- Mardi 7 juin 2022
- Mercredi 8 juin 2022
- Jeudi 9 juin 2022
- Incidents survenus au Stade de France le 28 mai 2022 - Audition de M. Didier Lallement, préfet de police
- Incidents survenus au Stade de France le 28 mai 2022 - Audition de M. Philippe Diallo, vice-président, et Mme Florence Hardouin, directrice générale, et MM. Erwan Le Prévost, directeur des relations institutionnelles, et Didier Pinteaux, responsable sécurité, de la Fédération française de football (FFF)
- Incidents survenus au Stade de France le 28 mai 2022 - Audition de M. Steve Rotheram, maire de la métropole de Liverpool
Mardi 7 juin 2022
- Présidence de M. François-Noël Buffet, président, et de M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication -
La réunion est ouverte à 17 heures.
Mission d'information sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie - Audition de M. Ferdinand Mélin-Soucramanien, professeur des universités, université de Bordeaux, co-auteur du rapport public Réflexions sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie
M. François-Noël Buffet, président. - Monsieur Mélin-Soucramanien, nous vous remercions de votre présence. Professeur des universités en droit public, vous êtes co-auteur du rapport remis au Premier ministre en 2013 « Réflexions sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie ».
À la suite de la dernière consultation à l'autodétermination de ce territoire, qui a eu lieu en décembre 2021, et du choix de la Nouvelle-Calédonie de demeurer au sein de la République française, une nouvelle période institutionnelle s'ouvre. Le Sénat, et particulièrement la commission des lois, a engagé un travail de fond afin de réfléchir à cette évolution - sachant que nous attendrons, le moment venu, la position et les propositions de l'État.
Un groupe de contact a également été mis en place par le président du Sénat, au sein duquel nous échangeons avec les parties prenantes sur ce sujet.
Philippe Bas, Jean-Pierre Sueur, Hervé Marseille et moi-même avons été nommés rapporteurs de la mission d'information que nous avons constituée sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. Philippe Bas, Jean-Pierre Sueur et moi-même nous rendrons sur place du 22 au 29 juin. En prévision de ce déplacement, nous avons décidé d'auditionner un certain nombre de spécialistes de la Nouvelle-Calédonie, notamment dans le domaine institutionnel. Cependant, nous n'ignorons pas l'importance des questions économiques, sociales, et géopolitiques. La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées travaille particulièrement sur ce dernier sujet, au travers d'une mission d'information dont le rapport doit paraître en octobre.
A également été convié à cette audition le président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, Stéphane Artano.
M. Ferdinand Mélin-Soucramanien, professeur des universités, Université de Bordeaux. - Nous sommes entrés depuis six mois dans une période de discussion, prévue pour dix-huit mois à partir de janvier 2022, donc devant se terminer en juin 2023. Certains s'inquiètent de voir le temps s'écouler. Nous sommes en effet à un an de l'échéance fixée par le Gouvernement.
Merci à vous, monsieur le président, et aux membres de votre mission d'information, de vous emparer de ce sujet. Tout laisse à penser qu'à l'Assemblée nationale le temps de réaction sera plus long compte tenu du contexte électoral. Cette initiative du Sénat, qui s'inscrit dans une autre temporalité, est donc à saluer.
J'ai de la période actuelle une vision qui n'est pas très pessimiste. Plusieurs personnes déplorent le temps perdu, regrettant que l'on tourne autour du sujet depuis plusieurs dizaines d'années sans en atteindre le coeur. Pour ma part, cela fait plus de dix ans que je travaille sur ce sujet. Professeur des universités, je n'ai aucun intérêt privé, moral ou financier en Nouvelle-Calédonie. Je suis intervenu à titre d'expert sur la question de son statut institutionnel à plusieurs reprises, la première fois à la demande de François Fillon, alors Premier ministre.
Depuis dix ans, un certain nombre de voies ont été fermées, d'autres ont été ouvertes ou esquissées. Il serait faux de dire que les gouvernements successifs n'ont pas travaillé, même s'ils l'ont fait avec plus ou moins d'ardeur selon les cas. Dans la période récente, les choses ont avancé. Les trois référendums ont été organisés dans une période très courte, et leur régularité sur le plan juridique est incontestable. L'État a donc bien fait son travail, cela alors même que certains ne jugeaient pas réellement envisageable la tenue des trois consultations successives prévue par l'accord de Nouméa. La première consultation a eu lieu en 2018, et a été suivie d'une deuxième puis d'une troisième.
Nous nous trouvons actuellement dans une phase très nébuleuse de l'accord. Après trois référendums ayant conclu au « non », l'accord de Nouméa prévoit en effet, par une ellipse formidable, que « les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée ».
Une chose est certaine : par trois fois, la population comprise dans la liste électorale spéciale constituée pour cette consultation référendaire - appelée liste électorale spéciale consultation (LESC) - a répondu « non » à la question de savoir si elle voulait que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante. C'est un peu comme le reniement de Pierre. L'un des rédacteurs de l'accord de Nouméa ne nie pas d'ailleurs avoir eu cette image en tête lorsqu'il a prévu les trois consultations possibles.
Nous en sommes donc au moment où les partenaires politiques doivent se réunir pour examiner la situation ainsi créée.
Si la consultation référendaire du 12 décembre 2021 a été marquée par un mot d'ordre de non-participation lancé par les partis indépendantistes et ses résultats contestés sur le plan politique et sur la scène internationale, ces derniers n'en sont pas moins incontestables du point de vue juridique. Il faut désormais passer à la négociation.
Je voudrais aborder cette question sous deux angles. Premièrement, quelle pourrait être la méthode de cette négociation ? Deuxièmement, quel pourrait en être le résultat ?
Plusieurs méthodes ont été éprouvées en application de l'accord de Nouméa, notamment au travers du comité des signataires de l'accord. Toutefois, le statut juridique de l'accord est incertain. Il avait en effet été conclu en 1998 pour une durée de vingt ans. Bien que l'on étire autant que possible sa durée d'application, sa base est devenue fragile et il ne pourra durer indéfiniment.
Au-delà de l'échéance de juin 2023, les élections provinciales de 2024 constitueront à mon sens un moment de vérité.
Cela étant, des dispositions transitoires ont été introduites dans la Constitution par voie législative. La loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie prise en application de l'accord de Nouméa n'est en outre pas frappée de caducité. Certains éléments sont donc un peu plus solides que d'autres. Tout cela n'en reste pas moins fragile et repose sur une forme de fiction. Il est vrai néanmoins que le droit se nourrit de fictions. Reste cependant que, sur le plan de la méthode, le comité des signataires ne constitue peut-être pas le bon cénacle pour la réflexion à mener.
Des initiatives comme les vôtres sont très louables et parviendront, je l'espère, à faire avancer le dossier.
Pour ma part, sans être un partisan de la démocratie participative à tout crin, je suis convaincu que cette question devra se régler en Nouvelle-Calédonie, moyennant une plus grande participation de la société civile. Un grand écart sépare en effet souvent les aspirations quotidiennes concrètes de la population des mots d'ordre politiques. L'un des enjeux du moment est de rapprocher la population de ces mots d'ordre, parfois outranciers, qui sont portés tantôt par les indépendantistes tantôt par les non-indépendantistes.
Il ne me revient évidemment pas de dire ce qu'il faudrait faire. Néanmoins, le gouvernement précédent avait déjà eu l'intuition de la nécessité de consulter la société civile, et cela avait produit d'assez bons résultats. Je pense que ce procédé devrait être amplifié.
Tout le monde aspire à sortir de l'indétermination, et des statuts temporaires fixés pour dix, vingt ou trente ans. Or, pour y parvenir, l'adhésion de la population sera capitale, et l'on ne peut imaginer une telle adhésion si elle n'a pas participé à l'élaboration du projet de société choisi.
Mon sentiment est par ailleurs que le problème de la Nouvelle-Calédonie tient moins à ses rapports avec la France qu'à un problème de vivre-ensemble interne. C'est pourquoi il serait bon que par le biais d'une sorte de conférence de citoyens la population s'exprime durant cette période. Le délai imparti étant court et les questions juridiques à traiter nombreuses, il sera toutefois difficile de l'organiser sérieusement. Ce sera néanmoins l'une des clés de résolution du problème.
J'en viens à présent au résultat possible du processus. Dans le rapport que Jean Courtial et moi-même avons rédigé en 2014 à la demande du Gouvernement, nous évoquions quatre voies possibles. Aujourd'hui, deux voies médianes sont encore à l'ordre du jour dans le débat : l'autonomie étendue et la pleine souveraineté avec partenariat. Celle du statu quo et de l'immobilisme n'est en revanche plus envisageable.
La voie de l'autonomie étendue est celle qui ressort le plus nettement des trois référendums négatifs. En effet, si nous prenons leurs résultats à la lettre, la Nouvelle-Calédonie a, par trois fois, déclaré qu'elle voulait rester sous la souveraineté de la République française. La difficulté concrète est de savoir comment lui donner davantage d'autonomie, ou comment lui en accorder une meilleure.
La Nouvelle-Calédonie dispose de toutes les compétences, à l'exception des compétences régaliennes et des trois compétences citées à l'article 27 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie : l'enseignement supérieur, le statut des communes et la communication audiovisuelle. Nous pourrions imaginer de transférer ces dernières, mais cela ne constituerait pas une grande avancée.
La piste à creuser est sans doute celle d'une meilleure autonomie. Cela passerait par le chantier de la répartition des compétences internes entre l'entité Nouvelle-Calédonie et les provinces, et entre celles-ci et les communes. Les communes calédoniennes, au nombre de trente-trois, pourraient se voir attribuer d'autres compétences, notamment sur les questions coutumières. Il s'agirait donc d'accorder « mieux d'autonomie » plutôt que « plus d'autonomie ». Nous pourrions imaginer à ce titre un projet qui serait proposé au vote.
Il ne faut pas exclure néanmoins l'hypothèse de la pleine souveraineté avec partenariat. La difficulté juridique est qu'elle a été exclue par les trois consultations. Toutefois, cet objet politique demeure dans le débat.
Dans cette hypothèse, à l'image des consultations qui ont eu lieu au Québec, les questions suivantes seraient posées, lors d'une consultation référendaire, aux personnes inscrites : « Voulez-vous accéder à l'indépendance et à la pleine souveraineté et, le cas échéant, acceptez-vous ce projet qui vous lie à telle ou telle puissance - le Canada, dans le cas du Québec ? ». Cela reviendrait à rétrocéder les compétences régaliennes à la puissance en question.
Ces deux projets arrivent exactement au même résultat. Dans les deux cas en effet, la République française conserve les compétences régaliennes, ce qui est important du point de vue géopolitique et en matière d'ordre public sur le territoire. La différence symbolique qui les sépare est cependant non négligeable, la colonisation de ce territoire étant relativement récente et ayant été particulièrement violente. Il est probable néanmoins que la seconde option reviendra sur la table des négociations.
La question de la constitution du corps électoral est par ailleurs essentielle. Ces deux hypothèses peuvent se décliner en une multitude de variantes en fonction de la population qui participerait au référendum de projet prévu en principe en juin 2023.
La question est en outre de savoir sur quel fondement juridique ce référendum pourrait être organisé.
L'application de l'article 72-1 de la Constitution - qui a joué, par exemple, dans le cas de Mayotte - paraît exclue, car cet article renvoie à une consultation sur l'organisation d'une collectivité territoriale. Or l'entité Nouvelle-Calédonie n'est plus elle-même une collectivité territoriale, même si elle en contient en son sein.
Par conséquent, le fondement juridique le plus sûr, bien qu'il ne soit pas le plus solide, serait le préambule de la Constitution, qui a été utilisé pour la Corse.
La question la plus importante reste cependant celle de la définition du corps électoral. À ce sujet, deux thèses s'opposent : celle d'un corps électoral de droit commun et celle d'un corps électoral restreint. Selon la première, l'accord de Nouméa prévoyant trois consultations référendaires, et ces trois consultations ayant eu lieu, le corps électoral spécial constitué pour l'occasion n'a plus de raison d'être. Selon la seconde, on ne peut consulter la population générale de Nouvelle-Calédonie, il faut donc maintenir le corps électoral restreint de la LESC.
Il paraît peu probable que le Gouvernement désigne un corps électoral de droit commun pour voter sur le projet proposé. La question de la définition de ce corps fera sans doute l'objet d'une discussion intense. Toutefois, compte tenu du délai très réduit qui a été fixé, il sera difficile de déterminer un autre corps que celui qui était prévu par l'accord de Nouméa. Il n'est donc pas impossible que ce corps soit réanimé pour une quatrième et dernière apparition, faute de mieux. Ce sera l'objet de négociations. Cependant, s'il devait l'être, cela devrait probablement s'appuyer sur la loi organique et devrait faire préalablement l'objet d'un avis circonstancié du Conseil d'État.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Le concept de « souveraineté partagée » se traduit-il par une pleine souveraineté avec partenariat, ou s'agit-il d'une troisième voie susceptible de prospérer et de se révéler fédératrice ?
M. Ferdinand Mélin-Soucramanien. - La souveraineté en principe ne se partage pas. Ces mots n'ont donc pas vraiment de sens, juridiquement. La souveraineté est ou n'est pas, selon Jean Bodin. Cela dit, un partage de fait s'est bien effectué en Nouvelle-Calédonie. Le congrès de la Nouvelle-Calédonie est une assemblée législative, qui vote des lois du pays.
Même si cette formule sonne bien politiquement, je ne vois pas en quoi une telle « souveraineté partagée » serait différente des hypothèses déjà à l'étude.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Dans le cadre des institutions de l'Union européenne, les États membres exercent en commun une partie des attributs de la souveraineté. L'accord des deux parties, calédonienne et hexagonale, ne pourrait-il déterminer l'exercice de certaines compétences ?
M. Ferdinand Mélin-Soucramanien. - Si les compétences que la France a transférées à l'Union européenne peuvent toujours lui être reprises - même si cela se fait difficilement, comme le montre l'exemple de la Grande-Bretagne -, dans le cas de la Nouvelle-Calédonie, les transferts de compétences sont irréversibles. Le rapport quasi fédéral entre la France et la Nouvelle-Calédonie va donc plus loin que celui qui unit la France à l'Union européenne.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Le référendum que vous avez évoqué pour juin 2023, visant à faire approuver un nouveau statut, est-il réellement incontournable, et l'échéance de juin 2023 l'est-elle également ?
M. Ferdinand Mélin-Soucramanien. - Une révision constitutionnelle est incontournable. Or il paraît difficile de le faire sans consulter les Calédoniens, d'autant que l'Organisation des Nations Unies (ONU) tance régulièrement la France sur le sujet. L'existence de dispositions constitutionnelles transitoires a en outre de quoi surprendre, et justifie cette révision.
Quant à l'échéance de juin 2023, elle a été fixée par le précédent gouvernement en janvier 2022 à la suite de la consultation référendaire du 12 décembre 2021 et au vu de la décision d'une partie du corps électoral de ne plus discuter avec le Gouvernement. Une période transitoire de dix-huit mois s'est donc ouverte, dont six mois viennent de s'écouler sans apporter d'élément notable.
M. François-Noël Buffet, président. - Ce délai de dix-huit mois n'a pas de base juridique, il découle d'une simple déclaration du Gouvernement. Les discussions pourraient donc durer indéfiniment !
M. Ferdinand Mélin-Soucramanien. - Les élections provinciales de 2024 que j'évoquais précédemment marqueront néanmoins un retour à la réalité, sans compter les questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) qui seront certainement émises par tel ou tel spécialiste du contentieux. La véritable échéance est donc à attendre en 2024, celle de juin 2023 relevant davantage d'un mot d'ordre politique.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Les signataires de l'accord de Matignon avaient imaginé un jour « J » auquel serait défini un statut définitif pour la Nouvelle-Calédonie. En réalité, à des fins d'apaisement, ils ont enclenché un processus qui en a lui-même entraîné un autre. Même si certains, peu nombreux, estiment que, les trois référendums prévus par l'accord de Nouméa ayant eu lieu, tout est terminé, ce processus se poursuit. N'y a-t-il pas là une vision du droit un peu atypique ?
Ne faudrait-il pas enclencher un nouveau processus, impliquant d'une part la question des élections provinciales, qui a pour corrélat celle de l'examen préalable des listes électorales, un travail sensible indispensable ? D'autre part, ne faudrait-il pas prévoir de reposer, à un moment ou à un autre, la question de l'autodétermination, comme plusieurs personnes le jugent nécessaire, et même si cela risquerait de déplaire à certaines autres ?
De manière générale, un nouveau processus juridique paraît s'ouvrir, nonobstant une série de réalités économiques, financières et sociales dont on ne peut faire abstraction.
M. Ferdinand Mélin-Soucramanien. - L'accord de Matignon avait effectivement pour but de ramener la paix sur le territoire calédonien. L'accord de Nouméa visait pour sa part la construction d'un projet institutionnel. Il était tendu vers l'hypothèse de l'émancipation et de la décolonisation. Or cette hypothèse ne s'est pas concrétisée. Tout le problème vient de là. L'accord de Nouméa avait en effet été rédigé dans une logique de décolonisation, dénoncée par certains et louée par d'autres. Plusieurs acteurs imaginaient qu'il déboucherait vers l'acquisition de la pleine souveraineté, ce qui n'a pas été le cas.
La question du rapport au temps est par ailleurs primordiale. Une grande partie de la population est en attente d'une forme de sécurité dans le temps et de visibilité - pour les générations futures, comme pour des raisons économiques et financières.
Nous pourrions imaginer d'inclure dans le nouveau projet qui serait rédigé une clause de revoyure, assortie d'un rendez-vous fixé dans dix ou vingt ans. Pour ma part je ne suis pas persuadé que ce soit la meilleure solution, car cela reviendrait à reporter le problème et à créer une forme d'incertitude.
Le fait de ne rien prévoir n'est toutefois pas non plus une solution, d'autant que le droit à l'autodétermination, ou droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, est perpétuellement ouvert en France depuis 1946. Dans le cadre des négociations, une clause pourrait donc être inscrite quelque part, indiquant qu'une majorité qualifiée au congrès doublée d'une partie significative de la population pourrait décider l'organisation d'une consultation sur l'autodétermination - sans fixer de date, pour ne pas créer d'incertitude.
M. Stéphane Artano. - Je remercie le président François-Noël Buffet de son invitation, laquelle témoigne à la fois de l'importance des réflexions du Sénat sur ces sujets statutaires et du souci d'une bonne coordination des travaux des différentes structures internes à la Haute Assemblée.
La délégation sénatoriale aux outre-mer s'est emparée particulièrement de cette question institutionnelle en 2020, au sein du groupe de travail sur la décentralisation mis en place par le président du Sénat et chargé de repenser l'organisation des pouvoirs locaux.
Mon prédécesseur, Michel Magras, s'est attaché à approfondir le volet ultramarin de la réflexion sénatoriale. Ses recommandations ont fait l'objet d'un rapport rendu public en septembre 2020, axé sur la différenciation territoriale outre-mer, pour lequel Michel Magras a consulté l'ensemble des exécutifs et des présidents des assemblées territoriales des outre-mer - afin de recueillir leurs appréciations sur l'application des statuts actuels et de mesurer leurs attentes -, ainsi que plusieurs juristes éminents, dont Ferdinand Mélin-Soucramanien.
Nous avons eu l'occasion d'échanger, en présence de nos collègues députés de la délégation aux outre-mer de l'Assemblée nationale, sur les souhaits d'évolution institutionnelle à court et moyen termes dans les territoires ultramarins.
Une réunion commune est en outre prévue le 29 juin au Sénat, avec l'Association des juristes en droit des outre-mer (Ajdom), comportant une séquence sur la Nouvelle-Calédonie à laquelle participera Alain Christnacht, conseiller d'État honoraire, ancien haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie.
Au travers de la question de l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie et du caractère incontournable de son adaptation, le chantier des évolutions statutaires est devant nous.
Je salue la présence de Pierre Frogier, mais également celle de nos collègues de Guyane, de Guadeloupe, de Mayotte, de Wallis-et-Futuna ou encore de Polynésie française. Comme le débat sur la citoyenneté polynésienne l'a récemment montré, ces questions statutaires seront inscrites à l'agenda parlementaire des prochains mois. La crise du covid-19 et les derniers résultats électoraux ont mis en lumière la profondeur de la crise actuelle. Elle appelle des solutions, inédites et d'une grande technicité.
Le cycle d'auditions que vous entamez aujourd'hui est donc particulièrement opportun afin de permettre de préparer ces débats, décisifs pour l'avenir, sur le meilleur cadre juridique constitutionnel possible. Le directeur de la chaire des outre-mer de l'Institut d'études politiques (IEP) de Paris, Martial Foucault, pourra vous apporter son expertise. Vous pourrez compter sur la contribution des élus de la délégation aux outre-mer à vos travaux.
M. François-Noël Buffet, président. - Monsieur le professeur, vous avez insisté sur un point essentiel : la question est moins celle des relations entre la Nouvelle-Calédonie et l'État que celle de la capacité à faire vivre ensemble plusieurs populations sur le territoire. Il semble d'abord nécessaire de faire en sorte que tout le monde trouve sa place. Avez-vous des pistes pour y parvenir ?
M. Ferdinand Mélin-Soucramanien. - Le « destin commun » mentionné dans l'accord de Nouméa constitue un objectif, un idéal dont force est de constater qu'il ne s'est pas traduit dans la réalité. Le partage des voix recueillies lors des deux premiers référendums - 56,7 % en faveur du « non » pour le premier, 53,3 % lors du deuxième - montrait que la minorité des partisans du « oui » était loin d'être négligeable. Le « non » massif exprimé lors du troisième référendum l'a été par ailleurs dans les conditions de participation que nous connaissons. Ces trois référendums sont donc intervenus dans le cadre d'une société divisée. Ces résultats électoraux traduisent non seulement une scission territoriale, mais aussi une scission ethnique.
Ce dernier terme peut être employé ici, la Nouvelle-Calédonie constituant la seule partie du territoire de la République française où les statistiques ethniques sont autorisées.
Le destin commun peut toujours être affiché en étendard, ces difficultés n'en demeurent pas moins.
Le projet de partition présenté par Pierre Frogier a l'avantage de fournir des éléments à la discussion. J'ai pour ma part des réserves à son endroit, cette solution recelant, selon moi, plus de dangers que d'avantages.
Il faut garder à mon sens la boussole de l'universalisme, même si elle est un peu détraquée aujourd'hui. C'est pourquoi je privilégierais une méthode qui permette aux différents acteurs de travailler ensemble. Le projet que nous défendons depuis la Révolution française est le projet universaliste. Même si une forme d'impasse semble se présenter en Nouvelle-Calédonie, nous ne pouvons aller vers autre chose sans risquer de nous renier.
M. François-Noël Buffet, président. - Merci, monsieur le professeur, nul doute que nous aurons besoin à nouveau, à un autre moment, de vos lumières. Merci à tous.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site internet du Sénat.
La réunion est close à 18 h 00.
Mercredi 8 juin 2022
- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -
La réunion est ouverte à 11 heures.
Mission d'information sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie - Audition de MM. Mathias Chauchat, professeur des universités en droit public à l'université de la Nouvelle-Calédonie, Étienne Cornut, professeur des universités en droit privé à l'université de Saint-Étienne, Jean Courtial, conseiller d'État honoraire, ancien chef de la mission de réflexion sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, et Mme Géraldine Giraudeau, professeure des universités en droit public à l'université de Perpignan
M. François-Noël Buffet, président. - La commission des lois du Sénat a décidé de créer en son sein une mission sur l'évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie, composée de quatre rapporteurs : les questeurs Jean-Pierre Sueur et Philippe Bas, le président Hervé Marseille et moi-même.
Nous avons engagé une série d'auditions, dont celle-ci, pour laquelle nous accueillons Géraldine Giraudeau, professeure des universités en droit public international à l'université de Perpignan, Mathias Chauchat, professeur des universités en droit public à l'université de la Nouvelle-Calédonie, Étienne Cornut, professeur des universités en droit privé à l'université de Saint-Étienne et Jean Courtial, conseiller d'État honoraire et ancien président de la mission de réflexion sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, participe également à cette audition.
Mme Géraldine Giraudeau, professeure des universités en droit public international à l'université de Perpignan. - C'est un honneur pour moi de m'exprimer devant votre commission sur un sujet difficile et dont dépendent la paix et l'avenir des Calédoniens. J'espère pouvoir vous donner l'éclairage de mes spécialités, le droit international public et le droit comparé, sur trois aspects : le cadre juridique international applicable, les compétences internationales de la Nouvelle-Calédonie et ses compétences sur les espaces maritimes.
Quel est le cadre juridique international applicable ? L'accord de Nouméa prévoit explicitement que c'est le droit de la décolonisation. Sa pierre angulaire est le droit à l'autodétermination, consacré par la Charte des Nations Unies et par les résolutions 1514, 1541 et 2625 de l'Assemblée générale des Nations Unies. C'est un droit incontournable, essentiel, inaliénable dans le droit international, et il est consacré par notre Constitution.
En quelle mesure ce droit pourrait-il être explicité dans un nouveau statut ? Il reste applicable juridiquement même s'il n'est pas mentionné explicitement, mais on peut s'interroger sur la nécessité de le mentionner explicitement et de prévoir ses modalités d'exercice, notamment l'initiative de nouvelles consultations. Ce qui est certain, c'est que ce droit ne s'est pas éteint après la troisième consultation.
Il peut être intéressant d'aller voir ce qui se passe ailleurs. Le Pacifique est une région où la diversité des statuts territoriaux est de nature à montrer que beaucoup de variantes sont possibles entre l'autonomie et l'association d'États. On peut aussi s'intéresser aux cas des îles Féroé, du Groenland, des anciennes Antilles néerlandaises - à la suite de leur dissolution en 2010, Aruba, Curaçao et Sint Maarteen sont en effet des États associés aux Pays-Bas, mais avec le statut de pays constitutifs et non d'États souverains. Aruba s'était prononcée en faveur de l'indépendance, mais les autorités locales étaient revenues sur cette décision et la Constitution de l'île repousse désormais sine die la réalisation de cette indépendance. Le statut du Groenland, à son article 21, affirme son droit à l'autodétermination.
Les compétences internationales de la Nouvelle-Calédonie, quant à elles, sont explicitement consacrées par l'accord de Nouméa et la loi organique qui le retranscrit. Elles s'inscrivent dans une dynamique générale de décentralisation des compétences en relations internationales, que les États peuvent déléguer à des entités infra-étatiques. Ces compétences sont importantes pour que la Nouvelle-Calédonie puisse s'épanouir dans son environnement régional.
Aujourd'hui, les autorités de la République peuvent confier au président du gouvernement calédonien des pouvoirs pour signer des accords internationaux. Le congrès calédonien peut également autoriser le président du gouvernement à négocier un accord, à charge ensuite aux autorités de la République de lui donner les pouvoirs pour le signer.
La Nouvelle-Calédonie est membre d'organisations internationales comme le Forum des îles du Pacifique dont la Polynésie française est aussi membre à part entière depuis 2016 ; elle est, en même temps que la France, membre de la Communauté du Pacifique, organisation de coopération scientifique et technique, dont le siège est à Nouméa ; elle est enfin membre du Programme régional océanien de l'environnement.
La Nouvelle-Calédonie peut être représentée par des délégués, comme c'est le cas aujourd'hui au sein des ambassades de France en Australie, en Nouvelle-Zélande, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, au Vanuatu et aux îles Fidji.
Les modalités d'exercice de ces compétences pourraient être éclaircies et précisées à la faveur de l'élaboration d'un nouveau statut. Il serait bon de préciser les distinctions entre droit d'initiative, droit à l'information, droit à la participation ainsi que la compétence pour conclure des traités - ce qu'on appelle le treaty-making power - qui pourrait être étendue par une délégation générale.
Même si c'est plus anecdotique, une perspective à ouvrir est la coopération entre différentes entités, comme celle qui existe entre le Groenland et les îles Féroé concernant la pêche.
L'exercice de la compétence sur les espaces maritimes, définie comme relevant de l'État par la convention de Montego Bay, présente des difficultés dans les territoires à statut particulier. La convention souffre de manques liés à sa date de signature et aux ambiguïtés sur la zone économique exclusive (ZEE) et sur le plateau continental, exacerbées dans le cas des territoires à statut particulier, d'autant plus que l'autonomie est forte.
Si l'article 22 de la loi organique attribue à la Nouvelle-Calédonie la compétence sur la ZEE, son article 21 est plus sibyllin sur le plateau continental. Celui-ci a bien été étendu à l'ouest de la Nouvelle-Calédonie, mais la demande d'extension à l'est de l'archipel est en attente, en raison du différend avec le Vanuatu relatif à la souveraineté sur les îles Matthew-et-Hunter.
