TEXTE DE LA COMMISSION
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu la directive 69/493/CEE du 15 décembre 1969 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au verre cristal, notamment son annexe I,
Vu la directive 2011/65/UE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2011 relative à la limitation de l'utilisation de certaines substances dangereuses dans les équipements électriques et électroniques, notamment son article 5, point 2, alinéa 2, son article 19 et son annexe III,
Approuve la volonté de protéger la santé publique face à des pollutions imputables à des substances dont la présence dans le sol représenterait un risque avéré ;
Constate qu'en matière de santé au travail, le risque présenté par le plomb dans les cristalleries est aujourd'hui mesuré, encadré et sans conséquences déclarées ;
Estime que l'assimilation des luminaires en cristal à des équipements électriques est contestable, ces luminaires ne jouant aucun rôle dans la circulation du courant ;
Comprend toutefois que les lustres en cristal ne soient pas exclus du champ d'application de la directive 2011/65/UE, afin d'inciter les professionnels du secteur à rechercher activement un substitut au plomb ;
Constate l'absence à ce stade de solution alternative à l'utilisation du plomb dans l'élaboration des articles en cristal malgré une recherche engagée depuis cinq ans par la filière et une expérimentation qui n'a pas encore fait ses preuves ;
Souhaite en conséquence que la Commission européenne proroge pour cinq ans l'exemption inscrite à l'annexe III de la directive 2011/65/UE qui vise « Le plomb contenu dans le verre cristal conformément à l'annexe I (catégories 1, 2, 3 et 4) de la directive 69/493/CEE du Conseil » ;
Invite le Gouvernement à soutenir cette orientation et à la faire valoir dans les négociations en cours.
EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 6 avril 2016, la commission a examiné la proposition de résolution européenne.
M. Hervé Maurey, président . - Nous avons à examiner la proposition de résolution européenne n° 486 (2015-2016), présentée par René Danesi au nom de la commission des affaires européennes, concernant l'exemption du cristal de la directive sur la limitation de l'utilisation de substances dangereuses dans les équipements électriques et électroniques. Le sujet porte essentiellement sur la question des luminaires en cristal. Je vous rappelle que cette proposition de résolution a été adoptée à l'unanimité le 18 mars par la commission des affaires européennes.
M. Jean-François Rapin, rapporteur . - Je vous remercie de m'avoir confié ce premier rapport au sein de la commission. On aurait pu penser qu'il s'agissait d'un piège de cristal... Bien que le sujet soit très ponctuel, j'ai trouvé beaucoup d'intérêt à analyser ce dossier.
Cette proposition de résolution porte sur le projet de révision de la directive européenne 2011/65/UE relative à la limitation de l'utilisation de substances dangereuses dans les équipements électriques et électroniques et vise à obtenir une nouvelle exemption pour les luminaires en cristal.
Premier point, et qui est selon moi un paradoxe : la directive porte sur les équipements électriques et électroniques. Les éléments en cristal constituant les lustres sont pourtant intégrés dans le champ du dispositif. Cette directive vise à traiter le problème des rejets de plomb dans la nature par le biais des déchets d'équipements électriques et électroniques, notamment dans les soudures, qui provoquent des pollutions dans les nappes phréatiques. Si le cristal des lustres a été intégré au champ de la directive, c'est qu'il comporte une masse non négligeable de plomb ; le cristal est en effet une association de sable, de potasse et de plomb. Le plomb permet la cristallisation et donne sa beauté à ce produit.
J'ai procédé à deux auditions, une audition des professionnels du cristal et une audition des services de la santé au travail. Ils m'ont assuré qu'au moment de la fusion, la quasi-totalité du plomb disparaît. Si le cristal est rejeté dans la nature, le plomb restant dans le cristal est enfermé dans la structure en verre et ne provoque quasiment aucune pollution. Le risque environnemental présenté par le cristal est donc nul, d'autant qu'il est rare de trouver des lustres dans les décharges publiques...
La directive est révisée tous les cinq ans. Les cristalliers doivent donc à nouveau s'expliquer cette année sur leur activité, bien que le secteur soit déjà bien encadré par la réglementation.
