Question de M. YUNG Richard (Français établis hors de France - SOC) publiée le 27/02/2014
M. Richard Yung interroge Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur la situation des enfants d'origine étrangère recueillis dans le cadre d'une « kafala ».
Prévue par le droit coranique, la « kafala » est un acte de recueil légal d'un enfant mineur qui ne crée pas de lien de filiation. Cette procédure est appliquée dans la plupart des pays de droit musulman. La « kafala » a été reconnue comme une mesure de protection de l'enfant par l'article 20 de la convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989.
L'absence de reconnaissance par le droit français de la « kafala » crée de nombreux problèmes pour les familles qui ont recueilli un enfant dans ce cadre, par exemple pour obtenir un visa pour leur enfant, son traitement étant très variable d'un consulat à un autre.
En 2009, le Médiateur de la République, avait suggéré de transposer dans la loi les propositions suivantes : définition d'une procédure d'agrément applicable à la « kafala » ; application de la jurisprudence du Conseil d'État concernant le regroupement familial ; unification des règles relatives à la délivrance de visas long séjour aux enfants recueillis par « kafala » ; publication d'un texte réglementaire précisant et rendant opposable de plein droit les effets juridiques de la « kafala » en France ; suppression du délai de résidence de cinq ans exigé pour l'attribution de la nationalité française aux enfants recueillis par « kafala » judiciaire et élevés par une personne de nationalité française ; introduction de la possibilité de recourir à l'adoption simple quand la loi du pays d'origine interdit l'adoption (la convention du 20 novembre 1989 ne prévoit pas l'interdiction d'adopter un enfant dont la loi du pays d'origine prohibe cette institution).
Ces familles attendaient beaucoup du projet de loi famille et son report sine die a donc été, pour elles comme pour beaucoup d'autres, une grande déception.
Il lui demande, en conséquence, quelles sont les réflexions engagées au sein du ministère de la justice sur le statut de la « kafala » et si les attentes légitimes des familles ayant recueilli un enfant par « kafala » pourront avoir une réponse rapide.
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Transmise au Ministère de la justice
Réponse du Secrétariat d'État, auprès du ministère des affaires sociales et de la santé, chargé de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie publiée le 28/05/2014
Réponse apportée en séance publique le 27/05/2014
M. Richard Yung. Madame la secrétaire d'État, ma question porte sur la situation des enfants d'origine étrangère recueillis dans le cadre de la« kafala ».
Prévue par le droit coranique, la kafala est un acte de recueil légal d'un enfant mineur qui ne crée pas de lien de filiation : il peut y avoir une adoption simple, mais pas d'adoption plénière. Cette procédure, appliquée dans la plupart des pays de droit musulman, est reconnue comme une mesure de protection de l'enfant par l'article 20 de la convention internationale des droits de l'enfant de 1989.
L'absence de reconnaissance par le droit français de la kafala - la règle de droit en France est en effet la loi personnelle de l'enfant - crée de nombreux problèmes pour les familles ayant recueilli un enfant dans ce cadre. Ainsi, le traitement des demandes de visa pour un tel enfant est extrêmement variable selon les consulats.
En 2009, le Médiateur de la République avait suggéré de transposer dans la loi plusieurs propositions : définition d'une procédure d'agrément applicable à la kafala ; application de la jurisprudence du Conseil d'État concernant le regroupement familial, l'enfant se trouvant en France auprès de ses nouveaux « tuteurs »,en quelque sorte ; unification des règles relatives à la délivrance des visas à long terme pour les enfants concernés ; opposabilité de plein droit des effets juridiques de la kafala en France ; enfin, suppression du délai de résidence de cinq ans exigé pour l'attribution de la nationalité française, dans la mesure où la loi du pays d'origine prohibe l'adoption.
De nombreuses familles attendaient beaucoup du projet de loi« famille », et son silence sur la question de la kafala a donc été, pour elles, une grande déception.
