EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est saisi en première lecture du projet de loi relatif aux polices municipales, adopté par l'Assemblée nationale le 30 avril dernier.

Ce projet de loi constitue une nouvelle étape dans une démarche qui, depuis plusieurs années, a tendu à mieux préciser le cadre légal des interventions de ces polices.

Dans la période récente, un grand nombre de communes ont dû prendre des initiatives pour répondre aux besoins renforcés et de plus en plus diversifiés de nos concitoyens en matière de sécurité.

Les problèmes posés par l'insécurité se posent, en effet, de manière plus intense au plan local. Les phénomènes de délinquance qui se diversifient sont particulièrement sensibles dans certains quartiers. La montée de la délinquance des mineurs mais aussi les atteintes en matière de lutte contre le bruit ou de protection de l'environnement constituent autant de nouveaux défis.

Or les maires disposent de pouvoirs de police étendus en leur double qualité d'agents de l'Etat et d'autorité de police municipale. Ils sont également officiers de police judiciaire.

Les lois de décentralisation ont renforcé leurs responsabilités et les ont conduits à se préoccuper davantage encore des différentes formes de mise en cause de l'ordre public local.

Confrontés à ces nouveaux défis, les maires ont également dû prendre en compte le relatif désengagement de l'Etat de ses missions essentielles. Ils ont dû ainsi constituer des corps de police municipale, y compris dans les communes où la police d'Etat existait.

Dans ce contexte, les polices municipales se sont développées et sont désormais bien ancrées dans le paysage local. 3.030 communes en sont dotées. Leurs effectifs atteignent 13.098 agents, à comparer avec ceux de 113 000 policiers actifs et de 94 000 gendarmes.

Pour autant, ce développement des corps de police municipale s'est inscrit dans un cadre juridique marqué d'une très forte ambiguïté qui souligne les réticences de l'Etat à reconnaître le rôle de ces polices dans un domaine qui relève de sa propre compétence.

Ainsi, jusqu'à une période récente, pas plus les dispositions du code des communes que celles du code de procédure pénale relatives aux agents de police municipale ne définissaient clairement les conditions dans lesquelles les policiers municipaux pouvaient être recrutés et les compétences qui pouvaient leur être confiées.

La généralisation de l'étatisation des polices municipales, prévue par l'article 88 de la loi du 7 janvier 1983, sous réserve de la publication d'un décret fixant le seuil démographique, les conditions d'effectifs et d'aptitude nécessaires pour son entrée en vigueur, n'a en définitive jamais véritablement abouti jusqu'à ce que la question soit réexaminée par le Parlement en 1995.

Parallèlement de nombreuses réflexions ont été menées afin de parvenir à une définition précise du statut des polices municipales. On citera plus particulièrement les rapports de M. Louis Lalanne (1987), de M. Jean Clauzel (1990) et de M. Patrick Balkany (1993). Plus récemment, la mission confiée à M. Jacques Genthial a eu pour objet la coordination entre polices municipales et police nationale.

En dépit de ces réflexions, dont la dernière ne semble pas encore achevée, les différents projets de loi déposés sur le sujet n'ont jamais abouti. Le Sénat avait pour sa part marqué tout son intérêt pour cette question en adoptant en première lecture, le 20 décembre 1987, sur le rapport de notre collègue Paul Masson au nom de votre commission des Lois, le projet de loi modifiant le code des communes et le code de procédure pénale et relatif aux agents de police municipale. Mais ce texte n'a pu être examiné par l'Assemblée nationale avant les élections du printemps 1988.

Par la suite, pas plus le projet de loi présenté par M. Paul Quilès en janvier 1993 que celui présenté par M. Charles Pasqua en mars 1995 puis repris par M. Jean-Louis Debré n'ont pu venir en discussion, en raison des échéances électorales.

Du fait de l'inexistence d'un cadre juridique général régissant les polices municipales, la France se distingue des pays voisins ayant des polices municipales comparables. Tous ont en effet, au cours des dernières années, doté leurs polices municipales d'un statut législatif, qu'il s'agisse de la loi organique de 1986 sur les forces et corps de sécurité en Espagne , de la loi-cadre de 1986 sur la police municipale en Italie , de la loi de 1994 sur les services municipaux de police au Portugal ou des différentes lois des länders allemands sur les services communaux chargés du maintien de l'ordre 1( * ) .

En France, une première clarification avait cependant résulté de la loi du 13 juillet 1987 relative à la fonction publique territoriale. Pour la première fois, les compétences des agents de police municipale ont reçu une définition générale par rapport aux pouvoirs de police municipale du maire en ce qui concerne le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques.

