IV. LES TRAVAUX DE LA COMMISSION
A. AUDITION DE MADAME CORINNE LEPAGE, MINISTRE DE L'ENVIRONNEMENT, LE MARDI 23 AVRIL 1996 DEVANT LA COMMISSION
Le ministre a, tout d'abord, souligné que le projet de loi répondait à une attente sociale, renforcée par l'aggravation de la pollution atmosphérique. Elle a relevé que si la pollution due aux activités industrielles avait diminué, par suite de la fermeture des vieilles usines et l'utilisation de nouveaux mécanismes de contrôle et d'épuration par les opérateurs économiques, la situation s'était dégradée du fait des sources mobiles d'émission. La France était, à cet égard, caractérisée par un parc automobile vieillissant et un développement important des moteurs diesel. Deux circonstances particulières avaient accéléré la prise de conscience collective, à savoir des pics de pollution due à l'ozone et des résultats d'études épidémiologiques démontrant le lien entre la pollution atmosphérique et l'aggravation des maladies respiratoires.
Mme Corinne Lepage a indiqué que l'élaboration du projet de loi avait donné lieu à une large concertation à travers un groupe de travail regroupant les élus, dont le sénateur Pierre Hérisson, les opérateurs économiques, les associations et les administrations.
Le projet de loi a été bâti sur les consensus exprimés lors de cette concertation et cherche à dégager un point d'équilibre entre les impératifs de santé publique et les nécessités de l'activité économique.
Le ministre a poursuivi en indiquant que le contenu du texte reposait sur cinq points particuliers :
- la reconnaissance d'un droit à l'information qui repose sur un système de surveillance. Pour assurer la transparence de l'information et sa fiabilité, l'État met en place un réseau dont la gestion est assurée de façon quadripartite par des représentants de l'État, des collectivités locales, des industriels, des associations de protection de l'environnement et des personnalités qualifiées ;
- le projet de loi arrête des dispositions permettant de réduire la pollution atmosphérique à travers trois types de documents.
- premier document : le plan régional pour la qualité de l'air est un document facultatif élaboré par le préfet de région en concertation avec les collectivités locales qui définit les orientations permettant d'atteindre les objectifs d'amélioration de la qualité de l'air ;
- deuxième document : les plans de protection de l'atmosphère, obligatoires dans les agglomérations de plus de 250.000 habitants et les zones sensibles où les valeurs limites de la qualité de l'air sont dépassées, incluent des mesures préventives mais également des mesures contraignantes en matière de circulation, définies à l'avance en fonction du dépassement de seuils d'alerte et de valeurs limites, et mises en oeuvre par le préfet. Ces plans soumis à enquête publique feraient l'objet d'une large concertation ;
- troisième document : les plans de déplacement urbains, prévus par la loi d'orientation sur les transports intérieurs sont rendus obligatoires pour les agglomérations de plus de 250.000 habitants. Ces plans élaborés par les autorités compétentes en matière de transports urbains permettront la définition d'une politique globale des transports à l'échelle des agglomérations, favorisant les transports les moins polluants et rationalisant les flux de circulation ;
- le projet de loi autorise le Gouvernement à prendre diverses mesures techniques sur les véhicules et les carburants, notamment l'obligation d'utiliser des carburants oxygénés par des additifs chimiques ou agricoles ;
- le volet financier : d'une part pour favoriser les véhicules et les carburants propres, le projet de loi contient des mesures fiscales positives en faveur du véhicule électrique ou bi-mode, ou du véhicule utilisant le gaz naturel ou le gaz de pétrole liquéfié. L'adoption de certaines de ces mesures relève de la compétence des collectivités locales (exonérations de la taxe différentielle « vignette » et de la taxe sur les certificats d'immatriculation « cartes grises »). D'autre part, le financement du réseau de surveillance repose sur le principe pollueur-payeur et sera assuré dans des conditions fixées chaque année par la loi de finances, à partir du produit de la fiscalité des énergies fossiles ;
- les sanctions prévues en cas d'infraction aux dispositions du projet de loi sont en retrait par rapport à celles prévues par la loi du 2 août 1961.
En conclusion, Mme Corinne Lepage, ministre de l'environnement, a insisté sur l'article premier du projet de loi qui pose le principe du droit de chacun à respirer un air qui ne nuise pas à sa santé et souligné le caractère équilibré du texte.
M. Philippe François, rapporteur, après avoir souligné l'intérêt des éléments d'information apportés par le ministre, a indiqué qu'il procédait à un très grand nombre d'auditions. Il a souhaité savoir quel rôle le Gouvernement envisageait de donner à l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) et à Météo-France. Il s'est interrogé sur l'impact des mesures fiscales de lutte contre la pollution atmosphérique sur les choix industriels arrêtés par les constructeurs automobiles.
