Mercredi 1er décembre 2021
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
La réunion est ouverte à 10 h 35.
« Cumex Files : trois ans après, quel bilan des outils de lutte contre les pratiques d'arbitrage de dividendes ? » - Audition de M. Étienne Barel, directeur général délégué de la Fédération bancaire française (FBF), Mme Alexandra Givry, directrice de la direction des données et de la surveillance, à l'Autorité des marchés financiers (AMF), M. Frédéric Iannucci, chef du service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal à la direction générale des finances publiques (DGFiP), et Mme Salomé Lemasson, avocate spécialiste en droit pénal des affaires au sein du cabinet Rahman Ravelli
M. Claude Raynal, président. - Nous nous retrouvons ce matin, un mois après les nouvelles informations publiées par un consortium international de journalistes sur les pertes fiscales subies par plusieurs pays européens du fait des pratiques d'arbitrage de dividendes. Celles-ci permettent d'échapper à la retenue à la source appliquée au versement de dividendes aux actionnaires étrangers d'une société française, donc à l'impôt, grâce à deux types de montages : un montage interne, substituant temporairement au non-résident un résident français - souvent une banque -, et un montage externe, qui tire avantage des conventions fiscales ne prévoyant aucune retenue à la source - c'est le cas pour plusieurs pays du Golfe, par exemple.
En 2018, une première enquête, connue sous le nom de CumEx Files, avait conduit à chiffrer la perte de recettes à 55 milliards d'euros sur quinze ans pour plusieurs pays européens, dont la France, la Belgique, et, surtout, l'Allemagne.
Notre commission s'était alors saisie de ce sujet, par l'intermédiaire de son groupe de suivi sur la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales. Elle avait proposé au Sénat d'adopter un amendement au projet de loi de finances pour 2019 visant à faire échec aux opérations d'arbitrage de dividendes. Cependant, en nouvelle lecture, l'Assemblée nationale avait profondément remanié le dispositif voté par le Sénat, ce qui avait conduit à le vider d'une large partie de sa substance.
Pourtant, trois ans plus tard, la poursuite de l'enquête sur les pratiques d'arbitrage de dividendes a conduit le consortium de journalistes à réévaluer significativement le montant des pertes fiscales pour ces États, lesquelles s'élèveraient désormais à 140 milliards d'euros sur vingt ans, soit 33 milliards d'euros pour la France.
À l'initiative du rapporteur général, notre commission a donc une nouvelle fois proposé de renforcer le dispositif anti-abus dans le projet de loi de finances pour 2022.
Sans présager de l'issue des travaux de l'Assemblée nationale lors de l'examen du projet de loi de finances en nouvelle lecture, nous constatons malheureusement qu'une proportion significative d'opérations échappe toujours à l'imposition, sans que l'administration fiscale dispose des moyens juridiques pour y faire échec, trois ans après les premières révélations. C'est pourquoi notre commission a souhaité faire un bilan des différents dispositifs existants pour traiter de pratiques se situant, comme souvent, à la frontière de l'optimisation et de la fraude fiscales.
Pour faire le point sur ces questions, j'ai le plaisir d'accueillir M. Frédéric Iannucci, chef du service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal à la direction générale des finances publiques (DGFiP), Mme Alexandra Givry, directrice de la direction des données et de la surveillance à l'Autorité des marchés financiers (AMF), M. Étienne Barel, directeur général délégué de la Fédération bancaire française (FBF), et Mme Salomé Lemasson, avocate spécialiste en droit pénal des affaires au sein du cabinet Rahman Ravelli.
Sans plus tarder, je cède la parole à M. Frédéric Iannucci, pour qu'il effectue un premier bilan de l'efficacité du dispositif anti-abus adopté voilà trois ans et du nombre de dossiers faisant aujourd'hui l'objet d'une instruction tant administrative que pénale. Concrètement, l'administration fiscale dispose-t-elle des moyens juridiques nécessaires à l'identification et à la lutte contre les pratiques d'arbitrage de dividendes ?
M. Frédéric Iannucci, chef du service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal de la direction générale des finances publiques. - Le sujet est complexe. Plusieurs services sont concernés au sein de la DGFiP : la direction de la législation fiscale, qui traite des conventions internationales et des normes législatives, le service de la gestion fiscale, et, enfin, mon service, qui coordonne l'action de contrôle et de la sécurité juridique.
Nous abordons ce sujet avec beaucoup d'humilité, compte tenu de sa complexité. Des contrôles ont été engagés dès 2017 sur les arbitrages de dividendes internes, les « CumCum internes ». En revanche, il n'existe pas de procédure en cours pour les arbitrages de dividendes externes, les « CumCum externes » (CumEx).
Les vérificateurs accomplissent un travail considérable pour identifier, parmi toutes les transactions financières, celles qui peuvent être considérées comme frauduleuses pour ce qui concerne le contournement de la retenue à la source - la représentante de l'AMF, Mme Givry, connaît bien mieux ce sujet que moi. Je tiens à rendre hommage à leur travail, qui suppose non seulement des compétences fiscales, mais aussi une bonne connaissance des marchés financiers, ce qui n'est pas très répandu dans nos équipes.
Les contrôles en cours portent tous sur la période antérieure au 1er juillet 2019, qui marque l'entrée en vigueur de la mesure anti-abus adoptée sur l'initiative du Sénat. Nous ne disposons donc pas à ce jour de bilan de l'application de l'article 119 bis A du code général des impôts (CGI), car les dividendes avaient déjà été versés en 2019 et les versements ont été faibles en 2020 du fait du contexte économique. Nous espérons que l'effet a été dissuasif, mais notre appareil statistique ne nous permet pas d'isoler les opérations susceptibles de relever de cet article au sein des retenues à la source.
Nos contrôles nous ont surtout permis d'appréhender les opérations de prêt-emprunt de titres. Ils portent désormais sur les transactions liées aux produits dérivés, bien plus complexes, pour lesquelles nous avons effectué des droits de communication auprès d'Euroclear France et de l'AMF. Nous avons recours à l'assistance administrative internationale, notamment pour ces produits, car les courtiers sont situés à l'étranger au sein de plateformes de négociation « opaques ». À l'heure actuelle, sept procédures sont en cours contre des établissements français. Nous n'avons pas opéré de contrôles pour les « CumCum externes », car nous nous heurtons au préalable des conventions internationales - c'est la raison pour laquelle l'Assemblée nationale n'avait pas souhaité retenir un champ d'action très large.
Sur ce sujet, nous essayons de progresser avec d'autres pays, comme la Finlande, victime elle aussi du contournement de la retenue à la source. Il s'agit d'établir toutefois une relation bilatérale avec chaque pays ; la tâche est complexe. Tous les pays sont mobilisés, mais les contraintes techniques sont nombreuses. Il me semble que si, aux États-Unis, la législation est très avancée, ses conditions d'application sont très difficiles.
L'enjeu principal est d'identifier les abus, sans toutefois paralyser l'ensemble des marchés financiers, notamment les opérateurs français. Bien sûr, la FBF ne souscrira sans doute pas à notre analyse, mais nous essayons de distinguer le fonctionnement normal des marchés des manoeuvres abusives.
M. Claude Raynal, président. - Je m'adresse désormais à Mme Alexandra Givry, qui pourra nous éclairer sur le rôle de l'AMF dans l'identification des opérations relevant de l'arbitrage de dividendes. Quelle est votre méthodologie ? Quels sont les points qui, selon vous, posent problème ? Quelles sont les améliorations possibles ?
Mme Alexandra Givry, directrice de la direction des données et de la surveillance à l'Autorité des marchés financiers. - Je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser l'absence de Robert Ophèle, président de l'AMF, retenu par d'autres obligations.
Conformément à l'article L 621-1 du code monétaire et financier, la mission de l'AMF consiste à veiller à la protection de l'épargne investie dans les instruments financiers et les actifs offerts au public ou admis à la négociation sur le marché, à l'information des investisseurs et au bon fonctionnement des marchés, tout en encourageant la régulation des marchés aux échelons européen et international.
La surveillance des marchés s'exerce en temps réel : les équipes de l'AMF ont pour objectif d'identifier les situations nécessitant une action rapide, qu'il s'agisse de cas individuels, tels que les rumeurs ou les fuites d'information, ou de problèmes sectoriels et généraux sur les marchés. Au titre de ses pouvoirs d'urgence, l'AMF peut suspendre une valeur ou un marché, voire ordonner des interdictions d'opérations de ventes à découvert. Par ailleurs, la surveillance vise à détecter tous les événements susceptibles de constituer un abus de marché : les manipulations de cours, les opérations d'initiés ou la diffusion de fausses informations. Il s'agit également d'identifier les manquements à la réglementation applicable aux intervenants sur les marchés, notamment les obligations professionnelles s'imposant aux intermédiaires financiers.
La surveillance permet de mieux connaître les participants de marché et d'assurer une veille stratégique via l'analyse des comportements des acteurs, de percevoir l'évolution des modes de trading et d'identifier les nouveaux marchés. Elle fournit des ressources pour les autres missions de l'AMF, notamment la protection de l'épargne - hier, nous avons publié une note relative au comportement des investisseurs individuels et au développement d'une nouvelle catégorie d'intermédiaires financiers, qualifiés de néo-brokers.
La surveillance de l'AMF porte sur les instruments financiers listés sur les marchés français - principalement Euronext Paris -, mais également sur tous les dérivés qui y sont liés. Les anomalies sont détectées grâce à une équipe d'experts utilisant des outils informatiques spécialement conçus à cet effet. Par ailleurs, l'AMF reçoit des signalements provenant de sources diverses. Le règlement européen relatif aux abus de marché impose de transmettre à l'AMF des déclarations d'opérations suspectes.
