de son audition Mme Nicole Maestracci, ancienne présidente de la MILDT : « Sur l'application de la loi, nous avons essayé de mieux articuler l'action de la justice et l'action sanitaire et sociale par des conventions entre les services de soins et les procureurs de la République (...). L'objectif est que l'ensemble des usagers qui ont affaire à la justice pour une consommation excessive d'alcool ou un délit lié à la drogue puissent bénéficier d'une orientation sanitaire et sociale, quelle que soit la sanction pénale par ailleurs : s'ils ont commis d'autres délits, ils peuvent avoir une sanction pénale et, en même temps, une orientation sanitaire et sociale. ».

Une diversification des réponses judiciaires offertes est donc préconisée à tous les stades de la procédure.

Les conventions départementales d'objectifs justice-santé , qui définissent localement les priorités de la politique judiciaire à l'égard des usagers de substances psychoactives (drogues illicites, alcool, polyconsommations) sont l'outil principal de cette politique, en appuyant financièrement les structures socio-sanitaires susceptibles d'accueillir les publics orientés par les instances judiciaires.

(a) Des objectifs compris et partagés par tous les acteurs

Le plan préconise que les objectifs poursuivis par la répression de l'usage soient partagés par tous les acteurs de la politique publique, qu'ils aient une action sanitaire ou répressive, grâce à une formation spécifique. Il rappelle que ces objectifs sont de diminuer les consommations, d'éviter le passage de l'usage à l'usage abusif, en particulier chez les jeunes, de diminuer la délinquance liée à la situation sociale et sanitaire des toxicomanes, ainsi que les dommages sanitaires et sociaux subis par les consommateurs excessifs ou dépendants, en les mettant en contact avec les structures du réseau sanitaire et social.

Soulignant que les logiques d'ordre public et de santé publique devaient être indissolublement liées, il préconise de réserver les poursuites aux cas où l'usager est source de danger pour lui-même ou pour son environnement.

L'injonction thérapeutique doit par ailleurs être réservée aux usagers toxicodépendants, d'autres alternatives sociopsychologiques devant être trouvées pour les autres consommateurs.

Une telle diversification des réponses judiciaires nécessite la mise en place de permanences d'orientation sanitaire et sociale, servant d'interlocuteur spécialisé pour éclairer les décisions des magistrats et assurer le suivi des mesures.

(b) Prévenir la récidive en privilégiant les alternatives à l'incarcération et le suivi à la sortie de la prison

Pour les toxicomanes les plus en difficulté et les plus susceptibles de récidiver, la mesure d'individualisation doit devenir la règle.

En l'absence de délit connexe, les usagers de drogues doivent systématiquement pouvoir bénéficier de mesures alternatives à l'incarcération.

En outre, la détention doit être l'occasion d'entamer une démarche de soins, qui doit se prolonger après la sortie de prison.

(c) La généralisation des conventions départementales d'objectifs comme instruments de mise en oeuvre des orientations de politique pénale

Le plan s'appuie sur les CDO, créées en 1993 et généralisées à l'ensemble des départements. Ce dispositif doit être adapté aux besoins identifiés localement par les autorités judiciaires et les services relevant du ministère de la justice (orientation et prise en charge des usagers interpellés, classement sous condition, prise en charge des mineurs toxicomanes, contrôle judiciaire socio-éducatif, condamnation assortie d'une obligation de soins, développement du travail d'intérêt général ou de mesures d'aménagement de la peine de prison, type semi-liberté ou liberté conditionnelle, intervention en détention, prise en charge immédiate des sortants de prison).

(2) La circulaire Guigou du 17 juin 1999 : utiliser la réponse judiciaire aux toxicomanies comme tremplin pour une orientation sanitaire ou psychosociale

Cette circulaire décline les orientations du plan triennal de la MILDT s'agissant des usagers de drogues sous main de justice.

Elle considère que l'approche judiciaire ne peut être limitée au seul produit, ni au seul aspect sanitaire de la situation d'un toxicomane, mais que les magistrats doivent tenir compte de la personnalité de l'intéressé, de son mode de consommation et du contexte général dans lequel il évolue (famille, activité professionnelle, scolaire, domicile, conditions de vie...), afin d'individualiser le choix de la mesure, à tous les stades de la procédure, depuis l'interpellation jusqu'à la sortie de prison.

La réponse judiciaire doit participer à la lutte contre la récidive en évitant l'engrenage de la délinquance et l'exclusion des toxicomanes.

Elle insiste sur la nécessité pour les magistrats de systématiquement trouver un interlocuteur compétent dans le champ sanitaire et social pour l'orientation de tout usager interpellé, et les invite à s'appuyer sur les permanences d'orientation pénales et les services chargés de l'exécution des injonctions thérapeutiques.

Elle reconnaît enfin que la démarche effectuée par un toxicomane pour lutter contre son lien de dépendance est nécessairement longue et souvent chaotique, et qu'une nouvelle consommation de produits illicites ne signifie pas automatiquement que cette démarche est vouée à l'échec.

(a) Une enquête de personnalité plus approfondie à tous les stades de la procédure

Les procureurs de la République doivent ainsi recourir aux enquêtes sociales rapides prévues à l'article 41 du code de procédure pénale, après concertation avec les services pénitentiaires d'insertion et de probation et les associations habilitées. La personne chargée de l'enquête sociale doit notamment informer le magistrat des mesures propres à favoriser l'insertion sociale et professionnelle de l'usager de drogues et formuler des propositions. Elle recueille des informations auprès de la famille, des établissements scolaires et dans le milieu professionnel ainsi qu'auprès des services judiciaires le cas échéant.

Dans le cadre d'informations judiciaires, l'intérêt des enquêtes sur la personnalité (article 81 du code de procédure pénale), permettant une investigation approfondie sur la personne dépendante, mais également sur ses possibilités de réinsertion, et surtout des expertises médico-psychologiques ou psychiatriques, est rappelé.

Par ailleurs, lorsque le juge de l'application des peines est saisi par le ministère public (article D 49-1 du code de procédure pénale), un rapport sur la situation de la personne condamnée en lien avec une conduite addictive devrait être établi, afin d'éviter les effets désocialisants d'une courte incarcération, comme la perte d'un emploi ou la rupture d'une prise en charge.

Dans l'hypothèse d'une détention, les procureurs de la République sont invités à rédiger une notice relative à la situation de chaque détenu toxicomane, destinée à l'administration pénitentiaire afin de permettre une individualisation du suivi en milieu carcéral.

(b) L'adaptation des réponses judiciaires tout au long de l'enquête initiale

En ce qui concerne les interpellations et les placements en garde à vue d'usagers de stupéfiants, les procureurs de la République doivent attirer l'attention des services de police et de gendarmerie sur les personnes dont la consommation cause des dommages sanitaires ou sociaux pour elles-mêmes ou pour autrui.

Les interpellations, du seul chef d'usage de stupéfiants, à proximité immédiate des structures à bas seuil ou des lieux d'échange de seringues sont proscrites. En tous lieux, le seul port d'une seringue ne doit plus être considéré comme susceptible de justifier une interpellation. De plus, les traitements de substitution doivent être assurés au cours de la garde à vue.

S'agissant du parquet, il est recommandé une fois de plus que le parquet saisi soit celui du lieu de domicile de l'usager, afin de permettre un réel suivi.

