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Mercredi 9 mars 2011

Économie, finances et fiscalité

Concessions de service public
Proposition de résolution de M. Simon Sutour

M. Jean Bizet. - Le premier point de notre ordre du jour est la proposition de résolution de Simon Sutour sur les concessions de service public. Ce sujet fait partie du « paquet Barnier » pour la relance du marché intérieur. Nous sommes tout à fait dans notre rôle en nous saisissant du sujet très en amont, avant même qu'il y ait une proposition définitive de la Commission européenne.

Je donne la parole à Simon Sutour pour qu'il nous expose le problème et qu'il présente la position qu'il nous propose de prendre.

M. Simon Sutour. - Dans sa communication intitulée « Vers un acte pour le marché unique » du 28 octobre 2010, la Commission européenne a annoncé l'adoption en 2011 d'une initiative législative sur les concessions de services. Une proposition de directive pourrait donc être présentée dès la fin du premier semestre.

Cette idée est ancienne. La Commission européenne se prononçait déjà en sa faveur en novembre 2005, jugeant insuffisante une simple communication interprétative sur le droit en vigueur.

Le régime juridique communautaire des concessions de services est en effet original. Les marchés publics et les concessions de travaux sont couverts par plusieurs directives de 2004 et 2007. En revanche, aucun texte de droit communautaire dérivé ne s'applique aux concessions de services. La directive de 2004 en donne seulement une définition pour bien les distinguer des marchés publics de services.

Cette particularité se justifie-t-elle encore aujourd'hui et quelle plus-value peut-on attendre d'une directive dans ce domaine ?

Juridiquement, les concessions se distinguent des marchés publics par le fait que l'opérateur assume tout ou partie du risque économique lié à l'exploitation. Les aléas inhérents à l'exploitation d'un ouvrage ou d'un service sont transférés au concessionnaire. Dans un marché public, une simple logique d'achat prédomine, le prestataire étant rémunéré en fonction d'un prix fixé à l'avance et payé par la collectivité.

Politiquement, la concession est perçue différemment d'un marché public. Alors que ce dernier est une simple technique d'achat, la première est un véritable partenariat entre une personne publique et un opérateur auquel est délégué un service d'intérêt général.

Ces différences de nature expliquent les différences de régime juridique.

Les marchés publics obéissent à des procédures très encadrées. Ainsi, les directives de 2004 précitées définissent précisément les règles applicables en matière de publicité, de transparence des informations ou de critères d'attribution des marchés. Elles prévoient en particulier que lorsque l'attribution se fait selon le principe de l'offre économiquement la plus avantageuse, les critères de sélection prédéfinis doivent faire l'objet d'une pondération relative. Les directives détaillent aussi les différentes procédures de passation des marchés (procédures ouvertes, procédures restreintes, dialogue compétitif, procédures négociées ou concours) et dans quel cas recourir à l'une ou l'autre.

A l'inverse, les concessions bénéficient d'un cadre juridique communautaire beaucoup plus léger, leur nature requérant une grande souplesse. Ainsi, la passation des concessions de travaux publics, bien qu'entrant dans le champ des directives de 2004, n'est pas corsetée comme celle des marchés publics. Les textes imposent essentiellement une obligation de publicité communautaire au-delà d'un seuil de 6,2 millions d'euros, et fixent des règles en matière de sous-traitance. Quant aux concessions de services, elles sont clairement exclues du champ de ces directives.

Cette exclusion n'est nullement synonyme de vide juridique. Les concessions de services sont soumises aux règles et aux principes des traités, ainsi qu'à la jurisprudence dégagée par la Cour de justice de l'Union européenne. Les autorités adjudicatrices doivent respecter les principes de non-discrimination, d'égalité de traitement, de transparence, de reconnaissance mutuelle et de proportionnalité.

Ces principes imposent ainsi la mise en concurrence des opérateurs, après publicité. Tous les soumissionnaires doivent disposer des mêmes informations pour formuler leur offre. Le respect de ces principes laisse le concédant libre de choisir ensuite la procédure d'octroi la plus approprié et notamment de négocier avec les candidats de son choix, pourvu que leurs offres soient conformes au cahier des charges initiales.

