II. LE PROGRAMME 183 : UNE PROGRESSION DES CRÉDITS DE L'AIDE MÉDICALE DE L'ÉTAT

A. LA PROGRAMMATION DE LA DÉPENSE DE L'AIDE MÉDICALE DE L'ÉTAT : UN EXERCICE DÉLICAT

Les crédits du programme 183 « Protection maladie » sont composés à 99,1 % des moyens alloués au dispositif de l'aide médicale de l'État (AME). Pour 2019, il est prévu de consacrer 934,9 millions d'euros au financement de l'AME, contre 889,7 millions d'euros ouverts en loi de finances initiale pour 2018, soit une progression de 5,1 %. Pour 2019, les crédits de l'AME se décomposent de la façon suivante :

- 893,4 millions d'euros au titre de l'AME de droit commun, qui permettent la prise en charge des soins des personnes étrangères en situation irrégulière résidant en France de manière ininterrompue depuis plus de trois mois et dont les ressources sont inférieures au plafond de ressources de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C). Ce montant est en hausse de 6 % par rapport à celui consenti en loi de finances initiale pour 2018 32 ( * ) ;

- 40 millions d'euros au titre des soins urgents, « dont l'absence mettrait en jeu le pronostic vital ou pourrait conduire à une altération grave et durable de l'état de santé de la personne ou d'un enfant à naître » 33 ( * ) , assurés par les hôpitaux pour les patients étrangers en situation irrégulière mais non éligibles à l'AME de droit commun car ne justifiant pas de la condition de durée de séjour. Ces soins sont réglés par l'assurance maladie qui perçoit, en retour, une subvention forfaitaire de l'État dont le montant n'a pas varié depuis 2008 ;

- 1,5 million d'euros au titre d'autres dispositifs en lien avec les objectifs poursuivis par l'AME, dont :

? l'AME dite « humanitaire » permettant, sur décision individuelle prise par le ministre chargé de la santé, la prise en charge des soins hospitaliers en France de patients français ou étrangers ne résidant pas habituellement en France. Ce dispositif n'a pas le caractère d'un droit pour les personnes soignées et concerne, chaque année, moins d'une centaine de prises en charge ;

? les évacuations sanitaires d'étrangers résidant à Mayotte vers des hôpitaux de La Réunion ou vers la métropole ;

? l'aide médicale pour les personnes gardées à vue, ne finançant que la prise en charge des médicaments et les actes infirmiers prescrits.

1. Une évaluation du coût de l'aide médicale de l'État toujours sujette à caution

Les modalités de détermination par le Gouvernement de la dépense associée à l'AME sont régulièrement critiquées par la Cour des comptes et les commissions des affaires sociales et des finances du Sénat. Pour mémoire, au cours de l'examen du projet de loi de finances pour 2018, le Gouvernement avait minoré de 40 millions d'euros les crédits destinés à l'AME, en se fondant sur « les dernières prévisions relatives aux exercices 2017 et 2018 ».

En examinant les projets annuels de performances annexés aux projets de loi de finances et les crédits effectivement inscrits en loi de finances, votre rapporteure s'est attachée à retracer l'évolution depuis 2004 du nombre de bénéficiaires de l'AME de droit commun, de la dépense correspondante et des crédits ouverts à cet effet. Il apparaît que les crédits prévus en loi de finances au titre de l'AME de droit commun ont été systématiquement sous-estimés par rapport à la dépense exécutée, même si l'écart semble s'être réduit en 2017.

Évolution du nombre de bénéficiaires de l'AME de droit commun,
de la dépense correspondante et des crédits ouverts à cet effet en LFI de 2004 à 2017

Source : Commission des affaires sociales du Sénat à partir des réponses du Gouvernement au questionnaire de la commission et des projets annuels de performances annexés aux projets de loi de finances

À l'appui de ses prévisions de dépenses d'AME pour 2019, le Gouvernement a retenu les hypothèses suivantes :

- une croissance du nombre annuel de bénéficiaires de l'AME de 4,7 % en moyenne par an, compte tenu de la dynamique observée au cours des derniers exercices ;

- une stabilisation du coût moyen des soins pris en charge hors inflation. Pour 2019, l'hypothèse d'un coût moyen par trimestre par bénéficiaire de 871 euros, soit une dépense annuelle avoisinant les 3 500 euros par bénéficiaire.