La circulaire appelle en outre à une diversification des alternatives aux poursuites, l'injonction thérapeutique devant prioritairement toucher les personnes dépendantes. Elle confirme donc la circulaire du 28 avril 1995 la réorientant vers les héroïnomanes et autres toxicomanes faisant un usage massif ou répété de produits illicites.

Le rappel à la loi, sous la forme d'un classement des poursuites avec avertissement, est donc à privilégier s'agissant des consommateurs occasionnels de produits stupéfiants, et surtout de cannabis, dont la situation ne paraît pas nécessiter de soins mais justifie une réponse judiciaire. Le classement avec orientation vers une structure sanitaire, sociale ou professionnelle paraît plus adapté pour les usagers de substances psychoactives dont l'interpellation laisse paraître soit des difficultés d'ordre familial, médical, social, professionnel ou scolaire, soit un usage récréatif, comme les personnes consommant de l'ecstasy lors de raves, et qui peuvent ainsi se voir délivrer un message de prévention sanitaire, soit les héroïnomanes ou cocaïnomanes lors de leur première interpellation lorsqu'ils ne paraissent pas relever de l'injonction thérapeutique. Ceux-ci peuvent également se voir appliquer un classement sous condition de se rendre auprès d'une structure désignée.

La DDASS, structure pivot, doit rechercher la réponse la plus adaptée. Il est par ailleurs rappelé que les articles L. 355-16 et L. 355-17 du code de la santé publique prévoient que l'autorité sanitaire contrôle le déroulement du traitement et informe régulièrement le parquet de la situation médicale et sociale de la personne, notamment en cas d'interruption du traitement.

(c) L'adaptation des réponses judiciaires dans la phase pré-sentencielle

Entre l'engagement des poursuites et l'audience de jugement, le prévenu doit être particulièrement sensibilisé à l'intérêt de commencer une démarche d'insertion ou de soins.

L'incitation aux soins doit permettre à la personne poursuivie d'entamer une démarche de soins avant de se présenter devant le tribunal correctionnel, qui en tiendra compte lors de son jugement. La convocation à l'audience ne doit donc pas être trop rapprochée (quatre mois). Ce pôle d'orientation et d'accompagnement a déjà été développé par certaines juridictions sous la forme d'une « permanence toxicomanie » tenue par des partenaires sociaux ou sanitaires. Cette orientation ne constitue pas une obligation pour le prévenu, et lui seul peut informer la juridiction de jugement de l'avancée de sa démarche. Elle est également possible dans le cadre d'un ajournement de peine simple.

En outre, les mesures de contrôle judiciaire , et notamment de contrôle judiciaire socio-éducatif (article 138 du code de procédure pénale) font partie d'un cadre coercitif fort. Au-delà du mandat de surveillance assigné au contrôleur judiciaire, celui-ci peut développer une mission d'aide et d'assistance (en matière de soins, d'insertion sociale, de difficultés personnelles ou familiales...).

(d) L'adaptation des réponses judiciaires dans les phases sentencielle et post-sentencielle : l'emprisonnement ferme à l'encontre d'un usager n'ayant pas commis d'autre délit connexe, utilisé comme un ultime recours

La circulaire préconise de recourir plus fréquemment aux ajournements de peine, aux peines alternatives à l'incarcération et aux mesures d'aménagement de peines, rarement prononcées en faveur des toxicomanes, alors qu'il s'agit de mesures structurantes, dont la mise en oeuvre à l'égard des personnes présentant une dépendance avérée aux opiacés est aujourd'hui facilitée par les traitements de substitution, permettant une stabilisation de leur état. En 1998, les services de l'administration pénitentiaire ont suivi plus de 138.000 mesures, dont 105.000 mesures de sursis avec mise à l'épreuve, 24.000 mesures de travail d'intérêt général et 763 mesures d'ajournement avec mise à l'épreuve.

L'ajournement de peine avec mise à l'épreuve permet de responsabiliser le prévenu, à qui le travailleur social peut rappeler l'échéance du jugement comme ultime recours à son inertie. Il permet la mise en oeuvre d'un suivi socio-éducatif général, d'un accompagnement dans le cadre de démarches de soins, mais aussi d'actions à vocation préventive comprenant des séances d'information sur les produits et leurs effets.

La circulaire souligne toutefois que cette mesure n'est pleinement opérationnelle que si elle est mise en oeuvre immédiatement, et préconise la tenue par le service pénitentiaire d'insertion et de probation de permanences d'audition afin que dès la sortie de l'audience, une convocation soit fixée au prévenu et que les pièces nécessaires à la notification de la mesure par le juge de l'application des peines soient rapidement rassemblées.

Le sursis avec mise à l'épreuve , du fait de sa grande souplesse, est la principale sanction alternative prononcée par les juridictions. L'obligation de soins consiste à amener la personne à prendre contact avec un établissement sanitaire, puis à s'engager dans une démarche de soins. La circulaire constate une amélioration du partenariat avec les structures spécialisées. Il doit prendre en compte l'ensemble des difficultés d'insertion et repose donc sur la mise en oeuvre d'un suivi socio-éducatif des condamnés réalisé par le service d'insertion et de probation, et sur une orientation de ceux-ci vers les dispositifs de droit commun : aide sociale, mission locale pour les jeunes, formation professionnelle.

S'agissant du travail d'intérêt général , la circulaire rappelle qu'il peut notamment être prononcé à titre de peine principale (article 131-8 du code pénal), comme obligation particulière dans le cadre d'une peine d'emprisonnement avec sursis (article 132-54 du code pénal) ou comme conversion d'une courte peine d'emprisonnement (article 132-57 du code pénal). Le TIG est une peine alternative en vigueur depuis 1983 qui ne peut être prononcée qu'avec l'accord du condamné. Il s'agit d'un travail non rémunéré d'une durée de 40 à 240 heures maximum, au profit d'une collectivité locale ou d'une association.

Les personnes toxicomanes bénéficient rarement de cette mesure, et ne s'intègrent souvent que difficilement aux postes de travail habituellement prévus à cet effet par les collectivités et établissements publics et les associations habilitées. Ces difficultés ont conduit plusieurs magistrats et services d'insertion et de probation à définir des modalités spécifiques de mise en oeuvre du travail d'intérêt général pour les personnes toxicomanes reposant sur l'idée de progressivité dans l'exécution du travail, intégrant des mesures éducatives particulières et s'appuyant sur un partenariat soutenu. L'exécution proprement dite d'une activité non rémunérée au sein d'une équipe de travail peut être précédée d'une période de préparation (bilan sanitaire, soutien psychologique, remise à niveau scolaire, bilan professionnel...), qui ne peut être ajoutée à la durée du TIG prononcée par la juridiction. Un accompagnement éducatif ou sanitaire au cours de la mesure est indispensable, afin de préparer la sortie du dispositif et de prévenir la récidive. Il doit donc englober la recherche d'une insertion durable de l'intéressé, qu'il s'agisse de l'hébergement, de la situation administrative, des ressources ou des perspectives professionnelles ou de formation. La circulaire préconise la prise en charge rapide des personnes condamnées, grâce à l'exécution provisoire de la décision et à la tenue de permanences par les services pénitentiaires d'insertion et de probation pendant les audiences correctionnelles.

En outre, elle invite les juges de l'application des peines et les services pénitentiaires d'insertion et de probation à rechercher des modes de collaboration plus actifs et plus structurés avec les partenaires de l'institution judiciaire et à présenter régulièrement aux juridictions de jugement les projets déjà mis en place ainsi que leur évaluation.

