Bioéthique
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la bioéthique.
Discussion générale
Mme Nora Berra, secrétaire d'État auprès du ministre du travail, de l'emploi et de la santé, chargée de la santé. - Ce texte répond à l'obligation de réviser la loi bioéthique de 2004, et vient après une longue concertation, notamment dans le cadre des états généraux de la bioéthique. Le texte initial a été modifié par l'Assemblée nationale, puis votre commission l'a encore modifié après un débat d'une grande profondeur.
Ce texte supprime la clause de révision de la loi bioéthique, qui n'est pas le seul moyen d'adapter la loi aux évolutions de la médecine et aux attentes de la société. La révision périodique est une procédure lourde et tend à radicaliser les oppositions, alors que la bioéthique suppose une recherche du compromis dans la sérénité.
La levée de l'anonymat est une question délicate. Le texte initial autorisait l'accès de l'enfant à ses origines, sous réserve de l'accord préalable du donneur ; les députés ont supprimé cette possibilité, craignant le primat du biologique sur l'éducatif ; votre commission a rétabli la levée de l'anonymat à compter de 2014 : il y a un risque d'inégalité pour les enfants nés avant cette date. Je me félicite que le débat se poursuive dans l'hémicycle.
La gestation pour autrui est incompatible avec la dignité humaine et ouvre la voie à la marchandisation du corps. Peut-on croire qu'à part quelques personnes très altruistes, les femmes qui porteront un enfant, le feront gratuitement ? Faut-il accepter de satisfaire tous les projets individuels, sans aucune règle ? Nous ne le pensons pas.
Le transfert post mortem, ensuite, n'est guère plus acceptable, quelles que soient les souffrances des veuves. Depuis 2004, le nombre de greffes n'a pas augmenté. Nous devons éviter toutes les pressions sur les donneurs d'organes : nous élargissons, en l'encadrant, comme le demandaient l'Agence de biomédecine et le Conseil d'État, le don croisé d'organes entre personnes vivantes, ce qui augmenterait du quart à la moitié le don d'organes.
Votre commission a examiné un amendement précisant que nul ne pouvait être exclu du don en raison de son orientation sexuelle. J'ai rappelé que l'on refuse le don de sang et d'organes des homosexuels non par exclusion mais à raison de leur exposition au VIH. (Exclamations à gauche)
M. Bernard Cazeau. - Honteux !
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. - Je regrette que mon propos ait pu être mécompris : je trouverais offensant d'être accusée d'homophobie moi qui pendant vingt ans ai soigné des malades au côté d'associations. (« Très bien » à droite)
Ce texte pérennise la recherche sur l'embryon, mais votre commission a souhaité passer du régime d'interdiction à un régime d'autorisation très encadré. Le Gouvernement préfère en rester à l'interdiction, avec des exceptions : c'est mieux garantir que les embryons surnuméraires ne seront pas systématiquement utilisés pour la recherche. L'embryon n'est pas un objet de recherche comme un autre ; on touche là aux origines de la vie ! Notre régime d'interdiction n'a pas desservi la recherche et même s'il s'agit d'une mesure symbolique, en matière de respect de la vie humaine, les symboles ont de l'importance. Il n'est donc pas besoin de changer les dispositions adoptées en 2004.
M. Guy Fischer. - On ne change rien ! On fait du surplace !
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. - Je sais que le débat permettra d'approfondir notre réflexion. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Alain Milon, rapporteur de la commission des affaires sociales. - Rarement débat aura été aussi préparé : l'Agence de biomédecine, le Conseil d'État, l'office parlementaire, la mission d'information de l'Assemblée nationale, puis les états généraux de la bioéthique ont lancé et éclairé le débat. Nous avons nous-mêmes organisé quatre rencontres de la bioéthique, sous le haut patronage du président Larcher, où Mme Hermange a fait des exposés liminaires très détaillés, auxquels je rends hommage.
Les principes posés en 1994 pour encadrer la biomédecine forment notre socle. D'abord, la primauté de la personne, le respect de la vie l'emportant sur toute autre considération, en particulier économique. Deuxième principe, la non-patrimonialité du corps humain : nul ne peut vendre tout ou partie de son corps ; sa seule utilité est le don libre, éclairé, anonyme et gratuit.
Ces principes demeurent, mais des évolutions sont apparues nécessaires.
Pour en apprécier la nécessité, nous avons d'abord écouté les médecins, qui s'efforcent de sauver des vies mais qui ont aussi à annoncer les mauvaises nouvelles ; nous avons entendu les associations de malades, des juristes, des chercheurs en sciences sociales -pour être pleinement informés. Nous nous sommes fondés sur le respect de la dignité des personnes et de leur autonomie, et sur la raison d'être de la médecine qui est de soigner et de ne pas nuire.
Respecter la dignité des personnes, c'est leur éviter toute pression économique ou sociale.
La France manque de donneurs d'organes et de tissus. Le texte issu de l'Assemblée nationale élargit les possibilités de dons, y compris par l'échange de greffons par don croisé pour les greffes de rein. Nous sommes allés dans le même sens, mais sans admettre la moindre contrepartie pour le donneur. La frontière entre le don altruiste et la démarche intéressée est fragile : il faut faire preuve de prudence.
Respecter l'autonomie des personnes, c'est leur permettre de conduire librement leur vie en leur donnant connaissance des choix que leur propose la science. Où est la liberté, quand le diagnostic de trisomie 21 entraîne une IVG dans 96 % des cas ?
Ce n'est pas à la société ou à l'État de dicter leur comportement aux parents, ni au médecin de se substituer à leur décision.
Le droit de ne pas savoir est aussi important que celui de savoir. Je pense aux tests génétiques, auxquels on peut facilement accéder sur internet, et qui ne sont guère fiables. L'autonomie, c'est encore remettre l'humain au coeur de l'aide médicalisée à la procréation (AMP). Des personnes revendiquent de ne pas devoir leur existence à la seule technique. À mon initiative, à compter du 1er janvier 2014 les donneurs seront informés de la levée automatique de l'anonymat du don, si elle est demandée par l'enfant devenu majeur, sans que ce don entraîne une responsabilité civile ou pénale. Nous sortirons ainsi de l'ambiguïté actuelle.
Nos choix éthiques seront solides tant qu'ils seront conformes à nos principes. Nous ne devons pas cautionner ce qui se pratique à l'étranger, dans des pays au niveau de vie très inférieur -je pense aux mères porteuses- sauf à verser dans l'hypocrisie la plus cynique. La médecine, et a fortiori la biomédecine, ne doit pas nuire, mais soigner. Quid pour les cellules de l'embryon entre cinq et sept jours ? L'heure n'est pas encore venue du recours à des cellules induites. Les chercheurs ne souhaitent pas cependant travailler sur les cellules souches embryonnaires, mais disposer de tous les moyens utiles pour améliorer la recherche. Très peu d'équipes travaillent seulement sur l'embryon. Notre dispositif actuel d'interdiction avec dérogation est cependant trop ambigu. En suivant l'avis du Conseil d'État, nous préférons l'autorisation très encadrée : c'est plus clair et moins contestable moralement.
M. Guy Fischer. - Très bien !
M. Alain Milon, rapporteur. - Des recherches sont réalisées au profit de l'embryon, ne les négligeons pas.
D'autres recherches, où la France est pionnière, -sur le cordon ombilical par exemple ou sur le placenta- doivent être encouragées. Ce texte y pourvoit.
Jusqu'en 2008, l'amniocentèse a provoqué la mort de 600 à 700 embryons par an, pour moins de 200 cas de maladie décelée ; nous devons être prudents.
Les règles doivent être stables, mais le Parlement doit pouvoir également être informé régulièrement de l'adaptation des règles : c'est pourquoi votre commission s'est prononcée par la tenue régulière d'états généraux au moins tous les cinq ans.
