Mardi 14 juin 2022
- Présidence de M. François-Noël Buffet, président, et de M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication -
La réunion est ouverte à 9 heures.
Incidents survenus au Stade de France le 28 mai 2022 - Audition de représentants de la SNCF et de la RATP
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Nous poursuivons nos auditions avec la commission de la culture, présidée par M. Laurent Lafon, sur les incidents survenus au Stade de France le 28 mai dernier.
Nous recevons, pour la SNCF, M. Christophe Fanichet, président-directeur général de SNCF Voyageurs, et Mme Sylvie Charles, directrice de Transilien, et, pour la RATP, M. Philippe Martin, directeur général adjoint en charge des opérations de transport et de maintenance, et M. Jérôme Harnois, directeur chargé de la préparation aux crises, des enjeux de sûreté, de conformité et des affaires institutionnelles.
Cette audition est retransmise en direct par le Sénat sur son site internet.
La France accueille régulièrement des grands événements sportifs ; elle a la capacité de le faire. Vous êtes en première ligne pour assurer le bon déroulement de ces événements. Le 28 mai dernier, lors de la finale de la Ligue des champions, vous étiez engagés dans l'organisation. Or nous avons vu des incidents avec un fort impact médiatique et qui ont remis en cause notre capacité, en tant que Français, à pouvoir organiser de grands événements sportifs dans d'excellentes conditions.
Plusieurs sujets nous interrogent. D'abord, un grand nombre de personnes ont été concentrées au même moment à un même endroit, ce qui a posé des problèmes de filtrage et de capacité d'accueil autour du stade ; il semble qu'une partie des billets présentés étaient faux, mais cela ne vous concerne pas directement ; enfin, il y aurait eu des difficultés de communication entre les organisateurs, parfois même à la dernière minute, notamment en raison de la grève annoncée sur le RER B. Il a été décidé de transférer les flux sur le RER D, mais peut-être avec un manque d'anticipation. Nous attendons vos réponses sur ces sujets, qui nous ont été remontés par les personnes que nous avons précédemment reçues.
Nous nous interrogeons sur le nombre de personnes transportées à l'aller et au retour du Stade, sur la coordination avec les autorités de police et la Fédération française de football (FFF), sur la gestion des flux. Comment cela a-t-il été organisé ? Quelle est votre vision des événements ? De nombreux incidents de sécurité publique ont également eu lieu à l'encontre des voyageurs et de vos personnels, dans les gares et les transports, avec des actes délinquants commis massivement - et je n'utilise pas le conditionnel, car c'est incontestable. Nous avons besoin de vos éclaircissements.
Qu'en est-il de la conservation des images ? Nous nous sommes particulièrement intéressés à ce sujet la semaine dernière. Le Stade de France n'aurait conservé aucune image, contrairement à la préfecture de police, dont nous attendons de voir les enregistrements. Quelles images avez-vous conservées, et dans quelles conditions ? A priori, vous n'avez pas reçu de réquisition pour les conserver ?
M. Christophe Fanichet, président-directeur général de SNCF Voyageurs. - Je vous remercie de votre invitation. SNCF Voyageurs est la société du groupe SNCF qui regroupe toutes les activités de transport ferroviaire de voyageurs. Dans le cadre de notre activité Transilien, dirigée par Mme Sylvie Charles, nous exploitons pour le compte d'Île-de-France Mobilités la ligne D du RER et nous coexploitons la ligne B avec la RATP. L'infrastructure sud jusqu'à la gare du Nord relève de la RATP, la partie nord depuis la gare du Nord relève de SNCF Voyageurs.
Notre rôle dans ce type d'événement consiste à acheminer les voyageurs dans de bonnes conditions jusqu'à la gare d'arrivée proche du lieu où se tient l'événement ; cela veut dire un plan de transport adapté à la fréquentation attendue, en toute sécurité et avec la bonne information. Notre rôle commence et s'arrête donc aux bornes de nos gares. La préfecture de police et les organisateurs gèrent quant à eux l'orientation des spectateurs entre les gares et le Stade de France - il est essentiel de le rappeler.
Nous avons une longue expérience des événements au Stade de France ; à chaque fois, nous nous adaptons aux particularités de l'événement- par exemple la provenance du public - mais aussi aux circonstances de l'événement - les flux de passagers habituels, les travaux ou encore les éventuels mouvements sociaux.
S'agissant du dispositif du 28 mai dernier, 80 000 spectateurs étaient attendus, dont une grande partie était comme habituellement acheminée en transports en commun par les lignes B et D du RER, mais également par les lignes 12 et 13 du métro. Cet événement comprenait deux éléments de complexité : d'une part, les provenances multiples des spectateurs anglais et notamment de la fan zone depuis le cours de Vincennes, d'autre part, une grève RATP sur la ligne B que nous coexploitons.
Pour cet événement, nous avons dû mettre en place un dispositif à la fois habituel par son ampleur et inédit dans ses modalités. C'était un dispositif habituel car, comme à chaque événement de cette nature, un dispositif spécifique est mis en oeuvre sous l'autorité des pouvoirs publics, en présence des organisateurs - la FFF, l'Union des associations européennes de football (UEFA), le Stade de France, Île-de-France Mobilités, la RATP, Transilien. C'est aussi un dispositif inédit en raison de la grève de la RATP sur la ligne B, annoncée dès le 23 mai, qui a eu pour conséquences la suspension de l'interconnexion gare du Nord et donc l'obligation pour les voyageurs de changer de train dans cette gare.
Cette grève nous a conduits à adapter, avec la RATP, notre offre de transports en proposant d'orienter prioritairement les voyageurs vers la ligne D. Ce choix était aussi motivé par la prise en compte de la localisation de la fan zone cours de Vincennes, qui nous a conduits à renforcer cette même ligne D parce qu'il y avait un passage par la gare de Lyon. Le choix du plan de transport adapté a été pris entre opérateurs de transport, concerté avec Île-de-France Mobilités, partagé en réunion présidée par les autorités dès le 25 mai et communiqué publiquement le 26 mai. L'information aux voyageurs sur le plan de transport, invitant à utiliser de préférence la ligne D, a été faite de façon renforcée sur tous les supports - réseaux sociaux, annonces sonores, etc. - dès le jeudi 26 mai, à la suite de la réunion de la veille.
Concernant l'offre de transport, comme pour tout événement au Stade de France à jauge pleine de 80 000 spectateurs, nous avons assuré un plan de transport spécifique à partir de H-3 avant le match et jusqu'à 1 heure 35 du matin, horaire du dernier train de retour. À chaque événement ayant lieu au Stade de France, un représentant de la SNCF est présent dans le poste de commandement (PCO) du Stade de France. Il assure le lien en temps réel avec notre groupe et les autorités. Notre salle de crise régionale était également activée toute la journée du 28 mai. Nous avons mis en place un dispositif d'information renforcée avec plus d'une centaine d'effectifs supplémentaires pour orienter les flux dans les grandes gares concernées, sur les quais et les parvis.
Je reviens sur le détail du dispositif mis en place le soir du 28 mai. Le matériel roulant était utilisé en unités multiples, ce qui veut dire des rames jointives, soit une capacité par train du RER B de 2 700 places et pour le RER D de 2 400 places. Nous avons assuré un plan de transport sur le RER B partie nord, malgré l'interconnexion suspendue, avec six trains supplémentaires à l'aller, en plus des dix trains prévus par heure, et huit trains supplémentaires au retour, en plus des huit trains prévus vers Paris. Des trains supplémentaires par rapport à un soir d'événement au Stade de France ont également été mis en circulation sur la ligne du RER D, compte tenu du report vers le RER D, avec trois trains supplémentaires à l'aller, en plus des huit par heure, et dix trains supplémentaires au retour, en plus des deux trains prévus. Les rames supplémentaires ont été mises en circulation en fonction de l'arrivée des flux de voyageurs. À la suite de l'affluence de voyageurs souhaitant revenir à Paris pendant le match, le dispositif d'accueil en gare de La Plaine-Stade de France, sur le RER B, a été remis en place après la fin de la première mi-temps à 22 heures 52.
Le dispositif de prolongation, qui consiste à retarder d'environ une heure les navettes prévues sur les lignes B et D, a été déclenché, compte tenu de l'heure tardive de la fin de l'événement ; cela a permis que le dernier train parte de La Plaine-Stade de France vers 1 heure 35. Pour la première fois, l'aéroport Charles-de-Gaulle, depuis Paris Nord, a été desservi par quatre rames navettes à l'issue du match.
Selon nos comptages, le dispositif a permis d'acheminer le soir du match 37 000 spectateurs par le RER D et 6 200 spectateurs par le RER B. Par comparaison, pour ce type d'événement, le RER B achemine habituellement en moyenne 21 600 personnes et le RER D 9 600 personnes. Nous avons transporté au total près de 40 % de voyageurs supplémentaires par rapport à d'habitude, soit 43 200 personnes contre 31 200 personnes. Nos comptages ont été effectués manuellement, uniquement à l'aller, par des agents affectés à cette mission dans nos gares.
Il n'y a pas eu d'incident majeur en matière de sûreté à l'intérieur des emprises SNCF lors de cette soirée, à l'exception de quelques événements, notamment d'une rixe d'après-match en gare de Saint-Denis avec un supporter anglais blessé. Nous avons constaté, en revanche, de nombreux faits de délinquance aux abords de nos emprises lors de l'après-match et du retour des voyageurs vers nos gares de la Plaine Saint-Denis. Compte tenu de l'événement, une centaine d'agents de sûreté SNCF ont été engagés sur notre réseau.
Aux yeux du transporteur que nous sommes, le dispositif de transport a été adapté aux besoins de cet événement et s'est déroulé dans de bonnes conditions, sans congestion anormale. Cela tient à la fois au dispositif d'information, tant en nombre qu'en positionnement, à la bonne performance de la production du RER D et, pour le retour, à la bonne coordination pour l'envoi des rames en fonction des flux de supporters sur le RER B.
Je souligne la mobilisation et le professionnalisme de toutes les équipes de Transilien, en lien avec nos collègues de la RATP, pour réaliser ce plan de transport, pour prolonger la circulation des trains jusqu'à une heure tardive et pour assurer l'information des voyageurs.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Avez-vous conservé des images des lieux qui sont sous votre responsabilité ?
Mme Sylvie Charles, directrice de Transilien. - Habituellement, les images de vidéosurveillance dans les gares ou aux abords immédiats sont conservées 72 heures, pour des raisons de stockage. Dans ce cas précis, et avec un léger décalage, comme nous avons eu un incident en gare de Saint-Denis - or, souvent, Saint-Denis est confondu avec la gare La Plaine-Stade de France -, la Sûreté ferroviaire a bloqué l'effacement des images, comme la loi l'y autorise : elle peut les conserver jusqu'à trente jours. Le 1er juin, dans l'après-midi, la Sûreté ferroviaire a reçu un appel de la brigade territoriale des transports demandant de bloquer les images, mais une partie avait commencé à être effacée, notamment celles de La Plaine Saint-Denis ; mais pas tout. Nous avons donc conservé, comme la loi nous le permet, les images. Nous avons reçu des réquisitions en deux temps vendredi dernier, le 10 juin.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Vous avez donc conservé partiellement ces images. La réquisition est arrivée la semaine dernière, soit en réalité au moment où nous-mêmes avions soulevé ce problème, jeudi dernier, lorsqu'on nous a indiqué que le Stade de France n'avait conservé aucune image.
M. Philippe Martin, directeur général adjoint en charge des opérations de transport et de maintenance de la RATP. - Merci de votre invitation dans le cadre de vos auditions pour faire la lumière sur les événements du 28 mai.
La RATP et la SNCF, en tant qu'opérateurs de transport, ont un rôle essentiel dans la gestion des grands événements. M. Christophe Fanichet vous a expliqué comment fonctionnait la ligne B. En temps normal, la ligne est interconnectée : les trains continuent et les voyageurs n'ont pas de rupture de charge. Cette spécificité a conduit la RATP et la SNCF à travailler ensemble au sein d'une structure commune dédiée à la ligne, via une direction de ligne unifiée, ce qui nous permet de mieux collaborer étroitement lors de l'organisation de grands événements.
Pour préparer celui-ci, nous avons tenu des réunions fréquentes depuis mars avec les organisateurs - l'UEFA, la FFF, la préfecture de police, les différents acteurs de transports -, afin d'affiner l'organisation. Nous avons communiqué à l'ensemble des parties prenantes, dont la FFF, l'information sur la grève et notamment le plan de transport. Une dépêche AFP du 26 mai indiquait clairement que la RATP invitait les voyageurs à utiliser prioritairement la ligne D. Cela figurait dans les consignes qui avaient été envoyées par courriel et confirmées à l'UEFA, à la FFF et à la préfecture de police. Nous avons collaboré ensemble.
La RATP devait régler trois problèmes : bien sûr, nous devions acheminer l'ensemble des voyageurs au Stade de France, via le RER B, la ligne 13 et un peu la ligne 12. Nous devions aussi gérer les flux autour de la fan zone et rapatrier un certain nombre de supporters anglais, qui étaient dans la fan zone mais munis de billets et qui voulaient se rendre au Stade de France. Enfin, nous devions aussi gérer la grève afin de limiter au maximum l'impact sur l'acheminement des supporters. Ce dispositif a été validé dès le 24 mai et a été transmis. Nous avons communiqué notamment sur le fait qu'il y aurait une rupture d'interconnexion sur la ligne B : dans ce cas, lorsqu'un voyageur arrive en gare souterraine de la ligne B nord, il doit remonter deux niveaux pour aller prendre un train de la ligne B en gare de surface : c'est un itinéraire peu facile, encore plus pour des étrangers non habitués des lieux. Alors qu'en face, les trains de la ligne D vont directement au Stade de France. Cela explique en quelque sorte l'évasion des voyageurs vers la ligne D. Les voyageurs venant de la ligne sud du RER B arrivant gare du Nord avaient donc le choix entre les deux itinéraires, ligne B ou D.
La délégation interministérielle aux grands événements sportifs (Diges) a aussi tenu plusieurs réunions, et notamment une réunion de terrain le vendredi 27 mai à 10 heures, sous l'égide du sous-directeur régional de la police des transports (SDRPT) de la préfecture de police de Paris, afin d'organiser l'acheminement des flux de la fan zone vers le Stade de France. Nous avions privilégié le fait que les supporters prendraient la ligne A et que, arrivés à Gare de Lyon, une partie des voyageurs seraient dirigés vers la ligne D - les équipes de la préfecture de police ont mis des agents de police, en plus de nos agents de sécurité, afin de canaliser les flux -, puis qu'à Châtelet-les Halles ils prendraient la ligne B.
En ce qui concerne l'exploitation des réseaux, des renforts d'offre ont été mis en place afin d'assurer le passage de 80 % des trains, en dépit de la rupture de charge : six navettes supplémentaires aller-retour entre 19 heures 30 et 20 heures 30, dix-neuf trains supplémentaires sur la ligne 13 du métro et vingt-neuf trains supplémentaires sur les lignes 2, 4, 6, 9 et 12, pour la desserte des fan zones notamment. Nous avons mobilisé également 300 agents de station et 300 prestataires, ainsi que 150 agents de sécurité placés à Châtelet-Les Halles, Gare de Lyon, Nation et Porte de Saint-Denis.
Concernant la coordination avec la préfecture de police le jour de l'événement, la RATP était présente au centre de coordination opérationnelle de sûreté (CCOS) et les stations les plus critiques étaient sous couverture vidéo constante.
Pour ce qui est de la communication avec la préfecture de police et avec la Fédération française de football, la réunion du 24 mai a clairement précisé les choses : la décision a été prise de reporter une partie des flux de la ligne B vers la ligne D. Au cours de cette réunion, la FFF a demandé que l'on fasse passer des messages aux supporters anglais et espagnols afin que les flux soient dissociés entre les RER B et D, d'une part, et la ligne 13, d'autre part ; ce fut chose faite à grand renfort de communication sonore et de flyers.
Le 27 mai, nous avons fait un point de situation avec la FFF sur le plan de transport ; bien entendu, nous n'avions pas, alors, d'idée claire quant au flux de report de la ligne B vers la ligne D.
Le samedi 28 mai, notre directrice de la permanence générale, qui supervise l'ensemble des réseaux, a eu au moins six échanges téléphoniques avec le correspondant de la Fédération française de football. Ces échanges ont concerné l'évacuation de la fan zone de Nation, la situation constatée sur nos réseaux et la gestion des flux. Puis, à partir de 21 heures, le coup d'envoi étant retardé, deux discussions téléphoniques ont eu lieu concernant la prolongation des dispositifs opérationnels.
Nous considérons donc que les échanges avec l'ensemble des parties prenantes ont été constants avant, pendant et après l'événement. Je précise que nous avons reçu, le 1er juin, un courriel de la FFF dont voici la teneur : « Je voulais vous remercier pour tous nos échanges ces deux dernières semaines et nos conversations récentes sur votre vécu [...] en termes de transport samedi 28 mai. » Aussi avons-nous été quelque peu surpris par les déclarations de la Fédération française de football...
Pour ce qui est de la grève, la rupture d'interconnexion a incontestablement perturbé l'organisation, nous forçant à nous adapter pour gérer les flux - reports sur la ligne D et sur la ligne 13, l'information des voyageurs étant revue en conséquence. Comme à chaque fois qu'un tel mouvement de grève survient, nous avons mis en oeuvre un plan de mobilisation de toutes nos ressources internes en mettant à contribution l'ensemble de nos agents formés à conduire des RER.
Quelques mots sur le déroulé de la soirée : nous avons constaté un flux important de supporters au départ de la fan zone de Nation entre 17 heures et 18 heures 30, mais ces déplacements se sont faits dans le calme. Les trains du RER A ont bien absorbé la charge, et la répartition, à Châtelet-Les Halles, entre les trains de la ligne B et ceux de la ligne D s'est faite sans surcharge importante d'un côté ou de l'autre.
Sur la ligne 13, entre 16 heures et 21 heures, nous avons compté 36 000 voyageurs arrivant au Stade de France - je précise que le comptage est manuel et la marge d'erreur de 5 %. Quant à la ligne B, 10 500 voyageurs l'ont empruntée pour arriver à Gare du Nord, et 6 200 pour arriver à Saint-Denis. La gestion des flux a été maîtrisée. Le dispositif de « stop and go » mis en place avec les forces de sécurité pour la fin du match était rodé ; il a permis d'éviter la thrombose dans nos espaces via des retenues en amont de l'entrée dans nos réseaux : tout s'est bien passé à la sortie de la fan zone comme à l'entrée de la ligne 13.
Nous n'avons eu à déplorer, en outre, aucun incident technique pendant la période critique. De manière générale, la forte fréquentation n'a engendré aucun incident. Nous considérons que les voyageurs ont été acheminés sans difficulté vers leur station d'arrivée. Aucune agression n'a eu lieu dans nos espaces.
