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N° 324

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2011-2012

Enregistré à la Présidence du Sénat le 1 er février 2012

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

PRÉSENTÉE AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)

EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73 QUATER DU RÈGLEMENT,

pour un renforcement du contrôle démocratique de la gouvernance économique et budgétaire de l' Union européenne ,

PRÉSENTÉE

Par M. Simon SUTOUR,

Sénateur

(Envoyée à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Alors que les parlements nationaux s'apprêtent à s'exprimer sur les programmes de convergence économique et budgétaire des États membres de l'Union européenne, ces derniers se sont lancés dans la négociation d'un traité international dont l'objectif est notamment d'affirmer leur engagement à respecter les processus européens d'évaluation et de surveillance budgétaire qui viennent d'être modifiés et qui vont s'appliquer à l'exercice 2012 du «semestre européen».

Dans la négociation de cet accord et dans le processus d'élaboration de ce traité, le Parlement français n'a été ni informé, ni consulté alors que l'urgence de la situation n'était pas de trouver une traduction institutionnelle, d'ailleurs fragile, à des engagements qui ne sont finalement guère plus contraignants, en réalité, que ceux qui existent déjà, mais bien d'engager, à l'échelle européenne, une politique économique, fiscale, budgétaire et de croissance permettant à l'Europe de sortir de la crise.

La justesse de cette nouvelle proposition pour juguler la crise n'a pu ainsi être évaluée ni discutée.

Le Parlement européen, quant à lui, a pu bénéficier d'une présence lors des discussions, mais sans possibilité réelle de peser et, surtout, sans possibilité de voter sur le texte final du projet de traité. Il s'est d'ailleurs exprimé, le 18 janvier, marquant son inquiétude quant aux conséquences pour la méthode communautaire de ce texte. Ce texte est donc bien le résultat d'une vision purement intergouvernementale de la construction européenne.

Le texte final du traité indique que le Parlement européen et les parlements nationaux peuvent organiser entre eux un dialogue, mais ne prévoit pas une véritable association des parlements nationaux à la conduite, au niveau européen, des politiques économiques et budgétaires des gouvernements qui sont pourtant responsables devant eux. La place des parlements nationaux, comme celle du Parlement européen d'ailleurs, s'en trouve réduite. Or ils ne sauraient se laisser dessaisir d'une part essentielle de la souveraineté populaire qu'ils incarnent.

Ce nouvel épisode nous conduit clairement à poser la question de la légitimité démocratique de la nouvelle direction prise par les chefs d'État et de gouvernement. La construction européenne a besoin de l'expression et surtout de la légitimité démocratique des parlements, elle ne peut se réduire à sa dimension intergouvernementale.

Or avec ce traité, dont la cohérence juridique reste acrobatique, le risque est élevé que les Etats membres s'affranchissent in fine des procédures communautaires et des garanties démocratiques qui les accompagnent. Ce serait une remise en cause importante de l'esprit de la construction de l'Union européenne.

D'ailleurs, le choix des Etats membres de recourir à une convention internationale hors traité, lors du Conseil européen du 8 et 9 décembre 2011, écarte la procédure de révision normale des traités prévoyant la représentation des parlements nationaux au sein d'une Convention. Il incombe donc aujourd'hui à ces derniers de défendre leurs droits pour que, demain, leurs pouvoirs soient renforcés dans le cadre de la nouvelle coordination économique et budgétaire.

Il en va de l'orientation même de l'Europe comme du choix de ses priorités. Un moyen stratégique de réorienter l'Europe est de donner plus de poids à ses institutions démocratiques et représentatives que sont le Parlement européen et les parlements nationaux. Par sa forme originale, la construction européenne permet aux parlements nationaux de participer au projet collectif et de faire de l'Union européenne un modèle unique d'expression de la démocratie. Ils doivent s'en saisir.

Ce nouveau cours plus intergouvernemental apparemment avalisé par les chefs d'État et de gouvernement va d'ailleurs à rebours des évolutions récentes. En effet, les parlements nationaux qui représentent les peuples européens, ont vu leur rôle renforcé au cours des dernières évolutions institutionnelles. Le traité de Lisbonne leur a ainsi octroyé de nouvelles prérogatives. La mise en oeuvre d'une coordination budgétaire, fiscale et économique plus étroite qui touche directement le droit souverain des assemblées, plaide pour le franchissement d'une nouvelle étape dans l'implication des parlements nationaux au sein des procédures législatives et de contrôle européennes . Il ne peut en être autrement, sans remettre en cause le caractère profondément représentatif de nos institutions.