Toutefois, aux yeux de la Commission européenne, l'absence de directive en matière de concession de services présente aujourd'hui plus d'inconvénients que d'avantages.

Selon la Commission, les communications interprétatives antérieures ont montré leurs limites pour clarifier l'état du droit et assurer une bonne diffusion des principes communautaires auprès des autorités adjudicatrices et des opérateurs. Il en découlerait une forte insécurité juridique, les traités étant trop généraux et la jurisprudence trop complexe et peu accessible. Cette insécurité serait un frein au développement de ce type de partenariat public-privé, au moment où la plupart des autorités publiques sont à la recherche d'investissements de long terme dans des secteurs stratégiques comme l'énergie, la gestion des déchets ou les transports. L'adoption d'un texte de droit communautaire dérivé serait donc nécessaire.

Cette proposition annoncée de la Commission européenne appelle plusieurs remarques.

Certes, elle ne serait pas par principe contraire au principe de subsidiarité. Ce n'est pas parce que l'on n'a pas légiféré jusqu'à présent dans ce domaine que ce ne peut être le cas demain. Elle pourrait présenter certains avantages, en particulier celui d'étendre aux concessions de services l'application de la directive de 2007 relative aux recours nationaux en matière de passation des marchés publics. Enfin, pour la sécurité juridique et l'accessibilité du droit, une directive pourrait être, sur le papier, une meilleure solution.

Toutefois, la Commission européenne avance ces arguments sans les étayer sur des constats d'infractions en hausse ou de distorsions du marché intérieur. C'est d'ailleurs en raison d'un manque de preuves, en l'état, d'un dysfonctionnement du marché intérieur que le Parlement européen a récemment jugé inutile une telle initiative. Il reviendra à la Commission, si elle présente un projet, de la motiver sur des faits et non de simples soupçons.

A la suite de mes auditions et de mon déplacement à Bruxelles, ma réflexion m'a conduit à partager ces réserves.

La législation française en matière de délégation de service public (cette notion française est très proche de celle de concession de services), issue de la loi « Sapin » du 29 janvier 1993, fait l'objet d'un rare consensus dans notre pays. Peu modifiée, elle encadre les délégations de service public dans le respect des principes d'égalité de traitement et de transparence, tout en laissant aux autorités délégantes la liberté de négocier avec les candidats de leur choix, pourvu que leurs offres satisfassent au cahier des charges. Cet équilibre est l'une des clefs du succès rencontré par cette forme de partenariat public-privé dans notre pays.

En outre, le bénéfice des dispositions de la directive « recours » de 2007 a déjà été étendu aux délégations de service public, en dehors de toute obligation communautaire.

La législation française, conforme aux traités et à la jurisprudence de la Cour de justice, est souvent citée comme modèle par la Commission européenne.

Cette situation explique ma grande prudence avant de s'engager dans une démarche législative au niveau européen. Le mieux étant parfois l'ennemi du bien, il ne faudrait pas qu'à l'occasion de l'adoption d'une directive, on aboutisse à sur-réglementer un domaine comme cela a pu être le cas en matière de marchés publics.

La communication de la Commission européenne du 15 novembre 2005 précitée dessinait déjà le contenu d'une éventuelle initiative communautaire sur les concessions. Étaient évoqués la définition des règles applicables à la sélection des concessionnaires sur la base de critères objectifs et non discriminatoires ainsi que l'encadrement de la durée des concessions. Faut-il y voir l'introduction d'une pondération des critères d'attribution comme c'est le cas en matière de marchés publics ? Si oui, ce ne serait pas admissible.

Certes, les déclarations récentes de Michel Barnier indique que la Commission européenne s'orienterait désormais vers une initiative a minima, posant les grands principes. Mais, dans l'attente, la vigilance reste de mise.

Au demeurant, au moment où le traité de Lisbonne reconnaît le principe de libre administration des collectivités publiques pour fournir et organiser les services d'intérêt général, il convient que l'Union légifère avec précaution dans cette matière.