Quant aux images de vidéosurveillance, elles restent stockées 72 heures avant d'être écrasées. N'ayant constaté aucun incident et ces images n'ayant fait l'objet d'aucune réquisition avant le vendredi 10 juin, nous ne les avons pas conservées.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Je commencerai par vous interroger sur l'impact de la grève et sur les adaptations qu'elle a rendues nécessaires. La grève est annoncée à J-4 ; le 25 mai, lors d'une réunion à la préfecture de police en présence de la FFF, vous décidez d'orienter les usagers vers la ligne D au détriment de la ligne B.
Il semble que la grève ait été moins suivie qu'on ne l'envisageait : quatre trains sur cinq sur la ligne B à partir de 17 heures, trois sur quatre auparavant. Le 25 mai, j'imagine que vous vous attendiez à un taux de grévistes plus important. Devant la réalité du mouvement de grève, le jour J, n'avez-vous pas cherché à rééquilibrer les flux entre les deux lignes ?
M. Philippe Martin. - Cette grève a été fortement suivie. Beaucoup de conducteurs se sont déclarés grévistes au dernier moment.
Il faut savoir qu'en vertu de la loi les agents n'ont à déclarer leur intention de se mettre en grève que 48 heures avant le jour dit, et ont encore 24 heures pour changer d'avis. Le plan de mobilisation n'a donc pu être finalisé avant le 26 mai. Vu le nombre de grévistes attendu, nous avons mobilisé d'autres agents qualifiés de l'entreprise, des agents d'encadrement pour la plupart, pour qu'ils conduisent les trains ; mais l'offre de transport était fortement réduite et la rupture d'interconnexion a permis d'économiser des moyens.
Quant aux navettes supplémentaires, elles ont toutes été affrétées par la SNCF.
Mme Sylvie Charles. - Je précise que l'infrastructure est gérée par la RATP jusqu'à Gare du Nord, par SNCF Réseau ensuite. En tant que transporteurs, en revanche, nous coexploitons la ligne et nos conducteurs, en temps normal, vont de bout en bout de la ligne. Quand les grévistes sont nombreux, sachant qu'on ne le sait que 48 heures avant le jour dit, nous essayons d'anticiper. En l'espèce, vu les rumeurs, nous avons pris le parti de supprimer l'interconnexion. À la RATP, tous les encadrants conduisent, mais seulement sur la partie RATP. Conduire sur les deux infrastructures, RATP et SNCF, c'est un métier très spécifique : de part et d'autre, en particulier, les signalisations diffèrent.
C'est pourquoi, dans ce genre de situations, nous sommes conduits à rompre l'interconnexion : les trains du sud vont jusqu'à Gare du Nord, où ils se retournent, et la SNCF prend le relais en gare de surface. C'est ce qui nous a permis de faire ce que nous faisons d'habitude, à savoir assurer le passage de dix trains par heure.
À ces trains nous avons ajouté quelques trains traversants - interconnectés, pour le coup - conduits par des conducteurs SNCF, qui sont partis de Denfert-Rochereau pour aller jusqu'à La Plaine-Stade de France.
Voilà le dispositif qui a été mis en place. Comme l'a dit Philippe Martin, à supposer que vous voyagiez depuis le sud de Paris par la ligne B, vous arrivez, à Gare du Nord, en gare souterraine et il est plus facile, si votre destination est le Stade de France, de traverser le quai pour prendre le RER D que de monter de deux niveaux pour poursuivre sur la ligne B en gare de surface.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Quid d'une possible réorientation de la ligne D vers la ligne B le jour du match ?
Ce jour-là, les trains de la ligne B étaient-ils pleins ou aurait-il été possible, compte tenu du nombre de trains en circulation, de les remplir davantage ?
M. Philippe Martin. - Les supporters n'étaient pas seuls à emprunter le RER B, qui achemine également des voyageurs du quotidien et des touristes. Les trains étaient pleins, mais aucune surcharge n'a été signalée.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - C'est un point important. Tout le problème est que les spectateurs sont arrivés en grand nombre par le RER D, ce qui a produit l'engorgement des points de filtrage. Compte tenu des informations obtenues en temps réel, aurait-il été possible de transporter davantage d'usagers sur la ligne B ?
M. Philippe Martin. - Je ne peux pas vous répondre précisément.
Nous avions un correspondant au CCOS, des représentants au PC sécurité du Stade de France, des contacts avec la FFF ; à aucun moment l'alerte n'a été donnée à propos d'un quelconque problème sur la sortie du RER D. Le cas échéant, nous aurions pu réorienter les flux en temps réel. Nous aurait-on demandé de dévier ou de retenir des trains, nous l'aurions fait : nous savons faire...
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Que s'est-il dit exactement les 25 et 27 mai sur la question du trajet entre sortie du RER D et points de filtrage ? Vingt points de filtrage à la sortie du RER B, dix seulement à la sortie du RER D, pour des raisons « physiques » : il eût fallu s'interroger. Il semble que la Fédération française de football n'était pas représentée à la réunion du 27, mais avez-vous évoqué l'option consistant à créer des zones de délestage à la sortie du RER D ?
M. Philippe Martin. - La réunion du 27 mai était une réunion de sécurité avec la préfecture de police. À l'issue de cette réunion, nous avons informé la FFF des décisions prises concernant le report des flux sur la ligne D.
Sur l'organisation des filtrages et de l'accueil et sur les mesures d'aiguillage, je n'ai pas d'éléments précis à vous communiquer.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Les spectateurs arrivant par le RER D étaient 3,5 fois plus nombreux que ceux qui arrivaient par le RER B. La question de leur orientation à la sortie de la gare avait-elle été évoquée lors des réunions du 25 et du 27 mai ?
M. Philippe Martin. - À ma connaissance, non.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - L'après-midi du 28 mai, avez-vous échangé avec la FFF sur ce point ?
M. Philippe Martin. - Le jour même, nous avons eu six contacts téléphoniques avec le correspondant de la FFF, qui nous a même remerciés après coup, mais à aucun moment une difficulté, quelle qu'elle soit, n'a été portée à notre connaissance. Si la préfecture de police ou les organisateurs nous avaient demandé de prendre des mesures pour adapter le dispositif, nous l'aurions fait, en concertation avec la SNCF.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Enfin, les chiffres que vous avez indiqués ont été repris par le préfet de police dans sa note publiée le lendemain du match par le ministre de l'intérieur. Or les préfets Didier Lallement et Michel Cadot déclarent maintenant que le nombre de spectateurs sans billets ou avec de faux billets est moins important. Confirmez-vous donc vos chiffres ? Pour ce qui est du comptage manuel, il aurait selon vous été effectué par des agents expérimentés. Quelle est la fiabilité de ces données ? La marge d'erreur est pour vous de 5 %, pas plus, soit 110 000 utilisateurs sur les différentes lignes d'accès, y compris la ligne 13. Cela signifie-t-il que l'estimation des 30 000 à 40 000 spectateurs supplémentaires pourrait être issue de vos chiffres ?
M. Philippe Martin. - Nous avons donné les chiffres, pour la ligne B, de 10 500 voyageurs partis du sud et arrivés à Gare du Nord et, pour la ligne 13, de 36 000 voyageurs de 16 heures à 21 heures.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Vous confirmez ces chiffres, avec une marge d'erreur de 5 % ?
M. Philippe Martin. - Oui.
Mme Sylvie Charles. - Les 10 500 voyageurs sont ceux qui arrivent à Gare du Nord. Côté Transilien, les passagers des RER B et D sont comptés à l'arrivée, c'est-à-dire à Stade de France-Saint-Denis pour le RER D et à La Plaine-Stade de France pour le RER B. À la sortie du RER B, nous avons compté 6 200 personnes - il y a une « évaporation » assez logique, car tout le monde ne se rend pas au Stade de France -, soit le tiers de ce que nous transportons habituellement. À la station Stade de France-Saint-Denis, nous en avons compté plus de 37 000, plus de trois fois le nombre habituel sur le RER D.
M. David Assouline. - J'aurai trois questions.
Le ministre nous a dit - et vous l'avez un peu confirmé - que 30 000 à 40 000 personnes supplémentaires, sans billet ou avec un faux billet, étaient arrivées aux alentours du Stade de France. Il avance comme preuve la demande visant à gérer les nombreux flux de retour avant la fin du match. Vous dites que la décision d'envoyer des trains supplémentaires a été prise à 22 heures 50. Cela me semble un peu étrange, car le match devait se terminer précisément à cette heure-là : le dispositif de retour devait donc déjà être installé.
S'agissant des images, le plus étonnant est que, au sein d'une chaîne d'acteurs aussi importante, personne n'ait eu le réflexe de dire qu'il fallait les conserver. D'autant que tout le monde avait ces images ! En les ayant conservées, la SNCF montre presque du doigt tous les autres, à commencer par ceux qui doivent réquisitionner et par le Stade de France. Comment avez-vous pris cette décision ? Dans chacune des entités concernées, quelqu'un a dû se poser la question et décidé de ne pas les garder. Laisser des images être écrasées ou engager une réflexion, ce n'est pas la même chose.
Vos propos démentent ce qu'ont formellement déclaré les représentants de la FFF. Selon eux, vous avez été alertés de l'afflux vers le RER D au moment de l'engorgement des filtrages. Vous dites, quant à vous, qu'ils étaient alertés nettement en amont de la réorientation des voyageurs et que, même pendant cet engorgement, à aucun moment ils ne vous ont alertés, ce qui aurait permis de remettre le dispositif en place. Ces deux témoignages sont totalement contradictoires. Confirmez-vous que la FFF ne nous a pas dit la réalité des choses ?
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Vous faites référence à des discussions entre la FFF et la RATP, alors que vous étiez les uns et les autres présents aux postes de commandement de la préfecture de police et du Stade de France, c'est-à-dire là où sont constatés les points d'engorgement...
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Selon vous, quelle autorité aurait dû vous ordonner de changer d'organisation ?
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Ces points sont importants pour la compréhension des événements et appellent des réponses.
Mme Sylvie Charles. - L'affluence dans les transports en milieu de match est rarissime. En l'occurrence, elle s'est produite vers 22 heures 50.
M. David Assouline. - Normalement, c'est l'heure de fin du match...
Mme Sylvie Charles. - En l'occurrence, on savait que ce n'était pas le cas. On savait depuis plusieurs heures que le début du match avait été retardé.
M. David Assouline. - Non. C'est à 21 heures que la décision a été prise de retarder le début du match à 21 heures 30.
Mme Sylvie Charles. - Nous avons une capacité d'adaptation à la demi-heure, voire au quart d'heure ces soirs de match. Nous savions que celui-ci ne se terminerait pas à l'heure prévue. Face à toutes les personnes sans billet qui repartaient vers Paris, aux alentours de 22 heures 45, nous avons décidé de remettre le dispositif en place à la gare de La Plaine-Stade de France où nos personnels, agents permanents ou en sous-traitance, orientaient les voyageurs vers le bon quai.
M. David Assouline. - Dans des proportions importantes ?
Mme Sylvie Charles. - Nous ne comptions pas, car nous devions réagir rapidement pour remettre le dispositif en place. Le début a été un peu chaotique, avec des trains qui n'étaient pas complètement remplis parce que sur le quai, des supporters regardaient sur leur smartphone comment évoluait la situation ; puis ils sont petit à petit montés dans les trains.
Pour ce qui est de la vidéosurveillance, comme de petits incidents s'étaient produits à la gare de Saint-Denis, la sûreté ferroviaire a bloqué les images. Dans les trains - hormis une rixe à la suite de laquelle un supporter a été blessé et est sorti du train -, nous n'avons constaté aucun incident. Toutes les images de vidéosurveillance à bord des rames ont donc été effacées. Ont été bloquées les vidéos des gares de Saint-Denis, La Plaine-Stade de France et Stade de France-Saint-Denis ; mais, dans ces deux dernières gares, l'effacement avait commencé.
M. David Assouline. - Il est donc naturel, pour une institution concernée, de conserver les vidéos en cas d'incidents au Stade de France, sur l'esplanade, etc.
Mme Sylvie Charles. - Nos dispositifs de vidéosurveillance ne filment que nos emprises, et non l'extérieur de celles-ci. Nous conservons les images quand un agent de la gare, via sa hiérarchie, fait remonter qu'un incident s'est produit à bord d'une rame ou, plus généralement, à la descente du train.
M. Philippe Martin. - Pour ce qui est de nos emprises, nous ne disposons que de la vidéosurveillance locale : soit, pour le secteur du Stade de France, les images filmées dans la station Saint-Denis-Porte de Paris, sur la ligne 13 ; aucune de nos caméras ne filme les alentours du stade. En l'absence d'incidents et de réquisition formelle, les images n'ont pas été conservées.
La FFF savait que nous allions réorienter les voyageurs de la ligne D, puisque l'information était clairement indiquée dans les dépêches, les communications publiques, les affichettes, les flyers. En revanche, elle ne pouvait pas plus que nous anticiper la part du flux qui allait être reportée du RER B vers le RER D. Je le maintiens. Je redis aussi que, le 28 mai, nous n'avons reçu aucune alerte de quiconque - Stade de France, FFF ou préfecture de police - sur les difficultés de la ligne D.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Dans les PC, vous regardez tous les écrans et vous voyez ce qui se passe !
M. Philippe Martin. - Nous étions au PC du CCOS, à la préfecture de police, qui traite les images relatives aux transports.
M. Jérôme Harnois, directeur chargé de la préparation aux crises, des enjeux de sûreté, de conformité et des affaires institutionnelles de la RATP. - La vocation du CCOS est de gérer la sécurité dans les transports. On ne nous renvoie pas d'images qui ne concernent pas les réseaux de transport.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Où était le préfet de police à ce moment-là ? On nous a dit qu'il avait pris la décision, à partir du CCOS, d'interrompre le pré-filtrage. Il disposait donc bien d'informations à ce moment-là...
M. Jérôme Harnois. - Je ne peux pas répondre à la place du préfet de police. Le CCOS a pour vocation de gérer la sécurité dans les transports. L'un de mes collaborateurs très proches, un commissaire détaché à la RATP, était présent.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Il apparaît clairement que, si une instruction avait dû être donnée pour modifier le dispositif, elle l'aurait été principalement par l'autorité préfectorale et pour des raisons de sécurité. Or rien n'est venu !
M. Michel Savin. - Aux dires de M. le ministre de l'intérieur, les 30 000 à 40 000 personnes sans billet ou détenant un faux billet présentes aux portes du Stade de France, et qui n'ont pas été autorisées à y entrer, auraient disparu après 21 heures 30, soit après le début du match. Il nous a indiqué que, dès 22 heures 45, selon la SNCF et sur la base des images de vidéosurveillance, les quais du RER, notamment ceux de la station La Plaine-Stade de France, étaient pleins de maillots rouges de Liverpool.
Or, selon Île-de-France Mobilités, il n'y aurait pas eu d'arrivées tardives massives à ladite heure. Et selon le communiqué de la SNCF, « rien de particulier n'a été constaté au niveau des retours à 22 heures en termes d'afflux, que ce soit au niveau du RER B ou du RER D ». La SNCF précisait même qu'aucun flux particulier ou plus important que d'habitude n'avait été enregistré dans l'autre sens après le début du match. Cela entre en contradiction avec les propos du ministre de l'intérieur. Pouvez-vous nous expliquer quelle était exactement la situation ?
Les 30 000 à 40 000 personnes qui n'ont pu entrer dans le stade ont-elles ensuite pris les transports en commun ? Les trains étaient-ils remplis ou non ? Ces questions appellent une réelle transparence.
M. Jacques Grosperrin. - Vous avez dit à plusieurs reprises que vous n'aviez reçu d'informations ni de la FFF ni de la préfecture de police, mais qu'une adaptation aurait été possible. Qui aurait dû vous prévenir des différents problèmes ?
La FFF avait préparé une signalétique à la suite de l'annonce de la grève à la RATP. La préfecture de police lui a demandé de démonter ces panneaux visant à orienter les voyageurs du RER D vers le RER B. Pourquoi ne les avez-vous pas réinstallés ? Qui aurait dû vous demander de le faire ? Les dispositifs d'information nous apparaissent clairement défaillants.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Ma question porte sur la conservation des images, dont le seul intérêt est de comprendre ce qui s'est passé et de prévenir de telles situations à l'avenir. À écouter les deux entreprises, la RATP n'a pas conservé d'images et la SNCF l'a fait, mais seulement - détail curieux ! - en raison d'un incident en gare de Saint-Denis. Quelque chose m'intrigue : alors que toutes les chaînes du monde montraient ce qui s'était passé, personne au sein de vos deux entreprises n'a décidé de garder les images. C'est incroyable ! Heureusement qu'un incident s'est produit à Saint-Denis... Je ne comprends pas que vous ayez été aussi inadaptés au contexte en n'ayant pas l'idée, de votre propre chef, de conserver ces images.
M. Jean-Jacques Lozach. - Depuis le début de ces auditions, les différents acteurs de la soirée du 28 mai semblent « se refiler la patate chaude », en se renvoyant les uns aux autres la responsabilité d'un certain désordre. J'aimerais revenir sur le problème de l'information. La directrice générale de la Fédération française de football a tenu des propos très fermes quant au manque d'information concernant le détournement des flux du RER B vers le RER D, qui aurait créé des problèmes d'engorgement. À la suite de cette audition, vous avez apporté un démenti. Le confirmez-vous devant nos deux commissions, ou bien y a-t-il réellement eu un manque d'information ?
En effet, depuis l'audition des représentants de la FFF, le préfet Michel Cadot a publié un rapport dans lequel il mentionne des « défaillances » du dispositif d'information et une « insuffisance » dans les échanges entre la RATP et le poste de commandement.
En outre - mon collègue Grosperrin a déjà effleuré le sujet -, le rapport Cadot fait état d'un problème de signalétique pour le moins étonnant. La grève de la RATP et ses conséquences sur l'orientation des flux étaient connues, de sorte que la fédération avait préparé une signalétique d'orientation.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Cela figure à la page 11 du rapport.
M. Jean-Jacques Lozach. - Le préfet arrive à la conclusion selon laquelle « il aurait été souhaitable que cette signalétique soit réinstallée dès le risque de perturbation, en toute connaissance de cause ». Par conséquent, pourquoi n'a-t-on pas corrigé le tir au cours de la soirée ?
Enfin, ma dernière question rejoint l'une des préconisations du préfet. Il semble, en effet, que vous deviez appliquer un schéma d'organisation que vous pouvez réajuster en cas d'imprévus ou de difficultés. Le préfet propose donc - j'aimerais savoir ce que vous en pensez - de prévoir en amont plusieurs plans B, c'est-à-dire des scénarios différents que l'on pourrait mettre en place suffisamment tôt dans la journée ou dans la soirée. Là encore, le préfet Cadot formule un reproche assez fort quant au manque d'anticipation.