Le contrôle parlementaire européen et national doit être renforcé à l'égard des gouvernements nationaux comme à l'égard de la Commission européenne. Mais le nécessaire accroissement des compétences des assemblées parlementaires ne pourra être véritablement contraignant que s'il découle d'obligations juridiques précises.

Il y a aujourd'hui urgence à apporter une solution globale à la crise économique, qui permettrait d'éviter le spectre d'une décennie perdue. L'urgence est de permettre le retour d'une croissance forte et durable. Dans ce but, l'élaboration d'un gouvernement économique européen ne peut se réduire à une stricte union pour une discipline budgétaire, de nature intergouvernementale, mais devrait, en concertation avec les parlements nationaux et avec le Parlement européen, conduire à la définition d'une politique économique et monétaire favorable à la croissance, soutenue par une harmonisation fiscale et sociale .

Pour ce faire, il faut renforcer le contrat politique qui unit les nations d'Europe . Les parlements nationaux ne peuvent en aucun cas être écartés de ce pacte de responsabilité. Au contraire, ils en sont un élément essentiel. Conforter la zone euro, assurer la légitimité des décisions prises à cette échelle impose de renforcer le rôle que jouent les parlements dans celles-ci. A ce titre, il faut bien constater que les prérogatives du Parlement français, et sa place dans la pratique actuelle des institutions de la Ve République, ne sont pas à la hauteur et doivent être nettement renforcés.

C'est avec la légitimité apportée par les parlements nationaux et européen que l'Europe parviendra à mettre en oeuvre les mesures indispensables à la résolution de la crise que nous traversons. Comment sinon pourrait être défendus un Mécanisme européen de stabilité qui puisse se refinancer auprès de la BCE, une Banque centrale européenne qui joue pleinement son rôle en élargissant sa fonction de prêteur, une taxe sur les transactions financières au niveau européen introduite sans délai, une mutualisation partielle de la dette des Etats de l'Union à travers la mise en place d'euro-obligations ?

Voilà pourquoi il apparaît opportun aujourd'hui de proposer un renforcement de la participation des parlements nationaux à la gouvernance économique et budgétaire de l'Union européenne qui se dessine aujourd'hui . Deux leviers doivent être à cette fin utilisés conjointement : une plus grande participation parlementaire dans le cadre des procédures législatives et de contrôle européennes et une coopération politique accrue entre institutions représentatives.

Au niveau national :

- le Parlement français doit pouvoir, chaque année, exploiter toutes les possibilités déjà à sa disposition pour participer au semestre européen et à la mise en oeuvre du Pacte de stabilité. Toutefois, d'autres modalités qui instaurent un contrôle plus systématique et plus contraignant pour l'exécutif devront être trouvées ;

- la circulaire du 22 juin 2010 relative à la participation du Parlement national au processus décisionnel européen doit être modifiée, notamment pour intégrer la participation du Parlement au processus du semestre européen ;

- le Parlement doit notamment utiliser la possibilité que lui offre l'article 50-1 de la Constitution de demander au Gouvernement une déclaration avec débat lorsque la situation économique et financière de l'Union européenne et de la zone euro le nécessite.

Au niveau européen:

- l'institutionnalisation d'une conférence interparlementaire qui puisse adresser une résolution au Conseil européen de printemps ; elle serait composée des représentants des commissions concernées du Parlement européen et des parlements nationaux ;

- cette conférence interparlementaire dans un format « zone euro » pourrait également se réunir lorsque la situation l'exige pour débattre et proposer à l'Eurogroupe une résolution ;

- l'intégration des parlements nationaux dans le dialogue économique organisé par le règlement européen n°1175/2011 (nouvel article 2 bis-ter du règlement européen n° 1466/97) et qui permettrait à leurs commissions compétentes d'entendre la Commission européenne et les institutions européennes concernées sur les évaluations et les décisions prises dans le cadre la coordination des politiques économiques et de la surveillance budgétaire exercées au niveau européen.

La croissance et l'emploi doivent être au coeur de nos priorités. Des marges de manoeuvre existent, nationales mais aussi européennes. Les instruments pour les promouvoir se trouvent dans l'accroissement de la participation des institutions représentatives au processus de construction européenne. Face à la dictature de l'urgence imposée par les marchés, il convient de répondre par l'urgence démocratique .