La compétence de l'État sur le plateau continental en deçà des 200 milles marins a été interprétée en faveur de la Nouvelle-Calédonie. La montée des eaux peut avoir un impact sur les limites maritimes, par le recul de la laisse de basse mer et des points servant au tracé des lignes de base. La Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française ont été actives sur cette question, puisqu'elles sont signataires de plusieurs déclarations très importantes, comme celle du 6 août 2021 du Forum des îles du Pacifique, alors que la position de la France est plus discrète...
Dernière question en suspens : la protection des câbles sous-marins. L'ordonnance de 2016, qui clarifie certains aspects à ce propos, n'est en effet pas applicable à la Nouvelle-Calédonie.
M. Étienne Cornut, professeur des universités en droit privé et directeur du Centre de recherches critiques sur le droit à l'université de Saint-Étienne. - C'est un honneur autant qu'un plaisir pour moi de vous parler d'un territoire où j'ai vécu treize années de ma vie, au cours desquelles j'ai été amené à travailler sur des questions de transferts de compétences en droit privé - ma spécialité -, sur la question de la citoyenneté, qui aurait pu devenir une nationalité en cas d'indépendance, et sur la place de la coutume kanak au sein de l'ensemble calédonien.
Aujourd'hui, la Nouvelle-Calédonie exerce l'intégralité de la compétence normative sur le droit privé, à quelques exceptions près. Faut-il aller plus loin en l'étendant par exemple au droit pénal ? Signalons que l'article 27 de la loi organique prévoit des transferts facultatifs que le congrès doit demander, comme sur l'université, par exemple. La bonne question à se poser est : pour quoi faire ? En quoi serait-ce une plus-value pour le bien être des Calédoniens et la construction de ce que l'accord de Nouméa appelle le « destin commun ».
Autre question : celle de la répartition des compétences entre le congrès et les provinces calédoniennes. La Nouvelle-Calédonie connaît aujourd'hui trois codes de l'environnement, car ce sont les provinces qui sont compétentes en la matière. Cela me semble être d'une complexité extrême, alors que le changement climatique dépasse largement les enjeux territoriaux.
Les transferts de compétences impliquent de savoir à qui ce droit s'applique. C'est là que nous touchons à une problématique de ma spécialité, le droit international privé.
Depuis juillet 2013, la Nouvelle-Calédonie est compétente sur le droit civil, mais aujourd'hui, nous ne savons pas à qui ce droit s'applique : aux Calédoniens, aux résidents après une certaine période de présence sur l'île, aux métropolitains de passage ? Ces questions ne sont pas réglées. Si, en 2013, lorsque j'ai commencé à alerter sur ce problème, la question était théorique, car le droit calédonien et le droit métropolitain étaient identiques, on constate aujourd'hui des différences très profondes en raison de l'évolution importante du droit français.
Deuxième question, des plus brûlantes : que va devenir la citoyenneté calédonienne, qui est restreinte dans ses bénéficiaires comme dans les droits qu'elle confère ? Rappelons que son accès est gelé : moi, qui ai vécu treize ans sur l'île, je n'ai pas pu voter aux élections provinciales et encore moins aux référendums. Cette citoyenneté implique un droit de voter et d'être élu, et un seul droit social : la préférence pour l'emploi local. Cette notion doit être repensée. La mission de 2015 a recueilli l'avis de chacune des parties calédoniennes sur le sujet : toutes étaient d'accord pour la conserver, mais pour la refonder. Reste à savoir comment faire, notamment comment ouvrir le corps électoral.
La question du contenu de la citoyenneté se pose aussi. Il faudrait redéfinir non seulement qui en bénéficie, mais aussi ce que cela apporte, notamment en termes de droit civil. Cela pourrait devenir un critère pour appliquer le droit civil calédonien dont je parlais à l'instant. Il faudrait aussi définir les obligations qui s'y rapportent. Pour l'instant, il n'y en a pas. Ces obligations pourraient être d'ordre fiscal ou autres, comme des jours de citoyenneté par exemple.
Autre sujet : la place de la coutume kanak. Celle-ci est aujourd'hui reconnue notamment à travers des institutions, comme le Sénat coutumier - il donne un avis sur toutes les lois du pays touchant au domaine coutumier -, les conseils d'aire des huit aires coutumières, les clans et les chefferies. La justice la prend en compte en matière civile pour les 100 000 personnes de statut coutumier kanak, à qui on n'applique ni le droit métropolitain ni le droit calédonien.
Faut-il aller plus loin dans la reconnaissance de la place normative de la coutume ? La professeure Giraudeau a parlé du droit maritime. Les terres coutumières prises en compte juridiquement ne sont que des terres émergées, mais les Kanaks considèrent que leur statut ne s'arrête pas au rivage, qu'il concerne aussi des terres immergées. On pourrait aussi renforcer les institutions : aujourd'hui, le Sénat coutumier n'a aucun levier pour empêcher l'adoption d'une loi du pays qui porterait sur l'identité kanak. On pourrait imaginer, sinon un droit de veto, du moins un avis qui ne soit pas que consultatif dans tous les domaines de l'identité kanak, et pas seulement ceux définis comme tels par le congrès.
Le rôle des clans dans la justice pourrait aussi être renforcé. Aujourd'hui, les travaux d'intérêt général peuvent y être accomplis. Ne pourrait-on pas aller plus loin ? Les autorités coutumières jouent traditionnellement un rôle très fort de médiation. On pourrait leur donner plus officiellement des rôles de conciliation, de recours préalable - toutes ces procédures que la loi pour une justice du XXIe siècle de 2019 a placées à l'honneur.
M. Mathias Chauchat, professeur des universités en droit public à l'université de la Nouvelle-Calédonie. - Constatant que, lors de la deuxième consultation, les forces étaient équilibrées de part et d'autre, l'État aurait pu ouvrir un peu la porte en apportant des garanties en cas de victoire du « oui ». Au contraire, il s'est engagé dans la campagne du troisième référendum en réduisant le choix entre une indépendance de rupture à l'algérienne et la participation à la République, ce qui a conduit au boycott par les indépendantistes. À ce blocage, je vois quatre sorties possibles.
La première est le statu quo : on ne touche à rien et on applique le principe d'irréversibilité constitutionnelle. Ne rien faire, en Nouvelle-Calédonie, c'est souvent mieux qu'aller chercher les ennuis...
Deuxième sortie : le partenariat. Les consultations ne lient pas l'État français, qui pourrait construire un statut d'État associé comme cela existe partout dans le Pacifique, pour garantir une relation apaisée, durable avec la France. Des troubles en Nouvelle-Calédonie affecteraient en effet durablement nos relations avec l'Australie, la Nouvelle-Zélande et les autres États insulaires du Pacifique.
Troisième sortie : une modification unilatérale de la Constitution et un référendum imposé - perspective qui est déjà qualifiée de « référendum Pons » par les indépendantistes. Ce n'est sans doute pas la voie à emprunter.
Quatrième sortie : on discute jusqu'à ce que les partenaires trouvent une solution politique.
Il n'y a pas d'autres sorties. Le problème, c'est que trois de ces voies nécessitent une modification de la Constitution.
L'accord de Nouméa, qui a été constitutionnalisé, dit bien à son point 5 que la sortie de l'accord nécessite une solution politique et insiste sur l'irréversibilité constitutionnelle : « Tant que les consultations n'auront pas abouti à la nouvelle organisation politique proposée, l'organisation politique mise en place par l'accord de 1998 restera en vigueur, à son dernier stade d'évolution, sans possibilité de retour en arrière, cette «irréversibilité» étant constitutionnellement garantie. »
Cela ne peut s'interpréter que de cette façon : pour en sortir, il faudra modifier la Constitution pour déplacer la Nouvelle-Calédonie du titre XIII vers le titre XII, comme la Polynésie française. C'est un énorme caillou dans la chaussure.
Sur quoi porte l'irréversibilité de « l'organisation politique » de la Nouvelle-Calédonie ? Sur un corps électoral, un mode de scrutin, un nombre de sièges, le gouvernement collégial, la provincialisation, le rééquilibrage, l'autodétermination. Tous ces points sont expressément mentionnés à l'article 77 de la Constitution. Certes, on a vu le Conseil constitutionnel ne pas se montrer très respectueux des compétences de la Nouvelle-Calédonie... mais le risque juridique est bel et bien réel.
Localement, cette irréversibilité est interprétée par les indépendantistes comme le respect de la parole donnée, ce qui est essentiel dans la civilisation océanienne.
Lorsque Georges Lemoine avait conduit les discussions à Nainville-les-Roches, en 1983, bien avant les événements, l'idée générale avait été de reconnaître aux Kanaks leur droit à l'autodétermination, en contrepartie de quoi les autres se voyaient reconnu leur droit à rester. À Matignon en 1988, c'était la même chose, mais après les événements.
Les Kanaks ont toujours reconnu que la reconnaissance de leur droit à l'autodétermination était la condition du droit des autres - ici on dit « les Blancs » - à rester.
L'accord de Nouméa a permis la cohabitation du peuple kanak et des autres dans l'égalité de la citoyenneté, et c'est cela qui fonde le « destin commun », cette périphrase du peuple calédonien qui associe les deux peuples pour en faire un seul - ce qui n'exclut pas l'association avec la France.
Les métropolitains ont tendance à parler d'un « corps électoral restreint ». S'il est vécu comme tel par les métropolitains, les Kanaks y voient au contraire une ouverture généreuse ; ils considèrent en effet qu'ils sont le peuple colonisé et que l'utilisation par les autres de leur droit de vote pour empêcher l'autodétermination est une rupture du contrat social. Si l'on touche au corps électoral, on risque d'annuler toute la séquence. Ce qui meurt dans l'ouverture du corps électoral, c'est le peuple calédonien, qui disparaît pour ne laisser qu'une rupture entre les Kanaks et les Français.
Beaucoup de concessions ont été faites par les indépendantistes, notamment aux comités extraordinaires des signataires de 2015 et de 2016, à propos de la citoyenneté des natifs sans parent citoyen - ils ont le droit de vote. Les Kanaks - enfin, les indépendantistes kanaks, mais c'est la même chose à 97 % - ont convenu qu'il était absurde qu'ils ne soient pas citoyens et ont accepté que le haut-commissariat, en violation parfaite de la loi organique, les inscrive sur le corps électoral citoyen. En fait, on ne vérifie pas si la condition de l'existence d'un parent citoyen est remplie et les indépendantistes ne font pas de recours.
Sont donc citoyens les personnes nées dans le pays et qui y résident à 18 ans et ceux qui résident ailleurs, mais ont des parents citoyens. Les seuls exclus sont donc les métropolitains, les immigrants.
Difficulté supplémentaire : la France ne peut pas à la fois ouvrir le corps électoral et respecter le droit de la décolonisation. Une résolution des Nations Unies dispose ainsi qu'aucun pays ne doit favoriser l'immigration dans le but de modifier le résultat d'une autodétermination. Il faudra donc choisir : soit on ne respecte pas le droit international de la décolonisation, comme en Polynésie française, soit on n'ouvre pas le corps électoral, sauf sur la question des natifs - pour lesquels nous n'avons pas besoin de modifier la Constitution. Cette concession des indépendantistes a été considérée par les loyalistes comme très insuffisante, mais personne n'en a rien dit - bel exemple qui prouve que la Nouvelle-Calédonie est effectivement « le pays du non-dit »...
J'ai entendu tout ce qu'a dit Étienne Cornut sur la coutume. Je ne suis pas personnellement opposé à ce qu'on élargisse les droits coutumiers en matière de police administrative par exemple. Mais il faut se garder de ne pas l'élargir à tout : elle doit rester un statut civil. Attention à ne pas céder à l'idée de « développement séparé des races » ; même s'ils ne l'appellent pas comme cela, certains en Nouvelle-Calédonie ont un projet de société suivant le principe « chacun reste dans sa zone » : les Kanaks tiennent le monde rural, les Européens tiennent Nouméa et quelques communes du Sud. On serait loin alors du « destin commun dans un pays commun ». Il ne faut pas non plus céder à la tentation de jouer les coutumiers contre les indépendantistes, de diviser les Kanaks entre ceux qui veulent la coutume sans l'indépendance et ceux qui veulent l'indépendance sans la coutume.
Les discussions seront très difficiles. Le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) a dit qu'il n'engagerait des discussions qu'avec l'État français, considérant que ce dernier a fait campagne pour le « non » et que les autres ont répondu trois fois « non » à la question : voulez-vous être calédoniens et vivre dans un pays commun ? Il a tendance à vouloir leur dire : si votre pays c'est la France, que faites-vous ici ?
La modification de la Constitution est inévitable. Son absence serait vécue comme une rupture de parole par le FLNKS.
M. Jean Courtial, conseiller d'État honoraire, ancien chef de la mission de réflexion sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. - Je vous remercie d'avoir accepté de décaler mon audition, même si la logique aurait voulu que je sois entendu en même temps que Ferdinand Mélin-Soucramanien. J'ai parcouru ce matin le document que nous avions produit : il me semble toujours d'actualité. Deux phrases me frappent en particulier dans l'accord de Nouméa : « Si la réponse est encore négative, les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée. » ; « Tant que les consultations n'auront pas abouti, on continuera avec l'accord de Nouméa tel qu'il est, éventuellement indéfiniment. » On y est !
Le professeur Chauchat a indiqué la position des indépendantistes : ils voient dans le troisième référendum un mauvais geste et ils veulent parler à l'État. Cela implique certainement une phase intermédiaire avant la reprise des discussions entre les partenaires politiques calédoniens, pendant laquelle l'État doit prendre l'initiative.
Certains sujets majeurs n'ont pas été traités jusqu'à présent, et tant qu'ils ne le seront pas, on ne pourra pas déboucher sur une solution. Que signifie le « destin commun », horizon de l'accord de Nouméa ? C'est à la population calédonienne de le dire. L'État peut apporter toute son aide aux discussions, mais c'est aux partenaires de se déterminer.
La citoyenneté est un sujet brûlant, car elle évoluerait en nationalité en cas d'indépendance. Sujet plus mineur, les compétences qui n'ont pas été transférées. Si elles ne l'ont pas été, c'est que cela posait des difficultés politiques. Mais elles restent sur la table et peuvent constituer des axes de discussion.
La grande difficulté, c'est qu'en sortant d'un parcours normalisé, avec des étapes et des garanties, nous nous retrouvons comme en suspension. Bien sûr, nous pouvons continuer avec les institutions telles qu'elles sont. Mais ce qui était justifié, parce que provisoire, ne l'est peut-être plus, si c'est indéfini. Je ne parle pas du corps électoral ou du référendum, ni du droit à l'autodétermination, lequel, effectivement, ne s'éteint pas, mais du corps électoral pour les élections provinciales et le congrès. Ce qui était justifié par son caractère provisoire sur vingt ans devient beaucoup plus problématique sur le terrain politique et juridique.
L'urgence, c'est de rétablir le dialogue. Il faut une initiative de l'État pour que les réunions entre partenaires politiques prévues dans le document d'orientation se tiennent.
Il y a enfin une chose que l'expérience nous apprend : à chaque fois que l'on a envoyé une mission en Nouvelle-Calédonie parce que la situation était tendue, cela s'est bien passé. Tout n'a pas été résolu, mais cela a apporté la paix pendant un certain temps. Toutes les missions depuis 1988 jusqu'à la nôtre ont fortifié le dialogue. Seule différence : il faudrait, cette fois-ci, que la mission soit mixte, avec des membres désignés par le Gouvernement, mais aussi par les institutions calédoniennes. Cela préparerait les conditions du dialogue.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Plusieurs d'entre vous ont signalé le caractère incontournable d'une révision constitutionnelle pour assurer durablement l'avenir de la Nouvelle-Calédonie et la coexistence entre les Calédoniens eux-mêmes.
Dans l'attente d'un accord à ce sujet entre les parties prenantes et avec le Gouvernement de la République, ce qui suppose un accord du Sénat puisqu'il y aurait révision constitutionnelle, il faudra que les élections, notamment provinciales, se tiennent et que les institutions de l'accord de Nouméa soient opérationnelles. Mais le corps électoral peut-il encore servir constitutionnellement pour ces élections ? Il n'avait de sens que parce que ces institutions étaient provisoires, dans le sens où - et je n'ose dire qu'il est restreint - il ne comporte pas tous les Français majeurs qui subissent l'administration des élus provinciaux...
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Je voulais poser la même question concrète, qui attend effectivement une réponse avant les élections.
Madame Giraudeau, vous avez parlé des États associés. Autant cela me semble en accord avec la culture juridique des États que vous avez cités, autant cela me semble étranger à la nôtre. D'une certaine façon, cela suppose d'abord une indépendance, puis une coopération.
Monsieur Cornut a parlé des instances coutumières. J'ai eu beaucoup d'intérêt à les rencontrer. Je peux comprendre les propositions tendant à revaloriser le rôle de la coutume, mais j'ai plus de mal à voir comment les faire passer dans nos schémas républicains. Mais je manque peut-être d'imagination...
On pourrait imaginer un énième rapport sur le schéma idéal. Je crois que c'est vain. Les promoteurs de l'accord de Nouméa ont engagé un processus pour le moins baroque au départ. Mais pour que les gens se parlent, il fallait organiser trois référendums successifs, même si ce n'était pas évident.
Ne doit-on pas concevoir un nouveau processus ? Ne faut-il pas que réapparaisse dans le dispositif le mot « autodétermination » pour donner aux indépendantistes la garantie que ce principe résistera, pour que leur horizon ne se ferme pas ?
M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - Hier, Ferdinand Mélin-Soucramanien a parlé de l'adhésion de la population calédonienne au nouveau cadre institutionnel. Mais les délais sont très serrés, avec un référendum qui devrait être organisé d'ici juin 2023. Comment, de votre point de vue de juristes, pensez-vous qu'on puisse associer la population, alors que les trois référendums ont marqué une rupture quasi ethnique entre deux communautés. Faut-il passer par les trois provinces, par les communes et leurs maires ? Comment est-ce possible juridiquement et politiquement ? Faut-il associer les institutions coutumières ?
M. Mathias Chauchat. - En ce qui concerne le corps électoral, question posée par Philippe Bas, il existe souvent une confusion, parfois entretenue d'ailleurs, entre les termes provisoire et transitoire. Je rappelle que la Constitution parle de « dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie » et que, dans la dernière phrase de l'accord de Nouméa, l'État français reconnaît la vocation de la Nouvelle-Calédonie à bénéficier, à la fin de la période, d'une pleine émancipation. Il s'agit donc bien d'une transition vers l'émancipation du pays. Les Kanaks considèrent que cette promesse leur a été faite par l'État français. Ils n'ont jamais considéré que le référendum conditionnait l'indépendance. Cette approche s'est un peu étiolée depuis la signature de l'accord. La France, qui n'a pas de culture de la décolonisation, a cru qu'elle pourrait faire comme dans les DOM-TOM et que cette idée serait oubliée, ce qui n'a évidemment pas été le cas.
En outre, il existe un principe général de permanence des textes : tant que la Constitution ou la loi organique n'est pas modifiée, ces textes continuent de s'appliquer. Les élections provinciales peuvent donc se tenir sans difficulté en 2024 avec le corps électoral actuel.
Pourquoi les loyalistes sont-ils si pressés ? C'est parce qu'à chaque élection ils reculent, que ce soit en raison de la démographie ou de leurs divisions, et que la majorité au congrès bascule doucement - je ne dis pas cela en tant que militant, c'est simplement la réalité. Les loyalistes ont déjà bénéficié d'un sursis grâce aux inscriptions frauduleuses sur les listes électorales. Tout le monde reconnaît ce phénomène, y compris au sein du comité des signataires. Je rappelle que c'est l'État qui procède à l'établissement des listes, mais que l'État de droit outre-mer est largement considéré comme étant de « très basse intensité »... En Nouvelle-Calédonie, les choses sont assez simples : quand on connaît l'ethnie des gens, on connaît leur vote ! Par conséquent, quand on inscrit quelqu'un, on sait que cela correspond à une voix indépendantiste ou à une voix loyaliste. Or on a constaté une bascule d'environ 7 000 personnes dans la citoyenneté, ce qui permet aux loyalistes de bénéficier de deux sièges supplémentaires au congrès. Sans cette bascule, la majorité aurait déjà été différente à l'avant-dernier mandat.
On le voit, l'urgence est politique, pas juridique, mais je veux vous dire que l'ouverture du corps électoral n'est pas compatible avec la paix civile. Si Eloi Machoro, militant de l'Union Calédonienne, a brisé une urne à Canala en 1984, c'est parce qu'il considérait que l'ouverture du corps électoral constituait une violation des droits fondamentaux. Je suis profondément convaincu que, si le Parlement décide de toucher au corps électoral, il ravivera les troubles en Nouvelle-Calédonie - ce n'est évidemment pas une menace, mais simplement ma conviction. Les Kanaks considèrent ce corps électoral comme le périmètre du peuple calédonien. Ouvrir le corps électoral revient à reconnaître que la France recolonise la Nouvelle-Calédonie, qu'elle fait venir des immigrants français pour rendre minoritaire le peuple kanak, alors même que nous sommes au bord de la bascule.
Comment voulez-vous que cela soit accepté ? Ce n'est pas possible ! Et il ne sert à rien de chercher tel ou tel argument dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, car nous nous situons dans le droit de la décolonisation et la résolution des Nations Unies demande aux États de mettre fin à l'immigration dans les pays en voie de décolonisation. Dans l'accord de Nouméa, le compromis s'est noué sur cette notion de citoyenneté : on n'arrête pas la libre circulation avec la métropole, on permet à des gens de venir en Nouvelle-Calédonie, mais en contrepartie ils ne votent pas. Mettre fin à cet équilibre reviendrait à casser le contrat social.
En ce qui concerne la question de Stéphane Artano, il me semble que la suggestion de Jean Courtial est la bonne. L'État se sent un peu isolé en Nouvelle-Calédonie, si bien qu'il cherche toujours à faire intervenir la soi-disant société civile, avec laquelle ses représentants forment une sorte de communauté intellectuelle, mais il s'agit principalement de métropolitains, de chefs d'entreprise, de bénéficiaires de la défiscalisation, etc. La consultation de la société civile est donc une mauvaise méthode ; elle est même prise comme une agression par les indépendantistes. Ce sont le congrès et le gouvernement de Nouvelle-Calédonie qui devraient s'impliquer directement et institutionnellement dans les discussions.
Mme Géraldine Giraudeau. - L'association d'États est une terminologie qui recouvre des réalités différentes. Il existe dans le Pacifique plusieurs associations d'États souverains : les îles Cook et Niue sont des États associés à la Nouvelle-Zélande, les îles Marshall et la Micronésie sont associées aux États-Unis. La Common Law, largement répandue dans cette région, permet effectivement une souplesse dans les partenariats, mais rien n'interdit d'imaginer des associations d'États entre des entités qui ne relèveraient pas de cette culture juridique.
Le point commun entre les différentes formes d'associations d'États souverains est de laisser la conduite des relations internationales, de la défense et de la sécurité à l'État associé. Il existe donc très peu de différences en termes de compétences entre l'autonomie, lorsqu'elle est poussée, et l'association d'États souverains. La grande différence, c'est ce qu'on appelle en Nouvelle-Calédonie la « minute d'indépendance », c'est-à-dire le basculement vers la souveraineté : l'État qui s'associe peut se retirer à tout moment de l'association dans les conditions fixées au préalable.
Dans les anciennes Antilles néerlandaises, les termes « État associé » ont été utilisés, alors même qu'il s'agit d'un État unitaire. En fait, ce ne sont pas des États souverains, mais des pays constitutifs, et leurs relations avec les Pays-Bas sont organisées au sein d'une Charte.
En tout cas, le statut d'association offre des avantages certains.
En ce qui concerne le droit à l'autodétermination, l'accord de Nouméa pose utilement des jalons, mais il a peut-être donné l'impression d'enfermer ce droit et son exercice dans le temps. Rappeler que ce droit continue d'exister et que des portes sont ouvertes pourrait permettre de faciliter les discussions. On pourrait aussi envisager d'inscrire ce droit, voire ses modalités d'exercice, de façon beaucoup plus concrète. Cette porte de sortie ne doit pas être vue à mon sens comme un facteur d'instabilité ; je pense au contraire que lever la condition de temporalité peut permettre de diminuer les tensions. Le droit comparé montre qu'inclure de telles modalités ne rend pas les statuts plus instables - tous les États concernés adoptent régulièrement des ajustements selon les revendications locales et la situation.
L'exercice du droit à l'autodétermination est évidemment compliqué à mettre en oeuvre. Les représentants du peuple kanak ont accepté que les titulaires de ce droit ne recouvrent pas uniquement le peuple autochtone. Depuis la réinscription de la Nouvelle-Calédonie sur la liste des territoires non autonomes en 1986, l'Assemblée générale des Nations Unies a pris cela en compte, en évoquant le droit à l'autodétermination du peuple calédonien.
M. Jean Courtial. - En Nouvelle-Calédonie, il existe en fait deux corps électoraux spéciaux distincts.
En ce qui concerne celui des titulaires du droit à l'autodétermination, c'est-à-dire les personnes qui peuvent voter lors des référendums, nous nous situons dans le cadre du droit de la décolonisation et il n'existait pas véritablement, à l'époque où j'allais en Nouvelle-Calédonie, de débat sur ce sujet ni de revendication forte en vue de son élargissement.
Le problème est différent pour le corps électoral qui vote pour élire ses représentants dans les provinces et au congrès. Au sens du droit européen, le congrès est en effet un organe législatif. L'affaire a cependant été réglée en droit national, au moins provisoirement, par la réforme constitutionnelle de 2008. Bien sûr, une action en justice peut toujours être engagée et je ne sais pas ce qu'elle pourrait donner.
Il existe à l'évidence un très gros problème politique et celui-ci bloque peut-être aussi le transfert de l'une des compétences de l'article 27, à savoir le contrôle sur les administrations territoriales, en particulier le contrôle de légalité. Le corps électoral pour les élections provinciales et au congrès est quelque chose de tout à fait particulier et il pose un certain nombre de hiatus, par exemple si on devait l'étendre aux élections communales. Cela n'est peut-être pas insurmontable d'un point de vue juridique, mais pose des difficultés politiques, notamment au regard du principe d'universalité du suffrage.
Par ailleurs, dans le rapport que Ferdinand Mélin-Soucramanien et moi-même avons publié, nous soulignons le fait qu'il existe au fond peu de différences pratiques entre la situation d'États partenaires associés et celle d'une autonomie poussée. Reste cependant la force des symboles : le siège à l'ONU, le passeport, le nom du pays - nom que nous n'avons d'ailleurs pas su trouver pour la Nouvelle-Calédonie, alors que cela était prévu par l'accord de Nouméa -, etc. Ces symboles sont extrêmement puissants et on ne peut pas les négliger.
Je voudrais conclure par un exemple d'État partenaire qui nous concerne directement, ce qui peut surprendre : c'est Monaco ! Avec Monaco, on a tous les éléments d'un État partenaire et la Constitution monégasque fait même référence à l'accord avec la France. Bien sûr, nous sommes là très loin de la Nouvelle-Calédonie, mais c'est une source éventuelle d'inspiration.
M. Étienne Cornut. - Je suis du même avis que Mathias Chauchat et Jean Courtial sur la question de la citoyenneté : il est tout à fait possible d'organiser les élections provinciales de 2024, voire les suivantes, sur la base du corps électoral actuel. Cela a été dit, ce sont des dispositions transitoires, pas provisoires. On pourrait donc ne rien faire !
On peut cependant craindre que la Cour européenne des droits de l'homme ne maintienne pas son arrêt de 2005, si la situation devait durer trop longtemps, car elle évoquait dans ses motivations l'existence d'une période à peu près définie.
C'est un peu la même question pour les natifs : les natifs de Nouvelle-Calédonie qui n'ont aucun parent citoyen calédonien peuvent être inscrits sur la liste électorale pour les élections provinciales et au congrès. Certes, la Cour de cassation a admis en 2011 cette situation, mais elle n'en reste pas moins fragile. Une inscription dans la loi serait sans doute utile.
Nous devons distinguer clairement les deux notions : la citoyenneté calédonienne, qui permet de voter aux élections provinciales et au congrès, et la citoyenneté référendaire.
À mon avis, on ne peut pas revenir sur le caractère restreint de ces corps électoraux et ouvrir totalement le corps électoral à tout citoyen français posant le pied en Nouvelle-Calédonie. Ce serait un retour en arrière. On doit maintenir des restrictions, même s'il doit être possible de procéder à des ouvertures sous certaines conditions, en particulier de résidence. Il en est d'ailleurs ainsi dans le droit de la nationalité, qui mixe différentes conditions : droit du sol, droit du sang, naturalisation, mariage, etc. Ces voies doivent être explorées, mais nous devons garder à l'esprit la dimension profondément politique du sujet.
Je crois qu'il faut laisser comme horizon au peuple kanak le droit à l'autodétermination dans des conditions qui permettent effectivement à une telle décision d'être prise. Le droit à l'autodétermination doit s'appréhender du point de vue du peuple qui a été colonisé.