Enfin, la circulaire indique que lorsque la nature des faits, les antécédents judiciaires et la personnalité du prévenu justifient le prononcé d'une peine d'emprisonnement ferme , la période de détention doit être mise à profit pour favoriser une prise en charge des problèmes de dépendance du condamné dès son accueil par un meilleur repérage des personnes toxicomanes en vue d'une orientation vers les structures sanitaires ou spécialisées et de l'établissement d'un projet d'exécution des peines et de préparation à la sortie.

Elle déplore en outre la diminution du nombre de libérations conditionnelles , susceptibles pourtant de mieux préparer la sortie des détenus incarcérés et d'éviter la récidive. Le bénéfice de cette mesure peut être subordonné à une obligation de soins, mais nécessite une préparation précoce et rigoureuse de la part des services d'insertion et de probation afin d'assurer la crédibilité des projets présentés à la commission d'application des peines.

S'agissant du placement à l'extérieur (article D. 126 du code de procédure pénale), exécuté soit sous surveillance pénitentiaire directe soit par délégation à un tiers (employeur, famille, partenaire sanitaire), la circulaire indique qu'il peut être accordé en vue d'une prise en charge sanitaire, mais que cela reste rare, l'obstacle majeur résidant dans la prise en charge sanitaire, qui exige la création d'un partenariat réel et efficace. Or cette mesure facilite dans un cadre relativement contraignant l'élaboration d'un projet social ou socio-professionnel (contrat emploi-solidarité, stage de formation professionnelle) et dans le même temps la mise en place d'un suivi sanitaire.

Enfin, elle souligne le faible nombre des projets de semi-liberté .

Les diverses suites données aux interpellations d'usagers se présentent comme suit, étant rappelé que l'objectif de la directive de la Chancellerie du 17 juin 1999 était de développer toutes les alternatives à l'incarcération et de permettre une orientation psychosociale ou sanitaire à tout stade de la procédure.

Parcours de l'usager de substances psychoactives (drogues illicites)
dans la chaîne pénale

POLICE
GENDARMERIE
DOUANES

Interpellation
(constatation de l'infraction)

Orientation pénale
(enquête et décision
de poursuite)

Réponse judiciaire
(jugement et fixation
de la sanction)

Exception de la peine
(application des peines)

Classement sans suite


Alternative

aux poursuites
(classement sans suite provisoire)

Interpellation

(a) Injonction thérapeutique

(b) Classement avec rappel à la loi et/ou avertissement

(c) Classement avec orientation sanitaire et/ou sociale

Transactions douanières pour ILS

Sanction

Mesure présentencielle (avant jugement)

(a) Contrôle judiciaire

(b) Liberté surveillé, placement...

(c) Enquête sociale

Amende

Peine alternative à incarcération

Emprison

nement

(a) Travail d'intérêt général (TIG)
(b) Peine de substitution

(c) Mesure éducative

* Avec sursis

(a) Simple

(b) Probatoire

(c) TIG

(a) Partiel

(b) Total

Ferme

(a) Placement à l'extérieur

(b) Semi-liberté

(c) Liberté conditionnelle

Poursuite


PARQUET


TRIBUNAL

(e) L'adaptation des réponses judiciaires aux problématiques des mineurs usagers de drogues

La circulaire souligne l'importance pour les jeunes, quand l'usage existe, de prévenir sa répétition ou son abus.

A l'égard des mineurs ne présentant pas de difficulté personnelle ou sociale méritant une intervention éducative et impliqués dans un simple usage ou une revente occasionnelle, elle privilégie des mesures de rappel à la loi et de classement sous condition , de non renouvellement notamment, notifiées aux intéressés et à leurs représentants légaux par le substitut spécialement chargé des affaires de mineurs ou par le délégué du procureur de la République. Une évaluation par le service éducatif auprès du tribunal est préconisée, suivie si cet usage se révèle important d'une saisine du juge des enfants aux fins d'investigations approfondies.

En raison de leurs modes d'intoxication, les mineurs ne sont qu'exceptionnellement concernés par la mesure d'injonction thérapeutique, qui nécessite en ce qui les concerne l'avis des parents.

S'agissant de mineurs fortement impliqués dans la diffusion des produits, au sein des écoles ou à l'extérieur ou récidivistes, la circulaire préconise la saisine systématique du juge des enfants ou du juge d'instruction spécialisé dans les affaires de mineurs , dans le cadre de l'ordonnance du 2 février 1945. En ce qui concerne les enquêtes et les éléments de personnalité, les services éducatifs auprès des tribunaux peuvent être saisis pour recueillir des renseignements socio-éducatifs comme le prévoit l'article 12 de l'ordonnance du 2 février 1945, susceptibles d'être complétés ultérieurement 88 ( * ) .

Elle propose en outre de recourir à toute la palette de réponses éducatives de l'ordonnance du 2 février 1945 : mesures de liberté surveillée, de mise sous protection judiciaire ou de placement en établissement éducatif ou sanitaire.

Elle appelle également au développement de protocoles de collaboration entre la protection judiciaire de la jeunesse et le secteur sanitaire, l'usage de drogue pouvant nécessiter une prise en charge sanitaire en complément d'une mesure éducative.

La consommation de drogues constituant parfois le symptôme de difficultés d'ordre à la fois personnel, familial et social, elle invitait les parquets de mineurs à demander à être systématiquement avisés de ces situations afin qu'ils puissent saisir les juges des enfants à chaque fois qu'apparaissait une notion de danger pour permettre une évaluation approfondie de la situation dans sa globalité.

(3) L'objectif de la circulaire Chevènement du 11 octobre 1999 relative au renforcement de la lutte contre l'usage et le trafic local de stupéfiants : préciser la place de la police dans la chaîne judiciaire

La circulaire du 11 octobre 1999 relative au renforcement de la lutte contre l'usage et le trafic local de stupéfiants vise notamment à expliciter les orientations de la MILDT à des policiers parfois perplexes.

Elle part du constat que les policiers, dans leurs missions quotidiennes sur la voie publique, sont souvent le premier contact entre l'usager de drogue et le monde institutionnel. Elle préconise que ce contact puisse être décliné sous tous ses aspects : prévention de l'usage, marque de l'interdit, aide à la décision judiciaire.

Si la circulaire rappelle que doivent être privilégiés les contrôles susceptibles de conduire à l'interpellation d'usagers dont la situation sanitaire ou le comportement font courir des risques non seulement à eux-mêmes, mais aussi à autrui, elle la nuance sur deux points :

- ces priorités sont sans préjudice de l'action des services commandée par un contexte particulier tels que le flagrant délit, le trouble à l'ordre public, la requête de riverains, l'intérêt d'une enquête ... ;

- « cette priorité ne dispense pas, par ailleurs, d'intervenir à propos des consommations de tous les produits prohibés par la loi, notamment le cannabis », connu pour accompagner ou générer une polytoxicomanie avec d'autres produits, tel l'alcool, des comportements délictuels, dangereux (conduite de voiture), des troubles à l'ordre public et des incivilités à l'origine du sentiment d'insécurité dans les quartiers sensibles.

Par ailleurs, il convient, lorsqu'elles sont inexistantes, de définir en concertation avec le chef de projet les modalités d'action des services de police à proximité immédiate des structures d'accueil de toxicomanes dépendants et des lieux d'échanges de seringues.

