Question de M. DÉTRAIGNE Yves (Marne - UC) publiée le 10/12/2020

M. Yves Détraigne souhaite appeler l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur la question de la responsabilité de l'État engagée sur le fondement de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire. Aux termes de cet article, l'État est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice. Cette responsabilité n'est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice.
La jurisprudence définit la faute lourde comme toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi.
Un déni de justice correspond, quant à lui, à un refus d'une juridiction de statuer sur un litige qui lui est présenté ou au fait de ne procéder à aucune diligence pour instruire ou juger les affaires ; il constitue une atteinte à un droit fondamental et, s'appréciant sous l'angle d'un manquement du service public de la justice à sa mission essentielle, il englobe, par extension, tout manquement de l'État à son devoir de protection juridictionnelle de l'individu, qui comprend celui de répondre sans délai anormalement long aux requêtes des justiciables, conformément aux dispositions de l'article 6-1 de la convention européenne des droits de l'homme. L'appréciation d'un allongement excessif du délai de réponse judiciaire s'effectue de manière concrète en prenant en considération les conditions de déroulement de la procédure, la nature de l'affaire, son degré de complexité, le comportement des parties en cause, ainsi que l'intérêt qu'il peut y avoir pour l'une ou l'autre des parties à ce que le litige soit tranché rapidement.
Au regard de cette jurisprudence, l'État est régulièrement condamné pour dépassement du délai raisonnable de jugement. La cour d'appel de Paris considère qu'une durée excessive de jugement est à l'origine pour le justiciable d'un « préjudice moral résultant du sentiment d'incertitude et d'anxiété anormalement prolongé qu'il a subi dans l'attente de voir sa situation appréciée » (CA Paris, pôle 2 - ch. 1, 6 nov. 2018, n° 17/07921).
Il semble que le droit de la famille et le droit du travail soient les « terres d'élection » de ces contentieux en responsabilité de l'État. À titre d'exemple, le TGI de Paris sanctionne régulièrement l'État en matière de divorce (TGI Paris, 1re ch. 1re sect., 4 nov. 2015, n° 14/15296 ; dans cette affaire un délai de 9 mois et 12 jours entre la date du dépôt de la requête en divorce et la date de l'audience de conciliation est jugé excessif). De même, dans un contentieux relevant du droit du travail, la cour d'appel de Paris a condamné l'État au versement de 6 000 € de dommages et intérêts pour un délai de jugement anormalement long (CA Paris, pôle 2 - ch. 1, 30 sept. 2020, n° 18/17589 ; dans cette espèce, le salarié avait attendu 5 ans et 7 mois avant d'avoir son jugement).
Les documents budgétaires semblent muets sur cette question ; ainsi, le programme 166 « justice judiciaire » comporte certes des indicateurs relatifs au délai moyen de traitement des procédures civiles et pénales, mais aucune information n'est fournie quant aux condamnations de l'État pour dépassement du délai raisonnable.
Il semble que l'agent judiciaire de l'État, qui représente l'État dans les contentieux en responsabilité, ait fixé un « barème d'indemnisation » en fonction des matières juridiques. Aussi, il lui est demandé, d'une part, de bien vouloir confirmer ou informer l'existence de ce barème et, d'autre part, de fournir des statistiques précises sur les condamnations de l'État en en distinguant les domaines juridiques et les différents ressorts géographiques.

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Réponse du Ministère de la justice publiée le 03/06/2021

L'agent judiciaire de l'Etat dispose du monopole de la représentation de l'Etat pour toute action portée devant les tribunaux de l'ordre judiciaire et tendant à faire déclarer ce dernier créancier ou débiteur pour des causes étrangères à l'impôt et au domaine. Le contentieux de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire étant essentiellement à visée pécuniaire, l'agent judiciaire de l'Etat est partie dans la quasi-totalité des actions en responsabilité pour dysfonctionnement du service public de la justice judiciaire. Ce dernier associe le ministère de la justice aux fins de défense de l'Etat dans ce contentieux, le ministère de la justice s'acquittant du paiement des condamnations prononcées. Les décisions de condamnation et les indemnisations corrélativement prononcées relèvent, en revanche, du pouvoir d'appréciation souverain des juridictions ayant à traiter ce contentieux. L'agent judiciaire de l'Etat privilégie dans ses écritures le respect du principe d'individualisation de la réparation du préjudice et n'a pas de barème d'indemnisation. Par ailleurs, en application de l'article 22 de la loi organique n° 2007-287 du 5 mars 2007 relative au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrats, le Parlement est annuellement destinataire d'un rapport fournissant des statistiques sur les condamnations de l'Etat en matière de dysfonctionnement du service public de la justice : « Avant le 30 juin de chaque année, le Gouvernement remet au Parlement un rapport faisant état, pour l'année civile écoulée, des actions en responsabilité engagées contre l'Etat du fait du fonctionnement défectueux du service de la justice, des décisions définitives condamnant l'Etat à ce titre et du versement des indemnités qui en découlent, ainsi que des suites réservées à ces décisions ». Ce rapport établi par le ministère de la justice pour le Gouvernement expose, au titre de l'année civile écoulée, les actions en responsabilité engagées contre l'Etat du fait du fonctionnement défectueux du service de la justice. Il présente, notamment, des statistiques relatives aux condamnations de l'Etat à ce titre, devant les juridictions judiciaires internes et la Cour européenne des droits de l'Homme, ainsi que les suites réservées à ces décisions. Le rapport relatif à l'année 2019 a été transmis au Parlement en 2020. Le rapport relatif à l'année 2020 est en cours de rédaction et sera transmis prochainement.

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