Par nature, ces deux types de données sont difficiles à anticiper. Il n'en demeure pas moins que la sous-budgétisation constante des dépenses d'AME interroge la sincérité de la programmation proposée par le Gouvernement et le sérieux de l'exécution du budget. Dans son analyse de l'exécution du budget 2017, la Cour des comptes a formulé ainsi plusieurs critiques à l'égard de la gestion budgétaire de l'AME :

- elle déplore que, pour la programmation 2017 de la dépense d'AME, « le coefficient multiplicateur correspondant à la hausse anticipée des dépenses d'AME ait été appliqué aux crédits ouverts en LFI 2016 et non aux crédits consommés. » Il semblerait que le contrôleur budgétaire et comptable ministériel ait pourtant, à plusieurs reprises, informé le Gouvernement en 2016 de l'insuffisance des montant alloués en LFI par rapport aux dépenses réelles ;

- elle dénonce une « prise de risque excessive » dans les annulations de crédits effectuées sur le programme 183, de l'ordre de près de 10 millions d'euros en autorisations d'engagement, le Gouvernement se fondant sur une baisse tendancielle du nombre de demandes d'AME. Or une hausse non anticipée des dépenses d'AME à la fin de l'année 2017 a conduit la dette de l'État à l'égard de l'assurance maladie au titre de l'AME à progresser de 21,1 millions d'euros en 2016 à 37,8 millions d'euros en 2017 (+ 79 %).

Après avoir été apurée par la loi de finances rectificative pour 2015 par affectation de produits de TVA, cette dette est réapparue dès la fin de l'exercice 2015. Aucune mesure n'est intervenue depuis cette date pour la solder.

Montant de la dette cumulée de l'État vis-à-vis de l'assurance maladie
au titre de l'AME de droit commun entre 2007 et 2017

(en millions d'euros)

Année

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

Montant
de la dette cumulée

246,3

278,5

- 6

- 15,1

6,2

38,7

51,6

57,3

12,5

11,5

49,8

Source : Réponses du ministère des solidarités et de la santé au questionnaire de la commission des affaires sociales

En outre, il convient de souligner que la participation forfaitaire de l'État à la prise en charge des soins urgents prodigués aux étrangers en situation irrégulière et non éligibles à l'AME de droit commun, d'un montant annuel de 40 millions d'euros depuis 2008, n'a couvert que 52 % de la dépense de soins à la charge de la Cnam en 2016 (76,9 millions d'euros) et 62 % en 2017 (65,1 millions d'euros). Sur les 8 172 séjours pris en charge en 2017 au titre des soins urgents, plus de la moitié ont relevé de la médecine 34 ( * ) et près du tiers de l'obstétrique. Bien que les coûts des soins urgents soient désormais mieux objectivés par les hôpitaux, le différentiel entre la compensation par l'État et la dépense réelle à la charge des établissements de santé et l'assurance maladie n'est pas considéré par l'État comme une créance et ne donnera donc lieu à aucun apurement.

Couverture par l'État des dépenses d'AME au titre des soins urgents

Source : Réponses du ministère des solidarités et de la santé au questionnaire de la commission des affaires sociales

Depuis 2009, ce sont en moyenne 53 millions d'euros qui ont été supportés par l'assurance maladie chaque année dans la prise en charge des soins urgents dispensés aux étrangers en situation irrégulière, sans compensation de la part de l'État. Sur la seule période 2009-2017, la non-compensation de ces dépenses cumulées s'établit à 475 millions d'euros pour les hôpitaux, soit plus que la progression annoncée de l'Ondam en 2019 (+ 400 millions d'euros).

Par conséquent, votre commission appelle de ses voeux la mise en place dans les plus brefs délais d'un référentiel d'évaluation et de projection solide de la dépense de l'AME qui soit défini, alimenté et régulièrement réactualisé par une cellule placée auprès de la direction de la sécurité sociale.

Cette cellule pourrait associer le contrôleur budgétaire et comptable ministériel, la Cnam, les directeurs généraux d'agences régionales de santé, Santé publique France et l'institut de recherche et de documentation en économie de la santé. L'expertise de ces différents organismes permettrait, à partir des données relatives au profil des bénéficiaires et aux types de soins, d'établir des projections de dépenses affinées et de renforcer ainsi la sincérité de la programmation de la dépense.

2. Un renforcement bienvenu de l'efficience de la gestion de l'aide médicale de l'État
a) Un meilleur pilotage du dispositif par le regroupement de la gestion des dossiers sur trois pôles

Conformément aux recommandations d'un rapport de l'inspection générale des affaires sociales et de l'inspection générale des finances de 2010 35 ( * ) , des réformes du dispositif de l'AME ont été entreprises afin d'en rationaliser la gestion. La principale d'entre elles a consisté à aligner la tarification des séjours hospitaliers pour les soins somatiques des patients accueillis au titre de l'AME 36 ( * ) et a permis des économies estimées par le Gouvernement entre 80 et 140 millions d'euros par an.

