B. LES RESTRICTIONS APPORTÉES À LA COMPÉTENCE DES JURIDICTIONS FRANÇAISES POUR CONNAÎTRE DES CRIMES PRÉVUS PAR LA CONVENTION DE ROME DE 1998

1. Une situation inédite : la création d'une cour pénale internationale permanente

La création d'une juridiction pénale internationale permanente a représenté une grande victoire pour les partisans d'une justice internationale. Notre pays peut s'enorgueillir d'avoir soutenu et porté ce projet dès ses prémices. Comme l'écrivait récemment notre ancien collègue Robert Badinter, dont votre commission tient à saluer l'attachement indéfectible et le soutien inestimable à l'émergence de cette justice pénale internationale, « [la Cour pénale internationale] s'est imposée - en seulement dix ans - comme un élément incontournable de la conduite des relations internationales, du drame de la guerre et de la paix : pas un conflit, pas un massacre sans que son nom soit évoqué, sans que l'on s'interroge - pour la réclamer ou la redouter - sur sa possible ou probable saisine et, de façon plus large, sur les mécanismes juridiques qui feraient échec à la scandaleuse immunité des auteurs présumés » 14 ( * ) .

La convention de Rome du 17 juillet 1998, que la France a ratifiée dès le 9 juin 2000 après avoir procédé à la modification constitutionnelle du 8 juillet 1999 (voir supra ), est entrée en vigueur le 1 er juillet 2002. Le siège de la Cour pénale internationale a été fixé à La Haye. Celle-ci est compétente en matière de crimes de génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre, dès lors qu'ils ont été commis sur le territoire d'un État partie à la convention ou par un ressortissant d'un État partie - sauf si elle est saisie directement par le Conseil de sécurité de l'ONU (ce qui est le cas actuellement s'agissant du Darfour, d'une part, et de la Libye, d'autre part).

Toutefois, son fonctionnement est gouverné par le principe de subsidiarité : elle n'est que « complémentaire » des juridictions pénales nationales (article 1 er du statut) et, comme le rappelle le Préambule de la convention de Rome, « il est du devoir de chaque État de soumettre à sa juridiction criminelle les responsables de crimes internationaux ».

En revanche, à la différence des États (voir supra ), la Cour pénale internationale peut s'affranchir du régime des immunités diplomatiques défini par les conventions de Vienne de 1961 et de 1963. L'article 27 du Statut de Rome prévoit en effet que « le présent Statut s'applique à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle. En particulier, la qualité officielle de chef d'État ou de gouvernement, de membre d'un gouvernement ou d'un parlement, de représentant élu ou d'agent d'un État, n'exonère en aucun cas de la responsabilité pénale au regard du présent Statut, pas plus qu'elle ne constitue en tant que telle un motif de réduction de la peine ». En outre, « les immunités ou règles de procédures spéciales qui peuvent s'attacher à la qualité officielle d'une personne, en vertu du droit interne ou du droit international, n'empêchent pas la Cour d'exercer sa compétence à l'égard de cette personne ».

La Cour pénale internationale (CPI)

Instaurée en application de la convention de Rome du 17 juillet 1998, la Cour pénale internationale est compétente, depuis le 1 er juillet 2002, pour juger les auteurs de génocide, de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre commis depuis le 1 er juillet 2002. Elle le sera à l'avenir pour juger également de faits constitutifs du crime d'agression.

121 États sont aujourd'hui parties au Statut de Rome (voir liste en annexe).

Sa compétence n'est pas universelle. Sauf décision du Conseil de sécurité de l'ONU, elle ne peut être saisie que si l'accusé est un ressortissant d'un État partie ou d'un État qui a accepté la compétence de la Cour, ou si le crime a été commis sur le territoire d'un État partie ou d'un État qui a accepté la compétence de la Cour.

Par ailleurs, conformément au principe de complémentarité, elle ne peut être saisie qu'à la condition que l'affaire ne fasse pas déjà l'objet d'une enquête ou de poursuites de la part d'un État compétent - sauf si cet État n'a pas la volonté ou est dans l'incapacité de mener véritablement à bien cette enquête ou ces poursuites.