En termes économiques, ainsi que le relève le sénateur Danesi dans sa proposition de résolution européenne, le cristal représente 197 entreprises dans l'Union européenne, 3 000 emplois directs et 9 000 emplois indirects, essentiellement en France, en République tchèque et en Irlande. Ces entreprises, de manière générale, ne gagnent pas beaucoup d'argent. Elles sont souvent adossées à de grands groupes. Saint-Louis fait partie du groupe Hermès par exemple. Les habitudes de consommation ont fortement évolué depuis cinquante ans. On achète de moins en moins de cristal.
Un mot sur la recherche. Il y a cinq ans, l'Union européenne a failli rendre un avis défavorable à l'exemption du cristal. Un cabinet d'études ayant entendu les cristalliers avait rendu un avis défavorable. Le reproche qui leur était fait était de ne pas faire suffisamment de recherche pour tenter de trouver des produits de substitution au plomb. Depuis cinq ans, la filière a donc investi dans la recherche. Il existe des pistes alternatives qui ne sont pas probantes à ce stade : on n'arrive jamais à la qualité du cristal, que ce soit pour la souplesse du verre ou encore sa clarté. Les industriels ne sont pas restés inactifs.
Je vous ai expliqué précédemment qu'il n'y avait pas de risque en matière de santé publique, pour la simple raison qu'il n'y avait pas de relargage du plomb présent dans le cristal dans la nappe phréatique. Je me suis interrogé sur le problème de la santé au travail. Le plomb est utilisé à hauteur de 24 % dans la masse globale du cristal : on pourrait donc imaginer une exposition forte des salariés du cristal, d'autant que le travail est encore très largement manuel et artisanal. J'ai entendu des représentants de l'INRS. Ils m'ont indiqué qu'aucun cas de maladie professionnelle liée au saturnisme n'avait été déclaré en cristallerie ces cinq dernières années. Des protections sont en place. Par ailleurs, le plomb utilisé est peu biodisponible, il ne pénètre donc pas facilement dans l'organisme.
Je vous présenterai tout à l'heure deux amendements afin de renforcer la position adoptée par la commission des affaires européennes, qui propose de soutenir la demande d'exemption du cristal de la directive de 2011.
M. Gérard Cornu . - Vous nous avez indiqué que les cristalleries étaient souvent adossées à de grands groupes. Que représente le secteur du cristal en France par rapport aux autres pays européens ? Sommes-nous leaders ?
Le plomb est intégré dans le verre au moment de la fusion. Disposons-nous de mesures précises sur les rejets de plomb après cette étape ? Y a-t-il des normes européennes ou mondiales ?
M. Louis Nègre . - Je remercie le rapporteur pour la clarté de cet exposé, c'est du cristal... Nous sommes ici pris entre deux feux : d'un côté, le risque de saturnisme que présente le plomb, d'un autre côté, une industrie française du luxe, leader dans le monde. La question est donc de savoir s'il y a un véritable danger. Où y a-t-il danger dans le cycle de création du cristal ? Le rapporteur nous indique qu'il n'y a pas de cas de saturnisme, ce qui veut dire que les précautions nécessaires sont prises dans les usines. Il n'y quasiment pas de relargage de plomb dans la nature. Où est donc le problème ?
M. Benoît Huré . - Sait-on comment les autres pays de l'Union européenne ont transposé ces dispositions ?
Mme Odette Herviaux . - Vous évoquiez le fait que le cristal se retrouve rarement dans les déchetteries : le problème n'est effectivement pas là. Le risque est probablement plutôt du côté des salariés. Vous indiquez qu'il n'y a actuellement pas de cas de saturnisme déclarés. Connaissant un peu la région, je sais qu'il n'y en avait pas plus autrefois. On touche là un problème récurrent : lorsque l'Europe commande des études à des cabinets spécialisés, ces derniers appliquent une méthode formatée à tous les sujets, sans connaître la situation initiale. On pourrait reprocher un manque de recherche d'alternatives, mais nous savons tous que s'il n'y a plus de plomb, il n'y a plus de cristal.
