Question de M. DREYFUS-SCHMIDT Michel (Territoire de Belfort - SOC) publiée le 24/06/1999
M. Michel Dreyfus-Schmidt attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur l'occupation illégale de l'église Saint-Nicolas-du-Chardonnet (Paris 5e). Il y a plus de vingt années maintenant, le 27 février 1977, un groupuscule d'intégristes catholiques s'est introduit de force à l'intérieur de l'édifice cultuel afin de l'occuper. L'abbé Pierre Bellego - affectataire légal du lieu - en fut expulsé manu militari. Les tribunaux judiciaires constatèrent alors que " la situation de fait qui lui était soumise révélait l'existence d'un trouble manifestement illicite constitutive d'une voie de fait à laquelle il était urgent de mettre fin " (CA, Paris, 13 juillet 1977). L'administration, en principe et lorsque les tribunaux judiciaires l'y enjoignent, doit prêter le concours de la force publique à l'exécution du jugement. Or, à ce jour, la décision reste lettre morte. A une question écrite du 8 juillet 1978 d'un parlementaire l'interrogeant sur les raisons de l'inexécution de l'arrêt susvisé, le ministre de l'intérieur Christian Bonnet lui objectait : " L'évacuation de l'église >...> a été différée en raison des troubles à l'ordre public que risquerait d'entraîner cette opération ". Le refus du concours de la force publique pour l'exécution de la décision de justice s'est traduit devant le tribunal administratif par une condamnation de l'Etat au versement d'une indemnité à l'abbé illégalement dépossédé du bien dont il est l'affectataire (jugement du 12 octobre 1982). Le caractère illégal de l'occupation a été renforcé, si besoin était, par l'excommunication prononcée par le pape Jean-Paul II à l'encontre des occupants de l'église Saint-Nicolas-du-Chardonnet en 1988 (Motu proprio " Ecclesia dei adflicta " du 2 juillet 1988). Or l'attribution de ce lieu de culte doit être exclusivement réservée, en vertu de l'article 5, paragraphe 1er, de la loi de 2 janvier 1907, aux prêtres et aux fidèles qui veulent y pratiquer leur religion en se soumettant aux préceptes de l'Eglise catholique, ce qui n'est plus le cas des occupants depuis le schisme. Dans un Etat de droit, ce qui trouble l'ordre public, n'est-ce pas l'inexécution d'une décision de justice et non son exécution ? N'y a-t-il pas lieu en conséquence pour l'Etat de faire en sorte que force reste à la loi et que le contribuable ne soit pas exposé à payer une nouvelle fois des impôts correspondant au dédommagement du légitime occupant ?
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Réponse du ministère : Intérieur publiée le 04/11/1999
Réponse. - Les événements qui sont à l'origine de l'arrêt rendu le 13 juillet 1977 par la 1re chambre de la cour d'appel de Paris, ordonnant l'expulsion des occupants de l'église Saint-Nicolas-du-Chardonnet, proviennent d'une dissidence au sein de l'église catholique, opposant deux tendances, la tendance dite " traditionnaliste " et la tendance " conciliaire ". La cour d'appel a condamné les occupants à quitter les lieux, faute de quoi, l'abbé Bellego - affectataire légal du lieu - était autorisé à requérir, après le 31 août 1977, le concours de la force publique en vue de l'expulsion forcée. Le 27 septembre 1977, la préfecture de police a été saisie, par les voies légales, d'une réquisition du concours de la force publique pour exécuter cette décision judiciaire d'expulsion. Cependant, à l'époque, l'autorité administrative a considéré que l'exécution de la décision de justice en cause risquait de troubler gravement l'ordre public, eu égard à la détermination des occupants de l'église Saint-Nicolas-du-Chardonnet et des nombreux incidents survenus en 1977 et 1978 à l'intérieur et à proximité de cet édifice. Or, lorsque le concours de la force publique risque d'entraîner des troubles plus graves que celui qui naîtrait de l'inexécution de la décision de justice, l'administration est en droit de le refuser (CE Couiteas, 30 novembre 1923). Le risque réel de danger pour l'ordre et la sécurité avait été également relevé par le médiateur, Jean Guitton, membre de l'Académie française, qui avait été désigné par le tribunal de grande instance de Paris le 1er avril 1977, pour élaborer, avec les parties et toutes les autorités civiles et ecclésiastiques qui lui paraissaient devoir être consultées, les modalités d'évacuation des lieux. Il indiquait dans son rapport que l'exécution de " la mesure d'expulsion présenterait des difficultés particulières tenant au fait que l'église est un lieu public qui doit rester accessible à tous, prêtres ou laïques, paroissiens ou non, pour la pratique de leur religion, aux heures normales d'ouverture ". Le jugement du 12 octobre 1982 du tribunal administratif de Paris accordant des indemnités réparatrices à l'abbé Bellego (15 000 francs) sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, a d'ailleurs mentionné que l'administration était légalement fondée à refuser son intervention et que par suite, ce refus ne constituait pas une faute lourde de nature à engager la responsabilité de l'Etat. La permanence des risques de troubles pour l'ordre public que pourrait susciter une expulsion avec le concours de la force publique justifie encore à ce jour l'inexécution de l'arrêt. On notera au demeurant qu'aucune demande n'a été réitérée de la part de l'occupant des lieux. En ce qui concerne l'observation faite par l'honorable parlementaire portant sur le fait que le caractère illégal de l'occupation s'est trouvé renforcé du fait de l'excommunication prononcée à l'encontre des occupants par le pape Jean-Paul II en 1988, il convient de rappeler que l'administration, sauf à méconnaître le principe de laïcité de l'Etat, ne saurait s'immiscer dans des litiges opposant des tendances ou des mouvements religieux, en vertu de la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat, en dehors du cas, qui n'est pas ici en cause, où il s'agit de déterminer quel est l'affectataire légitime de l'édifice du culte.
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