I. AUDITION DE M. JEAN-FRANÇOIS MATTEI, MINISTRE DE LA SANTÉ, DE LA FAMILLE ET DES PERSONNES HANDICAPÉES SUR LE PROJET DE LOI RELATIF À LA BIOÉTHIQUE (JEUDI 12 DÉCEMBRE 2002)
M.
Nicolas ABOUT, président - Mes chers collègues, nous avons
le plaisir d'accueillir ce matin M. Jean-François Mattei, ministre
de la santé, de la famille et des personnes handicapées, à
propos du délicat dossier de la bioéthique.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous faire part de vos réflexions sur
ce projet de loi ? Vous avez la parole.
M. Jean-François MATTEI, ministre de la santé, de la famille et
des personnes handicapées - Monsieur le président, monsieur le
rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs, je suis très
heureux de la poursuite de l'oeuvre du législateur de 1994, tant il est
vrai que nous n'en aurons probablement jamais fini de redéfinir le cadre
juridique des sciences du vivant. Les sciences avançant au rythme que
l'on sait, il est clair que nous sommes sans arrêt confrontés
à de nouvelles questions.
Je voudrais diviser ma présentation en deux parties.
J'aimerais, dans un premier temps, vous faire part de quelques
réflexions puis, dans un second temps, aborder les différents
sujets qui constituent le corps du texte lui-même.
Je ferai dans un premier temps trois séries de réflexions.
Tout d'abord, les lois de 1994 ont été votées dans un
contexte qu'il faut bien garder à l'esprit. Nous avons
légiféré -certains s'en souviennent- habités par le
doute, les mains tremblantes. A l'époque, la question qui était
la suivante : « Légiférer est-il
légitime ?» était sous-jacente à toutes les
interrogations.
Le Comité d'éthique a été créé en
1983 ; le rapport de M. Braibant est venu en 1988 ; d'autres
rapports ont suivi, qui montraient bien les hésitations,
partagées d'ailleurs par les juristes, dont certains m'avaient dit
à l'époque : « Laissez-nous faire ; la
jurisprudence se dessinera peu à peu, avec le temps ».
« Est-il légitime », demandaient-ils, « de
légiférer dans le domaine de la médecine de la
reproduction ? Faire des enfants peut-il relever de la loi ? Faut-il
légiférer à propos de la transplantation d'organe ?
Ce n'est pas du commerce ! ».
Ils disaient encore : « Dans ce domaine de la
génétique, qui représente le plus profond de
l'intimité des êtres humains, que vient faire le
législateur ? ».
Il y avait, à côté de ce doute des législateurs et
des juristes, une sorte de méfiance des professionnels, à la fois
des médecins et des scientifiques, les médecins se disant :
« On va peut-être rencontrer des difficultés pour
exercer et appliquer ce qui, pour nous, correspond à des progrès
techniques », et les chercheurs craignant que l'on ne vienne
délimiter par trop le champ de leurs recherches.
Un certain scepticisme général de la société
conduisait par ailleurs les gens à craindre que l'on installe une morale
commune qui, pour les uns, serait trop laxiste et, pour les autres, trop
contraignante. Autrement dit, le doute et la perplexité
prévalaient.
Or, aujourd'hui, il faut reconnaître que ces lois ont fait leurs preuves.
Les doutes, peu à peu, se sont taris. On a assisté à une
pacification du débat. On n'a plus du tout les affrontements que l'on
avait à l'époque, enflammés parfois.
On a assisté à une moralisation des pratiques. On a
découvert le rôle capital que devait jouer le corps social en tant
que partie prenante de l'évolution de la société.
Ce qui est assez significatif du succès de ces lois c'est que, la
révision s'annonçant, les médecins comme les chercheurs
sont demandeurs de précisions et réclament que l'on
définisse mieux leur champ d'activités.
De fait, il faut bien reconnaître que ces lois de bioéthique ont
en quelque sorte donné l'onction du droit à ces pratiques.
Elles ont par ailleurs accompagné l'acceptabilité sociale et, par
ailleurs -ce qui n'est pas le moindre de leur succès- ont
contribué à assumer une fonction éducative et à
élever le niveau du débat en France.
Il y a quinze ans, quand on commençait à discuter de la
bioéthique, les débats étaient véritablement dans
les profondeurs de l'ignorance.
Or, aujourd'hui, grâce aux médias, grâce au débat, il
est vrai que, d'une façon générale, la connaissance de ces
progrès s'est élevée et que les gens y participent
davantage, ce qui conduit d'ailleurs, parallèlement à la
recherche elle-même, les gens remontant le fil de leurs interrogations,
à en venir au coeur même du dispositif, à savoir l'embryon
humain, le clonage, les frontières entre les fondements biologiques et
sociaux du comportement humain.
Pourquoi le doute existait-il et pourquoi connaît-on aujourd'hui le
succès?
Je vois deux raisons pour expliquer le succès de ces lois.
D'abord, elles ont fait selon moi émerger la conscience aiguë du
fait que les sciences biomédicales nécessitent des limites.
On voit bien que toutes ces techniques nouvelles s'adressent à la
personne et conduisent donc à mettre en cause la notion de personne, de
corps, de respect, de don, de commerce, de contrat et, tout simplement, pose
des questions de repères au-delà même de la biologie
puisque, avec la possibilité éventuelle de transférer les
embryons longtemps après la mort du père, c'est du temps dont on
s'affranchit !
Autrement dit, il faut bien voir que le succès est dû au fait que
la conscience est venue de ces problèmes. C'est d'ailleurs ce que
j'appelle l'émergence de la conscience éthique dans notre
société.
Le second facteur de ce succès réside dans la manière dont
le législateur a conçu son rôle en matière de
sciences du vivant.
Souvenez-vous : entre éthique de conviction et éthique de
responsabilité, nous avons cherché les
déséquilibres les moins mauvais.
En définitive, le législateur a choisi de ne prendre comme
repère ni la morale, ni la philosophie, mais le droit, et cette juste
conception de sa fonction est particulièrement manifeste dans la
manière dont il parle de l'embryon humain.
Il a édicté un régime fondé sur le principe du
respect dû à l'embryon et sur la définition des atteintes
qui pouvaient lui être portées, mais il a renoncé à
définir l'embryon.
Se faisant, le législateur s'est tenu à l'écart des
querelles biologiques et philosophiques, car si l'on s'en tenait aux
données biologiques, celles-ci nous montrent bien que l'embryon est
humain dès le début, qu'il est un individu, c'est-à-dire
un être organisé doué d'une unicité. Certains
tâchent de trouver d'ailleurs un moment qui marquerait l'apparition de
l'humain dans cet être-là.
Mais au plan philosophique, qui tend la biologie, on sait bien que la question
ontologique du début de la personne fait l'objet de controverses, et il
paraît donc impossible de résoudre par le seul droit la question
de savoir si l'embryon est une personne !
Si nous ne pouvons pas trancher la question de la nature de l'embryon, en
revanche, sur le plan pratique, nous pouvons et même devons
définir quel doit être notre conduite à son égard.
Le législateur s'est donc situé sur le plan du devoir être
à l'égard de l'embryon et non de son être.
Ce choix a été critiqué par certains au motif que c'est le
statut qui doit imposer les limites et non le contraire. Je crois que ce choix,
au contraire, est juste et efficace.
Il est juste parce que la loi n'a pas à qualifier les êtres
humains, mais seulement à les constater et à les protéger.
A défaut, la qualité d'être humain, comme celle de
personne, ne serait pas un droit, mais une concession !
Ce choix est efficace, parce qu'en ne déterminant pas ce qu'est
l'embryon mais en disant comment on doit le traiter, l'éthique et le
droit ont trouvé leur espace propre.
C'est à partir de ces acquis de fond et de forme, c'est-à-dire la
nécessité de tracer des limites et de donner les repères
d'une part, et la place du droit par rapport à la morale et à la
biologie d'autre part, que j'entends continuer le travail entrepris.
Voilà ma première série de réflexions sur l'esprit
et la méthode des lois de bioéthique.
Je voudrais aborder la seconde série de réflexions concernant le
retard pris par le précédent Gouvernement.
Je vous rappelle que les lois de 1994 prévoyaient une révision
à cinq ans.
Or, nous sommes à l'aube de 2003 et cette révision n'est pas
achevée, la première lecture ayant eu lieu au mois de janvier
2002.
Certes, ce retard est dû à des difficultés dans la parution
et la rédaction de certains décrets. Je ne fais pas partie de
ceux qui se sont escrimés à démontrer la
culpabilité du précédent Gouvernement dans le retard pris.
En revanche, quand on regarde les choses plus au fond, on se rend compte que ce
retard a été en particulier dû à la
difficulté qu'a éprouvé le Gouvernement de l'époque
à assumer clairement certains de ses choix. L'exemple typique en est le
clonage thérapeutique.
On voit bien qu'initialement l'option était prise d'aller vers le
clonage thérapeutique. Après quelques hésitations, on y a
renoncé. Quand on tente de comprendre les choses, on voit bien que toute
la démarche a été d'avancer sans que cela soit dit vers un
véritable bouleversement de l'équilibre entre le respect qui est
dû à l'embryon, d'une part, et la confiance de la liberté
du chercheur de l'autre.
Toute une série de dispositions, petit à petit, sont venues nous
le montrer.
Je tire de cela deux enseignements. Tout d'abord, il faut poser clairement le
débat, sans paravent sémantique, sans barrière
langagière, et très clairement appeler les choses par leur nom.
Par exemple, parlant de l'embryon pour la recherche, il ne faut pas confondre
la recherche sur l'embryon et la recherche sur des cellules embryonnaires.
Il ne faut donc pas faire entrer de manière subreptice la conception de
l'embryon pour la recherche au motif que l'on en a besoin pour évaluer
de nouvelles techniques de procréation assistée. On est là
typiquement dans la plus grande ambiguïté.
En second lieu -et je crois que je suis probablement l'un des mieux
placés pour le dire- il nous faut clarifier la notion de
bioéthique, sauf à entraîner son discrédit.
Je ne suis pas favorable à ce que, dans cette révision, on fixe
à nouveau une clause de révision à cinq ans !
C'était nécessaire la première fois parce qu'on
était dans le doute, mais je ne suis pas sûr qu'il faille à
nouveau nous avancer vers une révision systématique, si ce n'est
sur certains points précis, sauf à laisser croire que la
biomédecine forgerait, au fil des années, sa propre
éthique.
Vous avez, au Sénat, à l'Assemblée nationale,
abordé le sujet de l'interruption volontaire de grossesse, ainsi que
celui de la prolongation du délai et, chemin faisant, le problème
de la stérilisation des femmes adultes handicapées. Personne ne
peut nier qu'il y avait une dimension éthique dans ces
textes-là ! Dans le texte sur le droit des malades,
l'éthique était sous-jacente.