On peut aussi s'interroger sur la coordination de cette initiative avec l'actuel Livre vert sur les marchés publics. La Commission européenne a en effet annoncé vouloir remettre à plat tous les textes relatifs aux marchés publics au cours de 2012. Je reviendrai sur ce point dans quelques semaines à l'occasion d'une communication sur ce Livre vert très important.

Pour terminer, je vous indique que l'Association des Maires de France (AMF) et l'Association des Départements de France (ADF) se sont exprimés contre ce projet dans une lettre à la Commission européenne cosignée par leurs homologues allemands.

Pour ces raisons, je vous propose d'adopter la proposition de résolution qui suit et qui vous a été transmise vendredi dernier. Bien que sceptique sur l'utilité d'une telle initiative, elle ne lui ferme pas la porte et trace des lignes rouges à ne pas franchir.

Mme Bernadette Bourzai. - La volonté de la Commission européenne de légiférer sur ce sujet est très certainement animée par l'absence de cadre réglementaire national dans certains pays, en particulier les nouveaux États membres.

M. Simon Sutour. - Mes interlocuteurs à Bruxelles ont souligné cette situation, en effet. Ma préoccupation est de tracer des lignes rouges très tôt. Il faut éviter que le curseur de la réglementation européenne ne soit arrêté trop loin pour répondre à la situation de quelques pays. Il faut prouver qu'une législation est nécessaire, et dans quelle mesure elle l'est. Comme on le sait, le mieux est l'ennemi du bien.

M. Jean Bizet. - Le souci d'harmonisation des pratiques des vingt-sept États membres est compréhensible. Mais il faut prendre garde à ne pas rouvrir inutilement un débat délicat au niveau national.

*

À l'issue de ce débat, la commission a conclu à l'unanimité au dépôt de la proposition de résolution suivante :


Proposition de résolution

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la communication de la Commission européenne intitulée « Vers un acte pour le marché unique » du 27 octobre 2010, et plus particulièrement sa proposition n° 18 relative à une initiative législative sur les concessions de services,

- juge qu'une telle initiative, évoquée et écartée depuis plusieurs années, doit démontrer sa nécessité et sa plus-value ;

- observe en effet que l'absence de droit dérivé communautaire dans cette matière n'est pas synonyme de vide ou d'insécurité juridique, les grands principes des traités interprétés par la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne s'appliquant pleinement ;

- considère que les raisons ayant conduit à ne pas légiférer jusqu'à présent demeurent valables, sauf élément nouveau, et que la reconnaissance par le traité de Lisbonne d'une large autonomie des autorités publiques pour fournir et organiser les services publics invite à légiférer avec précaution ;

- estime que si une initiative législative devait être adoptée, celle-ci devrait se limiter à quelques grands principes, notamment en matière de publicité ;

- s'oppose fermement à l'adoption de procédures semblables à celles en vigueur en matière de marchés publics ;

- exprime tout particulièrement son attachement à la liberté de négociation des offres par l'autorité publique délégante ;

- demande au Gouvernement de s'opposer à tout projet de nature à remettre en cause l'équilibre de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 dite loi « Sapin ».

Institutions européennes

Situation de la Lettonie et de la Lituanie
Rapport d'information de M. Yann Gaillard

M. Jean Bizet. - Le second point de notre ordre du jour est bien différent. Il relève du suivi que nous effectuons de la situation des nouveaux États membres. Les trois pays baltes se trouvent dans des situations différentes, puisque l'Estonie vient d'entrer dans la zone euro, alors que la Lettonie et la Lituanie n'en font pas partie.

Yann Gaillard s'est concentré sur ces deux derniers pays et s'est rendu à Riga et à Vilnius. Il était prévu que son déplacement s'effectue avec Serge Lagauche, mais celui-ci a dû annuler sa participation pour des raisons de santé.

La Lettonie et la Lituanie apparaissent comme des cas extrêmes, dans la mesure où elles ont connu une croissance très rapide, mais qu'ensuite la crise y a été plus forte qu'ailleurs. Où en sont-elles aujourd'hui ? Je donne la parole à Yann Gaillard.

M. Yann Gaillard. - Vingt ans après leur accession à l'indépendance et sept ans après leur double adhésion à l'Union européenne et à l'OTAN, la Lettonie et la Lituanie traversent une crise économique sans précédent et tentent, dans le même temps, de répondre aux défis, tant politiques qu'économiques, qu'impose leur enclavement énergétique.