Je ne doute pas que notre débat aura la hauteur de vues et la dignité nécessaires. (Applaudissements à droite, au centre et sur de nombreux bancs à gauche)
M. François-Noël Buffet, rapporteur pour avis de la commission des lois. - La commission des lois s'est saisie de onze articles, qui touchent au droit de la famille et au droit civil, comme l'anonymat du don et la non-patrimonialité du corps.
La première révision de la loi de 1994 intervenue en 2004 n'avait donné lieu à aucune remise en cause majeure. Il en va de même aujourd'hui sauf pour la clause de révision : nous y voyons un signe de maturité de la législation et nous acceptons la proposition d'organiser régulièrement des états généraux.
La science avance, mais les questions demeurent les mêmes, sans imposer de nouvelles règles. Les souffrances doivent être reconnues, mais elles ne sauraient dicter de règles nouvelles sans considération des autres intérêts aussi légitimes.
La commission des lois a adopté six amendements, intégrés par la commission des affaires sociales.
D'abord sur l'information de la parentèle en cas d'anomalie génétique, nous avons renforcé la protection de la personne en renvoyant au droit commun de la responsabilité civile et légale. L'extension du don d'organes, ensuite, doit surmonter le risque de détournements et de trafics : c'est le sens du délai de vie commune de deux ans.
L'assistance médicale à la procréation n'a pas vocation à rendre possibles des naissances impossibles et son autorisation doit tenir compte de l'intérêt de l'enfant et de la société, donc imposer une certaine stabilité du couple.
Nous revenons à la rédaction initiale du Gouvernement, dans les conditions du concubinage.
Le transfert post mortem d'embryon, ensuite, écarté en 1994 et en 2004, ne concerne qu'un cas par an. La détresse de chaque femme ne saurait remettre en cause nos principes, en particulier l'intérêt de l'enfant -qui n'est pas de naître orphelin. De plus, ce transfert post mortem pourrait encourager la conception posthume, qui n'est pas souhaitable. Nous avons donc supprimé le dispositif introduit par l'Assemblée nationale.
Ce texte encadre les neurosciences et l'imagerie neuronale, en s'inspirant des règles valant pour l'imagerie génétique. Le cadre proposé est équilibré et le législateur devra être vigilant.
L'Assemblée nationale a supprimé la levée partielle de l'anonymat des donneurs de gamètes ; votre commission des lois est favorable à cette suppression. La levée de l'anonymat, effectivement, risque de faire primer le biologique sur le social.
Nous vous proposerons en conséquence de ne pas adopter les articles introduits par la commission des affaires sociales sur ce point.
La législation bioéthique exige prudence et responsabilité. Chacun choisira en conscience pour concilier les intérêts de chacun, au bénéfice de tous. (Applaudissements)
M. Bernard Cazeau. - En 1994, notre société a confié au Parlement l'édiction mais aussi la révision des règles bioéthiques. Depuis 2004, où une première révision est intervenue, les sciences ont fait bien des progrès et de nombreuses instances se sont penchées sur le sujet. Il nous appartient aujourd'hui, de trancher.
Il nous faut distinguer entre ce qui peut améliorer la santé et ce qui servirait des entreprises lucratives bafouant le socle fondamental de notre vie en société. La tâche est complexe mais impérieuse : nous devons rechercher les convergences entre les avancées des sciences et nos règles bioéthiques.
Votre texte d'ajustement, madame la ministre, ne nous convainc pas toujours, même si notre commission l'a amélioré.
La non-patrimonialité du corps humain fait heureusement consensus. Nous nous félicitons de l'assouplissement des règles sur le don d'organes, parce qu'il s'accompagne de garanties.
Cependant, comme les pressions marchandes sont fortes, nous devons nous en prévenir, en particulier s'agissant des mères porteuses et de la gestation pour autrui. Le corps des femmes ne peut être réduit à une matrice utilisable à loisir. Il existe une pression internationale et l'amendement de notre rapporteur peut être jugé naïf : je suis curieux du sort qui lui sera réservé.
L'adoption, quant à elle, ne devra pas être laissée de côté.
Mme Catherine Tasca. - Très important.
M. Bernard Cazeau. - Sur le don de gamètes, nous avons le choix sur la levée partielle de l'anonymat ou le maintien du droit actuel.
Cela augure d'un débat long et acharné ! Personnellement, je pencherais plutôt -pour une fois- vers le texte du Gouvernement.
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. - Nous voilà bien ! (Sourires)
M. Bernard Cazeau. - Le compromis gouvernemental est un -petit- progrès. Il est naturel de vouloir connaître ses origines biologiques.
Nous regrettons en revanche le rétablissement du texte du Gouvernement sur la stabilité du couple pour l'AMP. Revoici votre vision conservatrice de la famille !
Sur les recherches sur les embryons surnuméraires, nous apprécions le travail de la commission, qui adresse, avec une autorisation sous conditions, un message positif à la société tout entière. Que de chemin parcouru depuis le refus opposé à notre proposition de loi de 2004 !
La science de notre pays était congelée sous la pression du conservatisme religieux. On disait « interdiction avec dérogation possible », mais 90 % es demandes de dérogation étaient accordées ! Libérons complètement la recherche, sans hypocrisie. La liberté de recherche ne s'oppose pas au respect de la personne humaine. Ne privons pas d'espoir ceux qui sont aujourd'hui considérés comme incurables ! C'est aussi cela, le respect de la vie. (Réactions sur les bancs UMP)
Personne ne cherche à créer un être humain en violation des lois de la nature. Ne jouons pas à nous faire peur !
Nous abordons, quant à nous, ce débat avec l'ambition de faire progresser ce texte. La société a besoin d'une déontologie adaptée à son temps, aux évolutions de la famille et de la science, pas de préceptes figés. (Applaudissements à gauche)
M. Bruno Retailleau. - Ce projet de loi a une portée singulière et essentielle. Il nous interroge au plus intime sur notre conception de l'avenir de l'homme alors que la science réalise des avancées vertigineuses. Quels que soient nos bancs, nous partageons l'idée que la dignité de la personne n'est pas négociable. Jusqu'où aller et ne pas aller ? Quels seuils anthropologiques peuvent être franchis ?
Nos choix renforceront ou affaibliront le lien social ; ce débat est donc profondément politique.
La science est un grand facteur de progrès ; elle s'identifie à l'idée de modernité, laquelle n'a pas à déclasser l'humanité jusqu'au rang de matière de laboratoire pour je ne sais quelle ambition prométhéenne.
Passer de l'interdiction, en 1994, puis de l'interdiction avec dérogations en 2004 à un régime d'autorisation encadrée, ce serait inverser radicalement les choses. On entre dans un engrenage qui conduit à traiter l'être humain comme une matière. Le problème n'est pas de savoir si l'être humain est intouchable mais à partir de quand on devient un être humain. Le CCNE voit dans l'embryon une « personne humaine potentielle ». On ne peut donc le traiter comme simple matière de laboratoire. D'autres méthodes, moins intrusives, sont apportées par la science.
La liberté individuelle est-elle notre horizon indépassable ? Il suffit désormais qu'une demande s'exprime pour qu'on s'empresse de légiférer ! L'individu s'oppose à la société mais il s'en nourrit, disait Malraux. Il ne saurait y avoir le « droit à l'enfant », d'où notre refus de l'insémination post mortem.
Le diagnostic anténatal comporte, avec la quête de l'enfant parfait, un risque grave d'eugénisme. Comment comprendre que 96 % des grossesses pour lesquelles on décèle une trisomie 21 mènent à des avortements ? Or je ne connais pas de parent d'un enfant handicapé qui n'ait pas pour lui autant et plus d'amour.