Le seul fait de dire que l'on va légiférer sur la
bioéthique pourrait laisser penser qu'il n'y a pas d'éthique
ailleurs. C'est un grave danger !
Second danger : pendant les cinq années qui se sont
écoulées, on a bien vu qu'il était nécessaire de
prendre des décisions, parfois sans trop attendre. On nous disait
pourtant de ne pas nous inquiéter, qu'on allait le traiter avec les lois
de bioéthique.
On a donc pris du retard dans certaines dispositions qui auraient dû
s'imposer plus tôt. Inversement, on nous demande de saisir l'occasion de
prendre en compte des techniques dont on voit bien qu'elles ne sont pas encore
suffisamment mâtures pour que l'on puisse, d'ores et déjà,
en définir clairement les usages et les indications.
Je dois vous dire que je ne souhaite pas cette clause. Désormais, la
bioéthique s'est installée dans notre paysage et, plutôt
que d'être fragilisé sur cette durée provisoire, je
souhaite que l'on consolide nos positions. Je vous le redis donc :
l'inscription dans la loi du principe de sa révision m'apparaît
comme un procédé ambigu et néfaste.
Il est ambigu désormais car, finalement, il est dépourvu de toute
valeur normative. Il ne contraint en rien le législateur et ne modifie
pas la faculté dont dispose celui-ci, à tout moment, de remettre
la loi en chantier, si cela s'avère nécessaire.
On a fini par dire : « On verra dans cinq ans ».
Non ! On verra quand le besoin s'en fera sentir et, parfois, sans attendre.
Probablement est-ce même néfaste, parce que le législateur
n'a pas, en particulier lorsqu'il édicte des principes, vocation
à faire une oeuvre dont la date de péremption est, par avance,
annoncée. Comment ne pas voir que la solennité et la
légitimité de la loi se trouveraient malmenées ?
Si l'on veut que les normes édictées aient toute leur valeur, il
ne faut pas, dans une perspective instrumentale, qu'elles soient constamment
remodelées.
Il est donc, à mon avis, essentiel qu'elles ne soient pas conçues
d'emblée comme caduques. Autrement dit, nous avons pris le temps
nécessaire pour fixer notre ensemble en deux étapes -l'adoption
première et la révision.
Désormais, l'éthique étant introduite dans notre processus
législatif et dans nos esprits, il faudra sans attendre aborder ces
problèmes quand ils se poseront ici où là, et notamment
sans donner l'impression que l'on édicte des valeurs provisoires.
La troisième réflexion que je voudrais faire concerne
l'importance croissante de la biomédecine au plan international.
Cela ne vous aura pas échappé : la bioéthique devient
un sujet de discussion dans les grands sommets et sera un des sujets majeurs du
prochain G 8.
Il nous faut, là-dessus, une concertation internationale. Le Conseil de
l'Europe et les 43 pays de la grande Europe qui composent cette
assemblée ont tout de même écrit et fait voter en 1997 la
fameuse Convention d'Oviedo, convention de la biomédecine et des droits
de l'homme qui pose le canevas des valeurs communes à la grande Europe.
Evidemment, cette convention reste sur de très grands principes. Pour
avoir siégé, de 1997 à 2002, à l'Assemblée
du Conseil de l'Europe, et plus particulièrement au Comité
directeur de bioéthique, et ayant participé à toutes les
négociations internationales sur le protocole additionnel contre le
clonage, pour la transplantation d'organes, etc., je vois bien les
difficultés qui existent au plan international.
La France et l'Allemagne viennent de prendre une initiative commune, il y a
quelques mois, à l'ONU, pour interdire au plan mondial le clonage
reproductif mais, immédiatement, d'autres pays, menés par les
Etats-Unis, se sont élevés pour en faire encore davantage, en
disant : «Il faut interdire simultanément le clonage
reproductif et le clonage thérapeutique». L'affrontement de deux
textes a, ainsi, conduit à un échec.
Il faut véritablement que nous soyons très forts pour tenter
d'entraîner les autres. C'est la raison pour laquelle il faut que nous
allions beaucoup plus loin que ce qui a été fait jusqu'à
présent sur le clonage reproductif.
C'étaient là mes trois réflexions
préliminaires : premièrement, le climat a changé et,
si l'on en fait une analyse, on voit bien les contours vers lesquels il faut
s'avancer ; deuxièmement, il faut clarifier les choses et ne pas
s'abriter derrière de faux-semblants ; troisièmement, il y a
des conséquences internationales.
J'aborde maintenant la deuxième partie, c'est-à-dire les sujets
plus spécifiques sur lesquels nous allons avoir à
légiférer.
Je voudrais commencer par le moins difficile qui, d'ailleurs, dans le texte,
apparaît, je crois, en premier : les organes et la transplantation.
En définitive, c'est un des sujets les plus anciens, vous le savez mieux
que moi. Le sénateur Caillavet a longtemps siégé ici.
C'est lui qui avait pris l'initiative, en 1976, de la première loi
instituant le consentement présumé.
En 1994, nous avons essayé d'arranger les choses, de mieux les
préciser. Nous pensions les faciliter. Or, quels que soient les efforts
-et je dois souligner les efforts faits par l'Etablissement français des
greffes à l'initiative de Didier Roussin avec le plan 15-20, qui avait
pour ambition de passer de quinze prélèvements à vingt par
million d'habitants- les choses sont encore loin d'être suffisantes.
Nous avons une carence d'organes à greffer. Evidemment, la
facilité consiste -et c'est ce qui a été fait- à se
tourner vers les vivants, vers les proches. C'est toute la question de
l'extension du don d'organes au cercle des vivants.
Cela est-il satisfaisant et cela doit-il être voté devant le
Sénat, comme cela l'a été en janvier par
l'Assemblée nationale ? Personnellement, je ne le crois pas.
Je crois naturellement qu'il nous faut faire un effort pour élargir le
cercle des vivants, mais nous devrons avoir un débat très large
pour savoir quelles sont les définitions dans lesquelles on va faire
entrer le cercle des donneurs potentiels, sauf à laisser prise à
toutes les dérives perverses.
On voit bien aussi les pressions morales qui pourraient s'exercer au sein
même des familles. A mon sens, il faut que nous ayons une
réflexion plus élaborée pour savoir jusqu'où on
peut éventuellement étendre le cercle des donneurs vivants.
Je suis favorable à l'extension, mais je suis encore plus favorable
à ce que l'on délimite clairement les choses.
Autre aspect qui me paraît important : imaginez un homme de 28 ans,
sollicité pour donner la moitié de son foie parce que son cousin
germain est en insuffisance hépatique gravissime, qui apparaît
comme le seul donneur potentiel alors qu'il a la charge de deux enfants.
Qu'il ait spontanément la générosité de donner pour
sauver, j'entends bien, mais s'il mourait -ce qui arrive dans ce type
d'intervention- ou s'il en était définitivement amoindri, qui
assumerait les responsabilités au regard des deux enfants à
élever ?
Autrement dit, on ne peut déconnecter l'acte de donner de la
générosité spontanée mais, quelquefois, il me
semble que la société a le devoir de protéger les gens
contre leur propre générosité dans la mesure où ils
sont, par ailleurs, déjà en charge de responsabilités.
Il faudra donc que nous nous interrogions, notamment pour les couples
constitués avec charge de famille, pour savoir si celui qui donne ne
doit pas le faire avec le consentement de celui qui partage avec lui
l'autorité parentale, afin que ce soit une décision
partagée.
Nous avons véritablement là toute une série de questions
qui se posent sur l'élargissement aux donneurs vivants.
Mais -et c'est presque le plus important dans mon esprit- on ne peut pas non
plus ne pas s'interroger sur le fait de savoir si notre système de
prélèvement cadavérique est suffisamment performant.
Je ne le crois pas, car la mort un tabou. Sur le terrain, à
l'hôpital, mes collègues, qui sont moins sous les feux des
commissions ou sous les feux des médias, mais qui n'en sont pas moins
des transplanteurs réguliers, me disent que la difficulté
réside dans le fait que les morts ne peuvent s'exprimer. Les familles,
dans le doute, refusent tout prélèvement, alors qu'on peut
s'adresser aux vivants et, éventuellement, les convaincre.
« En définitive », me disent-ils avec une certaine
naïveté, « il est aujourd'hui plus facile d'obtenir un
donneur vivant que de franchir la barrière de la mort au travers de
l'aval d'une famille ». On sait bien que, dans la loi, ce n'est pas
l'autorisation des familles mais simplement un témoignage que l'on va
chercher. Toutefois, lorsque le médecin demande à la famille si
elle sait si le défunt était opposé ou non au
prélèvement, si celle-ci n'est pas informée, elle demande
de ne rien faire.
Cela signifie que le médecin ne fera rien, même si, sur le plan
juridique, il en a le droit.
Je pense qu'il faut que nous étudions des mesures plus précises
pour rassurer, en quelque sorte, les familles en deuil sur la connaissance
qu'avait la personne disparue de la réalité de la
transplantation. Ayant la certitude que l'information a bien été
donnée, que la personne ne s'est pas inscrite sur le registre des refus,
il y a, dès lors, tout lieu de penser qu'elle était tacitement
consentante, comme le prévoit la loi.
Il faut avoir un vrai débat sur les transplantations d'organes pour
trouver un certain équilibre. Je ne suis pas opposé à ce
qu'on l'élargisse aux donneurs vivants. Ce serait inhumain que de
s'opposer à cette envie d'aider l'autre. Je pense toutefois qu'il faut
resituer cela dans un contexte de responsabilités partagées, sans
risquer de s'exposer à des dérives dangereuses,
financières ou morales.
D'autre part, s'agissant des prélèvements cadavériques, je
crois qu'il faut que l'on fasse mieux ; d'autres pays, comme l'Espagne,
font beaucoup mieux et satisfont les besoins de la transplantation avec leurs
seuls prélèvements cadavériques.
C'était le premier sujet.
Le second thème concerne l'assistance médicale à la
procréation.
L'assistance médicale à la procréation, en
définitive, avait été -je crois- assez bien
encadrée et discutée, à tel point que la plupart des
décisions prises en 1994 sont conservées dans cette
révision, même après première lecture à
l'Assemblée nationale.
J'y vois néanmoins deux éléments dont il faut que nous
discutions et, en premier lieu, le fait qu'à l'initiative d'un
parlementaire, le rapporteur à l'Assemblée nationale, et non
à la demande du Gouvernement, a été réintroduite la
possibilité de transfert d'embryon
post mortem
.
On traîne toujours cette jurisprudence «Pires», du nom de ce
couple toulousain qui, après dix ans de stérilité,
décide de concevoir un enfant
in vitro
. Deux embryons sont alors
transférés, les autres sont congelés.