Je m'attarderai dans un premier temps sur les conséquences de la crise économique dans ces deux pays.

Les années de croissance effrénée qu'ont connues la Lettonie et la Lituanie - 10 % en moyenne pour la Lettonie entre 2004 et 2007, 8 % pour la Lituanie sur la même période - semblent en effet révolues. Ces deux pays ont connu une crise d'une ampleur inégalée en 2008, marquée par un effondrement de la croissance et une augmentation exponentielle du chômage.

Cette situation contraste avec les années précédentes, durant lesquelles ces deux « tigres » baltes étaient considérés comme les bons élèves de l'Union européenne, alliant dynamisme économique et discipline budgétaire. La croissance économique est alors le résultat de la combinaison de plusieurs facteurs reliant compétitivité de la main d'oeuvre locale, attractivité du territoire, dérégulation bancaire et fiscalité avantageuse. Les deux pays ont, par ailleurs, arrimé leur monnaie à l'euro dès le début des années quatre-vingt-dix et renforcé leur ouverture internationale, notamment en ce qui concerne le secteur bancaire letton.

L'augmentation des salaires, près de 20 % en moyenne annuelle entre 2004 et 2007, a permis une augmentation importante de la consommation et facilité une inflation record - 15 % en 2008 en Lettonie, 11 % en Lituanie - comme en témoigne l'apparition d'une bulle immobilière en Lettonie, où les prix dans ce secteur augmentent de 60 % entre 2006 et 2007.

La crise économique mondiale est venue exacerber la surchauffe des économies, provoquant au sein des deux pays une contraction de l'activité inédite : - 18% en Lettonie en 2009, - 14,7 % en Lituanie, doublée d'une explosion du taux de chômage : 14,5 % fin 2010 en Lettonie, 17,4 % chez le voisin lituanien. L'ouverture accélérée des économies locales en vue de rattraper le niveau de vie moyen des pays européens a clairement montré ses limites, les deux pays demeurant largement tributaires du dynamisme des marchés voisins.

Par ailleurs, l'arrimage des monnaies locales à l'euro a interdit aux gouvernements locaux le recours à une dévaluation compétitive, ne laissant d'autre choix que des politiques d'ajustement sévères pour la population.

La rigueur préconisée en Lituanie est ciblée et vise avant tout à restaurer la compétitivité de l'économie. Afin de répondre à ses engagements européens, les mesures adoptées par le gouvernement chrétien-conservateur élu en 2008 se traduisent par une réduction sévère des dépenses publiques, matérialisée par une baisse des salaires - y compris ceux des dirigeants, la présidente de la république voit ainsi sa rémunération amputée de 45 % - mais aussi des pensions et une augmentation des recettes fiscales pesant sur la consommation. L'ambition des autorités locales est de permettre un retour à la croissance par le biais des exportations et non par la demande interne, une augmentation du PIB de 3,3 % étant escomptée pour l'année 2011.

La crise économique a débouché en Lettonie sur une crise bancaire nécessitant une aide financière internationale de 7,5 milliards d'euros versée par l'Union européenne, le Fonds monétaire international et les voisins scandinaves fin 2008. Celle-ci est corrélée à l'adoption par Riga d'un vaste plan de rigueur. Les salaires dans le secteur public sont ainsi abaissés de 30 %, 10 % des écoles sont fermées, les ministères voyant leurs crédits diminués de 20 à 40 %. Cette rigueur porte aujourd'hui ses fruits, le gouvernement ne devrait ainsi utiliser que 5 milliards d'euros sur les 7,5 accordés. Une croissance du PIB de 3,3 % est attendue au cours du présent exercice, le gouvernement poursuivant cependant ses efforts comme en témoigne l'adoption de nouvelles hausses d'impôts.