M. Loïc Hervé. - J'aimerais revenir sur la question des images de vidéoprotection. Premièrement, si le délai légal maximal est de trente jours, le délai inférieur de soixante-douze heures vous est-il imposé par le préfet, ou bien s'agit-il d'un délai technique lié à la capacité de vos serveurs à conserver ces images ? Autrement dit, est-ce une norme qui s'applique techniquement ou bien vous est-elle imposée de manière réglementaire ?
Deuxièmement - Dieu soit loué, vous avez conservé quelques images que vous pourrez fournir à l'autorité judiciaire si par hasard elle vous les demandait ! -, vous avez évoqué une procédure remontante dans le cas où un agent qui, constatant la commission d'un délit ou un événement qui se passe dans une gare, ferait remonter l'incident au niveau hiérarchique, afin que l'on conserve les images utiles. Toutefois, n'existe-t-il pas dans vos processus internes une décision descendante ? En effet, plusieurs de nos collègues ont évoqué un tumulte médiatique, politique et judiciaire. Dans ce type de cas, ne pourrait-on pas envisager que, de manière descendante, quelqu'un dans la hiérarchie puisse prendre la décision de conserver telle ou telle image, le temps que l'autorité judiciaire, ou d'autres autorités, prenne l'initiative de vous demander ces images ?
Mme Sylvie Charles. - Il me semble qu'il y a une confusion entre ce qui relève du périmètre de nos emprises et de celui du Stade de France. En effet, notre système de vidéosurveillance ne s'applique que dans nos rames et dans le périmètre de nos installations. En outre, que ce soit par anticipation ou dans un mode opérationnel, nous nous contentons d'indiquer un plan de transport. Par conséquent, lorsque nous établissons que, pour des raisons tenant à la grève de la RATP et à l'installation d'une fan zone sur le cours de Vincennes, il y aura vraisemblablement davantage de fréquentation dans le RER D, nous ne sommes pas capables de prévoir de manière anticipée la montée en charge précise de cette affluence.
En revanche, d'un point de vue opérationnel, dans le cas précis de la soirée du 28 mai dernier, à compter de 18 heures, nous avons transmis toutes les demi-heures les informations au poste de commandement du stade : il a ainsi été informé du comptage à 18 heures 05, soit 8 660 personnes à la gare Stade de France-Saint-Denis et 1 210 personnes à celle de La Plaine-Stade de France, comptage qui a très rapidement permis de constater un gros écart de fréquentation entre la ligne D et la ligne B. Une demi-heure plus tard, le comptage était de 16 400 personnes à la gare Stade de France-Saint-Denis et de 2 200 personnes à celle de La Plaine-Saint-Denis.
Par conséquent, les informations dont disposait le transporteur quant aux flux de fréquentation ont été partagées, et nous n'avons reçu aucune alerte nous incitant à ralentir le RER D en raison de problèmes d'engorgement. Je vous confirme donc que nous n'avons reçu aucune alerte.
M. Philippe Martin. - En ce qui concerne le détournement des flux du RER B vers le RER D, le rapport Cadot, puisque vous le citez, indique à la page 11 que « la grève de la RATP était connue et ses conséquences sur l'orientation des flux aussi ». D'après cette enquête, l'ensemble des acteurs était donc au courant et connaissait les schémas précis. Nous avons beaucoup de plans dégradés et nous savons mobiliser des salles de crise. Notre ADN, c'est de gérer les incidents et les imprévus dans les transports en commun. Si donc un incident technique ou un problème intervient, nous avons toujours des plans de substitution à déployer. Lorsque le service fonctionne à 100 %, les marges sont plus faibles mais nous conservons notre capacité de réaction.
Quant aux panneaux sur lesquels vous nous interrogez, il me semble qu'ils étaient placés à l'extérieur, hors de nos emprises. Le rapport Cadot mentionne ainsi des problèmes de réorientation qui concernent la préfecture et la ville, mais pas le transporteur en tant que tel. Il s'agit en effet de la canalisation et de l'organisation des flux à la sortie des emprises de transport.
M. Jérôme Harnois. - Pour répondre à la question qui porte sur les images, la RATP dispose d'un parc de plus de 50 000 caméras, dont 15 000 sont dans les espaces fréquentés. Vous pouvez imaginer le volume de stockage quotidien que représentent ces 51 000 caméras, d'autant qu'il y en aura sans doute jusqu'à 100 000 dans quelques années, avec le Grand Paris, car à chaque fois qu'un nouveau matériel roulant arrive, il est équipé d'un dispositif de vidéo, alors que ce n'était pas le cas auparavant.
Par conséquent, pour des raisons techniques, qui concernent aussi la SNCF, nous limitons la capacité d'enregistrement de nos équipements à 72 heures. Cette limite est connue de tous, puisque nous traitons 7 000 réquisitions par an. Je rappelle en effet que nous sommes réquisitionnés jusqu'à 7 000 fois par an pour fournir des images vidéo. Notre capacité d'enregistrement est donc connue et la durée de conservation des images est habituelle, liée à des raisons techniques, comme je viens de vous l'expliquer. S'il nous faut à l'avenir allonger cette durée, l'autorité organisatrice devra procéder à des investissements conséquents pour que nous puissions conserver puis traiter ces images.
Pourquoi n'avons-nous pas conservé les images du soir du 28 mai ? Comme cela a été dit à plusieurs reprises, il n'y a eu aucun incident notable dans nos emprises. Nos caméras ne filment que nos réseaux. Au quotidien, dans une ville comme Paris et dans une région comme l'Île-de-France, des incidents interviennent à l'extérieur de nos espaces, dont nous ne conservons pas les images alors qu'elles pourraient être utiles. En revanche, quand la police ou les autorités judiciaires estiment que les images enregistrées par nos caméras peuvent éclairer un incident qui s'est produit en dehors de nos espaces, nous sommes réquisitionnés. D'où les 7 000 réquisitions dont je vous ai parlé, qui concernent des incidents dans le réseau et qui peuvent aussi parfois porter sur des incidents qui se sont produits hors de nos emprises, pour des raisons d'enquête.
En l'occurrence, dans la mesure où nous n'avons pas été réquisitionnés et où il n'y a eu aucun incident dans nos réseaux, nous n'avions pas de raison objective de conserver ces images. Je vous rappelle que la vidéoprotection est très encadrée par la commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Nous respectons les procédures qui ont été mises en place dans l'entreprise.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Il n'y a pas eu d'incidents à l'encontre de vos personnels ? Un certain nombre de témoignages et de bruits circulent à ce sujet.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Le rapport du préfet Cadot mentionne que « des équipes du Transilien SNCF se sont repliées temporairement pour ne plus être exposées à certains délinquants ». Pouvez-vous nous confirmer qu'il y a bien eu des incidents qui ont concerné le personnel ?
Mme Sylvie Charles. - Vers 23 heures 45 ou 23 heures 50, à La Plaine-Saint-Denis, sur la ligne du RER B, il y avait beaucoup de monde sur la grande esplanade, devant la gare. Dans ce type de cas, une rétention est exercée par les forces de l'ordre et les équipes de la sûreté ferroviaire, qui restent aux abords immédiats de la gare, de manière à ce que les voyageurs y entrent graduellement et descendent en toute sûreté sur les quais. Un procès-verbal de renseignement de la police des transports fait état de ce que nos agents ont observé des jets de projectiles, bouteilles et autres, sur la rampe ouest. Les agents - je parle bien d'eux et pas de la sûreté ferroviaire - se sont repliés près des automates et autres guichets, puis ils ont ouvert les tourniquets de validation parce qu'ils constataient que des supporters de Liverpool « très énervés » et « particulièrement avinés » bousculaient les gilets rouges ainsi qu'eux-mêmes.
Cela n'avait rien de grave, mais nos agents ont rapporté qu'ils avaient très rarement vu ce genre d'incidents à la sortie d'un match au Stade de France. L'autre élément qu'ils ont noté, c'est la forte présence de pickpockets sur les quais.
Par conséquent, la sortie du stade, à la fin du match, aux alentours de 23 heures 45, a été anormalement tendue.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Mais aucun agent n'a subi de violences ?
Mme Sylvie Charles. - Non. Nos agents en gare ont fait appel à la sûreté ferroviaire et aux forces de police, qui sont arrivées et qui ont rétabli l'ordre en un quart d'heure, afin que l'évacuation puisse se poursuivre dans des conditions correctes.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Il reste des questions auxquelles vous n'avez pas répondu. Jacques Grosperrin, notamment, vous a interrogés sur la suppression de la signalétique. En ce qui concerne les images vidéo, certains collègues ont demandé des précisions sur vos processus internes pour savoir à qui revenait la décision de conserver les images. Enfin, d'autres questions portaient sur les différents scénarios de transport qui ont été mis en place.
Mme Sylvie Charles. - Sur le sujet des vidéos, pour préciser ce que j'ai déjà indiqué, comme il y avait eu une rixe signalée en gare de Saint-Denis, le dimanche 29 mai, à 10 heures 29, un agent, sur sollicitation du chef de salle du poste de commandement national sûreté (PCNS), était en charge d'assurer la protection des vidéos de la gare. Le même dispositif a été établi, le 31 mai, compte tenu des événements que je viens de relater, en gare de La Plaine-Stade de France. Ces deux types d'événements ont conduit le chef du PCNS à demander le blocage des vidéos.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Qu'en est-il de la signalétique ?
Mme Sylvie Charles. - La page 11 du rapport, à laquelle vous avez fait référence, monsieur le président, mentionne une signalétique qui n'est pas dans nos emprises. « La Fédération française de football avait préparé une signalétique d'orientation à cet effet. Elle relate qu'au cours d'une réunion à la préfecture de Seine-Saint-Denis, le 23 mai, la préfecture de police a demandé de faire démonter les panneaux prévoyant l'orientation des voyageurs sortant du RER D vers le cheminement de sortie du RER B » : tels sont les mots du rapport. On est donc vraiment sur la voie publique et hors de nos emprises.
M. David Assouline. - Le mercredi qui a suivi le match, lors de son audition, M. Darmanin, ministre de l'intérieur, a répondu à une question de Mme de La Gontrie qui portait sur l'estimation des flux et leurs lieux de passage. Il a dit textuellement qu'il existait des images de la RATP que nous pourrions visionner. Cette audition a eu lieu le mercredi, soit trois jours après les événements. Le ministre mentionnait des images qui étaient en train d'être écrasées et personne n'a réagi. Je trouve cela très étonnant.
Mme Sylvie Charles. - Je vous confirme, monsieur le sénateur, qu'à la suite d'initiatives internes dont je vous ai déjà parlé, dans l'après-midi du mercredi 1er juin, à la demande de la sous-direction régionale de la police des transports (SDRPT), dans l'attente d'éventuelles réquisitions, les séquences vidéo des gares ont été préservées pour éviter leur effacement automatique. Nous avons donc reçu, dans l'après-midi du 1er juin, un appel de la SDRPT.
M. Jérôme Harnois. - Nous n'avons pas reçu le même appel, sinon nous aurions pris la même décision. Sans doute est-ce dû au fait que la gare la plus sensible, comme l'a rappelé Sylvie Charles, était celle du Stade de France, qui est exploitée par la SNCF.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Mais vous saviez que des incidents avaient eu lieu, comme tous ceux qui avaient regardé la télévision !
M. Jérôme Harnois. - Oui, bien sûr, mais l'usage de la vidéo est encadré par des procédures strictes qu'il est important que nous respections, quand elles sont mises en oeuvre et si nous ne sommes pas réquisitionnés. On nous aurait reproché, à l'inverse, d'avoir stocké des images en outrepassant les procédures en place.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Pour être certain de bien comprendre, la territoriale des transports est une entité placée sous l'autorité du préfet de police. Cela signifie donc que le préfet de police, par son intermédiaire, a demandé à la SNCF de conserver les images, le mercredi suivant les événements.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Ma dernière question est de nature plus prospective, après cette expérience malheureuse. La France organise l'année prochaine la Coupe du monde de rugby, et dans deux ans les jeux Olympiques et Paralympiques. Que retenez-vous comme améliorations à apporter dans le dispositif, tel qu'il a été vécu ?
M. Michel Savin. - J'aimerais avoir une réponse à ma question sur la communication discordante de la SNCF et du ministère de l'intérieur. L'une affirme n'avoir enregistré aucun flux d'une importance particulière après le début du match, l'autre indique que des milliers de personnes auraient repris les transports après le début du match. Qu'en est-il ?
Mme Sylvie Charles. - Je confirme que vers 22 heures 50, nous avons observé qu'il y avait plus de monde que d'habitude. Généralement, nous n'observons une telle affluence qu'une fois le match terminé, ce qui n'était pas le cas. Je pense que vous m'avez mal comprise, monsieur le sénateur.
J'en viens aux améliorations.
Nous avons un souci dans le cadre de l'exercice du droit de grève, mon collègue Philippe Martin y a fait allusion. En effet, la dernière loi en ce domaine est quelque peu contournée par des préavis dormants, qui sont parfois considérés comme valides par la chambre sociale de la Cour de cassation alors qu'il n'y a plus qu'un gréviste, voire aucun. Notre capacité d'anticipation n'est, de ce fait, pas très importante. À ma connaissance, le mouvement de grève à la RATP a d'ailleurs été déclenché sur le fondement d'un préavis dormant. Ce point pourrait faire l'objet d'améliorations.
Par ailleurs, nous avons été frappés par la différence entre la précision des anticipations effectuées par le Real Madrid et la non-précision, pour employer un euphémisme, de celles de Liverpool. En particulier, le nombre de supporters qui sont arrivés en avance et qui se sont rendus à la fan zone, afflux dont j'estime qu'il a été extrêmement bien géré, notamment par nos collègues de la RATP, n'a pas été anticipé.
De manière plus opérationnelle, la gestion des flux doit s'opérer jusqu'au stade et s'adapter à l'affluence. Il me semble que pour notre part, nous l'avons assez bien fait. Au regard des chiffres qui ont été transmis toutes les demi-heures à partir de 18 heures 05, on peut s'étonner que les dispositifs à l'entrée du Stade de France n'aient pas été adaptés à la plus forte fréquentation de la ligne D par rapport à la ligne B.
M. Philippe Martin. - Je partage ce qui vient d'être dit sur les préavis illimités. Nous en avons actuellement 21 à la RATP, sur lequel chaque agent peut se déclarer de lui-même et à tout moment. Le mouvement du 28 mai a ainsi été décidé au dernier moment par les agents. Nous travaillons avec l'Union des transports publics et ferroviaires (UTP) à allonger le délai de déclaration, de 48 à 72 heures, et celui de changement de date, de 24 à 48 heures, afin d'informer plus en amont les voyageurs et nos partenaires. C'est une première piste d'amélioration.
Le second sujet est celui de la chaîne de gestion des flux. Nous avons beaucoup communiqué sur notre plan de transport, nous avons bien travaillé avec la préfecture de police, et de fait, la sécurisation de nos espaces et de la fan zone n'ont pas posé de difficulté. En revanche, nous n'avons pas eu beaucoup de visibilité sur la gestion des flux ensuite, en particulier sur les doubles filtrages et les éléments pointés par le rapport Cadot. Une plus grande intégration de la chaîne serait souhaitable.
Enfin, je souhaite terminer sur une note d'optimisme. Nous avons su gérer tous les événements au Stade de France depuis plus de vingt ans : la Coupe du monde de football en 1998, la Coupe du monde de rugby en 2007, les championnats du monde d'athlétisme en 2003 et quantité de matchs. Tous ces événements ont réuni beaucoup de spectateurs, notamment étrangers.
Les délais très courts d'organisation de cette rencontre n'ont sans doute pas facilité le travail, notamment celui de la préfecture de police. En tout état de cause, le principal axe d'amélioration est d'encourager l'ensemble des acteurs à échanger encore davantage sur la gestion des flux. Nous le faisons déjà, par exemple dans le cadre de la mission de coordination axe Nord qui a permis de flécher des voyageurs sur la ligne 12 pour éviter des affluences trop importantes, mais nous devons le faire plus.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Je vous remercie de votre présence ce matin.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
- Présidence de M. François-Noël Buffet, président, et de M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes.-
La réunion, suspendue à 10 h 25, est reprise à 15 h 15.
Audition de M. Fabrice Leggeri, ancien directeur exécutif de l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex) (ne sera pas publié)
Ce compte rendu ne fera pas l'objet d'une publication.
Mercredi 15 juin 2022
Mission d'information sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie - Audition de M. Alain Christnacht, conseiller d'État honoraire, et de M. Jean-François Merle, conseiller d'État honoraire, ancien conseiller technique chargé de l'outre-mer au cabinet du Premier ministre (Michel Rocard), co-auteurs du rapport de la mission d'écoute et de conseil sur l'avenir de la Nouvelle-Calédonie
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale. - Nous poursuivons aujourd'hui notre cycle d'auditions dans le cadre de la mission d'information relative à l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.
Nous avons engagé nos travaux immédiatement après le scrutin du 12 décembre 2021. La commission des lois a désigné quatre rapporteurs : Hervé Marseille, Jean-Pierre Sueur, Philippe Bas et moi-même. Nous nous rendrons en Nouvelle-Calédonie du 22 au 29 juin prochains.
Nous réfléchissons à l'évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie à la suite des consultations d'autodétermination prévues par l'accord de Nouméa. De nouvelles discussions entre les parties sont prévues par le point 5 de l'accord de Nouméa. Je rappelle également que le précédent ministre des outre-mer avait annoncé un référendum dit « de projet » pour juin 2023.
Nous travaux sont complémentaires de ceux menés par le groupe de contact relatif à la Nouvelle-Calédonie créé il y a plusieurs mois par le président Larcher.
Dans ce cadre, nous souhaitons connaître votre vision de la situation institutionnelle actuelle et future de la Nouvelle-Calédonie.
Avant de vous céder la parole, je salue la présence de plusieurs de nos collègues ultramarins conviés en leur qualité de membres de la délégation sénatoriale aux outre-mer du Sénat et en particulier de M. Stéphane Artano, président de la délégation.
M. Alain Christnacht, conseiller d'Etat honoraire. - J'ai participé, non à la discussion des accords de Matignon, mais, comme directeur de cabinet de Le Pensec, à ce qui a suivi : l'accord Oudinot, qui, au cours de l'été 1988, a mis en oeuvre les accords de Matignon, pour aboutir au projet de loi qui a été soumis à référendum.