Mme Pires fait une fausse couche, est hospitalisée et son mari se tue en
voiture en venant lui rendre visite. Elle demande, à quelque temps de
là, à ce que l'on transfère les embryons restants dans le
congélateur.
Il y a deux façons d'aborder le sujet et je me souviens,
déjà en 1994, que c'était au coeur de
« l'affaire Pires ». Le débat avait
été houleux et difficile, car la compassion conduit, bien
entendu, spontanément à dire : « Qui d'autre que
cette femme a l'autorité pour décider du devenir de ses propres
embryons ? ».
Néanmoins, on est là devant des situations pleines de
contradictions, pleines de dangers.
Tout d'abord, nous n'avons pas défini totalement l'embryon -on parlera
tout à l'heure de la recherche sur l'embryon et sur les cellules
embryonnaires. Alors que nous n'avons pas encore arrêté une
définition précise du concept, subitement, on extrapolerait en
disant : « Ce sont ses enfants ! Pourquoi ne les lui
rendrait-on pas ? », au motif que la vie, d'un coup, doit
être respectée absolument !
C'est un premier argument qui conduit immédiatement à se demander
ce qui adviendrait dans le cas contraire. Si c'est la mère qui mourrait
et que le père demande à récupérer ses embryons,
est-ce que cela voudrait dire qu'il faut légitimer le recours
exceptionnel, dans des cas particuliers comme ceux-là, aux mères
porteuses, cet homme disant : « Ma femme n'est plus là,
mais ces embryons sont à moi ! » ? Certes, la
physiologie crée une sorte de disparité de la nature, mais tout
de même !
Cela pose aussi une série de limites, car cette femme qui est en deuil,
ses embryons étant là, va s'interroger. On va lui donner un
délai : six mois, un an, deux ans, peu importe. Pendant tout ce
temps, son travail de deuil ne se fait pas. Sa réflexion est
fixée sur le fait de savoir si elle va le faire ou non, avec cette
notion de trahison éventuelle, en disant : « On avait
décidé... Il faut que je le fasse ».
Qu'adviendrait-il si elle tombait malade et prenait des médicaments
-pour dépression nerveuse, par exemple- qui interdisent le transfert
pour des raisons médicales ? On repousserait le délai, mais
jusqu'à quand ?
Si elle avait des difficultés sociales et économiques, que se
passerait-il ? Si entre temps elle avait noué une nouvelle union
-pas nécessairement, d'ailleurs, par contrat de mariage- et qu'elle
demande le transfert des embryons conçus avec un premier conjoint ou
compagnon, on ne voit plus très bien comment les choses conserveraient
un semblant de cohérence !
J'ajoute que le droit vient nous dire que cette situation ouvrirait la
possibilité d'héritiers réservataires dans un
congélateur, venant bouleverser de manière profonde tout le droit
de la succession et le droit patrimonial. Nous serions là,
au-delà de ces problèmes, dans la transgression du temps !
Je ne suis pas sûr, au-delà des questions que cela peut poser,
qu'il nous faille au fond bouleverser notre droit au regard des quelques cas
d'exception qui ont pu se présenter au fil du temps.
Il me semblerait beaucoup plus raisonnable d'informer impérativement le
couple qu'en cas de dissociation de celui-ci, les embryons ne seront pas
conservés, sinon, je ne vois pas comment, aux progrès
biologiques, nous pourrions opposer l'affranchissement du temps.
En second lieu, l'Assemblée nationale s'est affranchie du délai
de deux ans pour les couples non mariés.
Je crois que ce n'est pas une bonne chose, parce que l'assistance
médicale à la procréation présente un
inconvénient majeur. Tous ceux que vous rencontrez
généralement au cours des auditions sont des
obstétriciens, des gynécologues, des spécialistes de la
stérilité qui veulent régler le problème des
couples souffrant en face d'eux. Mais qui s'exprime au nom de l'enfant ?
Qui s'exprime au nom des conditions dans lesquelles l'enfant pourrait
être conçu, naître et être élevé ?
J'estime que tout doit être fait dans cette loi pour que la
démarche faite pour pallier la stérilité du couple soit
gouvernée par le désir d'accueillir l'enfant dans les meilleures
conditions possibles. C'est, je crois, de la responsabilité du
législateur. On pourra naturellement aller plus loin si vous le
désirez tout à l'heure.
Le troisième sujet que je veux aborder est celui de l'embryon.
Il est exclu, dans mon esprit, que l'on revienne sur l'article 16 du code
civil, qui dit bien que tout être doit être respecté
dès le commencement de sa vie. C'est un fondement essentiel, et nous en
sommes d'ailleurs tous d'accord.
Cela n'exclut pas la loi sur l'interruption de grossesse, qui est vécue
comme une transgression dans un cas particulier. Chaque fois que nous allons
également vers le diagnostic prénatal, nous voyons bien
l'exception au principe qui doit rester fondateur : le respect de la vie
dès son commencement.
A mon avis, ceci doit être rappelé, et c'est la raison pour
laquelle je pense qu'il faut que nous rappelions que la recherche sur l'embryon
doit être interdite parce que c'est l'interdit fondateur.
En revanche, je reviendrai, malgré certaines critiques émises ici
où là, sur l'idée qu'il faut maintenir la
possibilité de mener des études sur l'embryon dans la mesure
où cela n'atteint pas son intégrité. Certains
disent : «Cela n'a pas de sens ! Vous avez choisi le mot
«études» : il fallait parler de
«recherches» !».
Jusqu'à nouvel ordre, j'essaie d'utiliser les mots qui me paraissent les
plus appropriés. Quand je dis qu'il faut autoriser les études sur
l'embryon, études qui préservent son intégrité,
j'entends, par exemple, ce que nous faisons au travers du diagnostic
préimplantatoire. Nous prélevons une cellule, nous faisons un
diagnostic, cela ne porte pas atteinte à l'intégrité de
l'embryon. Il n'en demeure pas moins que ce diagnostic doit faire l'objet
d'essais, de mises au point, et ce sera probablement la même chose le
jour où nous essaierons une correction génétique.
Considérer donc l'embryon comme un objet d'études, en le
respectant, me paraît un élément essentiel. Il serait
d'ailleurs assez invraisemblable -et je rejoins là le problème
plus spécifique de la recherche sur l'embryon- qu'au motif qu'il faut le
respecter en tant que personne, on l'exclut du droit des personnes
d'accéder à la médecine !
L'embryon doit rentrer dans le champ de la médecine. La médecine
progresse. Elle s'est intéressée à l'enfant, puis au
nourrisson, puis au nouveau-né, puis au prématuré, puis au
grand prématuré. On en est à la médecine foetale.
Nous en serons demain à la médecine embryonnaire. Il n'y a pas de
médecine qui ne progresse sans recherches.
La recherche sur l'embryon, qui profite à l'embryon lui-même ou
d'ailleurs à d'autres embryons, me paraît une ouverture
indispensable, sauf à rester dans une espèce de statut assez
invraisemblable où l'on dirait : «On le respecte tellement
qu'on ne veut pas lui venir en aide le cas échéant !».
La recherche sur l'embryon, malgré la difficulté et malgré
le fait que, dans un certain nombre de situations, cet embryon ne survivra
probablement pas -mais d'autres pourront bénéficier de ces
recherches- me paraît donc devoir être désormais ouverte,
dans des conditions très strictes, très fermement
encadrées, car la médecine en est arrivée à
l'embryon, qu'elle considère comme accessible à son diagnostic et
à son éventuelle thérapeutique.
La recherche sur l'embryon dans des conditions précises doit donc
être à mon sens désormais autorisée. On passe
insensiblement de l'étude à la recherche, et je ne vois pas
comment nous pourrions l'éviter.
Se pose une autre question, beaucoup plus difficile, que vous avez
abordée avec un certain nombre de spécialistes que vous avez
rencontrés : celle des cellules souches.
Il faut essayer de prendre les choses simplement. L'idée est tellement
simple : on s'est rendu compte que l'on pouvait remplacer les cellules
vieilles ou malades par des cellules jeunes ou normales et qu'il y avait
là un nouveau champ, que l'on appelle la thérapie cellulaire,
absolument prodigieux, qui permettrait de guérir à terme des
maladies aujourd'hui inaccessibles à tout traitement.
Naturellement, je n'accepte pas l'idée de dire que ce sont des
recherches thérapeutiques, car permettez-moi de rappeler qu'à mon
sens, en biologie et en médecine notamment, il n'y a pas de recherches
qui ne soient faites dans le but de mieux soigner les gens un jour ou l'autre.
Vouloir immédiatement les qualifier de «thérapeutiques»
me paraît quelquefois mensonger.
Je voudrais rappeler que, même si nous aidons toujours ce que l'on
appelle de fait la thérapie génique ou le génie
génétique, cela fait quand même maintenant vingt ans que
nous en parlons, et qu'à l'exception des quelques malades guéris
dans le service d'Alain Fischer -et encore avec la complication récente
que l'on sait- il n'y a pas de malades véritablement
guéris ! Parler aujourd'hui d'espoir thérapeutique
immédiat est donc un mensonge.
Je le dis d'autant plus fermement que je pense qu'il faut un début
à toute recherche. Je ne vais pas m'opposer à ces recherches au
motif que le traitement ne serait pas immédiat. Il faut bien commencer
un jour mais, dans le discours, ne trompons pas les associations de malades, ne
trompons pas les patients.
C'est une longue route qui, pour le moment, repose sur un concept tout à
fait juste, tout à fait valide, mais qui n'a en réalité
pas commencé à produire le premier début de la moindre
preuve, même sur les modèles animaux, quand on regarde dans le
temps.
Cela étant dit, le concept étant bon, cohérent,
scientifique, logique et valable, il faut effectivement se mettre en ordre de
marche.
Se pose donc la question de savoir où on va trouver ces cellules.
Naturellement, la première cellule qui vient à l'esprit, c'est la
cellule embryonnaire. Je rappelle que nous sommes issus d'une cellule qui avait
toutes les capacités pour donner de la peau, du foie, des os, des
cellules nerveuses, des muscles et constituer un individu
différencié.
Or, les cellules les plus jeunes et les plus capables de se différencier
pour donner des cellules normales sont les cellules embryonnaires. Evidemment,
on butte sur l'idée de l'embryon. On voit bien le danger qu'il y aurait
à instrumentaliser l'embryon, à le considérer comme
matière première alimentant la recherche scientifique. On est
là sur des crêtes difficiles.
Il existe d'autres voies qui sont avancées, et notamment la
présence de cellules souches trouvées dans les tissus adultes,
qui pourraient, dans certains cas, avoir des effets semblables de production de
cellules normales, y compris de transdifférenciation,
c'est-à-dire, étant prélevées dans la moelle, de
donner des cellules hépatiques ou de toute autre nature.