En matière d'usage, il est nécessaire d'éviter tout lien automatique entre l'interpellation et la garde à vue. Les chefs de service doivent mener en étroite concertation avec les parquets une réflexion sur les critères (nature du produit, type et fréquence de consommation, absence de trouble à l'ordre public, personnalité et antécédents de l'usager -récidive, insertion sociale, domiciliation-, capacité du service à traiter la procédure immédiatement ou rapidement, urgence d'un traitement médical...).

« Le cas des mineurs justifie une attention particulière. A leur égard aucune consommation ne doit être considérée comme anodine . » La circulaire souligne qu'il faut tendre à la responsabilisation des parents et à leur information. Leur audition est indispensable, au-delà de leur reconnaissance sur le plan de la responsabilité civile, tant pour les sensibiliser aux dangers encourus que pour les renseigner sur les dispositifs d'aide existants.

L'accomplissement de ces diligences conduit généralement à un placement en garde à vue. En outre, il peut être utile de faire procéder à un examen médical. Dans cette hypothèse, une mesure de garde à vue s'impose.

Les services de police doivent s'attacher à mettre le parquet en position de choix en lui fournissant toutes les informations dont il peut disposer, notamment s'agissant du recueil d'informations précises sur la personnalité du mineur, nécessaire à la décision du parquet, voire à la saisine du juge des enfants en matière d'assistance éducative.

L'ensemble de ce dispositif ambitieux semblait donc a priori cohérent et réaliste, un consensus existant sur l'opportunité d'éviter la prison aux toxicomanes, ce lieu pouvant les inciter à essayer de nouveaux produits. Néanmoins, on pouvait craindre qu'il soit interprété par les usagers de drogues, notamment récréatifs, comme une certitude de pouvoir consommer en paix. Par ailleurs, la question de la capacité des structures sanitaires et psychosociales à accueillir ces personnes était également posée.

c) Des résultats qui peuvent être diversement appréciés

La commission d'enquête s'est interrogée tant sur le degré de réalisation des objectifs fixés par le plan triennal 1999-2001 que sur leur pertinence au regard des priorités de lutte contre les drogues illicites.

(1) Une évaluation du plan par l'OFDT

L'OFDT a été chargé par le comité interministériel de lutte contre la drogue et la toxicomanie de procéder à une évaluation du plan. Ainsi que l'a indiqué à la commission d'enquête son directeur, M. Jean-Michel Costes, « l'évaluation ne porte pas sur la pertinence du plan, en termes techniques, c'est-à-dire sur l'adéquation éventuelle entre les objectifs qui avaient été déterminés à l'époque et les enjeux, mais sur ce qu'on appelle l'effectivité, pour déterminer le degré de réalisation des objectifs du plan triennal affichés au départ. »

(2) Des difficultés méthodologiques certaines

Le rapport de l'OFDT 89 ( * ) a tout d'abord souligné les difficultés méthodologiques rencontrées : « Une évaluation complète aurait eu vocation non seulement à apprécier les principaux effets du dispositif des CDO, mais également à tenter de caractériser l'évolution des pratiques pénales intervenue depuis trois ans. Les sources d'information disponibles ne l'ont pas permis. Elles se sont révélées partielles, dispersées, et souvent incompatibles entre elles. (...) La qualité des réponses pénales apportées aux problématiques d'usage de drogues n'a donné lieu qu'à une faible quantité d'expertises, du moins en France. Leur champ d'analyse reste circonscrit et leurs conclusions sont fondées sur des données limitées. »

Ainsi, il est actuellement impossible, de suivre d'un bout à l'autre du processus pénal le parcours des usagers de drogues. Les statistiques ne permettent pas de répondre globalement à la question du développement des orientations socio-sanitaires aux différents stades de la filière pénale.

Les données sont généralement présentées pour une infraction principale, alors que les deux tiers des condamnés pour infraction à la législation sur les stupéfiants le sont pour plusieurs infractions, ce qui aggrave le manque de visibilité statistique. La variabilité des définitions de l'usager d'une source à l'autre fausse tout suivi statistique.

La part des alternatives aux poursuites des auteurs d'infractions à la législation sur les stupéfiants (en particulier des usagers simples) n'est pas distinguée dans les chiffres nationaux . De plus, les alternatives aux poursuites proposées aux auteurs d'infractions à la législation sur les stupéfiants ne sont pas détaillées systématiquement dans les statistiques des parquets, ni par type de contentieux (usage, détention, cession ou trafic), ni par type de procédure alternative (orientation vers une structure sanitaire et sociale, avertissement, rappel à la loi). La plupart du temps, seules sont distinguées les injonctions thérapeutiques.

Le rapport de l'OFDT a donc étudié un échantillon constitué des seules données produites par l'ensemble des parquets franciliens (à l'exception de la Seine-et-Marne) relevant des cours d'appel de Paris et de Versailles : Paris, Créteil, Bobigny, Nanterre, Pontoise, Evry et Versailles. Une projection nationale à partir de ces résultats semble non fondée, l'Ile-de-France étant atypique en matière de contentieux des infractions à la législation sur les stupéfiants.

(3) Des objectifs diversement réalisés
(a) En matière d'intégration des objectifs socio-sanitaires dans l'approche pénale

En ce qui concerne l'intégration par les acteurs répressifs et sanitaires des objectifs socio-sanitaires dans l'approche pénale des usagers justiciables, le rapport estime que la sensibilisation des acteurs répressifs aux besoins des usagers s'est faite essentiellement à travers le partenariat local, mais qu'elle semble encore insuffisante, même si le chiffre des personnes sensibilisées n'est pas connu. Il préconise donc d'étudier les obstacles à l'application des préoccupations socio-sanitaires par les acteurs répressifs.

La sensibilisation des acteurs sanitaires aux enjeux de la politique pénale se heurte au problème récurrent du secret professionnel . Les soignants font valoir l'éthique médicale au détriment du rôle d'expert, auxiliaire de justice, qui est attendu d'eux. Certains estiment ainsi ne pas devoir transmettre plus qu'un simple certificat de suivi. A cet égard, M. Yves Bot, procureur de la République de Paris, a indiqué à la commission d'enquête que « le magistrat est tenu au courant du résultat dans la mesure où le secret médical est préservé. Cela veut dire qu'il sait si la personne s'est soumise à l'injonction thérapeutique ou non. (...) Cependant, nous ne savons pas ce qui s'est passé, ce qu'a fait l'équipe médicale ou médico-psychologique, ni le traitement qu'elle a prescrit. Je dois dire que cela ne me paraît pas anormal. »

D'autre part, les personnels médicaux et sociaux estiment que la démarche de soins doit être demandée par le patient, une obligation s'avérant sans efficacité réelle.

Les dispositifs locaux de partenariat développés dans le cadre de la politique de la ville ou des contrats locaux de sécurité (CLS) ont permis une amélioration des relations entre magistrats et personnels médicaux et sociaux. Sur un échantillon de 173 CLS étudiés, 85 % disposaient d'un volet toxicomanie. Malgré l'absence d'outil de suivi, on peut estimer que le problème a été traité uniquement sur le plan sécuritaire.

(b) En matière de capacité des dispositifs socio-sanitaires à prendre en charge les usagers

Le rapport a ensuite évalué la capacité des dispositifs socio-sanitaires à prendre en charge les usagers justiciables à tous les stades de la filière pénale 90 ( * ) .