Le champ de compétence de l'AMF est ainsi cantonné aux secteurs boursier et financier, principalement au titre de sa mission de détection des abus de marché ; il ne s'étend donc pas au domaine fiscal.
Venons-en maintenant au prêt-emprunt de titres. Cette pratique, qui consiste à opérer un transfert temporaire de titres, n'est pas nouvelle, mais son développement s'est considérablement accru avec l'essor des marchés financiers. Je vais tâcher de résumer les ressorts de cette technique. Alors que l'offre émane essentiellement d'investisseurs qui détiennent des portefeuilles de titres de longue durée et qui cherchent un surcroît de rentabilité, la demande, elle, obéit à des finalités variées. Dans ce cadre, la technique du prêt-emprunt de titres présente un double intérêt.
En premier lieu, cette opération permet de couvrir une position courte, que celle-ci soit technique, c'est-à-dire liée à un apport de liquidités, ou qu'elle résulte d'une stratégie d'investissement. En effet, ce type d'opération nourrit aussi les ventes à découvert, qui visent à tirer profit d'une anticipation sur les tendances du marché.
En second lieu, elle peut avoir pour objet principal de transférer temporairement la propriété de certains titres, et ce à un moment précis. Elle peut ainsi s'apparenter à un dispositif d'optimisation fiscale au moment du détachement des dividendes.
Dans les deux cas, nous nous sommes légitimement interrogés sur le rôle que pourrait jouer l'AMF pour réguler ces pratiques et sur la pertinence des règles actuelles. S'agissant du prêt-emprunt de titres, lorsqu'il vise un arbitrage de dividendes, il y a effectivement la possibilité de couvrir sa position en localisant temporairement la propriété effective des titres dans des pays où la fiscalité est plus favorable, en vertu notamment d'une convention internationale qui neutraliserait les effets induits par les règles fiscales françaises.
L'AMF peut être amenée, dans le cadre de ses missions de surveillance, à constater que certaines opérations relèvent de schémas de ce type, mais il ne lui appartient pas pour autant d'évaluer si ces opérations ou des opérations similaires, qui reposent par exemple sur des instruments dérivés, relèvent d'une optimisation tolérable ou, au contraire, de l'abus de droit, qui est, lui, répréhensible.
Les opérations de prêt-emprunt de titres liées à des ventes à découvert sont, quant à elle, critiquées par certains pour exercer et alimenter une pression à la baisse des cours. Il en a résulté une réglementation européenne spécifique sur les ventes à découvert, qui entre dans le périmètre des missions de l'AMF.
Il convient néanmoins de rappeler que les opérations de prêt-emprunt de titres et les ventes à découvert sont utiles au bon fonctionnement du marché, tant pour en favoriser la liquidité que pour améliorer le mécanisme de formation des prix.
Ainsi, un marché de prêts de titres augmente considérablement l'efficacité des mécanismes de contrepartie. En effet, sur un tel marché, les intermédiaires ont la possibilité de satisfaire immédiatement les ordres d'achat de leur clientèle en empruntant des titres dont ils ne disposent pas encore. Ils peuvent ainsi se porter contrepartie sans avoir auparavant acquis les titres en question. La rapidité des délais de transaction est, de ce fait, bien supérieure. Le marché des opérations de prêt-emprunt de titres constitue, avec le marché en continu et un circuit de règlement-livraison efficace, l'une des conditions de l'efficience d'un marché financier.
S'agissant maintenant des ventes à découvert, pour qu'un bon prix puisse émerger, il est là aussi souhaitable que les acheteurs puissent rencontrer des vendeurs, au-delà des seuls détenteurs des titres.
Cela étant, ces opérations peuvent induire un risque de déstabilisation pour les marchés. C'est pourquoi elles font l'objet de réglementations spécifiques, ainsi que d'une attention toute particulière de l'AMF, dont la mission, je vous le rappelle, est de veiller à la protection de l'épargne, au bon fonctionnement des marchés et à l'information des investisseurs.
L'action de surveillance de l'AMF s'inscrit, pour l'essentiel, dans le cadre fixé au niveau européen pour lutter contre les abus de marché. S'y ajoutent des réglementations particulières relatives aux ventes à découvert et aux prêts de titres. Dans les trois cas, il s'agit de règlements européens d'application directe en droit national.
Outre le fait d'imposer une couverture des risques, afin d'écarter toute problématique en termes de règlement-livraison, la réglementation européenne est venue renforcer la transparence des opérations de vente à découvert. Dès que les positions courtes nettes dépassent un certain seuil, elles doivent être déclarées à l'AMF, puis rendues publiques, afin notamment de permettre au régulateur de surveiller et, si nécessaire, d'enquêter sur des opérations susceptibles de faire courir un risque systémique.
S'agissant des opérations de prêt-emprunt de titres, à la suite des engagements pris par le G20 en 2010 pour encadrer les activités de la finance parallèle, le règlement européen relatif à la transparence des opérations de financement sur titres et à la réutilisation des garanties, dit « règlement SFTR », est entré en vigueur en 2016. Il vise à renforcer la transparence et à limiter le risque systémique induit par les opérations de financement sur titres qui regroupent, outre les opérations de prêt-emprunt de titres, d'autres types de techniques, telles que la mise en pension de titres.
Les dispositions de ce règlement portent sur la déclaration des opérations, qui est devenu progressivement applicable depuis l'été 2020. Cette déclaration se fait auprès de référentiels centraux, auxquels il incombe d'effectuer des réconciliations quotidiennes de données, de publier des positions agrégées et de mettre à la disposition des régulateurs des informations sur les diverses opérations.
Le second volet du règlement concerne la transparence à l'égard des investisseurs des fonds communs de placement y ayant recours, et la réutilisation de titres prêtés ou remis en garantie lors d'opérations consécutives.
Les analyses de marché effectuées par les services de l'AMF, qu'il s'agisse du marché boursier, du marché des dérivés ou du marché des opérations de prêt-emprunt de titres, se concentrent sur la recherche de pratiques, qui peuvent conduire à des abus ou des dysfonctionnements de marché susceptibles d'être poursuivis in fine par notre commission des sanctions.
Aussi, lorsque nous analysons les opérations de prêt-emprunt de titres, nous nous assurons d'abord du respect des obligations découlant du règlement européen sur les ventes à découvert, en particulier l'obligation de couverture des opérations. Plus largement, les services de l'AMF veillent au respect des obligations de règlement-livraison, afin notamment d'éviter des réactions en chaîne en cas de défaut. Nous cherchons également à identifier de potentielles tensions sur le marché des opérations de prêt-emprunt de titres. Un prix élevé, s'il résulte du bon fonctionnement du marché, va exprimer une moindre facilité à emprunter des titres. Cela peut constituer un signal d'alerte concernant le marché dans son ensemble, au niveau des actions elles-mêmes et de leurs dérivés.
En revanche, les opérations réalisées dans les jours qui précèdent ou suivent le jour du versement des dividendes ne font pas l'objet d'un suivi particulier de l'AMF.
En synthèse, l'AMF utilise l'ensemble de ses pouvoirs, afin de s'assurer que l'information donnée par les émetteurs aux investisseurs est exacte et complète, que la chaîne des interventions, qui va des porteurs de titres aux emprunteurs, qu'il s'agisse de vendeurs à découvert ou non, en passant par les établissements qui conseillent les différents intervenants et les aident à élaborer leur stratégie sur un plan opérationnel, ne conduise pas à une manipulation du marché.
M. Claude Raynal, président. - Merci de nous avoir rappelé la nature des missions de l'AMF et le cadre dans lequel elles s'exercent. J'ai bien noté que l'Autorité avait une compétence en matière boursière et financière, mais pas en matière fiscale, et que vous estimiez qu'il n'était pas de votre ressort de déterminer si une opération relevait de l'optimisation ou de la fraude fiscale. Nous pourrons envisager ensuite comment l'AMF pourrait évoluer pour être en mesure de mieux traiter les pratiques d'arbitrage de dividendes.
Je me tourne désormais vers M. Étienne Barel, qui pourra nous indiquer la façon dont les banques ont réagi à la suite des révélations en octobre 2018. Quelles sont les réponses que vous avez apportées ?
M. Étienne Barel, directeur général délégué de la Fédération bancaire française (FBF). - Je saisis l'occasion qui m'est donnée pour tenter de présenter le plus fidèlement possible la réalité des métiers et des activités des établissements bancaires, de détailler précisément le mécanisme et le champ de la retenue à la source, afin de répondre à vos interrogations, et, enfin, d'esquisser des pistes pour l'avenir, dans le but de maintenir la capacité des banques françaises à contribuer efficacement au développement de la place de Paris, dans le strict respect des obligations fiscales des établissements et de leurs clients.
Je commencerai en clarifiant deux points.
Tout d'abord, qu'est-ce qui distingue les CumEx des CumCum ? Le CumEx correspond à un schéma frauduleux, qui exploitait une faille dans la réglementation de certains pays, principalement l'Allemagne et le Danemark. Face à une retenue à la source, qui était payée par une banque pour le compte d'un client non résident, un même crédit d'impôt était réclamé plusieurs fois. Il s'agissait donc clairement d'un montage frauduleux, qui, heureusement, n'a pas pu être mis en place en France, car il n'existait aucun « trou dans la raquette » dans notre législation fiscale, notamment depuis la suppression de l'avoir fiscal en 2005.
Le CumCum, quant à lui, est la simple description du mécanisme par lequel un non-résident prête une action à un résident, sans que se déclenche le système de retenue à la source lors du paiement du dividende. Cela correspond à la technique très classique du prêt-emprunt de titres, que nous connaissons bien en France.