Tout cela est vrai et a été observé de façon
occasionnelle ici où là, comme les cellules du sang du cordon,
qui ont fait l'objet d'études encourageantes. J'ai moi-même
pensé, l'année dernière encore, que l'on pourrait faire
l'économie de l'étape des cellules embryonnaires et,
d'emblée, aller vers les cellules adultes.
Par honnêteté intellectuelle, je pense que, même si nous
devons privilégier les recherches sur les cellules adultes, nous ne
pourrons pas faire l'économie de recherches parallèles sur les
cellules embryonnaires, ne serait-ce que pour éventuellement valider, le
moment venu, le modèle des cellules adultes.
Nous sommes donc arrivés à un moment difficile où il nous
faut savoir si c'est un refus définitif d'un progrès formidable,
pour toute une série de maladies que je ne vais pas énoncer pour
ne pas tomber dans une sensiblerie que je trouve dangereuse, sachant que, par
ailleurs, dans bien d'autres pays, les choses avancent.
En toute honnêteté, si l'un de mes proches était atteint
d'une de ces maladies et, après avoir dit non pour la France, si ces
cellules étaient disponibles ailleurs, refuserais-je d'aller les
chercher pour me conformer à mes propres interdits ? Je le dis
très clairement : non, je me dépêcherais d'aller les
chercher !
On est là devant un choix éthique qui montre le degré de
tension morale sous-jacent mais, à mon sens -et c'est la solution que je
vous proposerai- parce que j'ai rappelé l'interdit initial et que j'ai
bien montré que l'embryon devait être respecté, j'estime
que, dans certaines conditions très particulières,
définies avec les précautions et l'encadrement utiles, pendant
une période donnée qui pourrait être fixée à
cinq ans par exemple, sur les seuls embryons conçus pour la
fécondation
in vitro
qui n'auraient pas été
transférés, dont les parents ne voudraient plus qu'ils soient
transférés, et avec leur consentement, avec des protocoles
clairement étudiés et validés, nous pourrions
peut-être, à titre dérogatoire, faire ce que j'appelle dans
mon langage une «exception législative» sur une période
de temps donnée.
Croyez bien que j'ai beaucoup pesé mes propos avant de m'exprimer, car
c'est un chemin qui n'était pas facile mais, comme j'ai
déjà eu l'occasion de le dire, je ne crois pas que la
médecine puisse progresser à des moments déterminants sans
transgression, comme elle l'a fait pour l'autopsie, la transfusion sanguine ou
les prélèvements d'organes.
Aujourd'hui, les conditions étant ce qu'elles sont, je ne vois pas
comment proposer autre chose que d'autoriser, dans des conditions
définies et pour une période déterminée, la
recherche sur les cellules embryonnaires.
Evidemment, dans la même logique, je vous demanderai de revenir sur la
disposition subreptice qui consiste à autoriser la création
d'embryons pour la recherche.
Ceci n'est plus une transgression, mais la négation du principe que je
rappelais tout à l'heure ! Autoriser la création d'embryons,
fût-ce pour valider des techniques de fécondation
in vitro
,
nous ferait franchir un pas essentiel, au sens
d'« essence» : ce ne serait plus des essais sur l'homme
mais des essais d'hommes ! Ce serait essayer de concevoir avec une
certaine méthode un nouvel être humain et regarder comment cela
marche.
Dites-vous bien que cette démarche-là commencerait par se faire
in vitro,
mais qu'à un moment où à un autre, il
faudrait bien faire le transfert pour voir comment cela se développe
in vivo
!
Cette démarche-là, je ne la veux pas ! Autant je comprends
les situations exceptionnelles que je viens d'exposer, autant je m'opposerai
formellement à toute création d'embryons pour la recherche, pour
quelque motif que ce soit !
D'ailleurs, cela nous mettrait en contradiction avec la convention d'Oviedo.
Or, une de mes préoccupations est de faire en sorte que, sept ans,
après, la France puisse ratifier enfin la convention d'Oviedo.
Dire que je ne veux pas de création d'embryons pour la recherche
sous-tend naturellement que je ne veux pas de clonage thérapeutique, car
peu importe que cette cellule soit appelée par les uns
«embryon» ou par les autres «non-embryon». Ce que je sais
simplement, c'est que le clonage thérapeutique nous expose à deux
dangers majeurs.
Premièrement, pour réaliser un clonage thérapeutique, il
vous faut disposer d'ovules en grand nombre. Cela suppose l'organisation d'un
marché d'ovules.
Ceci est en contradiction avec la non-commercialisation du corps humain. Pour
fabriquer un clone thérapeutique, il faut un ovule et, quand vous voulez
vous lancer dans des essais multiples, il vous faut des dizaines et des
centaines d'ovules !
Je viens de voir que même le professeur Frydman a annoncé qu'il
renonçait au don d'ovules pour la fécondation
in vitro
,
tout simplement parce que les femmes, en dehors d'argent, n'acceptent pas
volontiers de donner des ovules, tout d'abord parce que c'est plus difficile
que de donner du sperme et ensuite parce que c'est une partie
d'elles-mêmes.
Il y a là une démarche conceptuelle que les femmes ont du mal
à franchir et qu'elles ne franchiraient que, comme aux Etats-Unis, pour
des raisons commerciales ou, comme dans les pays en voie de
développement, pour des questions d'argent. On obtiendrait naturellement
des ovules au terme de tractations financières, ce que je n'accepte pas.
La deuxième raison est que le clonage thérapeutique est la partie
technique du clonage reproductif.
Lorsque vous avez transféré votre noyau dans un ovule, c'est
potentiellement un clonage dit thérapeutique si vous le mettez en
culture, mais si vous le transférez au moyen d'une pipette dans un
utérus, vous avez un clonage reproductif !
Je m'oppose donc au clonage thérapeutique, car c'est la porte ouverte au
clonage reproductif, dont je voudrais maintenant dire quelques mots.
Je crois, d'ailleurs, qu'il y a unanimité sur le sujet. Tout le monde
est d'accord pour reconnaître que le clonage reproductif est une horreur,
que c'est une atteinte à la dignité de la personne et qu'il faut
donc le condamner.
En première lecture, à l'Assemblée nationale, j'ai fait
valoir des arguments qui n'ont pas été retenus et que,
naturellement, parce que j'ai une certaine constance, je vais vous proposer
à nouveau.
Si l'on veut véritablement interdire le clonage reproductif, il faut que
les sanctions qui accompagnent l'interdiction soient à la hauteur du
délit.
Si c'est un simple délit de cinq ans de prison éventuels et d'une
amende équivalente en euros à 200.000 francs, je crois que ce
serait une interdiction tout à fait dérisoire.
Pour moi, le clonage reproductif est, au niveau de la personne,
l'équivalent de ce qu'est le crime contre l'humanité au niveau
collectif.
Le crime contre l'humanité est un crime contre l'espèce humaine
en ce sens que, d'une façon massive et organisée, on vient porter
atteinte à la dignité de la personne.
Concevoir quelqu'un en l'enfermant dans un destin génétiquement
programmé, choisi et délibéré, c'est le priver de
sa liberté et, le privant de sa liberté, c'est porter atteinte
à sa dignité !
Je pense donc -et j'ai l'accord du garde des sceaux- vous proposer une nouvelle
incrimination, basée par comparaison sur les peines les plus lourdes
dans des champs voisins, en ayant d'une part, à partir de la
majorité éventuelle de l'enfant cloné, une prescription
trentenaire, ce qui équivaut quasiment à une
imprescriptibilité, et en instituant, d'autre part, une
extraterritorialité, car on peut être Français et aller se
faire cloner dans des zones internationales, puis revenir en France.
Comme pour le tourisme sexuel -pardonnez-moi la comparaison, mais c'est comme
cela et je peux justifier que ceci existe déjà- le clonage sera
condamné en France pour des citoyens français vivants en France,
quand bien même il aurait eu lieu à l'étranger !
C'est à mon avis la seule force que nous ayons pour continuer à
mener notre croisade internationale et déboucher sur une interdiction
formelle par les Nations-Unies.
Il me reste à aborder deux points. Je voudrais vous parler de l'Agence
et de la brevetabilité des gènes.
Le projet de loi du Gouvernement précédent prévoyait
l'idée d'organiser une nouvelle agence, appelée «Agence pour
la procréation, l'embryologie et la génétique
humaine», que j'ai immédiatement récusée,
après un débat très courtois mais très ferme avec
le rapporteur de l'époque.
Je trouve que la multiplication des agences finit par gêner la
visibilité que l'on peut avoir dans nos politiques d'une façon
générale. On en a déjà 8 ! A ce
moment-là, je ne vois pas pourquoi on ne créerait pas une agence
dès qu'une activité particulière apparaît !
En second lieu, cette agence me paraissait mal composée et un peu
anormale quant aux compétences qu'on voulait lui attribuer. J'ai dans
l'idée de vous proposer une architecture et des compétences
différentes.
Pour tout dire, mon idéal -mais je ne pense pas que nous pourrons
l'atteindre tout de suite- aurait été de regrouper l'AFSSAPS,
l'Etablissement français des greffes et l'APEGH dans une grande agence
de biomédecine et de produits de santé.
On aurait une grande cohérence avec cinq départements ayant une
autonomie et une spécificité particulières : les trois
départements de l'AFSSAPS -le médicament, les dispositifs et le
sang- le département de transplantation des greffes et le
département correspondant à l'embryon, à la reproduction
et aux cellules, dont nous sommes en train de parler.
Cela aurait été, je crois, quelque chose d'assez extraordinaire,
car l'on voit bien comment cette grande agence du vivant aurait pu donner une
cohérence à notre système d'une façon
générale, plutôt que de le morceler.
L'Etablissement français des greffes a une légitimité
à s'occuper des cellules souches et du tissu
hématopoïétique. Par ailleurs, l'AFSSAPS est aussi
intéressée à la thérapie génique. On se
trouve, je crois, dans une séparation totalement artificielle
aujourd'hui !
Je pense que cette idée, pour autant que l'on veuille bien s'y pencher
avec beaucoup d'objectivité, peut et doit séduire.
Néanmoins, même si mes services sont prêts -parce qu'ils
sont assez séduits- à réaliser ce travail, je ne suis pas
sûr d'avoir le temps de mener toute la concertation nécessaire
sans déstabiliser une AFSSAPS déjà un peu fragile.
Je vais donc probablement vous proposer de faire les choses en deux temps avec,
dans un premier temps, une agence qui rassemblerait l'Etablissement
français des greffes et l'APEGH en gardant l'AFSSAPS en l'état,
la mission de cette nouvelle agence se justifiant parce qu'il y a un continuum
absolu entre organe, tissu, cellule, gène. Vouloir faire passer la
barrière de façon artificielle n'est pas cohérent.