Mme Raymonde Le Texier. - Il ne s'agit pas de cela.
M. Bruno Retailleau. - L'humanité différente, l'humanité blessée, c'est encore l'humanité !
Ne prenons pas le risque d'oublier nos valeurs et d'abîmer notre humanité ! (Applaudissements sur les bancs UMP)
Mme Raymonde Le Texier. - Voilà qui est progressiste !
M. Gilbert Barbier. - Depuis la loi de 2004, aucune recherche n'a posé de nouveaux défis. C'est plutôt la mondialisation de la recherche qui modifie les problèmes, au risque de favoriser un « moins-disant éthique ».
Le chercheur, comme le dit Henri Atlan, veut d'abord préserver sa liberté intellectuelle, et comme l'information scientifique et juridique circule très rapidement, qu'elle soit vraie ou fausse, un interdit dans un pays est facile à contourner en se rendant dans un pays voisin moins rigoureux. Le dumping existe aussi dans ces domaines.
Mais le législateur n'a pas à se mettre à la remorque de la science. « On entre en éthique », disait Paul Ricoeur. Axel Kahn insiste à juste titre sur la portée universelle du respect de la personne.
Ainsi la question de l'anonymat des donneurs de gamètes ne peut être séparée de la prolifération des tests génétiques offerts sur internet. La levée de l'anonymat serait à mon sens bien plus pernicieuse que son maintien. La découverte d'un tel secret serait bien plus traumatisante que l'ignorance des conditions de sa naissance : que peut-il se passer si le donneur refuse toute rencontre ? Et si le donneur est une femme, est la mère biologique ?
Gardons à l'esprit l'intérêt de l'enfant à naître ; l'AMP doit être réservée aux cas de stérilité avérés.
Le refus du transfert d'embryon post mortem -position de la commission- peut être très douloureux pour la personne concernée et je proposerai par amendement de l'autoriser. Quant à la gestation pour autrui elle ferait de l'utérus un simple incubateur et bouleverserait notre droit civil. La mère porteuse n'est, en outre, pas à l'abri de toute complication possible. Qu'en ira-t-il en cas d'accident de santé ? Et de divorce des parents ? Le recours à un contrat dans ce domaine me choque.
Notre commission a remplacé, pour la recherche sur cellules souches embryonnaires, l'interdiction de principe avec dérogations par un principe d'autorisation encadrée. De fait, il y avait quelque hypocrisie dans le dispositif existant. Il faut que notre recherche puisse continuer à attirer de nombreux chercheurs de qualité. Il faut donc simplifier les démarches imposées aux chercheurs et stimuler la recherche fondamentale, même si les risques d'une « mal mesure » de l'homme, évoqués par Stephen Jay Gould, ne doivent pas être négligés.
Je voterai le texte proposé. (Applaudissements sur le banc des commissions)
M. Guy Fischer. - Ce projet de loi bioéthique nous interpelle tous, au-delà de nos conceptions politiques. Les lois bioéthiques font appel à des conceptions personnelles, forgées dans l'intimité de chacun, plutôt qu'à des engagements politiques. Il s'agit de trouver le subtil équilibre entre ce que peut la science et ce que l'éthique peut accepter.
Je me réjouis donc de l'article 24 ter A qui permet d'organiser des états généraux sur les questions de bioéthique. C'est un signal très positif.
Une déception cependant : nous sommes convaincus que l'importance des sujets traités devrait conduire à prévoir dans la loi le principe d'une révision régulière des lois de bioéthique.
Hans Jonas a posé un excellent principe de responsabilité -agir de telle sorte que les conséquences de nos actions soient compatibles avec une vie humaine- auquel nous pouvons ajouter celui de la non-commercialisation du vivant. Or l'Union européenne veut élargir le champ d'application du droit des brevets au corps humain. Certains éléments génétiques seraient brevetables ? Notre droit doit interdire expressément cette appropriation. On voit ce qui se passe dans l'agriculture, quand certaines entreprises veulent breveter telle plante ou tel animal qui existaient avant l'homme.
L'actuel article 7, sur le sang du cordon et le sang placentaire, nous convient : sans lui, le « don » n'en serait pas un et n'aurait plus eu qu'une finalité personnelle. Nous faisons nôtre l'avis 74 du Comité consultatif national d'éthique, qui redoute la mainmise du marché en cas de conservation « autologue » du sang placentaire ou du sang du cordon. Les banques privées commerciales doivent, en la matière, être interdites.
C'est le même refus de toute commercialisation du vivant qui nous amène à refuser le commerce de mères porteuses. Là où elle est permise, comme en Californie, cette pratique donne toujours lieu à rétribution. C'est donner un prix à l'enfant dont on attend la livraison. Comme le remarque Sylviane Agacinski, ce sont les femmes pauvres qui louent leur ventre au profit des couples riches, et jamais l'inverse. On voit même en Californie un dumping social des ventres les moins chers, en Inde ! La marchandisation n'est pas une dérive, elle est au coeur de cette pratique.
Nous saluons la rédaction de l'article 23 tel que modifié par la commission. L'état actuel du droit n'était plus approprié à l'état de la science et le principe d'autorisation encadrée nous paraît le cadre juridique le plus approprié, parce que le plus clair et le mieux à même d'éviter certaines dérives. Même si elles ne se concrétisent pas, des recherches en la matière sont indispensables. Je vous renvoie au journal La Croix du 1er avril dernier qui annonce des progrès dans la lutte contre la maladie de Steiner grâce aux travaux de Marc Peschanski et de Cécile Martinat sur les cellules souches embryonnaires.
Pourquoi se priver de telles capacités de recherche ? Rien de scientifique ni de moral ne nous invite à le faire. L'interdiction des embryons « chimériques » s'inscrit dans la perspective de telles recherches bien encadrées.
Il n'est pas dans l'intérêt de l'enfant de naître orphelin ! Nous sommes hostiles à l'implantation post mortem.
Le texte sur les déchets et résidus du diagnostic préimplantatoire n'est pas encore satisfaisant ; notre amendement va plus loin en la matière. Ce sont des éléments du corps humain
Pour le don d'organes, le droit existant sur l'information des donneurs potentiels est insuffisant. Il faut renforcer tout ce qui favorise le droit de vie ; il faut donc améliorer encore l'information du public. À côté du registre national des refus, il serait bon de prévoir aussi un registre national des dons. La volonté exprimée par le donneur potentiel doit être respectée après son décès.
Dans le même esprit, nous souhaitons que le livret d'accueil distribué aux patients hospitalisés précise ce qu'il en est du don d'organes.
Renforcer le formalisme ne serait pas souhaitable, vu le faible nombre de donneurs actuels. Notre désaccord porte également sur l'article 20 ter, concernant le don d'ovocytes.
Notre appréciation sur ce texte est mesurée. Les apports de la commission ne sont pas négligeables et vont dans le bon sens. Mais qu'en fera la séance publique ? Nous ne nous prononcerons qu'à la fin de l'examen des articles. (Applaudissements à gauche)
M. François Zocchetto. - Les lois bioéthiques sont à la frontière du philosophique et du juridique ; chacun est renvoyé aux limites de sa propre connaissance. Nous devons rester vigilants pour ne pas confondre droit et morale. Sur le double DPI, par exemple, la morale irait contre le « bébé médicament » ; mais le droit doit rendre possible ce qui peut apparaître utile.
La France est pionnière dans le domaine de la bioéthique, qu'elle prend à bras-le-corps, et j'espère qu'elle va, en l'espèce, signer sans tarder la convention d'Oviedo.
On ne doit pas tout faire ni tout laisser faire. Telle sera notre opposition sur ce texte. C'est ainsi que nous nous opposons au transfert d'embryons post mortem et aux « bébés souvenirs ».