La Cour est composée de la façon suivante :

- la présidence est exercée par trois juges (un président, deux vice-présidents) élus par les autres juges pour un mandat de trois ans. La présidence est chargée de l'administration générale de la Cour, à l'exception du Bureau du procureur, et des fonctions spécifiques que lui confère le Statut de Rome ;

- les chambres sont composées des 18 juges qui sont affectés dans la Section préliminaire, dans la Section de première instance ou dans la Section des appels. Les juges sont élus pour neuf ans par l'Assemblée des États parties ;

- le Bureau du Procureur est chargé de recevoir les communications et renseignements concernant les crimes relevant de la compétence de la Cour, de les examiner et de conduire des enquêtes et des poursuites devant la Cour ;

- enfin, le greffe est responsable des aspects non judiciaires de l'administration et du service de la Cour. Le greffier, élu par les juges pour un mandat de cinq ans, exerce ses fonctions sous l'autorité du Président de la Cour.

La Cour peut être saisie soit par un État partie, soit par le Conseil de sécurité de l'ONU, soit encore à l'initiative de son Procureur.

Les enquêtes ouvertes par le Bureau du Procureur, qui est tenu d'instruire à charge et à décharge, font l'objet d'un contrôle par la Chambre préliminaire. Lorsqu'il existe des charges suffisantes contre une personne, celle-ci est jugée devant la Chambre de première instance (composée de trois juges), et, en cas d'appel, devant une Chambre d'appel (composée de cinq juges).

En 2012, la Cour a été dotée d'un budget de 108,8 millions d'euros.

A l'heure actuelle, elle est saisie de 18 affaires ouvertes dans le cadre de huit situations (Ouganda, République démocratique du Congo, Darfour, République centrafricaine, Kenya, Libye, Côte d'Ivoire et Mali).

Un premier jugement de condamnation est intervenu en juillet 2012, concernant un ressortissant congolais reconnu coupable de crimes de guerre.

2. La compétence encadrée des juridictions françaises pour connaître des infractions prévues par le Statut de Rome

La France a adopté dès le 26 février 2002 une loi définissant les modalités de coopération entre les autorités judiciaires françaises et la Cour pénale internationale. Elle s'est par ailleurs dotée, depuis le 1 er janvier 2012, d'un pôle judiciaire spécialisé en matière de crimes contre l'humanité (voir encadré).

Les personnes entendues par votre rapporteur ont souligné la qualité de cette coopération, signe de l'attachement des pouvoirs publics à la crédibilité et à l'effectivité de cette nouvelle juridiction. Ainsi, depuis sa création au 1 er janvier 2012, le pôle spécialisé dans les crimes contre l'humanité du TGI de Paris a donné une suite favorable à une quinzaine de demandes d'entraide émanant de la CPI. La France a par ailleurs procédé en janvier 2011 à l'arrestation et à la remise d'un ressortissant rwandais faisant l'objet d'un mandat d'arrêt international émis par la Cour.

Le pôle spécialisé en matière de crimes contre l'humanité

Mettant en oeuvre l'une des préconisations du rapport Guinchard 15 ( * ) , la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux a doté le tribunal de grande instance de Paris d'un pôle judiciaire spécialisé dans la poursuite, l'instruction et le jugement des crimes contre l'humanité, des crimes de génocide, des crimes et délits de guerre ainsi que des crimes de torture prévus par la convention de New York de 1984.

Mis en place le 1 er janvier 2012, ce pôle est composé :

- d'une part, de deux magistrats du parquet, qui bénéficient du concours de deux assistants spécialisés ;

- d'autre part, de trois juges d'instruction, bénéficiant eux-aussi de l'aide de deux assistants spécialisés.

Ces magistrats peuvent s'appuyer sur le concours d'une dizaine d'enquêteurs de la section de recherches de Paris.

Treize mois après l'instauration de ce pôle, une trentaine d'affaires - concernant principalement des faits commis au Rwanda en 1994 - font l'objet d'une instruction, tandis que le parquet a ouvert une dizaine d'enquêtes préliminaires, le plus souvent à partir de faits signalés par des ONG, des avocats ou des particuliers. Une demi-douzaine de plaintes ont été classées sans suite, soit parce qu'elles ne reposaient sur aucun fondement, soit parce que la France ne pouvait être compétente faute de présence du suspect sur le territoire national.

Enfin, il a répondu à plus d'une dizaine de demandes de coopération de la Cour pénale internationale.