La difficulté première de l'exercice, c'est la répartition de la population : au recensement de 2019, 41 % de personnes se sont déclarées kanaks, 24 % se sont déclarées européennes, les autres, métisses ou non, se déclarant calédoniennes par refus d'être assignées à une telle répartition.
L'espoir exprimé dès les accords de Matignon et renouvelé avec l'accord de Nouméa, c'était précisément de sortir d'un déterminisme ethnique opposant les Kanaks, pour l'indépendance, et tous les autres, contre.
Ainsi, en 1988, on avait prévu un référendum pour 1998. Mais, en 1991, Jacques Lafleur, leader des non-indépendantistes, a proposé d'y renoncer pour rechercher un accord consensuel. Cette proposition, à la fois très audacieuse et visionnaire - c'était la marque de fabrique de son auteur -, a fini par convaincre le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) et le Rassemblement pour la Calédonie dans la République (RPCR). Dès lors, le Gouvernement lui-même a été convaincu.
On a bien avancé sur les voies d'un accord consensuel sous le gouvernement de M. Juppé, avant d'achopper sur la question du nickel. Le gouvernement de M. Jospin a résolu le préalable minier, puis a participé à l'accouchement de cet accord, qui, comme l'a dit M. Jospin à Nouméa lors de sa signature, s'inscrit dans les pas des accords de Matignon.
À cet égard, les corps électoraux distincts du corps électoral général ont toute leur importance. Il existe en effet un corps électoral restreint pour les élections provinciales et donc pour l'élection du Congrès.
Au départ, cette idée figure dans les accords de Matignon. En vertu du point n° 6 du texte n ° 2, « les électeurs et les électrices de Nouvelle-Calédonie qui seront appelés à se prononcer sur ce projet de loi référendaire, ainsi que leurs descendants accédant à la majorité, constituent les populations intéressées à l'avenir du Territoire. Ils seront donc seuls à participer, jusqu'en 1998, aux scrutins qui détermineront cet avenir : scrutin pour les élections aux conseils de province et scrutin d'autodétermination ».
Cette disposition n'a pas été mise en oeuvre : lors de la discussion de l'accord Oudinot, elle a été jugée contraire aux principes constitutionnels. Toujours est-il qu'elle figurait explicitement dans les accords de Matignon.
Voilà pourquoi, lorsque la négociation de l'accord de Nouméa s'est engagée, le principe de restreindre le corps électoral pour les élections locales a été validé sans difficulté. Restait à savoir si ce corps électoral « glisserait » ou non : je ne reviens pas sur ce point, parfaitement connu de vous.
J'ajoute que la raison invoquée a toute son importance : il s'agit des scrutins qui sont qualifiés juridiquement comme ceux qui « détermineront » l'avenir du Territoire. Cette disposition est donc liée dès le départ à l'autodétermination. Ce point me paraît essentiel.
En 1998, cette restriction du corps électoral pour les élections provinciales a été liée à un nouveau concept : celui de citoyenneté, qui, lui, n'était pas directement lié à l'autodétermination. On estimait à ce titre qu'au-delà des délais légaux imposés au corps électoral national, un certain laps de temps était nécessaire pour comprendre les particularités calédoniennes.
Au terme des trois référendums, le pari initial - à savoir sortir à terme du clivage ethnique - n'a pas vraiment été tenu, même si, quand on analyse les motivations de vote, comme l'ont fait certains groupes d'universitaires, on constate la variété de motivations du vote indépendantiste, qu'il s'agisse du type d'indépendance, du lien avec la France ou, surtout, du corps de citoyens appelé à participer au nouvel État.
Les trois référendums ayant eu lieu, l'accord de Nouméa est révolu. Mais, juridiquement, la situation de l'accord de Nouméa est plus compliquée. Certains juristes soutiennent que les dispositions du titre XIII de la Constitution, fondements d'autres dispositions de la loi organique, ne peuvent disparaître de ce simple fait. À leurs yeux, il faut une révision constitutionnelle pour modifier ce titre ou le supprimer, afin que la Nouvelle-Calédonie rentre dans le droit commun de l'outre-mer.
Le Gouvernement avait sollicité le Conseil d'État sur ce point controversé, avant de retirer sa demande d'avis...
M. Philippe Bas, rapporteur. - Le projet d'avis était déjà rédigé ?
M. Alain Christnacht. - Les rapporteurs avaient été désignés et avaient eu de premiers échanges avec les commissaires du Gouvernement...
M. Philippe Bas, rapporteur. - Cela apporte une explication au retrait !
M. Alain Christnacht. - Évidemment, compte tenu de la date de sa remise, cet avis aurait pu interférer avec les débats électoraux.
On annonce à présent un référendum dit « de projet » que l'accord de Nouméa ne prévoyait bien sûr pas. On parle également d'un référendum institutionnel pour Mayotte.
Conscient de la situation, le précédent ministre des outre-mer, Sébastien Lecornu, avait en tête l'hypothèse d'une révision constitutionnelle pour soumettre un référendum de projet à un corps électoral restreint, qui ne serait peut-être pas celui de l'accord de Nouméa, mais qui ne serait pas en tout cas le corps électoral général. En effet, il ne sera pas facile de convaincre les indépendantistes, selon qui le troisième référendum n'a pas vraiment eu lieu, sinon juridiquement, du moins politiquement, de participer à une négociation portant sur le référendum « de projet » ; si ce référendum est présenté au corps électoral général, on se heurtera d'emblée à un blocage.
On revient donc à cette question : la fin de l'accord de Nouméa exige-t-elle une révision constitutionnelle explicite ? A titre d'exemple, le préambule de l'accord mentionnait le peuple kanak. Or la Constitution ne reconnaît pas de peuple corse ; elle ne reconnaît pas non plus de peuple kanak. Sans base constitutionnelle, le concept de peuple kanak disparaîtrait, alors même qu'il est maintenant admis par tous ; ce serait fâcheux.
Certains acquis des accords de Matignon et de Nouméa restent, cependant, bien ancrés dans la population. Je pense à l'institution provinciale, même si, bien sûr, on ne peut pas aller jusqu'à lui transférer tous les pouvoirs. Je pense à la notion de citoyenneté elle-même, à condition qu'il ne s'agisse pas d'un corps électoral totalement figé. À ce titre, les obstacles juridiques sont en partie solubles, même au plan conventionnel - je vous renvoie à l'arrêt Polacco et Garofalo c/ Italie de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) de 1997. De plus, même si la clef de répartition créée en 1988 et maintenue, l'idée de 1998 a un peu vieilli selon certains et l'idée de rééquilibrage reste présente.
Telle est, selon moi, la base sur laquelle il faut s'appuyer : un préambule, une charte des valeurs reconnaissant l'histoire, ses ombres et ses lumières, ainsi que le peuple kanak ; une certaine forme de citoyenneté ; et la nécessité d'un rééquilibrage pour mieux partager les fruits d'une économie très cyclique, car liée au nickel.
Le dernier point difficile de ces discussions, si elles peuvent s'engager, c'est l'exercice du droit à l'autodétermination.
En juin 2021, au cours de discussions auxquelles participaient certains indépendantistes, notamment ceux de l'Union calédonienne, le principe du droit à l'autodétermination a été rappelé. Bien sûr, le moment de son exercice posera difficulté. Il n'est pas envisageable de déclencher un quatrième, un cinquième référendum avec le seul tiers de voix que les indépendantistes détiennent nécessairement au Congrès.
Plus fondamentalement, beaucoup considèrent qu'il faut se garder de fixer de nouvelles dates pour l'autodétermination, même à horizon de quarante ans, notamment du fait des difficultés économiques du territoire. On peut imaginer des mécanismes d'autodétermination sans date fixe, ce qui ne serait évidemment pas sans difficulté.
J'y insiste, le sujet est lié à l'éventuelle restriction du corps électoral pour les élections provinciales : déconnectée du référendum d'autodétermination, une telle restriction n'est plus réellement justifiée.
Enfin, si l'on a proposé la date de 2023 pour le référendum de projet, c'est parce que le renouvellement du Congrès aura lieu en 2024. Il faudra décider au préalable la composition du corps électoral : on revient donc une nouvelle fois à la question constitutionnelle. Or le précédent gouvernement entendait bien qu'une révision constitutionnelle mette clairement fin à l'accord de Nouméa, donc au corps électoral très restreint et non glissant pour les élections provinciales et au Congrès, et pose les soubassements d'un autre corps électoral, applicable dès 2024.
M. Jean-François Merle, conseiller d'Etat honoraire. - Les accords de Matignon, qui constituent le compromis historique de départ, ont été conclus dans des circonstances dramatiques, moins de deux mois après l'affaire d'Ouvéa. L'opinion publique et monde politique avaient alors considéré qu'ils relevaient du miracle.
Le premier pilier de ces accords, c'est la reconnaissance de deux légitimités. Les indépendantistes avaient accepté que tous les électeurs présents sur le territoire en 1988 puissent voter au référendum prévu dix ans plus tard. C'était une avancée notable, par rapport aux discussions précédentes, menées sous l'égide du ministre Georges Lemoine à Nainville-les-Roches. À l'époque, les indépendantistes n'entendaient parler que des « victimes de l'histoire », concept que l'on peut comprendre intellectuellement, mais dont la définition juridique est tout de même difficile à établir.
On aurait tort de minimiser cette avancée, au regard du processus de décolonisation mené dans le cadre des textes de l'Organisation des Nations unies (ONU) postérieurs à 1960 : le fait qu'un peuple autochtone accepte de partager le droit à l'autodétermination n'a pas beaucoup d'équivalents, même si, en l'occurrence, c'est pragmatiquement la reconnaissance d'une réalité démographique.
Le second pilier des accords, c'est le fait que tout ne se décide pas à la majorité. Voilà pourquoi l'on y a introduit la notion de clef de répartition, pondérant la représentation de la province Nord et de la province des îles Loyauté au Congrès d'une manière un peu particulière.
Aujourd'hui, on entend parfois dire qu'en vertu de cette pondération le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, à majorité indépendantiste, et la présidence du Congrès, indépendantiste elle aussi, ne sont pas à l'image de la Nouvelle-Calédonie, qui, au moins lors de deux référendums sur trois, a voté pour le maintien dans la France.
Pour s'en tenir à l'analyse électorale stricto sensu, notons que la division du camp non-indépendantiste et l'unité du camp indépendantiste ont autant agi pour aboutir à ce résultat que la clef de répartition elle-même. Quoi qu'il en soit, ce point fait partie du compromis négocié à l'origine.
D'ailleurs, au sujet de la représentation politique de la Nouvelle-Calédonie, je rappelle un fait dont peu de gens s'émeuvent : depuis 1986, les deux députés du Territoire sont non-indépendantistes. Or, entre 1978 et 1986, il y avait un député indépendantiste et un député non indépendantiste, ce qui semble plus conforme à la réalité politique de la Nouvelle-Calédonie.
Quoi qu'il en soit, la question fondamentale est la suivante : peut-on remettre en cause l'un des termes de ces accords sans remettre en cause l'autre ? À l'époque, le président de la République avait estimé qu'un référendum national suffisait et qu'il ne fallait pas y ajouter une révision constitutionnelle, compte tenu des difficultés à faire aboutir celle envisagée précédemment.
On peut imaginer de revoir les clefs de répartition entre provinces, qu'il s'agisse des dotations de fonctionnement, des dotations d'investissement ou de l'attribution des sièges ; mais l'on ne peut pas procéder autrement que par la négociation. Agir de manière unilatérale, ou même passer par une décision majoritaire, ce serait implicitement remettre en cause la reconnaissance des deux légitimités par les accords de Matignon, sur laquelle repose aujourd'hui l'essentiel de la paix civile.
En parallèle, les exceptions constitutionnelles comptent parmi les points essentiels de l'accord de Nouméa, qu'il s'agisse des lois du pays, du corps électoral restreint ou encore de la préférence pour l'emploi local.
Or ces exceptions faisaient sens tant que l'on s'inscrivait dans un processus d'autodétermination. Pour le regretté Guy Carcassonne, le titre XIII de la Constitution était, en ce sens, la matrice de la Constitution d'un État en devenir : c'est ainsi qu'il justifiait les exceptions constitutionnelles héritées de l'accord de Nouméa.
Le problème, c'est que les Calédoniens en ont pris l'habitude. Aujourd'hui, les lois du pays paraissent tout à fait normales. Elles s'inscrivent dans le processus démocratique et, d'une certaine manière, fonctionnent assez bien. Le contrôle de constitutionnalité, tel qu'il s'est exercé, n'a rien mis au jour d'extravagant. Certains rapporteurs de la section de l'intérieur du Conseil d'État assurent même que, sur divers sujets, le gouvernement calédonien est sensiblement plus respectueux des avis du Conseil d'État que d'autres autorités.
J'en viens au corps électoral restreint pour les élections provinciales. Certes, le fait que 35 000 à 40 000 personnes soient exclues du vote du fait de leur date d'arrivée sur le territoire peut sembler saugrenu. Mais, lors de la mission sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, que le gouvernement de Manuel Valls nous avait confiée entre 2014 et 2016, nous n'avons pas rencontré de représentants des forces politiques proposant de revenir, pour les élections provinciales, au corps électoral général.
Parmi les candidats aux prochaines élections législatives, même le président de l'association Un coeur, Une voix, qui prétend fédérer les « exclus » du suffrage universel, ne défend pas une telle mesure. Ce qu'il propose, c'est que la durée d'exclusion soit la plus courte possible.
Toutes les forces politiques du territoire admettent le corps électoral restreint, pour différentes raisons.
La première est, sinon cynique, du moins purement politique ou pragmatique : même les non-indépendantistes en ont conscience, le fait de revenir au corps électoral général pour les élections provinciales serait un casus belli majeur avec les indépendantistes.
La deuxième est d'ordre culturel. Les Calédoniens installés de longue date n'ont pas envie de voir un électorat métropolitain fraîchement débarqué bousculer les équilibres politiques locaux. À cet égard, un phénomène est assez intéressant à observer : le taux de participation aux deux premiers référendums a été très élevé dans la population d'origine européenne, de même que pour le « non » au troisième référendum ; mais plus d'un tiers des électeurs qui se sont exprimés pour que la Nouvelle-Calédonie reste dans la France n'ont pas jugé utile de se déplacer pour élire le président de la République française. C'est révélateur d'un certain attachement à la France, d'une certaine insertion dans l'ensemble français.
La troisième, qui n'est pas négligeable, a trait à l'emploi local, dans le secteur privé comme dans la fonction publique. Beaucoup de Calédoniens sont attachés aux dispositions en vigueur : ils ne veulent pas voir leurs enfants coiffés au poteau après avoir accompli des études supérieures.
Si, à l'issue de trois référendums, on se contente de dire : « La Nouvelle-Calédonie, c'est la France », comment justifier le maintien, même atténué, encadré ou réduit, de ces trois exceptions à des principes généraux d'un point de vue constitutionnel ? Que direz-vous à Édouard Fritch quand il viendra demander les mêmes lois du pays pour la Polynésie française ? Aujourd'hui, les lois du pays en vigueur dans ce territoire sont purement cosmétiques - il s'agit en fait de dispositions réglementaires, baptisées ainsi pour complaire à son prédécesseur. Que direz-vous à Gilles Simeoni quand il viendra demander un corps électoral restreint pour un certain nombre de questions foncières ? Et je ne reviens pas sur la question de l'emploi local.
Nous sommes donc face à la quadrature du cercle. En supprimant ces acquis, l'on se dirige d'une manière ou d'une autre vers une crise politique majeure dont personne ne connaît l'issue. En les maintenant, même sous une forme aménagée ou réduite, l'on s'expose à des difficultés d'ordre politique et juridique assez importantes.
Voilà pourquoi il faudra nécessairement reconnaître à la Nouvelle-Calédonie un statut complètement spécifique dans l'ensemble juridique français, comprenant une part de souveraineté partagée. C'est d'ailleurs déjà assez largement le cas, même pour les compétences régaliennes. La reconnaissance de la coutume en matière juridique est un point tout à fait essentiel ; en vertu de la loi organique actuelle, le Haut-Commissaire informe le président du gouvernement des décisions qu'il prend en matière d'ordre public ; de même, on trouve des représentants de la Nouvelle-Calédonie dans les ambassades de France de la région.
Quant aux grandes difficultés, elles portent deux noms : taxonomie - si l'on veut faire entrer la Nouvelle-Calédonie dans les cases existantes, on ne s'en sortira pas - et nominalisme : en Nouvelle-Calédonie, rien n'est plus piégé que les mots.
Les Calédoniens de tous bords ont instauré une forme de terrorisme du vocabulaire. Ainsi, en vertu des accords de Matignon, les provinces devaient constituer une organisation fédérale de la Nouvelle-Calédonie. Puis, lors de l'examen du projet de loi référendaire, les présidents Marceau Long et Michel Bernard avaient plaidé pour que l'on supprime cet adjectif, même si, la réalité, c'est bien une forme de fédéralisme interne ; et aujourd'hui, qu'on le veuille ou non, la réalité, c'est une forme de fédéralisme externe. Reste qu'en utilisant ces mots on plombera d'avance la discussion : les catégories juridiques et la terminologie renverront à des préjugés ou à des a priori.
Enfin, j'ai lu dans les professions de foi de candidats de la majorité présidentielle aux élections législatives de 2022 la volonté d'aboutir à « un statut de consensus définitif dans la République française ». J'y vois un double oxymore. En effet, cette expression signifie qu'il n'y aurait plus d'indépendantistes en Nouvelle-Calédonie. La méthode australienne permet certes d'aboutir à ce résultat, mais personne en France n'y songe. De plus, pour qu'il y ait consensus, il faut reconnaître la situation actuelle telle qu'elle s'est construite. Elle est assortie d'un certain nombre d'exceptions ; elle n'est pas simple ; mais il faut concilier le maximum de garanties à la Nouvelle-Calédonie, de la part de la France, et le maximum de reconnaissance de la spécificité calédonienne.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Je veux revenir sur le nouveau référendum envisagé voilà quelques mois par M. Lecornu. Quelles sont les données juridiques du problème ?
M. Alain Christnacht. - Il y a eu une réunion en juin 2021 autour de M. Lecornu, qui a été source d'ambiguïtés : il s'agissait de fixer la date du troisième référendum et d'envisager les différentes perspectives en fonction des résultats possibles. L'Union calédonienne (UC) a d'abord donné son accord sur la date, puis est revenue dessus.
M. Lecornu a envisagé les deux hypothèses : soit le oui à l'indépendance l'emportait et des négociations de mise en oeuvre devaient avoir lieu ; soit le non l'emportait et il fallait alors également entamer un cycle de négociations pour déterminer ce qui allait succéder aux accords de Paris et de Nouméa, sachant que rien n'était prévu dans lesdits accords.
L'accord de Nouméa a-t-il cessé d'exister ? Si oui, à quel moment ? Faut-il envisager une révision constitutionnelle ?