Notre groupe, comme sans doute tous les groupes, est partagé sur certains points. Sur l'anonymat du don de gamètes, les trois positions existent dans notre groupe. De même à propos des recherches sur les cellules souches embryonnaires. À titre personnel, dans le premier cas, je suis pour le maintien de l'anonymat, et, dans le second, pour l'interdiction avec des dérogations.
Nous sommes tous en revanche favorables au droit à l'information, et à l'élargissement du cercle des donneurs, comme aux dons croisés.
Personne n'a pas encore parlé de l'ordonnance sur la biologie médicale, qui pose des problèmes réels mais bien identifiés ; elle ne doit cependant pas être abrogée.
M. Guy Fischer. - Marche arrière, vite !
M. François Zocchetto. - Nous attendons toutes assurances que l'on n'ira pas vers la financiarisation et la commercialisation.
La commission, à laquelle je veux rendre hommage, a accompli un travail remarquable et a fait vivre un débat dans lequel chacun a trouvé sa place. (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Marie-Thérèse Hermange. - Au moment où le pacte entre l'homme, la nature et la technique se brise au Japon, nous voici convoqués pour évoquer la maîtrise du vivant. Convoqués par la science, qui semble attendre que des scribes lui fixent des limites, et ainsi rendent possibles les pratiques qui ne seront plus interdites.
Quel que soit notre vote, on nous dira que nous avons juridiquement tort parce que les chercheurs ont scientifiquement raison. « L'opinion pense mal, la science a toujours raison » disait Bachelard... Nous aurions forcément tort parce que, ne les comprenant pas, nous passerions à côté des notions comme cellules « souches » totipotentes ou cellules « germinatives ». Qui peut résister aux techniques qui peuvent améliorer la vie, qui peut vouloir entraver les travaux d'un Pasteur ou d'un Fleming de demain ? Mais quel en est le prix ? La dignité de l'homme ? Elle n'est pas négociable. Banaliser certaines pratiques, nous mettre devant le fait accompli, serait une rupture de sens, en faisant de l'homme l'objet d'une confection. La science doit être au service de l'homme, elle ne doit pas servir à le sélectionner, à le stocker, à le détruire.
Le dépistage systématique de la trisomie 21, d'un coût considérable de 100 millions d'euros, aboutit à la suppression de 600 enfants sains. Médecins et société s'accordent à ne plus vouloir voir une telle pathologie. Pour ma part, je soutiendrai les amendements présentés par Bernadette Dupont.
Je m'étonne qu'on parle de balance avantages-risques au sujet du DPI. Ce texte pérennise le « bébé médicament », je vous proposerai un amendement en sens contraire. À quoi sert notre belle loi sur le handicap si nous rompons le don de la vie, le mystère de la vie, avant la naissance même ?
Voici que la vie est stockée, sous forme de cryoconservation du sperme et des embryons, ceci, nous le savons, pour satisfaire le désir de femmes ménopausées ou, demain, pour fabriquer des embryons anonymes. Au passage, comme le relève Sylviane Agacinski, c'est toujours le corps de la femme qui est instrumentalisé, un corps qui devient laboratoire, expérimentation, médicament.
Et puis voici l'homme stocké hors du temps, puisque la congélation d'embryons a pour effet de suspendre le temps entre la conception et la venue au monde. Ainsi de cette femme de 42 ans donnant naissance en 2010 à un enfant issu d'un embryon congelé depuis vingt ans, donné ensuite pour adoption à un autre couple. Quelles limites fabriquons-nous ? Pour qui ? Pourquoi ces 150 000 embryons surnuméraires ? Pour la recherche ? Étrange conception qui fait des parents tantôt les promoteurs, tantôt les censeurs de celle-ci. L'embryon humain perd-il toute dignité faute de projet parental ? Une personne âgée, faute de projet filial ? Retirera-t-on demain sa dignité à une personne isolée, faute de projet avec ses frères en humanité ?
La science nous demande de valider le choix qu'elle a déjà fait. Je m'y opposerai.
Pourquoi, ensuite, cette omerta sur les cellules souches issues du sang de cordon ? Pourquoi ne pas reconnaître les avancées de la recherche française en la matière ? Le procureur de la Cour de Luxembourg reconnaît que la notion d'embryon s'applique dès la fécondation à toutes les cellules souches totipotentes, et qu'une invention ne peut être brevetable lorsque le procédé soumis au brevet utilise des cellules souches embryonnaires dont le prélèvement a impliqué la destruction ou l'altération de l'embryon ; je vous proposerai d'aller dans ce sens.
Soit nous considérons que la science crée la vie, que l'homme peut être un produit fabriqué ; soit que c'est la vie qui crée la science. Il faut saluer la science lorsqu'elle sert l'être humain et la combattre quand elle se sert de lui. Voilà notre vraie fonction de législateur ! (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Raymonde Le Texier. - En commission déjà, nos débats ont été passionnants, riches et déstabilisants. La matière appelle un débat de raison, pour concilier nos valeurs à l'inconnu et aux promesses de la science. Notre débat est passionnel, parce qu'il touche à la vie et à sa transmission, à l'espèce humaine. Vouloir donner ou sauver la vie, c'est toujours noble -l'écueil, c'est d'en faire commerce ; nos lois bioéthiques nous en ont protégés.
La loi trace un cadre durable, mais nous en sommes encore aux prémices pour la bioéthique : c'est pourquoi nous sommes favorables à une révision régulière.
Les clivages traversent tous les partis. Au groupe socialiste, nous sommes partagés sur la recherche embryonnaire, sur l'anonymat de dons de gamètes, la gestation pour autrui, l'implantation post mortem des embryons.
Notre régime d'interdiction -assorti de dérogations- de la recherche sur l'embryon est source de retard pour nos équipes scientifiques, au risque de laisser ce domaine de recherche à des pays moins scrupuleux : je me félicite de la position de notre commission, qui nous fait enfin sortir de l'hypocrisie. (« Très bien » à gauche)
La levée de l'anonymat de don de gamètes va dans le bon sens. L'intérêt de l'enfant ne se résume pas à l'amour et à l'éducation qu'il reçoit. Nul ne peut empêcher un enfant d'avoir accès à ses origines. Après avoir hésité, je me suis ralliée à la levée de l'anonymat, même si je comprends mes collèges socialistes qui pensent le contraire.
Nous ne pouvons pas mesurer toutes les conséquences de nos choix d'aujourd'hui, surtout qu'ils ne sont pas consensuels : pourquoi ne pas se revoir dans cinq ans ?
La question de l'accès à la PMA pour les couples homosexuels nous oppose également. Pourquoi le refuser si on considère que la filiation réside avant tout dans le projet parental ?
S'agissant de la recherche sur l'embryon, nous ne pouvons trancher définitivement. La loi n'est pas un couvercle que l'on peut poser sur ce qui bouscule la société ; la loi doit faire confiance à l'évolution de celle-ci.
La gestation pour autrui est un sujet complexe, que nous ne saurions régler par un simple amendement, surtout quand le texte ne prévoit pas de révision. Peut-on priver des enfants d'état civil ? J'insiste : l'urgence n'est jamais un bon maître, il faut laisser du temps au temps.
Le texte issu de l'Assemblée nationale était frileux, notre commission l'a hissé à la hauteur des enjeux, en particulier pour la recherche sur l'embryon. Nous espérons que notre assemblée s'y ralliera, pour le conforter : nous abordons notre débat avec espoir et inquiétude ! (Applaudissements à gauche et sur certains bancs du centre et de la droite)
Mme Anne-Marie Escoffier. - « Science sans conscience n'est que ruine de l'âme » : nous sommes plus que jamais en devoir de nous interroger sur l'essence même de l'homme, en nous rappelant cet adage de Rabelais, médecin et humaniste. Notre débat n'est pas de vérité, car nous parlons de conscience, du sens que nous donnons à la vie. (Mme Marie-Thérèse Hermange approuve) Nous devons nous abstraire des techniques, contingentes, qui ne sauraient dicter nos principes.
