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N° 207
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2014-2015
Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 décembre 2014 |
PROPOSITION DE LOI
relative à l' assistance médicalisée pour mourir et aux droits des malades en fin de vie ,
PRÉSENTÉE
Par MM. Jean-Pierre GODEFROY, Daniel RAOUL, Roger MADEC, Jean-Yves LECONTE, François AUBEY, Gérard MIQUEL, Yves DAUDIGNY, Michel BERSON, Éric JEANSANNETAS, Philippe KALTENBACH, Félix DESPLAN, Roland COURTEAU, Mme Delphine BATAILLE, MM. Michel VERGOZ, Bernard CAZEAU, Richard YUNG, Jean-Pierre CAFFET, Yannick VAUGRENARD, Jeanny LORGEOUX, Mme Claudine LEPAGE, M. Maurice VINCENT, Mme Claire-Lise CAMPION, M. Jean GERMAIN, Mme Michèle ANDRÉ, MM. Alain NÉRI et Daniel REINER,
Sénateurs
(Envoyée à la commission des affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Depuis la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, le Sénat a été à l'origine de nombreuses initiatives pour permettre aux personnes dont l'état de santé ne laisse plus aucun espoir de guérison de ne pas finir leurs jours dans la souffrance et d'avoir le droit de choisir le moment de leur mort.
Dans La comédie humaine , Balzac demandait « Les souffrances les plus vives, ne viennent-elles pas du libre arbitre contrarié ? » Cette proposition de loi s'inscrit dans cet esprit. Elle n'est guidée que par la place primordiale qui doit être réservée à l'autonomie de la volonté et à la liberté de conscience des individus. Notre rôle de législateur est de permettre aux individus d'être respectés dans ce moment de l'existence et accompagnés dans leurs choix concernant leur mort.
Nous sommes parvenus au Sénat depuis plusieurs années à dépasser nos clivages habituels dans ce débat si sensible, qui met en jeu nos convictions les plus intimes. Ainsi, en janvier 2011, nous avions réussi à faire adopter en commission des affaires sociales un texte signé par des membres du groupe socialiste, du groupe UMP et du groupe communiste. Celui-ci avait ensuite été rejeté en séance.
Depuis, plusieurs propositions de loi souvent proches les unes des autres ont été déposées dont la proposition de loi relative à l'assistance médicalisée pour mourir (n° 312) déposée le 31 janvier 2012 au nom du groupe socialiste. À la demande du président du Sénat d'alors, les cinq propositions de loi qui étaient enregistrées sur le sujet avaient été soumises à l'avis du Conseil d'État en application du dernier alinéa de l'article 39 de la Constitution. Dans cet avis remis le 7 février 2013, le Conseil d'État a estimé qu'aucune norme de nature constitutionnelle ou conventionnelle ne pourrait par principe faire obstacle à une législation permettant d'instaurer un droit à pouvoir bénéficier d'une assistance médicalisée pour mourir dans des conditions bien définies. Il a également émis dans son rapport des remarques à la lumière desquelles certaines modifications ont été apportées au texte.
Cette proposition de loi a pour objet les personnes pour lesquelles l'arrêt du traitement ne suffit pas à soulager leur douleur. Elle vise à permettre aux personnes majeures atteintes d'une affection infligeant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou qu'elles jugent insupportable de pouvoir bénéficier, si elles le souhaitent, d'une assistance médicalisée pour mourir. L'acte peut être accompli par un médecin ou par la personne elle-même. La procédure est étroitement encadrée et réalisée dans un cadre médical. Elle garantit le caractère libre, éclairé et réfléchi de la demande. La proposition de loi prévoit aussi la possibilité de rédiger des directives anticipées qui s'imposent aux médecins pour le cas où la personne se trouverait hors d'état d'exprimer sa volonté. Elle instaure par ailleurs une clause de conscience au profit des personnels de santé.
PROPOSITION DE LOI
Article 1 er
L'article L. 1110-9 du code de la santé publique est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Toute personne majeure en phase avancée ou terminale d'une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable lui infligeant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou qu'elle juge insupportable, qui s'est vue proposer l'ensemble des soins palliatifs auxquels elle a droit, peut demander à bénéficier, dans les conditions prévues au présent titre, d'une assistance médicalisée permettant, par un acte délibéré une mort rapide et sans douleur. Cet acte peut être accompli par la personne elle-même ou par le médecin qu'elle a choisi. Le médecin doit avoir la conviction que la demande de la personne est totalement libre, éclairée, réfléchie et qu'il n'existe aucune solution acceptable par elle-même dans sa situation. »
Article 2
Après l'article L. 1111-10 du même code, il est inséré un article L. 1111-10-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 1111-10-1 - Lorsqu'en application du dernier alinéa de l'article L. 1110-9, une personne demande au médecin de son choix une assistance médicalisée pour mourir, celui-ci saisit dans un délai n'excédant pas quarante-huit heures deux confrères praticiens sans lien d'intérêt ou de famille avec elle pour s'assurer de la réalité de la situation médicale dans laquelle elle se trouve. Il peut également faire appel à tout autre membre du corps médical susceptible d'apporter des informations complémentaires.
