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N° 663
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2014-2015
Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 août 2015 |
PROPOSITION DE LOI
visant à lutter contre le gaspillage alimentaire ,
PRÉSENTÉE
Par Mme Nathalie GOULET, MM. François ZOCCHETTO, Christian NAMY, Yves POZZO di BORGO, Jean-Marie BOCKEL, Mme Sylvie GOY-CHAVENT, M. Alain FOUCHÉ, Mmes Françoise FÉRAT, Chantal JOUANNO, MM. Roger KAROUTCHI et Christophe-André FRASSA,
Sénateurs
(Envoyée à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Au mois de décembre 2011, Frédéric LEFEBVRE avait, alors qu'il était secrétaire d'État chargé de la consommation, lancé un appel à la générosité des entreprises de la grande distribution afin que les « Restos du coeur », la « Croix-Rouge », le « Secours Populaire » et la « Banque alimentaire » puissent répondre aux demandes dont ils faisaient l'objet.
Cet appel avait permis à ces entreprises de fournir aux associations de quoi fournir des repas aux mois de février et mars 2012.
Alors que notre pays connaît une crise majeure et, hélas, durable, les Restos du coeur lancent leur trentième campagne hivernale.
Lors de la campagne 2013-2014, l'association créée par Coluche en 1985 a dépassé pour la première fois le million de personnes inscrites dans ses centres, et servi 130 millions de repas.
De nombreuses associations caritatives, dont la Banque alimentaire qui a organisé les 28 et 29 novembre, sa trentième grande collecte annuelle, ont récemment interpellé les pouvoirs publics devant l'urgence de la situation.
Comme le dit si crûment le président du Secours populaire : « La faim dans le monde, elle est chez nous ».
On dénombre ainsi aujourd'hui 100 banques alimentaires en France et 256 en Europe et leur nombre de bénéficiaires ne cesse de croître.
Les associations qui concourent à permettre à nombre de nos concitoyens de pouvoir s'alimenter sont confrontées à un afflux de personnes qui demandent une aide.
Dans le cadre d'une enquête du Secours populaire de la fin de l'année 2013, 41 % des Français interrogés ont affirmé avoir déjà connu une situation de pauvreté, 62 % des mères seules ont confié avoir rencontré des difficultés à se procurer une alimentation saine et équilibrée, tout comme 37 % de l'ensemble des personnes interrogées.
Selon un baromètre publié par l'observatoire BFM Business et Ca Com le 3 novembre 2014, plus de neuf Français sur dix (92 %) n'excluent pas totalement le risque de plonger un jour dans la précarité et 37 % des sondés déclarent avoir des revenus insuffisants pour finir le mois.
Ce sont ainsi des millions de Français et d'européens qui font appel aux organismes caritatifs ou qui restreignent, parfois au-delà du supportable, leurs dépenses d'alimentation.
Derrières ces chiffres, il y a une réalité humaine qui nous oblige et un constat que nous ne pouvons plus ignorer : un nombre grandissant de Français et d'européens ne peuvent même plus faire face financièrement à leurs besoins premiers.
Lors des dernières élections européennes, les citoyens de l'Union ont envoyé un message fort dans nombre de pays touchés par la crise, en votant pour les extrêmes, car ils veulent redevenir prioritaires !
Il est de la responsabilité des décideurs politiques nationaux de prendre en compte cette réalité sociale et de prendre les mesures qui permettront de répondre aux attentes d'un nombre croissant de nos compatriotes.
Depuis le mois de décembre 2014, un élu municipal de Courbevoie, Arash DERAMBARSH, organise régulièrement, après avoir lancé un appel sur les réseaux sociaux, des distributions de denrées invendues des supermarchés de sa commune à des personnes dans le besoin, avec le concours d'associations.
Cette initiative, qui a permis de distribuer à chaque fois entre 10 et 20 kilogrammes de denrées par supermarché, doit être saluée, mais elle pose la question de la réglementation applicable, car aujourd'hui nombre de grandes surface n'osent s'engager dans cette démarche par elle-même car la loi le leur interdit, ce qui se traduit, dans une France qui a faim, par des gaspillages alimentaires intolérables.