Concernant l'ADEME, Mme Corinne Lepage, ministre de l'environnement, a précisé qu'elle avait été étroitement associée à l'élaboration du projet de loi et qu'elle le serait à sa mise en oeuvre. À propos de Météo-France, le ministre a ajouté que les stations techniques de cet organisme seraient utilisées pour la surveillance de l'air dans les régions moins urbanisées qui ne connaissaient pas de problème de pollution atmosphérique.
Le ministre a ensuite évoqué les problèmes de concurrence entre véhicules propres, indiquant que dans l'immédiat devait être encouragée l'utilisation des véhicules bi-mode ou à bi-carburation.
M. Bernard Hugo, après avoir souligné l'intérêt du lien établi entre santé et pollution atmosphérique a estimé que le projet de loi devrait être complété par des mesures relatives aux transports interurbains. Il a interrogé le ministre sur les comparaisons possibles avec ce qui se faisait dans les pays membres de la communauté européenne dans le domaine de la surveillance de l'air. En réponse, Mme Corinne Lepage, ministre de l'environnement, a précisé que les transports interurbains étaient pris en compte dans le cadre des plans régionaux de la qualité de l'air, et qu'à moyen terme il faudrait envisager, de manière coordonnée au niveau européen, des solutions alternatives à la route pour le transport de marchandises. Le ministre a relevé que les mesures contenues dans le projet de loi permettraient à la France de combler son retard par rapport à ses partenaires européens, tant en ce qui concernait la surveillance de l'air qu'en ce qui concernait les incitations fiscales pour les véhicules et les carburants peu polluants.
Mme Corinne Lepage, ministre de l'environnement, répondant à M. François Gerbaud, a souligné le lien étroit existant entre les dispositions du projet de loi, notamment celles relatives aux plans régionaux de la qualité de l'air, et la politique d'aménagement du territoire.
En réponse à M. Michel Souplet qui relevait les contradictions exprimées par les constructeurs automobiles et par les raffineurs sur le caractère plus ou moins polluant de tel ou tel carburant et qui s'interrogeait sur la fiabilité des études menées sur ce sujet, le ministre a reconnu qu'il existait des positions divergentes entre constructions et raffineurs. Elle a cependant souligné la convergence des avis scientifiques et techniques sur les risques induits par les pointes d'ozone et les particules fines émises par le gazole en matière de pollution atmosphérique.
À M. René Rouquet qui regrettait que le texte n'aille pas plus loin dans son volet financier, et ne comporte pas de mesures complémentaires en matière de santé publique et de transports collectifs, Mme Corinne Lepage, ministre de l'environnement, a répondu qu'elle étudierait toutes les propositions qui respecteraient le champ d'application de la loi. Elle a ajouté que le financement des réseaux de surveillance était inscrit dans la loi sur la base du principe pollueur-payeur et que les incitations fiscales en faveur des carburants peu polluants auraient un impact très positif.
M. Pierre Hérisson est intervenu pour rappeler le travail de concertation auquel il avait participé et, s'agissant du financement des réseaux de surveillance, s'est interrogé sur le risque pour les collectivités locales de devoir se substituer à l'État si le dispositif initial était remis en cause par la loi de finances. À propos des articles 25 et 26 du projet de loi, qui permettent aux collectivités locales d'accorder des allégements de taxes « vignette » ou « carte grise » pour les véhicules propres, M. Pierre Hérisson a exprimé des réserves sur la non compensation de cette perte de ressources. Enfin, il a attiré l'attention du ministre sur le cas particulier des agglomérations transfrontalières de plus de 250.000 habitants.
En réponse, Mme Corinne Lepage, ministre de l'environnement, a tenu à rassurer les sénateurs sur le caractère pérenne des mesures financières proposées, notamment les incitations fiscales en faveur des véhicules et carburants peu polluants, en insistant sur « le signal » fort ainsi donné aux industriels.
En réponse aux questions de M. Félix Leyzour, le ministre a fait valoir :
- que l'application du principe pollueur-payeur au financement des réseaux de surveillance, était une bonne solution et que, parallèlement, il existait des mesures contraignantes pour inciter les acteurs économiques à respecter les normes fixées en matière de pollution ;
- que l'implication financière des collectivités locales se comprenait dans le respect du principe de leur libre administration ;
- sur les délais de publication des décrets d'application, le ministre s'est engagé à ce qu'ils paraissent très vite en indiquant que le groupe de concertation serait consulté sur leur contenu.
Enfin, répondant à M. Jean-Paul Émin qui l'interrogeait sur les risques de contentieux liés à l'article premier du projet de loi, Mme Corinne Lepage, ministre de l'environnement, a insisté sur l'importance du principe général ainsi énoncé et qui résumait la philosophie du projet de loi.
Elle a, enfin, souligné que la couverture du territoire par les réseaux de surveillance permettrait d'assurer à chacun un accès à une information fiable et homogène, en ce qui concernait la pollution atmosphérique.