« Les médecins vérifient, lors d'un entretien avec la personne malade, le caractère libre, éclairé et réfléchi de sa demande. Ils lui rappellent aussi les possibilités qui lui sont offertes par les dispositifs de soins palliatifs adaptés à sa situation et prennent, si la personne le désire, les mesures nécessaires pour qu'elle puisse effectivement en bénéficier.
« Dans un délai maximum de huit jours suivant cette rencontre, les trois médecins remettent au patient, en présence de sa personne de confiance, un rapport établi à la majorité d'entre eux faisant état de leurs conclusions sur son état de santé. Si ces conclusions attestent, au regard des données acquises de la science, que la personne est atteinte d'une affection grave et incurable lui infligeant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou qu'elle juge insupportable, que sa demande est libre, éclairée et réfléchie et s'ils constatent qu'elle persiste dans sa demande, le cas échéant en présence de sa personne de confiance, l'assistance médicalisée pour mourir doit lui être apportée.
« L'acte d'assistance médicalisée pour mourir est réalisé par le médecin qui accompagne la personne malade dans sa démarche. Toutefois, en présence du médecin, la personne peut accomplir elle-même l'acte si elle en fait le choix. L'acte a lieu après l'expiration d'un délai de huit jours à compter de la date de confirmation de sa demande.
« Si la personne malade l'exige, et avec l'accord du médecin qui l'accompagne, ce délai peut être raccourci.
« La personne malade peut à tout moment révoquer sa demande.
« Les conclusions médicales et la confirmation de la demande sont versées au dossier médical du patient. Dans un délai de quatre jours ouvrables à compter du décès, le médecin qui a accompagné la personne adresse à la commission nationale de contrôle mentionnée à l'article L. 1111-13-2 un rapport exposant les conditions dans lesquelles celui-ci s'est déroulé. À ce rapport sont annexés les documents qui ont été versés au dossier médical en application du présent article. »
Article 3
L'article L. 1111-11 du même code est ainsi rédigé :
« Art. L. 1111-11 - Toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées relatives à la fin de sa vie pour le cas où, en phase avancée ou terminale d'une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable, elle serait hors d'état d'exprimer sa volonté.
« Dans les directives anticipées, la personne indique ses volontés en matière de limitation ou d'arrêt de traitement et d'actes médicaux et, le cas échéant, les circonstances dans lesquelles elle souhaite bénéficier d'une assistance médicalisée pour mourir.
« Dans ces directives, elle peut désigner une ou plusieurs personnes de confiance majeures, classées par ordre de préférence, chargées de la représenter et d'informer les médecins de ses volontés. Chaque personne de confiance remplace celle qui la précède dans la déclaration en cas de refus, d'empêchement, d'incapacité ou de décès. Le médecin traitant, le médecin qui accompagne le patient et les membres de l'équipe soignante ne peuvent pas être désignés comme personnes de confiance.
« Les directives anticipées sont établies par écrit, datées et signées par la personne et pour elle-même. Le cas échéant, elles sont également signées par la ou les personnes de confiances désignées.
« Si la personne qui souhaite établir des directives anticipées se trouve en état d'exprimer sa volonté de façon libre, éclairée et réfléchie mais hors d'état de les écrire et de les signer, elle peut demander à une personne majeure de son choix n'ayant aucun intérêt matériel à son décès d'établir ces directives en présence de deux témoins majeurs et d'un médecin de son choix. Les directives anticipées précisent que le déclarant est hors d'état de les écrire et de les signer. Elles sont datées et signées par la personne qui les a établies, par les deux témoins, par le médecin, et le cas échéant, par la ou les personnes de confiance qu'elles désignent. Le médecin joint à ces directives une attestation médicale certifiant l'incapacité du déclarant à les rédiger et les signer lui-même.
« Les directives anticipées sont modifiables ou révocables à tout moment. Elles sont sans délai d'expiration et demeurent valables tant qu'elles n'ont pas été révoquées expressément ou par l'établissement de directives postérieures. Toute directive anticipée emporte révocation intégrale de celles antérieurement établies.
« Au cas où l'auteur des directives anticipées fait l'objet d'une mesure de protection, celles-ci restent valables tant qu'elles n'ont pas été révoquées par le juge.
« Les directives anticipées établies par la personne qui se trouve hors d'état d'exprimer sa volonté s'imposent au médecin pour toute décision d'investigation, d'intervention ou de traitement ainsi qu'en matière d'assistance médicalisée pour mourir.
« Les directives anticipées sont inscrites sur un registre automatisé national tenu par la commission nationale de contrôle des pratiques relatives à l'assistance médicalisée pour mourir mentionnée à l'article L. 1111-13-2 ainsi que sur la carte vitale. Toutefois, cet enregistrement ne constitue pas une condition de validité du document.
