Question de Mme de LA GONTRIE Marie-Pierre (Paris - SOCR) publiée le 06/02/2019

Question posée en séance publique le 05/02/2019

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Notre pays traverse une période troublée, qui alerte sur la fragilité de notre démocratie. Pourtant, depuis dix-huit mois, monsieur le Premier ministre, vous en attaquez les fondements constitutionnels : le bicamérisme tout d'abord – nous sommes au Sénat –, que le Président de la République a mis en cause ouvertement dans sa lettre aux Français, mais aussi la liberté d'aller et venir, et le droit de manifester désormais sous une chape préfectorale par votre loi « anticasseurs ».

Vous vous attaquez également, depuis des mois, à la liberté de l'information, avec la loi sur le secret des affaires, puis la loi sur les fake news fragilisant le travail des journalistes, la protection des sources et les lanceurs d'alerte.

Le Président de la République voudrait aujourd'hui créer des structures subventionnées devant veiller à la neutralité de l'information, au parfum de Pravda ou d'ORTF !

Ces mesures, ces déclarations font système ensemble et doivent nous alerter.

Hier, c'était une tentative de perquisition dans les locaux de Mediapart à laquelle nous avons assisté, inédite et inquiétante parce qu'elle touche à la protection des sources. Cet événement éclaire d'un jour édifiant votre attention particulière à la nomination de procureur de Paris et votre refus de l'indépendance du parquet.

Monsieur le Premier ministre, votre majorité joue un jeu dangereux ! On ne joue pas avec les libertés publiques ! Le paysage démocratique qui se dessine sous nos yeux inquiète, y compris dans les rangs de cette majorité – il suffit de voir le score du vote sur la loi anticasseurs.

Quand allez-vous cesser de fragiliser nos libertés fondamentales ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

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Réponse du Ministère de la justice publiée le 06/02/2019

Réponse apportée en séance publique le 05/02/2019

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Je vous ai évidemment écoutée avec beaucoup d'attention, madame la sénatrice de la Gontrie, mais je ne partage pas l'analyse que vous faites (Exclamations sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.) d'un « système », comme vous l'appelez, portant atteinte à la liberté d'expression et au respect des sources.

Je voudrais d'abord rappeler ce que vous savez déjà, mesdames, messieurs les sénateurs : en tant que garde des sceaux, il ne m'appartient pas de commenter des procédures judiciaires. Je m'y astreins de manière extrêmement stricte, précisément parce que je suis attachée à l'indépendance de la justice et au respect des lois. Or ces lois m'interdisent d'intervenir dans les affaires individuelles, et je souhaitais ici le rappeler.

Je vais donc, sur l'affaire évoquée, vous livrer quelques éléments rendus publics.

Le parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire portant sur des infractions d'atteinte à la vie privée. Deux magistrats de ce parquet se sont donc rendus au journal Mediapart pour se faire remettre les enregistrements sonores de conversations qui seraient intervenues entre MM. Benalla et Crase.

Les magistrats agissaient, je tiens à le préciser ici, dans le cadre non coercitif de l'enquête préliminaire, et ne pouvaient pas procéder à une saisie sans l'assentiment du représentant légal de l'entreprise de presse. Mediapart a, dans un premier temps, refusé de remettre ces enregistrements, puis les a donnés à la justice, ce qui permettra de faire toute la lumière sur cette affaire.

Comme l'ensemble du Gouvernement, je suis attachée et à la liberté de la presse et à la protection du secret des sources des journalistes, considérant que ce sont les pierres angulaires de notre démocratie.

Je suis également très attachée à ce que la justice ne fasse pas l'objet d'attaques incessantes,…

M. le président. Il faut conclure, madame le garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. … qui paralysent son fonctionnement. C'est, je crois aussi, un élément indispensable pour que celui-ci se déroule dans la sérénité. Cela correspond, en tout cas, à ma conception de la justice, partagée par le Gouvernement, et je puis vous assurer que je suis tout à fait encline, disposée et volontaire pour continuer à œuvrer en ce sens. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour la réplique.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Je voudrais d'abord dire mon regret que le Premier ministre n'ait pas souhaité s'exprimer sur un sujet qui va bien au-delà des compétences de la garde des sceaux. En effet, je ne l'ai pas interrogé sur une affaire judiciaire, même si, madame la garde des sceaux, après la tribune que vous avez commise au mois de septembre afin de tenter de faire en sorte que la commission d'enquête du Sénat n'auditionne pas M. Benalla, je pense que votre conception en matière de séparation des pouvoirs est assez variable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. C'est faux !

M. le président. Il faut vraiment conclure, madame la sénatrice.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. J'ajouterai une phrase, madame la garde des sceaux, que je vous suggère de méditer car vous en êtes l'auteur : « Toute privauté prise avec les principes essentiels de notre République ne peut que contribuer au discrédit de l'action publique ». Voilà ce que nous vous demandons, madame, et ce que nous demandons au gouvernement auquel vous appartenez ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains.)

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