* *

*

Lors de sa réunion du 1 er février 2012, la commission des affaires européennes a conclu, à l'unanimité, au dépôt de la proposition de résolution qui suit :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPEENNE

Le Sénat,

Vu l'article 3 du traité sur l'Union européenne,

Vu l'article 121 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu les conclusions du Conseil européen du 9 décembre 2011 et la déclaration des chefs d'Etat ou de gouvernement de la zone euro du 9 décembre 2011,

Vu le règlement n°1175/2011 du Parlement européen et du Conseil du 16 novembre 2011 relatif au renforcement de la surveillance des positions budgétaires ainsi que de la surveillance et de la coordination des politiques économiques,

Vu la résolution du 1 er décembre 2011 du Parlement européen sur le semestre européen pour la coordination des politiques économiques,

Vu l'article 73 quinquies du règlement du Sénat,

Considérant le rôle incontournable des parlements nationaux dans la mise en oeuvre de l'objectif essentiel d'une Union sans cesse plus étroite entre les peuples de l'Europe dont l'élaboration doit se faire au plus près des citoyens ;

Considérant que la mise en oeuvre d'une nouvelle gouvernance économique et budgétaire européenne, nécessite le franchissement d'une nouvelle étape dans l'implication des parlements nationaux au sein des procédures législatives et de contrôles communautaires ;

Considérant qu'une Union économique et monétaire renforcée ne pourra atteindre ses objectifs et endiguer la crise qu'à travers la mise en oeuvre d'une véritable politique de croissance et d'investissement soutenue par une harmonisation fiscale, sociale et environnementale ; soulignant que les crédits affectés à la politique de cohésion doivent être mobilisés dans ce sens ;

Considérant que l'avenir du « gouvernement économique européen » ne peut uniquement résider dans la tenue de sommets des Etats membres de la zone euro, même mensuels, mais consiste avant tout à étoffer et renforcer la procédure de coordination des politiques économiques et budgétaires, notamment dans sa dimension démocratique et parlementaire , sans méconnaître l'existence de situations d'urgence ;

Considérant, selon le règlement européen n°1175/2011, que « le renforcement de la gouvernance économique devrait comprendre une participation plus étroite et en temps utile du Parlement européen et des parlements nationaux » ;

Considérant, selon le même règlement européen, que « dans le respect des dispositions légales et politiques de chaque Etat membre, il convient que les parlements nationaux soient dûment associés au semestre européen et à la préparation des programmes de stabilité, des programmes de convergence et des programmes de réforme nationaux » ;

Considérant essentiel que les parlements nationaux, conformément à la procédure normale de révision des traités, puissent émettre leurs recommandations sur toutes futures négociations institutionnelles ;

Le Sénat :

Invite le gouvernement à soutenir l'institutionnalisation, au sein d'une Conférence interparlementaire commune, de la double légitimité démocratique que représentent le Parlement européen et les parlements nationaux aux fins de contrôle du processus de coordination budgétaire et économique ;

Souhaite que cette conférence interparlementaire puisse être convoquée à chaque étape importante du processus de coordination, notamment avant chaque Conseil européen de printemps pour débattre des grandes orientations budgétaires communes des Etats membres et de l'Union et, le cas échéant de voter une résolution sur ces sujets ;

Propose que cette conférence soit composée des représentants des commissions concernées des parlements nationaux et de représentants du Parlement européen ;

Propose que cette conférence interparlementaire, dans un format zone euro, puisse également se réunir lorsque la situation l'exige pour débattre et proposer une résolution à l'Eurogroupe ;

Appelle, en outre, à donner un rôle renforcé à la COSAC, notamment comme organe de préparation et de suivi de ces conférences interparlementaires ;

Invite la Commission européenne à associer les parlements nationaux au dialogue économique prévu par le règlement européen n°1175/2011 dans le cadre de la coordination des politiques économiques et budgétaires ;

Se déclare prêt à s'engager dans un dialogue politique et un échange de vue réguliers avec le Parlement européen ;

Invite le gouvernement à modifier sa circulaire du 22 juin 2010 relative à la participation du Parlement français au processus décisionnel européen afin de renforcer le contrôle parlementaire de l'exécutif dans toutes les matières qui concernent l'Union européenne et particulièrement la zone euro.

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