J'ajoute que, dans l'un comme dans l'autre, il y a la notion du don. J'ajoute
que, dans l'un comme dans l'autre, il y a des problèmes éthiques
profondément liés.
Regrouper l'Etablissement français des greffes et l'APEGH me
paraît donc être d'une logique imparable, étant entendu que
l'idéal à deux ans serait de préparer le rapprochement de
l'AFSSAPS et de cette nouvelle agence, que j'appellerais volontiers,
après fusion, si vous en étiez d'accord, l'Agence de
biomédecine car, en définitive, c'est bien de biomédecine
qu'il s'agit.
Quand nous faisons de la transplantation d'organes, nous transmettons des
organes vivants : c'est de la biomédecine. Quand nous faisons de la
thérapie cellulaire, que nous donnons la vie
in vitro
, c'est
aussi de la biomédecine. On aurait donc là une grande agence de
médecine, qui pourrait ensuite, se mariant à l'AFSSAPS, devenir
agence de biomédecine et des produits de santé.
Voilà l'évolution, étant entendu que je donne à
cette agence beaucoup plus de pouvoirs qu'on ne lui en avait
précédemment donnés. A mon avis, il faut qu'elle ait un
pouvoir d'autorisation, de contrôle, d'inspection, mais je voudrais
qu'elle soit constituée pour une bonne part de gens qui ne soient pas
nécessairement des scientifiques et des médecins prêchant
pour leur seule paroisse. Je souhaite aussi naturellement que le ministre ait
un droit de veto et d'intervention à tout moment, si une décision
ne lui convenait pas.
Je pense qu'il est temps que l'on prenne cette mesure !
Quant à la brevetabilité des gènes, vous en connaissez
comme moi l'histoire. La France ne veut pas que les gènes humains
puissent faire l'objet de brevets.
Il n'en demeure pas moins que le Parlement européen, après avoir
rejeté un premier projet de directive en 1988, puis un second en 1995, a
fini par voter une directive en 1998, laquelle, défendue à
l'époque par M. Allègre, pour ne pas le nommer,
possède une contradiction que vous pouvez vérifier les uns et les
autres, si vous ne l'avez déjà fait, dans son article 5, entre
l'alinéa 1 et l'alinéa 2.
L'alinéa 1 est empreint d'une éthique à laquelle nous ne
pouvons qu'applaudir. L'être vivant, tout ou partie, y compris une
séquence partielle ou totale d'un gène, ne peut faire l'objet
d'une invention brevetable.
L'alinéa 2, par contre, dit que tout élément isolé
du corps humain, même une séquence partielle ou totale d'un
gène, peut être breveté. Permettez-moi de le dire :
c'est prendre les gens pour des imbéciles car, dès lors que vous
voulez identifier un gène, le reconnaître, il vous faut faire un
prélèvement de sang, isoler le sang du corps humain, ainsi que
les cellules et l'ADN qui, par le séquenceur, peuvent du coup vous
donner une séquence génétique brevetable !
Cette transposition va nous poser énormément de problèmes.
Le Gouvernement précédent, en réalité -et j'en
avais longuement discuté avec le ministre Schwarzenberg- avait compris
que les choses étaient trop ambiguës et ne pouvaient passer. Je
rappelle qu'en 1994, dans notre loi de bioéthique, nous avions
déjà pris des dispositions, car je sentais venir les choses.
Pierre Mazaud ne m'avait pas facilité la tâche à
l'époque, mais avait fini par saisir la difficulté.
On avait introduit, au milieu d'un texte juridique qui traitait du code civil,
une disposition portant sur la propriété intellectuelle qui
disait qu'on ne pouvait breveter une séquence partielle ou totale d'un
gène. Je regarde Jean Chérioux, qui opine du chef !
Nous venons de répéter la même au mois de janvier, en
réaffirmant notre position. Je suis effectivement d'accord avec cette
optique.
La seule chose sur laquelle j'attire votre attention porte sur le fait que, la
directive européenne étant la directive européenne, il
faut nous mettre dans la meilleure situation possible pour obtenir la
renégociation de cet article.
Je vais donc vous demander, tout en réaffirmant la
non-brevetabilité des gènes humains, de réécrire la
chose pour amender la directive européenne.
Je crois que je peux être au-dessus de tout soupçon dans cette
affaire, étant donné la pétition que j'avais lancée
sur Internet à une époque, que les groupes et les partis
politiques, de tous côtés, avaient unanimement signée, tant
il est vrai que c'est un combat commun.
J'avoue ne pas comprendre la position européenne de ne pas vouloir
revenir sur une mauvaise écriture. Seulement quatre pays ont aujourd'hui
transposé la directive, mais nous allons recevoir prochainement un avis
notifié.
Le Gouvernement précédent avait prévu une transposition
partielle. Mon idée est qu'il faut effectivement aller vers une
transposition partielle, à condition d'avoir prévu dans notre
texte une disposition que nous pourrions faire accepter à la Commission
comme notre interprétation du texte.
Voilà ce que je voulais dire à propos d'un texte dont je me
réjouis de débattre avec vous.
M. Nicolas ABOUT, président - Merci.
Monsieur le Rapporteur...
M. Francis GIRAUD, rapporteur - Monsieur le président, monsieur le
ministre, mes chers collègues, le premier mot qui me vient à
l'esprit est celui de perspicacité.
Vous nous avez démontré que ce problème, initié
avec d'autres en 1994, ne peut être tranché de façon
brutale, mais doit accompagner l'évolution des sciences, de la
médecine et de notre société.
Vos propositions peuvent être qualifiées
d'équilibrées et de sages.
En effet, dans une société démocratique, pluraliste, il
est bien difficile d'amener à une prise de décision qui va
être marquée dans la loi pour un certain nombre d'engagements de
tous ordres des différents législateurs.
La commission proposera donc des amendements au texte qui a été
voté en 2002.
Il n'est pas inutile de rappeler à nos collègues que le texte du
précédent Gouvernement a été voté par une
forte majorité, mais qu'il n'y a eu un nombre très faible -21- de
votes contre, et un grand nombre d'abstentions.
Cela traduit bien l'évolution de la société et de la
représentation nationale qui en est l'émanation.
Nous espérons que nous aboutirons à un texte qui ne pourra jamais
satisfaire pleinement tout le monde, mais qui marquera un équilibre
raisonnable à propos d'un problème de société
très difficile.
D'autre part, pouvez-vous nous apporter quelques précisions, monsieur le
ministre, sur la référence aux cellules souches adultes, le texte
de loi parlant de «méthode alternative à visée
médicale» ?
Par ailleurs, à propos de la multiplication des agences, je crois que ce
Gouvernement a, d'une certaine façon, donné une réponse en
créant un ministère de la santé qui a vocation à
couvrir un certain nombre de problèmes.
Pouvez-vous d'autre part nous préciser la différence que vous
faites, sur un plan technique, entre la recherche sur les cellules
embryonnaires et la recherche sur l'embryon ? Dans l'esprit de beaucoup,
ceci n'est pas tout à fait clair.
Enfin, en matière de bioéthique, par rapport au processus
économique et industriel, comment la France peut-elle se situer dans la
compétition internationale ?
En dernier lieu, je voudrais vous poser une question au nom de notre
collègue Jean-Louis Lorrain qui siège ce matin même au
Comité national d'éthique, où l'on discute d'ailleurs d'un
problème qui est le problème de l'ICSI et de l'éthique.
Le DPI implique-t-il une ICSI ? Toute ICSI implique-t-elle dans le futur
un DPI ? Le diagnostic préimplantatoire post-ICSI a-t-il une
légitimité ? Faut-il modifier la loi en ce sens ? C'est
assez technique, mais cela nécessite quelques éclaircissements.
M. Nicolas ABOUT, président - Monsieur le ministre, mes chers
collègues, la commission est très honorée de voir que la
délégation aux droits des femmes a souhaité se saisir de
ce sujet et a retenu comme rapporteur notre excellente collègue
Mme Desmarescaux. C'est maintenant à elle que je vais passer la
parole.
Mme Sylvie DESMARESCAUX, rapporteur de la délégation aux droits
des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et
les femmes - Monsieur le ministre, monsieur le président, mes chers
collègues, comme vous l'avez précisé, la
délégation aux droits des femmes a été saisie
à sa demande du projet de loi sur la bioéthique dont j'ai
l'honneur d'être rapporteur.
Je suis consciente que c'est un sujet difficile et délicat.
Il est vrai que les femmes se trouvent au coeur de ce sujet en ce qui concerne
plus particulièrement l'assistance médicale à la
procréation, dont les traitements médicaux sont
particulièrement difficiles et lourds.
Suite aux auditions qui se sont tenues avec la commission des affaires sociales
il y a quelques jours, plusieurs questions se posent encore à moi, comme
celle de la pénurie de dons d'ovocytes dans le cadre de l'AMP avec tiers
donneur. Il semblerait que certains centres favorisent les couples qui se font
accompagner d'une donneuse. Ce point-là reste entier pour moi. Ne
faudrait-il pas préciser dans la loi qu'il est interdit de favoriser de
tels couples ?
Je m'interroge également sur l'accompagnement psychologique avant, au
cours du processus, voire après, quand il y a échec, pour aider
sur le long chemin qui mène à l'adoption si nécessaire.
Reste bien évidemment tout le problème délicat au regard
du transfert
post mortem
. Les questions sont multiples et
m'inquiètent.
La semaine prochaine, la délégation va auditionner
différentes personnalités. J'ose croire que les interventions
pourront nous éclairer, mais je reste convaincue que ce sujet ne peut se
traiter comme d'autres projets de loi. L'affectif, le vécu, ont une
importance considérable.
M. Jean CHÉRIOUX - Monsieur le ministre, j'admire la façon
dont vous avez essayé de régler ce problème, ô
combien délicat, sur lequel nous avions eu bien des difficultés
en 1994.
Je suis d'accord avec ce que vous avez indiqué, mais je voudrais
néanmoins insister sur une ou deux modalités.
Le problème éthique sur lequel nous avions buté, à
l'époque, était celui de la réification de l'embryon, mais
aussi celui de sa disparition éventuelle.
Ne serait-il pas plus simple, dans le cadre du texte lui-même, d'indiquer
que l'embryon ne peut être conçu que dans le cadre d'un projet
parental, en liant le sort de cet embryon à l'existence de ce projet et
en inversant les choses par rapport à la formulation actuelle ?
Le projet parental prendrait fin au bout d'un certain nombre de mois ou
d'années, quitte à ce que les parents puissent demander à
ce qu'il soit prolongé.
L'embryon surnuméraire devient à ce moment-là, sur le plan
du droit, un embryon en attente d'implantation ou de transfert. Le jour
où le projet parental tombe, l'embryon disparaît de sa bonne fin,
comme c'est le cas dans la nature lorsqu'il ne se nidifie pas.