Ensuite, demandons-nous pourquoi les banques françaises sont impliquées dans ce dossier. La raison en est simple : depuis des décennies, celles-ci ont développé, au service de leurs clients, une activité importante de banque de financement et d'investissement, si bien qu'elles font aujourd'hui partie des leaders européens dans ce domaine. Elles permettent à des clients très variés - entreprises, institutionnels, épargnants - d'atteindre leurs objectifs, comme celui de garantir le capital d'un produit d'épargne, et de tout faire pour qu'il ne soit pas soumis à une forte volatilité boursière ou, au contraire, celui de faire fructifier les titres détenus par les épargnants. Dans tous les cas, il y a une réalité économique - la base des transactions - à l'origine de la détention de titres par les banques.
Il convient de distinguer deux types de produits.
Les produits dérivés, tout d'abord, sont tout simplement des contrats par lesquels une banque s'engage à verser à un client un certain montant, qui va dépendre de la valeur d'un produit financier, tel qu'une action, un indice d'action, des matières premières, un cours de change - il existe toute une variété de sous-jacents.
Comme je le disais, les banques françaises sont des acteurs importants du marché européen en matière de financement et d'investissement. Elles s'exposent donc elles-mêmes aux risques résultant de transactions qu'elles ont effectuées pour le compte de leurs clients. Les banques ne sont pas de simples courtiers et se doivent de couvrir ces risques. Elles sont donc amenées à détenir, pour se couvrir, plusieurs dizaines de milliards d'euros d'actions pour les grands établissements, donc, à percevoir des dividendes au titre de la détention de ces actions. Ces positions sont dynamiques, c'est-à-dire qu'elles doivent pouvoir évoluer en fonction de la situation des marchés pour ajuster le risque, ce qui pousse les banques à acheter ou vendre des actions en permanence, toujours avec pour objectif de couvrir les risques.
Il y a ensuite les opérations de prêt-emprunt de titres. Dans ce cas, la logique est assez semblable. Ainsi, quand les banques, pour couvrir leurs risques sur des dérivés, adoptent une position vendeuse par exemple, elles doivent emprunter ces actions avant de réaliser une vente à découvert. Lorsqu'elles adoptent au contraire une position d'achat, elles prêtent ces actions, ce qui leur permet, en contrepartie, de percevoir des liquidités, donc de se refinancer.
Ces opérations peuvent aussi être effectuées à la demande de clients, qui, eux-mêmes, élaborent des stratégies de couverture ou de financement, ou encore cherchent à améliorer le rendement de leurs placements. Prenons l'exemple d'un fonds qui gère l'argent d'épargnants et détient des actions pour leur compte. Afin d'améliorer le rendement de l'épargne, celui-ci peut, en contrepartie d'un intérêt, prêter ses actions à une banque, laquelle va lui verser une rémunération. Le prix de cette opération dépend de très nombreux facteurs, comme le coût de refinancement de la banque, le taux de change, autant de facteurs qui sont plus ou moins exogènes, mais qui, dans tous les cas, sont parfaitement objectifs.
Après avoir décrit le fondement économique des mécanismes qui nous intéressent aujourd'hui, je veux évoquer le cadre fiscal dans lequel s'exercent ces opérations.
En préambule, je tiens à réaffirmer très clairement que la profession condamne les opérations abusives sur le plan fiscal, celles qui permettraient d'éviter le paiement d'une retenue à la source. À cet égard, les contrôles dont a parlé M. Iannucci sont parfaitement justifiés.
Je rappelle aussi que les banques françaises font partie des plus importants contribuables de notre pays. Le montant de la contribution nationale du secteur bancaire s'élève à 14,1 milliards d'euros en 2020, ce qui correspond à 73 % du résultat net des banques en France. À lui seul, le secteur bancaire représentait 16,7 % de la recette totale nette de l'impôt sur les sociétés (IS) en France en 2020, alors même que l'activité bancaire ne représente que 2,4 % du PIB. À cela s'ajoutent, naturellement, les contributions patronales, mais aussi les contributions européennes que nous payons pour la résolution et la garantie des dépôts, autant de sommes qui ne sont pas déductibles de l'IS.
Concernant le cas particulier des opérations de prêt-emprunt de titres, il existe un mécanisme spécifique de retenue à la source sur les dividendes d'actions françaises, éventuellement dû par certains actionnaires non résidents. D'après les chiffres établis par la Banque de France le 31 décembre de chaque année, les non-résidents détenaient en moyenne 43,4 % des actions des sociétés françaises du CAC40 sur la période 2000-2020. Ce régime n'est cependant pas uniforme, car il s'applique de manière très diverse selon le régime fiscal des porteurs d'actions non résidents : certains intervenants sont en effet exonérés de cette retenue à la source, comme les organismes de placement collectif, les sociétés mères de l'Union européenne, certains fonds de pension, les résidents d'États liés à la France par une convention fiscale visant à éviter une double imposition.
L'étude que vous avez citée, monsieur le président, lorsqu'elle précise que l'évasion fiscale représenterait des dizaines de milliards d'euros de manque à gagner, ne prend pas en compte ces exonérations. Il y a là une lacune méthodologique importante, et les montants annoncés sont en conséquence très largement surestimés. Il serait utile qu'une étude d'impact, avec des moyens sérieux, transparents, vienne détailler l'évolution dynamique de l'actionnariat des sociétés françaises, voire européennes, en fonction de cette typologie d'exonérations, ce qui permettrait d'apprécier l'ampleur réelle des éventuels phénomènes de transfert destinés à éviter toute retenue à la source.
Les opérations qualifiées de « cessions temporaires de titres » constituent un sujet ancien, qui a fait l'objet de nombreuses vérifications au cours des dernières décennies. À cette occasion, les règles ont été progressivement précisées. À partir de juillet 2019, des dispositions législatives ont été adoptées pour réglementer les opérations d'emprunt de titres français à des non-résidents. Le secteur bancaire pensait que ces règles avaient vocation à guider les vérificateurs pour l'avenir, tout autant qu'au titre des exercices antérieurs.
Or, en pratique, les services de contrôle chargent les banques de prélever une retenue à la source sur un éventail beaucoup plus large d'opérations, comme si la propriété n'avait pas été transférée, y compris dans le cadre d'opérations pour lesquelles la condition de durée, qui avait été fixée par le législateur, est respectée.
Je tiens d'ailleurs à souligner que ces opérations de cession temporaire ne se concentrent pas exclusivement sur les jours qui précèdent ou suivent le versement des dividendes et qu'elles peuvent avoir lieu toute l'année. Certaines données établies par des tiers, comme celles du cabinet IHS Markit, permettent de constater, jour après jour, que des pics de cessions temporaires peuvent survenir indépendamment de ces détachements de dividendes. En outre, dans des pays qui ne pratiquent pas la retenue à la source, on voit qu'il peut y avoir des opérations importantes lors des assemblées générales, notamment parce que les fonds doivent voter ou au contraire s'abstenir de voter en fonction de leur propre organisation. Cela conduit les fonds à détenir des actions, non pas tant pour des raisons fiscales que pour une question de gouvernance.
Pour ce qui est des produits dérivés sur actions, nous sommes dans une situation objectivement différente, puisque les actions détenues par les contreparties ne sont à aucun moment prêtées à la banque. Par conséquent, le versement représentatif de dividendes n'aurait pas vocation à faire l'objet d'une retenue à la source.
Pour nous, l'arsenal juridique, législatif et jurisprudentiel à la disposition de l'administration fiscale est efficient. Il est d'ailleurs très frappant de constater que la directive du 25 mai 2018 relative à l'échange automatique et obligatoire d'informations dans le domaine fiscal, dite « DAC 6 », qui vise spécifiquement à identifier les transactions transfrontalières dans un but d'optimisation fiscale agressive, n'a imposé aucune formalité supplémentaire aux banques françaises. En effet, à l'aune de ces critères, les banques, en concertation avec les administrations fiscales, en France et dans l'Union européenne, ont pu démontrer que l'immense majorité de leurs opérations de marché ne nécessitait pas une information supplémentaire, dans la mesure où elles ne reposaient pas sur une forme d'optimisation fiscale agressive.
Enfin, je voudrais insister sur l'enjeu du maintien de la compétitivité de la place de Paris.
Si nos banques voyaient l'ensemble de leurs transactions de cession temporaire de titres et de dérivés contestées lors de vérifications, bien que le caractère non fiscal de ces transactions soit avéré, planerait sur elles une incertitude fiscale très importante. Elles seraient de fait exclues du marché et de la compétition mondiale. À l'évidence, le modèle économique des banques françaises ne serait plus viable si ces dernières devaient systématiquement faire l'objet de redressements visant à mettre à leur charge des retenues à la source, qui seraient prétendument dues par des investisseurs étrangers, ainsi que des pénalités à hauteur de 40 % à 80 % du montant de ces retenues.
Face à cette incertitude, et en l'absence de pratiques claires appliquées par l'ensemble des acteurs étrangers et français, sur le fondement des textes adoptés par le Parlement en 2019, les banques françaises ne seraient plus en mesure de répondre aux attentes des grands clients français, européens, internationaux, qui sont à la recherche de produits financiers performants et de solutions innovantes à l'échelle mondiale. Elles seraient donc contraintes d'abandonner cette clientèle stratégique aux grandes banques étrangères, au premier rang desquelles les banques anglo-saxonnes. Une solution consisterait alors à localiser ces activités dans des pays proches, leur assurant une stabilité fiscale.
En définitive, au-delà de la perte nette fiscale qu'elle encourrait, la France perdrait l'atout majeur que constitue pour son économie le fait de pouvoir se reposer sur l'industrie de la banque de marché la plus performante de l'Union européenne. Il s'agit, je le rappelle, d'un instrument qui assure un financement souverain de nos entreprises et de notre économie, et ce alors même que nous perdons du terrain et que la régulation prudentielle est moins pénalisante pour les banques d'autres continents. D'après les chiffres récemment communiqués par le gouverneur de la Banque de France, en sept ans, la part de marché des six premières banques d'investissement américaines est passée de 44 % à 58 % en Europe. Nous ne nous résignons pas à ce que ce mouvement perdure, au détriment à la fois de notre souveraineté en matière de financement et des recettes que nos États, et plus spécifiquement la France, devraient percevoir.