Les plans de rigueur mis en oeuvre ont d'abord pour objectif de restaurer la compétitivité des économies lettone et lituanienne, mais visent également l'intégration dans la zone euro à l'horizon 2014. Si les déficits publics devraient passer, d'ici le 31 décembre 2012, en dessous de la barre des 3 % du PIB, la Lituanie comme la Lettonie sont confrontées à un retour de l'inflation. Il convient, en outre, de s'interroger sur l'ampleur des réformes restant à mener en ce qui concerne les régimes sociaux ou l'économie dite « grise ». Enfin, les mesures de consolidations budgétaires ont un coût social et politique indéniable, qui tend à fragiliser le consensus politique autour d'une adoption de l'euro d'ici deux ans.

Venons-en, dans un deuxième temps, à la question du désenclavement énergétique et de façon plus générale aux relations qu'entretiennent ces deux pays avec l'Union européenne et la Russie. Je serais tenté de dire que c'est cette relation avec Moscou qui détermine, dans une large partie, la politique européenne de la Lettonie et de la Lituanie.

Mue par le souvenir douloureux de l'occupation soviétique, l'intégration simultanée à l'Union européenne et à l'OTAN marquait, de la part des États baltes, un souhait manifeste de s'affranchir durablement de l'influence du voisin russe et rompre ainsi avec la tutelle qu'il tente encore d'exercer sur les anciennes républiques soviétiques. Le conflit entre la Géorgie et la Russie en août 2008 est venu, aux yeux des gouvernements locaux, donner raison à cette stratégie.

Cette logique, se heurte néanmoins à une double réalité : le partenariat économique que la Lituanie comme la Lettonie ont noué avec Moscou et la dépendance énergétique de ces pays à l'égard de la Russie. En outre, 30 % de la population lettone est d'origine russe. L'intégration de cette minorité est, d'ailleurs, source de crispations avec Moscou. L'émanation politique des russophones, le Centre de la concorde, constitue la deuxième formation du pays. Le rapprochement progressif de Moscou avec les structures européennes et atlantiques tempèrent cependant toute opposition frontale.

En effet, si le souci de se prémunir contre la puissance militaire, politique et énergétique de Moscou demeure une constante des politiques extérieures lettone et lituanienne, il n'existe aucune objection aux partenariats noués entre la Russie, l'Union européenne et l'OTAN. Les assurances obtenues en matière militaire de la part de l'Alliance atlantique suite à la guerre entre la Géorgie et la Russie comme le souhait réitéré à plusieurs reprises par l'Union européenne de parvenir au désenclavement énergétique des pays baltes à l'horizon 2015 facilitent cet assouplissement des positions. La participation des États baltes aux côtés de la Russie au projet de dimension septentrionale de l'Union européenne, sorte de partenariat euro-méditerranéen nordique, illustre cette volonté de dialogue.

La Russie demeure, par ailleurs, le premier partenaire commercial de la Lettonie et de la Lituanie. Cette relation privilégiée n'est pas uniquement liée à la dépendance énergétique de ces deux États à l'égard de la Russie. Le voisin russe concentrait ainsi en 2010 plus de 15 % des exportations lituaniennes et lettones. La Russie reste, par ailleurs, un investisseur important au sein de ces deux pays. La Lettonie est, ainsi, largement exposée aux capitaux russes. 403 millions d'euros ont ainsi été investis par les Russes en 2010 dans les secteurs de l'énergie, des transports, bancaire ou immobilier. Une large partie des investissements chypriotes en Lettonie sont, de surcroît, d'origine russe, les capitaux transitant en effet par cette île. A cet égard, Chypre est le huitième investisseur étranger en Lettonie en 2010 avec près de 377 millions d'euros.

La Lituanie enregistre également ces dernières années une forte progression des investissements russes sur son sol, Moscou détenant, au 1er janvier 2010, 6,5 % du stock d'investissements directs, soit 623 millions d'euros.

Les deux pays jouent par ailleurs un rôle indéniable en ce qui concerne le transit vers la Russie d'un certain nombre de produits et inversement. Les ports de Klaïpeda en Lituanie et ceux de Ventspils, Riga et Liepaja en Lettonie jouent à plein leur rôle d'interface vers la Russie. Riga comme Vilnius entendent par ailleurs renforcer leurs connexions avec le voisin russe en vue de mettre en place une nouvelle route de la soie, ferrée, à destination de l'Asie centrale.