Le respect de la personne humaine est un fondement de notre loi bioéthique de 1994 ; c'est à ce titre que le premier article de ce texte ratifie la convention du Conseil de l'Europe signée à Oviedo en 1997. Mais nous assistons à une marchandisation du corps dans certains pays moins scrupuleux que le nôtre, avec les risques d'eugénisme qu'elle comporte. Je salue la voie juste trouvée par notre commission.
Si le don gratuit et anonyme d'organes et de moelle ne fait plus débat, celui de gamètes continue de susciter des questions ; je considère qu'il doit rester anonyme. Sur la médecine prédictive, ce texte parvient à un juste équilibre, mais qui est fragile du fait même qu'il est lié à la définition donnée, par exemple, aux mots « affection d'une particulière gravité ». Aux yeux de qui ? Du patient ? Du médecin ?
Le débat sur les cellules souches embryonnaires est tout aussi difficile. La recherche médicale peut certes tenter de réduire les maladies dégénératives, en utilisant le pouvoir régénérateur de ces cellules, mais pas à n'importe quelles conditions. Le régime d'autorisation encadrée apporte des garanties auxquelles je peux adhérer.
La gestation pour autrui n'est pas illégitime dans les cas où la femme ne peut porter l'enfant du couple, mais pas le contrat auquel elle donne lieu entre deux être humains, où l'on loue son corps à l'autre. Je remercie la commission d'avoir remis l'humain au coeur de la loi, et non la science seule.
Je voterai en conscience, en sachant pouvoir compter sur votre lucidité et votre responsabilité ! (Applaudissements au centre et sur certains bancs de la droite)
M. Antoine Lefèvre. - Face aux avancées scientifiques rapides, nous devons affirmer nos valeurs essentielles, que ne partagent pas nécessairement nos partenaires internationaux. Les avancées de la science fascinent ; ce texte suscite des attentes contradictoires.
Je m'exprimerai comme jeune parlementaire et jeune parent. La PMA est à l'origine de 20 000 naissances par an, ce n'est pas négligeable. Je suis favorable au transfert de gamètes post mortem dans des conditions très strictes. Ce serait encourager la naissance d'orphelins, dit-on ; mais on ne le dit pas pour les familles monoparentales... L'enfant né ainsi reste l'enfant de l'amour, qui peut se construire autour d'un père absent.
Le don de gamète est à l'origine de 50 000 naissances ; lever l'anonymat serait créer une discrimination entre les enfants qui pourront accéder au nom du donneur et les autres. Je soutiendrai la suppression des articles 14 à 18.
Les dons d'organes, on le sait, sont en nombre insuffisant. Dans des circonstances dramatiques, les familles peuvent aller contre la volonté probable du défunt. Je crois utile, en conséquence, l'élargissement du cercle des donneurs et les possibilités nouvelles de dons croisés.
Quant à la gestation pour autrui, je me félicite qu'elle ne figure pas dans le texte de la commission ; mais l'interdiction française n'empêche pas les « délocalisations procréatives ». La Cour de cassation rend demain un arrêt très attendu sur la retranscription de l'acte de naissance de deux petites filles nées d'une mère porteuse aux États-Unis ; ces enfants sont là...
Notre débat est affaire de principes et de convictions ; il exige que nous respections l'avis de chacun. J'espère que ce texte recueillera le plus large consensus. (Applaudissements sur les bancs UMP)
Mme Anne-Marie Payet. - Nous voilà loin d'une opposition schématique entre une droite conservatrice et une gauche progressiste. Depuis 1994, la loi distingue les embryons « à projet parental » et les « embryons surnuméraires », comme si ces derniers n'étaient que matière à recherche. Comment et qui peut nier à l'embryon, même sans projet parental, son humanité ? Je ne peux m'empêcher de faire le rapprochement avec la condition faite à l'esclave par les anciens colonisateurs, une chosification en fonction d'un projet social que d'autres ont conçu pour eux et malgré eux. Comme l'a écrit Victor Schoelcher, « la République n'entend plus faire de distinction dans la famille humaine ». Quelle est l'existence d'un bébé médicament ? L'être humain ne peut être voulu que pour lui-même, pas pour sa valeur dans un projet parental ou génétique.
Ce texte étend le diagnostic prénatal à toutes les femmes enceintes, ce serait un eugénisme d'État ! L'amniocentèse déclenche deux fausses couches pour un cas de trisomie 21 dépisté. On fait comme si la vie avec un enfant handicapé était impossible : quel message envoie-t-on aux familles qui ont accueilli un enfant trisomique ? À cette aune du Meilleur des mondes, Mozart, Beethoven et Lincoln n'auraient pas vu le jour, tous atteints de maladie génétique...
S'agissant de la recherche sur l'embryon, le passage d'un régime d'interdiction à un régime d'autorisation est une rupture radicale, en contradiction même avec l'article 16 du code civil. Il faut réduire le nombre d'embryons surnuméraires, n'effectuer aucune congélation et réimplanter immédiatement les embryons artificiellement fécondés. J'ai déposé des amendements en ce sens. Le philosophe Jürgen Habermas, dans son ouvrage L'avenir de la nature humaine : vers un eugénisme libéral met en garde contre ces dérives : « doit-on laisser les sociétés réguler notre destin génétique ? ». (Applaudissements sur les bancs UMP)
J'invite chacune et chacun d'entre vous à réfléchir aux enjeux éthiques de ce texte. (Applaudissements à droite)
M. Jean-Pierre Michel. - Nous devons trancher entre des options contradictoires, faisant abstraction de nos conditionnements, de nos convictions religieuses pour appréhender l'intérêt général.
La science avance, elle est synonyme de progrès pour l'humanité ; ce débat a été tranché. Cependant, peut-elle tout faire ? Je ne le crois pas. Je ne crois pas non plus à un droit à l'enfant, mais plutôt au droit aux enfants à avoir une famille : l'adoption peut être une solution.
Mme Marie-Thérèse Hermange. - Très bien ! (Mme Bernadette Dupont approuve)
M. Jean-Pierre Michel. - Je suis également favorable à la levée de l'anonymat du don de gamètes ; l'homme s'inscrit dans une lignée, il a le droit de connaître ses origines. La filiation n'est pas seulement une reconnaissance sociale, c'est un acte biologique. Si certains sont opposés à la levée de l'anonymat, c'est peut-être que l'anonymat est un des principes pervers sur lesquels reposent nos lois bioéthiques.
Mme Marie-Thérèse Hermange. - Excellent ! (Mme Monique Cerisier-ben Guiga approuve)
M. Jean-Pierre Michel. - Je suis convaincu qu'on ne peut construire une société sur la dissimulation et le mensonge. Le Conseil d'État l'a dit mieux que je ne pourrai le faire.
Comme député, j'avais déjà voté contre l'AMP avec tiers donneur. (Mme Marie-Thérèse Hermange s'en félicite) La technique peut pallier les insuffisances, mais pas se substituer à la nature pour donner naissance à des enfants venus de nulle part. J'accepte l'AMP, mais avec les gamètes issus de ceux qui sont les parents juridiques de l'enfant. J'accepte également la gestation pour autrui telle que proposée par le rapport du Sénat, très encadrée. Cependant, je suis défavorable au transfert post mortem de l'embryon, qui risque de poser de gros problèmes à l'enfant, surtout si c'est un garçon car sa mère risque de pratiquer sur lui un surinvestissement affectif.