En conclusion, il nous semble important que les banques françaises soient soumises à des règles claires, qui leur garantissent une forme de sécurité juridique dans le traitement de leurs opérations. Il est également indispensable que ces règles s'appliquent de la même manière à tous les établissements,qu'ils soient français ou étrangers.
M. Claude Raynal, président. - Monsieur Barel, vous avez circonscrit le phénomène des CumEx, que vous avez qualifié de « frauduleux », à l'Allemagne et au Danemark. Vous nous dites qu'il n'existe pas en France. M. Iannucci ne manquera pas de nous donner son avis sur la question.
Par ailleurs, nous sommes bien d'accord que le fait de payer beaucoup d'impôt est sans lien avec le fait de payer la totalité dont on est redevable ?
M. Étienne Barel. - Absolument !
M. Claude Raynal, président. - Madame Lemasson, vous avez la parole pour nous éclairer sur la qualification juridique des pratiques d'arbitrage de dividendes. Comment fixer la frontière entre optimisation fiscale et fraude fiscale ? Quelles ont été les poursuites pénales engagées sur ce sujet ?
Mme Salomé Lemasson, avocate spécialiste en droit pénal des affaires au sein du cabinet Rahman Ravelli. - Je vous remercie tout d'abord de m'avoir conviée à ce débat sur ce sujet complexe et passionnant que sont les pratiques d'arbitrage de dividendes de type CumEx et CumCum.
Les pratiques qui nous intéressent sont, certes, plus fiscales que pénales. J'apporterai toutefois un éclairage de pénaliste sur ces questions et j'évoquerai des exemples étrangers, notamment celui de l'Allemagne, où j'exerce également et où les premières condamnations pénales définitives ont été rendues cet été. On ne peut que constater que la France est en léger retard quant à la réponse judiciaire qu'elle apporte à ces pratiques, car, si le parquet national financier a récemment indiqué qu'une enquête était en cours, aucune décision n'a été rendue sur ce sujet.
La première question qui se pose quand on parle de pratiques d'arbitrage de dividendes est celle de la frontière entre optimisation fiscale et fraude fiscale. Cette frontière est particulièrement difficile à définir.
D'un point de vue du droit pénal fiscal, les questions qui se posent sont multiples et complexes. L'une d'entre elles porte sur le fait de savoir si les pratiques d'arbitrage de dividendes pourraient être remises en cause par exemple par la procédure de l'abus de droit, par la procédure dite du « mini-abus de droit » ou par des clauses anti-abus, ce qui caractériserait ipso facto le délit pénal de fraude fiscale.
La réponse à cette question est loin d'être évidente. Il convient de se demander si les cas qui pourraient relever de l'abus de droit fiscal définis à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales et qui permettent à l'administration d'écarter comme ne lui étant pas opposables les montages purement fictifs ou ayant un motif exclusivement fiscal viendraient caractériser en matière pénale le délit général de fraude fiscale.
Sur cette question, j'apporterai un éclairage allemand. Selon les juges de la cour régionale de Bonn, dans leur décision du 18 mars 2020, confirmée par la Cour fédérale allemande le 28 juillet 2021, « les transactions n'ont pas d'autre motif économique que d'obtenir le remboursement de la retenue à la source. Les prévenus ont délibérément demandé le remboursement de la retenue à la source prétendument payée en déposant des déclarations fiscales mensongères, ce qui caractériserait l'intention délictuelle. »
Cette décision est intéressante, car elle offre un éclairage, dans une autre juridiction que la nôtre, mais il convient de préciser qu'elle a été prise en matière de CumEx, et non de CumCum. Elle a également été prise concernant une infraction spécifique, à savoir l'évasion fiscale, qui est retenue en Allemagne comme étant une infraction à part entière et dont les éléments constitutifs sont beaucoup plus faciles à établir que ceux de la fraude fiscale.
Quelle pourrait être la caractérisation juridique de ces mécanismes en droit pénal fiscal français ? On le sait, la procédure de répression de l'abus de droit ne doit pas nécessairement avoir été mise en oeuvre par l'administration fiscale pour caractériser le délit général de fraude fiscale à propos d'actes correspondant à un abus de droit ou à une fraude à la loi. Néanmoins, dans le cas où l'administration a caractérisé l'abus de droit, par exemple avec l'application de pénalités, le juge pénal est invité, mais non contraint, à admettre le caractère frauduleux des actes en cause.
À titre d'exemple, une jurisprudence constante de la chambre criminelle de la Cour de cassation considère que caractérise l'infraction de fraude fiscale en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnels, l'organisation d'un montage frauduleux pour se soustraire délibérément à l'établissement et au paiement de l'impôt.
Sur les questions d'arbitrage de dividendes de type CumEx et CumCum, au moins trois questions se posent. La première, à mon sens, est de savoir si les stratégies qui consistent à appliquer des conventions fiscales bilatérales offrant un traitement préférentiel aux résidents des pays concernés - je parle ici de montages CumCum de type externe - pourraient être qualifiées de « montages frauduleux ». Sur cette question, l'étude du professeur Daniel Gutmann intitulée La pénalisation du droit fiscal : mythe ou réalité ? apporte un éclairage intéressant : « Le contribuable à la recherche d'une économie d'impôt sait qu'il se trouve dans une situation « limite ». Sa situation n'a pas été véritablement envisagée par le législateur, mais il n'est pas certain que l'acte ou que les actes envisagés soient contraires aux objectifs poursuivis par les auteurs des textes. Objectivement, l'existence d'un abus de droit est alors incertaine et, en pareille circonstance, il nous semble qu'il n'y a pas de fraude fiscale et que, plus généralement, aucune sanction de nature punitive ne devrait pouvoir être infligée au contribuable. »
La défense devant les juridictions allemandes avait notamment invoqué l'existence d'un vide juridique que les prévenus avaient exploité à leur avantage.
La deuxième question porte sur la distinction entre les situations abusives et celles qui ne le sont pas. Le cas échéant, comment remettre en cause les situations abusives ?
On simplifie beaucoup ces opérations en les présentant comme frauduleuses. En fait, il s'agit d'opérations particulièrement complexes, aux dimensions internationales, faisant souvent intervenir de nombreux intermédiaires, et ce dans plusieurs juridictions. Ces opérations constituent aussi des opérations courantes, souvent justifiées, notamment d'un point de vue économique, et parfaitement habituelles sur les marchés financiers. Il faut donc retenir qu'une stratégie d'arbitrage de dividendes n'est pas nécessairement frauduleuse en soi. Il revient d'ailleurs aux autorités de poursuite de l'établir.
Enfin, la troisième interrogation est la suivante : comment appréhender les situations dans lesquelles le temps pénal ne correspond pas au temps fiscal ? La loi de 2018, qui a autorisé la levée du verrou de Bercy, prévoit des cas de dénonciation automatique par l'administration fiscale au procureur en cas d'application de certaines pénalités. Cela suppose toutefois que l'administration fiscale ait un temps d'avance sur la procédure pénale, laquelle ne serait pas en cours.
Que faire dans les cas de situations prescrites d'un point de vue de droit fiscal, mais qui pourraient faire l'objet de poursuites pénales, notamment sur un fondement autre, en l'occurrence le blanchiment de fraude fiscale ? Ces situations peuvent conduire le juge pénal à se prononcer sur la qualification pénale des stratégies d'arbitrage en l'absence de redressement fiscal.
En tout état de cause, la complexité de ces dossiers n'empêche pas l'organisation d'une défense efficace, axée notamment sur l'élément intentionnel - c'est tout l'enjeu du point de vue du droit pénal fiscal -, notamment au regard du rôle et des responsabilités des personnes visées par les poursuites pénales.
Telles sont donc, de façon très résumée, les questions qui se posent en droit français. On l'a vu, il n'existe pas de réponse judiciaire évidente. C'est pour cela qu'il m'apparaît que les exemples étrangers offrent un éclairage intéressant.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je vous remercie d'avoir exposé vos points de vue respectifs. Il serait intéressant de savoir ce qui se pratique sur ces questions dans les pays voisins.
Pour ma part, je poserai trois questions.
La première porte sur le dispositif de l'article 119 bis A du code général des impôts, introduit sur l'initiative du Sénat lors de l'examen de la loi de finances pour 2019 mais modifié par l'Assemblée nationale. Comment peut-il être suffisamment efficace dès lors qu'il ne couvre que les cessions temporaires de titres de moins de quarante-cinq jours, et non l'ensemble des instruments financiers répliquant le versement de dividendes ?
Ma deuxième question porte sur les montages externes, qui ne sont pas concernés par le mécanisme introduit en loi de finances pour 2019, contrairement aux dispositions adoptées par le Sénat. Pour justifier ce choix, le Gouvernement avait invoqué l'existence d'outils juridiques suffisants, dont les clauses anti-abus prévues par les conventions fiscales bilatérales, ainsi que la clause anti-abus nouvellement introduite par la convention multilatérale du projet BEPS - Base Erosion and Profit Shifting. Or, trois ans plus tard, la DGFiP indique qu'il n'a jusqu'à présent pas été fait usage de ces dispositions, tandis qu'aucune convention fiscale prévoyant une retenue à la source nulle ou à un taux très réduit n'a été modifiée.
Est-ce à dire que, en matière de montages externes, tout continue comme avant ? Comment lutter efficacement contre ces dispositifs ? En clair, pourquoi laisser perdurer cette situation ?
À plusieurs reprises, les cas de pays étrangers, dont l'Allemagne, le Royaume-Uni ou même les États-Unis, ont été évoqués. Le Royaume-Uni est particulièrement concerné, puisqu'une grande partie des courtiers est établie à Londres.