Les conventions départementales d'objectifs (CDO) ont été créées par la circulaire interministérielle du 14 janvier 1993 et mises en place dans 15 départements prioritaires et Paris, avant d'être généralisées dès 1999 à l'ensemble des départements métropolitains et étendues en 1998 aux personnes sous main de justice ayant des difficultés avec l'alcool.

Elles sont l'instrument principal de la circulaire et sont destinées à améliorer la prise en charge sanitaire et sociale des toxicomanes placés sous main de justice et à mieux prévenir la récidive et proposent des réponses adaptées aux besoins identifiés dans les départements par les autorités judiciaires, conjointement avec les autorités sanitaires.

Ce dispositif prend la forme de conventions d'objectifs triennales, élaborées par le préfet de département et le procureur de la République près le tribunal de grande instance du chef-lieu de département, puis de conventions annuelles de prestation conclues entre le préfet, l'autorité judiciaire et la structure bénéficiaire des fonds (association).

Les CDO sont financées par des crédits déconcentrés de la MILDT, de 2,5 millions d'euros en 1998 à 9,9 millions en 2001. Ils ont financé 203 structures en 1999, 286 en 2000 et 333 en 2001.

Si les structures spécialisées dans la prise en charge des toxicomanes (CSST) et des alcoolo-dépendants (centre de cure ambulatoire en alcoologie) représentent respectivement 31 % et 22 % des opérateurs financés, les opérateurs du réseau justice (mettant en oeuvre notamment les contrôles judiciaires et les enquêtes rapides) sont mobilisés à hauteur de 22 % ainsi que les opérateurs oeuvrant dans le champ de la lutte contre les exclusions (25 % pour les centres d'hébergement et de réinsertion sociale et les missions locales, points écoute...). Ces conventions ont notamment pour vocation de soutenir financièrement les associations assurant les « permanences toxicomanie » au sein des tribunaux et celles chargées de la mise en oeuvre des classements avec orientation sanitaire ou sociale. Les actions financées par les CDO en 2000 concernent le soin (18 %), le suivi psychologique (15 %), la prévention (15 %), l'insertion professionnelle (18 %) et autres (orientation, hébergement : 44 %).

Le nombre de personnes prises en charge est passé de 9.235 en 1999 à 20.069 en 2000 et 36.300 en 2001 (dont 957 mineurs et jeunes majeurs, soit 6 % de la population prise en charge). Néanmoins, il semble que certaines de ces personnes aient en fait déjà été prises en charge par ailleurs. Cette première rencontre avec le système de soins s'est d'ailleurs souvent prolongée bien au-delà de l'obligation judiciaire.

Le dispositif a fait l'objet d'une évaluation spécifique rendue publique par l'OFDT en décembre 2002. Elle a souligné la bonne adhésion de l'ensemble des partenaires impliqués mais a fait état du manque de cohérence et de vision d'ensemble des actions menées en terme de politique pénale et a souligné également l'insuffisance de la prise en charge des mineurs et des jeunes majeurs.

Les rapports d'activité des CSST font apparaître une augmentation du nombre d'usagers de drogues pris en charge par les CSST dans le cadre de mesures judiciaires (de 10,5 % à 12 % de l'ensemble des patients). Le nombre de nouveaux patients pris en charge s'est accru pour passer de 14 % à 17 % de 1999 à 2000.

(c) En matière d'accès aux soins des interpellés

L'objectif d'amélioration de l'accès aux soins à la suite de l'interpellation reste diversement atteint.

Le taux de réponse judiciaire (poursuites et alternatives aux poursuites) en matière d'infractions à la législation sur les stupéfiants -pour deux tiers des cas d'usage- est remarquablement élevé par rapport aux autres contentieux : 83,7 % en 2001 contre 67,1 % pour les autres, notamment s'agissant des mineurs (88,7 %). Du fait d'un faible taux de classement sans suite « sec », 4 usagers de drogues sur 5 interpellés se trouvent donc en situation d'accéder à des soins.

Ainsi que l'a rappelé lors de son audition M. Yves Bot, procureur de la République de Paris, « le fait qu'un nombre important d'infractions pour simple usage soient classées sans suite ne veut pas dire qu'elles sont sans réponse. C'est l'une des matières pour lesquelles il y a incontestablement de la marge pour ce qu'on appelle le rappel à la loi et l'orientation. Quand on oriente une personne vers une injonction thérapeutique, cela se traduit judiciairement, si elle est menée jusqu'au bout, p ar un classement. (...) Dans ce cas, il y a eu réponse. Désormais, dans la politique pénale moderne des parquets, le classement ne signifie pas obligatoirement absence de réponse. Il peut parfaitement y avoir des réponses : c'est le problème du rappel à la loi, de la médiation et de tout ce qu'on appelle la troisième voie, qui est contenu dans l'article 41 du code de procédure pénale et qui permet justement d'éviter les classements secs. »

Dans les cas d'usage ou de détention impliquant des mineurs, près des trois quarts des affaires donnent lieu à une alternative aux poursuites. En 2001, dans les 7 juridictions de l'échantillon, 1.723 usagers simples de 15 à 17 ans ont été interpellés (en quasi-totalité des usagers de cannabis). Sur 815 affaires impliquant un mineur, 608 ont fait l'objet d'une procédure alternative aux poursuites (dont 477 rappels à la loi ou avertissements, soit 78,5 % des mesures alternatives).

Le nombre de mineurs interpellés pour usage ou pour usage-revente ayant fait l'objet d'un classement sans suite et d'une mesure alternative aux poursuites (en détaillant rappels à la loi, classements sous condition, orientation vers une structure sanitaire, sociale ou professionnelle et injonctions thérapeutiques) n'est pas une donnée statistique disponible à ce jour pour l'ensemble de la France.

S'agissant des majeurs, dans les 7 parquets considérés, dans les deux tiers des cas, l'usage comme la détention donnent lieu à une mesure alternative, alors que pour les autres ILS (cession ou offre, trafic), les poursuites sont largement majoritaires.

ORIENTATION PÉNALE DES PERSONNES INTERPELLÉES POUR USAGE
OU DÉTENTION DE STUPÉFIANTS (MAJEURS ET MINEURS)
Échantillon francilien, cours d'appel de Paris et de Versailles,
année 2001

Nombre d'affaires

Ratio
(en %)

Usage

9 174

100

Classement sans suite

1 922

21,0

Procédure alternative aux poursuites

5 611

61,2

100

Rappel à la loi/avertissement

4 560

49,7

81,3

Injonction thérapeutique

459

5,0

8,2

Orientation vers une structure sanitaire ou sociale

276

3,0

4,9

Autres

316

3,4

5,6

Poursuite

1 641

17,9

Détention

4 206

100

Classement sans suite

511

12,2

Procédure alternative aux poursuites

2 870

68,2

100

Rappel à la loi/avertissement

2 287

54,4

79,7

Injonction thérapeutique

259

6,2

9,0

Orientation vers une structure sanitaire ou sociale

248

5,9

8,6

Autres

76

0

2,7

Poursuite

825

19,6

Source : Ministère de la Justice, DACG - Données indicatives produites par l'Infocentre 2001
(chiffres provisoires)

Néanmoins, dans 80 % des cas d'usage ou de détention, il s'agit d'un rappel à la loi ou d'un avertissement. Les alternatives socio-sanitaires ne concernent que 15 % des cas .