En ce qui concerne le droit coutumier, je crois qu'il faut élargir la prise en compte de la coutume kanak et redéfinir le rôle des autorités et institutions coutumières - les clans, les chefferies, le Sénat coutumier... Cela ne doit pas aller jusqu'à créer deux ordres séparés, si nous voulons avancer dans l'idée d'un « destin commun ». À une époque, le Sénat coutumier avait avancé l'idée de deux ordres séparés ; je ne crois pas que cette voie doive être suivie.
Pour autant, dans certains domaines, le droit coutumier devrait être mieux pris en compte - c'est déjà le cas en matière de droit de l'environnement. Il faudra cependant respecter les limites du champ républicain : par exemple, il ne s'agit pas, dans mon esprit, de donner aux autorités coutumières un pouvoir de sanction pénale. Je prends un exemple simple de cette prise en compte de la dimension coutumière : brûler une case kanak a un autre sens que brûler une maison en métropole, car cela porte atteinte à un symbole coutumier fort ; on pourrait donc envisager une circonstance aggravante dans le quantum des peines.
Enfin, il faut associer davantage les autorités coutumières aux processus de médiation et de conciliation.
Mme Géraldine Giraudeau. - Je rejoins ce que vient de dire Étienne Cornut. En Nouvelle-Zélande, le pluralisme juridique s'exprime clairement et les actes du Parlement néo-zélandais peuvent faire référence à des notions du monde maori, par exemple en ce qui concerne la notion de famille. Il faut bien sûr que les juristes soient formés en ce sens, mais il est possible de mieux prendre en compte le droit coutumier.
M. Mathias Chauchat. - Je souhaiterais poser une question à la commission : quel sera le corps électoral pour le référendum de juin 2023 ?
M. François-Noël Buffet, président. - L'idée de tenir un référendum en juin 2023 découle uniquement d'une déclaration du ministre des outre-mer de l'époque, Sébastien Lecornu. Cette déclaration d'intention n'engage personne et il n'existe pas de base juridique pour l'instant à ce sujet.
M. Philippe Folliot. - En ce qui concerne le droit coutumier, pensez-vous qu'il soit possible de prendre exemple sur certaines pratiques qui existent à Wallis-et-Futuna ?
M. Étienne Cornut. - La situation de Wallis-et-Futuna est très particulière. Il y a des rois, ce qui est très différent des chefs coutumiers de Nouvelle-Calédonie. La coutume est très présente dans ce territoire, elle est très encadrée et jalousement gardée par les chefferies royales. Je prends un exemple : la loi de 1961 conférant aux îles Wallis-et-Futuna le statut de territoire d'outre-mer prévoit la création d'une juridiction locale chargée d'appliquer le droit coutumier, mais elle n'a jamais été installée...
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 40.
Jeudi 9 juin 2022
- Présidence de M. François-Noël Buffet, président, et de M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication -
La réunion est ouverte à 10 heures.
Incidents survenus au Stade de France le 28 mai 2022 - Audition de M. Didier Lallement, préfet de police
La réunion est ouverte à 10 h 00.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale. - Monsieur le préfet, le président Lafon et moi-même avons souhaité vous entendre sur les événements qui ont eu lieu, il y a quelques jours, au Stade de France, à l'occasion de la finale de la Ligue des champions. Cette audition est retransmise en direct par la chaîne Public Sénat et sur le site internet du Sénat.
Nous avons entendu, la semaine dernière, le ministre de l'intérieur ainsi que la ministre des sports au sujet de ces mêmes événements. Vous étiez, ès qualités de préfet de police, en charge de la surveillance et de l'organisation de cet événement. Je tiens à vous dire, de la manière la plus directe possible, que l'objectif de nos deux commissions est de comprendre ce qui s'est réellement passé afin de pouvoir ensuite apporter les réponses qui conviennent. Ceux qui sont présents dans cette salle ne sont en quête de rien d'autre que de la vérité.
En ce qui concerne, tout d'abord, les conditions d'accès au stade et les raisons qui ont conduit au blocage et à la dispersion de la foule par l'usage des gaz lacrymogènes, le ministre a insisté, la semaine dernière, sur l'ampleur d'une fraude aux billets, qui selon lui n'était pas prévisible, et sur le nombre inattendu, semble-t-il, de supporters de l'équipe de Liverpool présents. Plusieurs questions demeurent quant à cette imprévisibilité alléguée et aux chiffres, qui devront incontestablement être mieux établis.
À cet égard, les remontées d'informations dont vous disposiez, non seulement sur la grève des transports, mais aussi grâce à la note des services de renseignement du 25 mai dernier sur la présence de supporters ainsi que sur les billets d'accès sous forme papier vous ont conduit, légitimement, à mobiliser des forces de police en quantité importante pour organiser cet événement. Il reste à savoir quelle doctrine d'emploi et quelle organisation avaient été définies pour que ces forces de police puissent répondre à la situation telle qu'on pouvait probablement, en partie, la prévoir.
Une autre question porte sur la situation quelque peu surprenante dans laquelle s'est retrouvé un public somme toute passif, ou du moins calme et plutôt familial, contre lequel on a fait usage de bombes lacrymogènes, comme l'ont montré des images qui ont circulé à la télévision. Comment comprendre, en effet, que des gens qui attendaient patiemment aient pu recevoir un jet de gaz lacrymogène ? Il faut nous expliquer ce qui s'est vraiment passé.
Ensuite, nous souhaitons revenir sur la séquence qui relève non pas du maintien de l'ordre mais de la sécurité publique. De nombreuses agressions ont eu lieu autour du stade : on entend dire que 400 ou 500 personnes auraient agressé des supporters ou, du moins, des gens qui se rendaient au stade, en leur faisant les poches ou en les attaquant physiquement, comportements qui relèvent de la délinquance pour nommer les choses par leur nom.
Or nous n'avons que peu d'éléments sur la gestion de ces incidents, sur les suites qui leur ont été données, voire sur les possibilités de leur anticipation. Nous ne comprenons donc pas bien ce qui s'est passé. On ne peut réduire la situation, nous semble-t-il, aux difficultés que des supporters auraient rencontrées pour accéder au stade ; nous devons la clarifier parfaitement en établissant les faits d'agression commis par des délinquants contre les supporters.
La dernière question qui en découle porte sur la nature du dispositif de sécurité publique prévu à l'issue du match. Estimez-vous que ce dispositif a fonctionné ? Quelles améliorations possibles avez-vous envisagées pour d'autres événements de cette ampleur, comme la Coupe du monde de rugby qui doit avoir lieu l'année prochaine, les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et d'autres manifestations qui pourront se tenir au Stade de France ?
Monsieur le préfet, nous ne sommes pas contre la police, loin de là. Nous comprenons ses difficultés et nous la soutenons. Cependant, au sujet de ces événements, nous cherchons à savoir pourquoi 400 millions de téléspectateurs ont vu, ce soir-là, une telle situation au Stade de France, à l'occasion d'un événement sportif majeur. Cela relève pour nous de l'incompréhensible et c'est la raison pour laquelle nous voulons que vous nous éclairiez.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. - Comme l'a dit le président Buffet, dans le cadre de notre exercice de contrôle, notre rôle est de comprendre ce qui s'est réellement passé. Nous le devons à ceux qui ont été victimes de ces incidents. En outre, il nous faut tirer tous les enseignements de cette finale de la Ligue des champions, en vue de la préparation de la Coupe du monde de rugby et des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024.
Monsieur le préfet, tel est l'état d'esprit dans lequel s'inscrit cet échange avec vous, qui nous permettra d'obtenir des réponses à un certain nombre de questions qui se posent encore.
M. Didier Lallement, préfet de police. - Je vous remercie pour votre invitation qui permettra, je l'espère, de clarifier les points qui doivent l'être.
Avant toute chose, je voudrais vous dire qu'en tant que préfet de police, je suis le seul responsable opérationnel de l'ordre et de la sécurité publics dans l'agglomération parisienne, c'est-à-dire à Paris et dans les trois départements de la petite couronne. Je ne suis d'ailleurs pas le préfet de police « de Paris », mais le préfet de police tout court. Par conséquent, puisque le sujet concerne la Seine-Saint-Denis - je veux être très clair sur ce point -, les préfets des départements de la petite couronne n'ont aucune compétence en matière d'ordre et de sécurité publics. Les fonctionnaires de police et les militaires de gendarmerie interviennent sous mon autorité directe ou sous celle que je donne par délégation à des hauts fonctionnaires, qu'ils soient du corps préfectoral ou de la police.
J'assume donc en totalité la responsabilité de la gestion policière de la journée du samedi 28 mai et - je le répète encore une fois - j'en suis non seulement devant vous, mais également devant le pays, le seul comptable opérationnel.
Ceux qui ont agi l'ont fait sous mon commandement et je veux d'abord les saluer. Policiers ou gendarmes, ils ont fait preuve d'une énergie et d'une volonté, ce soir-là comme à l'accoutumée, que je voudrais ici souligner. Sans eux, un drame aurait pu se produire. Je leur fais donc part publiquement, comme je l'ai fait plus indirectement, de ma reconnaissance pour leur action et de ma fierté de les avoir sous mes ordres. Ils ne sont pas pour moi des « troupiers » - expression d'un siècle passé, que l'on associe plutôt au mot « comique », même si elle ne me fait pas rire -, mais des collègues ou des camarades d'une grande valeur professionnelle et morale.
N'éludant pas mes responsabilités, je regarde, ou du moins j'essaye de regarder avec la plus grande lucidité possible ce qui s'est passé autour du Stade de France ce soir-là. C'est à l'évidence un échec, car des personnes ont été bousculées ou agressées alors que nous leur devions la sécurité. C'est un échec aussi, car l'image du pays - vous l'avez souligné, monsieur le président - a été ébranlée. Mais je dois insister, au delà de cet échec, sur le fait que, face à une crise d'ampleur, dans un contexte dégradé et difficile, nous avons fait en sorte que le match se tienne et surtout qu'il n'y ait aucun blessé grave ni aucun mort. Qui plus est, dans Paris intra muros, tant dans les zones de circulation des supporters que dans la fan zone, ou bien hors de Paris, dans les aéroports de Roissy et d'Orly, il n'y a eu aucun incident significatif.
Je vous disais avoir conscience que l'image de la France a été atteinte : c'est une blessure pour moi, car l'amour de la patrie et l'honneur du drapeau comptent plus que tout.
À nos hôtes étrangers, qu'ils soient espagnols ou anglais, qui ce soir-là n'ont pas tous trouvé les conditions sûres d'un accueil, ainsi qu'à l'ensemble de nos concitoyens français, je veux dire également mes regrets sincères.
Comme le ministre de l'intérieur l'a demandé, des pré-plaintes sont disponibles en ligne et des fonctionnaires de la préfecture de police sont présents à Liverpool et à Madrid pour aider, si besoin est, ceux qui le souhaitent à les remplir. J'encourage donc non seulement l'ensemble de nos concitoyens, mais également les ressortissants anglais et espagnols à porter plainte - c'est extrêmement important - pour que nous puissions retrouver et poursuivre leurs agresseurs. Je les encourage également à porter plainte si jamais ils ont acheté des faux billets, car il est essentiel que nous ayons une vision claire de la situation en la matière. Je leur promets donc à tous que nous ferons tout pour retrouver les coupables et les présenter à la justice.
Je ne reviendrai pas longuement sur les causes de ce qui s'est passé ce soir-là, les ministres ayant dans leurs auditions déjà largement détaillé l'analyse que l'on peut en faire. Je veux toutefois insister sur deux décisions que j'ai eu à prendre et sur les conséquences qu'elles ont eues.
D'abord, la levée du barrage de pré-filtrage dit « de l'avenue Wilson », vers 19 heures 45. Notre rôle, sur les barrages, est d'assurer une protection antiterroriste grâce à des véhicules faisant fonction d'« anti-béliers », pour reprendre notre terminologie, et grâce à la présence d'effectifs munis de ce que l'on appelle des « armes longues », destinées à parer une attaque terroriste. Vous vous souvenez tous que le Stade de France a été l'objet d'une attaque terroriste ; on peut donc considérer que cette protection relève non pas de la gesticulation, mais d'une absolue nécessité face à une menace qui est toujours existante.
Les « forces de sécurité intérieure » - sous ce vocable je vise, bien évidemment, tant les policiers que les gendarmes que j'avais sous mon autorité - n'étaient pas chargées de la vérification des billets, pas plus que la préfecture de police n'était l'organisateur de l'événement. La prérogative de vérification des billets était de la responsabilité de l'organisateur. D'ailleurs, si notre dispositif lors des événements sportifs a toujours prévu des pré-filtrages, c'est-à-dire des contrôles de personnes, cela n'était que la deuxième fois depuis 2016 que des contrôles de billets étaient réalisés à ce niveau.
Il se trouve qu'en raison de l'arrivée tardive et plutôt massive des supporters, peut-être due aux difficultés de transport, ce contrôle s'est embolisé. En effet, les personnes rejetées pour absence de validité de leur titre essayaient de passer à tout prix ou bien ne pouvaient plus reculer, en raison du nombre toujours plus grand de personnes se trouvant derrière elles.
Nous avons aidé les personnes chargées du contrôle à maintenir ce barrage mais, à un moment, toutes les indications qui remontaient jusqu'à moi m'ont fait craindre un drame par écrasement, c'est-à-dire une bousculade de plusieurs milliers de gens. Nous constations en effet, au-delà de la file d'attente au barrage de pré-filtrage, la présence de plus en plus importante de personnes dont le plus grand nombre semblaient être des supporters. Il est à noter que si la préfecture de police disposait d'informations précises sur le nombre et les trajets des supporters venant d'Espagne, transmises par l'Union des associations européennes de football (UEFA), cela n'était pas le cas concernant les supporters de Liverpool, incités par leur club à se rendre massivement à Paris, même dépourvus de ticket, sans que nous ayons d'indications précises sur une organisation de ce déplacement au niveau du club. Il y a donc eu une série de déplacements individuels, voire collectifs, non organisés, à l'inverse de ce qu'étaient les déplacements des supporters de Madrid.
Les premiers éléments venant des opérateurs de transport confirmaient ces arrivées et ont été à l'origine du chiffre de 30 000 à 40 000 personnes évoluant aux alentours du stade. C'est moi qui ai donné ce chiffre au ministre et je l'assume totalement. On peut discuter l'exactitude du chiffre qui figure dans les tableaux présentés par le ministre, car lorsque je parle de « 30 000 à 40 000 personnes », il s'agit en réalité de 34 000 individus, sur la base des indications qui nous ont été données ce soir-là par les opérateurs de transport et du constat que nous pouvions faire. J'observe que les enquêtes de presse qui ont été menées aboutissent à un chiffre légèrement inférieur, d'à peu près 24 000 personnes.
Cependant, sur le plan opérationnel, au-delà de plusieurs milliers de personnes évoluant en périphérie des barrages, l'ampleur exacte du chiffre n'était pas essentielle et ne l'est toujours pas. Le risque qu'une masse supplémentaire de personnes s'ajoute aux 10 000 à 15 000 individus déjà présents dans cette « queue Wilson » - si vous me permettez de la dénommer ainsi - était en soi une menace extrême qui, en se superposant à la difficulté d'une situation déjà grave, accroissait en quelque sorte le risque de perte de vies et de blessures graves.
Je veux vraiment souligner cet élément, car il a été le fil rouge de notre attitude tout au long de la soirée : sauver des vies et sauver des personnes.
Oui, j'ai donné l'ordre de lâcher le barrage et de laisser passer la foule sans s'y opposer par des manoeuvres de police. Une nouvelle fois, publiquement devant vous, j'assume cet ordre. Ce faisant, je laissais l'accès libre à l'espace autour du stade, alors qu'au moment de toutes les compétitions précédentes, il était filtré et donc inaccessible à des personnes aux intentions douteuses. C'est, à mon avis, ce qui a permis à 300 ou 400 individus - peut-être légèrement plus - de se livrer à des vols et à des dégradations, pendant que d'autres se tenaient en périphérie des gares, le dispositif ne présentant plus l'étanchéité suffisante ni la capacité dissuasive nécessaire pour empêcher ces vols.
En levant ce barrage, nous avons aussi levé progressivement les autres, puisque le public arrivait dans le dos des barrages nord et est, en venant du sud, et pouvait accéder au parvis du stade que l'on désigne aussi comme un mail. La foule pouvait y pénétrer largement, indépendamment de tout contrôle. Il fallait donc forcément lever les barrages qui ne servaient plus à rien.
Bien évidemment, les supporters anglais et d'autres se sont concentrés autour des portes d'accès au stade, par lesquelles ils devaient passer. Des incidents ont donc eu lieu aux portes Y, Z et A, qui ont été largement documentés. Les mêmes causes ont produit les mêmes effets, du moins selon la vision qui est la nôtre, à savoir celle de la police, car je ne sais pas exactement ce qui s'est passé en ce qui concerne les contrôles de billets. Ces portes ont menacé de lâcher et ont même parfois été franchies par des gens qui n'ont pas hésité à sauter par-dessus les portillons, voire par-dessus les grillages.
J'ai donc pris une seconde décision, celle de replier une grande partie du dispositif à l'intérieur du stade pour éviter son envahissement par des milliers de personnes, dont je ne savais pas si elles étaient autorisées ou non à y entrer. Si ces milliers de personnes étaient entrées dans le stade sans avoir le billet nécessaire, il n'y aurait tout simplement pas eu de match. Ce que nous avons fait, c'est permettre le match.
Ce qui m'intéressait, dans une vision policière, c'est bien évidemment que le match se tienne au niveau sportif, mais surtout que l'on ne se retrouve pas avec 70 000 personnes extrêmement mécontentes, qui auraient pu elles-mêmes provoquer, à ce moment-là, des mouvements de foule. Il est absolument nécessaire, quand un stade est plein, que le match se joue, pour éviter des évacuations et de nouvelles bousculades, c'est-à-dire pour éviter d'ajouter du désordre au désordre.
Afin de diminuer la pression de la foule sur les grilles et les tourniquets, il fallait faire reculer les gens. En effet, le sujet était encore et toujours le même : la pression, la pression, la pression ! Nous avons donc demandé aux gens de reculer, et force est de constater qu'il ne s'est rien passé. Alors, nous avons utilisé - vous l'avez mentionné, messieurs les présidents, et je l'assume aussi complètement - du gaz lacrymogène, seul moyen, à notre connaissance policière, pour faire reculer une foule, sauf à la charger. J'insiste sur ce point et je considère que cela aurait été une erreur grave de charger les gens.
L'utilisation du gaz lacrymogène a fonctionné. J'ai bien conscience que, ce faisant, ont été gazées des personnes de bonne foi - car il y avait des personnes de bonne foi prises dans cette foule - et parfois même des familles. J'en suis totalement désolé au nom de la préfecture de police, mais, je le redis, il n'y avait malheureusement pas d'autres moyens.
Cette action de police impérative n'interroge en rien la doctrine de maintien de l'ordre. Il me semble en effet, dans ce que j'ai vu des commentaires de presse, qu'il peut y avoir une confusion en la matière. Le débat sur la doctrine porte sur le fait de savoir si, dans une manifestation à risque, les forces de sécurité intérieure doivent se tenir à distance ou bien être au contact. Tout le débat sur le schéma national du maintien de l'ordre tournait autour de cet élément-là.
Depuis que je suis en poste - ma position est parfaitement claire sur le sujet et je l'ai exprimée publiquement -, je préconise, dans le cas où le risque de trouble à l'ordre public est fort, d'être au contact. Je me souviens des images du 1er mai 2018 sur lesquelles on voit que lorsqu'un espace est laissé aux casseurs, ceux-ci n'hésitent pas à l'occuper, à l'utiliser et à provoquer des destructions. Je défends donc effectivement cette nécessité d'être au contact et je l'ai recommandée dans le schéma national du maintien de l'ordre qui a été ainsi arrêté par le ministre.
En l'espèce, tel n'était pas le problème puisque nous étions d'ores et déjà au contact ; c'était même là toute la difficulté : être beaucoup trop au contact d'une foule qui nous pressait. Il ne s'agissait donc pas d'un débat de doctrine sur le maintien de l'ordre, mais tout simplement d'un problème de manoeuvre dans le maintien de l'ordre. Par conséquent, le sujet de la doctrine ne me paraît pas avoir de rapport avec les interrogations qui se posaient à nous, le seul mot d'ordre, qui prévalait absolument, étant de sauver des vies.
Une fois le match commencé, nous avons évacué ce que j'appelle le « parvis », c'est-à-dire les alentours du stade qui étaient protégés par notre système de barrages, en chassant les gens qui s'y trouvaient, notamment les 300 à 400 indésirables que j'évoquais précédemment. Nous avons effectivement utilisé pour cela des moyens intermédiaires de diverses natures, en particulier des grenades lacrymogènes. Toutefois, n'étaient pas concernés par cette évacuation les spectateurs qui entre-temps avaient pu entrer dans le stade, puisque celle-ci est intervenue une fois le match commencé.
À l'évidence - c'est du moins le sentiment que j'ai -, le groupe de ces « indésirables » - je les qualifie comme tels, mais l'on peut trouver d'autres noms, si vous le souhaitez - ne s'est pas dispersé et est resté aux alentours, dans la périphérie du stade.
Je vous confirme donc que la cause de la situation décrite tient au nombre très élevé de billets rejetés par les contrôles et vraisemblablement faux pour la plupart, sauf bien sûr si les organisateurs nous indiquaient une défaillance de leur système de contrôle, dont je n'ai pas connaissance, qu'elle porte sur les stylos chimiques utilisés aux barrages ou sur les dispositifs de tourniquet à l'entrée du stade. Je reconnais donc que, dès lors que nous avons levé le périmètre sécurisé, des troubles et des délits ont pu avoir cours aux abords du stade, puisque le dispositif qui avait été opérant à l'occasion de tous les matchs précédents ne l'était plus, pour la raison indiquée. Je revendique - et je me permets d'insister peut-être un peu lourdement sur ce point - le fait que les décisions prises étaient les seules qui pouvaient garantir l'intégrité physique des personnes et la tenue du match.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Je voudrais revenir un peu en amont sur la préparation de l'événement. Les deux ministres que nous avons reçus la semaine dernière ont fait état d'un certain nombre de réunions préparatoires, ce qui n'a rien de surprenant. Certaines de ces réunions ont été placées sous l'autorité du délégué interministériel aux jeux Olympiques et Paralympiques (Dijop) et d'autres sous votre « présidence » - je crois que c'est le terme utilisé par le ministre de l'intérieur et vous pourrez nous le confirmer. Je souhaiterais savoir comment ont été anticipés les risques, notamment lors des dernières réunions du 25 et du 27 mai, juste avant la finale, alors même que deux éléments nouveaux étaient portés à connaissance : d'une part, la grève du RER B et ses conséquences sur les flux de voyageurs à la sortie des deux gares et sur l'organisation des points de filtrage ; d'autre part, la note de la division nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH) qui faisait clairement état d'une présence massive de supporters de Liverpool, en plus de ceux qui avaient des billets. Quelles ont été les décisions prises et quelle a été l'évaluation de ces deux risques lors des réunions préparatoires, en particulier les deux dernières, celles du 25 et du 27 mai ?
M. Didier Lallement. - Vous avez raison de le rappeler, monsieur le président, la coordination de la préparation a relevé, comme pour tous les grands événements sportifs, de la responsabilité du délégué interministériel et la préfecture de police a participé à l'ensemble des réunions préparatoires dans lesquelles ont été évoqués tous ces sujets, notamment les risques de grève. Nous avons eu par ailleurs un certain nombre de réunions dans d'autres formats, en présence de différents acteurs, sur des points beaucoup plus précis.
Les éléments portant sur le nombre de supporters susceptibles de venir sont précisés dans la note de la DNLH, qui indique d'ailleurs un chiffre de 50 000 supporters, donc assez important. Par conséquent, la délégation interministérielle aux grands événements sportifs (Diges) avait prévu, avec mon complet accord, un dispositif de fan zone, dimensionné pour 44 000 personnes sur le cours de Vincennes, grâce à l'aide de la mairie de Paris que je tiens à remercier, et pour 6 000 personnes au niveau du parc de la Légion d'honneur, grâce à l'aide de la ville de Saint-Denis que je tiens également à remercier. Nous savions que notre dispositif de fan zone n'intégrerait pas la totalité des personnes sans billet puisque je vous parle, d'un côté, de 50 000 supporters et, de l'autre, de 44 000 personnes, la différence étant de 6 000 individus dont nous avons considéré qu'ils se rendraient dans différents cafés et endroits où l'on pouvait voir le match.
Les premières observations de la journée nous ont d'ailleurs donné raison, puisque des supporters de Liverpool étaient répartis un peu partout dans Paris et que leur attitude très pacifique a permis qu'il n'y ait que très peu d'incidents, même si un certain nombre d'entre eux étaient assez alcoolisés.
Pour répondre précisément à votre question sur l'anticipation de la grève, les expériences que nous avions eues précédemment nous montraient que, même en cas d'arrivée massive de supporters, le dispositif « d'accès D » - si vous me permettez de désigner ainsi les supporters sortant du RER D et allant vers cette fameuse rampe Wilson -, aussi étroit soit-il, permettait d'assurer la fluidité de la circulation - il est vrai qu'il n'y avait pas de contrôle de billets lors des événements passés que je prends ici en exemple.
Je suis donc parti du principe que nous ne mettrions en place des barrages pour faire dévier les gens sortant du RER D vers l'accès des supporters sortant du RER B, qui permettait d'accéder au stade par une avenue plus large, que si nous étions dans la situation d'une embolie du dispositif. Il est vrai que nous avons attendu jusqu'à 19 heures 15 pour mettre en place cette déviation des personnes sortant du RER D afin de les envoyer sur la voie d'accès du RER B - j'utilise cette terminologie pour essayer de me faire comprendre. Sans doute était-ce trop tardif. Nous aurions dû le faire un petit peu avant, car nous avons constaté que le nombre de personnes qui s'aggloméraient sur la rampe Wilson était beaucoup trop important. Nous aurions pu, sans doute, gagner un quart d'heure dans la manoeuvre pour alléger la pression causée par cette arrivée de supporters.
Toutefois, ce n'est pas tellement ce qui m'importait, car même si nous avions dévié le flux, entre 10 000 et 15 000 personnes étaient entassées sur cette rampe. Vous connaissez les lieux, la rampe passe sous l'A86, mais il fallait surtout tenir compte du tunnel qui passe sous l'A1, qui est un tout petit tunnel à gros facteur de risques. Ainsi est le Stade de France, ainsi a-t-il été conçu et ainsi les accès ont-il été constitués. La police peut beaucoup de choses dans ce pays, mais elle ne peut pas pousser les murs.
Je n'avais pas de raison de penser qu'un afflux de personnes, même dans cette configuration et même en cas de grève, aboutirait à cette situation. De notre côté, nous n'avions pas envisagé qu'à la présence de supporters sans billet s'ajouterait celle de personnes munies de faux billets.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Oui, ce point est important, car nous avons besoin de comprendre comment s'opère la coordination entre les différents acteurs - l'UEFA, la Fédération française de football et la préfecture de police, sous votre autorité -, notamment sur le plan de la gestion des flux. Qui décide de quoi et à quel moment ? Il est vrai qu'il est toujours plus facile d'analyser la situation à froid, mais il y avait trois points de filtrage à la sortie du RER D - vous me corrigerez si je me trompe - et huit ou neuf - je cite ces chiffres de mémoire - à la sortie du RER B, alors même que les flux de voyageurs allaient être inversés par la grève du RER B. L'organisation des points de filtrage a-t-elle été revue à l'occasion de l'annonce de cette grève ? Je me permets d'insister sur la question. Vous nous dites que cela n'a pas fait l'objet d'une nouvelle interrogation, en tout cas au moment où il y a eu cette annonce de grève ?
M. Didier Lallement. - Je vais revenir sur l'architecture de l'organisation du dispositif. Nous n'avions pas la charge des points de filtrage, donc je ne peux pas vous répondre sur cette question. Encore une fois, nous étions dans un dispositif antiterroriste en amont des points de filtrage et en renfort des personnels du stade au moment des bousculades. C'est-à-dire que nous arrivons en arrière du dispositif pour seconder les personnels lorsque cela commence à bousculer. Mais pendant tout le début de l'opération, nous sommes devant parce que notre problème, c'est un acte terroriste qui viendrait de l'extérieur, en amont du point de filtrage.
Je ne peux donc pas vous dire si, du point de vue de l'organisation du dispositif de contrôle des billets, des éléments ont été ou non pris en compte par les organisateurs. Vous allez les auditionner cet après-midi, ils sauront certainement vous répondre mieux que moi.
