Question de M. RETAILLEAU Bruno (Vendée - Les Républicains) publiée le 25/07/2018

Question posée en séance publique le 24/07/2018

M. Bruno Retailleau. Monsieur le Premier ministre, il aura fallu moins d'une semaine pour que la France passe de la fête à ce climat opaque, pesant, dans lequel nous a plongés l'affaire Benalla. Cette affaire est-elle une affaire d'État ? Objectivement oui, car ce qui est en cause, ce n'est pas seulement un parcours individuel, celui d'un prétendu bagagiste, c'est beaucoup plus : c'est l'autorité de l'État ! Comment un proche du Président de la République peut-il se déguiser en policier pour passer à tabac des manifestants ?

Au-delà, c'est le fonctionnement de l'État, de l'Élysée qui est en cause. Comment cet individu, au passé déjà si lourd, s'est-il retrouvé au cœur du pouvoir ? Oui, il s'agit bien d'une affaire d'État, mais il s'agit aussi d'une affaire, monsieur le Premier ministre, qui concerne le chef de l'État. Tout ramène à lui : une ascension fulgurante, des privilèges exorbitants, une sanction trop indulgente ! Vraiment, oui, tout converge vers l'Élysée, et l'Élysée se tait, est mutique, contrairement à son habitude.

Je reformule la question, que tous les Français se posent, monsieur le Premier ministre : quand le Président de la République sortira-t-il de son silence, quand prendra-t-il la parole pour s'expliquer devant les Français ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe socialiste et républicain.)

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Réponse du Premier ministre publiée le 25/07/2018

Réponse apportée en séance publique le 24/07/2018

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président Retailleau, je serais presque tenté de vous dire : quand il le souhaitera. Et de ne vous dire grand-chose d'autre, puisque, au fond, la seule question que me vous posez est : quand s'exprimera-t-il ?

Je voudrais néanmoins profiter de l'occasion qui m'est donnée pour répondre plus complètement à la question et pour réagir au paysage que vous dressez.

Je ne crois pas – nous sommes en désaccord sur ce point – que l'affaire que vous évoquez soit une affaire d'État. Je ne crois pas que les agissements et les dérives d'un individu qui se prévaut de sa proximité avec le Président (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)…

M. Didier Mandelli. Elle existe !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. … ou que les « copinages malsains » évoqués par M. le préfet de police lors de son audition devant la commission des lois de l'Assemblée nationale constituent une affaire d'État.

Je constate que, à l'occasion de commissions d'enquête et de procédures judiciaires portant sur les faits qui ont eu lieu le 1er mai place de la contrescarpe, certains souhaitent évoquer des questions relatives à l'organisation de la présidence de la République, voire, le cas échéant, mettre en cause le rôle qu'aurait eu le Président de la République. Je ne suis pas sûr que cette évolution dans les questionnements repose sur une quelconque réalité.

Les comportements individuels inacceptables doivent être sanctionnés.

M. Pierre-Yves Collombat. Voilà !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Vous avez indiqué, monsieur le président, que la proportionnalité de la sanction prise par le directeur de cabinet du Président de la République était contestable. C'est une appréciation, qui est respectable et que je respecte, bien entendu, mais on peut ne pas la partager. La sanction a été prise immédiatement (Mme Céline Boulay-Espéronnier hoche la tête en signe de dénégation.)…

M. Arnaud Bazin. Mais non !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Vous la trouvez peut-être trop réduite. Mais, je le répète, elle a été prise immédiatement.

De même, dès que des faits nouveaux ont été rendus publics et connus – je parle de la transmission d'images que j'ai évoquée à l'occasion d'une question précédente –, des mesures ont été prises à l'encontre de ceux qui se sont, pardon, qui se seraient rendus coupables, car les faits ne sont pas encore jugés, et une mesure de licenciement a été engagée. Des mesures ont donc bien été prises.

Pour le reste, je respecte les procédures qui sont engagées, notamment la commission d'enquête que votre assemblée a ouverte et les procédures judiciaires. Je ne peux pas me permettre de prendre des décisions de réorganisation ou visant à corriger des dysfonctionnements dès lors que je n'ai pas l'ensemble des éléments en ma possession. C'est d'ailleurs à ça que servent les procédures que vous avez vous-mêmes engagées. Aussi, monsieur le président, donnons-nous rendez-vous, au terme de cet exercice, pour que le Gouvernement – c'est sa responsabilit頖 puisse faire état devant le Parlement des décisions qu'il prendra à la suite de cette affaire. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour la réplique.

M. Bruno Retailleau. Monsieur le Premier ministre, si je vous comprends bien, finalement le Président de la République se serait vu imposer à ses côtés, dans son intimité, la présence de M. Benalla ! (Sourires sur des travées du groupe Les Républicains. – Voilà ! sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) Cette affaire est révélatrice. Un pouvoir qui prétend récapituler, résumer, incarner ou réincarner l'essentiel de tout l'édifice républicain, au mépris des contre-pouvoirs, des corps intermédiaires, un pouvoir qui s'isole, un pouvoir solitaire devient inéluctablement un pouvoir arbitraire. Il se voit au-dessus de tout, il ne se sent tenu de rien. Eh bien, monsieur le Premier ministre, tirez les leçons de cette affaire :…

M. le président. Il faut conclure.

M. Bruno Retailleau. … modifiez le projet de texte constitutionnel. Nous n'avons pas besoin que la Constitution place encore plus de pouvoirs dans les mains d'un seul. La République est fragile, elle n'est pas inéluctable. À vous de la préserver ! (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

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