A la relation économique, s'ajoute une réelle dépendance énergétique de la Lettonie et de la Lituanie à l'égard de la Russie. La fermeture de la centrale nucléaire d'Ignalina en Lituanie en 2009, imposée par l'Union européenne a renforcé la dépendance énergétique des pays baltes à l'égard de la Russie. Vilnius s'était engagée lors des négociations d'adhésion à fermer ce site en raison de sa dangerosité, les installations étant de type Tchernobyl.

Cette dépendance énergétique s'explique principalement par l'absence de ressources suffisantes dans les sous-sols de la région. Par ailleurs, le réseau énergétique qui maille, à l'heure actuelle, les territoires baltes est issu de l'époque soviétique et renforce l'interdépendance avec la Russie et ses anciennes républiques. L'approvisionnement énergétique dépend en conséquence quasi exclusivement des oléoducs et gazoducs russes, la Lettonie et la Lituanie ne disposant pas de réelle connexion en la matière avec les réseaux européens. Au-delà du gaz et des hydrocarbures, Vilnius et Riga sont également connectés au réseau russe d'électricité, le réseau UPS. La notion d'île énergétique prend de fait tout son sens en ce qui concerne les pays baltes tant ils semblent isolés du réseau européen. Cette insularité est renforcée par la forte présence des entreprises russes sur le marché énergétique local, notamment celle de Gazprom.

Cette dépendance énergétique n'est pas sans conséquence sur les relations entre Moscou et les États baltes, ni sans incidence économique. Une prise de distance des États baltes se traduit inévitablement par une hausse de la facture énergétique pour Vilnius et Riga. A cette influence directe sur le prix de l'énergie, s'ajoute la capacité de nuisance de Moscou, qui s'efforce, en particulier, de contrarier le projet de centrale nucléaire régionale de Vigasinas (Lituanie), destinée à approvisionner les pays baltes et la Pologne. La mise en oeuvre d'un projet semblable, sans garantie environnementale, dans l'enclave russe de Kaliningrad en est un signe tangible.

Les conclusions du Conseil européen du 4 février dernier témoignent d'une réelle implication de l'Union européenne dans le désenclavement énergétique des pays baltes. Aux termes de celles-ci, aucun État membre de l'Union européenne ne devrait, en effet, demeurer à l'écart des réseaux européens d'électricité et de gaz au-delà de 2015, ni voir sa sécurité énergétique menacée par le manque de connexions appropriées. Des projets d'infrastructures seraient ainsi financés à hauteur de 500 millions d'euros par l'Union européenne.

Le financement européen devra néanmoins être ciblé tant les autorités lettones et lituaniennes sont en concurrence sur les projets de centrale nucléaire et de terminal de gaz naturel liquéfié. Il est indispensable que l'Union européenne encourage la complémentarité entre les deux pays, la Lituanie ayant une expérience certaine en ce qui concerne le nucléaire, la Lettonie disposant d'infrastructures adaptées pour le stockage du gaz naturel liquéfié. L'Union doit cesser d'apparaître comme un guichet ouvert dans la région, destiné à combler, au cas par cas, des problèmes de financement.

Au-delà de la question énergétique, il convient de relever l'importance des financements européens dans les économies locales. La Lituanie devrait ainsi percevoir près de 8,58 milliards d'euros au titre des fonds européens pour la période 2007-2013. La Lettonie recevra quant à elle 5,706 milliards d'euros au cours de la même période. Ces montants sont proches des budgets annuels des deux États. La manne financière de l'Union européenne est donc une opportunité indéniable pour ces deux pays en vue de poursuivre la modernisation de leurs infrastructures et parer, de la sorte, à l'insuffisance de leurs ressources budgétaires.

L'implication des deux États dans les dossiers financiers contraste avec leur relative timidité dans les autres domaines communautaires. L'Union européenne demeure avant tout un biais pour une modernisation des structures économiques voire sociales de chacun des deux pays avant d'être un véritable projet politique.