Mme Évelyne Didier . - Je suis d'une région où nous avons la chance d'avoir Baccarat. J'ai eu l'occasion de visiter les ateliers, avec à la tête des équipes des meilleurs ouvriers de France. L'exemption demandée est de bon sens, il faut voter ce texte.
Certains collègues se demandent où est le danger : lorsque des multinationales rachètent nos cristalleries, ce n'est pas pour faire vivre le cristal, mais bien pour récupérer une marque qu'on applique ensuite à des secteurs plus rentables comme l'hôtellerie. Notre crainte, c'est la fermeture des ateliers Baccarat. Voilà le véritable danger.
Le plomb est nécessaire pour fabriquer du cristal, pour des raisons de transparence, de souplesse et de température de fusion.
M. Charles Revet . - Je partage ce qu'a dit Evelyne Didier. Il faut avoir à l'esprit que la France a de vraies spécificités dans beaucoup de domaines. Le verre en est un bon exemple. La France, et en particulier la Seine-Maritime, fournit environ 80 % des flaconnages de luxe au niveau mondial. Dans l'application des normes européennes, il nous faut donc être vigilants de ne pas aller trop loin dans l'uniformisation. Je prendrai deux exemples. Quand l'Europe a voulu mettre un terme aux fromages au lait cru, heureusement que le prince Charles a défendu notre production. La même difficulté s'est posée quand l'Union européenne a voulu définir le vin rosé comme un mélange de blanc et de rouge. Tout en protégeant la santé et l'environnement, il faut défendre nos spécificités.
M. Alain Fouché . - J'invite les collègues qui n'ont pas eu l'occasion de le faire à visiter la boutique Baccarat place des États-Unis, dans laquelle se trouvent une collection remarquable et un ascenseur entièrement en cristal.
M. Jean-François Rapin, rapporteur . - Pour répondre à Gérard Cornu, la France est effectivement leader en matière de cristal. Nos marques sont adossées à des grands groupes du luxe, à des savoir-faire artisanaux. Le cristal fait partie de notre patrimoine. Dans ma région, à Arques, la cristallerie a été reprise par un groupe américain et l'évolution se fait dans le sens d'une déclassification du produit.
Comme Louis Nègre, je me suis interrogé sur la pertinence de l'inclusion du cristal dans la directive. Nous avons aujourd'hui la certitude qu'il n'y a pas de relargage de plomb à cause du cristal dans la nature. Dans les usines, les salariés font régulièrement des plombémies, pour mesurer la quantité de plomb dans le sang. Pour la population générale, la valeur limite maximale d'exposition a par ailleurs été divisée par quatre en quarante ans.
Concernant l'application de la directive dans l'Union européenne, tous les États membres bénéficieront de l'exemption pour les luminaires en cristal si elle est prolongée de cinq ans.
Le verre est bien une spécificité française. Un élément à retenir sur la technique : certaines marques, comme Swarovski, indiquent faire du cristal alors qu'il ne s'agit en fait que d'un verre très luisant et très blanc. Ces marques exercent une pression au niveau européen pour obtenir un label cristal pour leur verre de substitution.
Concernant la recherche d'alternatives au plomb, son aboutissement prendra du temps. J'ajoute que le cristal présente un avantage en termes de consommation énergétique par rapport aux alternatives testées à l'heure actuelle car la température de fusion est plus basse.
M. Hervé Maurey, président . - Nous en arrivons aux deux amendements déposés par le rapporteur.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
M. Jean-François Rapin, rapporteur . - L'amendement COM-1 apporte une précision sur la prise en compte du risque présenté par le plomb dans les cristalleries en matière de santé au travail.
L'amendement COM-1 est adopté.
M. Jean-François Rapin, rapporteur . - L'amendement COM-2 apporte une réponse aux critiques soulevées à l'encontre des cristalliers il y a cinq ans, à savoir de ne pas mener de recherche d'alternatives. Il y a véritablement une recherche engagée, même s'il semble difficile de la voir aboutir.
L'amendement COM-2 est adopté.
La commission adopte la proposition de résolution ainsi modifiée.