III. LA MODULATION DU TIRAGE AU SORT SELON LA DISPONIBILITÉ ET LA COMPÉTENCE DES COMITÉS DE PROTECTION DES PERSONNES
A. LES OBJECTIFS POURSUIVIS PAR LA PROPOSITION DE LOI
Ses auteurs estimant que « la composition des CPP, variable d'un territoire à l'autre, ne permet pas toujours de garantir l'expertise nécessaire à l'évaluation des projets de recherche », la proposition de loi visait initialement à s'assurer que le tirage au sort s'effectue « parmi les comités incluant un ou des membres dont l'expertise est nécessaire » pour l'examen du projet de recherche concerné.
Dans sa rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale en première lecture, la proposition de loi a été modifiée afin de prévoir que le tirage au sort tienne compte pour l'attribution d'un dossier de recherche :
- de la disponibilité des CPP, qui permettrait d'objectiver la capacité du comité à traiter le dossier dans le respect des délais réglementaires en fonction de sa charge de travail ;
- de la compétence des CPP, qui permettrait de confier l'examen du dossier à un CPP en mesure de mobiliser, en interne ou en externe, un spécialiste pertinent pour l'analyse du projet concerné.
B. LA POSITION DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
Votre commission est convaincue de la pertinence de la désignation aléatoire des CPP. Des auditions conduites par son rapporteur, il ressort que cette désignation aléatoire a permis de réduire mécaniquement les risques de proximité entre le promoteur d'un projet de recherche et le CPP saisi de son évaluation éthique. Tant les représentants des CPP, des promoteurs industriels, institutionnels et académiques que des usagers du système de santé restent attachés à la vocation pluridisciplinaire des CPP qui fonde le sérieux et l'indépendance de l'évaluation éthique dans notre pays.
Le tirage au sort constitue un élément de prévention des conflits d'intérêts dans le système français de recherche clinique, en complément d'autres moyens :
- les membres et experts externes du CPP sont tenus aux obligations de déclaration publique de leurs liens d'intérêt et ne peuvent prendre part aux travaux, aux délibérations et aux votes du comité lorsqu'ils ont un intérêt, direct ou indirect 50 ( * ) , au dossier examiné ;
- le fonctionnement collégial des CPP et la complémentarité des collèges « scientifique » et « société civile » participent de l'indépendance des avis.
Consciente des difficultés rencontrées par les CPP pour respecter les délais réglementaires, votre commission considère néanmoins qu'une modulation de la procédure de tirage au sort selon la disponibilité et la compétence des comités est de nature, au moins à titre transitoire, à fluidifier le traitement des dossiers de recherche. L'imminence de l'entrée en vigueur du règlement européen relatif aux essais cliniques de médicaments représente un défi considérable pour le système d'évaluation scientifique et éthique français, dans un environnement européen et international fortement concurrentiel. Dans la mesure où le dépassement du délai réglementaire vaudra désormais acceptation et non plus rejet, il est inconcevable que des projets de recherche puissent être entrepris en l'absence de décision explicite quant à leur caractère éthique.
Dans son rapport d'information de juin 2018 sur l'accès précoce aux médicaments innovants 51 ( * ) , votre commission avait convenu de la nécessité d'adapter le système du tirage au sort « afin que celui-ci s'applique à un groupe restreint de CPP spécialisés en fonction du domaine de l'essai clinique. » Ce rapport avait préconisé, par ailleurs, le renforcement du niveau d'expertise des CPP, « notamment par la mise en place de formations adaptées et l'accès à des experts rapidement mobilisables », le cas échéant par l'intensification des « interactions avec l'ANSM dans le sens d'une mutualisation de l'expertise. » Il avait recommandé, enfin, l'harmonisation des procédures d'évaluation sous l'égide de la Cnriph.
Votre commission identifie, toutefois, plusieurs conditions que le Gouvernement devra respecter dans la mise en oeuvre de cette modulation afin que le tirage au sort conserve son sens.
1. La détermination de la disponibilité des CPP
Plusieurs éléments devront être pris en compte dans le SI RIPH afin d'objectiver la disponibilité des CPP au moment de la saisie par le promoteur de son dossier.
• La présence du personnel permanent :
La bonne instruction du dossier et la notification de l'avis reposent sur le secrétariat du comité. Si la continuité de ces étapes n'est pas assurée, le CPP concerné ne peut raisonnablement participer au tirage au sort.