Je sais que mon propos ne sera pas totalement partagé, y compris au sein de mon groupe. C'est l'intérêt de ce débat. Si la loi ne peut arrêter le mouvement, elle doit le reconnaître et l'accompagner, lui donner un cadre légal. Là est notre tâche. (Applaudissements partagés dans tous les groupes)
Mme Bernadette Dupont. - J'opterai pour la consolidation de ce texte, plutôt que de l'accepter en l'état ou de le rejeter. La dignité humaine en est le premier principe, nos concitoyens le savent. Les enjeux sont vertigineux ; le progrès scientifique ne doit pas exclure le débat éthique.
Le don de gamètes est mêlé dans le texte au don des organes, alors qu'il est bien spécifique puisqu'il signifie le don de vie. Le diagnostic prénatal ne saurait être obligatoire : ce serait faire risquer un accident à toutes les femmes enceintes, rendre la grossesse anxiogène alors qu'elle est la fonction essentielle de la femme. Une forme d'eugénisme est en marche avec le dépistage systématique de la trisomie 21. Pourquoi une telle sélection, cette sorte de « délit de faciès » contraire à l'article 16 du code civil ? La question est posée du regard de la société sur celui qui naîtra porteur d'un autre handicap, tout aussi invalidant... (Applaudissements sur les bancs de l'UMP) Je vois dans l'article 12 bis une lueur d'espoir, avec plus de financement pour la recherche sur la trisomie 21. La presse se fait aujourd'hui l'écho d'essais thérapeutiques prometteurs. Trop peu de médecins sont capables d'accompagner les familles auxquelles ils annoncent une trisomie 21 ; leur formation doit être améliorée.
Je crois pertinent de lever l'anonymat du don de gamètes si l'enfant devenu majeur le demande : nous respecterons ainsi nos engagements internationaux.
Je voudrais encore que le Parlement suive régulièrement les règles bioéthiques : l'homme pour la science ou la science pour l'homme ? Nous devons y être constamment attentifs ! (Applaudissements à droite et sur quelques bancs au centre)
Mme Roselle Cros. - Rendez-vous désormais régulier, la révision des lois bioéthiques est un temps à part de la vie parlementaire, qui fait appel à la réflexion personnelle de chacun au-delà des clivages partisans. La France est à l'avant-garde de la législation bioéthique.
Il serait bon que le donneur de gamètes qui apprend être atteint d'une certaine affection puisse le faire connaître.
L'insuffisance des dons d'organes restera un problème ; il est donc bon d'amplifier les campagnes d'information et de sensibilisation en la matière. L'Agence de biomédecine accomplit là une tâche remarquable.
Trop de sages-femmes restent réticentes devant le prélèvement de sang de cordon -si utile pour les greffes allogéniques-, pour des raisons de difficultés techniques.
Faut-il faire porter au médecin une responsabilité considérable pour les propositions de dépistage d'anomalies génétiques ? C'est à la femme de décider, certes informée par le médecin.
L'insémination post mortem n'est pas dans l'intérêt de l'enfant, qui devient un enfant souvenir.
Le don de gamètes doit-il rester anonyme ? Il faut chercher l'équilibre entre trois parties : le couple qui peut vouloir préserver le secret, le donneur et l'enfant, qui a un désir inné de connaître ses origines. La formulation préférable est celle qu'avait proposée initialement le Gouvernement.
La recherche sur les embryons surnuméraires, dans une logique de médecine régénératrice ? On ne peut interdire totalement cette piste mais aucun début de résultat n'a été constaté. C'est pourquoi le plus approprié me paraît le statut d'interdiction sauf dérogation.
Sur la gestation pour autrui, qui répond à une demande encore faible, je suis sensible à la dimension commerciale et aux avertissements des psychanalystes.
Je tiens à féliciter le rapporteur qui nous a permis de nourrir notre réflexion (Applaudissements au centre et sur divers bancs à droite)
M. Jean Desessard. - Un texte qui ne fait l'unanimité dans aucun groupe politique et touche chacun dans ses convictions les plus intimes, ne devrait pas faire l'objet d'un examen parlementaire aussi rapide, sans qu'une commission spéciale ait été créée. En dépassant de deux ans la clause de revoyure, le Gouvernement a empêché l'Agence de biomédecine de délivrer des accords à la recherche sur l'embryon.
Je salue le travail de la commission, qui a amélioré le texte de l'Assemblée nationale. Je me réjouis de la suppression d'un cavalier à l'article 4 et de la ridicule déclaration d'hommage de la nation aux donneurs d'organes. Je me félicite enfin de la fin de l'hypocrisie que constitue l'autorisation encadrée de la recherche sur les embryons.
Les lois fortes sont rarement nées dans le consensus. Aujourd'hui, voici un projet sans envergure à cause du poids de tabous imposés par l'aile la plus traditionnaliste de la majorité.
Tabou sur l'IVG qui n'est pas encore pleinement acceptée. Tabou sur le don d'organes par les homosexuels alors que faute de greffe, 277 malades sont décédés l'an passé. Tabou sur l'AMP qui reste interdite aux femmes célibataires. Tabou sur la gestation pour autrui ; au point de ne même pas aborder le problème d'état civil d'enfants nés par GPA à l'étranger. Tabou enfin sur la fin de vie.
De tabou en tabou, les écologistes ne relèvent aucun progrès dans ce projet, pour aider chacun à bénéficier de ce que la science apporte. Nous ne prônons pas un modèle unique de vie.
Ouvrir des possibilités n'oblige personne à les utiliser, qu'il s'agisse de la PMA, du Pacs, de l'euthanasie. Le législateur doit trouver un équilibre entre les apports de la médecine et les exigences éthiques.
En éludant les questions de société, nous incitons les plus fortunés à aller bénéficier des avantages qu'accordent les lois belge ou suisse.
Le Parlement ne peut rester insensible aux avancées de la science. (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Louis Lorrain. - Chaque pays analyse les problèmes en fonction de son histoire. La science doit nous aider à renforcer nos libertés face à la marchandisation. Je souhaite que les chercheurs qui travaillent sur les cellules embryonnaires par dérogation puissent continuer à le faire. Le passage à une autorisation sous condition a une portée symbolique.
Le régime d'interdiction avec dérogation est plus juste quand les avancées scientifiques sont problématiques.
Le dépistage de la trisomie 21 ne peut se concevoir qu'à la demande de la personne concernée. Le succès des neurosciences appelle à une neuroéthique.
Nous choisissons la protection du plus faible, donc de l'enfant. Le don de gamètes doit rester neutre. La levée de l'anonymat ne doit pas bouleverser l'existence de l'enfant. Changer pour quoi faire ? Pour une nouvelle conception de la responsabilité ?
Ce n'est pas familialisme et traditionalisme que d'affirmer des valeurs, à commencer par celle du don. La science peut nous libérer mais les scientistes peuvent nous soumettre. Au nom de la cohérence, n'abandonnons pas nos valeurs. Restons kantiens : la fin ne justifie pas les moyens.
Le principe du respect de l'intimité ne devrait pas empêcher l'université de reconnaître pour discipline la bioéthique.
Les exigences prétendues de la société sont d'abord celles des chercheurs, souvent soumis à des pressions économiques. La bioéthique se targue de dire le bien mais ne peut prétendre dire la vérité. En convoquant des états généraux de la bioéthique, avant que le Parlement ne se prononce, on affaiblira les positions extrêmes où prévalent les idéologies, les intérêts et les pressions ! (Applaudissements sur quelques bancs UMP)
M. Jean-Pierre Godefroy. - La bioéthique est vraiment une matière compliquée ! Elle en appelle à nos convictions personnelles mais, en tant que parlementaires, nous devons faire prévaloir l'intérêt général.
Les réponses ne sont pas simples et pourtant nous devons trancher. J'ai certes des positions, mais pas de certitudes absolues. Bien sûr, en tant qu'homme de gauche, je suis sensible aux exigences d'égalité, de solidarité et de dignité et au progrès scientifique mais s'agissant de la vie et de la mort, de la maladie et de la reproduction, on peut prendre des positions parfois différentes.
