Annexe 46 - LES DIFFICULTES D'ÉTABLIR DES COMPARAISONS SUR LA CONTAMINATION DES EAUX AUX PESTICIDES

Les comparaisons sur les teneurs des eaux en pesticides sont extrêmement délicates. Elles n'ont de sens que si elles portent sur les mêmes eaux, les mêmes sites, avec le même nombre de prélèvements, opérés dans des circonstances équivalentes.

Lorsque ces conditions ne sont pas réunies, les interprétations sont sujettes à caution.

1. Les comparaisons dans l'espace.

Peut-on comparer les niveaux de contamination d'une région à une autre ? La comparaison entre sites ne peut avoir lieu qu'avec des méthodes de prélèvements communes. Les deux variables déterminantes à connaître avant toute comparaison sont :

- le choix de sites. S'agit-il d'un réseau spécifique pour alimentation en eau potable - AEP - (type réseau DDASS, dont l'analyse portera sur les lieux de captage des eaux destinés à la production d'eau potable) ou d'un réseau dédié, spécifique aux pesticides, auquel cas les analyses portent sur les cours d'eau et les eaux souterraines susceptibles d'avoir été contaminées, à proximité de zones d'épandage ? Les concentrations relevées sur les réseaux dédiés sont évidemment plus importantes que les concentrations relevées sur des réseaux d'alimentation en eau potable.

- le moment des prélèvements. Certains réseaux choisissent d'effectuer des prélèvements réguliers à date fixe ; d'autres procèdent à des prélèvements après les pluies, lorsque les effets de ruissellement sont au maximum. Dans ce deuxième cas, les concentrations relevées sont évidemment plus élevées que dans le premier, qui masque les pics dans la plupart des cas. Dans une étude sur les produits phytosanitaires, l'agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse, précise d'ailleurs «en dépit du mode d'échantillonnage réalisé, réparti régulièrement sur l'année et ne privilégiant donc pas les périodes à risques, les niveaux de concentration rencontrés sont parfois très élevés (jusqu'à plus de 100 fois le seuil de 0,1ug). Ceci laisse à craindre qu'à des périodes non échantillonnées dans l'étude, des concentrations puissent être encore plus élevées ». On estime en général que les pics sont de l'ordre de dix fois les valeurs médianes.

Les différences régionales, et même départementales peuvent être très importantes, notamment pour les rivières qui retracent des contaminations localisées. Ainsi, même si l'étude du Corpep - cellule d'orientation régionale pour la protection des eaux contre les pesticides- en 2000 sur la contamination des eaux superficielles de Bretagne aux produits phytosanitaires montre indiscutablement une forte contamination des eaux, celle ci n'est pas générale : en 2000, l'Aven, dans le Finistère, était quasiment exempt de contamination aux pesticides alors que la plupart des rivières d'Ille-et-Vilaine étaient très fortement contaminées.

Chaque réseau d'observation obéit à une logique propre (suivre la qualité des eaux utilisées pour l'eau potable, suivre l'évolution de la ressource dans son ensemble, suivre les lieux les plus exposés...) pouvant conduire à des appréciations et des mesures différentes. Le tableau suivant reprend les mesures d'atrazine et de diuron dans les différents réseaux d'observation.

Teneur des eaux en atrazine et diuron (1998-1999) en ug /l

Valeur moyenne

Valeur maxi
(90  % des cas)

Valeur maxi

Atrazine

Diuron

Atrazine

Diuron

Atrazine

Diuron

Eaux superficielles
Réseau national
(400 points)

0,14

0,13

0,26

0,3

12

20,2

Réseau d'usage
(854 points)

0,11

0,1

0,27

0,2

5,5

2,7

Réseau local
(123 points)

0,36

0,27

0,99

0,6

7

15,8

Eaux souterraines
Réseau national
(1140 points)

0,07

0,03

0,1

0,05

2,5

3

Réseau d'usage
(2731 points)

