B. CASABIANDA, CAEN ET MAUZAC : FAUT-IL UNE PRISE EN CHARGE SPÉCIFIQUE DES DÉLINQUANTS SEXUELS ?

Votre rapporteur s'est rendu dans les centres de détention de Casabianda en Haute-Corse (30 mars 2007) et de Mauzac en Dordogne (5 novembre 2007) ainsi que dans le centre pénitentiaire de Caen (19 octobre 2007).

Ces trois structures se singularisent à plusieurs titres au sein des établissements pénitentiaires. D'abord, elles accueillent essentiellement des délinquants sexuels . En principe le système pénitentiaire français ne différencie pas les conditions de détention selon la nature de l'infraction commise. Dans la pratique cependant, les auteurs d'infractions sexuelles -les « pointeurs » dans le langage des prisons- sont en bute aux brimades voire aux violences des autres détenus. Ils doivent donc souvent, pour leur sécurité, être regroupés dans des cellules ou des quartiers séparés. A Caen, Mauzac et Casabianda, la logique de la séparation est conduite à son terme puisque ces trois structures sont principalement dédiées aux délinquants sexuels.

Deuxième caractéristique commune aux trois établissements, liée au comportement généralement paisible des délinquants sexuels incarcérés : un régime de détention marqué par une réelle souplesse . Ainsi, les détenus disposent de la clef de leur cellule et peuvent circuler librement au sein du centre pendant la journée.

Troisième trait partagé : l' emprise foncière particulièrement étendue dont bénéficient ces établissements leur permet de proposer des activités (travail ou formation) sans autre exemple dans les autres établissements pénitentiaires.

Des trois centres, Casabianda est certainement le plus original. Il est en effet ouvert , sans mur d'enceinte. Le domaine n'est limité que par ses « frontières naturelles » (et notamment la mer sur 7 kilomètres environ). Il s'étend sur 1.778 hectares comportant des forêts et des terres de culture. Il se présente sous la forme d'une grande exploitation agricole avec trois bâtiments cellulaires à proximité du littoral et sept pavillons ou annexes répartis sur le domaine.

D'une capacité de 187 places, il était occupé au premier trimestre 2007 par 172 hommes dont 48 condamnés à des peines correctionnelles et 124 à des peines criminelles. La densité carcérale est de l'ordre de 95 % en moyenne. Au 1 er janvier 2006, l'effectif du personnel de surveillance s'élevait à 38 24 ( * ) .

Comme Casabianda, Mauzac est éloigné des centres urbains. De même il dispose d'un domaine agricole étendu (97 hectares), dans lequel peuvent être conduites plusieurs formations.

Contrairement à Casabianda, Mauzac est néanmoins un lieu fermé, organisé autour de deux structures -closes l'une et l'autre- : l'« ancien » 25 ( * ) centre doté d'une capacité de 80 places bientôt complété par un bâtiment de 40 places, le « nouveau » centre ouvert depuis 1986 et comportant 252 places réparties entre 21 pavillons de 12 cellules. Cette configuration voulue sur le modèle d'un petit village intra-muros est exceptionnelle parmi les établissements pénitentiaires. La population pénale moyenne annuelle est de l'ordre de 329 détenus (75 % pour affaires criminelles). En 2007 l'effectif des personnels de surveillance s'élève à 137.

Le centre pénitentiaire de Caen est d'aspect plus classique. Situé dans la ville de Caen et entièrement clos, il dispose cependant d'un vaste terrain qui lui permet d'accueillir de nombreux ateliers. L'effectif moyen de la population pénale est en 2006 de 420 condamnés (en quasi totalité pour crimes) pour une capacité théorique de 429 places (dont 34 dans des cellules doubles). Au 31 décembre 2006, l'établissement comptait 161 surveillants.

Un profil de délinquants spécifique

Dans les trois établissements, plus de 80 % des détenus sont des délinquants sexuels. La majorité des infractions a été commise sur des mineurs de moins de 15 ans. Les faits ont également en majorité été commis dans un cadre intrafamilial (65 % à Mauzac par exemple) ce qui complique ensuite le maintien des liens entre les détenus et leurs proches .