Une seconde clarification a été apportée par la loi du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité. Outre la reconnaissance du rôle des maires dans l'exercice des missions de sécurité publique et la définition des conditions d'établissement du régime de la police d'Etat dans une commune, cette loi a précisé les compétences des policiers municipaux. Elle a en outre prévu, dans son annexe, le dépôt d'un projet de loi relatif aux polices municipales.

Nouvelle tentative pour clarifier les missions et les moyens des polices municipales, le présent projet de loi s'inscrit dans un contexte de montée préoccupante de l'insécurité, sous des formes diverses. Face à cette insécurité, l'Etat doit prendre toutes ses responsabilités, notamment pour remédier aux inégalités territoriales trop souvent constatées.

Votre commission des Lois a souhaité prendre en compte l'ensemble de ces données afin de rechercher des solutions satisfaisantes, assurant tout à la fois une reconnaissance du rôle joué par les polices municipales et la mise en place d'un véritable partenariat avec l'Etat.

I. UNE PLACE CROISSANTE DES POLICES MUNICIPALES DANS LA VIE LOCALE QUI N'A PAS TROUVÉ TOUTE SA CONSÉCRATION JURIDIQUE

A. LA PLACE CROISSANTE DES POLICES MUNICIPALES

1. Une réalité bien ancrée ...

a) Une émergence des polices municipales

En avril 1998, le ministère de l'Intérieur recensait 3030 communes dotées d'une police municipale, employant 13 098 agents . Depuis 1984, le nombre de communes concernées a augmenté de 73 % tandis que le nombre des agents a plus que doublé . Les polices municipales sont donc une réalité de plus en plus présente dans la vie locale.

ÉVOLUTION DES EFFECTIFS DE POLICE MUNICIPALE

Années

1984

1993

1998

1998/1984

Nombre de communes

1 748

2 849

3 030

+ 73 %

Nombre d'agents

5 641

10 977

13 098

+ 132 %

b) Une réalité très hétérogène

Les polices municipales présentent des caractéristiques très différentes d'une commune à l'autre, tant par le nombre des agents qu'elles emploient que par les équipements, notamment l'armement, qu'elles utilisent ou par les missions qu'elles remplissent.

Les effectifs employés sont très variables d'une commune à l'autre. Sur l'ensemble des communes dotées d'une police municipale, plus de 1400 communes, soit près de la moitié, ne disposent que d'un seul agent alors que seules 5 communes en ont au moins 100.

NOMBRE D'AGENTS EMPLOYÉS PAR LES COMMUNES
(sur 3030 communes disposant d'au moins 1 agent de police municipale)

Nombre d'agents

Nombre de communes

% de communes

Au moins 100

5

0,16%

Au moins 50

25

0,8%

Au moins 5

605

20 %

Au moins 3

1087

36 %

1 seul agent

environ 1 400

48 %

La répartition géographique des polices municipales est très inégale sur le territoire. Elles sont principalement implantées dans le sud-est, le sud-ouest, la région parisienne, le nord et l'Est de la France. Si dans les Bouches-du-Rhône 104 communes sur 119 disposent d'une police municipale pour un total de 901 agents et si 1007 agents sont employés dans les seules Alpes maritimes, on ne compte aucun agent de police municipale en Corrèze.

Ce sont les villes de Nice et Lyon qui disposent des effectifs les plus importants (237 et 235 agents) correspondant respectivement à 0,6 et 0,5 agents pour mille habitants. La ville de Mandelieu emploie 3, 88 agents pour mille habitants.

POLICES MUNICIPALES AYANT LES EFFECTIFS
LES PLUS IMPORTANTS

I.
Hors Ile-de-France

(p. Dép.)

Communes

Effectifs police municipale

Armement

Nombre d'agents pour 1.000 habitants

06

NICE

237

oui

0,686

69

LYON

235

non

0,566

13

MARSEILLE

205

oui

0,254

06

CANNES

185

oui

2,697

67

STRASBOURG

102

oui

0,399

06

ANTIBES

98

oui

1,400

37

TOURS

98

oui

0,759

59

LILLE

97

non

0,544

31

TOULOUSE

85

non

0,232

80

AMIENS

80

non

0,611

84

AVIGNON

80

oui

0,894

34

MONTPELLIER

80

non

0,386

83

TOULON

77

oui

0,460

13

VITROLLES

68

oui

1,809

38

GRENOBLE

66

non

0,429

66

PERPIGNAN

65

oui

0,602

06

MANDELIEU

64

oui

3,880

33

BORDEAUX

57

non

0,277

44

NANTES

55

non

0,258

30

NIMES

54

oui

0,442

II. Ile-de-France

Dép.