Cela permet de bien circonscrire le problème, ainsi que vous l'avez
souhaité : pas d'embryon en dehors du projet parental et de son
transfert !
Bien entendu, se pose à ce moment le problème de la science.
La transgression, telle que vous l'avez envisagée, et qui me semble
excellente, peut se penser de deux façons.
Le texte de 1994 parlait d'études. Vous y avez fait
référence. Il suffit de remplacer, dans ce texte, le mot
«études» par le mot «recherches» pour arriver
à peu près à ce que vous souhaitez.
Autre point sur lequel mon attention a été attirée :
la nécessité pour la recherche de se créer des
lignées d'embryons, sans toutefois en avoir un besoin permanent. Ne
pourrait-on utiliser en priorité le «stock» d'embryons
existant -terme affreux- qui peut suffire pour répondre aux besoins
impérieux de la science et dont il faut tenir compte, quels que soient
les principes éthiques des uns et des autres ?
M. Nicolas ABOUT, président - Merci.
La parole est à M. Cazeau.
M. Bernard CAZEAU - Monsieur le ministre, merci de cet excellent
exposé, qui a permis de faire le point avec clarté sur les
principales dispositions de ce texte.
En ce qui me concerne, j'aurais deux questions, qui ne sont pas des questions
de fond. Je vous ai trouvé prudent, et même parfois un peu
frileux, sur le problème de la recherche sur les cellules souches
embryonnaires.
Je crois que la recherche française souhaite pouvoir utiliser ce genre
de matériel.
Il ne faudrait pas, à travers l'encadrement que vous souhaitez -qui, par
certains aspects, doit être fait- mettre nos chercheurs en
difficulté par rapport à la recherche internationale.
Vous avez dit qu'il fallait suivre l'évolution. Je pense que celle-ci
doit se faire d'abord dans le cadre européen et international.
L'évolution de notre législation doit suivre, au moins dans ce
domaine de la recherche.
Deuxième remarque sur l'APEGH. Votre souhait de regrouper toutes ces
agences est très certainement lié à votre formation, mais
ne va-t-on pas faire là de grosses machines ? Les problèmes
soulevés par l'embryon et la génétique ne sont pas tout
à fait les mêmes, même s'ils sont voisins, des
problèmes liés au don d'organes, du moins dans la pratique, et
l'on risque de se retrouver peu à peu avec des sous-agences, chacune
reprenant sa liberté, pour en revenir au même
résultat !
C'est en tout cas ma crainte.
M. Nicolas ABOUT, président - La parole est à présent
au président Lardeux.
M. André LARDEUX - Merci de votre exposé, monsieur le
ministre. On se sent un peu plus intelligent après vous avoir entendu.
Vous nous avez apporté des précisions très utiles.
Je partage tout à fait un certain nombre de vos remarques, en
particulier sur le fait que la loi doit être votée une fois pour
toutes. On ne peut vivre éternellement dans le provisoire.
Je suis également d'accord avec vous en ce qui concerne la
brevetabilité du gène.
Pour ce qui est de l'Agence, je crois que vous avez raison de vouloir unifier
les choses. Bernard Cazeau parle du risque que représentent les grosses
machines, mais il ne faut pas penser que ce serait forcément un organe
avec une seule tête. Je pense que c'est une bonne direction.
J'ai quelques questions ou remarques à formuler. Vous avez dit -je pense
ne pas trahir votre pensée- que le droit s'affranchit de la philosophie
et de la morale. Cela dit, les législateurs, les citoyens, eux, ne
s'affranchissent pas de la morale, de la philosophie, de la religion, ou de
toute autre conviction qu'ils peuvent avoir.
Il n'est pas question d'imposer son éthique aux autres. La loi doit
aboutir à une solution qui empêche que nos concitoyens, quelles
que soient leurs convictions, n'aient pas le sentiment de voir leur conscience
violentée. C'est en ce sens que vous allez.
A propos des cellules souches, vous avez été très clair au
sujet de l'importation éventuelle de produits issus de recherches qui ne
seraient pas conformes à la loi française, mais que fera-t-on si
un Français décide de recourir au produit d'un clonage
thérapeutique à des fins éventuellement
reproductives ?
J'ai bien compris la distinction que vous faisiez à propos de la
recherche sur les embryons et sur les cellules souches embryonnaires, mais
qu'arrivera-t-il des surnuméraires non utilisés quoi qu'il
arrive ? Il en restera forcément.
Qu'en est-il par ailleurs de la consultation et de l'information des personnes
qui sont à l'origine de ces embryons ?
Certaines personnes peuvent accepter la recherche ; d'autres peuvent
refuser que l'on fasse des recherches sur l'embryon non utilisé pour la
reproduction.
Autre remarque sur le transfert
post mortem
: à titre
personnel, je n'y suis pas favorable, malgré le sentiment de compassion
que l'on peut avoir vis-à-vis de telles situations. Que
répondra-t-on à ceux qui n'ont pas eu besoin de la PMA et qui se
trouvent dans une situation qui les empêche de procréer ?
Certains de ces couples peuvent, à titre de précaution,
décider de recourir au don de sperme ou d'ovocyte et créer un
embryon ! Je crois qu'il y a là une limite qu'il faudra fixer.
Dernière remarque sur le don d'organes des personnes vivantes. Je crois
qu'il faut veiller à ce que l'intérêt propre des donneurs
et de leurs ayants droit soit garanti, car une transplantation d'une partie du
foie, par exemple, peut mettre la vie du donneur en péril et placer les
familles -ascendants et descendants- dans de grandes difficultés. Dans
ce cas, je ne vois pas où est le progrès !
M. Nicolas ABOUT, président - La parole est à
M. Fischer.
M. Guy FISCHER - Je crois qu'on ne peut que remercier M. Mattei pour
cet exercice de vulgarisation de haut niveau.
Vous vous prononcez, monsieur le ministre, pour l'utilisation très
encadrée des embryons surnuméraires. C'est en ce sens qu'il y a
de votre part, à travers l'évolution de votre réflexion,
un changement. Nous sommes soumis à une pression au niveau
européen et mondial et un certain nombre de lobbies poussent la France
à évoluer.
D'autre part, vous avez été clair quant à votre position
sur le clonage reproductif.
Je voudrais en venir au génome humain.
Dans le projet de loi, l'amendement Lefort a été adopté
à l'unanimité. Il conduit -et vous en faites un de vos objectifs-
à une renégociation de la directive européenne. Je crois
qu'il est inutile de préciser l'importance de cet acquis qui constitue
un préalable qui dépasse la loi de bioéthique.
Le professeur Munnich, que nous avons entendu, s'est prononcé pour une
certaine brevetabilité. Je voudrais que vous nous expliquiez ceci.
M. Nicolas ABOUT, président - Monsieur le ministre, vous avez la
parole.
M. Jean-François MATTEI, ministre de la santé, de la famille et
des personnes handicapées - Merci.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, madame, il se trouve que
je siégeais à l'Assemblée nationale en 1992, quand nous
avons voté les lois de bioéthique, en première lecture,
sous le Gouvernement de M. Bérégovoy. Après les
élections de 1993, sous une nouvelle majorité, j'ai
été chargé d'un rapport par le Premier ministre,
M. Edouard Balladur. La démarche a repris au Sénat, en
première lecture, sur les textes précédemment votés.
J'y vois là une répétition qui montre bien que, sur ces
sujets, il n'y a ni polémique, ni esprit partisan, ni volonté de
marquer une différence politique.
Nous nous sommes, je crois, rejoints sur des valeurs essentielles et nous
pouvons diverger sur des points qui ne constituent pas l'ossature principale
des dispositions que nous entendons prendre.
C'est la première raison pour laquelle j'ai souhaité continuer
plutôt que recommencer.
La deuxième raison, c'est que l'on a déjà perdu trop de
temps. Je souhaite que tout soit bouclé avant l'été 2003
et que la loi puisse être enfin promulguée !
J'ajoute qu'avant la première lecture, beaucoup de travaux de
réflexion avaient été menés au Comité
d'éthique, à la commission consultative des droits de l'homme,
par les uns et par les autres, et ce serait faire peu de cas de ces
réflexions que de recommencer à zéro !
J'en ai tenu compte et je vous rappelle -le rapporteur l'a signalé tout
à l'heure- qu'il y a eu, à l'Assemblée nationale, un
nombre important de votes pour et d'abstentions qui signifient qu'il n'y a pas
d'opposition formelle, le vote contre ayant été très
limité.
C'est donc cette petite loi que nous reprenons, qui fera néanmoins
l'objet d'un certain nombre d'amendements, dont certains sont importants,
notamment sur la structure de l'Agence. Après tout, c'est la
première fois que le Sénat se saisit de ce texte et il est
fondé à dire, sans être limité, comment il voit les
choses !
Monsieur le rapporteur, vous m'avez demandé de préciser un
certain nombre de choses.
Je ne crois pas qu'il soit utile, dans le texte de loi, de mentionner les
cellules souches adultes ; à ce moment, il faudrait mentionner
aussi les cellules du cordon ombilical. Même si c'est difficile, je
souhaite en rester au principe et ne pas prendre le travers du précis de
thérapeutique ou de biologie.
Après tout, qui ne dit pas que, demain, nous ne trouverons pas un
nouveau type de cellules qui auront certaines particularités !
En revanche, dans votre rapport, dans nos interventions aux uns et aux autres,
que nous interpellions le ministère de la recherche pour demander que
des efforts particuliers soit faits pour que la France soit dans le wagon de
tête des recherches sur les cellules souches d'origine adulte, bien
entendu !
Lorsque j'accepte un certain nombre de positions, qui ne me sont pas faciles,
sur les cellules embryonnaires, c'est parce que j'espère qu'assez vite,
dans cinq, dix ans peut-être, les cellules souches adultes ou d'autres
types de cellules pourront s'y substituer !
Sur le plan des agences, Monsieur le rapporteur, vous avez raison : je ne
souhaite pas les multiplier ! On a l'AFSSAPS, l'Etablissement
français des greffes, l'ANAES, l'IMPES, l'AFSA, etc. Il y en a
huit !
Lors du débat sur la sécurité sanitaire, je voulais une
grande agence dans ce domaine. Je vois bien qu'il y a, malgré tout, des
conflits de compétences entre les différents domaines.
En revanche, sur le plan de la sécurité sanitaire, ce sont les
mêmes problèmes qui se posent pour les cellules souches ou pour le
don de gamètes. Souvenez-vous de la séropositivité
éventuelle des donneurs !
C'est d'ailleurs là un des obstacles au don d'ovules. Quand on
prélève, on conserve le temps de vérifier que la femme
n'était pas négative, mais en période de
séroconversion. On est donc dans des priorités de
sécurité sanitaire, et l'Etablissement français des
greffes et la nouvelle APEGH ont les mêmes préoccupations et la
même démarche.