Ainsi à Caen beaucoup de détenus ne tirent pas parti de la faculté qui leur est reconnue d'appeler régulièrement dix numéros de téléphone différents. Certains n'utilisent qu'un ou deux numéros. D'autres ont pour seul contact avec l'extérieur l'aumônier ou le visiteur des prisons. Cependant les responsables de l'établissement de Caen ont indiqué à votre rapporteur que les infractions intrafamiliales ne se traduisaient pas nécessairement par une rupture : soit celle-ci n'intervenait qu'avec une partie de la famille, soit elle était suivie d'une reprise de contact.

Cette catégorie de population pénale est plus âgée que la moyenne des détenus (à Caen, la moyenne d'âge est passée de 38 ans en 1990 à 47 ans en 2006 ; à Casabianda, 83 % des détenus étaient âgés de plus de 40 ans).

Ce vieillissement n'est pas sans incidence sur l'état de santé des personnes (à Caen, deux détenus sont en fauteuil roulant). Le responsable de l'UCSA de Caen a observé que si elles n'étaient pas détenues, certaines seraient considérées comme des patients susceptibles d'être hospitalisés. Les cellules de ces établissements ne sont pas adaptées pour des personnes dont la mobilité est réduite et les aménagements limités auxquels il a pu être procédé -comme à Caen- ne répondent pas aux normes retenues pour les nouveaux établissements pénitentiaires.

Les personnes atteintes de troubles psychiatriques ne semblent pas représenter une proportion plus importante que dans les autres établissements pénitentiaires (elle serait même plutôt moindre selon les responsables du centre pénitentiaire de Caen). Cette proportion est estimée à 10 % de l'effectif des détenus à Mauzac -un médecin du centre de détention a toutefois observé que 20 % de la population pénale avaient eu recours à des psychotropes, ce qui pouvait constituer un indicateur de l'état psychique des détenus.

Enfin, dans l'ensemble cette population se caractérise par un comportement généralement calme. Il convient de distinguer néanmoins entre le centre pénitentiaire de Caen qui accueille des condamnés pour la totalité de leur peine (parmi lesquels, fin 2006, 38 condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité) et où des violences ont pu être perpétrées à l'encontre du personnel, et les centres de détention de Mauzac ou de Casabianda qui ont vocation à accueillir en majorité des fins de peine et où le nombre d'incidents est très faible. A Casabianda, le quartier disciplinaire qui ne répondait plus aux normes a été fermé. Dans ce centre comme à Mauzac, la sanction la plus effective est le transfert du condamné vers une maison d'arrêt où les conditions de détention sont nettement moins favorables.

Des opportunités de formation et d'emploi plus nombreuses et plus variées que dans les autres établissements

A Casabianda, la vocation agricole de la structure permet d'offrir une grande diversité d'emplois avec des niveaux de qualification variés. Les condamnés peuvent aussi travailler pour le compte du service général. Il s'agit sans doute du seul établissement pénitentiaire français en mesure de donner un emploi à chaque condamné 26 ( * ) . Comme l'a rappelé à votre rapporteur le responsable de l'établissement, cette médaille a un revers : le centre forme en effet des sortants à des métiers du secteur primaire devenus marginaux dans l'économie moderne et qui, par conséquent, embauchent de moins en moins.

En outre, faute d'investissements à la mesure d'une exploitation de cette taille, les outils et les méthodes risquent d'apparaître en décalage par rapport à l'évolution des techniques à l'extérieur.