Notre organisation par rapport à cet événement était extrêmement classique. Nous ne gérions pas uniquement l'événement au Stade de France. Je pilotais dans la salle opérationnelle de la direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC) de la préfecture de police l'ensemble du dispositif, qui centralisait et synthétisait les informations venant des fans zones, car il fallait aussi gérer en même temps ces espaces. Au Stade de France, il y a un PC sécurité dans lequel il y a la police, les forces de gendarmerie qui sont mises à ma disposition et, bien sûr, les organisateurs du stade. J'avais confié ce poste de commandement à mon directeur de cabinet, secondé par l'inspecteur général Marsan, ici présent. C'est donc ainsi que m'étaient remontées les informations que je vous ai signalées à l'instant. Le contact avec les organisateurs se faisait au travers de ce PC dans lequel se trouvaient les responsables du Stade de France. Il y a donc eu des échanges, qui ensuite me remontaient. Mais au niveau de mon propre poste de commandement, de mon propre PC, je n'avais pas de contact avec les organisateurs.
Je note d'ailleurs, pour être parfaitement précis et parce que c'est important, que l'horaire que j'ai cité précédemment n'est pas 19 heures 15, mais exactement 19 heures 18.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - J'ai une question sur le chiffre, que vous avez cité dans votre propos liminaire, de 30 000 à 40 000 spectateurs supplémentaires qui n'avaient pas de billet ou qui avaient un faux billet. Ce chiffre, que vous êtes le premier à avoir avancé - il figure dans la note transmise par le ministre de l'intérieur que vous avez rédigée en date du 29 mai - fait débat et pose question. Certes, vous êtes prudent et vous précisez qu'il s'agit « sans doute » de 30 000 ou 40 000 personnes au-delà des 80 000 enregistrées dans le stade. D'où vient ce chiffre au moment où vous le transmettez au ministre ? Quelles sont les informations à votre disposition pour avancer un chiffre dont on sait qu'il va faire débat ? Quelles sont vos sources ?
M. Didier Lallement. - J'ai bien compris que ce chiffre faisait débat, c'est pourquoi j'ai pris la précaution de vous dire que j'en suis le seul responsable. Je vous donne les chiffres dont nous disposions au moment des événements. Ils remontaient, bien évidemment, du constat des opérateurs de transport : ce n'est pas moi qui compte le nombre de personnes dans les wagons.
Ils remontent également du dispositif que nous avions mis en place puisque je suis responsable de la police des transports. Nous avions donc des équipes déployées dans l'ensemble du dispositif de transport conduisant au Stade de France, tant sur le RER B que sur le RER D ou sur les lignes de métro. Ce sont des effectifs de la police des transports, qui dépendent de la direction de la sécurité publique de la préfecture de police.
J'avais donc à ma disposition des chiffres émanant des opérateurs, mais également des fonctionnaires de terrain, qui nous ont permis de faire le constat d'éléments de volume. C'est une procédure classique : on évalue par rapport à ce que l'on connaît.
Encore une fois, ce chiffre n'avait pas une vertu scientifique. Il s'agissait simplement de la remontée d'une information, laquelle était absolument capitale, à savoir que le nombre de personnes excédait largement la contenance du stade. Par conséquent, si ces personnes avaient toutes fait pression sur les barrages, puis ensuite sur les portes, nous aurions eu d'extrêmes difficultés...
Peut-être me suis-je trompé en transmettant au ministre le chiffre de 30 000 à 40 000 personnes. D'ailleurs, nous avons essayé de le reconstituer : le ministre vous a fourni dans un PowerPoint des éléments de calcul reconstitués avec les opérateurs. Jamais je n'ai prétendu que ce chiffre était parfaitement juste, mais il me paraît totalement refléter l'état de la situation.
Encore une fois, jamais il n'a été affirmé que 30 000 à 40 000 personnes se trouvaient strictement aux abords du stade. Je crois même avoir dit le contraire. J'ai lu dans les journaux que, aux dires de gens de bonne foi, personne n'avait compté 30 000 à 40 000 personnes devant les portes du stade. Mais nous non plus n'avons jamais compté 30 000 à 40 000 personnes devant les portes du stade ! On subodorait leur nombre uniquement sur la périphérie de nos barrages, c'est-à-dire aux arrivées, au regard des éléments fournis par les opérateurs.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Pouvons-nous, quinze jours quasiment après l'événement, avoir aujourd'hui des chiffres plus précis sur le nombre de personnes aux abords des points de filtration ?
M. Didier Lallement. - Je vous ai donné tous les chiffres à notre disposition dans le PowerPoint présenté par M. le ministre. Les opérateurs pourront certainement, mieux que moi, vous fournir des éléments plus précis. Mais nous les avons interrogés. Encore une fois, contrairement à ce que j'ai pu entendre dire, ces chiffres ne sortent pas de nulle part et ne sont pas nés de mon imagination. J'ai bien compris qu'il s'agissait d'un sujet politique, même si, pour ma part, je l'appréhende d'une façon opérationnelle. Or, d'un point de vue opérationnel, qu'il y ait eu autour du stade 40 000, ou 30 000, ou 20 000 personnes, cela ne changeait rien au fait que des dizaines de milliers de personnes étaient susceptibles de rentrer dans le dispositif. C'était cela, l'information absolument essentielle. Effectuer un décompte à 5 000 personnes près n'avait, en termes opérationnels, pas grande importance.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Je rebondis sur ce que vous venez de dire. D'abord, nous sommes étonnés que les chiffres annoncés ne soient pas aujourd'hui corroborés par les images de vidéo-surveillance. Or le stade est parfaitement équipé de ce genre de dispositif... Ma question porte sur la note de la DNLH du 25 mai 2022. Dans un premier temps, en début d'audition, le ministre nous a dit ne l'avoir jamais vue. Puis, en cours d'audition, il a reconnu en avoir eu connaissance. Où est la vérité ?
M. Didier Lallement. - La vérité est très simple. D'abord, le ministre ne vous a jamais dit qu'il ne l'avait jamais vue ; il vous a dit que le préfet de police ne l'avait jamais eue, sur la base de ce que je lui avais indiqué. Or je l'avais eue, même si, à titre personnel, je ne l'avais jamais vue. Le ministre vous a simplement répété ce que je lui avais dit.
Je lui ai ensuite fait savoir en cours d'audition que la préfecture de police avait bien reçu cette note. Très franchement, je ne l'avais pas lue, pour une raison qui tient à nos procédures : nous avons une direction du renseignement qui reprend l'ensemble des éléments qui lui sont fournis et qu'elle synthétise dans des notes propres à ladite direction. Les éléments de la note de la DLNH étaient parfaitement connus de nous, mais quant à la note elle-même, portant le timbre DLNH - j'ai dit la vérité, monsieur le président, car je la dis toujours -, je ne l'avais jamais vue.
En tout état de cause, le ministre n'a jamais dit qu'il n'avait pas vu cette note. J'ai écouté son audition : il vous a dit que le préfet de police ne l'avait pas vue. Je lui ai ensuite envoyé un SMS, considérant que je m'étais mal exprimé, pour l'informer que la note avait bien été reçue, mais qu'elle n'avait pas été lue par moi. Tout cela n'a pas grande importance, l'essentiel étant que l'information soit fournie par les services de renseignement ; et ces éléments étaient bien dans les notes de la direction du renseignement de la préfecture de police. On peut épiloguer pour savoir si c'est sous le bon timbre ou pas, mais peu importe : j'avais ce niveau d'information.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - On relira la déclaration du ministre. Il s'était positionné en disant qu'il n'avait pas eu connaissance de cette note. Qu'il s'agisse ensuite de lui ou de vous, peu importe : il n'avait pas cette information. Puis il a corrigé ses déclarations... Je ne partage pas tout à fait votre point de vue : cette note est malgré tout assez intéressante en termes de chiffres, de quantum et de risques annoncés. Je trouve - c'est un avis strictement personnel - qu'elle conditionne tout de même les circonstances de cet événement. Elle pouvait aussi permettre d'envisager la situation sous un angle un peu différent.
M. Didier Lallement. - Soyons clairs, j'avais ces éléments. Vous me parlez de la forme, moi je vous parle du fond : ces éléments, sur le fond, ont été portés à ma connaissance par la direction du renseignement de la préfecture de police, laquelle puise ses informations auprès de toute une série de sources, dont celles de la DLNH. Donc, je le redis, je disposais de ces éléments.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Ces éléments ont-ils fait l'objet de discussions avec les organisateurs au moment des réunions préparatoires des 25 et 27 mai ? C'est tout de même un point important, dont on a vu les conséquences le jour du match.
M. Didier Lallement. - Pas à ma connaissance. Pour ce qui est des informations sur le nombre de personnes susceptibles de venir, oui. Sur la note en elle-même, je ne crois pas.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Une question presque naïve : la garde montée était-elle présente ce soir-là au Stade de France ? On sait en effet qu'elle est régulièrement présente lors des matchs, et nous connaissons les effets sécurisants de sa présence.
Par ailleurs, on a évoqué précédemment le nombre de 400 ou 500 personnes que je qualifierais volontiers de délinquants ou de personnes susceptibles de commettre des infractions. Quelle a été la réponse pénale ? Quid du nombre d'arrestations et des poursuites engagées ? Quelles ont été les instructions données pour lutter contre ceux qui ont fait les poches des uns et des autres ?
M. Didier Lallement. - Oui, il y avait une dizaine de fonctionnaires à cheval, comme c'est classiquement le cas lors des matchs.
En ce qui concerne la réponse pénale, les magistrats pourront vous répondre mieux que moi.
Nous avons effectué un certain nombre d'interpellations - elles ont été communiquées par le ministre -, tant aux abords du stade qu'à la périphérie. J'ai vu poindre dans le débat public une question : pourquoi n'avons-nous pas interpellé les supporters qui avaient un faux billet ? Effectivement, nous ne l'avons pas fait, car nous nous sommes concentrés sur ce qui semblait essentiel, à savoir les délits que nous constations.
J'ai choisi de ne pas interpeller les individus présentant un faux billet. Très franchement, au moment des faits, nous ne pouvions pas savoir s'il s'agissait d'une infraction ou d'un délit. Je préfère être clair, car c'est une critique que j'ai pu entendre ici ou là : nous n'avons interpellé personne pour ce motif parce qu'aucun élément ne nous permettait de le faire sur le plan pénal.
M. Michel Savin. - Monsieur le préfet, vous avez indiqué que 30 000 à 40 000 personnes avaient un billet falsifié ou n'avaient pas de billet. Je voudrais revenir sur la photo qui a été publiée par TF1 à 20 heures 58.
Ma question est simple : où se trouvaient, à 20 heures 58, c'est-à-dire deux minutes avant le début du match, les 30 000 à 40 000 personnes dont vous faites état ? Ce n'est pas qu'un problème politique, monsieur le préfet !
M. le ministre de l'intérieur nous a dit que la présence de 30 000 à 40 000 spectateurs en dehors du stade à 21 heures était la principale cause du report du match. Or, sur les images, nous ne les voyons pas. Quelle était la réponse à apporter à cette question, sachant qu'à 21 heures, 10 000 supporters anglais n'étaient toujours pas entrés dans le stade ? Ce n'est pas anodin, c'est une vraie question : M. le ministre, qui met en avant la présence de ces personnes pour expliquer le report du match, se trompe-t-il ?
L'UEFA et la Fédération française de foot parlent de 2 800 faux billets scannés aux tourniquets d'entrée du stade. J'ai bien compris que vous ne pouviez pas nous donner de chiffres, mais pouvez-vous confirmer les propos du ministre de l'intérieur selon lesquels entre 57 % et 70 % des tickets présentés aux points de pré-filtrage étaient frauduleux ?
Des débordements ainsi que des actes de délinquance et d'agression se sont déroulés autour du stade. M. le ministre a expliqué ces débordements par la présence de milliers de supporters de Liverpool sans billet ou avec de faux billets. Partagez-vous cet avis ?
M. Didier Lallement. - Monsieur le sénateur, je n'ai pas regardé la photo de TF1, mais je crois avoir donné tout à l'heure des indications assez précises. Les 30 000 à 40 000 personnes dont j'ai fait état n'étaient pas situées aux abords stricts du stade. J'ai expliqué qu'elles se trouvaient au-delà des barrages, lesquels n'étaient pas placés à l'entrée du stade : ils servaient à contrôler l'accès au parvis du stade.
Bien évidemment, il n'y avait pas 30 000 à 40 000 personnes devant les portillons du stade. Jamais personne n'a dit ça ! Je fais simplement état des observations et des comptes rendus que j'ai transmis au ministre. Il me semble, d'ailleurs, que ce dernier a été assez clair sur cette question.
Je ne crois pas que quiconque ait dit qu'il s'agissait de la principale cause du report du match. Selon l'UEFA et la Fédération française de football, le match a été reporté parce que tous les spectateurs n'étaient pas encore entrés dans le stade, notamment les supporters anglais, ce qui se constatait aisément en regardant les gradins du stade. S'ils n'étaient pas tous là, c'est qu'ils étaient à l'extérieur. Où étaient-ils ? En partie devant le stade, mais certains étaient ailleurs. Où exactement, je l'ignore ! Quoi qu'il en soit, leur absence a expliqué la décision du monde sportif de reporter le début du match.
Notre grande crainte était qu'effectivement il arrive d'autres supporters qui fassent encore plus pression sur le dispositif de contrôle, déjà en difficulté aux stricts abords du stade. Car le problème était, à ce moment-là, de savoir combien d'entre eux auraient un billet valide.
Sur les chiffres des pré-barrages et la validité des billets, il faut être précis. Il y a eu deux types de contrôle : le pré-contrôle, effectué avec une sorte de stylo chimique qui confirme la validité du billet - les organisateurs vous l'expliqueront mieux que moi -, puis le contrôle au portillon, comme cela se passe n'importe où.
Ce qui a été dit, et ce dont le ministre a fait état, c'est que le pré-contrôle a fait apparaître jusqu'à 70 % d'erreurs, un niveau si élevé que les organisateurs ont douté de la fiabilité même de ces stylos chimiques ; ils vous l'expliqueront. Personne n'a dit qu'il y avait eu 70 % de faux billets : nous avons simplement fait état de difficultés au moment du pré-filtrage. Il faut être précis, de même qu'il ne faut pas laisser penser que 40 000 personnes se seraient massées devant le stade...
M. Michel Savin. - Voici ce qu'a dit le ministre : « La délinquance a tenu au fait qu'il y avait des milliers et des dizaines de milliers de personnes en plus qui ne rentraient pas dans le stade. »
Vous nous dites qu'à 21 heures, il n'y avait quasiment personne devant le stade. Ce n'est pas la même chose...
M. Jérôme Durain. - Dans cette affaire, on nous dit que la faute incombe à tout le monde : les faux billets, les supporters trop nombreux, la Seine-Saint-Denis, dont un candidat à la présidentielle assène qu'elle est un territoire perdu de la République... Cependant, au sein même du ministère de l'intérieur, des questions visent la doctrine de l'usage de la force publique ; mais vous prétendez qu'elles sont hors sujet.
Un syndicaliste nous a dit que la préfecture de police de Paris voulait garder pour elle seule le coeur du maintien de l'ordre en activant les brigades de répression des actions violentes (BRAV) et les brigades anti-criminalité (BAC), plutôt que d'associer les gendarmes mobiles et les CRS. Ce syndicaliste nous a même dit que Paris était le seul territoire où la gendarmerie et les CRS n'étaient pas invités à la conception des opérations de maintien de l'ordre. Ma première question porte donc sur la doctrine de l'usage des forces.
Ma deuxième question porte sur la préparation elle-même. Nous entendons des choses assez confuses sur le fait que vous ayez, ou pas, tenu compte de telle ou telle note pourtant importante... La ville de Saint-Denis va produire une contribution écrite, qu'elle transmettra au préfet Michel Cadot, sur l'accès au stade, parce qu'il y a eu manifestement des innovations. Vous nous dites que vous ne pouvez pas pousser les murs. Certes, ces murs sont dans l'architecture du site, et il faut donc en tenir compte. Mais avez-vous pris en cours de soirée des initiatives sur le pré-filtrage ayant contribué aux difficultés d'accès au stade ?
Enfin, s'agissant de l'aide apportée aux supporters anglais en matière de dépôt de plainte, si les choses paraissent claires pour ce qui est des actes de délinquance qu'ils peuvent avoir subis, elles paraissent plus compliquées concernant les actes déplacés et les éventuelles erreurs des forces de l'ordre, en particulier lors des sommations. Quels correctifs pensez-vous pouvoir apporter au formulaire de dépôt de plainte ?
M. Didier Lallement. - Je pensais avoir été clair, mais je veux bien le répéter : je suis seul responsable de l'ordre public et de la sécurité, j'assume la totalité des décisions prises et des conséquences de la situation. Je ne sais pas comment vous le dire mieux.
Comment se préparent les grands événements sur l'aspect policier ? J'entends qu'il y a des critiques, mais les choses se passent ainsi : quand un événement est prévu, la DOPC de la préfecture de police de Paris le prépare et me présente plusieurs variantes, que j'examine avec mes services. Nous quantifions les effectifs que nous comptons déployer - d'abord nos effectifs propres, car c'est une spécificité de l'agglomération parisienne que d'avoir ses propres systèmes d'ordre public -, puis je demande des renforts au ministère de l'intérieur. Ensuite, je présente ce dispositif à l'ensemble des commandants d'unités engagées. Je le fais personnellement depuis trois ans et demi, et chacun peut faire les remarques qu'il juge nécessaires ; il n'y en a pas eu dans le cas d'espèce.
On peut critiquer le plan que nous avons retenu, mais il faut savoir qu'en matière d'ordre public et d'événement engageant des centaines de personnes chargées de l'ordre public, croyez-moi, les choses ne se passent jamais comme prévu et l'on doit modifier en permanence le plan initial.
Sur les plaintes, je vous ai déjà répondu. Des supporters anglais et espagnols se sont fait avoir en achetant de faux billets. Nous entendons les aider à porter plainte ; cela nous aidera à trouver les responsables de cette fraude massive.
Sur les personnes en attente, je crois aussi avoir été très clair, mais je veux bien préciser mon propos. Les 30 000 à 40 000 personnes dont a parlé le ministre étaient en amont du pré-filtrage, même s'il y avait un nombre important de gens qui attendaient d'entrer dans le stade puisqu'on a compté 15 000 personnes manquantes dans le stade à 21 heures... Vous faites état d'une photographie, mais les choses se sont déroulées en plusieurs temps, entre l'avant-match et la situation une fois le match commencé.
M. David Assouline. - En préambule, monsieur le préfet, je tiens à souligner que la distribution des places est une opération importante. Tant qu'il y aura 20 000 places pour chacun des clubs, 29 000 places pour les VIP, 6 000 pour les personnes accréditées par l'UEFA et seulement 6 000 places pour le public, avec des places à 800 euros et plus, on dira au peuple qu'il n'est pas le bienvenu dans le stade, ce qui continuera d'avoir pour effet de fabriquer des exclus mécontents, que la police devra contenir et gérer. Tout cela ne va pas sans poser de problème à notre démocratie elle-même...
Vous avez été placé dans cette situation, que vous pouviez anticiper puisqu'une note de vos services vous avait alerté que plusieurs centaines de personnes, à tout le moins, chercheraient à forcer les tourniquets pour entrer dans le stade. Cependant, alors que vous en étiez prévenu, vous prenez la décision de lever les barrages. Pourquoi une telle décision, alors que vous saviez que plusieurs centaines de personnes au moins allaient tenter de forcer les tourniquets ? Vous dites que votre dispositif était tourné contre la menace terroriste, ce qui est surprenant étant donné les circonstances. Il n'en reste pas moins que la question se pose : pourquoi votre décision de lever les barrages ?
Une autre question, ensuite, que j'ai déjà posée au ministre de l'intérieur, sur la doctrine du maintien de l'ordre. Il ne faut pas prendre les parlementaires pour des imbéciles : il y a bien un débat en la matière, le ministre l'a reconnu. Or vous nous dites que vous n'aviez pas d'autre choix que le gaz pour disperser les gens, y compris ceux qui n'étaient pour rien dans la situation. Cela se passe aussi lors des manifestations, où les gens sont « nassés » et où, pour quelques fauteurs de trouble, des personnes venues exercer leur droit de manifester se trouvent à leur tour gazées et prises dans un tourbillon organisé par les forces de l'ordre. On l'a vu encore très récemment à la gare de l'Est...
M. Laurent Lafon, président. - Posez votre question, s'il vous plaît.
M. David Assouline. - Le ministre Gérald Darmanin m'a dit qu'il me communiquerait les télégrammes échangés entre la préfecture et les unités sur place au Stade de France, mais je ne les ai toujours pas reçus. Pourquoi ne m'ont-ils pas été communiqués ? Êtes-vous disposé à me les communiquer ?
Mme Esther Benbassa. - Quelles conséquences tirez-vous de ce qui s'est passé lors de ce match, en prévision des événements importants à venir ? C'est important pour redresser l'image de la France, à la veille des jeux Olympiques.
J'ai entendu dire que la présence de policiers pouvait impressionner, voire décourager les plaignants dans nos antennes diplomatiques en Espagne et en Angleterre. Dès lors que cette présence policière peut intimider voire décourager les plaignants, ne pensez-vous pas qu'il faudrait procéder autrement ?
M. Didier Lallement. - Je ne sais pas si vous me visiez, mais je ne prends certainement pas les parlementaires pour des imbéciles. Peut-on vous fournir les télégrammes dont vous parlez ? Sans aucun doute, et je suis navré du délai. Mais je m'inscris en faux contre l'idée que, lors des manifestations, les forces de l'ordre organiseraient un « tourbillon » contre l'exercice du droit de manifestation. Les choses ne se passent pas ainsi dans notre pays et ce ne sont pas les forces de l'ordre qui sont à l'origine des troubles dans les manifestations.
Oui, nous allons tirer les conséquences de ce qui s'est passé. Nous l'avons déjà fait lors du match France-Danemark, pour lequel nous avons adapté notre dispositif. Nous continuerons à le faire et nous travaillons sur les jeux Olympiques, forts de cette expérience.
Vous me demandez de ne pas poster de policiers dans nos antennes diplomatiques à Madrid, Londres et Liverpool pour recevoir les plaintes ? Je ne crois pas que les policiers fassent peur... En tout état de cause, les plaintes peuvent être déposées en ligne et directement auprès du tribunal de Bobigny. Nous encourageons à déposer plainte, pour nous aider dans l'enquête sur la fraude et pour identifier ceux qui ont provoqué ce chaos. J'ai moi-même saisi le procureur de la République pour qu'il ouvre une information judiciaire.
M. Olivier Paccaud. - Nous ne sommes ni juges ni arbitres. Nous ne sommes pas là pour épiloguer, pour reprendre votre mot, monsieur le préfet. Je vous écoute, et certains mots me choquent, par exemple quand vous dites avoir « subodoré » le nombre de personnes autour du stade... Notre but n'est pas de brandir un carton rouge, mais d'éviter qu'une telle situation ne se reproduise.
Dans votre propos liminaire, vous nous avez surtout parlé de ce qui s'était passé le jour du match, en reconnaissant que la gestion du maintien de l'ordre avait été un échec. Cela, nous le savons, la France et même le monde entier l'ont vu. Mais il ne faut pas être grand clerc pour savoir que la préparation d'un événement de cette importance commence avant le jour du match ; c'est aussi là que nous avons des questions.
D'abord, sur la notion de « match à risque ». Quand le ministre nous a dit que le match Nantes-Nice était classé comme plus risqué que Madrid-Liverpool, j'avoue que les bras m'en sont tombés. C'est incompréhensible : si tel est le cas, qui donc a pris la décision d'un tel classement ?
Sur le dispositif policier, ensuite, le ministre nous a dit que les effectifs étaient suffisants pour le maintien de l'ordre, mais il a reconnu que ceux de l'anti-criminalité avaient peut-être été insuffisants. Le paradoxe, c'est que ces effectifs étaient deux fois plus nombreux pour le match Nantes-Nice, 326 contre 164, alors que la finale européenne était censée être moins à risque que la finale de la coupe de France : n'est-ce pas le signe que vous vous attendiez à des problèmes ?
Sur les points de pré-filtrage et les barrages, enfin, la ministre des sports a fait un mea culpa en reconnaissant que la signalétique aurait pu être meilleure et que des déviations auraient été utiles. Vous nous dites, quant à vous, que vous n'étiez pas en charge de la sécurité sur ces points de filtrage. Or vous étiez bien responsable de la sécurité de l'ensemble, et vous vous êtes aperçu assez vite qu'il y avait un gros problème sur ces points de filtrage en nombre insuffisant. Pourquoi ne pas avoir réorienté plus tôt les supporters ? Pourquoi avoir attendu 19 heures 15 pour le faire ? Vous dites assumer toute la responsabilité des désordres ; j'attends donc des explications claires sur ces points.
M. Jean-Yves Leconte. - Une remarque, tout d'abord : la Grande-Bretagne ne faisant pas partie de l'espace Schengen, nous aurions dû disposer d'informations plus précises sur les supporters anglais, plutôt que les approximations dont on parle aujourd'hui concernant l'avant-match.
Je suis très surpris, ensuite, que vous écartiez toute remise en cause de votre schéma de maintien de l'ordre, tout en disant que vous n'aviez pas d'autre choix que de gazer des personnes sur place qui n'étaient pour rien dans les troubles. N'y a-t-il pas là une difficulté, surtout quand on voit que des règles d'emploi des gaz n'ont pas été respectées ? Y a-t-il des problèmes de formation des agents du maintien de l'ordre ? Quelles conséquences en tirez-vous ?
Vous encouragez à porter plainte, mais le formulaire de pré-plainte en ligne ne comporte rien sur l'action de la police elle-même, rien sur l'emploi des gaz lacrymogènes, par exemple. Pourriez-vous adapter ce formulaire pour qu'il corresponde davantage à la réalité ?
Enfin, comment expliquez-vous qu'il y ait eu très peu de comparutions immédiates, par rapport au nombre d'interpellations ?
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Au fil des auditions, nous identifions trois séquences chronologiques, et dans chacune d'elle des problèmes, sur lesquels vos propos sont parfois décalés par rapport à ceux du ministre.
D'abord, s'agissant de l'amont, la préparation d'avant-match, nous constatons des problèmes d'anticipation et de coordination. Nous avons demandé les comptes rendus de toutes les réunions de préparation, et nous ne savons pas encore précisément comment les choses se sont passées, quant à la participation ou non de la gendarmerie à ces réunions, au rôle que vous y avez joué personnellement. Comment la préparation s'est-elle déroulée, précisément ?
Pendant le match, ensuite, il semble qu'il y ait eu confusion entre gestion de foule et maintien de l'ordre. Les forces de l'ordre ont utilisé des gaz lacrymogènes, suivant manifestement une doctrine qui vous est familière - on l'a vu encore à la gare de l'Est, à Paris -, qui n'est pas celle qu'utilisent d'autres pays, par exemple l'Allemagne et la Grande-Bretagne, et que les policiers n'acceptent pas tous comme allant de soi. David Le Bars, secrétaire général du syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN), a dit qu'il aimerait connaître les ordres qui ont été donnés sur les ondes. L'inspection générale de la Police nationale (IGPN) a été saisie de deux gestes inappropriés et disproportionnés, selon l'expression du ministre de l'intérieur. Il semble bien que les policiers n'aient pas l'intention de porter le chapeau !
Pour ce qui est de l'après-match, enfin, nous constatons une grande confusion dans les explications, de la précipitation, du flou dans les informations qui nous sont communiquées. Depuis le début de nos travaux, je ne sais toujours pas où étaient les 30 000 supporters excédentaires dont on nous a parlé. Je les cherche mais, à vous écouter, je comprends qu'ils n'étaient tout simplement pas là !
Il y a donc eu des fautes avant, des problèmes pendant, et du flou après. Vous constatez vous-même que c'est un échec et vous dites n'éluder aucune de vos responsabilités. Quelles conséquences en tirez-vous donc à titre personnel ?
M. Didier Lallement. - Dans mon intervention liminaire, j'ai effectivement parlé des faits qui se sont produits le soir du match, et pas de la préparation dans son détail. Celle-ci a comporté, à ma connaissance, plus d'une douzaine de réunions préparatoires.
Quatre réunions ont été présidées par le délégué interministériel à la sécurité, avec l'ensemble des intervenants, des réunions structurantes dont le cadre est défini. J'ai présidé cinq réunions préparatoires à la préfecture de police. Cinq autres réunions préparatoires ont été présidées par mon directeur de cabinet. À quoi s'ajoutent d'autres réunions préparatoires à la préfecture de Seine-Saint-Denis - au moins une dizaine - ; je n'ai pas la liste exhaustive, elles ont été nombreuses, en plusieurs phases.