(d) En matière de recentrage de l'injonction thérapeutique

L'objectif de recentrage de l'injonction thérapeutique sur les usagers majeurs les plus dépendants a été diversement respecté. Le suivi des injonctions thérapeutiques ne peut être fait avec exactitude en raison d'une modification du décompte statistique. Cependant, en calculant le ratio d'injonctions thérapeutiques déclarées par rapport au nombre d'usagers simples interpellés, on note une légère augmentation de 1999 à 2001 : 5,6 % des interpellés contre 5,2 % en 1999. Dans l'échantillon francilien, ce ratio est de 2,7 %, ce qui confirme la diversité des pratiques des parquets en la matière.

La réactivation de la mesure à la suite des effets clarificateurs de la circulaire du 17 juin 1999, qui a précisé le public-cible (les personnes dépendantes faisant un usage massif ou répété de produits illicites, c'est-à-dire en premier lieu les héroïnomanes et le cas échéant les polytoxicomanes), a eu des effets contradictoires selon les parquets . Néanmoins, cette circulaire ne semble pas avoir suffi à recentrer l'injonction sur certaines cibles : sur un échantillon limité, moins d'une mesure sur cinq financée par les CDO concernait les héroïnomanes, soit encore moins qu'en 1997 (36 %). La tendance à la prescription socio-sanitaire aux usagers de cannabis s'est encore renforcée puisqu'ils représentent 71 % du public justiciable visé par une orientation socio-sanitaire. On peut donc penser que dans un certain nombre de cas de consommation restreinte ou récréative de cannabis, l'injonction thérapeutique relève moins d'une préoccupation sanitaire qu'elle ne sert de cadre à un suivi socio-éducatif, à une prise en charge psychologique ou à la délivrance d'un message préventif.

L'impossibilité de mesurer la déperdition des usagers entre le prononcé de l'injonction et leur présentation à la DDASS est l'un des obstacles majeurs à l'évaluation des effets socio-sanitaires de la politique pénale. De plus, il est impossible d'apprécier l'efficacité de l'injonction thérapeutique au vu du taux de récidive, par rapport aux autre mesures mises en oeuvre (classements sans suite, poursuites ou autres alternatives).

50 % des justiciables pris en charge par une structure sanitaire financée dans le cadre des CDO l'ont été en phase pré-sentencielle . Un quart d'entre eux l'était en injonction thérapeutique , la moitié dans le cadre d'une autre alternative aux poursuites et un quart sous contrôle judiciaire.

Du point de vue de la prise en charge par les CSST, l'effectivité des injonctions thérapeutiques semble s'être améliorée. Le nombre des personnes adressées par les parquets au titre d'une injonction thérapeutique a augmenté, mais leur part dans l'ensemble des prises en charges a diminué au profit d'autres types d'alternatives aux poursuites, notamment les classements avec orientation sanitaire 91 ( * ) .

Ceci traduit l'intégration progressive dans les pratiques d'orientation pénale des directives interministérielles et l'essor remarquable des orientations sanitaires et sociales.

S'agissant de l'objectif de développement des permanences d'orientation sanitaire et sociale destinées à repérer les usagers à problèmes pour les orienter immédiatement après la présentation de la personne interpellée au parquet, aucune donnée ne permet d'apprécier le nombre de TGI dotés d'une telle permanence, pourtant primordiale.

(e) En matière de développement des peines alternatives

La systématisation des peines alternatives au stade du jugement devait accompagner le recul des incarcérations pour usage simple de stupéfiants.

Les contrôles judiciaires socio-éducatifs (qui visent à favoriser l'insertion de l'intéressé) sont en augmentation (près de 5.400 cas, dont les deux tiers sont traités par les service pénitentiaires d'insertion et de probation, le tiers restant relevant d'associations).

L'OBJECTIF DE DIMINUTION DU NOMBRE DE PEINES D'EMPRISONNEMENT
DE MAJEURS POUR USAGE SIMPLE DE STUPÉFIANTS SE POURSUIT

En 1998, on dénombrait encore 690 peines d'emprisonnement ferme pour usage (soit 0,9 % de l'ensemble des usagers interpellés, contre 4,5 % en 1990). En 2001, 388 peines d'emprisonnement ferme pour usage ont été prononcées (0,5 % des usagers interpellés). Le recours à l'emprisonnement ferme pour usage de stupéfiants fait donc toujours partie de la pratique judiciaire, en dépit des préconisations du plan triennal et de la circulaire de 1999 le présentant comme un « ultime recours ». En novembre 2000, on dénombrait ainsi 197 personnes en prison pour une condamnation d'usage de stupéfiants en condamnation unique (une trentaine de moins seulement qu'en 1994).

La circulaire du 17 juin 1999 recommande de systématiser les peines alternatives pour les usagers de drogues en l'absence de délit connexe, dans une perspective de prévention de la récidive.

Depuis 1990, les peines alternatives ont augmenté : jours-amende, travail d'intérêt général. Durant la période triennale, la part des peines alternatives s'est accrue, tant pour les infractions à la législation sur les stupéfiants que pour les usagers en infraction. Au sein des condamnations pour usage illicite (seul ou associé à au moins une autre infraction), les peines alternatives marquent une progression de 43 %.

CONDAMNATION À DES PEINES D'EMPRISONNEMENT FERME,
À DES MESURES DE SUBSTITUTION OU À DES MESURES ÉDUCATIVES
SELON LA NATURE DES MESURES OU LE MODE D'EXÉCUTION
ET SELON LA NATURE DE L'INFRACTION
(en infraction principale commise seule ou associée à d'autres)

1998

1999

2000

2001

Infractions à la législation sur les stupéfiants

ENSEMBLE des condamnations

24.081

24.112

22.917

21.448

Peine d'emprisonnement ferme

6.595

6.369

5.709

5.080

TIG

561

511

504

435

Jours-amende

531

671

781

1.043

TOTAL des mesures de substitution

1.092

1.182

1.285

1.478

1998

1999

2000

2001

Usage illicite

ENSEMBLE des condamnations

6.686

7.000

6.616

5.993

Peine d'emprisonnement ferme

1.288

1.164

1.003

882

TIG

172

200

188

143

Jours-amende

262

327

327

445

TOTAL des mesures de substitution

434

527

515

731

Source : Casier judiciaire, Ministère de la Justice, SDSED

Néanmoins, le nombre de TIG reste faible pour les usagers simples de stupéfiants (entre 130 et 150 mesures).

Parmi les peines alternatives à l'incarcération, les peines d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve (SME) prononcées à la suite d'une condamnation pour infraction d'usage simple, principale sanction prononcée par les juridictions avant l'adoption du plan, ont décliné, passant de 632 mesures en 1998 à 453 en 2000.

NOMBRE DE CONDAMNATIONS À UNE MESURE D'EMPRISONNEMENT AVEC SURSIS OU À UNE AMENDE, OU À UNE MESURE DE SURSIS PROBATOIRE
SELON LA NATURE DE L'INFRACTION (COMMISE SEULE OU ASSOCIÉE)

1998

1999

2000

2001

Usage illicite

Emprisonnement avec sursis

2.831

2.903

2.659

2.253

Amende

1.672

1.920

1.964

1.858

Sursis probatoire

1.250

1.124

1.028

913

Infractions à législation sur les stupéfiants

Emprisonnement avec sursis

12.268

11.968

11.377

10.565

Amende

3.203

3.502

3.494

3.396

Sursis probatoire

4.294

4.070

4.036

3.774

Source : Ministère de la Justice, SDSED

L'ajournement avec mise à l'épreuve, identifié comme particulièrement pertinent pour un public d'usagers de drogues, n'a pu être évalué. Toutefois, il semble rarement prononcé. Il serait intéressant de le développer, cette mesure pouvant placer le prévenu dans une dynamique de projet et de responsabilisation.

