Rapport n° 40 - Proposition de loi relative à l'édification d'un monument au mont Valérien portant le nom des résistants et des otages fusillés dans les lieux de 1940 à 1944
M. Robert BADINTER, Sénateur
Commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'Administration générale - Rapport n° 40 - 1997/1998
Table des matières
N° 40
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 16 octobre 1997
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi de M. Robert BADINTER et des membres du groupe socialiste et apparentés relative à l'édification d'un monument au mont Valérien portant le nom des résistants et des otages fusillés dans les lieux de 1940 à 1944,
Par M. Robert BADINTER,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de :
MM.
Jacques Larché,
président
;
René-Georges Laurin, Germain Authié, Pierre Fauchon, Charles
Jolibois, Robert Pagès, Georges Othily,
vice-présidents
;
Michel Rufin, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, Paul Masson,
secrétaires
; Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert
Badinter, José Balarello, François Blaizot, André Bohl,
Christian Bonnet, Philippe de Bourgoing, Charles Ceccaldi-Raynaud, Marcel
Charmant, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli,
Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Christian Demuynck, Jean Derian, Michel
Dreyfus-Schmidt, Michel Duffour, Patrice Gélard, Jean-Marie Girault,
Paul Girod, Daniel Hoeffel, Lucien Lanier, Guy Lèguevaques, Daniel
Millaud, Jean-Claude Peyronnet, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jean-Pierre
Schosteck, Alex Türk, Maurice Ulrich, Robert-Paul Vigouroux.
Voir le numéro
:
Sénat
:
362
(1996-1997).
Anciens combattants et victimes de guerre.
Mesdames, Messieurs,
La proposition de loi, présentée par votre rapporteur et les
membres du groupe socialiste et apparentés, a pour objet de
prévoir l'édification d'un monument au mont Valérien qui
porterait le nom des résistants et des otages fusillés dans les
lieux de 1940 à 1944.
Deux ans après que la France eut commémoré le
cinquantenaire de l'armistice de 1945 et célébré le
souvenir de celles et ceux qui ont fait le sacrifice de leur vie pour la
libération de notre pays, le devoir de mémoire à
l'égard de ces combattants de la liberté demeure toujours aussi
fort.
Force est, en effet, de constater avec l'historien Pierre Nora (" Les
lieux de mémoire ") que "
la mémoire est la vie,
toujours portée par les groupes vivants et à ce titre, elle est
en évolution permanente, ouverte à la dialectique du souvenir et
de l'amnésie, inconsciente de ses déformations successives,
vulnérable à toutes les utilisations et manipulations,
susceptible de longues latences et de soudaines revitalisations
".
Ce devoir de mémoire, si essentiel, les pouvoirs publics ont
cherché à le mettre en pratique par diverses initiatives depuis
la fin du second conflit mondial.
Sans prétendre à l'exhaustivité, votre rapporteur
rappellera plus particulièrement les hauts lieux de mémoire que
constituent le Mémorial du débarquement de Provence sur le Mont
Faron, le camp des Milles, le camp de Natzweiler-Struthof ou encore le
Mémorial des Martyrs de la Déportation.
Le rapport d'information, établi au nom de la commission des Finances
par notre excellent collègue Jacques Baudot, sur la politique de la
mémoire menée par le ministère des Anciens combattants et
victimes de guerre (n° 6, 1997-1998) dresse utilement le bilan des
différentes actions entreprises dans ce domaine.
Le législateur a lui-même apporté dans la période
récente sa contribution à une mise en oeuvre effective du devoir
de mémoire. Ainsi, la loi n° 85-528 du 15 mai 1985 a-t-elle
prévu que la mention "
Mort en déportation
"
serait désormais portée sur l'acte de décès des
victimes de la déportation.
Enfin, les commémorations traditionnelles jouent un rôle qui
mérite d'être souligné dans l'affirmation de la
mémoire collective de ces tragiques événements :
commémoration de l'armistice le 8 mai, journée du souvenir de la
Déportation le 30 avril. Un décret du 3 février 1993
-signé du président François Mitterrand- a
également institué une journée nationale
commémorative des persécutions racistes et antisémites
commises sous l'autorité de fait dite " Gouvernement de l'Etat
français " qui est fixée au 16 juillet (date
anniversaire de la rafle du vélodrome d'Hiver à Paris).
Parmi les lieux de mémoire, le Mémorial du mont Valérien
tient assurément une place essentielle.
Le Mémorial de la France combattante est, en effet, d'abord un haut lieu
du sacrifice car -comme le souligne l'exposé des motifs de la
proposition de loi- "
là ont été fusillés
des patriotes d'origines, de convictions, de confessions différentes,
tous réunis par l'amour de la France et la passion de la
liberté
".
De 1940 à 1944, il fut le lieu tragique où furent
perpétrées les exécutions de condamnés extraits de
diverses prisons de la région parisienne, le plus souvent le fort de
Romainville, conduits dans des camions bâchés jusque dans
l'enceinte du fort et enfermés dans la chapelle. Celle-ci, rendue au
culte en 1939, devait ainsi servir d'antichambre de la mort deux ans plus tard.