Bien sûr, chacun a sa responsabilité propre, mais on est dans le
cadre de structures qui montrent bien que c'est un même ensemble
permettant de préparer la suite.
Vous m'avez encore demandé de préciser la différence entre
la recherche sur les cellules embryonnaires et la recherche sur l'embryon.
C'est très simple : j'ajouterai simplement à ce que j'ai dit
tout à l'heure que la recherche sur l'embryon est destinée
à profiter à l'embryon -peut-être pas celui sur lequel on
fait la recherche, mais à un embryon en tant que tel.
Comment peut-il mieux se développer ? Comment peut-on faciliter son
implantation ? Comment peut-on lutter contre l'apparition de telle ou
telle anomalie ? La recherche sur l'embryon est destinée à
l'embryon, tandis que dans la recherche sur les cellules embryonnaires, il
s'agit éventuellement de guérir les Parkinson, les Alzheimer, les
diabétiques, les myopathies. C'est une recherche tournée vers la
médecine.
D'un côté, c'est l'embryon qui est au centre de la
préoccupation alors que, pour les cellules embryonnaires, c'est une
méthode, la thérapie cellulaire. La philosophie n'est donc pas
tout à fait la même.
Vous avez également raison, Monsieur le rapporteur, d'évoquer le
processus économique et industriel.
Je suis scandalisé ! La France fait une proposition conjointe avec
l'Allemagne pour interdire le clonage reproductif à l'ONU et les
Américains ouvrent un contre-texte disant qu'il ne faut pas seulement
interdire le clonage reproductif, mais aussi le clonage thérapeutique.
Ce faisant, les Etats-Unis sont appuyés par la plupart des pays
d'influence catholique forte, parce qu'il faut tout interdire.
Permettez-moi de vous dire que c'est une erreur -et je le leur ai fait savoir-
de ne pas considérer qu'il y a des priorités et que la
première est d'interdire le clonage reproductif. Clonage reproductif et
thérapeutique ne sont pas de même nature ! Avec ce
contre-texte, de nouveaux bébés vont naître.
Je n'accepte pas l'hypocrisie américaine. Chacun sait qu'une
déclaration fédérale n'a aucun effet sur le
privé ! Une dépêche datant d'hier indique que «la
prestigieuse université de Standford, en Californie, a annoncé
mardi qu'elle allait cloner des embryons dans le cadre de recherches sur les
cellules souches».
Les Américains, au motif de vouloir à la fois interdire le
clonage reproductif et thérapeutique, ont fait capoter l'interdiction du
clonage reproductif. Ils savent très bien qu'ils ne prennent aucun
retard en matière de recherches en énonçant de grands
principes de moralité et de vertu ! Je n'accepte pas cette
hypocrisie, et je souhaite que nous menions un combat basé sur nos
valeurs.
Je prendrai mon bâton de pèlerin, s'il le faut, pour aller
là où il faut faire comprendre que ce genre de chose est
inacceptable !
Vous avez parlé, en vous faisant porteur de la question du
sénateur Lorrain, du diagnostic préimplantatoire -DPI- que l'on
fait sur l'embryon conçu
in vitro
, et de l'injection
cytoplasmique du sperme -ICSI. On prend un spermatozoïde dans une
micro-pipette et on le pousse de force à l'intérieur d'un ovule.
Axel Kahn avait même appelé cela le «viol de l'ovule»...
Il n'y a pas de lien entre le DPI et l'ICSI. On peut avoir un DPI après
une fécondation
in vitro
traditionnelle.
En revanche, la question de la légitimité peut être
discutée, mais je ne la retiens pas. Les seuls éléments
qui pourraient éventuellement amener à se poser la question,
c'est qu'il semblerait y avoir une légère augmentation
d'anomalies chez les enfants nés par ICSI. Il ne faut pas non plus se
précipiter sur une technique et la légitimer. On en vient
quelquefois à se poser la question de savoir jusqu'où pousser la
logique et la cohérence. En effet, si l'on veut garantir la bonne
conformité génétique, il faut faire de la
fécondation
in vitro
. On entre là dans la démarche
eugénique que -Dieu merci- nous avons tous, les uns et les autres,
fermement condamnée.
Madame Desmarescaux, vous avez évoqué le don d'ovocytes. Je
comprends bien la chose. Cela s'est passé au début pour les dons
de sperme. Les hommes n'avaient pas dans l'idée d'aller donner leur
sperme. C'est quand même une démarche particulière. Ce
n'était pas très simple. On a donc privilégié les
couples qui amenaient avec eux un donneur sachant, pour qu'il n'y ait pas de
confusion dans les esprits, que le donneur vient alimenter une banque, le
sperme utilisé pour la fécondation étant le sperme d'un
autre donneur. On garde l'anonymat, sinon il n'y a pas besoin de venir le faire
in vitro
: il suffit de le faire dans une chambre !
Pour le don d'ovocytes, c'est pareil. Quand une femme vient avec sa soeur qui
accepte de donner des ovules, ces ovules ne vont pas être utilisés
pour la soeur demandeuse, mais pour alimenter une sorte de réserve,
ensuite utilisée dans l'anonymat le plus strict.
Il faut voir ce que représente le don d'ovocytes, quelles que soient la
volonté des professionnels et la volonté des associations de
couples stériles menées par une femme dynamique, Mme Chantal
Ramogida, qui a fédéré des centaines, voire des milliers,
de couples stériles et qui exigent le don d'ovocytes !
Ce sont quand même des inducteurs de l'ovulation. C'est un des sujets
dont on ne va pas parler ce matin, mais que l'on abordera au cours des
débats. Il faut également faire une coelioscopie et l'idée
qu'un peu de soi est porté dans le ventre d'une autre, n'est pas
très simple.
On peut banaliser les techniques dans leur réalisation sur paillasse,
mais le faire accepter dans les esprits n'est pas aussi simple. Les
médecins peuvent prétendre qu'il n'y a pas de problème et
dire que l'on manque d'ovocytes : nous ne sommes heureusement pas dans la
règle de l'offre et de la demande livrée au marché !
Je peux comprendre, et je ne suis donc pas favorable à ce que l'on
pousse les femmes à donner des ovocytes. Qu'on les informe, oui, mais je
ne suis pas favorable à ce qu'on les incite à donner, car c'est
parfois faire violence à certains comportements, qui pourraient se
trouver interpellés.
Je suis complètement d'accord avec vous en ce qui concerne
l'accompagnement psychologique, mais nous nous heurtons à un
problème que je connais bien.
Avec Francis Giraud, nous avons contribué à accompagner la
création de CECOS avec nos centres de génétique. Nous
recevions les donneurs de sperme et nous voyions les couples. Que demandent les
couples qui veulent une insémination d'ovocytes ou un don de
sperme ? Ils demandent à ce que l'enfant soit conçu et,
très vite, à disparaître dans l'anonymat, en oublier qu'une
seringue est intervenue là où la nature ne suffisait pas.
Certains, comme Georges David, demandent la PMA-vigilance pour savoir si, dans
vingt ans, ceux qui ont été conçus en éprouvette
auront un peu plus de leucémies, un QI à peu près correct,
etc.
Bien entendu, c'est possible, mais je ne suis pas sûr que l'on puisse le
faire, car l'homme n'est pas un animal. On ne peut toujours le
considérer comme un sujet d'expériences, même quand la
science y trouve un intérêt.
L'accompagnement psychiatrique de ces fécondations
in vitro
ou de
ces inséminations finit à mon avis par marginaliser les gens ou,
en tout cas, en les identifiant, à les faire entrer dans une
démarche selon moi plus porteuse d'anomalies que d'autres choses !
En revanche, là où vous avez raison, c'est en matière
d'adoption. Oui, ces couples-là doivent être accompagnés.
Vous le savez, la logique de la PMA ou de l'AMP et la logique de l'adoption
sont deux logiques totalement différentes. Pour le moment, on a tendance
à dire aux gens: «Si cela ne marche pas, vous adopterez»,
laissant sous-entendre que c'est une alternative. Ce n'est pas le cas !
Dans la démarche de l'AMP, il s'agit bien de donner la vie à un
enfant, alors que dans l'adoption, c'est se donner à la vie d'un enfant,
ce qui est totalement différent !
Je ne crois donc pas que l'on puisse entrer dans l'adoption parce qu'on a
échoué l'AMP. Il faut faire un travail du deuil de l'enfant
biologique et se sentir totalement au clair au regard de sa propre
infertilité pour pouvoir s'engager dans l'adoption. C'est pourquoi je
suis tout à fait favorable à une mesure de cette nature, qui
pourrait proposer un accompagnement psychologique des couples après
échec de l'AMP.
J'ajoute un problème que vous n'avez évoqué ni les uns ni
les autres et qui, pourtant, me préoccupe beaucoup. Pourquoi ne suis-je
pas forcément très allant sur le développement de toutes
ces techniques d'assistance médicale à la
procréation ? ... Parce que l'on commence à en voir les
aspects négatifs ! Vous avez vu le rapport sur l'augmentation
quasiment parallèle de la prématurité et des enfants
nés prématurément, avec petit poids de naissance, voire
difficultés infirmes motrices cérébrales, etc. On sait que
ces techniques conduisent à transférer deux ou trois embryons
conçus
in vitro
. Le risque de prématurés est plus
grand et les registres que l'on a le vérifient.
C'est la raison de ma prudence. Je remercie M. Fischer d'avoir
souligné que j'avais évolué. Oui, j'avance tout doucement.
Il nous faut du temps. Le problème est que la durée de vie de
l'enfant est la même que celle du médecin qui l'observe. Ce n'est
pas du tout pareil que de faire des expérimentations sur des
drosophiles, des champignons ou des brebis, que vous pouvez recommencer.
C'est pour cela que je suis extrêmement prudent. Nous avons un facteur
limitant majeur, qui est la durée d'observation. Ce n'est pas la peine
d'attendre une génération pour recommencer l'expérience du
Distilbène !
Oui, ces techniques existent et on doit pouvoir les utiliser, mais on ne doit
jamais ni les généraliser, ni les banaliser, ni les exposer comme
étant faciles ! Je crois donc que nous devons faire preuve de la
plus extrême retenue.
M. Chérioux a rappelé notre démarche commune en 1994. Cela
reste un moment fort.
Je suis d'accord avec vous sur la notion de projet parental. Bien entendu,
lorsque le projet parental disparaît, l'embryon disparaît dans sa
bonne fin. Dès lors, si les parents sont d'accord, on peut probablement
en disposer dans des conditions très précises, de manière
à encadrer les choses.
Je ne crois pas que l'on puisse parler de réification de l'embryon. Je
crois qu'on peut parler de réification des cellules embryonnaires. Les
cellules embryonnaires ne sont pas l'embryon. C'est la raison pour laquelle,
pour ma part, je fais le distinguo entre la recherche sur l'embryon et la
recherche sur les cellules embryonnaires.