Ce pôle dispose d'une compétence concurrente avec celle des juridictions normalement compétentes, même si, dans les faits, la plupart des affaires lui sont renvoyées. Le recours à des magistrats spécialisés, qui privilégient le travail en cosaisine, se justifie en effet pleinement par le caractère délicat des enquêtes relatives à ce type de faits, a fortiori lorsqu'ils ont été commis à l'étranger dans des zones difficiles d'accès ; en outre, ces investigations nécessitent le recours à des interprètes et à des spécialistes du pays concerné. A cet égard, la question des moyens mis à la disposition de ces magistrats se pose avec une acuité particulière.

Plus délicate, en revanche, a été la question de l'élargissement de la compétence des juridictions françaises pour connaître, de façon complémentaire à la Cour, de crimes contre l'humanité, de crimes de guerre et de génocide lorsque les faits ne relèvent pas d'une des hypothèses habituelles de compétences des tribunaux français.

Cette question a été largement débattue lors de l'examen de la loi du 9 août 2010 portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale.

Dans un premier temps, votre commission s'était montrée prudemment réservée.

Notre collègue Patrice Gélard, rapporteur de ce texte pour votre commission, soulignait les incertitudes qui accompagneraient une telle extension de compétence, au regard, notamment, de son champ (celle-ci pourrait-elle s'exercer à l'encontre de ressortissants de pays n'étant pas partie à la convention ?) et des difficultés pratiques à conduire des enquêtes dans des pays étrangers. Notre collègue avait également souligné que le texte même de la convention de Rome n'imposait pas expressément aux États parties l'instauration d'une compétence universelle pour les crimes qu'elle prévoit, et qu'il n'appartenait pas aux États parties de se substituer à la Cour pénale internationale pour juger l'auteur d'un crime international en cas de défaillance de l'État normalement compétent 16 ( * ) .

Puis, lors de l'examen du projet de loi en séance publique, votre commission a souhaité élargir, sous certaines conditions, la compétence des juridictions françaises pour les infractions prévues par le Statut de Rome. Sur sa proposition ainsi que sur celle de notre ancien collègue Pierre Fauchon et de notre collègue François Zocchetto, le Sénat a introduit dans le code de procédure pénale un nouvel article 689-11 reconnaissant la compétence des juridictions françaises pour connaître de crimes contre l'humanité, crimes de génocide ou crimes de guerre commis en dehors du territoire de la République par un étranger sur des victimes étrangères, sous réserve :

- que la personne suspectée « réside habituellement sur le territoire de la République » ;

- que les faits soient également punis par la législation de l'État où ils ont été commis ou que l'État dont la personne suspectée a la nationalité soit partie à la convention de Rome ;

- que la Cour pénale internationale ait expressément décliné sa compétence, qu'aucune autre juridiction internationale compétente pour juger la personne n'ait demandé sa remise et qu'aucun autre État n'ait demandé son extradition ;

- enfin, que les poursuites ne puissent être engagées qu'à la requête du ministère public, si aucune juridiction internationale ou nationale ne demande la remise ou l'extradition de la personne.

Notre ancien collègue Robert Badinter, notamment, s'était opposé, en vain, à l'instauration de ces quatre « verrous ».

Le texte ayant été adopté sans modification par l'Assemblée nationale, en dépit de la position de la rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères, Mme Nicole Ameline 17 ( * ) , c'est dans cette rédaction que l'article 689-11 du code de procédure pénale est entré en vigueur en août 2010.

Ces conditions ont considérablement restreint les possibilités de compétence des juridictions françaises pour connaître des faits prévus par la convention de Rome.


* 14 La semaine juridique, édition générale, supplément au n°52, 24 décembre 2012, consacré au dixième anniversaire de la Cour pénale internationale.

* 15 « L'ambition raisonnée d'une justice apaisée », Commission sur la répartition des contentieux présidée par M. Serge Guinchard, La Documentation française, pages 273 et suivantes.

* 16 Rapport n°326 (2007-2008) fait au nom de la commission des lois du Sénat par M. Patrice Gélard, déposé le 14 mai 2008, pp. 21 à 25. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://senat.fr/rap/l07-326/l07-326.html

* 17 Assemblée nationale, avis n°1828 fait au nom de la commission des affaires étrangères sur le projet de loi, adopté par le Sénat, portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale, 8 juillet 2009.

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