L'adhésion à l'Union européenne est, pour les Lettons comme pour les Lituaniens, un élément d'affirmation voire d'opposition face à l'ancien tuteur russe. Elle n'implique pas, pour autant, un renforcement de la solidarité locale. Seul le partenariat oriental de l'Union européenne suscite une adhésion certaine, tant il est envisagé comme un moyen de tempérer l'influence russe dans la région. Le renforcement de l'implication des pays baltes dans ce partenariat me paraît très souhaitable. S'il apparait difficile, pour des raisons historiques, de combler le déficit d'image que l'Union européenne enregistre dans le domaine militaire, par rapport aux États-Unis, il est néanmoins indispensable d'associer un peu plus les pays baltes, et en particulier la Lituanie, dans la gestion du partenariat oriental, afin de bénéficier de leur expertise dans ce domaine.

M. Serge Lagauche. - J'ai suivi au nom de notre commission les négociations d'adhésion puis l'intégration de la Lettonie au sein de l'Union européenne. Je me suis, à cet égard, plusieurs fois rendu à Riga au début des années 2000.

On ne peut comprendre le pays si on méconnaît son histoire au cours du vingtième siècle. Depuis sa première accession à l'indépendance en 1917, la Lettonie n'a eu de cesse de contenir la puissance russe voisine. Sa souveraineté a été progressivement rognée par l'Union soviétique durant l'entre-deux-guerres avant d'être condamnée par le pacte germano-soviétique d'août 1939, aux termes duquel les pays baltes étaient directement rattachés à Moscou.

L'invasion de l'URSS par les troupes allemandes a été, à certains égards, vécue comme une libération par de nombreux Lettons qui voyaient là une occasion de s'affranchir du joug soviétique. On trouve ainsi à Riga deux monuments aux morts de la seconde guerre mondiale, l'un concernant les Lettons morts sous l'uniforme soviétique et l'autre dédié à ceux qui ont combattu contre l'URSS et étaient considérés après la guerre comme des traîtres.

Ceux-là, comme tant d'autres Lettons, ont été victimes de l'épuration consécutive au retour des troupes soviétiques à Riga à la fin de la seconde guerre mondiale. Il n'est pas interdit de penser d'ailleurs que toutes les familles lettones ont été concernées directement ou indirectement par la déportation en Sibérie. D'ailleurs, le calme relatif avec lequel la population a accueilli les mesures de rigueur censées répondre à la crise tient sans doute à cette faculté de résignation développée durant l'occupation soviétique.

C'est à l'aune de ces événements qu'il convient d'analyser la politique européenne de la Lettonie. Cette population demeure marquée par le souvenir de cette longue occupation. Le pays n'est par ailleurs indépendant que depuis vingt ans. De fait, l'intégration au sein des structures atlantiques et de l'Union européenne en 2004 et demain au sein de la zone euro est un moyen de garantir cette souveraineté et de fixer définitivement les frontières avec la Russie.

Comme l'a rappelé le rapporteur, cette affirmation de son indépendance est rendue complexe par la situation de la minorité russophone installée dans le pays. La Lettonie a longtemps été le lieu de retraite des officiers russes. Eux comme leur descendance ont refusé, après l'accession à l'indépendance du pays, de satisfaire aux conditions d'obtention de la nationalité lettone. Celle-ci s'acquiert, en effet, après un examen tendant à démontrer l'aptitude des candidats à maîtriser la langue lettone.

Ce refus de s'intégrer est néanmoins tempéré par une réelle influence russe au sein de l'activité économique, le jeune État indépendant attirant aussi bien les capitaux russes que les pratiques douteuses des milieux d'affaires. Le développement de l'économie « grise » dans le pays tient, notamment, à ce climat particulier.

L'adhésion à l'Union européenne est donc une réelle opportunité pour dépasser cette relation délicate avec la Russie, renforcée d'ailleurs par la dépendance énergétique. Je rappellerai, à cet égard, le contournement des États baltes, opéré par la Russie dans le projet de gazoduc Nord Stream, qui doit permettre d'approvisionner l'Europe en gaz russe. L'Union européenne doit faciliter un véritable désenclavement de la région au niveau énergétique.

Concernant l'intégration au sein de la zone euro, je serais tenté de dire qu'au regard de la tutelle qu'exerce actuellement l'Union européenne sur la Banque centrale de Lettonie, dans le cadre, notamment, de l'aide internationale qui a été versée au pays, l'adoption de la monnaie unique apparaît tout aussi logique qu'inexorable.

