NOTE DE SYNTHESE
Les
« repentis », parfois qualifiés de
« collaborateurs de justice », sont les personnes qui,
ayant participé à des activités criminelles, acceptent de
coopérer avec les autorités judiciaires ou policières et
obtiennent différents avantages en échange de leur
collaboration.
Celle-ci peut prendre différentes formes. Elle peut par exemple
consister à fournir des informations susceptibles d'empêcher la
réalisation d'une infraction planifiée ou de faciliter
l'identification de l'auteur d'une infraction déjà
réalisée. En contrepartie de sa collaboration, le
délinquant peut obtenir un abandon des poursuites de la part du
ministère public ou une réduction de peine, voire une exemption,
de la part du juge.
Ce dispositif existe déjà en France pour certaines
infractions
, notamment pour le trafic de stupéfiants, les actes de
terrorisme et l'association de malfaiteurs.
Le projet de loi portant
adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité
,
présenté en conseil des ministres le 9 avril 2003 et
adopté par l'Assemblée nationale en première lecture le
23 mai 2003,
vise à en étendre
l'application
aux cas d'empoisonnement, d'assassinat, de torture, de séquestration et
d'enlèvement, de détournement d'avion, de
proxénétisme, de traite des êtres humains, de vol en bande
organisée et de trafic d'armes, c'est-à-dire
à toutes
les infractions relevant de la criminalité organisée
.
De plus, pour assurer la sécurité des repentis, le projet de loi
prévoit la possibilité de leur accorder une identité
d'emprunt.
Comme le dispositif du repenti est directement inspiré du système
anglais du « témoin de la Couronne », lui-même
adapté aux États-Unis, la réforme envisagée
justifie l'examen du statut du repenti dans ces deux pays. Il a
également semblé nécessaire d'étudier les exemples
allemand et italien.
En Allemagne, la loi sur les repentis, adoptée en 1989 dans le cadre de
la lutte contre le terrorisme et étendue en 1994 pour faciliter le
démantèlement des associations de malfaiteurs, a
été abandonnée en 1999, mais il subsiste plusieurs
dispositions isolées sur les repentis, notamment dans le code
pénal.
En Italie, en revanche, des règles similaires à la loi allemande
de 1989, également adoptées pour lutter contre le terrorisme
à la fin des années 70, ont vu leur champ d'application
étendu peu à peu à tout le domaine de la
criminalité organisée et même au-delà.
Par ailleurs, le régime autrichien des atténuations de peine pour
collaboration avec les autorités judiciaires, adopté en 1998 pour
faciliter la lutte contre la criminalité organisée, a
été analysé.
De même, les diverses dispositions pénales belges actuellement en
vigueur sur les repentis ont été prises en compte, tout comme la
proposition de loi «
instaurant un
régime pour les
collaborateurs de justice
», déposée à la
Chambre des représentants en février 2002.
Enfin, le projet de loi néerlandais sur les promesses faites aux
témoins dans les affaires pénales, actuellement soumis au
Parlement et qui vise à ancrer dans la législation une pratique
déjà admise par le parquet, a été
étudié.
En revanche, en Suisse, dans le cadre des travaux préalables à
l'élaboration d'un code de procédure pénale unique, une
commission d'experts s'est prononcée contre l'introduction d'un tel
dispositif.
Pour chacun des huit pays qui disposent d'un statut du repenti ou qui
envisagent son
introduction,
l'Allemagne, l'Angleterre et le Pays de
Galles, l'Autriche, la Belgique, l'Espagne
,
l'Italie, les Pays-Bas et
les États-Unis,
les principales caractéristiques de ce
régime ont été examinées
:
-
les infractions
visées par le dispositif ;
-
la
nature de la collaboration
justifiant sa mise en oeuvre
;
-
les
remises de peine
et la protection
spéciale
accordée aux repentis ;
-
la valeur probatoire de leurs déclarations
.
1) Le dispositif anglo-saxon du témoin de l'accusation a un champ
d'application illimité, à la différence des règles
continentales sur les repentis
a) Peu codifié, le système anglo-saxon est applicable à
tous les accusés
Ce sont les règles relatives à la preuve qui expliquent le
système anglo-saxon. En effet, l'impossibilité d'entendre un
accusé comme témoin à charge dans une affaire
pénale s'il était encore susceptible d'être condamné
pour une infraction citée dans la procédure en cours obligeait la
Couronne, titulaire de l'action publique, à lui accorder son pardon et
à abandonner les poursuites. L'accusé à qui le pardon
avait été accordé se commuait ainsi en
« témoin de la Couronne ».