Lors des débats relatifs au projet de loi pour la croissance et l'activité, Frédéric LEFEBVRE et Jean-Pierre DECOOL - auteur d'une précédente proposition de loi sur le sujet - ont déposé des amendements inspirés par cette démarche, amendements repris avec succès par l'auteur de cette proposition et voté à l'unanimité par le Senat.
Lors des débats en commission spéciale sur le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, le 15 avril 2015, la présidente de la commission spéciale a indiqué que le gaspillage alimentaire était « un sujet important ayant vocation à donner lieu à un grand débat » dans le prolongement du rapport GAROT et avait fait savoir que les différents groupes de l'Assemblée nationale, finiraient par se « retrouver sur certaines propositions en séance publique » lors de l'ultime lecture de ce texte.
Les amendements relatifs à la lutte contre le gaspillage alimentaire ont été votés, à l'unanimité des bancs de notre assemblée le 21 mai 2015 et sont devenus le paragraphe II de l'article 103 du texte relatif à la croissance énergétique pour la croissance verte adopté par l'Assemblée national le 22 juillet 2015.
Le Conseil Constitutionnel dans sa décision 2015-718 DC du 13 août 2015 vient de censurer ce paragraphe II de l'article 103 du projet de loi relatif à la croissance énergétique pour la croissance verte - au nom de la logique de « l'entonnoir » de la procédure parlementaire.
Selon le juge constitutionnel, « les amendements dont sont issues les disposition s » (du paragraphe II de l'article 103 du projet de loi) « ont été introduits en nouvelle lecture » et » ces adjonctions n'étaient pas, à ce stade de la procédure, en relation directe avec une disposition restant en discussion ... n'étaient pas non plus destinées à assurer le respect de la Constitution, à opérer une coordination avec des textes en cours d'examen ou à corriger une erreur matérielle » et » il s'ensuit que les paragraphes II à VII de l'article 103 ont été adoptés selon une procédure contraire à la Constitution ».
Si nous ne pouvons que la regretter, cette décision ne nous surprend malheureusement pas, puisque le 21 mai dernier, en séance, Frédéric LEFEBVRE indiquait qu'il était préférable de conserver le dispositif qui figurait dans la loi MACRON, que nous avons introduit au Sénat et dont il avait été à l'origine, « compte tenu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur « l'entonnoir », quitte à le modifier. Nous ne nous serions pas aujourd'hui dans cette situation regrettable.
Frédéric LEFEBVRE avait en séance à l'Assemblée nationale souligné que « le travail utile que nous » étions « en train de faire risquait de subir la censure du Conseil constitutionnel » en vertu de « sa jurisprudence bien connue de l'entonnoir » ». Il était alors accusé de développer une argumentation « anxiogène »...
La décision du Conseil Constitutionnel du 13 août 2015 a malheureusement confirmé cette analyse...
La Ministre de l'écologie a fait savoir à la suite de cette censure prévisible qu'elle allait réunir les acteurs de la grande distribution pour proposer de faire « d e manière volontariste et contractuelle ce que prévoyait la loi » .
Sans mettre en cause sa bonne foi, des doutes légitimes peuvent être exprimés quant au succès de cette démarche.
C'est pourquoi, la présente proposition de loi reprend les termes de l'article accepté par le Gouvernement, voté à l'unanimité et censuré par le juge constitutionnel.
Un texte identique sera également déposé à l'Assemblée nationale par Frédéric LEFEBVRE.
Si le Gouvernement ne réintroduit pas la disposition dans un texte adapté dès la rentrée parlementaire, le Parlement pourra prendre ses responsabilités et légiférer sans risque de censure constitutionnelle.
Tels sont, Mesdames, Messieurs, les objectifs de la présente proposition de loi.