Avec ce référendum de projet tel qu'il a été évoqué, il me semble que l'on se situe dans l'hypothèse d'une fin de l'accord de Nouméa. On peut comprendre que celui-ci a pour objet de proposer un nouveau statut dans la République pour la Nouvelle-Calédonie.
Pour déterminer ce nouveau statut, une loi organique suffira, adoptée au besoin par référendum national. Je ne pense pas qu'une telle solution soit retenue. Néanmoins, ce statut aurait une légitimité plus forte s'il s'accompagnait d'une consultation locale de la population.
On peut aussi imaginer le même scénario que pour l'accord de Nouméa : consultation de la population locale, avec un corps électoral à définir, puis une révision constitutionnelle qui en prendrait acte. Seulement, à l'époque, il y avait un consensus politique local.
Autre solution envisageable : pas de révision constitutionnelle. À ce moment-là, peut-on organiser une consultation locale de la population sur une évolution institutionnelle ? Je sais que ce n'était pas possible pour la Corse. Peut-on se fonder sur l'article 72 de la Constitution alors que la Nouvelle-Calédonie n'en relève pas ?
À mon sens, si l'on envisage une consultation locale, celle-ci ne peut se faire qu'avec le corps électoral général, mais il m'apparaît impossible d'obtenir l'accord des indépendantistes sur ce point.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Je pense que le génie de l'accord de Nouméa a été d'éviter la violence en embrayant sur un processus démocratique. Les trois référendums pouvaient apparaître baroques, mais cela a fonctionné jusque-là.
Pensez-vous qu'il soit possible d'arriver à une issue définitive ? Le statu quo ne serait-il pas préférable ? Il me semble difficile d'imaginer un nouveau référendum. Ne vaut-il pas mieux une ambition plus modeste ?
Je suis pour ma part sceptique sur l'idée qu'il y aurait un plan définitif à moyen ou long terme.
M. Jean-François Merle. - En politique, je me méfie toujours de l'emploi des termes « définitif » et « immédiatement ». La force des deux accords, celui de Paris et celui de Nouméa, a été de permettre au temps de faire son oeuvre. Il faut savoir que les positions ont évolué dans chacun des deux camps. Il en est ainsi du FLNKS sur la composition du corps électoral. J'accorde une vertu majeure à cette temporalité.
Du point de vue institutionnel, il n'est pas difficile de trouver un compromis sur la pérennité de l'accord de Nouméa. Cependant, la question du gel du corps électoral va se poser au regard de la jurisprudence de la CEDH et des pactes des Nations Unies relatifs aux droits civils et politiques. Le Congrès et les assemblées provinciales restent des éléments centraux du processus d'autodétermination. C'est la raison pour laquelle le gel du corps électoral leur a été étendu.
M. Alain Christnacht. - Pourquoi les indépendantistes vont-ils le rester ? J'y vois plusieurs raisons.
Tout d'abord, il y a eu une lutte armée, avec des morts ; donc, ils ne peuvent pas donner le sentiment de trahir la cause.
Ensuite, la crainte existe d'une submersion démographique, alors qu'en pratique, c'est l'inverse qui se produit.
Enfin, pour les Kanaks, il n'y a pas eu d'accord sur la décolonisation, donc il faut dénouer symboliquement la chose.
En fait, j'ai coutume de faire une analogie avec l'Irlande, où la situation paraît figée pour l'éternité entre deux camps irréconciliables, alors qu'une troisième voie semble faire son chemin dans les esprits.
D'où ma question : les indépendantistes sont-ils toujours indépendantistes ? Il faut savoir qu'il y a des contradictions dans chaque camp. À mon sens, il y a des marges de manoeuvre sur la ligne de l'autonomie et les indépendantistes sont prêts à conserver des liens forts avec la France.
Sur la base de la jurisprudence Polacco et Garofalo c/ Italie de la CEDH de 1997, qui excipe de la particularité linguistique du Trentin-Haut-Adige afin de justifier la condition de résidence de quatre ans pour avoir le droit de voter, il me semble de ce point de vue que la restriction du corps électoral en Nouvelle-Calédonie n'est pas illégitime.
M. Jean-François Merle. - Certains indépendantistes préfèrent rester indépendantistes qu'être indépendants, peut-on entendre en Nouvelle-Calédonie...
M. Alain Christnacht. - Il y a deux associations de maires en Nouvelle-Calédonie, dont l'une est indépendantiste. Ses représentants nous ont demandé comment allait se dérouler le contrôle de légalité par l'État en cas d'indépendance...
M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - Les membres de la délégation aux outre-mer sont très attentifs aux perspectives d'évolution institutionnelle des territoires ultramarins, sujet sur lequel mon prédécesseur Michel Magras a proposé des pistes dans le cadre de son rapport sur la différenciation territoriale outre-mer de septembre 2020.
Depuis, la délégation a tenu plusieurs réunions sur le sujet. Nous organisons, le 29 juin, une réunion commune avec l'Association des juristes en droit des outre-mer (Ajdom), durant laquelle une séquence sera exclusivement consacrée au statut de la Nouvelle-Calédonie, ainsi que l'a souhaité son président, Ferdinand Mélin-Soucramanien.
Le titre XIII de la Constitution relatif à la Nouvelle-Calédonie prévoit que ces dispositions sont transitoires. Aussi, ce cycle d'auditions nous semble particulièrement opportun pour préparer les débats, décisifs pour l'avenir de ce territoire, sur le meilleur cadre juridique constitutionnel possible.
Ma question est simple : trouvez-vous opportun de mettre en place une nouvelle mission d'écoute et de conseil, sur le modèle de celle dont vous étiez chargés et qui avait abouti aux accords de Matignon ? Comment mobiliser, selon vous, les forces constructives et de dialogue qui existent sur place ? Selon quelle méthode et avec quel calendrier, dans l'idéal ?
M. Alain Richard. - Pouvez-vous aller plus loin sur la contrainte juridique que font peser les textes des Nations Unies ? Pourquoi la Nouvelle-Calédonie entre-t-elle dans la liste des territoires à décoloniser, et pas la Guyane ? Quels sont les critères retenus par l'ONU ?
Pour moi, une révision constitutionnelle s'impose, car je crains qu'un incident ne conduise un juge à constater que les dispositions sont caduques et qu'il en faut d'autres.
M. Alain Christnacht. - Il y a deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) qui cheminent actuellement.
La première a été soulevée devant le tribunal administratif de Nouméa : elle porte sur le consentement à l'impôt s'agissant d'une personne qui n'est pas électrice du Congrès, lequel vote l'impôt. Le tribunal l'a refusée, mais un appel a été formé contre ce refus.
La seconde question, transmise à la Cour de cassation par le tribunal judiciaire de Nouméa, porte sur la non-inscription sur la liste électorale spéciale.
La mission qui nous avait été confiée était apparue légitime du fait de sa composition pluraliste. Je crains qu'il ne soit difficile de renouveler l'expérience, car il y aura une forme de lassitude. Il faudrait sans doute plus d'intervenants locaux ayant une expertise extérieure.
M. Jean-François Merle. - Je suis d'accord, ce genre de mission a atteint ses limites. À mon sens, il conviendrait d'inverser le processus en interrogeant la société calédonienne sur des sujets précis, les réponses apportées déterminant le cadre constitutionnel le plus approprié. Mais la solution ne pourra apparaître que si l'État dit vraiment ce qu'il veut pour la Nouvelle-Calédonie.
Selon les résolutions de l'Assemblée générale de l'ONU de 1960, il y a trois manières de sortir de la colonisation : l'accession à l'indépendance ; l'association du territoire avec la puissance administrante ; le maintien du statut au sein de la puissance administrante. Les trois référendums en Nouvelle-Calédonie répondent juridiquement à ces exigences, mais pas politiquement. De toute façon, la France s'est engagée pour l'instant à ne pas demander que la Nouvelle-Calédonie soit retirée de la liste des pays à décoloniser.
Pour ce qui concerne la Guyane, la réponse est dans la Constitution et elle résulte d'une demande des forces politiques locales.
Lorsque le général de Gaulle a proposé la mise en place de la Communauté en 1958, il n'y avait pas d'États indépendants. Ce n'est qu'après l'indépendance du Mali et du Sénégal, en 1961, qu'une révision constitutionnelle a permis que la Communauté comprenne des États ayant accédé à l'indépendance.
M. Alain Christnacht. - Je rappelle que des observateurs de l'ONU ont supervisé les trois référendums. Ils ont pu attester de leur qualité.
M. Jean-François Merle. - Je conclurai avec ces mots d'Edgard Pisani, ancien ministre du général de Gaulle : « Il n'y a pas de présence française durable, paisible et utile dans la région du Pacifique Sud sans l'accord de tous. Il n'y a pas l'accord de tous si n'est pas accompli l'acte politique qui consacre la naissance d'une nouvelle souveraineté. [...] Voilà pourquoi l'indépendance ! Pourquoi la France ? Parce qu'elle avait un intérêt légitime à défendre ; parce que beaucoup de Calédoniens exigent qu'elle demeure ; parce que tous les Calédoniens le souhaitent ; parce qu'elle a accompli sur ce territoire une oeuvre sans doute imparfaite, mais utile, qu'elle doit prolonger. Aucun responsable de la République n'a considéré les choses autrement. »
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Je vous remercie de votre participation.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 11 h 40.
Jeudi 16 juin 2022
- Présidence de M. François-Noël Buffet, président, et de M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication -
La réunion est ouverte à 10 h 30.
Incidents survenus au Stade de France le 28 mai 2022 - Audition de M. Michel Cadot, délégué interministériel aux jeux Olympiques et Paralympiques 2024 et délégué interministériel aux grands événements sportifs
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Nous poursuivons ce matin nos auditions avec la commission des lois, présidée par François-Noël Buffet, sur les incidents survenus au Stade de France le 28 mai dernier. Nos auditions sont retransmises en direct sur le site internet du Sénat et sur Public Sénat. Nous recevons aujourd'hui M. Michel Cadot, préfet, que je remercie d'avoir accepté notre invitation.
Monsieur Cadot, nous avons l'habitude de vous recevoir en tant que président de l'Agence nationale du sport (ANS), poste éminemment stratégique pour le développement de la pratique sportive dans notre pays. Toutefois, nous vous recevons aujourd'hui en tant que délégué interministériel aux jeux Olympiques et Paralympiques 2024 (Dijop), d'une part, et délégué interministériel aux grands événements sportifs (Diges), d'autre part. À ce titre, le Gouvernement vous a confié la préparation d'un rapport sur l'organisation de la finale de la Ligue des champions et le renforcement du pilotage des grands événements sportifs. Nous avons lu ce document avec beaucoup d'attention. Vous nous en présenterez les grandes lignes dans quelques instants.
Ce document est précieux à plus d'un titre. Il rappelle les faits, leur ampleur et leur gravité, ainsi que leur déroulement, et il tire des enseignements dans la perspective de l'organisation des grands événements à venir, notamment de la Coupe du monde de rugby et des jeux Olympiques et Paralympiques (JOP). Surtout, il s'agit, avec l'audition conjointe des ministres de l'intérieur et des sports par nos commissions respectives le 1er juin dernier, du seul document officiel sur lequel nous pouvons, à ce stade, nous appuyer dans le cadre de la conduite de nos travaux pour comprendre la position de l'État sur le sujet et l'analyse qu'il fait des dysfonctionnements constatés.
Comme vous, nous cherchons à comprendre les raisons qui expliquent qu'un événement aussi festif qu'une finale de Ligue des champions puisse se transformer en cauchemar pour des milliers de spectateurs.
À cet égard, votre rapport évoque une « préparation soignée » de l'événement, tout en reconnaissant des failles - je cite - « dans l'orientation et dans la gestion de la foule, dans l'insuffisante information entre la RATP et les postes de commandement (PC), dans le manque d'anticipation des itinéraires de délestage, dans la coordination et le dialogue imparfaits entre les parties représentées au PC, avec une configuration cloisonnée, et dans la non-lecture de signes avant-coureurs de la présence d'individus malveillants venus en grand nombre commettre des actes de délinquance ».
Comment la coordination entre les acteurs, avant et pendant l'événement, peut-elle être si confuse ? Ces dysfonctionnements viennent mettre en doute la capacité de notre pays à organiser les JOP de 2024 et la Coupe de monde de rugby en 2023. Nous attendons donc des précisions sur votre lecture des événements et sur les enseignements à en tirer, notamment en matière de responsabilités.
M. Michel Cadot, délégué interministériel aux jeux Olympiques et Paralympiques 2024 et délégué interministériel aux grands événements sportifs. - Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je m'adresse à vous en ma qualité principale de délégué interministériel aux grands événements sportifs (Diges) et en ma qualité de délégué interministériel aux jeux Olympiques et Paralympiques (Dijop). Mes missions sont fixées par des décrets, qui prévoient que le délégué interministériel, dans le respect des compétences des préfets, a pour mission de faciliter l'animation et la coordination entre les acteurs, entre autres les administrations d'État, les collectivités locales et les comités d'organisation des grands événements sportifs, notamment internationaux.
Ma présentation s'appuie sur le rapport qui m'a été demandé par la ministre des sports et par le ministre de l'intérieur, le 30 mai dernier, à l'issue de la première réunion de travail qui s'est tenue au ministère des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques. Rédigé dans les dix jours impartis, il a été remis à la Première ministre le vendredi 10 juin et publié immédiatement. L'objectif du rapport est double : premièrement, analyser les explications possibles de ces dysfonctionnements, qui ont conduit à une situation grave, très défavorable à notre réputation internationale en matière d'organisation des événements sportifs ; deuxièmement, proposer des recommandations générales d'amélioration.
Compte tenu des délais dans lesquels nous avons rédigé le rapport, ce dernier s'appuie uniquement sur les éléments qui m'ont été transmis, à ma demande, par les services chargés de la sécurité et de l'organisation de l'événement, par exemple le consortium du Stade de France. Les éléments sont parfois arrivés la veille ou l'avant-veille de la finalisation du rapport, avant que la question des enregistrements vidéo ne soit posée.
Le rapport s'intéresse à la préparation de la manifestation, au déroulement de la journée et aux conditions dans lesquelles la crise a été gérée ; ensuite, j'ai préconisé un certain nombre d'améliorations pour de grands événements internationaux, des événements de grande ampleur ou présentant des enjeux très particuliers. Le Stade de France ne constitue qu'une petite part de la mission de sécurisation et de réussite de l'organisation des jeux, que je suis chargé de coordonner en qualité de Dijop.
La préparation de la finale de la Ligue des champions a été réalisée de manière assez sérieuse. Les réunions de coordination ont été très nombreuses. J'en ai moi-même présidé trois, la dernière d'entre elles s'étant tenue le 19 mai. Une autre réunion, sur le terrain, avec les services de transport, a eu lieu le 27 mai. Ce travail de coordination entre les acteurs, assez dense et satisfaisant, a conduit à ce que la plupart des informations soient parfaitement partagées entre toutes les parties prenantes. La physionomie du public, dans les notes que nous avons reçues tant du milieu sportif que des autorités de police, n'indiquait pas de risque particulier de hooliganisme, contrairement à d'autres matchs. En revanche, ces notes indiquaient l'arrivée d'un grand nombre de supporters sans billet venus profiter de la fête et de l'événement.
Nous avons essayé, dans ces réunions préparatoires, de dimensionner correctement les moyens, en réponse à ces informations. Des zones d'accueil et de visionnage, à Paris, ou dans le parc de la Légion d'honneur à Saint-Denis, ont été créées en peu de temps. Ces zones ont complètement rempli leur rôle en matière de jauge, pendant toute la durée de l'événement, en journée comme en soirée, lors du match. Les moyens ont été également renforcés dans les transports et dans la sécurité privée. Concernant les forces de sécurité intérieure, le préfet de police a reçu 29 unités de forces mobiles, pour l'ensemble de l'événement.
Un certain nombre d'éléments sont survenus plus tardivement dans le processus de préparation. Le 19 mai dernier, l'Union européenne des associations de football (UEFA) a demandé de distribuer des billets papier plutôt que des billets électroniques - scénario de départ -, en totalité pour les billets des supporters de Liverpool et pour 40 % des supporters du Real Madrid, dans un souci de continuation et de simplification au regard des matchs précédents. S'est ajoutée la grève du RER B, qui a été notifiée dans des délais impartis. Sa prise en compte avait été préparée au plan local.
Les difficultés sont survenues au moment de l'exécution des mesures, principalement à cause d'une gestion des flux mise en défaut. Premièrement, environ 30 000 personnes supplémentaires - nombre important - sont arrivées en transports en commun ; le système de transport lui-même a été efficace. En revanche, l'orientation de ces passagers a été réalisée, au sein du système de transport, de manière trop massive vers le RER D, en raison de la grève du RER B Sud ; il n'y a pas eu de suivi fluide des arrivées, notamment pour orienter les passagers en fonction des contraintes existantes, à savoir des contrôles de préfiltrage et des contrôles aux portes du stade. Ainsi, le nombre de supporters était sensiblement plus élevé que d'habitude, de quelques dizaines de milliers.
Deuxièmement, des difficultés ont été rencontrées dans l'adaptation du système de préfiltrage et d'orientation vers ces préfiltrages ; par ailleurs, la prise en compte de phénomènes de délinquance ou de petites agressions a été lente. Ces phénomènes, constatés dès 14 heures, se sont développés au fur et à mesure que la foule s'accumulait et se sont enfin amplifiés quand le préfiltrage au niveau du cheminement du RER D a conduit à l'envahissement du parvis du stade, en amont des portes, par plusieurs centaines de personnes, parmi lesquelles se trouvaient des fauteurs de troubles, des voleurs à la tire et de jeunes délinquants.
En matière de gestion de crise, la première mesure, qui a consisté à laisser s'écouler le surplus de personnes au niveau du préfiltrage au débouché du tunnel sous l'autoroute A1, à l'arrivée de l'autoroute A86, a été globalement pertinente. Certes, cet embouteillage n'aurait pas dû se produire, grâce à une meilleure orientation des flux en amont. Le rétablissement de ce préfiltrage a été nécessaire et s'est effectué dans des délais raisonnables, d'environ une quinzaine de minutes. Il était difficile de faire beaucoup plus vite, vu le positionnement des forces.
La gestion de la délinquance et le rétablissement de l'ordre public au niveau du parvis ont rendu le gazage nécessaire, dans des conditions qui ne sont pas complètement satisfaisantes et qui appellent incontestablement une approche différente, notamment en ce qui concerne le positionnement des moyens humains autour des portes et la répartition entre forces de sécurité, sécurité privée et stadiers. Voilà pour le déroulé des faits.
J'en viens aux recommandations que nous pouvons en tirer.