Mais votre question porte plutôt sur le fait de savoir si la préparation a été bien faite, ou pas. Quand je parle d'échec, c'est parce que nous avons eu une difficulté face à ces 30 000 à 40 000 personnes qui étaient non pas dans le stade, mais à l'extérieur, avant le pré-filtrage. Les opérateurs nous avaient communiqué ces chiffres. Quand j'emploie le verbe « subodorer », qui est peut-être malheureux, il signifie que nous avions l'idée de plusieurs dizaines de milliers de personnes présentes au-dehors - le chiffre que j'ai communiqué était de 34 000 personnes -, dont le nombre a varié puisque certaines entraient dans le stade. C'est cela qui nous inquiétait sur le moment. Quant aux fan zones, les opérateurs nous disaient qu'il y avait quelque 44 000 personnes sur la fan zone anglaise à Paris...
J'en viens à la doctrine d'emploi. Quand une foule s'agglomère et fait pression, je ne connais pas d'autres moyens pour la faire reculer que les gaz lacrymogènes ou la charge. Les ordres qui ont été donnés, y compris dans le cas que vous avez cité de la gare de l'Est, étaient de ne pas charger, parce que j'ai considéré que cela aurait été dévastateur. Et quand on ne charge pas, il ne reste plus que l'emploi du gaz pour faire reculer une foule qui fait pression.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Le ministre a parlé de gestes inappropriés !
M. Didier Lallement. - L'emploi de gaz lacrymogènes était nécessaire, j'assume entièrement cette décision. Ensuite, il y a eu des gestes inappropriés parce qu'il peut toujours y en avoir, malheureusement, dans ce type d'événement, quand des fonctionnaires se laissent aller par l'énervement du moment à des gestes qui manquent de professionnalisme.
On m'a rapporté deux de ces gestes, les enquêtes sont en cours. Il faut être très précis.
Dans l'un des deux cas, sur les images, on voit le fonctionnaire de police gazer une personne qui vient vers lui et qui paraît être un supporter anglais. Mais les séquences qui tournent sur les réseaux sociaux omettent de montrer que cette personne vient juste après d'autres, qui s'introduisaient frauduleusement dans le stade par un escalier. Le fonctionnaire a confondu ce supporter avec les autres et l'a gazé, ce qui manquait de professionnalisme. Dans l'autre cas, le geste a lieu lors d'un barrage. Ces deux gestes font l'objet d'une enquête.
Je crois que dans une opération de cette importance, au vu du nombre de fonctionnaires engagés et de la durée du dispositif, le fait qu'il n'y ait eu finalement que deux gestes apparemment inappropriés est surtout une preuve de la qualité des fonctionnaires, de leur efficacité et de leur déontologie. Je ne laisserai pas des fonctionnaires être mis en cause ; si vous devez vous en prendre à quelqu'un, prenez-vous-en à moi.
Pour ce qui est du classement des matchs, la rencontre Madrid-Liverpool était classée de niveau 3, et celle entre Nantes et Nice de niveau 4.
M. Olivier Paccaud. - C'est incompréhensible, d'autant que la note de la DNLH vous avait alerté sur les risques...
M. Didier Lallement. - Cette note a beaucoup de qualités, mais elle ne permet pas de prédire l'avenir. Or il nous manquait cette information décisive : l'utilisation massive de faux billets. Vous pouvez m'en faire reproche, mais si nous nous attendions à ce qu'il y ait des faux billets, nous n'avions pas prévu que la fraude puisse être aussi massive.
Vous vous étonnez que nos forces aient été en formation « antiterroriste ». Mais elles ne sont pas restées passives face aux désordres. Nous sommes venus en appui des stadiers qui avaient la responsabilité des points de pré-filtrage, et nous nous sommes placés derrière eux pour les soutenir. Et lorsqu'ils ont été débordés, si j'ai pris la décision de lever le barrage, c'était pour éviter un drame. Et c'est bien parce que je suis responsable de la gestion de la foule que j'ai pu prendre cette décision - une décision que j'assume complètement.
Le formulaire de dépôt de plainte en ligne est standard : c'est celui que l'administration française utilise en général. Je l'ai fait traduire en anglais et en espagnol, mais je ne l'ai pas fait adapter au cas d'espèce. Il est vrai que ce document est un peu compliqué à remplir, avec beaucoup de cases à cocher, ce qui est bien français... Vous me prenez de court ; je vais regarder si nous gagnerions à l'adapter.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Quelles conséquences tirez-vous de cet échec, à titre personnel ?
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Monsieur le préfet, vous pourrez répondre à Mme de La Gontrie lorsque je vous redonnerai la parole.
Nous avons examiné le formulaire de pré-plainte, il gagnerait effectivement à mentionner le lieu, par exemple, et à être plus précis sur la nature des infractions.
M. Thomas Dossus. - Votre réponse sur l'emploi des gaz lacrymogènes n'est pas satisfaisante. On ne peut vous laisser dire qu'il n'y a pas d'alternative à cet emploi, alors qu'à votre place, la semaine dernière, le ministre de l'intérieur nous disait envisager un changement de doctrine pour l'usage de ces gaz, en particulier dans la perspective des jeux Olympiques. Il y a donc un désaccord entre vous et le ministre.
Chacun avait compris dans notre pays qu'il devait s'attendre à être gazé lorsqu'il allait manifester. C'est désormais également le cas quand on va au stade, et même quand on attend le bus ! Ne pensez-vous pas qu'il y a des abus, qui retombent finalement aussi sur ces malheureux agents dont les gestes inappropriés sont filmés ?
On ne peut se contenter de vos réponses, il faut parler de doctrine d'emploi de ces gaz. D'autres méthodes sont possibles. Est-ce que les sommations ont été faites en anglais ? Quel a été le dialogue avec les supporters anglais ? Beaucoup de témoins disent qu'il n'y en a pas eu, mais vos agents pouvaient-ils au moins communiquer en anglais ? Quelles conséquences pour la formation des agents, et pour le maintien de l'ordre lors de grands événements internationaux ?
M. Jacques Grosperrin. - Vous dites bien que vous êtes le seul responsable opérationnel. Et, à trop le dire, on sent bien qu'il en va aussi de la responsabilité du président de la République qui a accepté d'organiser ce match en trois mois, alors qu'il aurait fallu, on le sait, dix-huit mois. On sent bien également, en creux, que vous êtes prêt, en tant que haut fonctionnaire, à vous placer sur l'autel pour être sacrifié...
Cependant, lorsque vous dites que le match n'avait pas été classé au plus haut niveau du risque, c'est grave, car les supporters de Liverpool sont connus pour se déplacer en masse et sans billets, et pour essayer régulièrement de s'infiltrer. Votre mission, dites-vous, est de faire reculer la foule qui se presse, mais le problème se pose en amont.
Vous dites que vous ne saviez pas précisément ce qui se passait au niveau du contrôle des billets. Y a-t-il eu un problème de coordination entre la sécurité du stade et les forces de l'ordre ? Certains parlent de dysfonctionnements dans la chaîne de commandement. Y aurait-il eu - je n'ose le croire - des consignes contradictoires de ne pas intervenir sur les fauteurs de troubles ? Vous encouragez à porter plainte. Mais le faites-vous aussi concernant l'usage des gaz lacrymogènes ?
Si vous ne répondez pas à ces questions, j'entendrai votre gêne à vous exprimer sur ces faits.
M. Guy Benarroche. - Quitte à faire passer les parlementaires pour des gens qui ont besoin de poser plusieurs fois la même question, je veux vous interroger sur votre choix d'utiliser les gaz.
Vous dites qu'une fois votre décision prise de lever le barrage, il n'y avait pas d'autre choix possible, étant donné la répartition de vos forces, que de gazer des personnes qui n'avaient aucune raison d'être traitées ainsi. Et vous ajoutez, ce qui ne laisse pas de me surprendre, que si c'était à refaire, dans six mois ou dans trois ans, vous le referiez ! Je repose la question de mon collègue Thomas Dossus : n'y a-t-il pas, dans la doctrine du maintien de l'ordre, d'alternative à cette façon de gazer des gens qui ne sont pour rien dans les désordres ?
M. Éric Kerrouche. - D'après nos informations, vous disposiez pour cet événement de 33 unités de forces mobiles, ce qui représenterait environ le tiers des effectifs de nos forces nationales, mais vous avez choisi d'en déployer 10 seulement sur le Stade de France. Pourquoi ce choix stratégique, alors que vous saviez manifestement que des personnes extérieures allaient se concentrer sur le stade ? Ensuite, vous avez choisi de déployer la BRAV sur le stade, alors qu'elle n'est manifestement pas la plus adaptée pour ce genre d'événement, moins en tout cas que les CRS. Pourquoi ce choix ?
Mme Alexandra Borchio Fontimp. - Nous sommes tous conscients de l'enchaînement de dysfonctionnements qui a mené à ce chaos dont la France se serait bien passée, à quelques encablures des jeux Olympiques. Il en va du rayonnement de notre pays, de la crédibilité de nos autorités et de notre capacité à accueillir des événements d'une telle ampleur, ce qui interroge notre doctrine du maintien de l'ordre.
J'ai été, le jour du match, stupéfaite de voir aux abords du stade, entre la sortie du RER et l'entrée du stade, des vendeurs d'alcool à la sauvette et de denrées alimentaires dans des conditions d'hygiène déplorables. Pire encore, je n'ai été ni contrôlée ni fouillée pour accéder au stade. Le ministre de l'intérieur a reconnu qu'à partir d'un certain moment, le public n'a effectivement plus été contrôlé, ce qui est incompréhensible face à la menace terroriste. Le ministre, que j'ai interrogé sur ces points la semaine dernière, m'a répondu que vos décisions avaient sauvé des vies. C'est probable, mais je crois aussi qu'elles auraient pu en supprimer d'autres.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Monsieur le préfet, nous sommes aussi là pour démentir les nombreuses informations fausses qui ont circulé ces derniers jours. En ce qui concerne la fausse billetterie, nous avions cru comprendre initialement qu'entre 30 000 et 40 000 faux billets avaient circulé ; il apparaît désormais que ce n'était pas le cas et vous avez clairement précisé qu'un certain nombre de personnes s'étaient présentées aux abords du stade sans billet. A-t-on une estimation de ce que représente la fausse billetterie ?
En ce qui concerne les 300 à 400 individus que vous qualifiez d'« indésirables » et qui ont commis des agressions pendant et après le match, vous précisiez dans la note que vous avez transmise au ministre de l'intérieur, au lendemain des événements, qu'il s'agissait de jeunes issus des quartiers sensibles de Seine-Saint-Denis. Est-ce que, quinze jours après les faits, vous avez des précisions à nous apporter sur ces personnes « indésirables » ?
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Je voudrais me faire le porte-parole, si je puis dire, de Mme Boyer qui n'a pas réussi à s'exprimer, pour des raisons techniques. Ses questions sont les suivantes : pourquoi n'y a-t-il pas eu plus d'anticipation sur la gestion de la délinquance autour du stade, alors qu'on la connaît ou qu'on peut l'imaginer ? Pourquoi y avait-il autant de mineurs isolés, comme la presse le rapporte, sachant qu'ils sont a priori connus de vos services ? Pourquoi le questionnaire que vous avez mis en place ne vise-t-il pas les agressions physiques ? Enfin, pourquoi si peu de comparutions immédiates ? Est-ce parce qu'il n'y a pas eu de caméras pour corroborer les témoignages ?
J'ajoute une dernière question : la police a-t-elle continué son action lorsque les gens sont repartis dans les transports en commun ? Des témoignages rapportent, en effet, qu'il y a eu des agressions dans les transports en commun.
M. Didier Lallement. - Madame de La Gontrie, merci de vous soucier de ma situation personnelle. Je ne suis pas sûr que ce soit le sujet, mais je vous répondrai en privé, si vous le souhaitez.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Il n'y a donc aucune remise en cause ?
M. Didier Lallement. - Quelle importance peut bien avoir ma situation personnelle ! Je suis un haut fonctionnaire, je suis révocable ad nutum tous les mercredis. C'est quoi, votre problème ?...
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - La question méritait d'être posée.
M. Didier Lallement. - Vous l'avez posée et vous me donnerez acte d'y avoir répondu.
Pour répondre aux questions sur les gaz lacrymogènes, je redis ce que j'ai dit, je ne connais pas d'autres moyens que les gaz ou la charge. La doctrine peut bien évidemment évoluer, si le souhait que l'on ne gaze pas prévaut, mais alors il faudra charger pour repousser une foule. Je ne suis pas partisan de cette seconde option. Je le dis en tant que technicien du sujet sans avoir de préférence absolue. En l'occurrence, il me semble avoir fait ce qu'il fallait.
Des sommations ont bien sûr été lancées, mais pas en anglais : nos textes ne le prévoient pas, de sorte que faire des sommations en anglais reviendrait à ne pas faire de sommation du tout, puisqu'elles seraient prononcées dans une langue étrangère non prévue par les codes, ce que l'on n'aurait pas manqué de nous reprocher. Nous avons bien évidemment fait des annonces en anglais par le dispositif des haut-parleurs HyperSpike qui ont une très forte puissance en matière de densité de décibels. Nous avons ainsi procédé à toute une série d'annonces pour demander aux gens de s'écarter. Force est de constater qu'elles n'ont pas été suivies d'effet.
Quant aux problèmes de coordination avec les organisateurs, je vous ai expliqué les réunions qui avaient eu lieu et la manière dont les choses s'étaient passées. Bien évidemment, quand une situation tourne mal, chacun est fondé à dire que c'est par un défaut de préparation. Je vous ai dit que c'était un échec et que l'on aurait pu sans doute faire les choses différemment si l'on s'était attendu à une fraude aussi massive que celle qui a eu lieu. Je ne peux pas vous dire le contraire. Toujours est-il que nous n'avions pas envisagé ce niveau de massification de la fraude. On peut toujours faire mieux.
L'instruction a-t-elle été donnée de ne pas intervenir sur les fauteurs de trouble ? Franchement, ce n'est pas le genre d'instruction que l'on donne dans la police ! En revanche, j'ai effectivement donné l'instruction - je suis très clair sur ce point - de ne pas interpeller de supporters munis de « faux billets ». J'ai employé les guillemets parce que rien n'assurait alors qu'il s'agisse de faux billets et que nous pouvions simplement constater que le dispositif technique ne fonctionnait pas. Les autorités sportives en ont déduit que c'était de faux billets, mais sur le moment, je n'avais pas d'élément prouvant qu'il s'agissait d'une infraction ou d'un délit. En tout état de cause, il me semblait qu'en pure opportunité ce n'était pas le sujet du moment que de procéder à ces interpellations, car nous avions mieux à faire. Oui, des instructions ont été données en ce sens, mais elles ne concernaient pas les fauteurs de trouble, c'est-à-dire les délinquants et ceux qui se comportaient de manière à commettre des délits.
Si les supporters anglais et espagnols veulent porter plainte contre la police, ils peuvent tout à fait le faire. Vous me demandez de le prévoir dans le formulaire, si je comprends bien. Je considère quant à moi que les choses sont assez claires et que cela ne pose pas de problème. Puisque vous me donnez l'opportunité de m'exprimer publiquement et de m'adresser, au-delà de nos concitoyens français, aux supporters anglais et espagnols, je leur dis que s'ils considèrent que des actes de police ont été commis de façon irrégulière, il faut bien évidemment qu'ils nous le signalent et nous donnerons les suites nécessaires.
Referais-je la même chose sur les gaz ? Je crois vous avoir répondu : oui, je referais la même chose parce que, encore une fois, je pense que c'était le moyen le plus adapté.
M. David Assouline. - Même à la gare de l'Est ?
M. Didier Lallement. - À la gare de l'Est aussi, je pense que c'était approprié de le faire. Encore une fois, monsieur le sénateur, le fil rouge de mon action depuis que je suis préfet de police, c'est d'éviter les morts et les blessés graves. J'ai la chance de les avoir évités, cela aurait pu se passer de manière bien pire et il aurait pu y avoir des morts depuis les trois ans et trois mois que je suis en fonction. En mai 68 il y a eu des morts ; pendant la crise des gilets jaunes, il n'y a pas eu de morts à Paris.
M. David Assouline. - En mai 1968, il s'agissait d'une révolution !
M. Didier Lallement. - Je ne dis pas que les choses sont parfaites, mais j'aimerais quand même que de temps en temps on rappelle ce que sont les réalités historiques. Je sais, monsieur le sénateur Assouline, combien vous êtes attaché à l'histoire.
En ce qui concerne les BRAV, j'entends souvent qu'elles ne seraient pas des unités spécialisées à l'égal des CRS et des escadrons de gendarmes mobiles, mais c'est faux. Les BRAV sont des unités spécialisées, peut-être plus entraînées que celles que je viens de citer - je dis « peut-être » parce que je ne veux froisser personne -, mais d'un haut niveau de technicité propre à la préfecture de police. Ce n'est pas une invention de ma part ; j'ai simplement inventé l'acronyme et le modus operandi. Ces effectifs dits « des compagnies d'intervention » existent à la préfecture de police depuis la nuit des temps, sous la forme d'unités de forces mobiles spécialisées de la préfecture de police, pour des raisons qui tiennent à l'histoire, comme je le rappelais précédemment, et à ce qu'est la région capitale.
Les BRAV sont spécialisées dans l'intervention en matière d'ordre public. Il n'est donc pas surprenant que lorsque nous avons eu besoin de réserves, nous les ayons fait intervenir. C'était parfaitement justifié, car ce sont des unités d'élite. D'ailleurs, je suis à la disposition de vos commissions, messieurs les présidents, si vous voulez assister à un entraînement des compagnies d'intervention.
Plus que d'une méconnaissance du dispositif de police - car ce n'est pas forcément la spécialité absolue des uns et des autres -, la confusion vient de l'appellation. En province - ceux qui sont élus d'une région autre que l'Île-de-France le savent bien -, sont désignées comme « compagnies d'intervention » les unités de sécurité publique qui se forment pour des opérations d'ordre public. Toutefois, cette appellation similaire ne remet pas en cause le fait que la technicité et l'expérience restent très fortes dans les unités constituées.
En ce qui concerne la vente d'alcool à la sauvette, nous avons effectivement recensé beaucoup de cas. Neuf personnes ont été interpellées. Mais il est assez difficile d'interpeller des vendeurs à la sauvette en raison de leur extrême mobilité. D'ailleurs, en ce moment, je suis en train d'expérimenter les interpellations de vendeurs à la sauvette sur le Champ-de-Mars - ventes de boissons, de souvenirs, de maillots de supporters, etc.
Encore une fois, il était absolument nécessaire de les interpeller, mais dans la hiérarchie des incidents, ce qui nous a préoccupés au niveau des interpellations, c'est d'abord les agressions et les violences aux personnes. C'était ça l'absolue priorité.
Quid ensuite des comparutions immédiates ? Comme je l'ai souligné tout à l'heure, il va falloir voir tout cela avec les parquets concernés. Mais très souvent, ce que l'on observe dans des mouvements de foule de cette nature, c'est que l'on ne peut pas reprocher à la justice de ne pas déférer les personnes en comparution immédiate : le problème que nous avons, c'est la rédaction des procès-verbaux d'interpellation. Quand vous êtes dans un moment de cette nature, c'est-à-dire d'une intensité policière extrêmement forte, il faut rédiger le PV d'interpellation de la personne. En situation d'urgence, tout cela est souvent mal fait. Ce n'est pas un reproche que j'adresse aux hommes et aux femmes sous mon commandement, mais c'est une réalité d'expérience. Très franchement, ils ont vraiment autre chose à faire. Or, quand les PV sont mal rédigés, les magistrats, à juste titre, nous disent que cela ne tient pas debout. C'est un problème que nous rencontrons lors les manifestations depuis 2015, c'est-à-dire depuis que la nature des manifestations a changé - vous voyez, c'était avant mon arrivée, tout n'est pas dû à ma présence à la préfecture de police !
Bref, nous avons du mal à documenter précisément les conditions d'une interpellation et à formuler l'infraction ou le délit commis. Nous avons expérimenté plusieurs méthodes, qui n'ont pas été déployées au Stade de France, notamment en missionnant des agents spécialisés en appui des éléments d'intervention ; il s'agit, en quelque sorte, de greffiers du dispositif. Leur mission est d'aider très rapidement le fonctionnaire à rédiger son PV d'interpellation. Mais pour les raisons que j'ai évoquées tout à l'heure, ces agents n'ont pas été déployés ce soir-là et, assez vraisemblablement, nos PV n'étaient pas totalement bien rédigés.
Je ne reviendrai pas sur les explications concernant la présence de 30 000 à 40 000 supporters. J'espère néanmoins, même si j'ai bien compris que je n'avais pas convaincu tout le monde, avoir été clair.
M. David Assouline. - Êtes-vous convaincu vous-même ?
M. Didier Lallement. - Je suis toujours convaincu, monsieur le sénateur, par nature : je suis un homme de convictions ! Je ne vois pas très bien pourquoi je vous raconterais des choses dont je ne suis pas assuré ! Je vous dis ce que nous avons vu et je vous rapporte les éléments que nous avons constatés. Vous pouvez légitimement les contester, mais ça n'est pas l'objet de mon propos aujourd'hui.
M. le président Buffet m'a posé une dernière question, mais je suis confus, car je l'ai mal notée...
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Quelle a été l'action de la police en ce qui concerne les supposés supporters ayant repris ensuite les transports en commun, sachant que nous disposons d'informations faisant état d'agressions commises à ce moment-là ?
M. Didier Lallement. - Le dispositif était organisé de la façon suivante. Nous avions déployé un dispositif d'ordre public sur le périmètre des pré-barrages et un dispositif de sécurité publique dans les gares et en périphérie des gares, c'est-à-dire dans les parties extérieures. Par exemple, pour les voyageurs de la ligne 13, notre dispositif de sécurité publique était installé au nord de cette ligne, entre la gare et la fan zone espagnole. Nous pensions, en effet, que les actes de délinquance se produiraient à cet endroit.
Quand nous avons levé nos barrages et replié notre dispositif d'ordre public sur le stade, puis à l'intérieur du stade, des délinquants sont descendus de cette zone et sont rentrés sur les cheminements des supporters. Nous avons, à ce moment-là, fait redescendre notre dispositif de sécurité publique, mais il n'était pas appuyé par notre dispositif d'ordre public : la présence sur les pré-barrages était donc à l'évidence moins dissuasive. Voilà ce qui s'est passé.
Certes, si nous avions été trois fois plus nombreux, cela aurait beaucoup mieux fonctionné. C'est une évidence, mais la combinaison pour ce type d'événements était jusqu'à présent celle-ci. Vous parliez tout à l'heure d'un dispositif anti-criminalité, mais il s'agissait d'un dispositif anti-délinquance. Les forces chargées de l'ordre public ne prennent en charge les faits de délinquance que lorsqu'ils sont commis dans le cadre d'une manoeuvre d'ordre public : c'est-à-dire quelqu'un qui est violent, qui casse, etc. Là, les équipes d'ordre public interpellent. Ce sont les forces de sécurité publique qui traitent des faits habituels de délinquance. Dans nos dispositifs dits « stade », c'est l'appui des deux dispositifs qui permet l'efficacité.
Effectivement, à partir du moment où notre dispositif d'ordre public était à l'intérieur du stade, même s'il en est sorti sur la fin du match, - mais à ce moment-là, il était englué dans le départ des supporters -, il a été à l'évidence moins efficace. C'est ce qui s'est passé. Nous en avons tiré les conséquences sur ce qu'il conviendra de faire à l'avenir lors d'événements de cette nature, c'est-à-dire qu'il nous faudra avoir des réserves d'intervention de sécurité publique capables de sécuriser les retours. En résumé, notre appui traditionnel ne s'est pas fait. Du coup, le dispositif présentait moins de solidité dans son aspect sécurité publique.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Monsieur le préfet, je me permets d'insister, car je n'ai pas entendu votre réponse sur les 300 à 400 indésirables. Quelle était l'origine de ces personnes ?
M. Didier Lallement. - Je ne sais pas s'ils étaient ou non de Seine-Saint-Denis. Je dis juste qu'il y avait 300 à 400 personnes qui ne semblaient pas être des supporters. Il faut que je fasse attention à ce que je subodore, si j'ai bien compris ?
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Cela figure dans votre note.
M. Didier Lallement. - J'ai écrit « de Seine-Saint-Denis » parce qu'ils étaient « en Seine-Saint-Denis ».
Soyons francs, si votre question est : « S'agit-il de gens des cités autour du stade ? », je ne peux pas dire une chose pareille parce que je n'en sais rien ! Oui, il s'agit d'un type de population délinquante que l'on rencontre en Seine-Saint-Denis, mais on en rencontre également dans le nord de Paris. En tout état de cause, il ne nous est pas possible de les tracer. Vous avez raison, dans ma note j'indiquais qu'ils étaient de Seine-Saint-Denis, mais il est très franchement impossible de savoir d'où ils venaient. En revanche, je puis vous dire qu'il y avait des mineurs non accompagnés - c'est un grand classique - dont la gestion relève, en dehors de leurs actes de délinquance, des collectivités locales.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Merci, monsieur le préfet, de votre présence ce matin et de vos réponses aux questions qui ont été posées.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion, suspendue à 12 h 00, est reprise à 14 h 35.
Incidents survenus au Stade de France le 28 mai 2022 - Audition de M. Philippe Diallo, vice-président, et Mme Florence Hardouin, directrice générale, et MM. Erwan Le Prévost, directeur des relations institutionnelles, et Didier Pinteaux, responsable sécurité, de la Fédération française de football (FFF)
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions sur les dysfonctionnements intervenus lors de la finale de la Ligue des champions le 28 mai dernier, en recevant cet après-midi une délégation de la Fédération française de football conduite par son vice-président, Philippe Diallo, et sa directrice générale, Florence Hardouin. Je vous remercie, madame, messieurs, d'être venus cet après-midi répondre aux questions des membres des commissions des lois et de la culture du Sénat.
Cette finale ne fut pas seulement une occasion heureuse de voir deux des plus belles équipes européennes, le Liverpool Football Club et le Real Madrid, s'affronter. Elle fut aussi une expérience malheureuse pour de nombreux supporteurs, qui dénoncent des violences commises à proximité du stade ou dans les transports en commun.
Nous souhaitons comprendre l'origine de ces dysfonctionnements - deux ans avant les jeux Olympiques de Paris 2024, ils ont été constatés par des millions de téléspectateurs à travers le monde - et en tirer tous les enseignements.
La Fédération française de football étant chargée d'organiser cet événement avec l'Union européenne des associations de football (UEFA), nous voudrions connaître précisément les informations dont vous disposiez sur les risques en termes de sécurité publique. La grève du RER B avait-elle été suffisamment anticipée ? Quels furent la teneur des réunions de préparation et le degré de coordination entre les différents acteurs ? De manière plus générale, quelle est votre interprétation du déroulement de cette soirée ?
L'une de nos difficultés est de savoir exactement qui décide de quoi et qui fait quoi dans cette organisation somme toute assez complexe, sans parler de tentatives pour se « renvoyer la balle ». La semaine dernière, devant nous, le ministre de l'intérieur déclarait ainsi : « Madame la ministre des sports et moi-même n'organisons pas les matchs de football en France, nous ne tenons pas la billetterie, nous n'embauchons pas les stadiers, nous ne contrôlons pas les billets et nous ne touchons pas l'argent qui va avec... La responsabilité est donc à tout le moins partagée dans cette affaire. » C'est bien ce partage que nous aimerions analyser. Quelle est votre part de responsabilité dans les dysfonctionnements constatés ? Quelles sont les erreurs que vous identifiez avec quinze jours de recul ?
Je vous laisse à présent la parole pour un quart d'heure maximum, avant que les sénatrices et les sénateurs présents ne vous interrogent.
M. Philippe Diallo, vice-président de la Fédération française de football. - Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, merci de donner l'occasion à la première fédération sportive française de livrer ses éléments objectifs d'appréciation des incidents qui ont eu lieu lors de la finale de la Ligue des champions le 28 mai dernier.
Je veux commencer par exprimer, au nom de la Fédération française de football, des regrets très sincères sur ces graves incidents, et dire aux fans de Liverpool et du Real Madrid, qui étaient venus en grand nombre supporter pacifiquement leur équipe, que nous condamnons avec une extrême fermeté les actes qui ont été commis par des individus qui se sont comportés comme des délinquants, et dont le sort relève désormais de la justice. Le football est un jeu, assister à un match est un plaisir ; il doit le rester.
Vous le savez, c'est en raison de la guerre en Ukraine que l'UEFA a décidé d'exclure les clubs russes des compétitions et de délocaliser la finale de la Ligue des champions, initialement prévue à Saint-Pétersbourg. Le 25 février, l'UEFA a choisi la France et le Stade de France. Dans l'urgence qui était la sienne, l'UEFA a considéré que la France et la FFF présentaient les garanties nécessaires pour accueillir un événement d'une telle ampleur.