Si la pratique du pardon a disparu, de nos jours, l'accusation a la
possibilité de négocier différents accords d'abandon ou de
désistement partiel des poursuites en échange d'informations de
la part d'un accusé, y compris lorsque les informations portent sur un
coaccusé ou un complice.
Il en va de même aux États-Unis, où les procureurs
jouissent d'une grande liberté et peuvent ainsi conclure des accords
avec les accusés. Ce type de négociation entre l'accusation et la
défense permet notamment de faire échec au
cinquième
amendement de la Constitution fédérale
, grâce auquel
tout citoyen peut refuser de témoigner contre lui-même dans une
affaire pénale et qui exclut en principe toute collaboration des
repentis avec les autorités judiciaires.
Par ailleurs, sous l'appellation d'
« immunité
légale », le code fédéral américain
prévoit la possibilité pour un tribunal de contraindre un suspect
à collaborer avec la justice sous peine de sanctions
et de lui
promettre en échange que son témoignage ne sera pas
utilisé contre lui.
Que le repenti bénéficie d'un accord de renonciation aux
poursuites ou de l'immunité légale,
le champ d'application du
dispositif anglo-saxon est en principe illimité. Il n'exclut aucune
infraction ni aucun type de collaboration : il suffit que l'accusation
considère le témoignage de l'accusé comme servant
l'intérêt général.
b) Dans les pays d'Europe continentale, les récompenses
accordées aux repentis sont explicitement prévues et ne sont
applicables que dans certains cas
En Allemagne, en Autriche, en Belgique, Espagne, en Italie, les dispositions
sur le traitement pénal favorable accordé aux repentis figurent
soit dans le code pénal, soit dans d'autres lois comportant des
dispositions pénales. Le projet de loi néerlandais vise
également à modifier le code pénal.
Les infractions visées
En règle générale, ces dispositions ne sont applicables
qu'à
certaines infractions, souvent limitativement
énumérées et limitées aux cas de
criminalité
organisée
(association de malfaiteurs,
trafic de stupéfiants ou de fausse monnaie, terrorisme...), ainsi que,
le cas échéant, aux infractions connexes.
Cependant, le législateur italien a progressivement étendu le
champ d'application des mesures sur les repentis à des infractions
très diverses, comme les atteintes au droit d'auteur ou le vol. De
même, le projet de loi néerlandais vise non seulement les
infractions commises par des bandes organisées, mais également
toutes les infractions les plus graves, punissables de peines de prison d'au
moins huit ans.
La nature de la collaboration
À l'exception du projet de loi néerlandais, qui prévoit
que les déclarations de l'intéressé doivent constituer une
«
contribution importante
» au déroulement de
la procédure, tous les textes précisent que
l'attribution de
récompenses aux repentis est limitée à certaines formes de
collaboration.
L'octroi d'un traitement pénal avantageux peut par exemple être
réservé aux accusés qui empêchent la
réalisation d'une infraction déjà planifiée, qui
permettent
l'obtention d'éléments déterminants pour
l'identification d'autres délinquants, qui fournissent des informations
sur les dirigeants de l'organisation à laquelle ils appartenaient ou qui
s'efforcent d'éviter que cette dernière ne poursuive ses
activités.
En outre, en Allemagne, en Belgique et en Italie, la teneur de la collaboration
détermine l'ampleur de la récompense : réduction de peine
(le plus souvent de l'ordre de 30 %), impunité, voire abandon des
poursuites. Cependant, dans ce cas, le contenu et le moment des
déclarations du repenti ne constituent pas les seuls
éléments déterminants, car la nature de l'infraction est
également prise en compte. Il en résulte donc des dispositions
multiples, la récompense pénale variant en fonction de la nature
de l'infraction, du moment où la collaboration a lieu et des
informations fournies.
En revanche, en Autriche et en Espagne, si la nature de la collaboration du
repenti conditionne l'octroi d'une récompense, elle n'en
détermine pas l'importance, qui est laissée à
l'appréciation du juge, car la collaboration est
considérée comme une circonstance atténuante.
2) Les mesures de protection sont réservées aux repentis
particulièrement menacés
En règle générale, les repentis peuvent
bénéficier des dispositions relatives aux
témoins
menacés
, ce qui leur permet d'être entendus dans des
conditions particulières (à huis clos, par
vidéoconférence, de manière anonyme...).