Il est souhaitable que, pour des événements de cette ampleur, la responsabilité de l'organisation de proximité entre le consortium du Stade de France, l'UEFA, la Fédération française de football (FFF), les autorités de transport et les services de police - la préfecture de police de Paris est compétente en la matière, et non le préfet de Seine-Saint-Denis - soit validée à un niveau national, au moment de la mise en place du dispositif et quelques jours avant la fin du dispositif. Ce regard extérieur, à un haut niveau d'autorité - celui du ministère de l'intérieur, des douanes et des aéroports -, est nécessaire. J'ai proposé d'organiser une coordination nationale pour un nombre restreint de grands événements, afin de garantir cette validation.
Ce système existe déjà pour les jeux. J'ai proposé aux deux ministres de l'instituer dès le mois de juillet ou début septembre pour la Coupe du monde de rugby, qui se déclinera dans neuf sites, également en province ; nous pourrons ainsi échanger avec les préfets, qui ont tous instauré un comité local, pour disposer d'une vision d'ensemble de la question.
En matière de gestion des flux, des progrès sont possibles autour du Stade de France. L'organisation des flux doit tenir compte, à tout moment, des imprévus, en planifiant des scénarios possibles. Cela implique un travail étroit, au niveau international d'abord, grâce à des informations le plus en amont possible, en matière de renseignement, de surveillance dans les trains et dans les gares, de caractérisation du public, du niveau national jusqu'à la gestion de proximité. L'approche des transports doit être enrichie par une approche similaire en matière de gestion des points de contrôle et de préfiltrage. Ce point est très important pour les grands événements. Il s'agit aussi d'impliquer beaucoup plus systématiquement les usagers : quand il n'y a pas de risque de violences avérées ou prévisibles, il ne faut pas hésiter à renforcer l'accompagnement des spectateurs grâce à une véritable expérience spectateur. Cela consiste à instaurer une signalétique, une prise en charge dès la gare par des bénévoles identifiables facilement, en attendant de disposer de systèmes plus digitaux. Un dispositif d'accompagnement permettrait rapidement de réorienter des flux - très clairement, des voies d'entrée ont été sous-utilisées, alors que d'autres étaient surchargées, notamment celles du RER D.
La troisième recommandation porte sur le renforcement d'un concept de service d'ordre qui soit beaucoup plus flexible, réactif et partagé avec les acteurs. Cela n'a pas été réellement possible, sans doute en raison d'un délai plus court dans la préparation de ce match. Cela suppose une préparation anticipée et l'instauration de protocoles de sécurité. Nous travaillons à ces protocoles depuis janvier 2021 pour les JOP et novembre 2021 pour la Coupe du monde de rugby ; ils définissent les règles et les responsabilités de chacun, de manière structurée, pour des événements inédits.
Nous devons aussi intégrer systématiquement la prise en compte de la délinquance dans la gestion des foules nombreuses. Il s'agit de positionner systématiquement des brigades anticriminalité et des personnels en civil, qui peuvent intervenir rapidement. Les PC de site doivent plus se parler ; actuellement, au Stade de France, le système est un peu cloisonné, nous pouvons sans doute l'améliorer.
Quand il faut agir, au moyen d'instruments d'ordre public, il faut aussi privilégier, quand cela est encore possible, la prévention, en diffusant des messages par haut-parleurs ou écrans, pour sensibiliser les foules et prévenir l'escalade des tensions. Nous pouvons aussi envisager la présence de brigades montées, à l'instar d'autres pays.
Ces recommandations ne sont pas neuves, mais diversement appliquées. Du fait du confinement et de la réouverture des matchs avec des jauges sanitaires, impliquant un double contrôle, il semble nécessaire de rappeler à l'ensemble des préfets cette méthode dans une circulaire et de les aider à la mettre en place.
Le point suivant intéressera le législateur. Il existe un projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) : dans la perspective des jeux, l'utilisation de l'intelligence artificielle a été envisagée au sein de ce texte pour identifier, sans aucune technique de reconnaissance faciale, des mouvements de foule et ainsi prévenir les situations d'engorgement progressif. Ce dispositif, qui permet de réagir très vite, semble justifié pour les zones où nous attendons beaucoup de monde, notamment dans le centre de Paris, entre la place de la Concorde, le Trocadéro, la tour Eiffel et l'esplanade des Invalides.
La billetterie constitue un enjeu majeur. La pratique du sport se doit d'être beaucoup plus digitale et beaucoup plus itérative entre l'usager et l'autorité. Nous pouvons, pour ces grands événements sportifs internationaux (Gesi), imposer une forme de billetterie électronique. Cela permet de réduire les risques de fraude. Cette disposition, prévue pour les jeux, est déjà instaurée pour la Coupe du monde de rugby. L'expertise de l'État en matière de billetterie électronique doit être renforcée. Les ministères des sports et de l'intérieur y semblent favorables. L'inspection générale de l'administration (IGA), dans son prochain rapport sur la sécurité, pourrait faire des recommandations en la matière.
Une billetterie interactive, beaucoup plus personnalisée, permettrait de donner des renseignements sur les accès, d'intégrer rapidement les évolutions de l'état du réseau de transport et de diffuser des informations, comme c'est le cas à Roland-Garros.
Le Stade de France présente de sérieuses contraintes, même si nous pouvons mettre à notre crédit la réussite de grands événements, jusqu'à présent. Il est souhaitable de recréer un schéma de circulation, en matière de transports en commun comme de circulation routière, en y associant le préfet du département, qui a la compétence de terrain et qui connaît les lieux, les élus, les maires, le maire de Saint-Denis, les organisateurs d'événements et le consortium du Stade de France. Des marges de progrès existent. Nous pourrions instaurer, aux abords du stade, des barrages et des sas, au service de circulations beaucoup plus fluides et organisées.
S'agissant des JOP, beaucoup de ces recommandations sont mises en oeuvre. Nous travaillons depuis plusieurs années avec l'instance de coordination nationale pour la sécurité des jeux Olympiques et Paralympiques 2024 et des grands événements sportifs internationaux (CNSJ), le ministre de l'intérieur et le ministre des sports.
De nouvelles voies d'accès seront à disposition : la ligne 14 arrivera jusqu'à Saint-Denis-Pleyel et il sera possible d'emprunter la ligne H et la ligne 12. Des solutions complémentaires existent pour des flux de transport collectif qui seront encore plus importants, en raison des épreuves au centre aquatique olympique et des épreuves d'escalade au Bourget, qui pourront avoir lieu concomitamment : 80 000 personnes au total sont alors attendues. Il faut donc planifier, et utiliser toutes les solutions de manière réactive pendant l'événement.
Je conclus en exprimant beaucoup de regrets, parce que l'engagement de beaucoup d'acteurs, comme la FFF et les forces de police, pour préparer cet événement a été réel. Cet échec est important et il nous blesse. Le travail mis en place pour les jeux, qui sera infiniment plus compliqué, s'inscrit dans les recommandations que je vous ai présentées et qui me semblent être de nature à répondre à l'ensemble des risques et des enjeux, en matière de terrorisme, de cybersécurité, d'accès et de gestion des flux et de satisfaction des spectateurs, dans ce qui doit rester un événement festif sécurisé.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Concernant l'organisation, vous avez dit que le préfiltrage mis en place n'avait pas de cadre légal. Pourriez-vous préciser ce qui est autorisé et ce qui ne l'est pas ? Envisagez-vous de rendre cette pratique légale ou de trouver d'autres solutions pour les événements futurs ?
Nous nous interrogeons sur les échanges et les relations entre les autorités de transports et la FFF pendant l'événement. Cette dernière nous a dit ne pas avoir reçu beaucoup d'informations pendant les événements. À la page 11 de votre rapport, nous apprenons que la FFF avait demandé un système de jalonnement assez important pour orienter les flux de spectateurs, notamment ceux arrivant de la ligne du RER D, afin qu'ils soient en partie réorientés vers les cheminements de la ligne B. Les cheminements de la ligne D aboutissaient à une dizaine de portes, alors que ceux de la ligne B conduisaient à une vingtaine. Or le système élaboré par la FFF a dû être levé à la demande du préfet de police, qui a dit qu'il n'en voulait pas. Cela a conduit à un échec cuisant.
J'en viens à la sécurité. L'utilisation de gaz lacrymogènes a étonné ; les supporters ne représentaient pas de danger particulier. Le préfet dit que c'est la doctrine d'emploi, et qu'il ne peut en aller autrement. Cet argument vous convainc-t-il, compte tenu de la situation ?
Outre ces points, nous soulignons deux problèmes. Premièrement, les images de vidéosurveillance n'ont pas été conservées, alors que le stade compte 200 caméras. Seules les images de la préfecture de police semblent être conservées, et partiellement celles de la SNCF. Au Stade de France, personne n'a jugé utile de conserver ces images, alors qu'elles nous auraient permis de mieux apprécier la situation.
Deuxièmement, les actes de délinquance à l'encontre des supporters britanniques et madrilènes s'élèveraient à 400 ou 500. Or nous apprenons que ces actes ont commencé dès 14 heures autour du Stade de France. Le préfet, lui, dit s'être concentré sur la gestion des déplacements et non sur la sécurité publique. Nous avons des difficultés à accepter de tels arguments. Sur tous ces points, nous avons besoin d'éclaircissements.
M. Michel Cadot. - En matière de cadre légal, aucun protocole spécial n'a été mis en place pour répartir les responsabilités entre préfiltrage et filtrage. Les opérateurs du Stade de France ont une très grande expérience des accès au site. Dans le temps imparti, limité, il semblait inutile d'adapter ce cadre.
Le cadre législatif, précisé par l'article L. 226-1 du code de sécurité intérieure, rappelle qu'il ne peut y avoir de contrôle, pour ce type d'événements, à la différence des aéroports, sans accompagnement des agents de sécurité privée par des officiers de police judiciaire (OPJ) ou des fonctionnaires de gendarmerie et de police. Le cadre légal existe, il est clair et connu. Il s'agit ensuite de décliner ce cadre, en définissant la répartition des effectifs.
Les échanges entre les transports et les forces de police sont bons, de manière générale. Cette coordination est assurée par le Centre de coordination opérationnelle de sécurité (CCOS), renforcé au niveau de la préfecture de police, centre dans lequel siègent des représentants de la RATP et de la SNCF. Les informations ont été très régulièrement transmises par la RATP ou la SNCF, indiquant l'importance des flux et les gares d'entrée comme de sortie.
Le problème résulte de la montée en charge d'effectifs beaucoup plus importants de spectateurs dans le RER D, même par rapport aux grands matchs, et de l'existence de cheminements beaucoup plus complexes pour atteindre le stade. Voilà qui aurait dû susciter une réaction des transports plus rapide, pour inciter les spectateurs à prendre le RER B en surface, puisque des trains supplémentaires avaient été affrétés. Il aurait aussi fallu réorienter rapidement et de manière anticipée les spectateurs, pour assurer un meilleur filtrage. Le préfiltrage a été aussi ralenti par la présence de nombreuses personnes sans billet.
Il n'y a pas eu de coupure dans la transmission des informations. Cependant, l'engorgement n'était connu qu'au niveau du PC local ; c'est la bonne utilisation de cette information qui a fait défaut. Il aurait fallu réorienter rapidement les spectateurs vers d'autres trains ou d'autres cheminements, en diffusant des messages pour indiquer que le match débuterait plus tard, afin de rassurer les spectateurs. Cela aurait permis de faire baisser la pression. Toutefois, un tel dispositif, en continu, suppose une très bonne connaissance du terrain et demande à être testé sur d'autres matchs. Au Stade de France, des éléments nouveaux devront être pris en compte : une passerelle permettra de rejoindre le centre aquatique ; quant à la présence du village olympique, qui sera proche, elle posera la question de l'arrivée des athlètes.
Concernant le volet sécuritaire, vous me mettez un peu en difficulté. Il est difficile d'adapter les dispositifs de maintien de l'ordre public une fois qu'ils ont été positionnés. Les effectifs étaient importants : suffisants pour les situations d'urgence et la gestion des mouvements de foule, mais sans doute insuffisants en matière de lutte contre la délinquance. Il est toujours préférable de gérer les risques en amont des grilles de contrôle, pour éviter l'enfoncement de ces grilles, risque que le préfet a dû gérer, impliquant l'utilisation des gaz lacrymogènes. L'enchaînement des faits n'appelait guère d'autres décisions que celles prises par le préfet de police, dont je pense qu'elles étaient les seules adaptées pour éviter une situation beaucoup plus grave.
Concernant la délinquance, je suis sûr que la police peut traiter le problème avec les moyens classiques, si le dispositif est bien préparé en amont, en proximité. La cérémonie d'ouverture des jeux pourra ainsi bien se dérouler, l'expérience et l'expertise en la matière sont grandes. L'enjeu est de bien préparer les dispositifs, d'abord en proximité, de manière approfondie.
Légalement, il est possible de conserver les images de vidéosurveillance pendant trente jours, mais les coûts sont considérables, d'où un remplacement automatique des fichiers. Je comprends que les citoyens puissent avoir de la peine à comprendre qu'il ne s'agisse que d'une affaire d'automaticité.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Les parlementaires aussi...
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Nous souhaitons comprendre qui est responsable de quoi, notamment en phase de préparation. Vous avez indiqué que des réunions de préparation avaient eu lieu, dont trois sous votre autorité et les autres sous l'autorité du préfet de police. Vous-même, êtes-vous présent lors des réunions organisées par le préfet de police, et inversement ? In fine, quelle est l'autorité hiérarchique entre le préfet de police et vous-même ? Qui, finalement, décide ?
Cet exemple de la gestion des flux à la sortie du RER interroge beaucoup. Le préfet de police a pris la décision de ne pas installer la signalétique proposée par la FFF : avez-vous eu votre mot à dire ? Quelle a été la coordination entre les deux principaux responsables de l'État en matière de gestion de cet événement ?
M. Michel Cadot. - Si cette décision avait été évoquée, je l'assumerais pleinement, même si elle était erronée. Cependant, cela n'a pas été le cas.
Je pense que cette décision n'a sans doute pas été prise au niveau du préfet de police lui-même, mais de ses équipes sur le terrain, probablement au vu des perspectives de difficultés de trafic sur le RER B. Cependant, nous pourrions aussi penser qu'une signalétique supplémentaire aurait pu être nécessaire, étant donné que moins de spectateurs arrivaient en transport collectif.
J'ignorais totalement cette décision. Elle n'a jamais été évoquée au niveau des comités de coordination nationaux. Nous avons évoqué d'autres sujets, comme la création de zones de visionnage, que personne ne souhaitait au départ pour des raisons de complexité de mise en oeuvre. Voilà où intervient la Diges.
La responsabilité ne peut pas être partagée en matière de gestion de proximité. Elle peut se préparer, s'anticiper, dans un esprit collaboratif, où l'on entend et écoute les demandes de chacun. Les réunions étaient à mon initiative, je les présidais. Le directeur de cabinet du préfet de police, un ami et collègue, était présent ; il faisait valider les décisions par sa hiérarchie. J'ai par ailleurs eu gain de cause sur les points que nous avons pu évoquer lors de ces réunions.
Cependant, le schéma est établi dans le respect des compétences des préfets, sauf si une commission nationale est formalisée, qui, pour des événements particuliers, permettrait, avec un regard extérieur, de se poser les bonnes questions. Dans tous les cas, cela ne relève pas de mon domaine.
La dernière réunion a eu lieu le 19 mai, et cette question n'a pas été évoquée.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Il y a eu d'autres réunions ensuite.
M. Michel Cadot. - Ensuite, je ne sais pas si la question a été évoquée. Pour les autres réunions de la préfecture de police, la Diges est présente, car un certain nombre de sujets nous concernent, comme la relation avec les aéroports, les vols de nuit, les cars. Un certain nombre de sujets demandaient des arbitrages, comme à la direction générale de l'aviation civile (DGAC) ou auprès d'Aéroports de Paris (ADP).
Pour la gestion proprement dite, elle revient aujourd'hui au préfet de police. Le préfet de Seine-Saint-Denis devrait être davantage impliqué, car il connaît les lieux et les acteurs et agit au quotidien à leurs côtés.
Je ne pense pas qu'il soit pertinent, sauf s'il y a un désaccord entre les parties, de remonter la responsabilité de la gestion du terrain à un niveau qui déresponsabilise ceux qui en assument la responsabilité et qui sont seuls légitimes pour donner des instructions à leurs troupes.
Toutefois, en tant que Diges, j'assume ma part de responsabilité dans cet échec.
S'il ne semble pas possible de modifier l'organisation actuelle, en revanche, il serait pertinent de se réunir, notamment si plusieurs sites sont concernés, avec chacun des préfets, sous l'autorité du ministre de l'intérieur et de la ministre des sports, avec tous les acteurs et les directions centrales. Cela permettrait de dépasser la vision un peu cloisonnée d'un préfet dans son territoire et de voir si l'événement est bien préparé. C'est le rôle de la CNSJ pour ce qui concerne le ministère de l'intérieur et de la Diges pour l'ensemble des questions interministérielles. Il serait bon d'assurer cette préparation pour les événements les plus complexes, à l'image de ce qui se fait déjà pour les JOP.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Si je résume, dans un langage peut-être moins rigoureux que le vôtre, ce jour-là et en amont, l'autorité incombe au préfet de police ; une liaison avec vous existe, mais dans un flou administratif qui ne vous permet pas forcément d'intervenir sur un certain nombre de points pour lesquels vous disposez pourtant d'une expertise.
M. Michel Cadot. - Oui, la Diges anime et coordonne, mais sans se substituer aux autorités légitimement compétentes.
M. Jean-Jacques Lozach. - Je débuterai par la fin de votre propos liminaire. Un sondage d'Odoxa relatif au regard des Français sur les débordements ayant eu lieu au Stade de France a montré que 89 % d'entre eux sont au courant des événements survenus ce soir-là, et s'intéressent aussi aux grands événements à venir.
À la lumière de cette soirée, ne pensez-vous pas que la cérémonie d'ouverture des jeux Olympiques est compromise ? Sinon, quelles mesures prendre, très rapidement, pour être prêts le jour J ? On n'évoque pas l'association des supporters aux grands événements sportifs internationaux. Le moment n'est-il pas venu d'associer leurs organisations, sous une forme qui reste à déterminer, à la préparation de ces événements ?
Vous avez installé le 4 mars, monsieur le préfet, un groupe de liaison, créé sur votre initiative et qui a joué un rôle décisif dans la préparation de cet évènement. Vous en évoquez les parties prenantes : je suis étonné que ne figure pas parmi elles le consortium du Stade de France. Est-ce un oubli ?
M. Michel Cadot. - Oui, c'est un oubli dans la rédaction ; celui-ci était systématiquement représenté par sa directrice générale.