À l'issue de différents travaux engagés à la suite de recommandations du Médiateur de la République- je pense en particulier à ceux qui ont été menés par un groupe de travail au ministère de la justice -, je m'interroge donc sur l'état des réflexions en cours au sein du ministère de la justice- et, madame, au sein de votre secrétariat d'État - sur le statut de la kafala et sur la question de savoir si les attentes légitimes des familles ayant recueilli un enfant sous ce statut pourront recevoir rapidement une réponse.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Laurence Rossignol,secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie. Monsieur le sénateur, Mme la garde des sceaux, actuellement à l'Assemblée nationale pour une audition devant la commission des lois, vous prie de bien vouloir excuser son absence.
La kafala est une institution qui a pour objet d'offrir à un enfant une protection sans créer de lien de filiation entre ce dernier et la personne qui le recueille, assure son éducation et son entretien. La kafala est expressément reconnue par plusieurs conventions que la France a ratifiées.
S'agissant de la filiation, une modification de la loi actuelle ne paraît pas envisageable. En effet, l'article 370-3 du code civil, issu de la loi du 6 février 2001 relative à l'adoption internationale, adoptée à l'unanimité par le Parlement français, prévoit que « l'adoption d'un mineur étranger ne peut être prononcée si sa loi personnelle prohibe cette institution, sauf si ce mineur est né et réside habituellement en France ».
Il ne serait donc pas raisonnable de revenir sur cette disposition qui repose sur le respect de la souveraineté des États prohibant l'adoption et qui est aussi conforme aux exigences de la convention de La Haye du 29 mai 1993 sur l'adoption internationale.
En ce qui concerne la suppression de la durée de résidence de cinq ans exigée pour l'acquisition de la nationalité française, la question mérite plus ample expertise et discussion : il ne faudrait en effet pas créer de différences de traitement entre, d'une part, les enfants recueillis par kafala et, d'autre part, les enfants nés de parents étrangers en France et y résidant, pour lesquels une résidence habituelle en France de cinq ans depuis l'âge de onze ans est exigée pour acquérir la nationalité à la majorité.
Au demeurant, les enfants recueillis par kafala ne sont pas dépourvus, en France, de statut. En effet, une kafala judiciaire, comme toute décision relative à l'état des personnes, est reconnue de plein droit sur le territoire français, sans formalité particulière, dès lors que sa régularité n'est pas contestée. Si l'enfant n'a pas de filiation établie ou a été abandonné, il sera protégé au titre des règles relatives à la tutelle.
Si, en revanche, l'enfant dispose encore d'une filiation établie à l'égard de l'un de ses parents, la personne qui l'a recueilli en France sera considérée comme délégataire de l'exercice de l'autorité parentale.
D'ailleurs, la Cour européenne des droits de l'homme, dans un arrêt en date du 4 octobre 2012, a considéré que le dispositif français ne portait pas atteinte au respect de la vie privée et familiale, et ce d'autant que l'enfant, s'il devient Français ultérieurement, est ensuite adoptable.
Conscient toutefois de la nécessité de mieux faire connaître cette institution, le ministère de la justice entend rappeler par voie de circulaire les effets produits en France par une kafala, afin de faciliter les démarches effectuées par les familles.
M. le président. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Madame la secrétaire d'État, je dois dire que je suis un peu déçu par cette réponse qui signifie pour moi : « circulez, il n'y a rien à voir » ! Or, la question de la kafala revient régulièrement. J'en veux pour preuve qu'un groupe de travail, constitué au ministère de la justice, s'est penché sur cette question pendant deux ans ; il semble que ses travaux se soient évaporés...
Nous sommes confrontés aux parents qui rencontrent des problèmes de délais et de situation juridique de l'enfant. La Cour européenne des droits de l'homme peut bien dire que tout est parfait en France, je ne crois pas que cela soit le cas... Je pense que nous passons ici à côté d'une question importante. Nous pourrions, sans bouleverser le droit civil français, améliorer les choses, par exemple sur le délai de cinq ans ou l'adoption simple. C'est d'ailleurs ce qu'ont dit le Médiateur de la République et le groupe de travail du ministère de la justice...
Nous verrons donc, quand la loi « Famille » arrivera au Sénat, ce que nous déciderons de proposer.
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