Il est bon que, à propos de la recherche sur l'embryon, la commission ait fait preuve d'un courage que n'a pas eu l'Assemblée nationale. La loi de 2004 avait instauré un régime transitoire, avec la perspective d'aller vers un régime d'autorisation s'il n'y avait pas de dérives. Ce fut le cas. Il n'est pas douteux que ces recherches, porteuses de grands espoirs, ont aussi une grande importance économique.
En matière d'AMP, le texte est trop restrictif, à une époque où il y a des nouvelles formes de parentalité. Ne nous enfermons pas dans des considérations moralistes. Ce qui compte, c'est de rendre l'enfant heureux et de le conduire à l'âge adulte dans les meilleures conditions. L'argument hostile à la notion de « droit à l'enfant » est en fait dirigé contre l'homoparentalité, dont rien cependant ne montre qu'elle poserait de problèmes particuliers aux enfants.
La commission des affaires sociales a encore beaucoup de chemin à faire. Elle a rétabli la condition de stabilité du couple qui doit avoir une durée « suffisante ». Qui en jugera ?
En ce qui concerne le transfert d'embryon post mortem, à titre personnel je ne puis me résoudre à ce qu'on fasse naître des orphelins.
La GPA doit pouvoir être légalisée. J'ai été convaincu par le groupe de travail que présidait Michèle André. Ce n'est pas un droit à l'enfant ni une solution de confort ; ce doit être seulement un outil supplémentaire pour contrer la stérilité. Face aux dérives permises par les législations étrangères, la France doit se montrer rigoureuse pour lutter contre la marchandisation, dans les pays étrangers aussi. Ce débat, en tout cas, honore le Sénat, à la différence de ce qui s'est passé à l'Assemblée nationale.
En tout état de cause, la quinzaine d'enfants nés sous GPA en Ukraine et en Californie doivent bénéficier d'une inscription à l'état civil, sauf à devenir apatrides. Un arrêt doit être rendu demain par la Cour de cassation; nous en reparlerons.
L'anonymat des donneurs de gamètes a été conçu comme un principe éthique lors de la création des Cecos en 1972. La rédaction proposée aujourd'hui me paraît poser plus de problèmes qu'elle n'en résout. On risque de fragiliser la position des parents de l'enfant ainsi conçu, ainsi que de dissuader nombre de donneurs potentiels. (Applaudissements à gauche)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Ce projet est majeur et pose nombre de vraies questions. Je n'interviendrai cependant que sur l'anonymat des donneurs de gamètes. Maintenir le secret sur l'origine de l'enfant est une violation de sa liberté. Comme pour les naissances sous X, le silence sur les conditions de la conception est inacceptable. Comment imaginer vivre et se construire sans savoir d'où on vient ? L'amour des parents ne suffit pas à éluder la question. Ces enfants sont différents des autres ; ils ont le droit de donner un nom à cette différence. L'adulte en devenir a hérité d'un patrimoine qu'il doit pouvoir connaître, car c'est son histoire. Dès le départ, celle-ci s'est écrite à trois.
Trop souvent, nous jugeons ces situations à l'aune de notre situation propre, avec deux parents. Nous occultons ainsi la pluralité des modes de dons de la vie, depuis les enfants adoptés à qui cela a été caché, à ceux nés sous fécondation in vitro. La peur de la vérité fait plus peur que la vérité même. Ni les parents ni le donneur ne doivent craindre pour l'avenir.
Les donneurs doivent prendre la responsabilité de leur acte. (Applaudissements à droite) Ce don doit être assumé, relationnel. Donner des gamètes n'est pas donner du sang. Dans les pays comme la Suisse, l'Allemagne, la Suède ou l'Australie, où le don n'est pas anonyme, les donneurs sont responsables et citoyens. Ils n'en sont pas moins généreux mais ils assument leur altruisme.
Levons tous ces tabous chez nous !
Ne nions pas la revendication naturelle des citoyens qui veulent connaître toute leur origine. Respectons leur héritage pluriel. Dans un puzzle incomplet, une seule pièce manquante rend impossible de reconnaître le paysage. Oui, certains enfants ont plus de deux parents. Le secret sur leur origine provoque des ravages. Nous qui défendons la liberté et l'égalité nous ne pouvons tolérer que des êtres humains soient privés de leur histoire. Remettons les enfants au coeur du débat. (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Dominique de Legge. - Ce projet n'intègre pas l'idée de révision, à la différence des précédents, indexée sur les progrès scientifiques car il se place au plan des principes, qui ne sont pas subordonnés à celle-ci.
Je regrette que ce texte n'ait pas justifié la création au Sénat d'une commission mixte ad hoc.
Mieux vaut poser des principes, quitte à les assouplir, que de prévoir des autorisations dont l'encadrement serait difficile à faire respecter.
Privilégions le droit de l'enfant sur un prétendu droit à l'enfant ! Attention au docteur Folamour !
Les questions majeures sont encore celles de 2004. La science peut désormais détecter les pathologies du foetus comme la trisomie 21. C'est rendre un terrible service aux parents. Prenons garde à ne pas développer un eugénisme par compassion ou par volonté d'informer à tout prix.
Ne confondons pas le don de gamètes avec un don d'organes. Sauver une vie, ce n'est pas pareil qu'en créer une nouvelle. On parle de « matériel biologique », de « bébé médicament », de sélection, de stock... Attention à l'eugénisme !
Sur l'accès aux origines, j'ai longtemps hésité. Je ne vois pas comment refuser à l'enfant l'accès à son histoire. Le lien de l'enfant et des parents n'est pas seulement social et culturel, il est biologique. La France a signé la convention des Nations Unies sur le droit de l'enfant et celle d'Oviedo ; je ne vois donc pas comment elle pourrait refuser la levée de l'anonymat.
L'enfant n'est pas un droit mais un sujet de droit. On ne doit pas créer un orphelin pour faire son deuil. L'implantation post mortem ouvre aussi la voie à la GPA si elle est demandée par un veuf...
Mon vote final sera conditionné par la réponse à ces questions simples : les droits de l'enfant sont-ils respectés et renforcés ? (Applaudissements sur plusieurs bancs UMP)
Mlle Sophie Joissains. - Je ne suis pas scientifique, je suis juriste. Et la lecture de ce projet m'a ébahie : était-ce une resucée de Georges Orwell ? Il me paraît manquer d'humanité.
On veut répondre à des souffrances humaines par des solutions généreuses, ingénieuses et laborieuses. Si je suis admirative du progrès scientifique, ce texte me fait froid au coeur. Je n'y vois rien de ce qui devrait faire droit : l'intérêt de l'enfant. Quelle société peut, sans faillir, prévoir la venue au monde d'enfants qui seraient d'emblée abandonnés par leurs pères, ou nés de pères morts, ou encore d'inconnus qui le resteraient. Le droit de l'enfant n'a pas à être soumis au droit à l'enfant.
L'enfant ne doit pas avoir le sentiment d'être né de nulle part. La GPA peut être un acte exceptionnel de grande bonté mais légitimé et banalisé il ouvrira la voie à la commercialisation de l'être humain.
Le transfert post mortem peut être une belle idée de survivance, mais dans la réalité, c'est faire naître un orphelin. L'origine génétique peut être essentielle à la construction de l'identité : qui pourrait en priver l'individu ? Qui peut imposer cette mutilation psychologique ?
La fin ne peut justifier les moyens, même si l'adage est ancien, et selon la formule bien connue « science sans conscience n'est que ruine de l'âme » : les principes éthiques doivent être des lois d'airain qui n'ont pas besoin de révision périodique.