Depuis l'inauguration du Stade de France en janvier 1998, la Fédération française de football a organisé très régulièrement des matchs à guichets fermés dans cette enceinte, c'est-à-dire avec plus de 75 000 personnes présentes. Ces rencontres se sont déroulées dans des conditions optimales de sécurité pour les acteurs du jeu comme pour les spectateurs. En vingt-quatre ans, nous n'avons eu à déplorer que deux très graves incidents : en 2001, avec l'envahissement du terrain à l'occasion du match France-Algérie et, bien sûr, le 13 novembre 2015, lors du match France-Allemagne, où le Stade de France a été le théâtre d'une attaque terroriste, causant la mort d'une personne et en blessant 56 autres.
Dans ces circonstances extrêmes, dramatiques, l'action concertée des services de l'État, du Stade de France et de la Fédération française de football a permis d'éviter un bilan plus lourd encore. En matière de grandes rencontres rassemblant plusieurs dizaines de milliers de spectateurs, nous ne sommes donc ni des novices ni des amateurs.
L'organisation de l'Euro en 2016 et de la Coupe du monde féminine en 2019 sont d'autres exemples du savoir-faire français en matière d'accueil des grandes compétitions. Plus récemment, le 8 mai dernier, la finale de la Coupe de France s'est parfaitement déroulée, alors que le match était pourtant classé par la préfecture de police à un niveau de risque 4 sur une échelle de 5.
Enfin, le 3 juin, la Fédération a accueilli dans de parfaites conditions de sécurité près de 80 000 personnes pour le match France-Danemark. C'est donc avec la conviction de notre capacité à faire que nous avons accueilli la décision de l'UEFA de confier à la France l'organisation de cette finale de Ligue des champions.
Si la fierté et l'enthousiasme étaient les sentiments dominants, nous avions aussi conscience du défi qui était le nôtre : plus grand match de clubs dans le monde, la finale de la Ligue des champions suscite chaque année un intérêt planétaire, qui conduit plus de 300 millions de personnes à regarder le match à la télévision. Quant aux spectateurs, nous avons reçu plus d'un million de demandes de billets pour un stade de 75 000 places. Pour faire face à cet engouement et pour respecter le cahier des charges de l'UEFA, il faut habituellement dix-huit mois de préparation pour un tel événement. Nous en avons eu seulement trois...
Pourtant, sans la grève du RER B, la multiplication des faux billets et les comportements délictueux, nous aurions relevé ce défi. J'en veux pour preuve les deux « fan zones », organisées sur le cours de Vincennes à Paris et à Saint-Denis en moins de dix jours, qui ont accueilli plusieurs dizaines de milliers de supporteurs sans que nous ayons à déplorer d'incident majeur.
Toutefois, bien évidemment, nous ne serions pas devant vous cet après-midi si tout s'était déroulé comme nous l'espérions.
Pour conclure, et avant de laisser la parole aux autres membres de notre délégation, je voudrais souligner que la finale de la Ligue des champions constitue à nos yeux une très regrettable exception dont nous tirerons tous les enseignements pour nous améliorer et continuer d'accueillir à l'avenir des tournois finaux de grandes compétitions, comme nous avons su le faire avec succès par le passé.
Mme Florence Hardouin, directrice générale de la Fédération française de football. - Mesdames, messieurs, je souhaite appuyer les propos de notre vice-président Philippe Diallo. Au nom de la Fédération française de football, nous regrettons sincèrement les graves incidents qui ont eu lieu au Stade de France le 28 mai dernier. Nous ressentons un sentiment mêlé de tristesse, de colère et d'indignation. Tout le monde attendait cette finale. Elle aurait dû être la fête du football européen, mais elle a été gâchée. Nous devons tous ensemble tirer des enseignements de ce qui s'est passé pour que cela ne se reproduise plus.
Pour organiser les finales de coupe d'Europe, l'UEFA demande toujours de l'aide aux pays et fédérations hôtes, qui agissent sous le contrôle et la validation de cette dernière.
En l'occurrence, en quoi consistaient les missions des différents acteurs ?
Le Stade de France était chargé de mettre à disposition le stade et d'assurer la sécurité incendie de l'événement, l'accompagnement dans l'élaboration et la validation des dossiers de sécurité ainsi que le bon fonctionnement des dispositifs de contrôle d'accès et la restauration grand public.
La première mission de l'UEFA est de commercialiser la billetterie et les prestations d'hospitalité. Elle livre également la rencontre sportive, les contreparties des partenaires télé et marketing, les animations sur le parvis et dans l'arène, la signalétique directionnelle à l'intérieur et aux abords du stade et l'habillage de l'enceinte.
Quant à la FFF, sa première mission est d'assurer la sécurité privée, c'est-à-dire la mise en place du dispositif de stadiers et d'agents d'accueil aux points de préfiltrage, aux portes du stade et à l'intérieur du stade, de concevoir le plan d'acheminement des spectateurs, le recrutement et la gestion des volontaires, et d'assurer les relations avec les villes hôtes, le Gouvernement et la sécurité publique. Les villes hôtes se chargent pour leur part d'organiser l'animation dans leurs communes.
La FFF a analysé quatre types de difficultés, situées essentiellement à l'extérieur du stade, qui ont conduit aux incidents constatés lors de la soirée du 28 mai, ces derniers ayant été aggravés par une succession de dysfonctionnements.
La première difficulté tient à l'arrivée aux abords du stade d'un nombre de spectateurs nettement supérieur à la capacité de l'enceinte et à la présence de faux billets : 110 000 personnes ont ainsi été acheminées au Stade de France, pour une capacité de 75 000 places. Selon les données fournies par la RATP, 6 200 personnes sont arrivées par le RER B, 36 000 par le RER D et 37 000 par la ligne 13 du métro. Selon les données de la FFF, 450 cars ont acheminé 20 905 personnes aux abords du stade. Enfin, selon les données de la préfecture de police, 6 680 personnes sont venues en taxi et 4 111 en véhicules légers. Cet afflux massif a créé une situation inédite d'engorgement des dispositifs de contrôle en préfiltrage et aux portes du stade.
Initialement, l'UEFA devait exclusivement commercialiser sa billetterie sous forme électronique, avec un système de blockchain non falsifiable. Cependant, à la demande des clubs, elle a accepté que Liverpool obtienne 20 000 tickets au format papier - c'est-à-dire la totalité de ses billets -, le Real de Madrid 6 000, la ville de Saint-Denis 600 et celle de Paris 280. Or ces titres papier ont permis la fabrication de faux billets. Nous savons que 2 471 billets ont été scannés aux tripodes du stade avec un résultat inconnu, ce qui est la marque d'un code-barre frauduleux.
À titre d'exemple, pour de grands événements comme des concerts internationaux, il est arrivé que l'on identifie jusqu'à 300 faux billets. Le 28 mai, leur nombre était beaucoup plus élevé. Entre 18 heures et 21 h 35, 57 faux billets ont été scannés toutes les cinq minutes, et 66 % d'entre eux l'ont été sur les trois portes X, Y et Z, situées dans le secteur sud dédié aux supporteurs de Liverpool. Par ailleurs, sur ces fameuses trois portes, qui permettaient de faire entrer 15 000 personnes dans le stade, un billet sur dix était faux, avec pour conséquence un engorgement des portes.
Il est toutefois très difficile aujourd'hui d'évaluer avec précision le nombre de faux billets qui ont circulé. Il convient en effet d'ajouter aux faux billets scannés aux tripodes ceux qui ont été identifiés au niveau du préfiltrage et dans les « fan zones ». Une enquête de police est en cours. L'on sait déjà qu'une personne a été prise avec un sac de 50 faux billets à la « fan zone » du cours de Vincennes et que l'on a identifié environ 250 faux billets lors du préfiltrage. Par ailleurs, certaines personnes ont pu entrer dans le stade sans billet à la faveur des incidents.
La deuxième difficulté tient à la gestion des flux de spectateurs en provenance des transports en commun. Le mouvement de grève de la RATP sur le RER B a conduit à reporter une très grande partie des spectateurs sur le RER D, occasionnant des congestions très significatives entre la sortie de celui-ci et la zone de préfiltrage, qui ne compte à cet endroit que 10 couloirs de palpation, contre 20 à la sortie du RER B. Ces congestions ont bien entendu été aggravées par l'afflux de personnes dépourvues de billet ou munies d'un faux billet. Le RER D a ainsi vu transiter 36 000 personnes, au lieu de 10 000 à 15 000 d'ordinaire pour une manifestation de ce type, alors que la ligne B n'a été utilisée que par 6 000 personnes, contre 30 000 habituellement. Ce déport massif a été aggravé, dès la fin de l'après-midi du 28 mai, par des messages en gare qui indiquaient de ne pas utiliser la ligne B, mais plutôt la ligne D pour se rendre au stade, alors même que 4 trains sur 5 fonctionnaient sur la première. Cette situation a essentiellement concerné les supporteurs de Liverpool. À 21 h 00, heure du coup d'envoi théorique, seuls 63 % d'entre eux étaient assis en tribune. En revanche, 99 % des supporteurs de Madrid, qui étaient majoritairement venus par la ligne 13, étaient installés à leur siège.
Nous avons rencontré une troisième difficulté, touchant, d'une part, à la vérification des billets aux points de préfiltrage par les agents de sécurité et, d'autre part, au positionnement, en soutien, des forces de l'ordre. La FFF, le soir de la finale de la Ligue des champions, a proposé un dispositif de 1 680 agents de sécurité privée. Cela représentait 17 % de personnes en plus par rapport au 8 mai dernier, où 1 400 agents étaient déployés pour la finale de la Coupe de France, match classé au niveau de risque 4 sur une échelle de 5. Comme pour chaque match, ce dispositif est validé par la préfecture de police. Parmi ces 1 680 agents, 258 étaient répartis aux points de préfiltrage, avec deux missions distinctes. La première était la palpation, conformément au plan Vigipirate, la seconde la vérification de la validité des titres d'accès, effectuée soit via un stylo chimique, pour les billets papier, soit via une carte électronique, pour ceux qui souhaitaient activer le QR code sur leur téléphone. Nous n'avons connu aucun problème de fiabilité quand les stylos étaient passés sur l'étiquette. Cette double tâche demandée aux agents de sécurité, sans mentionner les flux massifs de personnes à certains endroits, les a mis en difficulté, à tel point que le préfiltrage au niveau du RER D a été « relâché » pendant quinze minutes pour éviter des écrasements de personnes. « Relâché » signifie qu'il n'y avait plus de contrôles et que tout le monde pouvait pénétrer sur le parvis, aux abords du stade. Les agents de sécurité, aussi nombreux et formés soient-ils, ne peuvent pas contenir une telle pression de la foule sans être assistés par les forces de l'ordre ; c'est pourquoi un dispositif complémentaire a été mis en place par la préfecture de police, comme pour la finale de la Coupe de France. Cependant, les forces de l'ordre, placées, en majorité, derrière les stadiers, n'ont pas eu la possibilité d'agir efficacement.
La quatrième difficulté touchait aux agressions et intrusions. De très nombreux délinquants ont profité de cette finale pour se rendre au Stade de France, dans le seul but de pénétrer dans l'enceinte sans billet, de voler et d'agresser les supporteurs des deux clubs présents aux alentours. Nous n'avions jamais vu cela. Nous avons tous vu, à la télévision, sur les réseaux sociaux, des images et des témoignages, comme ceux de salariés de la FFF qui, je les cite, ont eu « la peur de leur vie ». Le centre d'accréditation de l'UEFA placé à proximité immédiate du Stade de France a été envahi par des délinquants, à tel point que nos collègues ont dû s'enfermer dans leur bureau et sont restés bloqués pendant quatre heures. Pourquoi s'en prendre à ce centre ? Tout simplement pour voler des accréditations, afin d'entrer dans l'enceinte... La présence très importante de ces délinquants a obligé les forces de l'ordre à intervenir à de nombreuses reprises, mais cela les a détournées de leur mission de sécurisation des points de préfiltrage et des accès. Ces actes inacceptables ont contribué à créer des engorgements de personnes aux portes du stade et ont semé la peur parmi les spectateurs.
M. Erwan Le Prévost, directeur des relations institutionnelles de la Fédération française de football. - Comme l'ont dit mes collègues, ces événements sont regrettables. Nous avons préparé du mieux que nous le pouvions, dans les trois mois qui nous étaient impartis, la finale du 28 mai. Nous avons mené de très nombreuses réunions avec le préfet de la région d'Île-de-France, préfet de Paris, avec M. Cadot et ses équipes de la délégation interministérielle aux grands événements sportifs (Diges), le préfet de police de Paris, le préfet du département de Seine-Saint-Denis et l'ensemble des acteurs.
Il faut en tirer les enseignements et se demander comment, collectivement, nous pouvons progresser, dans la perspective de la Coupe du monde de rugby et des jeux Olympiques, pour faire en sorte que de tels événements ne se reproduisent pas et pour organiser au mieux l'accueil des spectateurs.
Notre première recommandation est en lien avec le plan de mobilité. Nous insistons sur la nécessité de le définir conjointement et d'avoir, au sujet des flux de personnes qui viennent au Stade de France, une communication en temps réel entre l'organisateur que nous sommes, la préfecture de police et les opérateurs de transports publics.
Dans le cas de la finale de la Ligue des champions, la FFF a organisé, en lien avec l'UEFA, un plan de mobilité relatif au dispositif d'accueil et d'orientation. Cela signifie que nous avons pris en compte l'acheminement de l'ensemble des spectateurs en provenance des deux clubs finalistes dès le moment où ils posaient le pied sur le sol français jusqu'aux différents lieux où ils pouvaient être amenés à se retrouver. Pour les autocars, nous avons défini, avec l'aide du Stade de France, de la ville de Saint-Denis et de Plaine Commune, un dispositif d'accueil pour séparer les supporteurs. Schématiquement, la partie nord du Stade de France était dédiée à ceux du Real Madrid, la partie sud à ceux de Liverpool et aux personnes invitées par l'UEFA et les différents partenaires de la compétition. Nous avons travaillé sur ce plan pendant trois mois, sous l'égide de la préfecture de Seine-Saint-Denis, qui nous a fortement accompagnés pour le mettre en oeuvre. Une fois ce plan élaboré, nous avons défini l'accueil et l'orientation des personnes qui venaient par les aéroports, principalement Beauvais, Charles-de-Gaulle et Orly.
Dans le cas des supporteurs de Liverpool, nous avions trois typologies. « Je suis supporteur de Liverpool, avec un billet, je veux me rendre au Stade de France » était l'une d'entre elles. Dans ce cas, dès l'arrivée dans un aéroport ou dans une gare, un plan d'acheminement était défini, car nous avons contractualisé, avec les différents opérateurs, Aéroports de Paris, l'aéroport de Beauvais, la RATP et la SNCF, un dispositif d'accueil et d'orientation. Nous sommes allés jusqu'à proposer des plans pour arriver à destination, toujours avec la contrainte très forte consistant à différencier les flux et à faire en sorte que les supporteurs de Liverpool ne croisent jamais les supporteurs de Madrid. Nous avons également pris en considération la capacité d'emport du RER B par rapport au RER D, la taille des flux et des couloirs de palpation pour inciter les supporteurs à s'orienter majoritairement vers le RER B. Nous avons travaillé avec la RATP et la SNCF pour les orienter en diffusant des annonces dans les stations, en anglais et en français.
Autre typologie : « Je suis supporteur de Liverpool, je n'ai pas de billet, mais je veux me rendre dans la fan zone ». Quel que soit votre emplacement dans Paris, vous aviez des informations pour vous y rendre. De même, pour le Real Madrid, nous avons fait en sorte d'avoir un maillage dans la plupart des stations, dans Paris, que ce soit à travers des messages sonores, des hôtes et hôtesses ou des plans.
J'insiste sur la communication en temps réel. À partir du moment où a été prise la décision de réorienter les flux, nous aurions dû avoir l'information pour pouvoir faire preuve de souplesse ; par « nous », j'entends le Stade de France, la FFF pour l'accueil des spectateurs, la préfecture de police, mais également la RATP et la SNCF pour l'orientation. Si nous avions eu l'information, en milieu d'après-midi, que le flux du RER B était poussé vers le RER D, nous aurions pu avoir le temps de repenser notre dispositif. Avec l'accord de la direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC), nous aurions pu faire évoluer le positionnement des forces mobiles et repenser notre dispositif d'accueil au niveau des couloirs de palpation.
Voilà pour nous l'enseignement important : nous avons beau construire des dispositifs pour accueillir et acheminer les spectateurs dans les meilleures conditions, si certaines personnes prennent des décisions sans en référer aux autres acteurs concernés, cela ne fonctionne pas.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Pouvez-vous préciser votre pensée ?
M. Erwan Le Prévost. - Nous n'avons pas eu l'information que le flux du RER avait été dévié par la RATP.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - La préfecture de police ne vous a pas prévenus non plus ?
M. Erwan Le Prévost. - La préfecture de police n'avait pas non plus l'information. Aux alentours de 18 h 30, nous avons connu un afflux massif de supporteurs en provenance du RER D, alors que le dispositif que nous avions mis en oeuvre prévoyait une capacité d'accueil maximum orientée vers le RER B.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - La RATP ne vous a pas prévenus ?
M. Erwan Le Prévost. - Exactement.
Pour terminer mon propos, nous sommes allés jusqu'à prévoir la signalétique du dernier kilomètre. Certaines personnes ont dit qu'il n'y avait aucune signalétique aux abords du Stade de France : évidemment, c'est complètement faux. Avec l'UEFA, nous avons balisé ce dernier kilomètre, prévoyant un dispositif pour orienter les spectateurs en fonction de leur arrivée par la ligne 13, le RER B ou le RER D. Nous sommes allés jusqu'à prévoir une procédure permettant, en cas d'engorgement, aux supporteurs en provenance du RER D de se diriger vers l'arrivée du RER B, où l'avenue est plus large, pour accéder au Stade de France et aux couloirs de palpation.
Un autre enseignement que nous souhaiterions mettre en avant concerne la coordination. Organiser un événement, c'est évidemment coordonner toutes les parties prenantes ; organiser une finale de Ligue des champions est un événement à part. Cela ne revient pas uniquement à prendre en compte le Stade de France et ses dix-huit portes d'accès, mais aussi l'ensemble des flux piétons, véhicules, autocars et transports en commun qui y donnent accès. Nous recommandons vivement qu'à l'avenir nous nous coordonnions avec la préfecture de police de Paris pour construire le dispositif d'accueil et de sécurité de l'événement.
Vous avez, sur un événement comme celui-là, 75 000 personnes à acheminer. Notre métier est de les prendre en charge aux points de préfiltrage et aux portes du Stade de France ; le métier de la RATP et de la SNCF est de nous amener ces spectateurs ; la compétence de la DOPC est de nous aider à encadrer ces personnes pour qu'elles soient accueillies dans les meilleures conditions de sécurité. Le samedi 28 mai, la RATP, à travers les lignes B et D du RER, nous a envoyé un flux de supporteurs ininterrompu sur lequel nous n'avions pas d'information. Le RER B ou D, c'est huit trains par heure, avec pour chacun une capacité d'emport de 1 600 à 2 000 personnes qui sont acheminées vers le Stade de France sans information sur la situation à la sortie de la gare, que nous devons faire entrer en nous assurant qu'elles ont un titre d'accès valable, qu'elles respectent les consignes du plan Vigipirate et qu'elles sont au bon endroit. Quand vous nous poussez entre 12 600 et 20 000 personnes par heure, la chose devient extrêmement compliquée dès que vous rencontrez des difficultés d'engorgement. Il faudra faire en sorte, demain, que nous co-construisions nos dispositifs, pour que les forces de sécurité privée et leur positionnement soient en adéquation avec les forces de sécurité publique. Le dernier France-Danemark en est le meilleur exemple : cela a fonctionné parce que nous nous sommes parfaitement coordonnés. La FFF portait la responsabilité de l'organisateur, la DOPC nous a accompagnés pour prendre en compte l'ensemble des supporteurs et leur permettre d'accéder au Stade de France dans les meilleures conditions.
Un troisième enseignement a trait à la billetterie dématérialisée. Le sujet est simple : un billet papier est falsifiable. L'enquête qui est menée aujourd'hui, pour laquelle nous avons été auditionnés jeudi dernier, pour laquelle l'UEFA va être prochainement auditionnée par la brigade de répression de la délinquance astucieuse (BRDA), est en train de prouver que la fraude était massive, organisée par des imprimeurs professionnels. C'est à l'issue de cette enquête que nous connaîtrons le nombre de faux billets qui ont été dupliqués et imprimés. La certitude que nous avons, c'est qu'aucun e-billet n'a pu être falsifié. Nous recommandons vivement, pour les prochains événements, si le Gouvernement donne son accord, que l'accueil ne se fasse qu'à la stricte et unique condition qu'aucun billet ne soit en version papier. Cela évitera un nombre considérable de fraudes, de faux billets et permettra de fluidifier les accès au Stade de France.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Votre dernier propos attire mon attention. Alors que ce n'était pas la règle pour ce type de compétition, pourquoi avons-nous accepté les billets papier pour le club de Liverpool ? On se rend compte que les supporteurs sans billets papier, notamment madrilènes, ont accédé sans trop de difficultés au stade.
Ma question est donc celle-ci : pourquoi avoir accepté le recours aux billets papier sachant que les risques de falsification sont réels ?
J'aurai une deuxième question. M. Diallo nous a rappelé les circonstances ayant conduit la France à se porter candidate pour organiser le match de football à Paris, tout en précisant qu'il faut habituellement dix-huit mois pour préparer un tel événement. Pourquoi dix-huit mois ? Du fait de notre expérience assez grande, nous, Français, avons répondu positivement pour l'organiser en trois mois. À quoi sont utiles ces dix-huit mois ? Qu'a-t-il manqué, dans les trois mois qui étaient impartis, pour remplir la mission correctement ?
Troisièmement, vous avez en charge les stadiers, notamment ceux qui vont accueillir le public. Vous en avez prévu plus que d'habitude, il n'y a aucun doute sur ce point. Pouvez-vous nous préciser la manière dont vous les recrutez, la formation qu'ils reçoivent ? Si moi, demain, je veux être stadier au Stade de France, comment dois-je procéder ? Qu'allez-vous me demander ?
Enfin, je peux noter, il me semble, une petite contradiction entre ce que vous indiquez et ce que nous a dit le préfet de police ce matin. Ce dernier a précisé qu'il s'était concentré sur le risque terroriste. La gestion de l'événement aurait été abordée de cette manière, prenant également en compte, pour éviter tout problème majeur, le risque d'écrasement des gens. Dans le même temps, la sécurité en tant que telle, à l'égard de ceux qui ont perpétré des actes de délinquance, aurait été laissée un peu de côté. Je parle sous le contrôle des collègues qui étaient là ce matin... Toutefois, à l'instant, vous semblez dire l'inverse : que l'obligation pour les forces de l'ordre d'intervenir contre les délinquants était absolument essentielle, d'où leur moindre présence aux lieux de filtrage.
Nous avons besoin de comprendre : deux avis différents, deux positions différentes, pour des gens qui ont travaillé ensemble sur l'organisation de cet événement. Ce n'est pas suffisamment clair.
Mme Florence Hardouin. - Concernant les billets papier, comme je vous l'ai dit en préambule, l'unique instance qui a la main sur la commercialisation de la billetterie est l'UEFA. Au départ, tout était prévu pour que l'ensemble du public puisse avoir des billets électroniques. Face à la forte demande des clubs, l'UEFA a autorisé Liverpool et le Real Madrid à disposer de billets papier. Madrid n'en a demandé que 6 000, alors que Liverpool a demandé sous ce format la totalité de ses billets. C'est factuel. L'instance qui a autorisé la délivrance et la possibilité d'avoir des billets papier, c'est l'UEFA, qui est seule responsable de la commercialisation de la billetterie.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Je ne dis pas que c'est vous : ce qui m'intéresse est de comprendre le mécanisme. De fait, les supporteurs madrilènes avaient un billet papier pour certains ?
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Et, là, il n'y a pas eu de difficultés ?
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Pour être clair, il n'y a donc pas eu de fraude, de ce point de vue.
M. Erwan Le Prévost. - Liverpool a demandé qu'on lui permette de commercialiser 22 000 billets pour l'ensemble de ses supporteurs. Ils ont l'habitude de le faire en version papier. La demande de Madrid, elle, visait à répartir les flux ; leurs 6 000 billets papier étaient pour des clients internes du club : les partenaires, les sponsors, les familles. Les autres billets étaient pour les supporteurs. Effectivement, il n'y a eu aucune falsification de billets du côté madrilène.
Au sujet de votre question sur le délai de dix-huit mois, c'est l'un des requirements de l'UEFA. Quand vous candidatez pour organiser une finale de championnat, vous candidatez trois ans avant la date de l'événement. Vous répondez à un cahier des charges de l'UEFA, qui prévoit, quand vous avez été choisi, qu'à dix-huit mois de la manifestation vous devez mettre en place un comité d'organisation local, en lien avec l'association européenne. Les huit premiers mois, vous devez lui proposer un cadre d'organisation dans lequel vous faites appel aux différentes parties prenantes. La première des parties prenantes d'une finale de Ligue des champions, c'est l'État. Vous demandez à ce dernier un certain nombre de garanties concernant cette manifestation, apportant des éléments d'appréciation qui permettent d'assurer que vous accueillerez la manifestation dans les meilleures conditions. Il s'agit par exemple de faciliter les formalités douanières, l'accueil du public, mobiliser les transports et l'ensemble des acteurs du territoire qui concourent à la manifestation. Vous rentrez ensuite dans la dernière année : un an consacré à l'organisation, qui s'oppose aux trois mois que nous avons eus. Nous ne sommes pas capables de vous dire si un an est un délai suffisant ; nous pouvons cependant affirmer qu'en trois mois, exception faite du jour de la finale, avec le concours de l'ensemble des acteurs, nous avons rempli les obligations que nous imposait l'UEFA : les différentes lettres de garantie, la capacité de mobiliser les aéroports d'Orly et Charles-de-Gaulle, avec une capacité à voler de nuit, ce qui normalement n'existe pas. Nous avons obtenu des accords, que ce soit pour permettre le transport des supporteurs au moyen de différents bus et autocars ou pour mobiliser des parkings aux abords du Stade de France, en concertation avec la ville de Saint-Denis et le groupement Plaine Commune.
Je vais vous donner un élément de comparaison. Nous parlions de la finale de la Coupe de France : avec deux publics de 20 000 supporteurs respectivement, cela a engendré 180 autobus. Pour la finale de la Ligue des champions, nous en avions 450. Ce n'est pas le même événement !
Ce que nous avons également réussi à construire en trois mois, c'est un dispositif d'organisation générale qui a fonctionné. Ce qui a manqué, c'est du temps pour préparer l'imprévu. Si la manifestation est allée à son terme, c'est en partie parce que nous avons rempli nos obligations. Nous avons su faire en sorte que le Stade de France accueille 75 000 personnes et pas plus. Si des groupes de supporteurs, finalement repoussés, avaient enfoncé des portes, comme cela a pu être évoqué ce matin par M. le préfet de police, nous nous serions retrouvés dans l'enceinte du stade avec une capacité largement supérieure à celle qui est autorisée. La décision que nous aurions alors dû prendre, c'est de ne pas autoriser la rencontre, ce qui aurait eu des conséquences bien plus dommageables en matière de troubles à l'ordre public.
Oui, nous avons manqué de temps pour nous assurer, avec l'ensemble des parties prenantes, que la grève des transports n'entraînerait qu'une perturbation minimale du trafic, et n'aurait pas pour conséquence un déport des flux. Si nous avions eu plus de temps, nous aurions pu nous tourner vers la direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC) pour nous assurer qu'elle partageait la façon dont nous avions conçu notre dispositif, notamment le préfiltrage.
En revanche, nous n'aurions jamais pu prévoir, croyez-en mon expérience - j'ai travaillé pendant dix ans au Stade de France -, un tel afflux de délinquants.
Le dispositif prévoyait douze points de préfiltrage venant compléter l'environnement du Stade de France, qui a beaucoup évolué depuis 1998 : lorsque j'ai commencé à y travailler, je voyais des champs depuis mon bureau ; aujourd'hui, la zone est devenue complètement urbaine, elle est saturée par les immeubles. Didier Pinteaux, qui a fait un travail remarquable, et moi-même avons mis en place des points de préfiltrage pour rendre l'enceinte hermétique.
Florence Hardouin prenait l'exemple de gens qui se sont introduits à travers le centre des accréditations ; j'ai d'autres exemples à vous donner pour montrer à quel point cette manifestation était hors norme en matière de délinquance. Des gens sont passés à travers des restaurants pour entrer dans le périmètre protégé. D'autres ont fracturé les accès à une école qui constituait une barrière naturelle autour du Stade de France : ils ont cassé la grille et ont déverrouillé la porte de l'intérieur pour pénétrer dans le périmètre d'accès protégé. Dans le cadre de Paris 2024, une passerelle est en train d'être construite pour relier le Stade de France à la piscine olympique. Ce chantier se trouve 4,80 mètres en contrebas du parvis du stade. Les gens y sont entrés par effraction et se sont fait la courte échelle pour accéder au parvis.
