A la Libération, les Françaises obtiennent enfin le droit de voter, et d'être éligibles, depuis longtemps réclamé.
Dans la « déclaration-manifeste » qu'il avait adressée à la Résistance au printemps 1942, le général de Gaulle avait déclaré : « Nous voulons qu'une fois l'ennemi chassé du territoire, tous les hommes et toutes les femmes de chez nous élisent l'Assemblée Nationale qui décidera souverainement des destinées du pays ». La question a été débattue à l'Assemblée consultative provisoire d'Alger, dans le cadre de la préparation de l'ordonnance du 21 avril 1944 relative à l'organisation des pouvoirs publics à la Libération.
Les femmes à l'Assemblée consultative provisoire d'Alger
L'ordonnance du 17 septembre 1943 crée, à Alger, l'Assemblée consultative provisoire . Les membres de cette assemblée ne sont pas élus mais choisis. Parmi eux, et pour la première fois, siège une femme : Marthe Simard. Française du Canada, elle est désignée par les représentants des mouvements de la Résistance extérieure. On sait très peu de choses sur elle. Nommée le 20 octobre 1943, elle intervient dans un débat de politique étrangère le 15 mai 1944, puis repart, probablement vers le Canada.
Une autre femme est également choisie pour participer aux débats de l'Assemblée consultative provisoire : Lucie Aubrac, représentant les mouvements de la Résistance intérieure. Mais réfugiée à Londres, elle ne peut se rendre à Alger.
La présence de ces deux femmes n'est pas un hasard. Dès le 23 juin 1942, en effet, le général de Gaulle déclarait : « Une fois l'ennemi chassé du territoire, tous les hommes et toutes les femmes de chez nous éliront l'Assemblée nationale qui décidera souverainement des destinées du pays ».
Sur les ondes de Radio-Londres, Maurice Schumann lui fait écho le 16 décembre 1943 : « Si, dans la dernière guerre, la femme a donné des centaines d'héroïnes à la liberté, pour la première fois, dans cette guerre, elle lui a donné des centaines de milliers de combattantes... La délivrance de la patrie entraînera l'émancipation de la Française.»
Les débats
Malgré ces deux nominations, le débat sur le droit de vote des femmes reste vif. En cette fin d'année 1943, la commission de la législation et de la réforme de l'Etat de l'Assemblée consultative provisoire est chargée d'examiner les propositions d'organisation des élections à la future Assemblée constituante. L'économiste François de Menthon vient présenter les propositions du Comité français de libération nationale, parmi lesquelles figure le vote des femmes.
Le président de la commission, Paul Giacobbi, intervient aussitôt : « Pensez-vous qu'il soit très sage dans une période aussi troublée que celle que nous allons traverser de nous lancer ex abrupto dans l'aventure que constitue le suffrage des femmes ? »
Les arguments sont identiques à ceux invoqués en 1922 et 1932. Selon eux, l'immense majorité des femmes ne serait pas intéressée par la politique, préférant parler mode et ménage. Leur dangereuse intrusion dans la vie publique risquerait de faire grandir la place de l'Eglise.
De plus, la descente dans l'arène politique engendrerait une perte de valeur morale. Non seulement les femmes se dévaloriseraient dans cet exercice, mais elles pourraient ensuite réclamer d'autres droits qui mettraient en cause la famille et le mariage. Malgré ces objections virulentes, la commission retient à l'unanimité, moins une voix, le principe du vote des femmes, en différant son application au retour des prisonniers dans leurs foyers. Pour les élections locales, la commission admet l'éligibilité des femmes en la différant également, mais leur refuse le droit de vote.
En mars 1944, le texte issu des travaux de la commission est discuté en assemblée plénière. Trois hommes vont défendre la cause des femmes : Robert Prigent, Fernand Grenier et Louis Vallon.
Robert Prigent, syndicaliste chrétien, membre du parti démocrate populaire, dépose un amendement pour modifier l'article 1er qui retarde l'extension du droit de vote aux femmes et réserve aux seuls hommes l'élection de l'Assemblée constituante :
« Quand il s'agit de jeter les femmes dans le creuset de la guerre, est-ce que nous attendons ? Sera-t-il dit toujours que l'on exigera de nos compagnes l'égalité devant l'effort de la peine, devant le sacrifice et le courage, jusque devant la mort sur le champ de bataille et que nous mettrons des réticences au moment d'affirmer cette égalité ? »
Son amendement est adopté : les femmes pourront participer à l'élection de l'Assemblée constituante.