A Mauzac, le domaine agricole constitue le support pédagogique de quatre formations qualifiantes 27 ( * ) accueillant une cinquantaine de stagiaires pour une durée moyenne de 12 à 18 mois (à raison de 30 heures par semaine). Cette formation s'accomplit dans le cadre du placement extérieur. Aucun niveau préalable n'est requis. Cette formation est organisée par l'association « Formation avancée conseil 24 » (AFAC 24) sur un financement du ministère du travail et du fonds social européen. Les interlocuteurs de votre rapporteur n'ont pas caché leurs inquiétudes sur l'évolution de ces subventions (en 2006, un gel des crédits sur le budget formation avait conduit à interrompre la rémunération des détenus en formation -2,26 € par heure, actuellement, à hauteur d'un maximum de 120 heures par mois, qui est pourtant une incitation forte).

A Caen, l'établissement accueille 7 entreprises concessionnaires et peut proposer un effectif théorique d'emploi de 200 personnes. Il convient toutefois de relever deux tendances soulignées par le rapport d'activité de 2006 : d'une part, un recul net des activités industrielles et une progression sensible des postes de conditionnement, pliage, manutention ce qui correspond à une tendance générale dans l'ensemble des établissements pénitentiaires ; d'autre part, un renforcement du caractère saisonnier de plusieurs activités sur la zone des ateliers. Le passage d'un emploi maximum pendant quelques semaines à des périodes de basse activité entraîne une baisse du revenu en détention (avec un impact sur l'indemnisation des parties civiles) et suscite à ce titre le mécontentement de la population pénale.

L'établissement souffre en outre de la vétusté des ateliers qui pèse sur les conditions de travail des détenus (notamment au regard de la sécurité) et la productivité.

Un suivi encore insuffisant des délinquants sexuels au sein de ces établissements n'est pas à la mesure des besoins

Force est de constater qu'aujourd'hui les moyens humains manquent pour assurer un véritable suivi de la population pénale dans les établissements concernés.

La prise en charge psychiatrique souffre de l'insuffisance du nombre de psychiatres publics : à Casabianda, le suivi médico-psychologique des détenus est assuré par un médecin psychiatrique du secteur hospitalier de Bastia qui effectue deux vacations par semaine -l'unité de soins médico-psychologiques fonctionnant désormais avec le renfort d'une psychologue à plein temps ; à Mauzac un psychiatre intervient une fois par semaine (alors que la convention avec l'hôpital prévoit trois journées et demi de présence). Le responsable de l'UCSA de Mauzac a estimé tout à fait illusoire la possibilité dans un centre aussi isolé que celui-ci - a fortiori lorsque le département dans lequel il est implanté souffre d'une pénurie de psychiatres- d'assurer une prise en charge effective des détenus atteints de troubles psychiques.

Le centre pénitentiaire de Caen dispose quant à lui d'un service médico-psychologique 28 ( * ) . Son responsable, le docteur Christian Kottler a attiré l'attention de votre rapporteur sur l'accroissement des charges lié notamment à la responsabilisation pénale des malades mentaux et à l'augmentation de la demande judiciaire de soins (en particulier à la suite de la loi du 5 août 2007 sur la récidive des majeurs et des mineurs). Il a souligné plus particulièrement deux priorités : d'abord, la nécessité de répondre mieux aux besoins des détenus dont la demande d'entretien individuel -sauf cas d'urgence- peut parfois atteindre douze mois ; ensuite, l'opportunité de permettre une évaluation régulière des détenus au cours de la détention (par exemple bilan au quart de peine, à mi-peine et six mois avant la sortie). Il a indiqué qu'il convenait de favoriser l'instauration de traitements anti-hormonaux (suivant des indications adaptées) et d'assurer la prise en charge post-pénale des cas les plus graves. Ces objectifs impliqueraient cependant un renforcement des moyens humains du SMPR (évalués par le docteur Kottler à un ETP médecin psychiatre, un ETP infirmier et 2 ETP psychologues).

Dans les trois établissements, l'insuffisance des effectifs de médecins, psychologues et travailleurs sociaux (un travailleur social pour 160 détenus à Casabianda, par exemple) rend difficile l'évaluation et le traitement de la dangerosité .

Cette dangerosité ne fait pas l'objet d'une évaluation méthodique. Dans ce domaine, les approches restent empiriques ou ponctuelles.