Comment les pratiques d'arbitrage de dividendes sont-elles combattues à l'étranger, tant sur les plans fiscal que pénal ? Des dispositifs spécifiques ont-ils été mis en place ou les opérations de contrôle existantes sont-elles suffisantes ?
Mme Sophie Taillé-Polian. - Les questions de fraude et d'optimisation fiscales nous préoccupent beaucoup. La justice fiscale est très clairement en danger dans notre pays. Scandale après scandale, on a l'impression que la fraude est quasiment un sport national. Lutter contre l'optimisation et la fraude fiscales permettrait donc à notre pays de retrouver des marges de manoeuvre.
Vous avez dit, madame Givry, que l'on constate chaque année des schémas qui pourraient relever de pratiques sans fondement économique. En informez-vous l'administration fiscale afin que des enquêtes soient diligentées ? Si tel n'était pas le cas, ce serait un problème.
Ensuite, monsieur Iannucci, vous dites que sept enquêtes sont ouvertes, et que ce sont des affaires très complexes. On a tout de même le sentiment que, ces dernières années, il y a eu de nombreuses démarches politiques pour diminuer les moyens donnés aux vérificateurs. Comment assumer un certain nombre d'informations transmises par l'AMF, alors même que l'on manque de vérificateurs ?
Plus fondamentalement, ne serait-il pas temps de se poser la question d'une inversion de la charge de la preuve ?
Madame Lemasson, vous affirmez que, dans beaucoup de situations, l'intérêt économique est évident. Je crois, en réalité, que la plaidoirie de la FBF consistant à dire que les banques paient déjà beaucoup et qu'il y a un fort enjeu de compétitivité marche très bien auprès du Gouvernement, puisque l'outil législatif que nous avions proposé a été singulièrement amoindri.
Effectivement, il semble que les suites données par l'administration fiscale aient été faibles et, comme vous le disiez, nous accusons un « léger » retard pénal par rapport à l'Allemagne. Tout cela, à mon avis, forme une politique.
M. Éric Bocquet. - Je remarque que, une fois de plus, c'est grâce à la presse que nous évoquons ce sujet.
Monsieur Iannucci, vous faites état d'affaires complexes : nous l'entendons bien. Mais, quand vous dites qu'aucun bilan n'a été réalisé depuis l'entrée en vigueur du dispositif de retenue à la source en 2019, il y a tout de même de quoi s'interroger... La DGFiP a-t-elle vraiment les moyens de ses missions dans des affaires aussi complexes ? Les compétences sont elles ailleurs, dans les cabinets privés ? N'y a-t-il pas un problème d'effectifs humains, de techniques, de formation ? On sait que les choses évoluent très vite dans le domaine de la finance.
Plusieurs banques françaises ont été citées dans ces affaires en 2018. Or il existe au sein des banques - c'est une obligation - des auditeurs internes, des services de contrôle, qui doivent veiller au respect des règles, de l'éthique, etc. Y a-t-il eu, à l'époque, des alertes au sein des banques concernées ?
Que se passe-t-il en cas d'alerte ? Saisissez-vous les autorités de contrôle ? Y a-t-il également eu des failles dans le respect par les banques de leurs obligations déontologiques et éthiques ?
Je me souviens que, en 2018, M. Darmanin, alors ministre de l'action et des comptes publics, avait dit, à propos de cette affaire, que les banques françaises impliquées seraient poursuivies en justice. Il avait déclaré devant l'Assemblée nationale : « Je peux vous assurer que si un intermédiaire financier, qui plus est une grande banque française, a commis de tels actes, elle sera poursuivie et condamnée grâce à la loi votée par la majorité. » Or cela n'a pas été le cas en France. En Allemagne, au contraire, un responsable de banque a été condamné à quatre ans et demi de prison en juillet dernier. Comment expliquer cette différence de traitement entre deux pays voisins et amis ?
Dans quelle mesure l'amendement de l'Assemblée nationale qui a affaibli le dispositif voté à l'unanimité par le Sénat en 2018 a-t-il facilité la résurgence d'une nouvelle affaire CumEx Files, révélée par la presse voilà quelques semaines ?
Je partage l'idée que ce n'est pas parce que l'on est un gros contribuable que l'on est un contribuable spécial. La République vous en remerciera !
M. Thierry Cozic. - Je veux revenir sur l'article du journal Le Monde paru en octobre dernier, qui indique que, sur les vingt dernières années, près de 140 milliards d'euros auraient échappé au fisc dans une dizaine de pays européens, dont 33 milliards d'euros uniquement en France. La France serait l'un des pays les plus touchés par cette évasion fiscale. Je ne peux m'empêcher de faire le parallèle avec l'amendement à 34 milliards d'euros du Gouvernement sur France 2030 : je me dis que, avec cette somme, le Gouvernement aurait pu financer une partie de son projet !
Globalement, quatre grandes banques françaises sont dans le viseur de l'administration fiscale. Elles sont soupçonnées d'aider leurs clients à se soustraire à la retenue à la source appliquée aux dividendes : sans leur concours, rien ne paraît possible. Par conséquent, avant de chercher à l'étranger des responsables individuels, dont on sait la volatilité extrêmement forte, ne faudrait-il pas prévoir des dispositifs de bonnes pratiques, qui seraient pilotées directement par Bercy, à l'intérieur des banques ?
M. Didier Rambaud. - Maître Lemasson, dans un article publié récemment sur le site de Dalloz Actualité, vous posez la question suivante : « Comment réagir ? » Vous écrivez que « l'administration fiscale dispose d'ores et déjà d'un grand nombre de dispositifs lui permettant d'écarter les arbitrages de dividendes et le transfert artificiel de propriété des titres. »
Dans quelle mesure le Parlement peut-il agir pour améliorer le bilan s'agissant des outils de lutte contre les pratiques d'arbitrage des dividendes ? Doit-on renforcer les peines existantes ? Faut-il prendre exemple sur les juridictions allemandes, compte tenu des condamnations qui ont été prononcées depuis mars 2020 dans ce pays ?
Mme Vanina Paoli-Gagin. - Je remercie les intervenants de leurs propos très intéressants.
Je veux en premier lieu rendre hommage non seulement à la presse, mais aussi à cette inspectrice des impôts de Bonn, restée anonyme. J'espère qu'elle sera source d'inspiration pour nombre de nos fonctionnaires du ministère des finances.
Plus structurellement, je me demande si la clé ne se situe pas à un niveau un peu plus macroéconomique - dans l'harmonisation des règles, dans le sens du travail qui avait été conduit sur les bases de l'IS au sein de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Je me demande aussi pourquoi l'Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) n'a pas - à ma connaissance, du moins -, dans son pouvoir de sanction, la faculté de réprimer ce type d'abus.
Enfin, ne pourrait-on pas inverser la tendance en exigeant des rescrits sur ce type d'opérations ?
M. Marc Laménie. - Je remercie nos invités pour la qualité de leurs interventions sur ces sujets très complexes, que l'on connaît mal.
Ma question s'adresse à M. Barel. Pour les personnes modestes, il est difficile de contracter un petit prêt, même de 10 000 euros. On leur demande des tas de justificatifs pour des montants presque symboliques.
Quelle disproportion entre leur situation et les masses financières en jeu du fait des abus extrêmes que nous évoquons ce matin ! Comment peut-on remédier à cette forme de gâchis ?
M. Claude Raynal, président. - Je remercie Marc Laménie d'avoir introduit la morale dans notre débat : ce n'est jamais inutile.
Mme Sylvie Vermeillet. - Monsieur Barel, vous avez expliqué que la France occupait une place de premier plan sur certains outils clés dans le fonctionnement des marchés financiers : les dérivés actions, les prêts-emprunts de titres...
Quel a été l'impact du Brexit sur cette position dominante ? La Fédération bancaire française bénéficie-t-elle une attention plus particulière depuis lors ?
M. Sébastien Meurant. - Je m'interroge sur le rôle du Parlement français. On voit que son rôle de contrôle du Gouvernement est bien faible en ce qui concerne les conventions fiscales. Or, compte tenu des sommes en jeu, le sujet de la fraude fiscale - comme celui de la fraude sociale - est essentiel. Comment se fait-il que le Gouvernement ne s'en empare pas véritablement ? Je rejoins ce que disait tout à l'heure Éric Bocquet sur les amendements du Sénat qui ont été votés à l'unanimité, mais affaiblis par l'Assemblée nationale. Je rappelle que nous avons à la tête de l'État un ancien banquier d'affaires...
En 2008, lors de la crise des subprimes, la France avait été un des rares pays à ne pas condamner les banques sur les produits structurés et où les administrations de contrôle avaient laissé les collectivités et les hôpitaux s'endetter sur des produits hautement spéculatifs. Là encore, on a l'impression que les banques, alors qu'elles sont condamnées dans d'autres pays, échappent, chez nous, à toute sanction.
La réponse qui sera apportée à la question sur le Brexit m'intéresse tout particulièrement.
Le rescrit fiscal permettrait-il d'avoir une transparence et une certitude sur le droit fiscal, qui est un élément important pour les investisseurs étrangers ?
M. Charles Guené. - Moi qui ai étudié le droit fiscal dans les années soixante-dix - cela ne me rajeunit pas... -, je constate que les notions d'abus de droit, d'optimisation et de fraude ont beaucoup évolué. On sent bien que l'on est passé récemment de la fraude due au secret, comme on la pratique dans les paradis fiscaux, à une fraude beaucoup plus technologique.
L'administration fiscale a-t-elle vraiment les moyens, à ce niveau de technologie, d'identifier ce type de fraudes ?
