B. LA RECENTRALISATION RAMPANTE DE LA POLITIQUE DE L'EAU
1. Un financement hypocrite de la politique de l'eau
a) Faire payer par les agences la politique de l'eau du ministère
L'instauration du FNSE permet de faire payer la politique de la
direction de l'eau par les agences de l'eau. Les crédits de la direction
de l'eau ont été réduits drastiquement (- 23 %) alors que
le prélèvement du FNSE sur les agences a été
revalorisé (+ 7 %). Le ministère a lui-même indiqué
que «
la forte diminution qui affecte la protection de l'eau et
des milieux aquatiques est compensée par l'augmentation des
crédits inscrits au fonds national de solidarité pour
l'eau
».
Le FNSE a vocation à financer des actions de péréquation
entre bassins et à renforcer les moyens de l'Etat dans le domaine de la
politique de l'eau. Cette définition ne conduit toutefois pas à
un partage très clair, en dépit d'une
« clarification » censée être intervenue dans
la loi de finances initiale pour 2001, entre les dépenses qui
relèvent du FNSE et celles qui doivent s'imputer sur le budget
général.
Votre rapporteur spécial avait déjà
dénoncé
une répartition des dépenses peu claire
entre le budget de la direction de l'eau et le FNSE et dont le critère
objectif était inconnu. Ce partage flou des dépenses fait du FNSE
la
variable d'ajustement du budget de la direction de l'eau
. En 2002,
dans un contexte de réduction des moyens budgétaires votés
dans le cadre du présent projet de loi de finances pour la direction de
l'eau, le FNSE va représenter plus de 70 % des ressources de cette
direction.
Le FNSE fournit l'essentiel des moyens de la direction de l'eau
en millions d'euros et en % |
2000 |
2001 |
2002 |
Montant du FNSE |
78 |
78 |
83,4 |
Autres moyens de la direction de l'eau |
36 |
43 |
33 |
Total |
114 |
121 |
116,4 |
FNSE / Total |
68,4 % |
64,5 % |
71,6 % |
Source : projet de loi de finances pour 2002
Il paraîtrait légitime que l'Etat assume sur son propre budget
général les dépenses qui lui incombent au titre de ses
missions régaliennes et des actions de solidarité et que le
compte spécial du Trésor ne finance que des actions
d'intérêt commun aux agences.
Le partage flou des dépenses a également été dénoncé par la Cour des comptes
«
La Cour constate que la distinction entre les
dépenses qui relèvent respectivement du budget
général et du FNSE n'est pas claire. Les limites de
compétence entre le budget général et le FNSE ont
semble-t-il donné lieu à des interprétations divergentes
et évolutives. On peut se demander, plus généralement, si
les actions de solidarité dans le domaine de l'eau qui, selon les termes
de la loi de finances pour 2000, définissent le périmètre
d'activité du FNSE, ne devraient pas plutôt toutes relever du
budget général. L'affectation à ce dernier du
prélèvement sur les agences de bassin aurait sans doute permis de
financer des dépenses plus urgentes
».
Source : rapport de la Cour des comptes sur l'exécution des lois
de finances pour l'année 2000
b) Des crédits sous-consommés
La gestion des crédits en 2000 a entraîné des reports très importants sur 2001 (14,8 millions d'euros soit près de 20 % de la dotation initiale). L'importance de ces reports, liée à des engagements de crédits tardifs, s'explique principalement par la mise en place de nouvelles procédures au cours de l'année 2000, notamment pour des politiques récentes qui nécessitaient la parution de textes spécifiques (programme d'incitation aux économies d'eau dans l'habitat collectif social, lutte contre les pesticides). La gestion 2000 se caractérise également par un taux de consommation extrêmement faible : 27 % au total mais seulement 4 % pour les crédits d'investissement.
La sous-consommation des crédits a également été critiquée par la Cour des comptes
«
Le taux de consommation globale est de 29 % et
il est
seulement de 4 % pour les crédits d'équipement. Les
procédures administratives nécessaires pour que ces
crédits soient utilisés par les services
déconcentrés ont été lentes, le ministère ne
s'y étant pas préparé suffisamment tôt. Les
dépenses sont notamment très faibles pour les mesures nouvelles
qui n'étaient pas financées auparavant par le ministère
(à travers notamment les fonds de concours des agences de bassin) telles
que la réduction des pollutions diffuses ou la restauration des milieux
dégradés. On peut ainsi s'interroger sur l'affectation des
prélèvements sur les agences à un compte spécial du
Trésor plutôt qu'au budget général (pas
nécessairement en faveur de l'environnement) où ils auraient pu
financer des dépenses plus urgentes.
»
Source : rapport de la Cour des comptes sur l'exécution des lois
de finances pour 2002
La gestion des crédits 2001 n'est guère plus flatteuse : le
taux de consommation à la fin du mois de septembre 2001 s'établit
à 11 % et 1 % seulement en investissement. Les taux d'ordonnancement
sont un peu plus élevés : 46 % pour l'ensemble du fonds et 8
% seulement pour les dépenses d'investissement.