Communes

Effectifs police municipale

Armement

Nombre d'agents pour 1.000 habitants

92

RUEIL-MALMAISON

59

non

0,868

92

LEVALLOIS-PERRET

57

oui

1,075

92

PUTEAUX

50

non

1,165

92

COURBEVOIE

50

non

0,769

93

AULNAY-SOUS-BOIS

50

oui

0,656

94

ST-MAUR-DES-FOSSES

44

non

0,570

92

ASNIERES

40

oui

0,553

78

POISSY

33

non

0,898

92

NEUILLY-SUR-SEINE

33

non

0,524

77

MEAUX

30

non

0,607

94

LIMEIL-BREVANNFS

29

non

1,805

91

EVRY

28

non

0,558

78

VERSALLLES

28

non

0,319

94

JOINVILLE-LE-PONT

27

non

1,621

78

ST-GERMAIN-EN-LAYE

27

non

0,676

92

BOULOGNE-BILLANCOURT

27

oui

0,265

77

CHELLES

23

non

0,506

94

LA-QUEUE-EN-BRIE

22

non

2,001

77

MELUN

22

non

0,623

78

MONTIGNY-LE-BRETONNEUX

22

non

0,618

Sur les 13 000 agents de police municipale en exercice, 4946 soit un peu plus du tiers (37,8 %) sont armés . Leur armement est pour l'essentiel constitué d'armes de la 4ème catégorie, dites armes défensives. Quelques communes ont préféré doter leurs agents d'armes de 6ème catégorie, dites armes blanches mais on compte également 239 armes de 1ère catégorie.

Les missions confiées à ces polices sont également très variables. Dans de nombreuses communes, les agents de police municipale se bornent à un simple activité de police administrative effectuée de jour, telle la surveillance des marchés. Dans d'autres communes, ils effectuent de véritables missions de sécurité publique, souvent la nuit, intervenant en complément, et souvent même, à la place, des services de l'Etat.

c) Un mouvement qui n'a pas été freiné par le processus d'étatisation de la police.

Pendant près de deux siècles, l'étatisation des corps de police municipaux a connu un mouvement de progression par vagues qui semblait traduire une logique inéluctable, celle de la prise en charge par l'Etat de la totalité des forces publiques dans une approche régalienne des activités de sécurité.

A l'exception des administrations parisienne et lyonnaise, la loi du 5 avril 1884 confiait au maire, en même temps que le pouvoir de police, l'organisation et la direction des services de police de la commune.

Après l'intervention de plusieurs lois procédant à des étatisations ponctuelles (Marseille en 1908, Toulon et La Seyne en 1918, Nice en 1920, Strasbourg, Mulhouse et Metz en 1925), la loi du 23 avril 1941 a fixé à 10 000 habitants le seuil démographique à partir duquel l'étatisation était susceptible d'intervenir.

Le régime de la police d'Etat aurait pu se généraliser à partir de 1983, l'article 88 de la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 ayant prévu que l'institution de ce régime serait de droit, sur demande du conseil municipal, sous certaines conditions déterminées par décret en Conseil d'Etat.

Cet article n'ayant jamais reçu application pour des raisons essentiellement budgétaires, les principes de l'étatisation sont actuellement fixés par l'article L. 2214-1 du code des collectivités territoriales issu de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité, précisé par le décret n° 96-827 du 16 septembre 1996.

En vertu de ces dispositions, la police d'Etat peut être désormais établie dans les communes dont la population permanente ou saisonnière est supérieure à 20 000 habitants et dont les caractéristiques de la délinquance sont celles des zones urbaines, les communes de chefs-lieux de département étant en tout état de cause placées sous ce régime.

Dans les communes dotées d'un tel régime, les agents de police de la commune peuvent être intégrés dans les cadres de la police nationale en vertu de l'article L. 412-50 du code des communes. L'article L. 2214-4 du code général des collectivités territoriales transfère à l'Etat la responsabilité en matière d'atteintes à la tranquillité publique, sauf en ce qui concerne les bruits de voisinage, et la charge du bon ordre en cas de grands rassemblements occasionnels.