Mme Salomé Lemasson. - Je vais tâcher de vous apporter mon éclairage sur ce qui se passe dans d'autres pays. J'aimerais insister sur l'Allemagne, que je connais bien, et vous parler également du Royaume-Uni et du Danemark. Je répondrai ensuite à la question sur l'opportunité de renverser la charge de la preuve, notamment en matière pénale.
Les exemples étrangers sont toujours intéressants à étudier. Faut-il pour autant faire la même chose ? Non, parce que notre droit est particulier et propre à notre juridiction. Cependant, on peut voir si ce qui se fait à l'étranger serait utile pour nous ou pas et, le cas échéant, s'en inspirer.
Une chose est certaine : pour ce qui est de la réponse judiciaire, d'autres pays sont en avance sur nous. En tant qu'avocate, je ne peux que me réjouir des avancées.
Mais, pour ce qui est de l'Allemagne, il faut bien avoir en tête que les décisions ne s'appliquent pas tout à fait comme elles pourraient s'appliquer en France, pour plusieurs raisons : principalement parce qu'elles concernent la matière CumEx et ensuite parce qu'elles ont été introduites sur le fondement de cette infraction pénale particulière qu'est l'évasion fiscale, qui n'existe pas en droit français. Pourtant, les éléments constitutifs de l'évasion fiscale sont beaucoup plus faciles à établir que ceux de la fraude fiscale, puisque le non-dépôt d'une déclaration fiscale ou le dépôt d'une déclaration erronée suffisent à caractériser l'élément matériel, l'élément intentionnel étant lui aussi beaucoup plus facilement caractérisable que celui de la fraude fiscale.
Je souhaite revenir sur trois décisions intéressantes qui ont été rendues en Allemagne.
La cour régionale de Bonn a rendu une décision le 18 mars 2020, confirmée cet été - le 28 juillet 2021 - par la Cour fédérale. C'est la première décision de la Cour fédérale en la matière. Plusieurs éléments de cette décision sont intéressants. Les procédures visaient deux banquiers anglais pour le rôle qu'ils ont joué dans ces pratiques de CumEx. Ils ont été condamnés respectivement à un an et un an et dix mois d'emprisonnement. L'un des prévenus s'est aussi vu infliger une peine de confiscation de 14 millions d'euros pour évasion fiscale et complicité d'évasion fiscale. La banque pour laquelle ils travaillaient, M.M. Warburg, s'est quant à elle vu infliger une amende civile - je rappelle qu'il n'existe pas, en Allemagne, de responsabilité pénale des personnes morales - de 176 millions d'euros.
Une autre décision, toujours prise par la cour régionale de Bonn et rendue le 1er juin 2021, mais non confirmée et toujours susceptible d'appel, a sanctionné un ancien banquier allemand, travaillant pour la même banque, pour son rôle qualifié de « central » dans la mise en oeuvre des CumEx. Il a été condamné à cinq ans et demi d'emprisonnement et à 100 000 euros d'amende de confiscation pour évasion fiscale aggravée.
Les Allemands sont assez créatifs, car les procédures visent tous les rouages des montages, non seulement les banquiers et les banquiers étrangers, mais également les conseillers fiscaux et les avocats. On a vu dans la presse que de grands cabinets d'avocats tout à fait prestigieux et à la réputation honorable avaient été perquisitionnés, certains de leurs associés faisant l'objet de poursuites, notamment pénales.
Je trouve également que l'exemple du Royaume-Uni est intéressant, parce qu'il s'agit d'une des juridictions qui a rendu les premières décisions en matière de CumEx, alors même qu'il n'existe pas de retenue à la source dans ce pays. Le régulateur britannique - la Financial Crime Authority (FCA) -, qui a rendu ses décisions, notamment en mai 2021, a abordé la question sous l'angle du respect de la réglementation en matière de procédures de lutte contre le blanchiment. En revanche, je veux y insister, la FCA s'est bien gardée de se prononcer sur la légalité ou non des montages. Par conséquent, si le Royaume-Uni est actif, il ne nous guide pas réellement sur la manière de qualifier ces montages.
Enfin, le Danemark s'illustre par une assez grande créativité, l'administration fiscale danoise - la Skat - ayant introduit plusieurs procédures aux États-Unis, en Angleterre, à Dubaï, en Malaisie ou au Canada. Elle a notamment attaqué plusieurs fonds de pension américains accusés d'avoir bénéficié des opérations CumEx sur des actions détenues sur le marché danois. L'argument opposé consistait à dire que le juge américain n'était pas compétent pour se prononcer, puisqu'il s'agissait de questions relevant de la fiscalité danoise, mais cet argument a été rejeté et, finalement, en 2019, l'administration fiscale danoise a conclu une transaction avec une partie des fonds de pension américains, au titre de laquelle ces derniers s'engagent à lui reverser 239 millions de dollars.
À l'inverse, les procédures des autorités fiscales danoises intentées en Angleterre ont été moins fructueuses, puisque la London High Court a rejeté, en mai 2021, la procédure introduite par l'administration fiscale danoise pour fraude civile à l'encontre d'une centaine de personnes.
Il ne me revient pas d'évaluer l'opportunité et l'efficience des outils à disposition de l'administration fiscale ; je laisserai les autres intervenants se prononcer sur ce point.
Concernant un éventuel renversement de la charge de la preuve en matière pénale, je veux tout d'abord rappeler le principe de l'indépendance entre les procédures pénales et les procédures fiscales. Le juge pénal doit caractériser l'existence ou non d'une fraude fiscale, en faisant lui-même application des règles de droit fiscal, en toute autonomie, indépendamment des constatations des juridictions administratives en la matière - sauf en matière de décision définitive de décharge de l'impôt, mais ce n'est pas ce qui nous intéresse ici. A fortiori, il n'est pas non plus tenu par les constatations de l'administration fiscale et il lui revient bien évidemment d'établir tous les éléments de l'infraction - l'élément légal, l'élément matériel et l'élément intentionnel.
À ce titre, il m'apparaît, en tant que pénaliste, qu'un renversement de la charge de la preuve porterait atteinte au principe fondamental de la présomption d'innocence et qu'il revient aux autorités de poursuite d'établir si un montage est frauduleux ou non, et pas l'inverse.
M. Claude Raynal, président. - Je vais redonner la parole à M. Barel. Je veux lui assurer que le caractère direct des questions ne doit pas laisser croire à un manque de considération à l'égard des banques. Nous considérons que le réseau bancaire français est performant, nécessaire et important en Europe. Nous souhaitons que cette suprématie puisse être préservée, dans des conditions compatibles avec le respect du droit. N'ayez pas de doute à ce sujet.
M. Étienne Barel. - Merci infiniment, monsieur le président, de cette remarque préliminaire. Pour échanger avec le Sénat et avec la commission des finances, nous savons que cela vous tient à coeur. Je crois que c'est exactement le cadre dans lequel nous souhaitons exercer notre métier. La banque est une industrie importante, qui participe à la souveraineté de l'Europe.
S'agissant des prêts à 10 000 euros, nous devons, comme dans d'autres domaines, faire la balance entre plusieurs contraintes. Nous avons envie de servir les clients en finançant leurs projets à 3 000, 5 000 ou 10 000 euros. Cependant, nous ne souhaitons pas créer de situations de surendettement, raison pour laquelle il nous arrive de refuser des prêts. Au final, les banques françaises ont un très faible taux de défaut sur les prêts, notamment sur les crédits à la consommation ou les découverts. Nous nous en réjouissons. En outre, nous constatons que les chiffres du surendettement sont faibles en France, qu'il existe des systèmes qui le traitent et des dispositifs, comme le taux de l'usure, qui permettent de veiller à la protection des consommateurs.
La « paperasse » nous est imposée, notamment par la législation européenne. C'est par exemple le cas pour les placements ou pour les crédits immobiliers. Si l'on doit signer des dizaines de pages quand on contracte un crédit immobilier, c'est parce que la réglementation nous y oblige ; ce n'est pas du tout le choix des banques.
Je tiens à faire une clarification. J'ai dit que les banques payaient beaucoup d'impôts. Je crains que mes propos n'aient été mal interprétés : notre position est qu'il faut payer exactement le niveau d'impôt qui est dû. Cela me permet de revenir sur la nature un peu spécifique de la retenue à la source. Celle-ci n'est pas un impôt payé par les banques : c'est un impôt payé ou évité par des clients des banques. La banque n'est que l'intermédiaire de la collecte.
Pour ce qui concerne l'impact du Brexit sur les banques françaises, je veux évoquer trois points.
Premièrement, le Brexit conduit à un double mouvement. Il y a désormais un désavantage compétitif lié au Brexit pour les banques implantées à Londres, parce qu'elles n'ont plus le passeport européen qui leur permettait de servir des clients continentaux comme une banque continentale. Elles doivent donc désormais retrouver un avantage compétitif. Elles le font en assouplissant leur réglementation. Il commence donc à y avoir une compétition. Certains articles ont parlé de « Singapour-sur-Tamise ». Londres souhaite en partie déréglementer. Il a ainsi été annoncé, par exemple, que les règles d'introduction en bourse seront assouplies.
Deuxièmement, le Brexit constitue un handicap pour les banques françaises installées à Londres, qui doivent à la fois suivre les nouvelles règles anglaises et continuer à respecter les règles européennes, parce qu'elles sont françaises. Elles avancent avec un sac de sable sur les épaules... De fait, comme les règles londoniennes deviennent moins contraignantes, les banques anglo-saxonnes ont un fonctionnement facilité par rapport aux banques européennes, qui ont gardé un cadre plus strict.
Troisièmement, l'attractivité de la place parisienne s'est malgré tout renforcée. Selon Paris Europlace, entre 8 000 et 10 000 personnes sont venues à Paris, essentiellement en provenance de banques anglo-saxonnes, pour servir le marché européen, qui est très important. Notre ambition est que la place parisienne conserve ces personnes et ces activités qui créent de la valeur pour notre économie et pour nos finances publiques.
