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N° 390
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013
Enregistré à la Présidence du Sénat le 27 février 2013 |
PROPOSITION DE LOI
visant à protéger les enfants de l' hypersexualisation ,
PRÉSENTÉE
Par Mme Chantal JOUANNO,
Sénatrice
(Envoyée à la commission des affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
En matière de protection de l'enfance et de respect des droits de l'enfant, notre doctrine repose en grande partie sur la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE). L'article 3-1 de la CIDE, aujourd'hui d'application directe dans notre droit, établit l'intérêt supérieur de l'enfant. En 2007, le législateur a codifié cette notion dans l'article L. 112-4 du code de l'action sociale et des familles en inscrivant que « l'intérêt de l'enfant, la prise en compte de ses besoins fondamentaux, physiques, intellectuels, sociaux et affectifs ainsi que le respect de ses droits doivent guider toutes décisions le concernant. »
Les enfants sont de plus en plus confrontés à des images hypersexualisées, voire transformés en adultes miniatures dont l'apparence renvoie un signal de disponibilité sexuelle manifestement trop précoce. Pour autant, cette hypersexualisation est rarement comprise comme une mise en danger de l'enfant en termes de développement et de construction psychologique. La société doit prendre conscience et reconnaître que la banalisation des codes pornographiques et de l'hypersexualisation est contraire à l'intérêt général et à la construction des générations futures.
Pour la construction de l'enfant, des étapes essentielles de son développement doivent être respectées. Notamment la période de latence, qui après la résolution de son complexe d'OEdipe, permet à l'enfant d'organiser sa personnalité et de se consacrer, jusqu'à sa puberté, à ses apprentissages.
Les frontières des âges sont aujourd'hui brouillées sous la pression d'un modèle consumériste qui a créé les conditions du développement, avant la puberté, de l'hypersexualisation. Ce néologisme renvoie à la sexualisation des expressions, postures ou codes vestimentaires à des fins de séduction que ne saurait utiliser l'enfant s'il n'y était incité.
Selon tous les pédopsychiatres, l'hypersexualisation doit être considérée comme une entrave sérieuse au développement psychoaffectif de l'enfant ayant pour finalité la transformation de l'enfant en objet de désir sexuel. Ce phénomène constitue un véritable traumatisme qui peut dans les cas les plus extrêmes conduire à des conduites individuelles à risque.
Les études québécoises menées sur le sujet montrent que la survalorisation de l'apparence et de la séduction comporte des risques pour la santé physique et psychologique des enfants. Les principales conséquences de cette excessive préoccupation du paraître sont la dépression, la diminution de l'acuité mentale, la perte d'estime de soi et les troubles alimentaires.
En France, le consensus social résiste à cette vague de l'hypersexualisation. Mais des signes inquiétants se multiplient et notre société ne saurait échapper durablement à cette pression sans ériger des principes légaux qui fondent le consensus social.
Pour le législateur, l'enjeu porte moins sur un jugement de valeur que sur l'impératif de préserver l'intérêt supérieur de l'enfant face à la banalisation de l'hypersexualisation.
C'est à la seule lumière de l'intérêt de l'enfant, notion juridiquement définie, que la représentation nationale doit légiférer sur un phénomène qui fait peser de graves menaces sur leur bien-être.
Au-delà de l'enjeu individuel, la question de l'hypersexualisation revêt également un enjeu de société car les mineurs sont les instruments d'une stratégie commerciale qui renforce les stéréotypes sexistes.
La proposition de loi qui vous est soumise vise à prévenir l'instrumentalisation à des fins commerciales ou autres de mineurs hypersexualisés, stéréotypes qui ne sauraient être banalisés, au risque d'être assimilés à une norme valorisable.
Les articles 1 er et 2 encadrent très strictement l'activité de mannequin enfant, interdisant en conséquence de faire des enfants des égéries de marques.
La proposition de loi, dans son article 3 , vise également à interdire les concours de beauté aux enfants de moins de 16 ans, afin de les protéger d'une infraction précoce de la séduction faisant reposer sur eux un primat de l'apparence préjudiciable à leur développement.
Mesdames, Messieurs, s'il n'est pas du ressort du législateur de moraliser l'usage du corps humain tant que sa dignité ou son intégrité n'est pas menacée, il est de sa responsabilité de protéger les mineurs et leur image. Dans le domaine de la mode, l'âge de 16 ans constitue, en cohérence avec les dispositions déjà en vigueur pour le mannequinat des enfants, un seuil en deça duquel l'usage qui est fait de l'image des enfants doit faire l'objet des plus grandes précautions. Pour l'intérêt de l'enfant, d'abord, parce que son développement psychoaffectif peut être bouleversé par la survalorisation de son apparence. Pour notre société, ensuite, où la place de l'enfant doit être distinguée de celle de l'adulte.
La mission première de l'État est d'assurer le bien-être de ses membres. C'est au nom du bien-être dont découle juridiquement l'intérêt supérieur de l'enfant et la dignité de la personne humaine que je vous demande d'adopter la présente proposition de loi.
PROPOSITION DE LOI
Article 1 er
À l'article L. 7124-16 du code du travail, il est inséré un 5° ainsi rédigé :
« 5° À toute personne d'employer comme mannequin un enfant âgé de moins de seize ans :
« - pour présenter ou promouvoir tout produit ou service non exclusivement destiné aux besoins de l'enfant.
« - pour présenter ou promouvoir tout produit ou service en utilisant sa personne, de manière non conforme à son âge, ou contraire à sa dignité. »
Article 2
À l'article L. 7124-30 du même code, il est inséré un 5° ainsi rédigé :
« 5° À toute personne d'employer comme mannequin un enfant âgé de moins de seize ans :
« - pour présenter ou promouvoir tout produit ou service non exclusivement destiné aux besoins de l'enfant.
« - pour présenter ou promouvoir tout produit ou service en utilisant sa personne, de manière non conforme à son âge, ou contraire à sa dignité. »
Article 3
Dans la loi n° 87-588 du 30 juillet 1987 portant diverses mesures d'ordre social, il est inséré un article 99-1 ainsi rédigé :
« Art. 99-1. - Est interdite l'organisation de concours de beauté pour les enfants âgés de moins de 16 ans. L'infraction au présent article est punie de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende.
« Sont passibles des mêmes peines les personnes qui favorisent, encouragent ou tolèrent l'accès des enfants à ces concours.
« Pour cette infraction, les associations de jeunesse et d'éducation populaire, de défense de l'enfance en danger, ainsi que les associations de défense et de promotion des droits de l'enfant, régulièrement déclarées depuis au moins cinq ans à la date des faits, peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile. »