A l'heure actuelle, la police est étatisée dans 1625 communes regroupant 29 millions d'habitants. Mais l'étatisation de la police n'a pas freiné le développement des polices municipales puisque sur 686 communes de plus de 10 000 habitants disposant d'une police municipale , 495 communes sont placées sous le régime de la police d'Etat .

2. ... dans un contexte d'aggravation de l'insécurité quotidienne

La principale cause du développement des polices municipales est sans aucun doute la montée du sentiment d'insécurité liée à l'accroissement de la délinquance de proximité et au désengagement de l'Etat.

Depuis 1984, l'évolution de la délinquance est marquée par une recrudescence de la délinquance de proximité qui affecte durement les citoyens dans leur vie quotidienne, principalement dans les quartiers les plus défavorisés. Les coups et blessures volontaires et les dégradations ont ainsi doublé pendant cette période ainsi qu'il ressort du tableau retraçant depuis 1984 l'évolution des infractions dites de masse, les plus durement ressenties par nos concitoyens.

ÉVOLUTION DES INFRACTIONS DE MASSE
ANNÉES 1984 A 1997

INFRACTIONS

1984

1988

1992

1996

1997

Évolution sur la période en %

Coups et blessures volontaires

38 389

42 512

55 613

75 425

81 910

113,37 %

Cambriolages

444 030

375 851

462 497

436 414

407 385

-8,25 %

Vols avec violence

50 246

43 409

60 324

70 031

72 203

43,70 %

Vols à l'étalage

93 934

63 355

70 856

59 627

57 055

-39,26 %

Vols à la tire

 

99 305

102 990

80 984

79 747

-

Vols de véhicules

440 836

360 509

504 939

443 767

417 360

-5,33 %

Vols Roulotte

702 360

675 032

886 011

704 955

672 101

-4,31 %

Recels

23 036

26 963

34 089

34 324

35 381

53,59 %

Falsifications

 

173 891

180 721

163 698

154 675

-

Dégradations

225 366

204 218

374 569

447 376

454 180

101,53 %

Total Infractions

2 036 170

2 065 045

2 732 609

2 516 601

2 431 997

19,44 %

Criminalité

3 681 453

3 132 694

3 830 996

3 559 617

3 493 442

-5,11 %

Total sur % Criminalité

55,31 %

65,92 %

71,33 %

70,70 %

69,62 %

 

Ces statistiques d'ensemble sont certainement sous-évaluées dans la mesure où les victimes sont souvent découragées de porter plainte en raison de la faiblesse du taux d'élucidation des infractions de voie publique, qui ne dépasse pas 10%, combinée à un taux extrêmement élevé de classement sans suite des affaires par les parquets.

Le sentiment d'insécurité est encore aggravé par la multiplication des " incivilités " qui ne sont pas toujours réprimables pénalement mais sont difficiles à supporter au quotidien. Elles sont souvent le fait de mineurs dont la délinquance apparaît extrêmement préoccupante. Elle est en effet de plus en plus précoce et en augmentation notable, près de 20% des infractions ayant mis des mineurs en cause en 1997, ce qui conduit à s'interroger à la fois sur le rôle des familles et sur une éventuelle réforme de l'ordonnance de 1945 dont l'approche éducative pourrait être devenue largement inadaptée.

L'Etat n'a pas été en mesure d'assumer pleinement son rôle en matière de sécurité de proximité. Les forces de police sont souvent mal réparties sur le territoire, selon une géographie qui n'est pas en corrélation avec les statistiques de la délinquance. La présence policière visible dans les villes tend à diminuer et des commissariats de quartier disparaissent ou sont souvent fermés la nuit. Les redéploiements prévus par le pacte de relance pour la ville n'ont pu être effectués.

Dans le cadre des orientations annoncées lors du colloque de Villepinte, le 25 octobre 1997, le Gouvernement a prévu que l'action de la police nationale sera renforcée sur trois ans par 20 000 adjoints de sécurité et que 15 000 agents locaux de médiation seront mis à la disposition des collectivités locales ou d'autres personnes morales de droit public ou privé au titre de contrat locaux de sécurité associant tous les acteurs publics ou privés de la sécurité dans une agglomération. A la suite du rapport de notre collègue M.  Jean-Jacques Hyest et de M. Roland Carraz, des redéploiements d'effectifs de la police et de la gendarmerie sont envisagés au profit des 26 départements présentant les taux de délinquance les plus élevés.

Il demeure que, jusqu'à présent, les polices municipales ont été les mieux à même de répondre au besoin de sécurité de proximité et d'assurer par leur présence au sein de la population une véritable politique de prévention.

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