Par ailleurs, la plupart des pays ont mis en place des
programmes
spéciaux de protection
. Toutefois, l'octroi d'un traitement
pénal favorable n'entraîne pas automatiquement le
bénéfice de ces mesures de protection, car celles-ci sont
réservées aux repentis particulièrement menacés.
Le meilleur exemple à cet égard est fourni par l'Italie,
où le législateur a décidé au début de
l'année 2001 de dissocier l'incitation à la collaboration et la
protection. Les mesures de protection sont désormais
réservées aux seuls repentis accusés ou condamnés
pour terrorisme, association mafieuse, trafic de stupéfiants ou
enlèvement crapuleux (alors que le champ d'application des dispositions
sur les repentis est beaucoup plus large), dans la mesure où leurs
déclarations, parfaitement fiables, ont un caractère de
«
nouveauté
»,
d'«
exhaustivité
» ou revêtent une
«
importance exceptionnelle
». En outre, pour
bénéficier des mesures de protection, le repenti doit prendre
plusieurs engagements, et notamment remettre au procureur de la
République un « procès-verbal de
collaboration » contenant toutes les informations qu'il
détient.
Partout, les mesures de protection, qui sont souvent décidées par
une commission
ad hoc
, peuvent être étendues aux
membres
de la famille
en cas de besoin.
Ces mesures diffèrent selon que le repenti est ou non
incarcéré. Dans le premier cas, il purge sa peine dans une
unité spécialisée et peut parfois bénéficier
d'un aménagement de son régime pénitentiaire (permissions,
assignation à résidence...). Dans le second,
plusieurs niveaux
de protection
sont généralement prévus selon le danger
couru : simple protection policière, déménagement,
versement de prestations pour compenser l'impossibilité de travailler,
voire changement définitif d'identité dans les cas les plus
graves.
Qu'elles soient initialement prises pour une durée
déterminée ou non, les mesures de protection sont maintenues
aussi longtemps qu'elles sont justifiées.
3) La valeur probatoire des déclarations faites par les repentis est
généralement laissée à l'appréciation du
juge
En l'absence de dispositions expresses, le juge est le plus souvent conduit
à apprécier ces déclarations au même titre que les
autres éléments de preuve.
Cependant,
le projet de loi néerlandais est
particulièrement
explicite
: il prévoit non
seulement qu'aucune déclaration de culpabilité ne peut reposer
sur les seuls dires d'un repenti, mais également que tout jugement
prenant en compte les témoignages d'un repenti doit être
motivé à cet égard.
De même, le
code de procédure pénale italien
dispose
que les informations fournies par les repentis, qu'il s'agisse de
coaccusés ou de personnes poursuivies séparément dans le
cadre de procédures connexes, «
sont évaluées
concurremment avec les autres éléments de
preuve qui en
confirment la crédibilité
».
Dans les autres pays, bien qu'aucune disposition n'interdise explicitement
qu'une condamnation soit prononcée sur la seule base des
déclarations d'un repenti, la prudence constitue la règle. Ainsi,
les plus hautes juridictions espagnoles estiment que la
crédibilité des témoignages des repentis doit être
évaluée notamment en fonction de la personnalité des
intéressés et des raisons qui les ont incités à
collaborer avec les autorités. De même, les juges anglais et les
cours fédérales américaines invitent les jurés
à la prudence lorsqu'une condamnation risque d'être
prononcée sur la seule base des déclarations d'un repenti.
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Le
projet de loi français vise à modifier le code pénal pour
définir les récompenses accordées aux repentis pour
chacune des infractions auxquelles le dispositif est applicable. Il
prévoit également de fournir une identité d'emprunt aux
repentis pour assurer leur sécurité.
Il est donc tout à fait comparable aux dispositions actuellement en
vigueur en Europe continentale, où les mesures en faveur des repentis
résultent de modifications successives apportées au code
pénal, puis, le cas échéant, de textes spécifiques
sur la protection.
Le « statut » du repenti apparaît donc comme
l'addition de moyens épars, sans que les modalités de la
collaboration avec les autorités soient clairement définies. Le
projet de loi néerlandais est le seul texte qui règle ce
point : il prévoit que le repenti et le procureur concluent un
accord écrit, précisant les engagements des deux parties. Le
bien-fondé de cet accord devrait ensuite être
contrôlé par le juge d'instruction, avant que le juge ne puisse,
à la demande du procureur, octroyer une remise de peine dont le quantum
est également fixé dans le projet.