Les mesures alternatives à l'incarcération ont donc connu une croissance peu importante. L'orientation socio-sanitaire ne semble pas avoir été systématisée. Pour sanctionner l'usage simple, les juridictions ont privilégié les peines classiques (amendes -en augmentation de 5 points-, peines d'emprisonnement avec sursis), celles-ci y ayant eu recours dans environ un tiers des cas pour chacune de ces mesures.

(f) En matière de rapprochement entre instances sanitaires et judiciaires

S'agissant du rapprochement entre instances sanitaires et judiciaires , le développement de l'offre par les prestataires socio - sanitaires n'engendre pas de transformation automatique des pratiques pénales. Les évaluateurs invitent la MILDT à favoriser un partenariat élargi en positionnant plus visiblement les parquets comme interlocuteurs des structures de prise en charge. De plus, toutes les structures financées dans le cadre des CDO ne se positionnent pas sur le même moment judiciaire : les opérateurs du réseau de la justice sont principalement positionnés sur le stade pré - sentenciel (contrôle judiciaire). A l'inverse, les centres d'hébergement interviennent plutôt sur la phase post-sentencielle, notamment pour les alternatives à l'incarcération et les sorties de prison.

(4) Une disparition de la sanction sans prise en charge effective ?

Si l'absence de données statistiques détaillées sur les suites judiciaires données aux interpellations pour usage de stupéfiants ne permet pas de tirer de conclusions précises sur l'exécution du plan, le rapport fait état d'une certaine inflexion du traitement judiciaire des usagers de stupéfiants interpellés.

En termes d'orientation pénale et de jugement, alors qu'en 1998, un usager simple sur dix faisait l'objet de poursuites devant le tribunal, ce rapport passe à un sur douze en 2001. Parallèlement, les condamnations pour usage simple ont diminué régulièrement, passant de 4,6 % du total des interpellations pour usage en 1998 à 4,1 % en 2001. La part des condamnations pour usage dans l'ensemble des condamnations pour infraction à la législation sur les stupéfiants se maintient légèrement en deçà de 30 %. La diminution des poursuites, comme celle des condamnations à l'emprisonnement ferme pour cette infraction, montre un recul de la logique purement répressive.

Les données des juridictions de la région parisienne, selon lesquelles des alternatives aux poursuites sont prononcées dans deux cas sur trois, révèlent une prise en compte des instructions du garde des Sceaux et des objectifs du plan.

M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, a lors de son audition dénoncé cette évolution : « Il ne faut pas nier l'évidence, la sanction de la consommation de produits stupéfiants s'est faite beaucoup plus légère. Deux chiffres illustrent cette affirmation. En 2001, avant mon arrivée (...) 71.667 usagers de drogues ont été interpellés par la police ou par la gendarmerie, moins de 8 % ont été sanctionnés par la justice. Je rappelle qu'en 1990, il y a 13 ans, le taux de sanctions prononcées pour les usagers était encore de 30 % (...) et nous nous retrouvons tous pour constater que la situation ne fait qu'empirer. Peut-être y a-t-il là matière à réflexion ? Cette forte baisse de la sanction, disons-le clairement, a été un choix politique. L'adaptation des réponses judiciaires prévues par la circulaire de la Chancellerie du 17 juin 1999 s'est surtout traduite par la préconisation de toutes les mesures d'évitement de la sanction, tout mieux que la sanction. Le résultat est que pour 9 consommateurs sur 10, (...) l'usage des stupéfiants s'est trouvé de fait dépénalisé . Les alternatives aux poursuites n'ont pas été d'une grande vigueur et le nombre d'injonctions thérapeutiques extrêmement faible. ».

Ce jugement sur l'incidence réelle des alternatives aux poursuites est-il corroboré par les résultats de l'évaluation ?

Le rapport d'évaluation de l'OFDT du plan triennal de la MILDT indique en effet que : « On peut toutefois s'interroger sur le développement de la prise en charge socio-sanitaire : les injonctions thérapeutiques n'ont pas augmenté durant la période d'exécution du plan et les autres alternatives socio-sanitaires restent, selon l'échantillon francilien, d'un nombre très limité. Par ailleurs, la collaboration entre services répressifs et services sanitaires et sociaux ne paraît guère s'être développée. Il est regrettable que les permanences socio-sanitaires qui pouvaient servir d'interface ne paraissent pas avoir été mises en place . La distinction entre usage, usage nocif et dépendance, pertinente au regard de la santé publique, ne semble guère avoir trouvé de traduction dans le processus judiciaire où ces critères ne sont pas déterminants pour la qualification pénale. »

Mme Nicole Maestracci, ancienne présidente de la MILDT, a d'ailleurs reconnu lors de son audition devant la commission d'enquête que la mission interministérielle était encore « loin d'avoir réalisé cet objectif, parce que c'est également un travail qui doit s'inscrire dans la durée. »

M. Didier Jayle, actuel président de la MILDT, a néanmoins souhaité « rendre hommage à (son) prédécesseur sur le travail d'organisation qu'elle a fait, qui était de construire un véritable outil, avec une réflexion (...). Dans les actions importantes qui ont été menées, il y a les conventions départementales d'objectifs (...). Je crois que l'objectif était bon, que l'évaluation va montrer que les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances et qu'il faudra réorienter cette politique de manière à ce que les services répressifs et les services de santé travaillent plus ensemble. Mais il ne faut pas que ces conventions se contentent d'abonder les associations ou les structures de prise en charge sanitaire. »

Il semble donc que les orientations données par le plan n'ont concerné qu'un seul versant du problème, l'évitement de la sanction, sans permettre la réalisation de l'objectif premier de ces mesures, une réelle prise en charge socio-sanitaire de tous les usagers en difficulté avec les substances psychoactives, objectif que la commission d'enquête ne peut que saluer, puisqu'il prenait en compte la complexité de la question des drogues, devant nécessairement allier prévention, répression et soins.

Les pratiques judiciaires évoquées par les magistrats au cours de leur audition ont particulièrement suscité l'intérêt de la commission d'enquête.

LA PRATIQUE DU PARQUET DE BAYONNE

Audition de Mme Catherine Domingo , substitut du procureur de la République

« L'usager, après audition, lorsqu'il réside sur le ressort du tribunal de Bayonne, se voit notifier une injonction à la rencontre, c'est-à-dire qu'une association d'orientation sanitaire et sociale doit le recevoir dans les huit jours qui suivent son interpellation, et le résultat de cette injonction, délivrée à la demande du parquet par l'officier de police judiciaire, voit sa concrétisation dans le récépissé, qui doit être remis au parquet par l'intéressé, qui doit respecter cette convocation.

Dans la plupart des cas, les personnes qui font l'objet de cette injonction de rencontre respectent cette mesure. Si tel n'était pas le cas, les poursuites seraient engagées dans un mode soit de composition pénale, soit de poursuite devant le tribunal.