Consommation des crédits 2001 (au 28 septembre 2001)
En francs |
LFI |
Reports |
Disponible (2) |
Ordonnancé (1) |
(1)/(2) |
Chapitre 6 |
16 000 000 |
14 079 059 |
30 079 059 |
12 096 801 |
40,2% |
Chapitre 7 |
226 590 000 |
264 968 358 |
491 558 358 19( * ) |
31 086 393 |
6,3% |
Total investissement |
242 590 000 |
279 047 417 |
521 637 417 |
43 183 194 |
8,3% |
Chapitre 8 |
163 340 000 |
59 407 398 |
222 747 398 20( * ) |
145 368 254 |
65,3% |
Chapitre 9 |
106 070 000 |
16 126 486 |
122 196 486 |
110 058 108 |
90,1% |
Chapitre 10 |
0 |
3 125 196 |
3 125 196 |
0 |
0,0% |
Chapitre 11 |
0 |
0 |
0 |
0 |
|
Chapitre 12 |
0 |
0 |
0 |
0 |
|
Total fonctionnement |
269 410 000 |
78 659 080 |
348 069 080 |
255 426 362 |
73,4% |
Total |
512 000 000 |
357 706 497 |
869 706 497 |
400 794 616 |
46,1% |
Source : ministère de l'environnement -
contrôle financier central
Cette faiblesse des taux de consommation des crédits du FNSE a
déclenché un débat lors de la première lecture du
présent projet de loi de finances à l'Assemblée nationale.
Notre collègue député Didier Migaud, rapporteur
général du budget a indiqué : «
quand on
regarde le taux de consommation des crédits, on voit bien qu'il y a un
problème
»
21(
*
)
... Le gouvernement a
indiqué, en réponse, que des instructions avaient
été données pour que l'exercice de programmation des
crédits déconcentrés soit avancé et pour que soient
privilégiés les régions et les départements
où la consommation des crédits est la plus importante.
C'est pour ces deux raisons (absence de définition des dépenses,
sous-consommation) que le Sénat a supprimé l'article 15 du
présent projet de loi de finances et proposé d'instituer une
« année blanche » en matière de
prélèvement sur les agences de l'eau, d'autant que le projet de
loi portant réforme de la politique de l'eau doit être l'occasion
de reposer ces questions et de leur trouver des réponses plus
adaptées pour les prochaines années.
2. Le projet de loi sur l'eau soulève des inquiétudes
Le
projet de loi portant réforme de la politique de l'eau est devenu
l'arlésienne de l'ordre du jour parlementaire : toujours
annoncé, aucune date n'est à ce jour fixée pour son examen
en première lecture par l'Assemblée nationale.
Ce projet de loi comportera trois grands volets :
1-
les redevances des agences de l'eau qui sont actuellement
inconstitutionnelles seront réformées
afin que le
Parlement fixe l'assiette et encadre les taux des redevances.
Mettre fin à l'inconstitutionnalité des redevances
En
effet, la loi de 1964
22(
*
)
instituant les agences de l'eau n'a pas précisé la nature
juridique de leurs redevances. Celle-ci a donc été
déterminée par la jurisprudence. Dans un premier temps, le
Conseil d'Etat a conclu au caractère
sui generis
de ces
redevances : elles ne constituaient ni des taxes parafiscales, ni des
impôts, ni des taxes syndicales, mais relevaient de la catégorie
très vague des impositions autres que fiscales. Dans un second temps,
le
Conseil constitutionnel
a établi que les redevances
ne constituaient ni des taxes parafiscales, ni des rémunérations
pour service rendu mais relevaient bien des « impositions de toutes
natures » prévues à l'article 34 de la Constitution.
Les redevances constituent donc des ressources de nature fiscale soumises
à l'article 34 de la Constitution
23(
*
)
.Or, dans le cas des redevances des
agences de l'eau, les termes de l'article 34 ainsi que les prescriptions du
Conseil constitutionnel ne semblent pas respectés. En effet : en
vertu de l'article 14 de la loi de 1964, le conseil d'administration de
l'agence fixe l'assiette ainsi que le taux des redevances (avec avis conforme
du comité de bassin) et un décret en Conseil d'Etat
détermine les modalités d'application de cet article.
Il est également prévu que le Parlement fixe pour la durée
du programme quinquennal le montant maximal des redevances perçues par
les agences et celui des dépenses qu'elles peuvent engager.
Le projet de loi propose également :
- de modifier des redevances existantes ;
- et de créer de nouvelles redevances (sur la modification du
régime des eaux superficielles et sur les excédents d'azote des
exploitations agricoles).
2- Le projet de loi prévoit également une
réforme des
missions et de l'organisation du service public de l'eau
avec notamment
l'encadrement de la partie fixe de la facture d'eau et l'instauration d'un haut
conseil des services publics de distribution d'eau et de l'assainissement.
3- Enfin, le projet doit permettre la
mise en oeuvre de la directive-cadre
sur l'eau.
Votre rapporteur spécial demeurera vigilant lors de la
présentation de ce projet de loi et de son examen par le Parlement afin
qu'il ne se traduise pas par une re-centralisation de la politique de l'eau au
profit de l'Etat et au détriment tant des agences de l'eau que des
collectivités locales.
Il souhaite également mettre en garde le gouvernement contre un
dispositif d'une complexité sans égale s'agissant de la taxe sur
les excédents d'azote qui nécessitera l'établissement de
bilans entrée-sortie pour chaque exploitation agricole.