M. Jean-Jacques Lozach. - Pouvez-vous nous confirmer que, dans ce groupe de liaison, personne n'avait mis en garde contre les risques de fraude à la billetterie papier demandée par les supporters de Liverpool ?
Vous avez répondu tout à l'heure à la question portant sur le dispositif d'information dans la répartition des flux entre les deux RER. À la lecture de votre rapport, on se demande tout de même qui est responsable de l'absence d'alternative de délestage et même d'espace de traitement des litiges. C'est un élément qui a contribué à l'engorgement et à la saturation des points de passage.
Avez-vous été destinataire, monsieur le préfet, de la fameuse note de la division nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH) du 25 mai dernier ? Si oui, avez-vous alerté d'autres acteurs de son contenu ?
M. Alain Richard. - Vous dites que le système de traitement, en sécurité publique, des mouvements de délinquance dans les grands rassemblements de foule, est éprouvé, et que seuls des facteurs circonstanciels liés à la saturation des accès ont empêché son bon fonctionnement.
Pouvez-vous nous donner un ordre de grandeur du nombre de cas dans lesquels les équipes sur place procèdent à des interpellations, par rapport au nombre de plaintes reçues ensuite ? Autrement dit, sur ce type d'évènements, quel est le taux d'efficacité en termes d'interpellations directes ?
Je reste insatisfait de la réponse apportée aussi bien par le ministre que par vous-même à la saturation des flux de transport sur la ligne D. La grève sur la ligne B, qui faisait obstacle à l'écoulement normal du public, était connue depuis plusieurs jours ; l'arrivée d'un nombre bien plus élevé que d'habitude d'utilisateurs des transports, également.
Le nombre d'événements sportifs qui se produisent à Saint-Denis pour lesquels ce sujet a déjà été éprouvé rend difficile à comprendre les défaillances dans la gestion des flux de piétons à la sortie des rames - chacune apportant 1 500 personnes, et ce toutes les deux minutes et demie. Il est étonnant qu'on n'ait pas su orienter directement le public vers d'autres chemins piétons. Pendant les jeux, ce problème va se poser de nouveau pour un grand nombre d'évènements prévus à Saint-Denis, sur différents sites, et avec des flux probablement très élevés.
Vous suggérez une modification législative pour introduire l'utilisation d'un mécanisme d'intelligence artificielle permettant de repérer des mouvements inhabituels dans une foule. Je suis à peu près sûr que des gens de la RATP m'ont expliqué qu'ils disposaient d'un tel système depuis longtemps, pour la prévention des phénomènes de panique dans le métro. Êtes-vous sûr qu'il y ait besoin d'une disposition législative supplémentaire ?
Pour ce qui concerne la suppression des images, il y a une procédure. Pour autant, les enquêteurs et les autorités, de police en l'occurrence, peuvent tout de même adresser une notification aux détenteurs d'images, au cas où le substitut compétent n'aurait pas adressé la demande de préservation des images dans le délai requis. Je suppose que cela se produit parfois.
M. Olivier Paccaud. - J'ai bien noté votre sérénité sur la capacité des forces de l'ordre à faire face à des problématiques de délinquance lors de ce type d'événement. Si elles ont été débordées cette fois-là, c'est donc qu'il y a eu un problème dans la préparation. J'ai posé deux fois la même question à M. Lallement, mais aussi au ministre, sur la notion de match à risque. Vous avez déclaré vous-même que ce n'était pas un match à risque. Vous n'avez pas utilisé exactement ce terme, mais vous avez parlé d'hooliganisme, en disant qu'il n'y avait pas de crainte à avoir, et qu'il n'y avait pas de risque prévisible de violences avérées. Je suis très surpris que, à l'inverse, le match Nice-Nantes ait été classé comme à risque, alors qu'il n'a donné lieu à aucun problème de délinquance. Je ne sais si la finale de la Coupe de France était de votre ressort...
Au Stade de France, n'y a-t-il pas eu une sous-estimation du risque ? Il y a le risque venant des hooligans et celui causé par ceux que vous avez appelés les jeunes délinquants. Dans votre rapport, vous déplorez « la non-lecture de signes avant-coureurs de la présence d'individus malveillants venus en grand nombre près du stade pour commettre des actes de malveillance ». Qu'est-ce que cette non-lecture ? Qui aurait dû voir ces signes avant-coureurs ? Quels étaient ces risques ?
Vous avez indiqué que des actes malveillants avaient été mis en évidence dès 14 heures, c'est-à-dire six heures avant que le gros du problème ait lieu. Il n'y a eu aucune adaptation ou réaction. Cela ne pose-t-il pas de problème ? Vous avez été préfet de police. Si vous l'étiez toujours, qu'auriez-vous fait ?
M. Michel Cadot. - Sur la cérémonie d'ouverture des jeux, un travail a été engagé depuis plus d'un an de manière extrêmement méthodique. Ce sera un évènement inédit, nouveau, qui doit être une fête populaire, comme il s'en est déjà déroulé, avec des centaines de milliers de personnes, autour des Champs-Élysées, dans d'autres circonstances - ou dans d'autres pays, comme nous l'avons vu encore tout récemment de l'autre côté de la Manche. Nous sommes capables de faire cela, mais il faut un dispositif précisément planifié, aussi bien sur les risques proprement nautiques que sur ceux liés à l'accès, au contrôle, à la fluidité de circulation ou au nombre de points d'entrée pour éviter des engorgements par des flux qui convergeraient sur les mêmes lieux.
Un traitement différencié est prévu entre les quais bas, réservés aux tribunes payantes, et les quais hauts, qui seraient, pour la première fois dans l'histoire des jeux, ouverts gratuitement au grand public, aux familles et aux visiteurs.
Cet évènement pose objectivement un défi considérable de logistique et d'organisation. Il nous reste deux ans pour le préparer. Sa définition tiendra compte de ce que nous sommes en train d'évoquer sur le cas très particulier de l'accès au Stade de France et à ses abords. Nous aurons à filtrer un public nombreux, venu en principe pour partager une fête et un très beau moment - le risque terroriste est un autre sujet. Nous aurons aussi à le trier, entre ceux qui auront acheté une place dans les tribunes et ceux qui souhaiteront simplement déambuler sur les quais hauts.
Nous sommes capables, je le répète, d'organiser une telle cérémonie, même si cela sera compliqué. Trois groupes de travail sont réunis pour la préparer, avec la ville de Paris, la préfecture de police et la préfecture de région Île-de-France. Nous travaillons aussi avec tous les acteurs sur chacun des points. À la fin du mois, nous ferons un point d'étape pour les trois groupes. L'idée est de valider le concept à la fin du mois d'août ou au début du mois de septembre, et de le faire approuver d'ici à la fin de l'année 2022 au plus tard - et sans doute un peu avant, puisqu'il y aura des conseils décisionnaires en décembre.
Voyez ce qui s'est passé en Angleterre récemment : sur le bord de la Tamise, pour le Jubilé, il y avait une foule extrêmement nombreuse - dans un contexte différent, certes. Nous savons faire cela en prenant toutes les précautions de sécurité tout en respectant les attentes du public.
Je n'ai pas été destinataire du rapport de la DNLH, qui a été communiqué aux services assez tardivement, après la réunion du 19 mai. Les éléments qu'il comportait confirmaient ce que nous savions depuis plusieurs semaines déjà, c'est-à-dire qu'il y avait toujours un nombre important de visiteurs sans billet qui accompagnaient les supporters et qui souhaitaient, d'une façon ou d'une autre, profiter de la fête ; à Madrid, il y en avait près de 50 000... C'est pourquoi nous avons choisi une zone de visionnage, pour les fixer. Nous n'avons pas pu l'installer à côté du Stade de France, car l'espace y est trop contraint, mais il y a toujours eu 45 000 personnes dans cette zone, y compris pendant le match. Lorsqu'une douzaine de milliers de personnes l'ont quittée vers 17 heures, on pouvait penser qu'une partie importante d'entre eux avaient leur billet.
L'accélération du problème autour du RER D se voit bien dans les chiffres : dans les événements classiques à jauge pleine, le Stade de France remplit 48 000 environ de ses quelque 80 000 places par les transports collectifs. C'est dans ce schéma que s'organisent généralement les dispositifs. Traditionnellement, il en vient plus de 20 000 du RER B - 21 600 en moyenne -, alors qu'il en vient moins de 10 000 du RER D : 9 600 en moyenne. De fait, l'accès depuis le RER D n'est pas commode. Enfin, il en vient 16 000 environ par la ligne 13 du métro. Il ne s'agit que d'une évaluation, bien sûr : pour ces grands matchs, on lève les contrôles de billets aux sorties. Cela dit, pour la ligne 13, l'évaluation est faite à la station La Fourche, soit six stations de métro avant la gare du stade. Du coup, il y a aussi beaucoup de gens qui rentrent chez eux, tout simplement, surtout un samedi soir. L'évaluation est donc globale : on compte le nombre de rames, le nombre de personnes qu'elles contiennent, et on aboutit aux ordres de grandeur que je vous ai donnés.
Pour la Coupe de France, il y a eu 9 000 personnes dans le RER D, 9 000 dans le RER B et 30 000 sur la ligne 13. Personne n'est venu sans billet : les 48 000 personnes avaient leur place, et 30 000 personnes supplémentaires sont venues en car ou en voiture, dont 20 000 en car, 6 000 en taxi et 4 000 en voiture. Pour la Ligue des champions, les comptages réalisés entre 17 heures et 21 heures aboutissent à 80 000 personnes arrivées en transports collectifs, soit 30 000 de plus.
M. Alain Richard. - Ils étaient identifiés depuis plusieurs jours.
M. Michel Cadot. - Disons que nous savions qu'il y aurait un tel volume ; c'est pourquoi nous avions prévu une zone de visionnage. Cette zone ne s'est pas vidée de 30 000 personnes dans l'après-midi. C'est donc que d'autres personnes sont arrivées par des moyens individuels. C'est là où le travail en profondeur en amont paie : aux frontières, dans les trains... Depuis plusieurs jours, il n'y avait plus de places dans l'Eurostar, par exemple. C'est là où la coordination internationale est essentielle.
Nous n'avons eu que 6 200 personnes dans le RER B, lequel avait été renforcé pour avoir une capacité nettement supérieure, avec six rames en interconnexion. Sur le RER D, nous sommes passés de 9 000 personnes pour la Coupe de France, ou 9 600 pour les événements ordinaires, à 37 000. Il est évident que cette montée du flux était l'élément clé, que la RATP connaissait parfaitement. Avec la SNCF, elle a surtout la préoccupation de ne pas voir s'accumuler des personnes sur les quais, car cela accroît les risques de chute. Tout s'est bien passé, puisqu'il n'y a eu aucun incident de transport. La ligne 13 a aussi démontré sa capacité à transporter beaucoup plus de monde : 36 000 personnes au final, au lieu des 30 000 de la Coupe de France et des 16 000 des matchs ordinaires.
Ces chiffres très précis me semblent rassurants pour l'avenir. Notre capacité de transport est à sa limite, mais les responsables de la RATP et de la SNCF ont bien rempli leur mission. Évidemment, celle-ci s'exerce sur un terrain ayant ses propres contraintes.
Je ne connais pas précisément le taux d'efficacité des interpellations. Nous connaissons le nombre de personnes interpellées, et le poste de police du Stade de France a été bien rempli ! Sur les 300 ou 400 personnes qui ont pénétré sans contrôle sur le parvis, il semble que plusieurs dizaines ont été interpellées, ce qui est un taux très correct.
L'usage de l'intelligence artificielle est un choix politique, et doit évidemment être entouré de garanties de transparence. C'est très utile pour le comptage des flux dans les transports. En l'espèce, cela aurait émis un signal d'alerte lorsque la barre des 20 000 personnes dans le RER D aurait été franchie. Pour les mouvements de foule et le cheminement, c'est un autre système, certes connecté, mais qui ne compte pas les individus. Un tel travail de suivi des masses serait sans aucun doute utile, notamment pour la cérémonie d'ouverture des jeux.
Le préfiltrage a été compliqué par la masse de personnes sans billet. Si les postes avaient été mieux répartis, toutefois, le dispositif aurait mieux résisté. Les billets falsifiés qui ont été comptabilisés aux portes représentent entre 10 % et 12 % des billets papier qui avaient été attribués à Liverpool : soit quatre fois plus que ce qui avait été constaté en 2018 au Parc des Princes pour le match PSG-Liverpool. Certains billets ont fait l'objet d'un nombre considérable de photocopies, vendues à des prix si faibles que leurs acquéreurs ne pouvaient pas ignorer qu'il s'agissait de faux.
Qu'aurais-je fait si j'avais été en charge ? Je ne l'étais pas, et je ne souhaite pas du tout me mettre à la place de ceux qui le sont...
M. Olivier Paccaud. - Vous n'avez pas répondu à ma question sur la non-lecture des signes avant-coureurs.
M. Michel Cadot. - Les signes avant-coureurs n'ont pas été traduits en actions de manière suffisamment anticipée pour éviter l'enchaînement que j'ai décrit. Il y a donc eu un manque de dialogue entre les acteurs : cette anticipation ne pouvait pas se faire des semaines à l'avance, elle ne pouvait se faire que dans le PC, au fur et à mesure de l'évolution de la situation.
Le point de préfiltrage, qui était le premier point d'arrivée de la foule, révélait déjà que celle-ci n'avançait quasiment plus. Un suivi plus réactif aurait permis de réorienter en temps réel les arrivants, ce qui aurait évité une telle accumulation. Il aurait fallu mobiliser du personnel de police pour assurer l'accompagnement et la traversée des axes de circulation.
Certaines personnes qui connaissaient les lieux ont pris l'initiative de rejoindre l'itinéraire qu'ils auraient pris s'ils étaient arrivés par le RER B, sur lequel les points de filtrage sont plus nombreux. Ce ne pouvait pas être le cas des supporters anglais...
M. Jean-Raymond Hugonet. - Merci pour la clarté et l'honnêteté de vos réponses. L'adage dit qu'on apprend de ses erreurs et, justement, votre rapport donne des pistes d'amélioration.
Le ministre de l'intérieur est venu ici devant nous et, en audition, il a pris comme première excuse le fait que l'organisation de cette finale devait initialement incomber à la Russie, ce qui n'a laissé à la France que quatre mois pour préparer cet événement, contre dix-huit mois en général. Je note tout de même que la France, qui n'est pas un tout petit pays, a déjà organisé il y a bien longtemps, en 2006, ce type de finale, exactement dans le même stade, et déjà avec une équipe anglaise et une équipe espagnole. J'ose espérer que notre pays est capable de faire face à ce type d'organisation ; sinon, il n'aurait pas présenté la candidature de Paris.
Certes, le Stade de France n'est pas le stade le mieux implanté qui soit - et c'est un grand amateur de ballon rond qui vous parle. Pour s'y rendre, c'est un vrai parcours du combattant ! Mais tout indique que de grandes défaillances ont eu lieu dans l'organisation. Vous avez été un préfet de police reconnu et apprécié. Vous avez insisté sur le partenariat. Quel est le niveau de relations et d'articulation entre le préfet Lallement et M. Jérôme Foucaud, qui gère l'une des directions en charge de ces événements ? La coopération a-t-elle, selon vous, été idéale ? On a constaté un manque d'agilité : alors que des signes avant-coureurs montraient un problème en début d'après-midi, il n'y a pas eu de réaction. Et devant l'urgence, toujours plus pressante, il n'y avait plus que les gaz lacrymogènes. Pour notre pays, cela n'a pas été un « plus » !
Mme Céline Brulin. - Vous avez évoqué des améliorations à apporter sur le suivi des masses et la fluidification des foules qui se déplacent. En fait, les principaux problèmes sont aux frontières des missions des uns et des autres. Je ne suis pas complètement convaincue par ce que vous avez dit sur une nouvelle approche qui coordonnerait mieux ces différents acteurs, notamment les opérateurs de transports et les services de sécurité. Vous avez évoqué la nécessité de faire appel à l'intelligence artificielle ou à des suivis vidéo. Mais pour le transport automobile, les modélisations de Bison Futé permettent de prévoir que tels flux auront telles conséquences : pourquoi ne saurait-on pas faire la même chose quand il s'agit de foules qui se déplacent par les transports en commun, ou pour des piétons ?
Vous avez suggéré que les confinements et les diminutions de jauge que nous avons connus ces derniers temps auraient eu pour conséquence une forme de perte de savoir-faire dans l'organisation de ces grands événements. Vous avez même évoqué la nécessité d'adresser des circulaires aux préfets. N'y aurait-il pas encore davantage à faire pour procéder à une remise à niveau, si une telle perte de savoir-faire était avérée ?
Sans vous mettre à la place du préfet de police actuel, vous avez clairement dit qu'il y avait d'autres méthodes que celles qui consistent à gazer ou à charger. Le préfet Lallement, lui, nous a expliqué que, dans certaines situations présentant un risque d'écrasement des foules sur les grillages, il n'y avait qu'une seule alternative, gazer ou charger. Pensez-vous que le ministère de l'intérieur devrait explorer les autres pistes que vous évoquez pour les événements à venir ?
M. David Assouline. - Monsieur le préfet, votre rigueur et votre sens du travail en équipe rendent votre témoignage précieux - sans parler de vos fonctions actuelles, avec la perspective des jeux Olympiques.
Lors d'un événement de ce type, surmédiatisé, 20 000 places sont attribuées à chaque équipe, et 27 000 places sont données aux sponsors. Il n'y a que 7 000 places en vente libre. Cette manière d'associer le grand public n'est-elle pas à la base même d'un risque majeur ?
Je sais que vous travaillez avec le Comité international olympique (CIO), par exemple, pour la cérémonie d'ouverture des jeux, à mettre à disposition des places à 15 euros, etc.
Même remarque pour la délinquance : tout le monde sait que, sur cette esplanade, il y a des milliers d'euros en liquide dans les poches des arrivants qui désirent acheter une place. Le délinquant sait qu'il peut y faire son mois, si ce n'est son année... La gestion de l'ordre consiste à gérer ce qui a ainsi été généré !
Vous nous avez décrit un système où, en termes de prévention, de préparation, les choses ont été relativement bien faites, mais où au niveau opérationnel, face aux imprévus toujours inévitables, il y a un sujet.
Un préfet a la responsabilité : en général, par délégation du préfet de police, c'est au préfet du département de gérer ces événements. Pourquoi n'était-ce pas le cas ce jour-là ? Même s'il n'a pas une délégation totale, connaissant le terrain, il est le mieux à même de coordonner l'ensemble. Le préfet de police, lui, est dans une salle à Paris, la salle de commandement, et non sur le terrain. Cela aurait pu régler la question du préfiltrage des arrivées par le RER. Pensez-vous que le préfet de département doive être plus étroitement associé ?