PROPOSITION DE LOI
Article unique
I. - Après la sous-section 1 de la section 3 du chapitre I er du titre IV du livre V du code de l'environnement, est insérée une sous-section 1 bis ainsi rédigée :
« Sous-section 1 bis
« Prévention des déchets alimentaires
« Art. L. 541-15-3. - La lutte contre le gaspillage alimentaire implique de responsabiliser et de mobiliser les producteurs, les transformateurs, les distributeurs, les consommateurs et les associations. Les actions de lutte contre le gaspillage alimentaire sont mises en oeuvre dans l'ordre de priorité suivant :
« 1° La prévention du gaspillage alimentaire ;
« 2° L'utilisation des invendus propres à la consommation humaine, à travers le don ou la transformation ;
« 3° La valorisation destinée à l'alimentation animale ;
« 4° L'utilisation à des fins de compost pour l'agriculture ou la valorisation énergétique, notamment par méthanisation.
« La lutte contre le gaspillage alimentaire passe notamment par la sensibilisation et la formation de tous les acteurs, la mobilisation des acteurs au niveau local et une communication régulière auprès des citoyens, en particulier dans le cadre des programmes locaux de prévention des déchets.
« Art. L. 541-15-4. - I. - Les distributeurs du secteur alimentaire assurent la commercialisation de leurs denrées alimentaires ou leur valorisation conformément à la hiérarchie établie à l'article L. 541-15-3. Sans préjudice des règles relatives à la sécurité sanitaire des aliments, ils ne peuvent délibérément rendre leurs invendus alimentaires encore consommables impropres à la consommation ou à toute autre forme de valorisation prévue au même article.
« II. - Aucune stipulation contractuelle ne peut faire obstacle au don de denrées alimentaires vendues sous marque de distributeur, au sens de l'article L. 112-6 du code de la consommation, par un opérateur du secteur alimentaire à une association caritative habilitée conformément à l'article L. 230-6 du code rural et de la pêche maritime, et prévu par une convention conclue par eux.
« III. - Le don de denrées alimentaires par un commerce de détail alimentaire dont la surface de vente est supérieure au seuil mentionné au premier alinéa de l'article 3 de la loi n° 72-657 du 13 juillet 1972 instituant des mesures en faveur de certaines catégories de commerçants et artisans âgés à une association caritative habilitée conformément à l'article L. 230-6 du code rural et de la pêche maritime fait l'objet d'une convention qui en précise les modalités.
« IV. - Le présent article n'est pas applicable aux denrées impropres à la consommation.
« V. - Un décret fixe les modalités d'application du présent article.
« Art. L. 541-15-5 . - I. - Avant le 1 er juillet 2016 ou au plus tard un an à compter de la date de leur ouverture ou de la date à laquelle leur surface de vente dépasse le seuil mentionné au premier alinéa de l'article 3 de la loi n° 72-657 du 13 juillet 1972 précitée, si le terme de ce délai est postérieur au 1 er juillet 2016, les commerces de détail alimentaires dont la surface de vente est supérieure à ce seuil proposent à une ou plusieurs associations mentionnées au III de l'article L. 541-15-4 du présent code de conclure une convention précisant les modalités selon lesquelles les denrées alimentaires leur sont cédées à titre gratuit.
« Les commerces de détail ayant conclu une telle convention avant la promulgation de la présente loi sont réputés satisfaire au présent I.
« II. - Le manquement au I est puni de l'amende prévue pour les contraventions de troisième classe. »
II. - Après le 2° de l'article 1386-6 du code civil, il est inséré un 3° ainsi rédigé :
« 3° Qui fait don d'un produit vendu sous marque de distributeur en tant que fabricant lié à une entreprise ou à un groupe d'entreprises, au sens de l'article L. 112-6 du code de la consommation. »
III. - Le II des articles L. 541-15-4 et L. 541-15-5 du code de l'environnement, dans leur rédaction résultant du présent article, entrent en vigueur le 1 er juillet 2016.
IV. - Un distributeur du secteur alimentaire qui rend délibérément impropres à la consommation les invendus alimentaires encore consommables, sans préjudice des règles relatives à la sécurité sanitaire, encourt une peine de 3750 € d'amende. Il encourt également la peine complémentaire d'affichage ou de diffusion de la décision prononcée, dans les conditions prévues à l'article 131-35 du code pénal.