• Le nombre de dossiers en cours et le calendrier des sessions :
Un rapport 52 ( * ) de l'Igas préconisait, en 2005, un maximum de cinq dossiers initiaux (hors modifications substantielles) par séance afin de permettre un temps de réflexion et de débat suffisant au sein du CPP et de tenir compte de la disponibilité des membres qui exercent généralement une activité professionnelle et participent au comité à titre bénévole. Au vu de l'ampleur des dossiers traités par les CPP depuis l'élargissement de leur champ d'évaluation aux recherches non interventionnelles, la DGS propose qu'un CPP soit considéré disponible tant qu'il n'aura pas traité au moins dix dossiers par mois. Votre commission insiste cependant sur la nécessité de définir ce seuil en concertation étroite avec les CPP, de sorte qu'il soit tenu compte de la situation de certains comités qui n'ont pas, à l'heure actuelle, la capacité d'absorber l'examen de dix dossiers par mois. Les dossiers doivent également pouvoir être orientés vers les comités présentant une séance programmée dans un délai raisonnable, évalué par la Cnriph entre 21 et 31 jours suivant le tirage au sort. Le SI RIPH devra donc intégrer le calcul du taux de remplissage des sessions de chaque comité.
Votre commission recommande également de tenir compte de la répartition des dossiers par catégorie de recherche et d'inviter les CPP à se saisir des réunions en comité restreint pour l'examen des recherches de catégories II et III.
2. La détermination de la compétence des CPP
Mesurant le risque d'une dénaturation du tirage au sort par une spécialisation des CPP, notre collègue député Cyrille Isaac-Sibille, dans son rapport 53 ( * ) au nom de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, plaide « pour une application mesurée de cette mesure qui pourrait être circonscrite aux spécialistes mentionnés à l'article R. 1123-14 du code de la santé publique (pédiatre et personnalité qualifiée en cas de recherche impliquant des personnes majeures hors d'état d'exprimer leur consentement) et aux deux experts mentionnés à l'article R. 1123-13 (rayonnements ionisants et première administration à l'homme des médicaments). »
Il considère néanmoins que la formulation retenue par la commission offre suffisamment de flexibilité pour permettre, dans un second temps, au Gouvernement d'ajuster le dispositif afin de tenir compte des besoins en expertise de certains CPP ou des changements de représentation des spécialités en leur sein au gré de leurs renouvellements triennaux.
Votre commission préconise la mise en oeuvre d'une modulation du tirage au sort selon la compétence la plus souple possible. Compte tenu de l'évolution et de la complexification des spécialités thérapeutiques, elle recommande de laisser à chaque CPP le soin de communiquer à la Cnriph les aires thérapeutiques pour lesquelles il s'estime à court et moyen termes dans l'incapacité de mobiliser un spécialiste. Plutôt que de limiter cette déclaration d'« incompétence » à des domaines prédéterminés par la DGS, il est préférable de s'en tenir aux spécialités identifiées par les CPP eux-mêmes qui savent apprécier les ressources de leur réseau d'experts disponibles 54 ( * ) .
La situation des CPP au regard de leur compétence doit demeurer réversible. Votre commission insiste sur la nécessité de permettre aux CPP de modifier à tout moment les disciplines entrant dans leur champ de compétence, en cas de modification de leur composition ou de nouveaux experts disponibles.
3. Les mesures d'accompagnement des CPP dans leur montée en charge
Votre commission estime que cette proposition de loi permettra de répondre à des difficultés ponctuelles et transitoires mais que l'objectif, à terme, reste que plus aucun CPP n'ait à se déclarer incompétent sur une spécialité. Dans cette optique, plusieurs mesures doivent être rapidement déployées par le Gouvernement :
- les moyens de la Cnriph doivent être significativement renforcés afin de lui permettre d'exercer ses missions dans :
• l'harmonisation des procédures d'évaluation entre CPP et l'émergence d'une culture commune dans le traitement des différentes catégories de recherche, en particulier en matière de recherche observationnelle, par la diffusion de bonnes pratiques et de référentiels d'évaluation. À cet effet, la création d'un site pour la Cnriph, qui n'existe toujours pas, s'impose ;
• la formation des membres des CPP et de leur personnel permanent, en vue de la professionnalisation de l'évaluation éthique. Les formations doivent, selon votre commission, mettre l'accent sur les enjeux de l'évaluation éthique de l'exploitation des données personnelles de santé, à l'heure où une concurrence intense s'annonce dans le développement d'études mêlant numérique et santé, alimenté par l'essor de l'intelligence artificielle.