Je n'accepterai pas l'idée que l'on puisse fabriquer des embryons pour
ensuite en émietter les cellules et les utiliser !
La question du devenir de ces embryons a déjà été
posée il y a quinze ans. Je pense que la réflexion devait avoir
lieu. Les choses devaient mûrir. Je suis maintenant convaincu que nous
pouvons nous aventurer avec sagesse et prudence sur les voies que j'ai
définies tout à l'heure, à une exception près.
Je suis, en effet, scandalisé quand j'entends certains chercheurs me
dire : «Nous recherchons sur l'homme, et non sur le primate, parce
que c'est beaucoup plus facile d'avoir des spermatozoïdes, des ovules et
des embryons humains que de primates» ! Je pense que nous mettons
là sur le même pied des choses que l'on ne peut mettre sur le
même pied ! Il faut que la recherche fasse des efforts pour
développer les modèles animaux.
Je souhaite que l'on aille vers la vérification et la mise au point de
techniques nouvelles de reproduction et que l'on fasse d'abord tous ces
clonages et ces transferts nucléaires sur l'animal, avant de se poser la
question du transfert à l'homme !
Monsieur Cazeau, j'ai apprécié votre intervention. Vous m'avez
posé quelques questions que j'ai notées et sur lesquelles on
reviendra en séance.
Le travail sur les cellules souches embryonnaires ne signifie pas la
réification de l'embryon, mais je ne crois pas non plus qu'il s'agisse
d'une matière première banale, comme les tissus ou le sang humain.
On peut utiliser ces cellules embryonnaires dans des conditions très
particulières, mais il ne faut pas pour autant les considérer
comme une matière première banale. C'est la raison pour laquelle
il nous faut absolument un cadre très strict et très
précis.
Refuser de mener des recherches sur des cellules souches embryonnaires dans des
conditions éthiquement définies mais accepter d'importer des
cellules embryonnaires dont on ne pourrait garantir la façon dont elles
ont été conçues serait une véritable
hypocrisie !
Je ne sais si on pourrait garantir les principes éthiques et assurer
qu'au bout de la chaîne, une femme n'a pas été payée
à Singapour, en Corée ou ailleurs. Je préfère donc
fixer des principes vrais, stricts, à la française, pour
être à l'abri de ces dérives.
Sur le plan international, vous êtes à la fois utopique et
volontaire. C'est bien. Je ne crois pas que nous puissions nous contenter de
suivre. D'ailleurs, je ne suis pas certain que nous puissions nous entendre sur
certains sujets.
Sur le clonage reproductif, je pense que c'est le cas. En deux ans de travaux
au Comité de bioéthique européen, nous avons adopté
un protocole additionnel sur les transplantations d'organes, qui est maintenant
accroché à la convention d'Oviedo, mais nous avons dû
constater, en dehors de principes communs de fond importants, comme la
non-commercialisation du corps figurant, un désaccord absolu sur la
notion de la mort.
Les pays européens n'ont pas la même définition de la mort.
Nous, nous parlons de « mort cérébrale », et
nous l'avons acté ; d'autres pays disent qu'à partir du
moment où on qualifie la mort de «cérébrale», ce
n'est pas la mort tout court !
On a donc un vrai débat là-dessus, que l'on a dû renvoyer
à la décision des pays.
Deuxièmement, nous sommes sur la voie du consentement
présumé en France, mais la moitié des pays
européens le refusent ! Ils veulent un consentement explicite. Vous
ne pouvez, par présomption, ouvrir le corps d'un mort et prélever
un organe.
Nous n'avons pas pu nous mettre d'accord là-dessus, pas plus que sur
l'élargissement des donneurs vivants.
Vous voyez donc que même sur des activités qui ne sont pas aussi
difficiles que le début de la vie, on a, au plan international, des
repères difficiles.
Je crois qu'il faut plutôt être meneurs. La France a une vocation
des droits de l'homme. C'est pour cela que je voudrais, dans toute la mesure du
possible, que nous adoptions ce texte à la plus large majorité
possible, sinon à l'unanimité. Cela nous donnerait un poids
formidable dans les discussions européennes et internationales.
Bien sûr, nos chercheurs sont toujours en compétition. Certes, si
l'on va vers les cellules embryonnaires, nos chercheurs s'y mettront. Ils
monteront dans le train, mais ne seront pas dans les premiers wagons.
En revanche, si on lance très vite la recherche sur les cellules souches
adultes, ils pourraient être dans le wagon de tête. Un pays comme
la France ne peut être compétitif dans tous les domaines.
Choisissons les créneaux français qui correspondent à nos
valeurs et dans lesquels nous pouvons espérer ! On passe son tour
sur une technique, et on est en tête dans la technique suivante. C'est en
ce sens que je pense qu'il faut vraiment encourager nos chercheurs.
Enfin, j'ai, en partie, répondu dans ma réponse au rapporteur sur
l'APEGH et l'EFG : il faut l'autonomie des départements, mais ce
sont les mêmes principes sous-jacents -éthique,
sécurité sanitaire. Je vous demande de considérer cela
avec un oeil attentif, car si c'était la première marche vers la
grande agence, je crois que nous aurions fait une belle oeuvre !
Monsieur le Sénateur Lardeux, merci d'abord de vos propos très
aimables à mon endroit.
Je me suis mal fait comprendre : il est clair que le droit ne peut
s'affranchir de la morale, mais nous sommes aujourd'hui dans la situation
d'Antigone et de Créon. On n'invente rien ! Créon
défend le droit de la cité en refusant la sépulture au
frère d'Antigone, parce qu'il s'est retourné contre la
cité. Antigone défend le droit moral, parce que c'est son
frère, et parce que c'est son frère, elle veut qu'il soit
enterré !
Nous posons le problème aujourd'hui très exactement dans des
termes antiques ! Nous les abordons avec d'autres arguments, mais nous ne
pourrons jamais concilier l'éthique de responsabilité et
l'éthique de conviction, le droit moral et le droit civil. Antigone et
Créon sont éternels !
Naturellement, je vous rejoins sur la finalité de la recherche.
Très souvent, on ne sait pas ce que l'on va trouver, mais on sait quelle
est la thématique sur laquelle on démarre. Je crois qu'il faut
clairement que le ministère de la recherche et le ministère de la
santé indiquent là où l'on veut aller, d'abord et avant
tout dans l'intérêt de la médecine, et dans le respect de
nos principes éthiques.
S'agissant des surnuméraires, en réalité une lettre est
envoyée tous les ans aux couples pour leur demander leur position.
Je dois dire, là aussi, que le temps m'a beaucoup appris. La
démarche des couples qui veulent un enfant est orientée vers une
grossesse, un enfant -parfois deux, mais surtout un. S'ils ont six embryons au
congélateur, ils n'ont pas du tout le sentiment d'avoir six enfants
potentiels. Qu'on ait conçu six embryons, à la limite, cela leur
est égal. Ils ont eu leur enfant : le reste ne les intéresse
plus !
Certains nous disent presque : « Pour le reste, faites ce que
vous voulez ». Nous ne voulons bien évidemment pas les
déresponsabiliser à ce point. Il faut retourner vers eux, leur
rappeler que, malgré tout, ce n'est pas rien.
C'est tout l'intérêt qu'il y a à redéfinir les
conditions de la consultation préalable. C'est dans cette consultation
préalable, à mon avis, qu'on devrait clairement dire aux couples,
par avance, qu'en cas de décès ou de rupture du couple, on ne
garde pas les embryons, car on parle de l'embryon
post mortem
, mais dans
les couples qui se séparent ou qui divorcent et qui ont des embryons,
qui va avoir l'autorité parentale, l'autorité
partagée ? Ces gens ne veulent souvent plus se parler, n'ont plus
rien en commun ! Je crois que ceci doit être clairement
défini si l'on ne veut pas se trouver devant des situations abominables.
Monsieur le président Fischer, je crois qu'au fil du temps, j'ai
répondu à toutes vos questions, sauf à celle de
l'amendement Lefort.
Pourquoi vais-je vous demander de revenir sur l'écriture de l'amendement
Lefort, même si je l'ai voté et qu'il exprime, de manière
frontale et directe, la volonté de ne pas voir une séquence
génétique brevetée ?
Je voudrais que nous réécrivions cela pour ne pas être
accusés d'être anti-progrès et anti-biotechnologies.
Pour être le plus clair possible, je veux que l'on puisse breveter la
technologie et non le bio. Je veux que l'on considère que le
gène, qui est la matière première vivante, n'est pas
brevetable. Je m'en rends compte aujourd'hui quand je suis confronté
à la mise au point du dépistage du cancer du sein familial
d'origine génétique et à l'obligation de myriades, que
nous allons transgresser par le biais de licences, etc.
Croyez bien que, dans le texte, sera bien spécifié ce qu'a
souhaité l'Assemblée Nationale et que j'avais moi-même
appelé de mes voeux en 1996, dans le rapport que j'avais fait pour
l'office interparlementaire, qui avait débouché sur le vote
à l'unanimité d'une proposition de résolution condamnant
les brevets sur le vivant.
Si nous ne voulons pas rompre le dialogue et passer pour des gens
opposés aux biotechnologies, il nous faut préciser dans un
amendement que nous sommes contre le brevet de la séquence, mais pour
que cette séquence soit utilisée dans une méthode qui,
elle, peut faire l'objet d'un brevet. Il faut donc que nous explicitions bien
ce qui, pour nous, est sanctuarisé et ce qui est, au contraire, ouvert
à la commercialisation, le brevet et la libre-concurrence, pour le
mieux-être des malades.
Je suis consterné de l'évolution qu'ont prises les choses -mais
ce sont des responsabilités politiques partagées. Les politiques,
y compris les parlementaires européens de tous bords -qu'il s'agisse du
PC, du PS ou de la droite- ont voté cette directive des deux mains. Il
faut dire qu'ils n'étaient pas très nombreux en fin de mandature
et en fin de session, début juillet !
Le fait est que, lorsque je défends ce texte en disant qu'il est ambigu,
on me répond : « Les députés l'ont
voté, les commissions l'ont adopté, la commission et le conseil
des ministres aussi : vous venez un peu tard ! ».
Mon souci, aujourd'hui, est que l'on puisse transposer la directive
« biotechnologies » parce qu'on en a besoin, et je veux
très clairement préciser notre vision de l'article 5 dans
l'alinéa 2.
M. Nicolas ABOUT, président - Merci beaucoup, monsieur le ministre.
Nous sommes ravis d'avoir pu débattre avec vous de tous ces points si
sensibles, et en particulier du dernier, la brevetabilité, qui est
effectivement une difficulté que nous devons régler.
Merci à vous tous.