« Les modalités de gestion du registre, de l'inscription sur la carte vitale et la procédure de communication des directives anticipées au médecin sont définies par décret en Conseil d'État. »
Article 4
L'article L. 1111-6 du même code est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est supprimé ;
2° Au deuxième alinéa, les mots : « dans les conditions prévues à l'alinéa précédent » sont remplacés par les mots : « qui pourra, si le malade le souhaite, l'accompagner dans ses démarches, assister aux entretiens médicaux afin de l'aider dans ses décisions et qui sera consultée au cas où elle-même serait hors d'état d'exprimer sa volonté et de recevoir l'information nécessaire à cette fin ».
Article 5
La section 2 du chapitre I er du titre I er du livre I er de la première partie du code de la santé publique est complétée par deux articles L. 1111-13-1 et L. 1111-13-2 ainsi rédigés :
« Art. L. 1111-13-1. - Toute personne, en phase avancée ou terminale d'une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable, qui se trouve de manière définitive dans l'incapacité d'exprimer une demande libre et éclairée, peut bénéficier d'une assistance médicalisée pour mourir à la condition que celle-ci figure expressément et de façon univoque dans ses directives anticipées établies dans les conditions mentionnées à l'article L. 1111-11.
« Sa personne de confiance en fait alors la demande au médecin qui l'accompagne, qui la transmet à deux confrères. Après avoir consulté l'équipe médicale, les personnes qui assistent au quotidien la personne malade et tout autre membre du corps médical susceptible de les éclairer, les trois médecins établissent, dans un délai de quinze jours au plus et à la majorité d'entre eux, un rapport déterminant si les conditions pour bénéficier d'une assistance médicalisée pour mourir sont remplies.
« Les médecins qui forment le collège, le personnel médical consulté, ainsi que la personne de confiance ont accès à tout moment aux directives anticipées. Au cours de la procédure, la personne de confiance est précisément informée de l'évolution de l'état du patient par le médecin qui l'accompagne.
« Lorsque le rapport conclut à la possibilité d'une assistance médicalisée pour mourir, la personne de confiance doit confirmer le caractère libre, éclairé et réfléchi de la demande anticipée de la personne malade en présence de deux témoins n'ayant aucun intérêt matériel ou moral à son décès. L'assistance médicalisée pour mourir est alors apportée après l'expiration d'un délai d'au moins deux jours à compter de la date de confirmation de la demande.
« Le rapport des médecins et les directives anticipées sont versées au dossier médical du patient. Dans un délai de quatre jours ouvrables à compter du décès, le médecin qui a apporté son concours à l'assistance médicalisée pour mourir adresse à la commission nationale de contrôle mentionnée à l'article L. 1111-13-2 un rapport exposant les conditions dans lesquelles le décès s'est déroulé. À ce rapport sont annexés les documents qui ont été versés au dossier médical en application du présent article.
« Art. L. 1111-13-2. - Il est institué une commission nationale de contrôle des pratiques relatives aux demandes d'assistance médicalisée pour mourir présidée par un magistrat et comprenant un représentant de l'État et un représentant de l'ordre des médecins. Cette commission est chargée de contrôler, chaque fois qu'elle est rendue destinataire d'un rapport d'assistance médicalisée pour mourir, si les exigences légales ont été respectées.
« Lorsqu'elle estime que ces exigences n'ont pas été respectées ou en cas de doute, elle en saisit le procureur de la République.
« Les règles relatives à la composition ainsi qu'à l'organisation et au fonctionnement des commissions susvisées sont définies par décret en Conseil d'État. »
Article 6
Le dernier alinéa de l'article L. 1110-5 du code de la santé publique est complété par trois phrases ainsi rédigées :
« Les professionnels de santé ne sont pas tenus d'apporter leur concours à la mise en oeuvre d'une assistance médicalisée pour mourir. Le refus du médecin ou de tout membre de l'équipe soignante de participer à une procédure d'assistance médicalisée pour mourir est notifié immédiatement au demandeur ou à sa personne de confiance dans le cas où il serait hors d'état de d'exprimer sa volonté. Dans ce cas, le médecin est tenu de l'orienter dans un délai qui ne peut excéder quarante-huit heures vers un confrère susceptible de déférer à la demande exprimée directement par le patient ou par ses directives anticipées dans le cas où il serait hors d'état d'exprimer sa volonté. »
Article 7
Le deuxième alinéa de l'article L. 1112-4 du code de la santé publique est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Ils assurent également, dans le cadre de la formation initiale et continue des professionnels de santé, une formation sur les conditions de réalisation d'une assistance médicalisée pour mourir. »
Article 8
Après l'article L. 132-7 du code des assurances il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. L. 132-7-1 . - L'assurance en cas de décès est réputée couvrir le recours à une assistance médicalisée pour mourir. »
Article 9
I. - Dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances, dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi, les mesures législatives nécessaires à l'extension et à l'adaptation des dispositions de la présente loi dans les territoires des îles Wallis et Futuna et, en tant qu'elles concernent les compétences de l'État, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.
II. - Un projet de loi de ratification des ordonnances prévues au présent article est déposé devant le Parlement au plus tard six mois à compter de la publication des ordonnances.