0,03

0,03

0,05

0,05

0,9

0,8

Réseau local
(307 points)

0,13

0,02

0,23

0,02

13,5

0,2

Source : IFEN - Études et travaux n° 34
Atrazine : désherbant de maïs
Diuron : désherbant à usage mixte agricole/non agricole


2. Les comparaisons dans le temps

Les comparaisons sur un même site montrent la permanence de certaines contaminations (dans les nappes) ou leur irrégularité (en rivière), l'étude Corpep sur les rivières de Bretagne montrait des écarts de 1 à 370 sur une même rivière entre février et mai par exemple (0,03 ug d'atrazine par litre en février, 11,1 ug/litre en mai).

Les comparaisons dans le temps à l'échelle régionale appellent les mêmes réflexes de prudence que ceux évoqués dans le cas des comparaisons dans l'espace. Là encore, deux variables sont déterminantes :

- Le choix des sites . Les analyses portent-elles sur les mêmes sites ? Le travers le plus .déformant concerne les abandons de captage. Les premières analyses du Bassin Seine-Normandie sont un exemple typique de ce type de déformation. Une carte d'exposition à l'atrazine sur les années 1990-1995 montrait 30 captages avec des concentrations d'atrazine comprises entre 1 et 2 ug/l (repérés par des points orange) et 9 captages avec des concentrations supérieures à 2 ug/l (repérés par des points rouges). En 1995, la carte comparable ne montre plus que 5 points orange et 1 point rouge. La situation était améliorée... En effet, les captages à risques avaient été fermés ou n'étaient plus surveillés. (Ces travers ont disparu. Les analyses menées par l'agence Seine Normandie sur la qualité des eaux souterraines sont aujourd'hui tout à fait remarquables)

- La méthodologie de prélèvements : Il faut être extrêmement prudent dans les comparaisons, sur plusieurs années, tant les chiffres les plus simples (proportion de captages à telle concentration part exemple) peuvent induire en erreur. Ces risques peuvent être illustrés par les résultats dans la contamination des rivières de Bretagne au glyphosate (herbicide total à usage mixte, agricole et non agricole).

Evolution du glyphosate dans les rivières de Bretagne

Nombre de recherches

% d'analyses
> 0,1 ug/l

% d'analyses
> 1  ug/l

Temps de recherche

Valeur maximale

1998

40

85 %

8 %

5 mois

3,4 ug/l

1999

21

90 %

10 %

7 mois

1,68 ug/l

2000

77

62 %

5 %

11 mois

1,15 ug/l

Source : CORPEP - étude de la contamination des eaux superficielles de Bretagne par les produits phytosanitaires en 2000.

Une lecture rapide conduirait à dire que la situation (au regard de la contamination des rivières en glyphosate) s'est détériorée en 1999, puisque la proportion d'analyses très mauvaises (supérieures à 1 ug/l soit10 fois le seuil de potabilisation) est passée de 8 % en 1998 à 10 % en 1999, avant de s'améliorer en 2000 (5 % en 2000).

Une lecture attentive conduit à nuancer cette appréciation :

- passer de 8 % à 10 % de dépassement n'est pas forcément un signe de détérioration, si, comme c'est le cas, les 10 % ont été calculés sur les seules rivières les plus polluées, alors que les 8 % étaient calculés sur les sept rivières du réseau ;

- passer de 10 % à 5 % de dépassement n'est pas forcément un signe d'amélioration, si, comme c'est le cas, les 10 % ont été calculés à partir d'échantillon sur 7 mois, tandis que les 5 % ont été calculés sur 11 mois ;

Les comparaisons appellent une grande vigilance, ne peuvent êre effectuées que sur des réseaux suivis avec une grande rigueur. On observera à ce propos que dans les 115 pages du rapport que l'IFEN a consacré aux pesticides dans les eaux, à aucun moment le mot de « dégradation » n'est mentionné.

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