Il convient de préciser que cette mesure d'injonction à la rencontre est effectuée dans des cas très précis, d'abord pour des personnes qui sont primo-délinquantes, qui sont interpellées avec de faibles quantités de produits stupéfiants, qui ne font pas l'objet d'une dépendance avérée à ces produits et qui, bien évidemment, sont interpellées dans des conditions qui ne relèvent que du strict usage et non pas d'un éventuel trafic ou revente.

Ce sont les conditions, même pour cette orientation sanitaire et sociale, avec une particularité un peu plus marquée pour les mineurs usagers, pour lesquels nous avons à coeur de coupler cette orientation vers une structure avec la rencontre soit du substitut chargé des mineurs, soit du délégué du procureur, qui invite le mineur, en compagnie de ses parents ou des personnes qui en sont civilement responsables, à recevoir un rappel de la loi, des sanctions encourues et des dangers afin de sensibiliser cette population de jeunes qui constitue l'une des populations les plus touchées par ce type de délinquance.

S'agissant des usagers qui sont interpellés avec une faible quantité de stupéfiants mais qui ne résident pas sur le ressort de Bayonne, en application de la circulaire du 17 juin 1999, les procédures sont systématiquement adressées au parquet du domicile de la personne concernée. »

LA PRATIQUE DU PARQUET DE NANTERRE

Audition de M. Yves Bot , ancien procureur de la République de Nanterre et actuel procureur de la République de Paris

«  On peut se demander, en termes de politique pénale, dans quels cas on soumet une personne à injonction thérapeutique et ce qui peut la forcer à venir, sachant que c'est une procédure assez complexe. (...) Cela suppose ensuite que la personne se rende à la convocation qui lui est donnée, tout d'abord par le magistrat et ensuite par le médecin.

Pour ma part, j'avais mis en place à Nanterre (et, encore une fois, je compte également le faire sur Paris) la pratique suivante : lorsque la personne était interpellée, en même temps qu'on lui notifiait d'avoir à se présenter pour une procédure d'injonction thérapeutique, on lui notifiait une date d'audience à laquelle elle serait jugée si elle ne se présentait pas. La personne se présentait et elle était alors reçue d'abord par un de mes substituts, c'est-à-dire par un magistrat qui lui rappelait la loi, qui parlait avec elle et que lui expliquait ce que signifiait l'injonction thérapeutique, pour que le contrat de confiance soit clairement posé.

Ensuite, la personne quittait le bureau du substitut pour aller dans le bureau de la DDAS qui avait fort heureusement pu être aménagé, à Nanterre, juste à côté. (...) Il importait d'éviter toute rupture dans la démarche psychologique de l'intéressé (...) L'idée est de dire : « tu viens ou tu ne viens pas. Si tu ne viens pas, c'est la correctionnelle ; si tu viens, tu ne me quittes pas tant que tu n'as pas vu le médecin. »

LA PRATIQUE DU PARQUET DE VALENCIENNES

Audition de M. Guillaume Girard , premier substitut

A l'occasion du déplacement de la commission d'enquête à Valenciennes le 13 mars 2003, le premier substitut au procureur de la République de Valenciennes, M. Guillaume Girard, a exposé la politique suivie.

S'agissant de la poursuite du simple usage de drogues, le parquet de Valenciennes (compétent pour les usagers dont le domicile est situé dans son ressort), conforté en cela par le discours prononcé par le Garde des Sceaux en octobre 2002 à l'Assemblée nationale, apporte une réponse judiciaire systématique quel que soit le produit consommé.

La réponse est graduée. S'il s'agit d'une première infraction, les personnes se voient proposer une injonction thérapeutique ou un classement sous condition après rappel à la loi. S'il y a réitération, on a alors recours à la composition pénale (amende, retrait de permis de conduire, travail d'intérêt général). Pour une troisième infraction, des poursuites sont engagées devant le tribunal correctionnel.

En 2002, 221 personnes ont bénéficié d'une injonction thérapeutique sur le ressort de Valenciennes. Le profil type de la personne à qui on propose cette procédure est un jeune fumeur de cannabis de 16 à 25 ans en cours d'insertion socio-professionnelle (apprenti, étudiant...). Le taux de comparution élevé (90 % environ) s'explique par le fait que la convocation est remise directement par l'officier de police judiciaire, ce qui a semblé à la commission constituer une très bonne pratique susceptible d'être généralisée.

Cette procédure poursuit un triple objectif : rappeler la règle (beaucoup de jeunes ignorant l'interdit touchant la consommation de cannabis), expliquer les raisons de l'indulgence présente tout en indiquant les conséquences judiciaires d'une récidive et enfin favoriser la transition avec une prise en charge médicale, un accueil par un médecin de la DDASS étant prévu afin de permettre une éventuelle orientation médicale.

En outre, le rappel à la loi concerne essentiellement des mineurs ou des petits consommateurs de cannabis. Il est prononcé par les délégués du procureur et peut conduire à un classement sous condition d'orientation par un psychologue.

Les usagers de drogues dites dures sont plus concernés par l'injonction thérapeutique entraînant un suivi médical. Ce suivi médical concerne majoritairement les usagers d'héroïne et de cocaïne et représente 20 % des injonctions thérapeutiques. Cette procédure est souvent efficace, la personne qui ne se présente pas étant poursuivie.

Les classements sans suite « secs » sont plus rares, mais peuvent intervenir si la personne a une bonne insertion socio-professionnelle et n'a pas d'antécédents judiciaires.

* 84 Les statistiques traduisent l'évolution de l'activité des services de police et de gendarmerie plus qu'une transformation du phénomène lui-même.

* 85 Michel Setbon - GAPP, L'évaluation de l'injonction thérapeutique, 1998

* 86 L. Simmat-Durand, Santé publique 2000, volume 12, n° 3.

* 87 M. Setbon, L'injonction thérapeutique, évaluation du dispositif légal de prise en charge sanitaire des usagers de drogues interpellés, CNRS, mars 1998.

* 88 Soit par une investigation approfondie (enquête sociale, investigation et orientation éducative, prévues par l'article 8 de l'ordonnance) confiée par le juge des enfants à un centre d'action éducative ou à un service du secteur associatif habilité (services d'enquête sociale, d'investigation et d'orientation éducative). La mesure d'investigation et d'orientation éducative pouvant comporter des examens médicaux, médico-psychologiques et psychiatrique ainsi qu'un bilan social semble plus appropriée en raison de sa dimension pluri-disciplinaire ; soit par des expertises réalisées par des professionnels spécialisés en matière de toxicomanie, afin de mieux évaluer la dépendance éventuelle des intéressés.

* 89 Sous la direction de MM. Michel Setbon, Olivier Guérin, Serge Karsenty et Pierre Kopp. Cette évaluation n'a pas encore été rendue publique.

* 90 En utilisant trois types de sources : les données en provenance de 7 parquets franciliens, les données collectées dans le cadre des CDO (estimations du nombre de structures financées et de personnes prises en charge), et les données issues des CCST.

* 91 Parmi les nouveaux patients des CCST, la part des personnes adressées par la justice aux instances socio-sanitaires dans le cadre d'une mesure de classement avec orientation a augmenté et dépassé celle des usagers reçus pour une injonction thérapeutique. En 1999, 3 % des nouveaux patients étaient dans le premier cas et 5,9 % dans le second. En 2002, 5 % des nouveaux patients bénéficiaient d'un classement avec orientation (1.203 personnes) alors que 4,3 % seulement (1.042 personnes) étaient suivis en CSST pour une injonction thérapeutique.

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