Ses murs conservent la trace des graffitis écrits par les
condamnés.
A quelque distance de cette chapelle, dans une clairière
délimitée par des talus et un champ de mines, située en
contrebas, avaient lieu les exécutions.
Tombèrent ainsi en ces lieux Honoré d'Estiennes d'Orves et ses
deux compagnons le 29 août 1941 ; 66 exécutés dont Gabriel
Péri, le 19 décembre 1941 ; 88 otages, le 11 août 1942 ;
les cinq élèves du lycée Buffon, le 8 février
1943 ; les fusillés de l' " affiche rouge " dont Missak
Manouchian le 21 février 1944 ; et des centaines de martyrs du
combat pour la France.
Le Mémorial du mont Valérien est aussi -par la volonté du
Général de Gaulle- un haut lieu de la mémoire collective
de cette terrible période.
C'est en effet le Gouvernement provisoire de la République
Française qui arrêta en 1945, le principe de l'édification
d'un monument aux "
Morts pour la France
" de la
guerre
1939-1945.
Un décret du 6 novembre 1945 ouvrit une souscription nationale dont le
produit devait servir à couvrir les frais d'édification.
Dans la nuit du 11 novembre 1945, après des obsèques solennelles
à l'Arc de Triomphe, quinze corps exhumés de divers
cimetières et symbolisant les phases essentielles du conflit furent
déposés dans une crypte provisoire. Un seizième corps
représentant les victimes des combats menés en Indochine contre
les Japonais devait les rejoindre en 1952.
C'est plus tard, un décret du 24 novembre 1958 qui concrétisa le
projet. Le Mémorial de la France combattante fut inauguré le 18
juin 1960 par le Général de Gaulle.
Conformément au souhait de ce dernier, le site du mont Valérien
est constitué d'un monument adossé au glacis du fort, d'une
crypte dans laquelle reposent seize corps de " Morts pour la
France ", au centre de laquelle est déposée une urne
contenant des cendres recueillies dans des camps de concentration et enfin d'un
circuit qui relie cette crypte à la chapelle où étaient
enfermés les condamnés, puis au belvédère qui
surplombe la " clairière des fusillés ".
Cette " clairière " est un espace isolé entre murs et
talus, qui servit, pendant la guerre, pour les fusillades. L'idée
dominante du concepteur du Mémorial, M. Félix Brunau, a
été de maintenir les lieux en l'état. En
conséquence, près du mât aux couleurs, seule une simple
dalle posée au sol évoque ceux qui tombèrent en ces lieux.
Le Mémorial, propriété de l'Etat (affecté au
secrétariat d'Etat aux anciens combattants) est géré par
la direction interdépartementale aux anciens combattants
d'Ile-de-France. Deux fonctionnaires y assurent le gardiennage et les visites
guidées du site.
Or, paradoxalement, les noms des fusillés du mont Valérien ne
sont gravés nulle part dans ces lieux où ils connurent l'ultime
sacrifice. Les nombreux visiteurs qui viennent s'y recueillir ne sont ainsi pas
en mesure de connaître les noms de ces héros qui restent anonymes.
Et que dire des familles qui voient ainsi ignoré le nom de celles et
ceux qui sont tombés en ces lieux pour la France.
C'est donc à juste titre que la présente proposition de loi
suggère de combler cette regrettable omission.
Son
article premier
propose l'édification d'un monument dans les
lieux dits " la Clairière des fusillés " au mont
Valérien, c'est-à-dire sur les lieux-mêmes où ces
martyrs ont été fusillés. Ce monument porterait
gravés les noms de ceux qui ont donné leur vie pour la France et
pour la liberté.
L'article 2
prévoit le lancement d'une souscription nationale
pour couvrir le coût du monument.
Tout en approuvant pleinement l'objet de la présente proposition de loi,
votre commission des Lois s'est interrogée sur la
nécessité d'adopter une disposition législative pour le
mettre en oeuvre et s'est demandé s'il ne pourrait pas être
satisfait tout aussi bien par la voie réglementaire.
La commission des Lois a néanmoins jugé souhaitable que cette
proposition de loi puisse venir en discussion devant le Sénat et
qu'à cette occasion le Gouvernement précise ses intentions quant
à la réalisation d'un tel ouvrage dont la valeur symbolique et la
contribution au devoir de mémoire méritent la plus grande
attention.
Sous le bénéfice de ces observations, votre commission des Lois
soumet au Sénat les conclusions suivantes qui reproduisent le texte
même de la proposition de loi.
TEXTE PROPOSÉ PAR LA COMMISSION
PROPOSITION DE LOI
RELATIVE À
L'ÉDIFICATION D'UN MONUMENT
AU MONT VALÉRIEN PORTANT LE NOM
DES RÉSISTANTS
ET DES OTAGES FUSILLÉS DANS LES LIEUX DE 1940
À 1944
Article premier
Il est édifié un monument dans les lieux dits
" la Clairière des fusillés " au mont Valérien.
Sur ce monument sont gravés les noms de ceux qui donnèrent en ce
lieu leur vie pour la France et la liberté.
Article 2
Le coût du monument est couvert par une souscription nationale.