Ainsi le juge de l'application des peines dont dépend le centre de Casabianda rappelle dans son rapport annuel pour 2006 que selon un premier bilan réalisé le 7 juillet 2000 avec deux des médecins experts habituellement désignés, les condamnés, dans leur ensemble, ne présentent pas d'état dangereux au sens psychiatrique du terme. Selon le psychologue responsable du centre de détention de Mauzac, une trentaine de délinquants seraient susceptibles de récidiver à l'issue de leur libération.

Une prise en charge axée sur la prévention de la récidive reste pour le moins lacunaire. A Mauzac, un « groupe de parole » a été mis en place mais ne concerne qu'une petite partie des détenus. Cette expérience 29 ( * ) devrait cependant être étendue à partir de 2008 si les moyens humains le permettent.

*

* *

Si le suivi des délinquants demeure insuffisant -comme dans les autres établissements pénitentiaires-, il n'en reste pas moins que ces structures présentent de réels atouts pour favoriser la réinsertion des condamnés et contribuer ainsi à lutter contre la récidive.

Le régime de détention, conjugué à Mauzac et à Casabianda à un cadre de vie éloigné du modèle carcéral habituel, garantit le respect des personnes et atténue la rupture avec le milieu ouvert. En outre la diversité des activités proposées permet de faire du temps pénitentiaire un temps utile pour une majorité de détenus et prépare au retour à une vie professionnelle.

Les structures de Mauzac et plus encore de Casabianda demeurent très atypiques. Pourraient-elles servir de modèles pour d'autres établissements pénitentiaires ? Sans doute faut-il garder à l'esprit les spécificités de la population pénale concernée : des délinquants sexuels le plus souvent en fin de peine et mobilisés en principe autour d'un projet de sortie. Beaucoup de ces délinquants, avant leur condamnation, étaient en outre généralement bien intégrés dans la société et exerçaient une activité professionnelle. Il est vraisemblable cependant qu'une partie plus importante de la population pénitentiaire pourrait sans doute justifier d'un tel système carcéral et bénéficier ainsi de plus grandes chances de réinsertion.

Surtout votre rapporteur regrette que les établissements si particuliers ne fassent pas l'objet d'une évaluation plus approfondie qui permettrait de distinguer ce qui dans ces expériences peut ou non être généralisé. A Casabianda, le directeur du centre a noté que le savoir faire développé dans ce centre demeurait pour une large part inexploité.

Si tout laisse à penser que le taux de récidive à l'issue d'une détention dans l'un de ces deux centres est très faible, il n'existe cependant aucun instrument pour s'en assurer. Votre rapporteur forme le voeu que le ministère de la justice puisse se doter d'une capacité d'évaluation des taux de récidive selon les grandes catégories d'établissements dans lesquels la peine précédant la nouvelle infraction a été exécutée. Il y aurait là en en effet le moyen d'apprécier de manière plus précise l' impact des conditions de détention sur la réinsertion et d'orienter utilement la politique pénitentiaire.

* 24 Le ratio personnel/détenus moins élevé que dans les autres établissements s'explique par le caractère particulièrement calme de la population pénale.

* 25 Historiquement, il s'agit de la structure la plus ancienne : un incendie a entraîné cependant sa totale reconstruction en 1985.

* 26 L'âge et l'état de santé d'un certain nombre de détenus ne permettent pas une affectation à des emplois agricoles. Un atelier susceptible de recevoir cette catégorie de population a été ouvert en 2003.

* 27 Culture de plantes aromatiques et médicinales ; cultures légumières ; culture florale ; agent d'entretien de l'espace rural.

* 28 Le SMPR comprend trois équivalent temps plein (ETP) psychiatres, cinq temps pleins psychologiques, six ETP infirmiers.

* 29 Cette approche qui s'inscrit dans une perspective criminologique ou éducative mais non thérapeutique afin de permettre une réflexion de la part des personnes placées sous main de justice sur leur passage à l'acte.

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