Mme Bernadette Bourzai. - Je souscris entièrement au propos de Serge Lagauche tant la question russe est viscérale dans ces deux pays, en raison du poids de l'histoire et plus particulièrement des événements qui se sont déroulés au vingtième siècle.

Aujourd'hui, je suis heureuse de constater qu'en Lituanie comme en Lettonie ce sont deux européens convaincus qui ont accédé aux plus hautes responsabilités. Mme Dalia Grybauskaité, ancienne commissaire européenne, est aujourd'hui présidente de la république en Lituanie et M. Valdis Dombrovskis, ancien parlementaire européen, est à la tête du gouvernement letton.

M. Jean Bizet. - J'ai de mon côté suivi, au nom de cette commission, les négociations d'adhésion de la Lituanie au sein de l'Union européenne. J'ai le souvenir d'une capacité extraordinaire d'assimilation de l'acquis communautaire par l'administration locale.

M. Yann Gaillard. - Je tiens à cet égard à saluer la qualité et le dynamisme des membres de la haute fonction publique lituanienne qu'il m'a été amené de rencontrer au cours de mon déplacement.

Dans un autre ordre d'idée, j'ai été frappé par l'absence de solidarité entre les États baltes.

M. Serge Lagauche. - Celle-ci tient là encore à des raisons historiques. Chacun des États a connu au fur et à mesure des siècles des influences différentes, qu'il s'agisse de la Pologne en Lituanie, de la Russie ou de la Suède en Lettonie ou de la Finlande en Estonie. En découlent des appréciations différentes de la situation locale et un développement indépendant de chacun de ces États.

*

A l'issue du débat, la commission a autorisé, à l'unanimité, la publication du rapport d'information, paru sous le numéro 346 et disponible sur Internet à l'adresse suivante :

www.senat.fr/europe/rap.html

Agriculture et pêche

Autorisations de mise sur le marché d'OGM
(E 6012, E 6015 et E 6016)

M. Jean Bizet. - Je voulais vous informer que nous avons été saisis de trois textes concernant l'autorisation de mise sur le marché de produits contenant des OGM, destinés à l'alimentation animale. Ces textes devraient être examinés lors du prochain conseil « Agriculture et pêche » qui se tiendra le 17 mars prochain.

Deux d'entre eux visent l'autorisation de mise sur le marché de produits destinés à l'alimentation animale et contenant des OGM. Le troisième texte vise le renouvellement d'autorisation de mise sur le marché d'aliments pour animaux produits à partir d'un maïs génétiquement modifié.

Lors des votes du « comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale » (CASA), faute de majorité qualifiée, aucun avis favorable ou défavorable n'a été adopté. Si la France ne s'est pas opposée au renouvellement d'autorisation, elle a voté contre les deux nouvelles demandes, en raison de l'absence d'un test demandé par nos autorités sanitaires.

En l'absence d'avis adopté par le CASA, les demandes sont portées devant le Conseil des ministres. C'est pourquoi le Conseil va examiner ces textes le 17 mars . Or, tout indique que chaque État renouvellera la position qu'il a adoptée lors du vote en comité. Par conséquent, aucune décision ne sera prise et le dernier mot reviendra à la Commission européenne. C'est une situation qui s'est déjà produite à maintes reprises. Il n'y a pas d'élément nouveau.

Pour cette raison, je vous propose de ne pas intervenir sur ces textes.

M. Simon Sutour. - Au-delà du cas de ces trois textes, je souhaiterais que notre commission fasse le point sur l'évolution de la législation sur les OGM, compte tenu du débat en cours.

M. Jean Bizet. - Ce serait effectivement utile, car le Parlement européen va se prononcer au début du mois de juin sur la proposition de la Commission européenne tendant à permettre à chaque État membre d'interdire la mise en culture des OGM pour des raisons éthiques ou sociales. Les travaux du Conseil se seront également poursuivis d'ici là. Nos rapporteurs Gérard César et Richard Yung auront donc à analyser à nouveau la situation et les perspectives.