Le 24 mars, arrive en discussion l'article 16 organisant les élections locales. Fernand Grenier, représentant du Parti communiste, dépose un amendement afin que les femmes soient électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes :
« Dans le domaine de la lutte contre l'ennemi, les femmes se sont révélées les égales des hommes... Ainsi, ces femmes qui dans tous les domaines, font preuve d'un courage admirable, n'auraient pas le droit de vote ? Si la commission persistait à le leur refuser, je déclare que nous ne la suivrions pas et que nous demanderions à l'Assemblée de prendre ses responsabilités par un scrutin public. »
La discussion s'engage. Les délégués radicaux prétextent des problèmes de temps et d'organisation qui provoquent la colère du gaulliste Louis Vallon :
« Je retrouve dans ce débat les traditions de l'ancien Parlement français dans ce qu'elles avaient de plus détestables. A maintes reprises, le Parlement s'est prononcé à la quasi-unanimité pour le principe du vote des femmes, mais, chaque fois, l'on s'est arrangé par des arguments de procédure pour que la réforme n'aboutisse pas. Ces petits subterfuges doivent cesser. »
L'amendement Grenier est finalement adopté : les femmes pourront participer aux élections locales, à l'égal des hommes.
Ces victoires sont consacrées par l'ordonnance du Comité français de la libération nationale, signée à Alger, par le général de Gaulle, le 21 avril 1944, par laquelle les femmes obtiennent le droit de vote et d'éligibilité.
Pour la première fois, les Françaises prennent part à un scrutin à l'occasion des élections municipales d'avril- mai 1945. Dans le contexte de l'après-guerre, cet événement suscite assez peu de commentaires, on trouve quelques lignes dans les journaux : « quant aux femmes, promues enfin au même rang que les citoyens ... elles ont montré que l'exercice de leur nouveau droit leur apparaissait comme un devoir ».
Dès cette première consultation, et même s'il est difficile d'en connaître le nombre exact en raison d'un recensement qui reste très approximatif jusqu'en 1959, plusieurs femmes sont élues maires. Il apparaît cependant qu'elles sont mieux représentées dans les instances locales qu'au niveau national.
Les premières élues de l'Assemblée constituante
Le 21 octobre 1945, ont lieu les premières élections législatives de l'après-guerre. Les partis politiques réservent des places sur leurs listes à celles qui ont courageusement participé à la Résistance. Trente-trois d'entre elles sont élues et font leur entrée au Palais Bourbon, le 6 novembre 1945.
Le président d'âge, Paul Cuttoli, salue « l'Assemblée sans doute la plus hautement représentative de la communauté française qui ait jamais existé, puisque les femmes françaises, les Français de l'étranger et nos populations coloniales y sont largement et justement représentés ».
Parmi ces nouvelles élues, dix-sept sont membres du Parti communiste, six de la SFIO, neuf du Mouvement républicain populaire (MRP) et une du Parti républicain de la liberté (PRL).
L'année 1946 connaît deux nouvelles élections (en juin pour la seconde Assemblée nationale constituante et en novembre pour l'Assemblée nationale) sans que le nombre de femmes élues soit modifié de façon significative. Le 14 juin 1946, l'Assemblée nationale constituante décide de choisir pour la première fois une femme, Madeleine Braun, élue de la Seine, comme vice-présidente.
Les femmes élues au conseil de la République
Au Conseil de la République, les premières femmes élues en 1946, parmi lesquelles figurent Isabelle Claeys, Claire Saunier et Marie-Hélène Lefaucheux, sont elles-aussi d'ardentes patriotes issues des rangs de la Résistance.
Il s'agit, pour la moitié d'entre elles, de communistes qui se sont illustrées sous l'Occupation, en prenant la tête de mouvements clandestins ou en participant à la libération du territoire national. Elles ont mis en place des filières d'évasion pour les prisonniers de guerre, rempli les fonctions d'agent de liaison ou diffusé des journaux clandestins. Certaines d'entre elles ont été arrêtées et déportées.
D'autres femmes ont fait preuve de patriotisme et d'abnégation pendant la seconde guerre mondiale. Parmi elles, Eugénie Eboué-Tell s'est engagée dans les Forces françaises libres féminines. Elle a servi comme infirmière à l'hôpital militaire de Brazzaville et a vu son action reconnue par la Croix de guerre et la médaille de la Résistance.
Le mardi 24 décembre 1946, malgré ces actes de courage qui méritaient à juste titre une reconnaissance nationale, ces femmes font leur entrée au Sénat dans l'indifférence générale. Jules Gasser, président d'âge, prononce son allocution sans faire aucune mention de leur présence. Auguste Champetier de Ribes, élu président du Conseil de la République lors de la séance du 27 décembre, n'y fera pas davantage allusion dans son discours.
Les nouvelles élues sont principalement affectées aux commissions de la famille, de la population et de la santé publique ; de l'éducation nationale, des beaux-Arts, des sports, de la jeunesse et des loisirs ; des pensions et à celle du ravitaillement. Pour la plupart mères de famille, elles vont devoir apprendre à concilier les exigences maternelles avec leurs nouvelles fonctions
Parmi ces pionnières, Gilberte Brossolette accède à la fonction de vice-président en 1946 et l'occupe jusqu'en 1954. Les mandats des premières élues à la Haute Assemblée ne sont pas tous renouvelés aux élections de 1948, laissant penser que l'entrée « massive » des femmes au Conseil de la République relevait davantage de l'effet conjoncturel favorable que d'un véritable changement de mentalité du milieu politique français.