Pour finir, je veux revenir sur l'harmonisation des règles de l'OCDE et sur la manière de traiter les dérivés qui répliquent exactement une action. Je prendrai l'exemple de la législation américaine : l'article 871(m) de l'équivalent du code général des impôts permet de dire que, de manière mondiale - c'est-à-dire non pas uniquement pour les banques américaines, mais pour toutes les banques - les dérivés qui font exactement la même chose que les actions ont le même régime fiscal que les actions.
Cela peut être une piste de réflexion intéressante pour les travaux qui sont conduits ici, à la condition qu'une telle règle s'applique à tout le monde, comme c'est le cas aux États-Unis. Si elle s'applique à un seul pays, à une seule banque, soit on détruit l'activité, soit on la déplace.
M. Claude Raynal, président. - Cette question des normes est d'ailleurs une question industrielle classique. Elle ne concerne pas que les activités de services ou les activités de banque.
Pourriez-vous revenir sur les procédures d'audit interne ?
M. Étienne Barel. - Toutes les banques ont plusieurs services qui s'appellent soit le contrôle permanent, soit le contrôle périodique. Le contrôle permanent suppose qu'il y ait des personnes qui sont en permanence en train de vérifier ce qui est fait. Le contrôle périodique recouvre les missions spécifiques de contrôle assurées au plus haut niveau de la banque, par une inspection générale statutairement directement rattachée au directeur général, qui a donc une indépendance supplémentaire.
Par ailleurs, toutes les banques ont progressivement prévu des statuts internes de lancement d'alerte, qui permettent au collaborateur qui serait témoin d'agissements qui lui semblent contraires aux principes de la banque, à son éthique ou à ses engagements de les signaler, en toute protection, sans être inquiété par sa hiérarchie. Les pratiques existant au sein des banques sont donc tout à fait encadrées et ne sauraient échapper à des contrôles internes permanents ou périodiques.
Tracfin, par exemple, fonctionne de la même façon. Les banques sont à l'origine de plus de la moitié des déclarations à Tracfin. Là aussi, si un collaborateur est témoin d'opérations correspondant à du blanchiment d'argent ou à du financement du terrorisme, il peut, en dehors de tout circuit hiérarchique, informer, par ce système de lancement d'alerte, les services de la banque.
Mme Alexandra Givry. - Monsieur le président, vous avez très justement résumé le fait que les missions de l'AMF sont centrées sur la matière boursière, et non fiscale.
Pour ce qui concerne ce que l'AMF peut faire aujourd'hui, il est tout d'abord vraiment important d'avoir en tête que nous ne sommes pas outillés pour détecter individuellement des opérations qui pourraient relever des abus dont nous discutons.
Néanmoins, elle est en mesure d'apporter un éclairage « macro » sur le marché dans son ensemble. Pour rappel, jusqu'en 2020, l'AMF ne disposait d'aucune déclaration réglementaire lui permettant de surveiller le marché du prêt-emprunt. Néanmoins, elle s'était dotée dès 2017 d'un abonnement au service du fournisseur de données IHS Markit, qui lui permettait d'accéder au volume agrégé quotidien de prêts-emprunts sur chacun des titres du SBF 120 sur une année glissante. L'objectif de cet abonnement était essentiellement de suivre le bon fonctionnement du marché pour les titres qui font l'objet de ventes à découvert.
En 2018, l'AMF a établi une évaluation approximative du phénomène d'arbitrage via le recours au prêt-emprunt sur la base de ces données agrégées. Les services de l'AMF ont ainsi estimé le surplus de valorisation des titres prêtés à la date de détachement de dividendes à 160 milliards d'euros. Il en est ressorti une estimation, elle aussi très approximative, de la perte fiscale annuelle du fait de l'arbitrage de dividendes via les montants de prêts-emprunts uniquement - et non les dérivés - à hauteur d'environ 1 milliard d'euros.
Depuis l'été 2020, la surveillance exercée par l'AMF sur le marché du prêt-emprunt s'exerce via le reporting européen SFTR, qui présente l'avantage de nous fournir des éléments nominatifs sur les transactions individuelles. Ces déclarations font l'objet d'un investissement important des équipes de l'AMF, qui peut l'exploiter à nouveau dans le cadre de ses missions de détection d'abus de marché.
En revanche, son entrée en application est trop récente pour qu'il nous fournisse des éléments sur l'évolution du marché. En outre, il faut rappeler que ce règlement européen n'a pas été conçu pour réaliser une surveillance d'opérations réalisées à des fins d'arbitrage fiscal. En particulier, il porte sur un périmètre exclusivement européen et très largement réduit à la suite du Brexit et en l'absence d'un quelconque accord trouvé avec le Royaume-Uni pour l'échange systématique de données financières.
Ce nouveau régime de déclaration est donc très utile pour les missions au coeur de l'AMF, mais il ne peut nous permettre d'avoir connaissance des opérations de prêt-emprunt que si une entité européenne y prend part, et, par construction, il ne permet pas de repérer les montages dits « externes », qui reposent rarement sur des pays européens.
Par conséquent, à ce jour, nous sommes seulement en mesure de fournir une évaluation très estimative, reposant sur des données globales, qui ne permettent pas de mener un suivi individuel.
Nous avons appliqué cette méthode globale sur les données du marché mondial du prêt-emprunt de titres obtenues auprès du fournisseur IHS Markit. Ces résultats doivent être considérés avec précaution. En appliquant cette méthode, nous constatons qu'il existe toujours un surplus de prêts-emprunts de titres autour des détachements, mais qu'il a diminué de manière significative. De manière très résumée, le pic de volume de prêts-emprunts de titres est toujours visible, mais il est en moyenne deux fois moins élevé que celui que l'on avait pu observer en 2018.
Il convient de ne pas en tirer de conclusions sur une éventuelle tendance. Par ailleurs, nous ne sommes pas en mesure d'identifier si cette diminution est un effet, par exemple, du dispositif anti-abus ou simplement un effet conjoncturel lié au fait que des dividendes aient pu être plus faibles en 2021 qu'en 2018. Néanmoins, c'est une base que nous pouvons partager avec vous, même si elle est limitée. Compte tenu d'un taux de dividende moyen qui est également plus faible, la perte fiscale via des opérations de prêts-emprunts est estimée, très grossièrement, sur la base de ces éléments, à un maximum de 400 millions d'euros pour l'année 2021, quand l'estimation que nous avions pu vous communiquer en 2018 s'élevait à 1 milliard d'euros.
Je répète que ces résultats doivent être interprétés avec prudence : la méthode d'évaluation est globale ; les montants avancés sont très approximatifs. Ils constituent simplement l'indicateur d'une réalité que l'AMF n'a pas les moyens d'évaluer précisément ni d'investiguer par une surveillance individuelle. Ils reposent par ailleurs sur une hypothèse non démontrée que l'ensemble des titres prêtés autour de la date du détachement de dividendes le sont par des non-résidents, qui auraient été imposés via une retenue à la source de 15 % s'ils n'avaient pas prêté ces titres.
Même s'agissant de l'évolution du marché dans le temps, ces chiffres doivent être considérés avec prudence, parce que nous avons seulement deux points d'observation, mais aussi parce que le périmètre a évolué. En effet, nous n'avons retenu dans notre estimation que les valeurs du CAC40 relevant de la compétence française. Or, compte tenu de la compétition entre les places financières, certains émetteurs ont récemment fait le choix de se faire lister sur une place concurrente. Cela réduit naturellement le périmètre concerné par la fiscalité française et affaiblit notre estimation.
Je répète que cet éclairage général ne nous permet absolument pas de mener une surveillance individuelle des opérations concernées.
S'agissant des transmissions que nous pouvons faire auprès de l'administration fiscale, même si ce n'est pas fréquent, nous pouvons être amenés à constater des schémas qui nous semblent pouvoir relever, sans que nous en ayons aucune certitude, puisque nous n'avons pas les compétences pour investiguer, d'un schéma d'arbitrage fiscal, auquel cas nous informons évidemment l'administration fiscale de ce schéma et de la façon dont il fonctionne.
Les modalités de l'échange d'informations avec l'administration fiscale résultent de l'article L. 84 E du livre des procédures fiscales, qui permet à l'AMF de communiquer à l'administration fiscale, sur sa demande, des informations qu'elle détient dans le cadre de ses missions et compétences, à l'exception des informations qui sont obtenues via la coopération internationale, qui ne peuvent être transmises qu'avec l'accord de l'autorité ayant fourni cette information.
Par ailleurs, l'AMF coopère également très largement avec le parquet. En effet, si, dans le cadre de ses attributions, elle acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit, elle est tenue d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs. L'AMF transmet donc de façon régulière au parquet les informations obtenues dans le cadre des enquêtes qu'elle réalise et qui peuvent comporter des infractions de nature fiscale.
Concernant les possibles évolutions du rôle de l'AMF, voire d'autres régulateurs européens, l'AMF est réservée sur une éventuelle extension de ses compétences et de ses missions, notamment pour des raisons tenant à la coopération internationale qu'elle entretient avec les régulateurs étrangers pour la bonne fin de ses enquêtes. En effet, cette coopération est aujourd'hui menée, comme le prévoit la loi, sur la base d'accords multilatéraux ou bilatéraux, avec une centaine de pays très divers, qui, progressivement, ont accepté largement les échanges d'informations, dans le cadre notamment de l'Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV) et de ses accords de coopération. Ces accords permettent l'échange entre régulateurs d'informations destinées exclusivement à l'exécution de leurs missions et encadrent strictement la façon dont les informations sont utilisées. Ils interdisent d'envisager que l'AMF utilise ces données pour une mission qui porterait sur le cadre fiscal. Si tel était le cas, l'AMF contreviendrait à ses engagements internationaux et s'exposerait à l'avenir à un refus de ces régulateurs de donner suite à ses demandes de coopération.