Par ailleurs, dans un objectif d'efficience, le directeur général de la Cnam a décidé, en juillet 2016, de confier la gestion de l'AME à trois pôles en France métropolitaine, les caisses générales de sécurité sociale dans les outre-mer continuant à instruire les demandes des personnes résidant dans leur circonscription. Les trois caisses primaires d'assurance maladie de Paris, Bobigny et Marseille instruiront ainsi à compter de 2019 l'ensemble des demandes d'AME dans l'hexagone. Votre commission salue cet effort de mutualisation qui semble de nature à permettre, outre des économies de gestion, un renforcement du pilotage du dispositif et du contrôle des dossiers.

Cette nouvelle organisation est l'opportunité de mettre en oeuvre une solution nationale de gestion de l'AME. Le projet concerne l'ensemble des demandes d'AME de droit commun. Le projet intègre la mise en place d'un outil de gestion de l'AME, unique, destiné à l'ensemble des organismes appelés à instruire ce type de dossiers. Dans ce cadre, la fabrication de la carte est centralisée à Cergy au centre de personnalisation des cartes Vitale.

Ce projet de mutualisation permettra d'harmoniser la gestion des dossiers de demandes d'AME et de maintenir l'égalité de traitement sur le territoire, d'optimiser le traitement des demandes et d'améliorer les délais d'accès aux droits et aux soins, de tracer l'ensemble des demandes reçues et le traitement apporté au dossier jusqu'à la remise de la carte mais aussi de fiabiliser la saisie des informations et de constituer une base de données permettant de fournir les données concourant à l'alimentation de l'arrêté statistique trimestriel, des indicateurs de pilotage et des indicateurs de maîtrise des risques.

Le délai d'instruction des demandes d'AME demeure aujourd'hui stable, à 25 jours, une cible à 20 jours ayant été fixée pour 2020 au bénéfice d'une simplification des formulaires et de la procédure précisée par une circulaire de juin 2018.

b) Des avancées dans la lutte contre la fraude

À l'heure actuelle, 10 % des dossiers d'AME font l'objet d'un double contrôle. Cette proportion devrait être portée à 12 % d'ici à 2020.

En matière de lutte contre la fraude, votre rapporteure salue les efforts conduits par la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Paris pour renforcer son contrôle de la réalité de la résidence en France. Elle a ainsi testé en 2018 un programme de contrôle visant à cibler des multi-hébergeurs de bénéficiaires de l'AME. La méthodologie de ce contrôle peut s'appuyer sur les constats réalisés par la caisse dans le cadre d'un dossier de fausse domiciliation ayant abouti à la condamnation pénale d'un hébergeur ayant fourni des attestations d'hébergement contre rémunération à plusieurs personnes afin d'obtenir l'AME. Elle a également pu identifier 15 adresses comportant des compléments d'adresse de type « Chez » ou « CZ ».

En 2018, 38 signalements ont fait l'objet de l'application d'une pénalité financière au titre de l'article L. 114-17-1 du code de la sécurité sociale. Il s'agit de fausses déclarations relatives à la date d'entrée effective en France, à la réalité de la résidence ou au montant des ressources réelles. Ces dossiers ont donné lieu à l'application de pénalités comprises entre 100 euros et 3 269 euros. Parallèlement à l'application d'une pénalité financière, il est procédé à la récupération de l'indu éventuel par voie d'assignation ou de contrainte. En 2018, les indus constatés s'élèvent à la somme de 131 456,97 € pour 27 dossiers, soit en moyenne 4 873 euros par dossier.

En matière de poursuites pénales, huit dossiers ont fait l'objet de plaintes déposées par la CPAM de Paris au cours des dernières années. Aucune plainte concernant une fraude à l'AME n'a été déposée en 2018 à ce stade. La CPAM de Paris a déjà obtenu des condamnations pénales d'hébergeurs.

Votre rapporteure insiste néanmoins sur les difficultés rencontrées par les CPAM pour détecter les demandes formulées par des requérants qui disposent en réalité d'un visa touristique. Elle plaide par conséquent pour un accès des CPAM aux informations de la base « Réseau Mondial Visa » (RMV) du ministère des affaires étrangères. Un accès étendu et automatique des CPAM aux bases de données Visabio et de l'outil de la préfecture de Paris « Application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France » (AGDREF) sur les titres de séjour délivrés permettrait également de renforcer et fiabiliser les contrôles.


* 32 842 millions d'euros, un amendement du Gouvernement ayant procédé à un rebasage technique minorant de 40 millions d'euros la prévision initialement inscrite dans le projet de loi de finances « des dernières prévisions relatives aux exercices 2017 et 2018 ».

* 33 Art. L. 254-1 du code de l'action sociale et des familles.

* 34 Dont 14,5 % en pneumologie et 13 % en hépato-gastro-entérologie.

* 35 Igas-IGF, Analyse de l'évolution des dépenses au titre de l'aide médicale d'État , n° RM2010-162P (Igas) et n° 2010-M-065-03 (IGF), novembre 2010.

* 36 Article 50 de la loi de finances rectificative pour 2011.

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