Nous ne devons pas transiger avec nos principes, notre idée de l'homme qui mérite respect, considération, et d'abord amour, et cela avant la naissance.
En commission, nous avons entendu parler des embryons, certains chercheurs évaluant même à 22 000 donneurs le besoin de « couverture » de toute la population « caucasienne » : comment en est-on arrivé là, avec la vie même ? Comment peut-on mettre la vie au service de la maladie et de la mort ? Je voterai contre la GPA, contre la recherche sur les cellules souches embryonnaires et pour la levée de l'anonymat sur le don de gamètes.
À devenir consuméristes à ce point, je sais que nous perdrions notre humanité même, et que notre société ne serait plus à l'échelle de l'homme et risquerait de perdre sa dimension transcendante. (Vifs applaudissements sur les bancs UMP)
M. André Lardeux. - J'ai failli reprendre mon discours de 2004, tant les principes me paraissent inchangés depuis. « Il ne faut pas plier les réalités du présent aux rêves de l'avenir » a dit Chateaubriand : tenons-nous en là ! Nous ne devons pas nous laisser dicter notre loi par la science et les appétits financiers. Une commission spéciale eût été à cet égard bienvenue. Je ne vois pas de raison d'émettre un vote positif sur ce texte qui ne nous préserve pas de la marchandisation du corps humain. Pour la recherche sur les embryons il propose des dispositifs alambiqués inacceptables, qui constituent un pas vers une nouvelle transgression. La solution serait de cesser de créer des embryons surnuméraires.
La levée de l'anonymat sur les dons de gamètes -un don distinct du don du sang ou de tel organe- semble inéluctable en raison de nos engagements internationaux, et la question se posera bientôt pour les accouchements sous X.
La GPA consacre le droit à l'enfant au mépris du droit de l'enfant et des femmes les plus pauvres, et autorise l'abandon, violant au passage la non-patrimonialité du corps humain, en l'occurrence celui des femmes. Cela n'est pas conforme à mon idée de la femme.
Notre société a instauré un délit de faciès contre le trisomique, véritable tête de Turc de la génétique que le dépistage -ou plutôt le pistage- a mission de dénicher, pour le supprimer. Au passage, on supprime aussi des embryons « sains ». La tendance à l'eugénisme engagée se confirme.
Ne gênons pas le marketing de l'eugénisme : 800 000 dépistages par an, cela rapporte ! La France va plus loin que d'autres dans cet eugénisme, repérant 92 % des trisomiques -et supprimant 96 % des embryons d'enfants trisomiques : un député a même demandé pourquoi il en reste 4 %... Notre société est-elle digne quand elle établit des seuils de dignité ? Elle donne le pouvoir radical exorbitant, presque divin de donner la mort à un enfant petit, malade, handicapé. (Murmures sur les bancs socialistes.)
L'eugénisme est d'abord collectif : curieuse politique de santé. Analyse coût/avantage, stratégie d'élimination... Je vous demande ce qu'en aurait dit cet acteur trisomique fêté au festival de Cannes. Ne lit-on pas qu'un « foetus trisomique peut bénéficier d'une IMG »... « bénéficier » ! Le groupe sélectionne des individus en fonction de leur génome selon un plan concerté et des critères de performance, un comportement qui, en d'autres temps, a fait l'objet d'une incrimination en vertu de l'article 211 du code pénal...
Certains disent que nous remettrions en cause, ce disant, la loi Veil. Mais la loi Veil considérait en fait l'embryon comme un enfant à naître, comme une personne en devenir : sinon une loi pour autoriser l'avortement n'aurait pas été nécessaire.
Je voterai contre ce projet de loi fourre-tout, émanation d'une société qui perd ses repères et qui ne respecte pas l'égalité devant la vie. Une société pleinement technique, dont le rêve de perfection n'est pas moins condamnable que le racisme : je n'y suis pas favorable ! (Applaudissements sur quelques bancs UMP)
M. Jacques Blanc. - Dans ce débat de très haute tenue -même si je ne partage pas tout ce qui vient d'être dit- nous avons su rester modestes et nous écouter même lorsque nous étions en profond désaccord. Comme médecin, comme neuropsychiatre, je connais l'angoisse des parents qui ne peuvent pas avoir d'enfant, je sais les espoirs qu'ils mettent dans la science pour guérir leurs enfants malades : il nous appartient, comme gardiens de l'éthique, de maintenir le sens même de notre société, d'empêcher le progrès scientifique et technique de lui faire perdre son âme. Je ne fais de procès à personne : nous voulons tous faire primer la dignité, le droit de l'enfant -mais nous faisons face à des situations nouvelles, et je salue le travail équilibré de M. Milon et de Mme Dini.
En 2004, M. Mattei a eu du courage en prévoyant un rendez-vous dans cinq ans pour sa loi bioéthique, nous la révisons avec un peu de retard : pourquoi ne pas prévoir une révision périodique, puisque les progrès scientifiques sont rapides ?
Pour avoir lancé à Montpellier le premier centre de biothérapie cellulaire, je sais l'intérêt de la recherche sur les cellules souches : mais ce rendez-vous ne signifie nullement que nous devrions abandonner nos principes. N'oublions pas que d'autres progrès comme la vitrification des ovocytes peuvent rendre nos débats d'aujourd'hui dépassés.
Sur le diagnostic prénatal, ensuite, nous devons faire passer ce message : un enfant mongolien est plein d'espérance, il peut être heureux, sa famille mérite la considération !
M. Jean-Jacques Mirassou. - Bien sûr !
M. Guy Fischer. - Qui dit le contraire ?
M. Jacques Blanc. - Je ne vous accuse pas d'eugénisme, mais levons toute ambiguïté, lançons un message d'espérance ! J'ai reçu plus de 1 000 familles quand personne ne s'occupait de leurs enfants quand j'oeuvrais pour un établissement spécialisé de mon département ! Ne les culpabilisons pas, valorisons leur amour, le bonheur qu'elles apportent à leur enfant !
Alors nous serons à même de mieux organiser les accouchements, et non pas simplement dépister des handicaps !
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. - Je me réjouis du consensus sur notre socle bioéthique : la dignité humaine, le respect dû dès le début de la vie, le refus de la marchandisation, le don solidaire.
J'ai indiqué les questions de fond : la révision, l'anonymat du don de gamètes, le GPA, le transfert post mortem, la recherche sur les cellules souches.
La légalisation de la GPA ne mettrait pas un terme à la marchandisation ni aux voyages à l'étranger pour trouver des conditions financières plus favorables. Il faudrait accepter de rémunérer les mères porteuses, et des rémunérations occultes se développeraient parce que ces mères porteuses ne seraient pas assez nombreuses.
Le principe de l'autorisation pour les recherches sur l'embryon ne se justifie pas : le respect dû à l'embryon doit primer et il n'est pas nécessaire aujourd'hui d'investir pour ces recherches.
Un eugénisme d'État, le DPN ? L'expression est offensante, ce texte n'impose aucun dépistage. Il informe les femmes sans rien leur imposer.
Le Gouvernement, ensuite, n'encourage nulle commercialisation d'organe : c'est pourquoi le critère thérapeutique s'impose dans le cas du don qui doit être dédié et non autologue. Pour le don d'organes, on reparle de consentement exprès inscrit dans un registre. La multiplication des dossiers retarde les opérations. Le consentement présumé est plus favorable.
L'ordonnance de biologie médiale est rétablie, c'est une bonne chose : nous l'ajusterons dans la proposition de loi Fourcade. (Applaudissements sur les bancs UMP)
La discussion générale est close.
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. - Le Gouvernement vient de déposer des amendements, je demande une suspension pour les examiner.
M. le président. - Soit.
La séance est suspendue à 19 heures.
La séance reprend à 21 h 30.