Forte de bases de données cliniques puissantes, la France dispose d'un avantage comparatif en Europe mais d'autres pays, tels que les Pays-Bas et le Danemark 55 ( * ) , ont mis en place des plateformes susceptibles d'intéresser fortement les promoteurs de recherches observationnelles ;
• le développement, en partenariat avec les promoteurs, de tutoriels consultables en ligne permettant aux promoteurs d'être accompagnés dans le montage d'un dossier en fonction de la catégorie de la recherche. À cet égard, votre commission invite le Gouvernement à publier dans les meilleurs délais l'arrêté définissant le résumé du protocole des recherches non interventionnelles reposant sur des questionnaires ou entretiens ;
• l'établissement d'un réseau national d'experts dans différents domaines de la recherche clinique qui permettrait aux CPP de mobiliser des spécialistes non représentés en leur sein et dont la participation aux réunions et séances serait facilitée par le recours au téléphone ou à la vidéoconférence. Un réseau doit également être développé au niveau de chaque interrégion afin de faciliter le recrutement de membres au titre du collège « société civile », les CPP rencontrant également des difficultés à mobiliser des représentants d'usagers, des infirmiers ou encore des travailleurs sociaux ;
- la coordination entre les CPP et l'ANSM doit être renforcée, la plupart des pays européens multipliant les efforts en ce sens. À l'heure actuelle, l'ANSM n'est pas informée du CPP désigné pour l'examen d'un essai clinique. Or l'ANSM sera bientôt la seule entité à informer le promoteur de la décision finale concernant un essai clinique de médicament, ce qui rend une évaluation coordonnée par l'agence et le CPP incontournable. Certains CPP trouvent également un intérêt à interroger l'ANSM sur certains aspects méthodologiques afin d'apprécier le caractère éthique d'un projet. À cet effet, votre commission estime que l'inclusion de l'ANSM dans le SI RIPH est indispensable ;
- la participation aux activités des CPP doit être valorisée dans les parcours professionnels de leurs secrétaires, de leurs membres et de leurs experts. Votre commission recommande, par exemple, la prise en compte de la participation de médecins à des expertises pour le compte de CPP dans l'accès à des carrières universitaires, notamment aux postes de professeur des universités-praticien hospitalier (PU-PH).
Lors de l'examen en séance publique de la présente proposition de loi à l'Assemblée nationale, la ministre des solidarités et de la santé s'est engagée à ce que des moyens supplémentaires soient alloués aux CPP pour le renforcement de leurs personnels permanents. La DGS a ainsi indiqué que les CPP devraient, à l'avenir, disposer d'1,5 ETP.
Votre commission souligne la nécessité de pourvoir ces renforts administratifs par des personnes formées à l'instruction de dossiers de recherche clinique. À cet égard, l'élaboration par la Cnriph d'une fiche de poste de responsable du secrétariat d'un CPP, déclinant les compétences requises, constitue une avancée.
* 50 Cette notion d'intérêt indirect semble recouvrir les risques de conflits d'intérêts « en miroir », lorsqu'un expert du CPP évaluerait le projet d'un concurrent hospitalo-universitaire.
* 51 Rapport d'information n° 569 (2017-2018) de M. Yves DAUDIGNY et Mmes Catherine DEROCHE et Véronique GUILLOTIN, intitulé Médicaments innovants : consolider le modèle français d'accès précoce, fait au nom de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale et de la commission des affaires sociales, déposé le 13 juin 2018.
* 52 D'AUTUME, C., ABALLEA, P., ROUSSILLE, B., La transformation des comités consultatifs de protection des personnes en matière de recherche biomédicale (CCPPRB) en comités de protection des personnes (CPP) en application de la loi du 9 août 2004 , rapport de l'Igas n° 2005-125, juillet 2005.
* 53 Rapport n° 908 du 9 mai 2018, fait au nom de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi relative à l'expertise des comités de protection des personnes, par M. Cyrille Isaac-Sibille, député.
* 54 Un sondage des CPP par la Cnriph fait apparaître que les CPP rencontrent des difficultés à mobiliser de l'expertise dans les cinq domaines suivants : la pédiatrie, les essais de phase I, l'oncologie générale, l'oncologie-hématologie et la virologie. Néanmoins, certains CPP ont indiqué rencontrer les plus grandes difficultés à recruter spécialistes dans d'autres domaines, comme des ophtalmologues.
* 55 À titre d'exemple, un consortium de trois universités danoises et de l'entreprise BGI-Europe spécialisée dans l'analyse génomique ont développé une base de données cartographiant le génome complet de près de 150 familles danoises, en vue de renforcer la prédictibilité des affections et de favoriser la personnalisation des diagnostics et traitements.