Telle situation serait évidemment dommageable pour la bonne fin de ces enquêtes, dont l'aboutissement, compte tenu de l'internationalisation des marchés, dépend à 80 % des informations reçues des régulateurs étrangers. Il en résulterait donc pour l'AMF une incapacité de poursuivre les abus de marché, notamment les manquements d'initiés - il s'agit de sa mission première -, pour un rendement fiscal sans doute très faible.
Au niveau européen, les homologues nationaux de l'AMF ont une mission qui est centrée sur l'intégrité des marchés, et, toujours pour des raisons de séparation de compétences, qui permettent de préserver l'efficacité, l'ESMA elle-même ne dispose pas de pouvoir de sanction sur les abus de marché, pas plus que sur les questions fiscales. Néanmoins, à la suite de l'affaire qui avait été mise sur le devant de la scène en 2018, et à la demande, entre autres, du Parlement européen, elle s'est interrogée sur l'opportunité d'un élargissement éventuel du rôle des autorités nationales à ces affaires fiscales. Elle a finalement publié un rapport, qui, après avoir analysé cette possibilité, écarte la proposition consistant à étendre le champ des compétences des autorités nationales.
L'AMF est parfaitement alignée sur ce rapport, qui explique que la recherche de réponses en termes de législation et de supervision doit être recherchée dans le cadre fiscal, sans vouloir nécessairement y mêler les autorités financières, qui ne peuvent être que contributrices : elles peuvent apporter un soutien aux autorités fiscales dans la compréhension des opérations financières sous-jacentes, mais non dans leur analyse fiscale. Elles peuvent également apporter un soutien dans l'exploitation des données qui permettent de mesurer l'ampleur d'avantages donnés sur la base des données auxquelles les autorités financières ont accès et peuvent répondre à des demandes sur un cas spécifique, dans les limites de la coopération internationale.
Après avoir analysé la possibilité d'une extension de ces compétences, il est apparu au niveau européen comme au niveau de l'AMF que les inconvénients d'un tel élargissement dépasseraient les avantages, comme nous l'avons expliqué sur les questions de coopération internationale, sans compter le risque que cela ferait peser sur le rôle premier des autorités financières.
Pour terminer, je veux évoquer la vision que peut avoir un régulateur financier des mesures anti-abus.
Les montages financiers qui visent à modifier temporairement la propriété d'un titre, pour des raisons, par exemple, d'arbitrage fiscal, peuvent être très variés. Par conséquent, tant que des conventions fiscales favorables créeront les conditions propices à la recherche de tels arbitrages, il est probable que les dispositifs législatifs qui créent des obstacles n'empêcheront pas de continuer à chercher des contournements. À l'inverse, il pourrait être disproportionné de mettre en place un dispositif anti-abus très englobant, car il engendrerait a minima des coûts de frottement sur un périmètre potentiellement trop large d'opérations et nuirait ainsi au fonctionnement des marchés.
Aussi, il nous apparaît essentiel de procéder à une évaluation préalable de telles mesures au regard de leur efficacité, mais aussi de l'impact potentiel sur l'attractivité de la place de Paris, dans un contexte particulièrement compétitif.
Je vous l'ai indiqué, des sociétés peuvent faire le choix de se domicilier dans d'autres juridictions, notamment les Pays-Bas, et entre autres, pour des raisons fiscales.
M. Claude Raynal, président. - Merci pour cette quantification des coûts de frottement !
Nous avons compris que l'AMF n'était pas en mesure d'exercer une surveillance individuelle... Sur cette question, la DGFiP est seule responsable, si je comprends bien...
M. Frédéric Iannucci. - Nos relations sont très fluides avec l'AMF et l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), qui nous adresse également des signalements concernant des anomalies. Chacun est dans son rôle et dans son univers normatif, mais les autorités de l'État communiquent entre elles et les relations sont tout à fait fluides.
Non, nous n'avons pas identifié en France de mécanisme équivalent au CumEx allemand, parce que l'architecture des dispositifs est différente - on n'est pas dans des remboursements de crédits d'impôt. Au reste, le cas était beaucoup plus manifeste en Allemagne.
Cependant, l'exemple allemand montre le risque de procédures de remboursement. On pourrait se dire que, dans un système idéal, on applique la retenue à la source sur tous les flux de dividendes, sans regarder qui est le bénéficiaire effectif. Se créerait alors un risque de multiremboursement. Il faut parvenir à tracer très précisément tous les flux, ce qui est colossal. Songeons aux justificatifs qu'il faudrait produire pour démontrer un intérêt économique pour obtenir le remboursement partiel ou total d'une retenue à la source... On voit que la FBF arrive parfaitement à justifier le fonctionnement des marchés, avec une argumentation très élaborée. On viendra dire à la DGFiP que chaque opération est parfaitement fondée économiquement et s'intègre dans le fonctionnement habituel des marchés. Il ne serait alors pas évident de refuser le remboursement.
Concernant les contrôles, il est vrai qu'on a commencé sous l'angle de l'abus de droit. Nous basculons maintenant vers un autre angle d'attaque, qui est celui du bénéficiaire effectif. Cela nous semble beaucoup plus efficace et moins aléatoire juridiquement.
S'agissant des sept procédures en cours, je veux préciser que l'une des banques a accepté les redressements, reconnaissant que les pratiques en cause ne relevaient pas du fonctionnement normal des marchés. En revanche, d'autres banques sont dans la dénégation complète : même face à des cas caricaturaux, avec des prêts de titres la veille de versement d'acomptes, que l'on parvient à démontrer facilement, elles nient le mobile fiscal.
Je veux dire tout à fait sereinement à M. Barel que, lors de certaines réunions techniques, nous avons eu l'impression que nous ne parlions pas du même sujet. Au reste, je n'apprécie pas du tout que la FBF intervienne auprès de mon ministre pour dire que nos vérificateurs font n'importe quoi. Leur travail est documenté. Nous disposons d'éléments concrets pour démontrer l'existence manifeste de raisons fiscales.
Toute la difficulté pour nous est de tracer la limite : les mesures anti-abus ne peuvent pas être trop larges, sauf à pénaliser des pans entiers de ce secteur économique.
Sur les cas en cours, nous avons des contacts avec le parquet national financier. Il sera encore plus difficile pour le juge pénal que pour nous de démontrer des mouvements de titres, sans partir des redressements fiscaux. Les faits doivent être établis fiscalement. C'est le juge pénal qui appréciera alors s'il donne d'autres suites.
Nous sommes dans un mécanisme de dénonciation obligatoire au parquet. D'ailleurs, on constate que certains établissements déposent des déclarations rectificatives avec des montants complémentaires de retenue à la source, qu'ils contestent très peu de temps après, justement pour éviter cette dénonciation obligatoire.
La question des moyens et des compétences de la DGFiP est importante. Le sujet des moyens est rituel ; il a été soulevé dans l'affaire des Pandora papers. Le problème ne porte pas sur le nombre d'agents : c'est un problème de compétences. Comment avoir des vérificateurs suffisamment spécialisés, ayant des compétences pointues sur ces mécanismes ? Il y a, à la direction des vérifications nationales et internationales (DVNI), quelques consultants internationaux et financiers, qui sont capables de s'y retrouver. L'enjeu, pour nous, est d'augmenter le nombre de ces personnes, mais il n'existe pas de problème d'effectif global de la DGFiP sur ce sujet très particulier.
Sur l'efficacité de l'article 119 bis A du code général des impôts, je répète que nous ne disposons malheureusement pas d'éléments de bilan à ce stade. Je n'ai pas l'impression que les établissements financiers sont très gênés par la période de quarante-cinq jours, mais semblent s'organiser en fonction.
Il faut réussir à apprécier, en termes de mesures anti-abus, s'il y a un risque au niveau de l'intermédiaire et, comme on le constate dans les cas les plus abusifs, s'il y a un partage du gain entre la banque et le non-résident. De fait, nous constatons, dans certains dossiers, un partage millimétré du gain, qui correspond exactement à ce qui aurait dû résulter de l'application du taux de retenue à la source.
Dans l'exemple américain, les dérivés sont assimilés aux actions. Il faudrait peut-être que nous nous dotions d'une telle clause d'assimilation.
Je répète qu'il est encore plus difficile d'agir sur les CumCum externes, compte tenu des difficultés d'accès à l'information. Déjà en interne, il n'est pas facile de déceler les mouvements avec des plateformes, des courtiers à l'étranger. Nous ne sommes d'ailleurs pas certains que des mécanismes d'assistance administrative internationale puissent fonctionner à cette échelle, parce que, là aussi, on ne demande pas une information sur une personne, mais sur des volumes de transactions.
M. Claude Raynal, président. - Monsieur Iannucci, je veux vous remercier pour votre seconde intervention ; vous êtes entré dans le dur, si je puis dire...Chacun ici tirera ses propres conclusions, mais on a tout de même l'impression que le sujet n'est pas totalement bien traité.
Vous avez indiqué faire désormais usage du fondement juridique du « bénéficiaire effectif » dans le cadre des contrôles, il faudra suivre en quoi il fait progresser la lutte contre ces pratiques. On sent bien que les contrôleurs de Bercy doivent avoir la même compétence que ceux du système financier.
J'ai bien noté que le délit d'évasion fiscale pourrait être introduit dans notre droit - en tout cas, le sujet est sur la table.
Mesdames, messieurs, je veux vous remercier d'avoir accepté de participer à cette table ronde, organisée dans des délais très courts, et de nous avoir informés des enjeux et de l'évolution du dossier. Je vous remercie également de la qualité de vos interventions, très complémentaires ; elles nous ont permis de faire un tour très complet du sujet.
La réunion est close à 12 h 35.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.