Nous convenons tous que nous aurions pu anticiper et prévoir la grève, les faux billets et cet afflux massif de supporteurs, si nous nous étions mieux coordonnés. En revanche, une telle délinquance n'aurait jamais pu être prévue.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Et qu'en est-il de la formation des stadiers ?
M. Didier Pinteaux. - Pour gérer cette manifestation, la FFF a fait appel à dix sociétés : huit sociétés de sûreté et deux sociétés d'accueil. Depuis le covid, nous avons beaucoup de difficultés à trouver du personnel compétent dans le domaine de la sûreté. Ces huit sociétés nous ont fourni environ 1 650 personnes, détenant toutes un certificat de qualification professionnelle délivré par le Conseil national des activités privées de sécurité (Cnaps). Des formations au matériel sont ensuite organisées sur le terrain. Nous travaillons avec ces sociétés depuis trois ans ; elles connaissent donc parfaitement le matériel mis à disposition au Stade de France. La particularité de cet événement était la mise en place d'un contrôle de billet en amont du préfiltrage avec, comme l'a dit Florence Hardouin, soit le contrôle du billet papier par un stylo chimique, soit celui du billet sur les téléphones avec une carte électronique qui active le billet, change la couleur affichée sur l'écran et produit un code-barre. Concernant cette nouvelle fonction, les responsables de billetterie à chaque poste ont reçu une formation spécifique organisée par l'UEFA.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Je vous remercie de la clarté de vos propos. Vous parlez beaucoup du délai très court et des difficultés d'anticipation et de préparation. Concrètement, deux réunions de préparation ont été organisées le 25 et le 27 mai sous la présidence du préfet de police ; y étiez-vous ? Toutes les parties prenantes que vous avez citées -- RATP, SNCF -- étaient-elles également présentes ? L'impact de la grève sur les flux et la complexité que cela entraîne pour les organisateurs ont-ils été étudiés à ce moment-là ? Le dialogue nécessaire entre transporteurs et organisateurs s'est-il tenu lors de ces réunions, alors que le préavis de grève avait été déposé ?
La note de la division nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH), qui décrivait assez bien ce qui allait se passer, était connue le 27 mai. En avez-vous eu connaissance ? En avez-vous débattu ?
Enfin, on se souvient que, pour France-Kazakhstan, la FFF avait demandé de déplacer le match au Parc des Princes. Avez-vous fait une demande similaire, non de déplacement, mais de report du match, compte tenu des risques que vous anticipiez ?
M. Erwan Le Prévost. - Nous avons tenu des réunions le 23 et le 25 mai, sur les thématiques que vous évoquez. Lors de la réunion du 23 mai, le plan de mobilité que nous vous avons présenté a été validé par l'ensemble des parties prenantes. Cela inclut la demande de déporter les flux du RER D vers le RER B en cas de grève. C'est ce qui a été fait à partir du moment où des problèmes ont été constatés, ce qui pour nous était trop tard. Le 26 mai, la RATP a publié un communiqué de presse nous informant de l'ampleur du mouvement de grève : jusqu'à 17 h 00, quatre trains sur cinq seraient en circulation, puis cinq trains sur sept. Nous avions également demandé à la RATP, qui avait validé auprès de nous le dispositif mis en place, de communiquer massivement auprès des supporteurs de Liverpool pour les inciter à prendre le RER B.
Concernant la note de la DNLH, notre réponse va être très simple : non, nous n'avons pas été mis au courant de cette note.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Vous n'en avez donc pas débattu en réunion.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Et il n'y a pas eu de réunion le 27 mai ?
M. Erwan Le Prévost. - Nous avons tenu des réunions le 23 et le 25 mai. En trois mois, nous avons eu plus de 130 réunions avec l'ensemble des parties prenantes, mais je pense que les réunions auxquelles vous faites référence sont celles du 23 et du 25 mai.
M. David Assouline. - C'est la réunion cachée !
M. Laurent Lafon. - Je précise que les dates nous ont été données par le ministre de l'intérieur.
M. Michel Savin. - Permettez-moi tout d'abord de remercier M. Diallo et Mme Hardouin d'avoir présenté des excuses et exprimé leurs regrets et leur tristesse auprès des supporteurs anglais qui ont été victimes d'actes de délinquance. Vous venez de préciser une nouvelle fois, après l'avoir écrit dans un communiqué, que 110 000 personnes se trouvaient aux abords du stade le soir du match. Ce chiffre nous interpelle depuis le début des auditions. Ce matin, M. le préfet de police a été assez flou dans sa réponse : les 35 000 à 40 000 personnes supplémentaires évoquées n'étaient plus à proximité du stade, mais dans les environs du stade. Une photo prise à 20 h 58, deux minutes avant le début prévu du match, montre qu'il n'y avait pas un tel nombre de personnes à l'extérieur du stade. Or leur présence est la raison invoquée par le ministre de l'intérieur pour expliquer les événements. S'ils n'étaient pas là, comment expliquer les débordements ? Quelle est la position de la FFF sur ces chiffres ?
Vous avez par ailleurs évoqué votre souhait de coconstruction : ne pensez-vous pas que le préfet de Seine-Saint-Denis, qui connaît bien le terrain, notamment en matière de délinquance, devrait avoir à l'avenir un rôle plus important dans la préparation de ce type de rencontres ?
Enfin, nous avons compris que le Président de la République avait poussé très fort pour accueillir cette finale à Paris malgré le court délai ; avez-vous été associé à cette décision ?
M. Jean-Jacques Lozach. - Concernant les moyens qui ont été mobilisés, que le ministre de l'intérieur a jugé largement suffisants -- c'était un peu plus flou du côté de la préfecture de police --, jugez-vous les effectifs de forces de l'ordre déployés suffisants pour ce type de rencontre à risque ?
La FFF, dans un communiqué, a estimé à 110 000 le nombre de personnes se trouvant à proximité du Stade de France en donnant comme source « des opérateurs publics et privés ». Confirmez-vous qu'il s'agit uniquement des transporteurs -- RATP, SNCF et taxis privés en particulier ?
Nous sommes par ailleurs encore dans le flou au sujet de cette note de la DNLH, entre ceux qui ont été destinataires et l'ont bien eue, ceux qui ont été destinataires, mais ne l'ont pas lue, ceux qui n'ont pas été destinataires du tout...
La FFF est-elle propriétaire des images captées par la vidéosurveillance à l'intérieur du Stade de France ? Si oui, des éléments vidéo ont-ils été transmis aux autorités qui en auraient fait la demande -- je pense notamment aux services du ministère de l'intérieur ?
L'UEFA s'est exprimée sur la question du dédommagement des spectateurs munis de billets n'ayant pas pu accéder au stade ; la FFF va-t-elle être sollicitée ?
Enfin, un arbitrage va devoir être pris. D'un côté, le préfet de police nous dit que la doctrine a bien été appliquée et ne saurait être remise en question ; de l'autre, Mme Hardouin nous a présenté un ensemble de préconisations et de propositions qu'il serait bon d'intégrer dans une stratégie sécuritaire relative aux événements de ce type.
M. Stéphane Piednoir. - Ma question porte sur les missions et les prérogatives de la FFF dans l'organisation de ce match. Je m'interroge sur la proportionnalité des mesures déployées et, plus précisément, le nombre de stadiers. Le ministre de l'intérieur a comparé cet événement à la finale de la Coupe de France qui s'est tenue dans le même stade quelques semaines plus tôt et aurait été classé 4 sur 5 sur une échelle de risque. Qui établit cette échelle?? Tient-elle compte de l'attractivité d'une rencontre ? Je n'ai rien contre les supporteurs de Nantes et de Nice, mais cet événement revient chaque année alors qu'une finale de Ligue des champions sur le sol français est beaucoup plus rare et suscite une exposition médiatique bien plus importante. Cela entraîne un flux de circulation autour du stade plus dense, comprenant des étrangers moins habitués aux formes de communication que nous employons, notamment dans les stations de métro et de RER. Avec un délai de préparation aussi faible, il aurait fallu, si j'ose dire, mettre le paquet pour faire face à l'imprévu. Pour cela, rien de mieux que du contrôle physique et donc des stadiers. Vous avez évoqué le chiffre de 17 % de stadiers supplémentaires. Était-ce, compte tenu de tous ces éléments, suffisant ?
M. Erwan Le Prévost. - Sur les flux de spectateurs, nous pouvons être précis, mais seulement sur ce que nous maîtrisons : les bus -- nous en avons acheminé 450 avec les supporteurs des deux clubs et l'ensemble des populations invitées -- et les véhicules légers qui ont stationné dans le parking du Stade de France. Pour les transports en commun, les chiffres que nous avons donnés sont ceux qui nous ont été communiqués par la RATP le soir du match : 6 200 personnes arrivées par le RER B, 36 000 par le RER D et 37 000 par la ligne 13 du métro. Au total, cela représente 110 000 personnes acheminées au Stade de France. Nous sommes bien incapables de vous dire ce que sont devenues ces 110 000 personnes, hormis les 72 000 qui sont entrées dans le stade et ont assisté à la rencontre. Quant aux 35 000 autres, 2 583 d'entre elles sont arrivées jusqu'aux grilles du Stade de France et ont été refoulées parce que leur titre d'accès était faux. Grâce à l'action des services de l'UEFA et des équipes de sécurité de Didier Pinteaux aux points de préfiltrage, nous avons récupéré près de 300 faux billets. Comme nous vous l'avons présenté sur la carte du stade, le périmètre ne comporte pas uniquement le parvis et la proximité immédiate du Stade de France et de ses 18 portes d'accès.
La zone qu'il faut regarder représente un périmètre extrêmement large à partir des stations de RER et de la ligne 13. L'entité qui peut répondre précisément à votre question - c'est une question que nous nous posons également - est la RATP : elle peut vous fournir sa capacité d'emport et le nombre de trains qui, à partir de 17 h 00, sont repartis vers le centre de Paris ou vers les aéroports avec un flux de spectateurs supérieur à celui qui est habituellement constaté. Certains agents de la RATP nous ont confirmé qu'à partir de 21 h 00 le flux était suffisamment important pour que des trains soient ajoutés en direction de Paris, ce qui constitue un élément important d'appréciation.
À propos de l'organisation de cet événement et du rôle de la préfecture de Seine-Saint-Denis, le préfet, Jacques Witkowski, et son directeur de cabinet, Frédéric Poisot, nous ont apporté une aide considérable. Il ne nous revient pas d'établir le cadre légal ou réglementaire d'intervention de la préfecture de police et des autres préfectures, mais il nous semble que la connaissance du terrain est essentielle dans ce type d'événement, en particulier dans ce département où les nuits sont agitées... Ils nous ont poussés dans nos retranchements concernant le plan de mobilité et nous ont alertés sur un ensemble de risques qu'il fallait prendre en compte.
M. Didier Pinteaux. - La finale de la Coupe de France et celle de la Ligue des champions sont deux manifestations totalement différentes.
La première a été classée au niveau 4 en raison d'importants risques d'affrontements entre les supporteurs des deux clubs concernés - ils sont connus pour s'affronter lors des rencontres de championnat. De plus, nous disposions d'informations selon lesquelles des supporteurs parisiens se mêleraient à ceux de ces deux clubs. Le classement au niveau 4 se justifiait donc du fait d'un risque élevé de trouble à l'ordre public à l'extérieur du Stade de France.
Concernant la finale de Ligue des champions, le risque était totalement différent. Nous savions que les supporteurs anglais avaient l'habitude de venir avec de faux billets, sans pour autant connaître le nombre de personnes concernées. Le dimensionnement du dispositif a été renforcé pour faire face à cette situation. Nous avons notamment ouvert plus de points de préfiltrage - douze au lieu des huit habituels - et donc multiplié le nombre d'agents. Nous avons aussi augmenté l'effectif de ce que nous appelons les équipes d'intervention, qui sont des personnels mobiles à l'intérieur du stade prêts à intervenir en cas de troubles : nous sommes passés de 40 à 112 agents.
Ai-je correctement dimensionné le dispositif ? J'aurais eu tendance à répondre oui, même si a posteriori j'aurais plutôt tendance à répondre non ! Pour autant, je ne suis pas sûr qu'augmenter les effectifs aurait changé quelque chose. En effet, le principal problème était la présence, à certains points de préfiltrage, d'un nombre important de personnes : cela créait un blocage et rendait impossible l'accès des spectateurs munis de billets.
M. Erwan Le Prévost. - Je voudrais apporter une précision au sujet des faux billets. Lors de grands concerts ou de manifestations importantes, il est habituel de constater que des gens achètent de faux billets pour des sommes très élevées par rapport à la valeur faciale de ces billets : des gens payent de 1 000 euros à 5 000 euros un billet qui en vaut quelques centaines. À l'occasion de la finale de la Ligue des champions, nous nous sommes rendu compte qu'un trafic de faux billets a été organisé, mais qu'ils ont été vendus à des personnes informées de leur nature frauduleuse. Tous les éléments d'information à ce sujet figurent dans la note de la FFF adressée à Michel Cadot.
Ainsi, sur les réseaux sociaux, des billets ont été vendus au prix de 50 livres sterling, soit moins cher que leur valeur faciale, les vendeurs expliquant précisément aux acheteurs qu'ils pourraient éventuellement passer le préfiltrage en faisant pression sur nos agents, mais qu'ils n'avaient aucune chance d'entrer dans le Stade de France munis de tels billets. C'est pour cette raison que le chiffre de 2 583 billets interceptés aux portes du stade est élevé.
Il est important d'avoir conscience que le nombre de personnes venues au Stade de France, en sachant pertinemment qu'elles possédaient un faux billet et que leur seule possibilité d'entrer était de saisir le moment opportun - celui où les portes céderaient et où les barrières seraient enfoncées - pour se précipiter dans l'enceinte, était bien plus élevé que celui des personnes qui, de bonne foi, pensaient avoir acheté un vrai billet.
Je voudrais apporter un élément de réponse à la question sur la vidéosurveillance posée par M. le sénateur Jean-Jacques Lozach. Les images sont disponibles pendant sept jours et sont automatiquement détruites ensuite. Une réquisition aurait été nécessaire pour déroger à cette règle.
En tout cas, j'ai passé la journée au PC sécurité et je peux vous dire que les images étaient extrêmement violentes.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Aucune réquisition n'a eu lieu, alors que la justice a été saisie dès le samedi soir ?
M. Erwan Le Prévost. - La justice a été saisie, sur la base de l'article 40 du code de procédure pénale, au sujet de la fausse billetterie.
M. Didier Pinteaux. - En ce qui concerne le niveau de risque d'une rencontre, c'est la DNLH qui propose au préfet un classement.
M. David Assouline. - Ce qui vient d'être dit par M. Le Prévost est très important, voire grave, et il aurait été particulièrement intéressant d'entendre le préfet de police sur ce point. Des images que vous jugez très violentes ont été détruites, parce qu'aucune réquisition n'a été faite avant l'expiration du délai de sept jours et alors même qu'une procédure a été engagée au titre de l'article 40 du code de procédure pénale. Des preuves ont ainsi été détruites du fait de ce que l'on pourrait qualifier au minimum d'incompétence - je n'ai pas envie de penser que cela a été fait exprès. C'est grave et c'est une responsabilité très importante de l'autorité publique.
Je souhaite vous interroger sur le préfiltrage. Il était réalisé au moyen de stylos. Il semblerait que des stadiers se soient beaucoup interrogés sur le taux particulièrement élevé de rejet - il atteignait 90 % ! - et qu'ils estimaient que cela provenait d'un dysfonctionnement des fameux stylos - M. le ministre de l'intérieur s'est beaucoup amusé de cet aspect des choses... Pourriez-vous nous apporter des précisions sur ce point ?
Si nous nous tournons maintenant vers l'avenir, ne pensez-vous pas que, lors de manifestations de ce type suscitant un fort engouement auprès d'un public populaire, la répartition des places - 28 000 billets destinés à des personnalités ou à des VIP, 7 000 pour le grand public et 20 000 pour chaque club - constitue un problème ?
J'ai assisté une fois à une finale de Ligue des champions - elle opposait Arsenal à Barcelone au Stade de France. Il y avait déjà une pénurie de billets et j'ai été effaré de voir des personnes de condition défavorisée détenir dans leurs poches des centaines, voire des milliers, d'euros en liquide pour acheter une place. Des supporteurs étaient prêts à dépenser leur paye pour cela ! Lorsqu'on crée une telle situation, qu'on incite en permanence les gens à consommer du football, ne peut-on pas s'attendre à ce que les pickpockets soient là et pas ailleurs ?
S'assurer que les billets soient vendus à un prix abordable, ne pas créer une situation de rareté telle qu'elle pourrait produire de la délinquance : ces questions sont importantes en vue des prochains jeux Olympiques.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Je veux tout d'abord remercier les représentants de la FFF de leur transparence et de la clarté de leurs propos. En particulier, il n'y a pas eu de déni de leur part au sujet des problèmes de billetterie ou de délinquance qui ont suscité la stupeur des Français. Je regrette d'ailleurs que nous ne parlions que des problèmes de sécurité et de violence et pas de la victoire du Real Madrid !
J'espère en tout cas, madame la directrice générale, que vos propos ne seront pas qualifiés de nauséabonds - c'est ce qu'a fait le ministre de l'intérieur, lorsque j'ai évoqué des problèmes de délinquance...
Dès lors que le Président de la République a décidé que ce match se déroulerait à Paris, est-ce qu'une réunion a été organisée en urgence par les ministères concernés avec l'ensemble des partenaires afin de les mobiliser et d'organiser correctement, en trois mois, cet événement pour qu'il soit une belle fête du football ? Combien de réunions ont eu lieu en présence de tous les partenaires - la FFF, la RATP, la SNCF, les responsables du Stade de France, etc. - pour anticiper les dysfonctionnements éventuels que l'on a finalement constatés ?
Enfin, comment avez-vous pu estimer le nombre de personnes détenant de bonne foi un faux billet et les autres ?
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Vous avez détaillé la fréquentation des différentes lignes de transport et regretté le basculement des usagers du RER B vers le RER D comme le manque d'informations sur ce point, qui explique peut-être la présence d'un plus grand nombre de stadiers à l'arrivée du RER B.
Un point m'intrigue : la grève était annoncée et, deux jours avant l'événement, des messages préconisaient de prendre le RER D. Je comprends qu'il puisse exister un problème de coordination ou de circulation de l'information, mais vous n'aviez pas besoin qu'on vous informe de cette situation, car elle était de notoriété publique.
Ensuite, était-il possible, selon vous, d'organiser de manière satisfaisante cette manifestation en trois mois ou l'accident était-il prévisible ?
Enfin, qui pilotait l'ensemble de l'opération ? La Diges, le préfet de police ? Qui était responsable du pilotage d'ensemble ?
M. Jacques Grosperrin. - Lors des nombreuses réunions qui ont eu lieu, avez-vous alerté la préfecture de police ou une autre autorité sur les risques que présentait ce match, puisqu'on sait que les supporteurs du club de Liverpool se déplacent en nombre et souvent sans billet ou avec de faux billets ?
Pouviez-vous, sous couvert de l'UEFA, interdire cette manifestation, étant donné les risques engendrés par l'utilisation de billets papier ?
Enfin, le préfet de police, Didier Lallement, nous expliquait ce matin que ce n'était pas un match à risque. Or Philippe Diallo vient de nous dire qu'il avait reçu une note selon laquelle le risque de ce match était classé au niveau 4 sur une échelle de 5. Faisait-il référence à la note concernant la finale de la Coupe de France dans laquelle jouait Nantes ou à une note de la préfecture de police qu'il aurait reçue au sujet de la finale de la Ligue des champions ?
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Le Président de la République vous a-t-il consultés, avant de prendre sa décision, sur notre capacité à recevoir cette finale dans les conditions que vous avez évoquées ?
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - À quel moment avez-vous eu les chiffres de la RATP et de la SNCF concernant les flux de voyageurs ? Est-ce dès le samedi soir ou quelques jours plus tard ?
M. Erwan Le Prévost. - Nous les avons reçus en temps réel le samedi soir.
M. Didier Pinteaux. - Je vais répondre à la question portant sur les stylos. Chaque point de préfiltrage est géré par un responsable et, le soir de la manifestation, l'un d'entre eux nous a appelés pour nous demander de nouveaux stylos, car il pensait que ceux dont il disposait ne fonctionnaient plus. Nous avons donc envoyé le responsable billetterie de l'UEFA sur le site : il a constaté que les stylos fonctionnaient très bien et qu'il s'agissait en réalité de faux billets. Je le répète, les stadiers de ce point de préfiltrage ont cru que les stylos ne fonctionnaient pas, mais le problème venait des nombreux faux billets
M. Erwan Le Prévost. - L'UEFA nous a fourni des stylos neufs, dont le bon fonctionnement a été testé le matin du match. Lorsqu'un stylo fonctionne correctement, l'encadré figurant au dos du billet devient rose lors du passage du stylo ; s'il reste blanc, le billet est faux. Dès 17 h 00, le PC sécurité a été alerté sur le fait que les stadiers avaient un problème avec les stylos, car la couleur rose n'apparaissait pas sur les billets. Nous avons alerté l'UEFA qui a envoyé une équipe sur les différents points de préfiltrage avec de nouveaux stylos. Cette équipe a pris un échantillon de dix billets par point de préfiltrage : en moyenne, de quatre à sept étaient faux.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - À partir de quelle heure le stade est-il ouvert pour que le public puisse prendre place à l'intérieur ?
M. Erwan Le Prévost. - Il y a deux niveaux. Le premier, c'est l'activation du préfiltrage, qui était prévue à midi ; elle a eu lieu à 11 h 50. Le deuxième, c'est l'ouverture des portes du Stade de France, qui a été prévue à 18 h 00 et qui a eu lieu à 18 h 00.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Le Président de la République vous a-t-il consultés ? Soyons clairs, je comprends que la réponse est non...
M. Erwan Le Prévost. - Je souhaite vous apporter des réponses sur l'organisation générale. La décision a été prise le 28 février. Le 4 mars, nous avons eu la première réunion de coordination organisée par le délégué interministériel aux grands événements sportifs (Diges), c'est-à-dire le préfet Michel Cadot ; elle a regroupé l'ensemble des acteurs et des parties prenantes. En moyenne, nous avions environ une réunion par semaine sur les différentes thématiques, qu'il s'agisse des transports, des fan zones, avec les villes de Paris et de Saint-Denis, ou de la sécurité, avec la préfecture de police. Les équipes du préfet Michel Cadot étaient présentes à chacune de ces réunions. La coordination générale de l'événement s'est donc faite sous l'égide du Diges et de ses équipes. Cela a permis de construire l'événement. Même si la forme n'est pas celle que nous attendions, les acteurs ne se sont jamais autant mobilisés à nos côtés, malgré les délais contraints, pour surmonter les écueils que nous rencontrions.
Ce qu'il faut avoir en tête, c'est la particularité de cette finale. Vous évoquiez cette problématique connue des supporteurs qui se déplacent en très grand nombre. C'est pour cela que nous avons mis une pression certaine sur les villes de Paris et de Saint-Denis. Nous avons ainsi pu accueillir 44 000 personnes sur la fan zone de Paris et 6 000 personnes à l'instant t, mais, en définitive,12 000 personnes sur celle qui était prévue pour Madrid. Il était important pour nous de prendre en compte ce nombre substantiel de spectateurs.
J'insiste sur le fait que la coordination a mobilisé l'ensemble des services de l'État. L'ensemble des ministères ont travaillé à nos côtés et à ceux de l'UEFA, qui était présente à chaque réunion pour organiser cet événement dans ce que nous pensions être les meilleures conditions. En définitive, c'est un échec pour nous tous.
Comme l'ont indiqué M. le vice-président et Mme la directrice générale, ce que nous en tirons en tant que FFF, c'est un sentiment de tristesse, compte tenu de l'investissement consenti par toutes les personnes mobilisées autour de l'événement. Au regard de tout le travail de coordination que nous avons effectué avec l'ensemble des parties prenantes, ce n'est pas cette fin-là que nous attendions.
Je vous rejoins. Il y a des moments où nous aurions dû prendre le temps de poser certaines questions. A-t-on bien compris notre demande ? La restitution qui en est faite est-elle la bonne ? En prenant telle décision, assumons-nous le risque correspondant ou préférons-nous faire en sorte de l'écarter, afin de nous concentrer sur notre objectif premier, c'est-à-dire accueillir et organiser la manifestation ?
M. Michel Savin. - Madame la directrice, vous avez indiqué tout à l'heure qu'il y avait eu des retours importants dans les transports après 21 h 00. Or, dans son communiqué, la SNCF précise qu'aucun afflux particulier ou plus important que d'habitude n'a été enregistré dans l'autre sens après le début du match. Il y a là une contradiction. Une de plus. Vous comprenez que nous puissions nous interroger.
M. Erwan Le Prévost. - La SNCF pourrait-elle communiquer ses flux montants et ses flux descendants au Stade de France sur la journée du 28 mai ?
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Nous allons auditionner la SNCF.
M. David Assouline. - Je trouve totalement aberrant que les images aient été détruites sous prétexte qu'elles n'ont pas été réquisitionnées dans les sept jours. Qui devait faire la réquisition et agir pour qu'elles ne soient pas détruites ?
M. Didier Pinteaux. - Nous ne les avons pas détruites. Elles se sont écrasées toutes seules. C'est automatique.
M. David Assouline. - Certes. Mais j'aimerais avoir la réponse à ma question. Qui devait prendre la décision ?
M. Didier Pinteaux. - Il faut une réquisition judiciaire.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - En effet. La réquisition des images de vidéoprotection relevant d'une décision judiciaire, il appartenait au procureur de la République de la demander. S'il ne le fait pas dans le délai imparti par la loi, les images s'écrasent.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Nous avons compris que les discussions avec la RATP ne fonctionnaient pas de manière opérationnelle lorsque vous avez eu connaissance du préavis de grève.
Vous avez laissé les points de filtrage tels qu'ils avaient été envisagés, c'est-à-dire l'essentiel des points de filtrage côté RER B alors que l'on pouvait imaginer un phénomène de report sur la ligne D. Finalement, le jour du match, malgré le préavis de grève, quatre RER B sur cinq fonctionnaient. Néanmoins, en raison des annonces préalables, les spectateurs, notamment les Anglais, ont tout de même utilisé le RER D. Il y a donc eu un afflux sur les points de filtrage du RER D. À ce moment-là, il n'y avait pas de liaison entre la RATP et vous pour réorienter sur les points de filtrage. Mais, lors de l'annonce du préavis de grève, il n'y a pas eu modification de votre part sur la répartition des points de filtrage en anticipant un phénomène de report sur le RER D ou en prévoyant un cheminement orientant vers les points de filtrage du RER B. C'est bien cela ?
M. Erwan Le Prévost. - Je confirme exactement ce que vous venez dire. Les différentes réunions que nous avons menées avec l'ensemble des parties prenantes sur l'organisation de cet événement et le plan de mobilité nous ont amenés à proposer un plan, en faisant notamment appel à la RATP et la SNCF, pour orienter les spectateurs vers le RER B. Ce plan a été validé. Un communiqué de presse diffusé le 26 mai informait qu'il y aurait une grève le 28 mai, mais en précisant que le trafic ne serait pas loin d'être optimal, avec quatre trains sur cinq, puis cinq trains à partir de dix-sept. Et nous avons découvert dans l'après-midi du match que la RATP, notamment dans les hubs de Châtelet et de Nation, incitait les personnes à se rendre au stade en utilisant le RER D.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Madame, messieurs, nous vous remercions de votre venue et des éléments que vous avez portés à la connaissance de nos deux commissions.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion, suspendue à 16 h 05, est reprise à 16 h 10.
Incidents survenus au Stade de France le 28 mai 2022 - Audition de M. Steve Rotheram, maire de la métropole de Liverpool
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Monsieur le maire, nous vous remercions d'avoir répondu à l'invitation de nos deux commissions du Sénat. Permettez-moi de souligner, avec le président de la commission de la culture, Laurent Lafon, et l'ensemble des parlementaires ici présents, combien nous regrettons les circonstances dans lesquelles nos amis britanniques et leurs familles se sont retrouvés à l'occasion de la finale de la Ligue des champions.
Nous vous recevons en votre qualité d'élu britannique, mais également de témoin des événements et de supporter de football. Nous croyons savoir que vous assistez régulièrement aux matchs de Liverpool ; je me souviens de temps anciens où le football français a beaucoup subi les qualités exceptionnelles d'un joueur nommé Kevin Keegan... Vous êtes en mesure de comparer les organisations et les ressentis à l'occasion des matchs. Vous avez indiqué dans la presse et sur les réseaux sociaux avoir vous-même été victime de vols au cours de cette soirée. Sur tous ces éléments, nous attendons votre témoignage.
Depuis le 28 mai dernier, la police française a mis en place un formulaire de dépôt de plaintes sur le site de l'ambassade de France, afin de permettre la poursuite de ceux qui ont commis des infractions. Auriez-vous des suggestions à nous adresser à cet égard ?