S'agissant des images, vous bottez en touche, en nous disant ce que nous savons déjà : que celles-ci s'écrasent au bout de sept jours. Imaginez l'ampleur du scandale s'il y avait eu envahissement ; il y aurait bien eu quelqu'un qui serait intervenu pour qu'on garde les images. Qui aurait dû décider de cela ? C'est une question importante. D'abord, pour les instructions judiciaires, mais aussi parce que tout le monde tient pour acquis qu'une foule allait s'écraser sur les grilles, alors que nous n'avons aucune image qui le suggère. Je n'ai vu, sur les images privées, que des individus qui brandissaient leurs billets pour montrer aux stadiers qu'ils en avaient de vrais, et qui ont été gazés sans discrimination - femmes enceintes, enfants, etc. Je n'ai pas vu de preuve qu'il y aurait eu 15 000 personnes faisant pression sur les grilles... Qui devait prendre la décision de conserver ces images avant que la justice les réquisitionne ?
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Quelques demandes de précisions par rapport à vos travaux. Je n'ai pas trouvé dans votre rapport la liste des personnes que vous auriez entendues. Cette précision serait utile, d'autant que je rejoins tout à fait la suggestion et la demande de Jean-Jacques Lozach : nous devons entendre les supporters de Liverpool et de Madrid, ainsi que le maire de Saint-Denis. Nous avons d'ailleurs formulé une demande en ce sens auprès des présidents de commission.
J'ai cru vous entendre dire que vous aviez présidé deux réunions. Laurent Lafon y a fait référence, nous ne comprenons pas très bien qui était l'autorité hiérarchique de l'ensemble de cette organisation. Pouvez-vous nous apporter quelques précisions sur ce point ?
Enfin, pouvez-vous nous confirmer qu'il n'y avait pas d'autre solution que d'utiliser les gaz lacrymogènes ? Nous avons tous été interpellés par ce que nous a dit le préfet de police.
Vous avez affirmé dans votre propos liminaire que la grève du RER B était connue - c'est exact - et prise en compte. Or la FFF a affirmé qu'elle n'avait pas disposé de cette information. C'est un peu étrange, car elle figurait sur les réseaux et tout le monde était au courant.
Dernière chose, vous avez dit que votre rapport ne prenait pas en compte la question des vidéos. Or il s'agit d'un point très important. Mon groupe et moi-même souhaiterions que votre rapport soit complété par une annexe portant sur ce sujet. De telles précisions seraient fort utiles dans le cadre de nos travaux.
Monsieur le président, j'ai lu dans la presse que nos deux commissions devaient rendre leurs conclusions cet après-midi : il doit s'agir d'une erreur ?
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Oui, soyez rassurée, ma chère collègue. Le président Lafon et moi-même avons essayé d'organiser ce matin l'audition des supporters ou de leurs représentants, mais cela n'a pas été possible. Cette audition est donc toujours en cours d'organisation et les supporters seront entendus ultérieurement. Nous devons encore également auditionner le maire de la commune de Saint-Denis. Notre travail n'est donc pas terminé ; c'est simplement un point d'étape qui aura lieu en fin d'après-midi.
M. Michel Savin. - Merci de toutes les réponses que vous avez apportées aux différents points qui ont déjà été évoqués. Ma question, très simple, porte sur votre rôle dans le cadre de vos missions.
À plusieurs reprises, lors de nos auditions, le délai d'organisation très court de cette rencontre - trois mois - a été évoqué. Lors des auditions, j'ai demandé aux représentants de la FFF s'ils avaient été associés à la décision prise par le Président de la République d'accueillir cette rencontre à Paris. La question leur a été posée à trois reprises. Au vu de l'absence de réponse, nous avons bien compris que cette instance, qui a eu en charge l'organisation de la rencontre, n'avait pas été associée à cette décision.
Monsieur le préfet, vous qui avez pour mission de contribuer à préparer les événements dans les meilleures conditions et qui, je l'ai entendu précédemment, assumez aujourd'hui votre part dans l'échec de l'organisation de cette rencontre, avez-vous été associé à la décision prise par le Président de la République ?
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Durant la phase de préparation, mais aussi pendant l'événement, tous les interlocuteurs ont semblé être très franco-français. Or l'événement visait à accueillir 20 000 spectateurs anglais et 20 000 spectateurs espagnols. Des contacts ont-ils eu lieu entre les autorités françaises et leurs homologues étrangers ou les représentants des deux clubs, en amont de la préparation ou pendant l'événement ?
M. Michel Cadot. - Nous avons eu évidemment des échanges assez nombreux, par l'intermédiaire de l'UEFA, avec les milieux sportifs de l'Union européenne pour déterminer, dans l'hypothèse où Liverpool arriverait en demi-finale, ce qui n'a été confirmé que le 3 mai dernier, comment se passeraient le transport et les achats de billets. Nous avons étudié les précédents, examiné la question des autorisations. C'est à ce moment-là, d'ailleurs, que nous avons pris conscience de la nécessité d'une zone de stockage, notamment du public accompagnateur et non-détenteur de billets.
Les services de la Diges, en amont - on avait en effet reçu des demandes de garanties, de facilitation et de simplification pour les visas, etc. -, ont eu des contacts avec les différents services : c'est le rôle de la Diges d'assurer cette liaison interministérielle au niveau des administrations centrales. Elle doit également respecter le rôle des autorités territoriales dans la gestion de proximité du dispositif. Je ne suis pas en mesure de vous dire dans l'immédiat avec qui exactement les contacts ont été noués, mais des entrevues ont certainement eu lieu compte tenu de la présence de délégations étrangères. Je crois me souvenir que des contacts ont été établis avec l'ambassade de France à Londres. Cela ne répond pas complètement à votre question. Quoi qu'il en soit, la liaison avec le club a été recherchée par l'intermédiaire de l'UEFA, puisque c'était notre interlocuteur.
L'UEFA participait d'ailleurs à deux des trois réunions que j'ai présidées moi-même. Elle était également représentée lors des réunions intermédiaires auxquelles la Diges a participé.
Le court délai dont nous disposions est-il à l'origine des importantes difficultés rencontrées ? La réponse est non, car nous sommes parfaitement à même, dans un site comme le Stade de France, auquel les équipes devraient être préparées, d'organiser un grand événement de cette nature en trois ou en quatre mois. Il ne s'agit pas d'un événement inédit sur ce site, qui a déjà accueilli de grandes épreuves de cette nature. Certes, le délai était court : cela exigeait de ne pas perdre de temps et d'anticiper sur les vrais sujets, mais nous en étions capables.
Il y a eu des difficultés, c'est indéniable ; il y a eu un dysfonctionnement grave. Mais c'est quelque chose qui se récupère très vite. Par exemple, lorsque j'étais préfet de police, j'ai essuyé un échec lors de l'organisation de la Coupe de France de football le 21 mai 2016. Je n'étais pas en poste depuis longtemps, mais je me suis retrouvé dès le lendemain chez M. le ministre pour en tirer les leçons. Trois semaines après, nous avons organisé l'Euro 2016 dans des conditions de risque terroriste majeur, et tout s'est bien passé. C'est la preuve que l'on peut tirer rapidement les enseignements d'un vécu négatif. Nous disposons pour ce faire de l'expérience nécessaire, nous avons des personnes qui connaissent le problème : le tout est de les avoir au bon moment, ensemble et au bon niveau de décision. C'est pourquoi, en tant que délégué interministériel aux grands événements sportifs, je n'ai pas creusé davantage certains sujets. Je sens bien que c'est l'un de vos questionnements, mais je crois qu'il faut respecter les compétences des acteurs.
Cela me conduit à répondre à votre troisième question : je pense qu'effectivement dans la conception des responsables au PC du Stade de France et dans l'organisation du dispositif par la préfecture de police, a sans doute été privilégié de manière trop prioritaire le volet ordre public. L'accent a, selon moi, trop été mis sur la direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC).
Comme chacun le sait, en dehors du problème territorial entre le préfet de département et le préfet de police, se pose la question de la pluralité de directions. Il existe une direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP), qui gère la délinquance courante : elle est sur le terrain, c'est elle qui s'occupe des brigades anticriminalité (BAC). Elle était finalement moins associée que nécessaire et nous aurions pu bénéficier d'un renfort s'il y avait eu une réaction sur ce volet. Je ne pense pas du tout qu'il s'agisse d'un problème d'articulation entre le directeur de la DOPC et le préfet. Le directeur de la DOPC faisait son travail, de la manière qui avait été décidée et avec les moyens accordés. Mais, in fine, le défi n'était pas exactement celui pour lequel ses moyens avaient été dimensionnés...
Enfin, vous m'avez interrogé sur la réactivité face aux faits de délinquance. Ce qui s'est produit à 14 heures, ce n'était pas la même chose que ce qui s'est produit dans la foule, puis sur le parvis. Dans la foule, il y avait beaucoup de pickpockets et nous avons assisté à de nombreuses opérations d'arrachage de biens ; il s'agissait surtout de tirer profit du public étranger, qui constituait une cible facile.
Ce qui s'est produit à 14 heures, c'est autre chose : nous avons été confrontés à de petites bandes et à des tentatives d'intrusion. Des individus sont arrivés autour du stade - on rejoint ici la question des billets - et il y a eu des bagarres. Bref, c'était une autre forme de délinquance : il s'agissait non pas d'une délinquance d'appropriation, mais d'une délinquance procédant par des opérations « coups de poing », si je puis m'exprimer ainsi, pour parvenir à accéder au stade.
Madame la sénatrice, pour ce qui concerne le suivi des foules, oui, il faut sans doute une approche plus collaborative entre les opérateurs de transports et les services de sécurité. Les dispositifs d'information sont disponibles, mais il faut les actionner de manière adaptée à l'évaluation des risques faite dans le schéma d'organisation. Le système de comptage et de suivi de la RATP est destiné à s'assurer qu'il n'y a pas d'engorgement et vise à orienter les flux en fonction des stations. Celui du PC du Stade de France est davantage appuyé par la vidéo - la vidéo du stade et autour du stade, celle de la ville de Saint-Denis et, éventuellement, celle de la préfecture de police. C'est le suivi de cette foule qui aurait pu être amélioré, grâce à l'intelligence artificielle et à l'emploi de quelques algorithmes sur les flux ou sur leur accumulation. À dire vrai, ce n'est sans doute pas l'enjeu technique le plus important pour le stade, mais il le sera pour les jeux Olympiques. C'est la raison pour laquelle je me suis permis d'insister sur ce point, car ce serait un ajout législatif utile dans ce cadre-là.
Quid des autres pistes que le gazage ? Je n'ai pas de solution miracle. Chaque pays a sa propre approche en termes d'ordre public. Je pense, néanmoins, qu'il serait utile d'explorer quelques pistes nouvelles. On pourrait, lorsqu'il n'y a pas d'accumulation d'une foule trop dense, faire appel aux brigades montées. Ce genre de supervision un peu impressionnante pourrait sans doute permettre, sur un parvis comme celui du Stade de France, de mieux accompagner la surveillance. C'est un sujet complexe, sans doute faudrait-il interroger des spécialistes de la sécurité, notamment au niveau national.
M. Assouline m'a questionné sur la répartition des places entre les différents acheteurs, qu'il s'agisse des clubs, des hospitalités, des partenaires ou du grand public. Il est allé jusqu'à dire que certains actes de délinquance pouvaient s'expliquer par cette répartition. Je ne le crois pas. Dans le cadre de ce match, la ville de Saint-Denis - c'est l'un des points que nous avions évoqués lors des réunions de préparation que je présidais - a obtenu plus de 500 billets pour sa population, qu'elle a distribués. Le soir, comme vous le savez, elle a prévu sur la fan zone, installée dans le parc de la Légion d'honneur, 6 000 places à destination du public séquano-dionysien.
M. David Assouline. - Globalement, la rareté des places, au vu de leur répartition, explique peut-être le fait que, sur les 40 000 supporters de Liverpool qui voulaient entrer, seuls 20 000 ont pu le faire. Le commerce qui existe autour de ce type de manifestation exclut tellement de monde que cela fragilise l'événement.
M. Michel Cadot. - C'est en raison de cette évolution qu'il nous semble indispensable pour les jeux Olympiques et Paralympiques de procéder autrement. Vous l'avez souligné, il faut se tourner vers l'avenir, et c'est bien l'objectif.
Voilà pourquoi l'une de nos motivations prioritaires pour la cérémonie d'ouverture ou pour les épreuves est de permettre au public d'assister aux jeux Olympiques sans pour autant acheter un billet, en allant sur la place de la Concorde, en y passant, mais sans entrer à l'intérieur des podiums qui seront installés, par exemple, pour les sports urbains. Cette « expérience spectateur » - je reprends le terme que j'ai appris depuis deux ans à utiliser - constitue l'un des critères à mettre en oeuvre.
Tout cela, bien évidemment, doit aussi s'inscrire dans un modèle économique pérenne pour l'organisateur, car nous avons plus que jamais une obligation de maîtrise budgétaire dans le contexte de difficultés économiques, budgétaires et sociales que nous connaissons. Tout cela doit aussi être compatible avec des conditions de sécurité en termes de moyens capacitaires. La concentration en Île-de-France des événements autour des jeux rend ce défi particulièrement élevé. Je rappelle que 85 % des épreuves se dérouleront en Île-de-France. C'est donc là que devront être concentrées un très grand nombre de forces de sécurité, privées ou publiques.
Quant aux raisons des difficultés opérationnelles que vous avez évoquées, monsieur le sénateur Assouline, j'aurais tendance à dire qu'elles sont liées au fait qu'il est difficile de faire changer de direction une foule aussi importante. Il était quasiment impossible de lui faire faire demi-tour alors que des flux continus arrivaient. Il aurait fallu disposer pour cela d'un espace très vaste, ce qui n'était pas le cas. En conséquence, ce sont les plans de suivi et de comptage qui doivent permettre d'activer le plan de déviation vers l'entrée du RER B. Une fois que les personnes se sont engagées sur des passages dont on sait qu'ils sont relativement étroits, au fur et à mesure que l'on se rapproche du point de préfiltrage, on n'a plus beaucoup de possibilités pour leur faire faire marche arrière. Le PC, de ce point de vue, à partir d'un certain moment, n'avait plus la capacité de faire faire demi-tour au public. Il a essayé de le faire, mais c'était trop tard : la mesure n'a pas été opérante.
Par ailleurs, le chiffrage donné est tout de même de l'ordre d'une quinzaine de milliers de personnes qui s'étaient accumulées sur cette entrée, ce qui est tout à fait cohérent par rapport aux chiffres des transports collectifs qui nous ont été donnés pour le RER D.
C'est au niveau du préfiltrage qu'il y aurait eu des risques très sérieux d'écrasement, non pas tellement contre les grilles, mais contre les barrières. Des personnes ont d'ailleurs traversé à pied l'autoroute qui est sur le côté. Une partie de la foule s'est déportée sur le parvis et s'est rapprochée, non pas des points de contrôle immédiatement, mais des barrières, c'est-à-dire vers le système de tortillons ou de serpentins.
M. David Assouline. - Et les images ?
M. Michel Cadot. - En ce qui concerne les images, la décision relève d'abord du Parquet puisqu'il y avait une procédure judiciaire. C'est donc peut-être à ce niveau-là qu'aurait dû être demandée la conservation des images.
Les capacités de stockage auraient-elles permis de conserver les images et de les transférer, tout en continuant à assurer le suivi nécessaire au quotidien ? Je n'en sais rien - je ne suis pas un technicien -, mais cette question mérite d'être posée au consortium et à l'autorité judiciaire.
Pour ce qui est des personnes entendues, je n'ai aucune qualité pour auditionner qui que ce soit. J'ai simplement examiné les rapports que nous avions demandés avec l'équipe de la Diges et de la Dijop. Certains de ces rapports ont d'ailleurs été reçus tardivement. Nous avons travaillé jour et nuit pour les analyser, recenser les petits points d'incohérence et faire des recommandations, que nous avons présentées loyalement et honnêtement devant vous et devant les deux ministres. Il s'agissait d'un travail rapide, non pas d'audition, mais de bonne compréhension de l'enchaînement des faits, afin de faire des propositions de renforcement pour les grands événements sportifs internationaux et pour les jeux Olympiques.
Quant à la répartition des décisions, je l'ai expliqué assez clairement tout à l'heure : tout ce qui relève de la coordination et de l'animation entre l'ensemble des ministères, ou des arbitrages en cas de désaccords entre les partenaires, peut remonter au niveau de la Diges. C'est le rôle de la Diges que de trancher tous ces points ou de demander un arbitrage politique, s'il y a lieu. Ce travail a été fait pendant les premières semaines, qu'il s'agisse de garanties, de lettres d'engagement ou de problèmes d'aspect réglementaire rencontrés par l'organisateur pour les questions d'arrivée. Pour le reste, c'est ensuite au niveau local, au-delà des réunions de concertation, que les décisions se prenaient.
Enfin, le sénateur Savin m'a demandé si la FFF avait été associée à cette décision. Jusqu'ici, lors des réunions auxquelles j'ai participé, la FFF n'avait jamais mentionné que ces délais courts pouvaient être la cause des difficultés rencontrées. Elle considérait que c'était plutôt le nombre excessif de personnes sans billet ou avec des billets falsifiés, ainsi que les difficultés de réactivité pour réorienter les flux, qui étaient la cause de ces dysfonctionnements.
M. David Assouline. - M. le préfet n'a pas répondu à ma question relative au préfet du département. J'ai pourtant été assez précis.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Une non-réponse peut valoir réponse !
M. David Assouline. - J'aimerais qu'il me le dise lui-même !
M. Michel Cadot. - Je me range derrière l'appel à la sagesse du président de la commission de la culture...
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Je n'ai pas eu de réponse à certaines de mes questions, notamment sur le point de savoir si M. le préfet complétera ses travaux en abordant le sujet des vidéos.
M. Michel Cadot. - Ce dossier fait l'objet d'un suivi judiciaire. C'est dans ce cadre-là que ces investigations doivent être conduites. Je n'ai pas la qualité d'un juge, encore moins celle d'un procureur. Cela n'entre d'ailleurs pas dans la mission de la Diges. Je formule uniquement des recommandations, qui ont été remises en temps et en heure. En tout état de cause, il ne m'est pas possible de m'immiscer dans le suivi de vidéos qui - pour ce qu'il en reste - relèvent clairement de la responsabilité de l'autorité judiciaire.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Je vous remercie de votre participation.
Mes chers collègues, nous en avons terminé avec cette audition. Je vous rappelle que nous nous rendrons cet après-midi au Stade de France pour examiner sur place, in situ, l'organisation des flux et pour rencontrer les responsables du consortium du Stade de France.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 30.