M. Steve Rotheram, maire de la métropole de Liverpool. - Je remercie le Sénat français de m'avoir invité. Monsieur le président, je crois que vous montrez un peu votre âge, avec la référence à Kevin Keegan !
Les fans de Liverpool peuvent effectivement remplir un formulaire. Mais ce n'est pas un formulaire de plainte contre le traitement de la police lui-même. Pour moi, c'est l'une des plus grandes injustices, car il s'agit de l'un des plus grands maux dont ils ont souffert.
Le formulaire permet de saisir des informations. Mais l'important est de savoir comment celles-ci seront traitées une fois collectées. Pour ma part, je le remplirai. Je note qu'il doit être envoyé par voie postale en France. Pourtant, il serait nettement plus facile d'avoir à remplir un formulaire en ligne, afin de permettre un véritable suivi des plaintes envoyées.
Les supporters se réjouissent d'un tel engagement de la part des autorités françaises, mais il existe des doutes quant à la méthode de collecte des données et à l'utilisation qui en sera faite.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Pourriez-vous nous raconter précisément ce que vous avez vécu le soir du match ?
M. Steve Rotheram, maire de la métropole de Liverpool. - La nuit précédente et le jour du match, j'étais à Paris. Les Parisiens étaient très accueillants. Ils nous faisaient sentir que nous étions comme chez nous. Je crois d'ailleurs que beaucoup d'entre eux souhaitaient la victoire de Liverpool, puisque le Real Madrid avait gagné contre Paris en 8e de finale.
Mais, lorsque je suis sorti du métro pour aller vers le Stade de France, j'ai vraiment constaté un changement d'atmosphère. La journée de rêve s'est transformée progressivement en journée de cauchemar. On m'avait prévenu qu'il y avait des groupes de pickpockets bien organisés. J'en ai malheureusement été victime.
Même si, sur le moment, j'ai vécu cela difficilement - on m'a volé mes papiers, mes cartes, mon téléphone, mon billet d'entrée -, ma préoccupation immédiate a été de savoir quoi faire. Ce qui m'est arrivé n'est vraiment pas grand-chose par comparaison avec ce qui est arrivé à d'autres personnes, qui ont été victimes de vols beaucoup plus violents.
La journée qui a précédé le match était vraiment fantastique ; en revanche, l'organisation autour du stade et l'attitude de la police ont très rapidement transformé ce beau moment en une journée négative.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Je me joins aux propos du président Buffet et vous exprime à mon tour nos regrets : ce qui aurait dû être un bel événement sportif a malheureusement donné lieu à des débordements inacceptables dont un grand nombre de supporters de Liverpool ont été victimes. Le président Buffet rappelait les exploits de Kevin Keegan : de fait, nous sommes nombreux en France à apprécier ce beau club de Liverpool. Pour ma part, c'est Kenny Dalglish que j'ai en mémoire. C'est dire l'estime que nous avons pour votre club.
Un certain nombre de points suscitent des incompréhensions des deux côtés de la Manche, en particulier la question de la billetterie papier, qui, depuis quelques jours, donne lieu à bien des débats. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi, non pas la ville de Liverpool, mais son club a demandé à disposer de billets papier ? Est-ce une pratique régulière ?
M. Steve Rotheram. - Je vais répondre à votre question parce que vous me l'avez posée, mais je veux dire qu'on a utilisé cette question des billets pour créer ensuite une fausse version des faits.
Les fans de Liverpool assistent à de nombreux matches de foot à l'extérieur et il n'y a jamais eu de problème avec les billets. Pour moi, le problème, c'est que certains scanners ont rejeté des billets valides, ce qui a créé de longues files d'attente. C'est un moyen dont on s'est servi pour faire des fans de Liverpool des boucs émissaires. Du côté du Real Madrid, ce sont des tickets électroniques qui ont été utilisés ; pourtant, il y a aussi eu des problèmes. Donc, ces accusations contre les fans sont fausses : c'est à la sortie des stations de transport en commun que la situation a commencé à dégénérer. M. Darmanin et Mme Oudéa-Castéra ont livré une version fausse en parlant de 30 000 à 40 000 faux billets, et ce uniquement pour servir la version des autorités françaises.
Ce n'est pas la première fois qu'on fait des fans des bouc émissaires : c'est ce qui s'est également passé après le match d'Hillsborough, qui avait fait 97 morts. C'est donc un sujet vraiment sensible.
Cette idée de reporter la faute sur les fans s'est fait jour dès le début : pour cela, on a utilisé les images. Pourtant, les fans sont arrivés avec trois heures d'avance. Manifestement, ce n'était pas suffisant. Quand donc auraient-ils dû arriver pour que les choses se passent bien ?
Ensuite, on a mis en cause les fans sans billet. Là encore, ce sont de fausses accusations. Les propos de M. Darmanin, qui évoquait 40 000 fans sans billet, ne reposent sur aucune preuve.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Cela fait partie des points que nous examinons avec la plus grande attention. Ce matin, nous avons auditionné le préfet de police et, cette après-midi, les responsables de la Fédération française de football. Le Sénat a bien l'intention de mettre à plat tous les dysfonctionnements et d'identifier les responsabilités des uns et des autres. N'ayez aucun doute sur notre volonté de faire toute la lumière sur ce qui s'est passé. Il ne doit y avoir aucune ambiguïté.
Ma question visait non pas à mettre l'accent sur tel ou tel problème, mais à lever certaines incompréhensions qui ont pu naître des deux côtés de la Manche. Et il est vrai que cette question des billets papier nous interroge un peu. Je me permets donc de vous reposer la question : pourquoi cette demande de billets papier du côté de Liverpool ? Madrid a formulé des demandes similaires, mais en moins grand nombre. Pour lever toute ambiguïté, je veux préciser que, en France, nous ne connaissons pas forcément cette pratique consistant, pour de nombreux supporters, à se déplacer à l'étranger à l'occasion d'un match alors même qu'ils ne disposent pas de billet. Pouvez-vous nous indiquer si c'est là quelque chose d'habituel chez les supporters de Liverpool, pour une finale ou un match de qualification ?
M. Steve Rotheram. - Merci d'avoir clarifié votre question. Il faudrait la poser directement au club de Liverpool. Si le problème trouve son origine dans ces billets papier, alors pourquoi lui avoir donné la possibilité d'y recourir, de préférence à des billets électroniques ? En tout cas, puisque de tels billets sont, semble-t-il, autorisés, je ne comprends pas vraiment le sens de votre question. D'autant que les fans du Real Madrid qui utilisaient des billets électroniques ont, eux aussi, rencontré des problèmes pour entrer dans le stade, puisque les scanners ont connu également des dysfonctionnements avec ceux-ci.
La situation aurait-elle été encore plus chaotique si les fans de Madrid n'avaient pas eu de billets électroniques ? Je ne sais pas, il est difficile de répondre à cette question.
Londres est facilement accessible depuis Liverpool ; ensuite, on rejoint Paris en une heure trente, grâce au tunnel sous la Manche. C'est ce qu'ont fait les fans du club, mais sans la moindre intention d'entrer dans le Stade de France ; ils voulaient simplement profiter de l'atmosphère. Les dizaines de milliers de supporters qui se sont rassemblés au sein des fan zones se sont extrêmement bien comportés, ils ont fait la fête, ils se sont amusés, ils ont profité de l'événement : ceux qui ne pouvaient pas aller au stade ont regardé le match sur des écrans géants.
Peut-être les autorités françaises ou les autorités du football ne voulaient-elles pas que ces fans voyagent... Pour ma part, j'estime que chacun a le droit de se déplacer et de profiter de l'atmosphère d'un match à l'extérieur du stade. Et puis, simplement, ces fans pensaient être les bienvenus et voulaient éprouver le sens de l'hospitalité du peuple français. Ce qui est une bonne chose.
Je n'accuse absolument personne, mais, dans certains cas, les supporters de Liverpool qui n'avaient pas de ticket ont été quelque peu trompés : dire qu'ils ont tenté de pénétrer dans le stade quoi qu'il en coûte, c'est simplement faux ! Où ces 40 000 personnes ont-elles disparu ? Elles se sont évanouies dans le métro, juste après le coup d'envoi ? Cela m'intéresserait de le savoir !
D'où sort ce chiffre de 40 000 faux billets ? C'est un calcul qu'on a fait au dos d'un paquet de cigarettes ?
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Monsieur le maire, pour être très précis s'agissant de la question des billets papier, il nous a été dit que l'usage dans une telle compétition était d'utiliser des billets électroniques et que, pour la finale, les Espagnols avaient effectivement demandé 6 000 billets papier pour un usage interne au club, si je puis dire, puisque ces billets étaient destinés à ses invités. Le club de Liverpool, quant à lui, a demandé un plus grand nombre de billets papier, certains d'entre eux s'étant par la suite révélés faux, d'après ce qui a été constaté. Une enquête judiciaire est en cours pour faire la lumière sur cette affaire, ce qui est parfaitement normal. Nous avons demandé à la Fédération française de football - en réalité, c'est l'UEFA qu'il faudrait interroger - pourquoi il avait été dérogé, pour les deux clubs, à cette règle du billet électronique. Ce n'est pas le seul problème, tant s'en faut, nous sommes bien d'accord, mais c'est une question que l'on se pose.
Monsieur le maire, quelle était l'ambiance autour de vous lorsque vous avez rejoint le stade ? On nous dit qu'il vous a été demandé de passer par-dessus les grilles pour entrer dans l'enceinte, ce qui nous semble effrayant. Nous voudrions comprendre : y avait-il beaucoup de monde, exerçant une pression très forte ? ou bien la foule était-elle plus clairsemée, mais le climat extrêmement violent ?
M. Steve Rotheram. - Avant de vous relater dans quel contexte on m'a demandé d'escalader la grille, j'aimerais revenir sur votre première question, celle sur les billets.
Je pose la question aux autorités françaises et à l'UEFA : si la délivrance de billets papier aux supporters de Liverpool était problématique, alors pourquoi l'ont-ils fait ? S'il y avait un problème avec les scanners ou les stylos chimiques, pourquoi l'ont-ils fait ? On a dit que 66 % des faux billets étaient détenus par des supporters de Liverpool. Or je suis convaincu que, sur cette masse de billets, certains étaient authentiques et qu'ils ont été rejetés par les appareils de contrôle. Ce chiffre de 66 % est-il exact ? Je n'en suis pas certain. S'il l'est, cela signifie à tout le moins que 34 % des faux billets étaient détenus par des supporters du Real Madrid - des billets électroniques !
Il semblerait que les supporters de Liverpool aient vu un plus grand nombre de leurs billets rejetés que les supporters de Madrid ; pour autant, cela signifie qu'un grand nombre de billets électroniques détenus par les supporters de Liverpool auraient également été rejetés. C'est ce qui a créé toutes ces queues et suscité tous ces problèmes.
Cette affaire de billets, c'est en fait une manière pour les autorités françaises de ne pas prendre à bras-le-corps les raisons fondamentales pour lesquelles autant de problèmes sont survenus autour du stade.
Pour ce qui est de mon cas personnel, comme des milliers d'autres supporters, lorsque nous sommes sortis de la station de train, nous avons marché en empruntant un grand boulevard, balisé par des barrières. Après avoir parcouru plusieurs centaines de mètres, nous avons été bloqués par des véhicules de police et nous nous sommes retrouvés face à des membres des forces de l'ordre, matraque à la main. C'est là qu'ils ont demandé aux gens de passer par-dessus ces barrières, assez hautes, pour rejoindre la partie piétonne. Pour ce faire, il fallait déposer ses effets personnels. Et c'est de ce laps de temps qu'ont profité les pickpockets pour agir. C'est ce qui m'est arrivé.
À ce moment-là, il n'était aucunement question d'entrer dans le stade. C'est là qu'est le malentendu, l'incompréhension. Des agents de police m'ont aidé à rejoindre l'enceinte sportive et à obtenir un billet de remplacement.
M. Michel Savin. - Comme beaucoup de mes collègues, je regrette les propos qui ont été tenus à l'égard de votre ville et de ses habitants à la suite des événements qui se sont déroulés au Stade de France. Les actes de délinquance et d'agression survenus aux entrées et aux sorties du match sont également regrettables.
Je voudrais avoir votre avis sur les propos qu'a tenus le ministre de l'intérieur devant les sénateurs lors de son audition, et que je reprends mot pour mot : « Nous nous sommes attendus, avec Liverpool, à des problèmes. On pensait que les problèmes viendraient du hooliganisme et des mouvements de foule violents. Ils ne sont pas venus de là, ils sont venus de faux billets, et c'est sans doute une explication de ce qui s'est passé samedi soir. »
À l'entendre, les débordements et les actes de délinquance qui se sont déroulés autour du stade étaient dus à la présence de milliers de supporters de Liverpool sans billet ou munis de faux billets.
Nous essayons depuis le début de nos auditions d'obtenir une transparence sur les chiffres annoncés, notamment concernant les 30 000 à 40 000 spectateurs sans billet ou munis de faux billets. C'est un point important, car les images diffusées à la télévision à 21 heures ne montrent pas un tel attroupement devant le Stade de France. De plus, la SNCF a publié un communiqué indiquant qu'elle n'avait pas relevé de surplus de voyageurs après 21 heures. La question reste donc entière.
Par ailleurs, quelle est la réaction du maire et des habitants de Liverpool en voyant que l'on essaie de faire peser la responsabilité des événements sur la présence nombreuse de supporters anglais, tout en faisant abstraction des actes de délinquance et d'agression survenus autour du stade ?
M. Steve Rotheram. - Pour revenir sur le témoignage de M. Darmanin, il s'attendait à des problèmes, à ce que des hooligans soient là. Cependant, je peux vous assurer que, s'il y avait eu un match à Wembley, il n'y aurait pas eu beaucoup de fans de Liverpool.
À plusieurs égards, cela explique peut-être la façon dont les policiers ont abordé ce match et peut-être aussi certains problèmes que l'on a constatés. J'ai vu des policiers qui, d'une certaine façon, cherchaient des problèmes, n'en trouvaient pas, se regroupaient, et menaçaient plusieurs personnes avec leurs matraques. S'il y avait vraiment eu des incidents graves nécessitant de recourir à la force de la police, on aurait des images. Il y a toutes sortes de façons d'obtenir ce genre de vidéo de nos jours. Les gens ont des téléphones portables, nous pourrions donc avoir ce genre de preuve ou d'image.
Je crois que M. Darmanin a essayé de tromper non seulement le public français, mais aussi les médias dans le monde entier.
Dans mon pays, les responsables politiques aiment bien parfois voir la vérité à leur façon - notre Premier ministre lui-même aussi, d'ailleurs ! Mais cela n'excuse en aucun cas les autorités françaises, qui ont conçu une campagne pour reporter la faute sur d'autres et trouver des boucs émissaires. Les fans de Liverpool, c'est finalement une excuse assez pratique pour dévier l'attention de la mauvaise préparation de l'événement.
Je me suis rendu plusieurs fois en France pour des matchs et n'ai jamais vu un tel échec en matière d'ordre public et d'organisation policière.
En ce qui concerne les billets, je n'ai aucun doute sur le fait qu'il y aura toujours un certain nombre de faux billets dans les grands événements sportifs à travers le monde. Toutefois, le chiffre de 40 000 billets a été véritablement ridiculisé. Ensuite, les autorités françaises ont annoncé comme chiffre 2 500 faux billets seulement. Je ne sais pas s'il s'agit d'un grand nombre par rapport à la capacité du Stade de France, mais il s'agit en tout cas d'un nombre bien inférieur à celui de 40 000 qui avait été annoncé initialement. Ce n'est donc absolument pas vrai, c'est même ridicule de dire qu'il y avait un aussi grand nombre de faux billets ! Si la situation n'était pas sérieuse, j'en rirais véritablement.
En tout cas, il y a vraiment eu un problème d'organisation et de communication. Heureusement, cela a été contré par l'attitude vraiment exemplaire et exceptionnelle des fans de Liverpool, certains d'entre eux étant arrivés plus de trois heures à l'avance au stade. Les supporters se sont entraidés, et ont assuré eux-mêmes l'ordre à l'extérieur du stade, en quelque sorte.
L'affirmation consistant à dire qu'on peut utiliser des gaz lacrymogènes pour ramener l'ordre est fausse aussi. Pour moi, c'est un moyen non pas de ramener l'ordre, mais de disperser les gens dans toutes les directions, ce qui peut provoquer d'ailleurs des blessures graves. Il n'y avait donc aucun contrôle, et les services de police se sont complètement effondrés.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Dans la lignée des propos du président Buffet et du président Lafon, je tiens à souligner combien nous regrettons de voir ce fiasco français expliqué par nos ministres par le comportement des Anglais.
Je note d'ailleurs que l'Angleterre a prouvé à la France, à travers l'organisation du Jubilé de la Reine, sa capacité à anticiper de grands événements. Aucun incident n'est en effet survenu à cette occasion, alors que des milliers d'Anglais ont participé aux différentes festivités planifiées. Vous avez donc prouvé le bon comportement des Anglais, trois jours après les événements du Stade de France, à nos ministres qui ne veulent pas assumer leur fiasco.
Vous avez prononcé une phrase qui m'a peinée, lorsque vous avez dit que votre journée de rêve s'était transformée en cauchemar. Comment ne pas être touché par cette phrase ?
Vous avez par ailleurs bien fait d'insister sur les fan zones. Pour m'être trouvée à Paris le vendredi et le samedi, je puis confirmer qu'il y avait un très bon climat. Aucun problème n'est survenu dans les fan zones à Paris. Les supporters anglais, espagnols et français savent donc se comporter correctement.
Vous avez raconté votre expérience personnelle. Avez-vous ressenti, chez les supporters que vous avez pu croiser, un sentiment d'insécurité autour du Stade de France du fait des hordes de délinquants qui les attendaient pour les dépouiller ? Plusieurs supporters victimes d'actes de délinquance vous ont-ils donné leur témoignage ?
Sachez que nous sommes nombreux à soutenir votre démarche et à comprendre ce que vous dites aujourd'hui.
M. Steve Rotheram. - Je m'étais rendu en France avec de grandes attentes, je voulais vraiment voir un spectacle, mais finalement j'étais trop désespéré pour aller m'asseoir dans le stade. J'ai donc regardé l'événement de l'extérieur. J'ai ensuite exprimé mes préoccupations à de nombreux invités importants ou à des personnes à l'extérieur.
Je crois que vous avez tout à fait raison, madame. Il y a eu, bien sûr, de nombreuses célébrations très joyeuses, des démonstrations de camaraderie. De nombreuses personnes ont aimé ces moments avant le match ; mais les choses ont dégénéré, elles dégénéraient dès que l'on s'approchait du stade.
Cela tenait vraiment au manque de présence policière, ou alors, ensuite, à des interventions policières trop musclées.
Pour remettre les choses dans leur contexte, j'étais aussi présent au match de 2014 entre Lille et Everton, et les mêmes tactiques étaient utilisées par la police à l'époque. Ce n'est pas le genre de tactique auquel les Britanniques sont habitués. L'une des choses que nous faisons bien, au Royaume-Uni, c'est que nous avons l'habitude de faire la queue. Généralement, les gens respectent le protocole, les règles non écrites de la file d'attente. C'est exactement ce qui s'est passé aux alentours du Stade de France : les gens faisaient la queue patiemment. Or aucune information n'a été donnée aux fans pour leur expliquer combien de temps il leur faudrait attendre pour entrer dans le stade.
Il n'y avait pas vraiment de stadiers présents pour orienter les gens vers la bonne file d'attente, leur permettant d'atteindre le tourniquet qu'ils devaient utiliser. Il n'y avait pas non plus de contrôle préliminaire des billets.
Pour moi, cette expérience a vraiment été totalement décevante. Cela ne va pas complètement entacher ce que je pense de la France. Je viens souvent en vacances en France et me suis toujours senti très bien accueilli. Toutefois, s'il s'agissait pour quelqu'un de sa première expérience de la France et de sa première rencontre avec la police française, je ne suis pas sûr qu'il aimerait y revenir.
C'est pourquoi il est important que la vérité émerge, et non pas les mensonges qui sont relayés par des personnes qui occupent pourtant une position de pouvoir et devraient donc se comporter différemment.
Il faudrait une enquête indépendante qui fasse toute la lumière sur ce qu'il s'est passé. Vous pourriez, au Sénat, analyser la question dans son ensemble et en tirer des enseignements. Un match France-Danemark a eu lieu la semaine suivante, et, une fois encore, certaines personnes ont eu des difficultés à entrer dans le stade. Il me semble donc que des enseignements n'ont pas encore été tirés des événements, et que les problèmes intrinsèques à leur organisation n'ont pas encore été analysés.
M. Jean-Jacques Lozach. - Notre état d'esprit n'est pas de montrer du doigt les supporters de Liverpool, mais de savoir précisément ce qui s'est passé dans la soirée du 28 mai.
Dans certaines circonstances, les mots prennent un intérêt particulier. Tout le monde exprime des regrets : le préfet de police l'a fait ce matin, suivi des représentants de la Fédération française de football (FFF) tout à l'heure. Cependant, personne n'a encore formulé d'excuses.
Monsieur le maire, attendez-vous des excuses de la part des autorités publiques françaises, comme certains l'ont demandé ?
M. Steve Rotheram. - Je crois que des excuses complètes sont nécessaires, mais pas seulement de la part des autorités françaises. L'Union européenne des associations de football (Union of European Football Associations - UEFA) a aussi une grande responsabilité.
J'ai parlé précédemment d'une enquête supposément indépendante. Pour qu'elle remplisse les objectifs qu'elle devrait remplir, il faudrait que les deux clubs de football y soient représentés, ainsi que des personnes qui ont vécu les événements de l'extérieur, car ce sont ces expériences qui peuvent orienter l'enquête et permettre de tirer les enseignements de cette débâcle.
Nous pourrions comprendre ainsi comment protéger à l'avenir les événements sportifs et les supporters, pour qu'ils ne se retrouvent pas dans la situation dans laquelle se sont retrouvés les fans de Liverpool ce soir-là - et peut-être aussi les fans du Real Madrid, même si je n'étais pas de leur côté.
Il y a eu beaucoup de spéculations, et beaucoup de choses ont été dites par des personnes qui ne comprennent pas la situation car elles ne l'ont pas vécue. Or, croyez-moi, c'était vraiment une situation difficile.
Pour une personne de mon âge, qui a déjà vécu des expériences traumatisantes par le passé lors de matchs de football en Angleterre, cela réveille de très mauvais souvenirs. Je détesterais que d'autres fans doivent vivre ce que les fans de Liverpool ont déjà vécu.
Je ne veux pas dire quelles conclusions devraient être tirées avant que l'enquête ne soit menée. Je crois en revanche que la plus grande part des responsabilités ne doit pas simplement tomber sur la police et les organisateurs. L'UEFA doit aussi répondre à des questions.
M. Jean-Jacques Lozach. - Le club de Liverpool a-t-il systématisé ou non la billetterie électronique ? Les autorités judiciaires de Liverpool ont-elles diligenté une enquête sur la fraude dans ce domaine ?
Les supporters anglais peuvent déposer plainte à Liverpool auprès de policiers français dépêchés sur place. Y en a-t-il beaucoup qui le font ?
M. Stéphane Piednoir. - Je compatis pour cette soirée malheureuse et regrette que des supporters anglais aient pu découvrir la France sous cet angle.
Les responsables de la fédération française de football avaient classé ce match au même niveau que la finale de la Coupe de France. Qu'en pensez-vous ? Quelles relations le club de Liverpool et le Real Madrid entretiennent-ils ?
Des informations ont-elles été données aux supporters détenteurs ou non de billets sur les précautions à prendre et les moyens à emprunter pour se rendre au Stade de France ? Savaient-ils qu'il y avait une grève ?
Les clubs anglais ont un passé en termes de hooliganisme assez important pour que l'on prenne des mesures préventives. Que pensez-vous du fait que, faute d'une réquisition avant l'expiration de la période de conservation de sept jours, les images de vidéoprotection autour du Stade de France ont été écrasées automatiquement ?
M. Guy Benarroche. - Je vous parle depuis Marseille, qui, comme Liverpool, est une grande ville du foot européen. Sachez que vous pouvez compter sur le soutien de beaucoup de supporters marseillais.
Votre propre expérience ou les témoignages que vous avez pu recueillir nous intéressent. La justification par la police de l'usage de gaz lacrymogènes sur des supporters anglais calmes et munis de billet repose sur le fait qu'il y aurait eu un risque d'écrasement pour ces supporters bloqués par des contrôles à cause de leur faux billet ou de stylos qui ne fonctionnaient pas. Vous, ou vos administrés qui vous auraient livré leur témoignage, êtes-vous passés par ce cheminement ayant créé un goulot d'étranglement ? Confirmez-vous que les forces de l'ordre ont laissé passer la foule pour ensuite dégager les tourniquets, où elle s'était massée ?
M. Steve Rotheram. - Concernant les faux billets, ce sera à l'enquête de déterminer l'ampleur du phénomène. Mais je suis convaincu que le nombre réel sera bien inférieur à 40 000. Il y aura toujours de faux billets, des gens qui veulent entrer sans billet valable. Mais on le voit dans les vidéos : ceux qui ont essayé d'entrer sans billet étaient des Français ! Et pourtant, personne en Angleterre ne les accuse pour ce qui s'est passé. Ce qui a manqué, ce sont des stadiers, des forces de l'ordre et une organisation adéquate.
Le Gouvernement français s'accroche à sa version des faits pour détourner l'attention du problème fondamental : une organisation défaillante à l'extérieur du stade. Les policiers avaient l'air plus préparés pour faire face à des émeutes qu'à un match de foot.
Quant au hooliganisme, il participe du même écran de fumée. Bien entendu, il y a eu dans le passé des cas comme dans la plupart des fédérations nationales de foot. Mais ce n'est pas une maladie anglaise. Comparez la Premier League avec d'autres pays dans le monde : il y a plutôt moins d'arrestations qu'ailleurs. Les gens vont au match pour soutenir leur équipe, pas pour faire du hooliganisme.
Les gens étaient-ils au courant de la grève ? Oui. C'est d'ailleurs pour cela qu'ils sont arrivés bien en avance. Des fans qui vont au stade trois heures avant le coup d'envoi, ce n'est pas si fréquent ! Cela montre à quel point ils avaient envie de voir ce match.
Les grilles ont été fermées alors que des gens munis de billets valables étaient encore à l'extérieur, et on leur a demandé de passer par d'autres tourniquets. On se rendra compte bientôt que le mythe des faux tickets provient d'un mauvais fonctionnement des scanners. Mais ce n'est pas à moi d'en tirer les conclusions. Un billet qui avait été donné à un ami par un joueur de Liverpool a été rejeté par la machine !
Les images de vidéosurveillance auraient été détruites ? C'est vraiment inquiétant ! Je ne peux pas comprendre comment c'est possible, après un événement aussi important. Si c'est vrai, cela montre très clairement qu'il y a un vrai problème avec ce que l'on aurait pu découvrir sur ces images. Je suis choqué.
Monsieur le sénateur de Marseille, je suis allé souvent dans votre ville. Nous accueillons les supporters marseillais avec plaisir.
Effectivement, à Liverpool, les gens m'arrêtent dans la rue et m'expliquent ce qui leur est arrivé. Les exemples de vols sont nombreux.
Sur l'usage indiscriminé de gaz lacrymogène, j'ai entendu ce qu'a dit le préfet de police : il aurait été utilisé pour éviter que les gens ne soient écrasés. Mais ce n'est pas ainsi que l'on contrôle les foules : au contraire, en les faisant courir de tous côtés, on perd tout contrôle. Cela montre l'incompréhension de la situation. J'en ai parlé avec un responsable policier en Angleterre : il m'a dit qu'il n'avait rien vu d'aussi grave dans toute sa carrière.
Il faut comprendre ce qui s'est passé, aller au fond des choses, savoir pourquoi les forces de l'ordre françaises ont cru qu'elles seraient confrontées au hooliganisme. C'est sans doute une erreur d'appréciation en haut de l'échelle, alors que la plupart des supporters sont allés au stade pour célébrer une équipe formidable.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Merci très sincèrement de votre participation à cette audition. Il était très important pour nous d'échanger avec vous, non seulement pour connaître la vérité, mais aussi pour vous assurer que nous ferons tout pour que la nature des incidents dont les supporters de Liverpool ont été victimes soit analysée ; enfin, pour vous dire notre sympathie et notre amitié pour le club et la ville de Liverpool. Nous regrettons profondément ces événements.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Je m'associe aux propos du président Lafon. Ce que nous avons appris à propos des images de vidéoprotection nous interpelle. Nous allons vérifier la réalité de la situation immédiatement. S'il s'avérait que l'autorité compétente n'en a pas demandé la conservation, cela poserait un très grave problème.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 17 h 20.