Mardi 8 décembre 2020
- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -
La réunion est ouverte à 8 h 15.
Institutions européennes - Débat préalable au Conseil européen des jeudi 10 et vendredi 11 décembre 2020, en présence de M. Clément Beaune, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Nous nous réunissons ce matin pour le traditionnel débat préalable au Conseil européen qui se tiendra jeudi et vendredi prochain - à cet égard, j'ai demandé au président Larcher de modifier à l'avenir l'organisation de nos travaux en vue de tenir ce débat en séance publique plutôt qu'en commission.
Ce débat préalable, qui devait se tenir jeudi dernier, a été décalé car, Monsieur le ministre, vous étiez ce jour-là en déplacement, accompagné du Premier ministre notamment, sur les terres du Pas-de-Calais, pour dresser un état des lieux des conséquences du Brexit sur la pêche et les enjeux économiques liés à la traversée de la Manche.
Ce Conseil européen devait être principalement consacré à la question climatique, puisque les chefs d'État ou de gouvernement étaient convenus de reporter à cette réunion du 10 décembre leur décision de fixer un nouvel objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l'horizon de 2030. L'Union européenne entend en effet actualiser sa contribution à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques avant la fin de cette année. Mais l'urgence climatique peine à s'imposer face aux autres urgences : d'abord, celle de la pandémie, qui continue à faire des ravages en Europe, où elle a déjà frappé 14 millions de personnes et fait 350 000 morts. Quels progrès attendre de ce Conseil européen concernant une levée progressive des restrictions ? Comment s'organise la coordination européenne pour le déploiement des vaccins contre la covid-19 ?
Ensuite, ce Conseil européen traitera de l'urgence de la relance de l'économie européenne, terrassée par la pandémie. Comment dépasser le blocage persistant du plan de relance par quelques-uns sans renoncer à conditionner l'octroi des fonds au respect de l'État de droit ? Monsieur le ministre, allons-nous avancer sans ces États réfractaires, comme vous l'envisagiez et comme semble désormais s'y résoudre le commissaire Gentiloni, ou rouvrir le débat sur le mécanisme de conditionnalité afin de rendre moins arbitraire son déclenchement ? L'important est assurément d'éviter tout report dans la mise en oeuvre du cadre financier pluriannuel et du plan de relance, mais, à plus long terme, nous sommes inquiets sur l'avenir européen des États que nous laisserions en chemin... J'ai eu l'occasion de le dire hier sur la chaîne Public Sénat : je ne souhaite pas, pour ma part, une Europe à la carte.
J'évoquerai également l'État qui a déjà décidé de tracer sa route sans nous, à savoir le Royaume-Uni. La période de transition expire dans trois semaines, et il paraît de moins en moins possible que la négociation de la relation euro-britannique qui débutera au 1er janvier se conclue sur un accord, même si les échanges s'intensifient. En ce moment critique, l'unité des Vingt-Sept est-elle en train de se fissurer ? Nous sommes particulièrement soucieux : que sont prêts à lâcher ceux qui dénoncent la fermeté française ?
Le Conseil européen devra aussi répondre à l'urgence de la menace terroriste dont l'Autriche et la France ont été victimes le mois dernier. Lors de son audition, M. Gilles de Kerchove, coordinateur de l'Union européenne pour la lutte contre le terrorisme, a indiqué qu'aujourd'hui, l'essentiel de la menace en Europe est de type endogène. Elle provient d'individus isolés qui se radicalisent sur internet ou en prison, sans liens formels avec Daech ou Al-Qaïda. À ses yeux, l'attentat de Nice constitue une exception de ce point de vue. Comment le Conseil européen entend-il traiter cette situation pour que les États membres, notamment ceux de l'espace Schengen, coopèrent mieux pour prévenir la radicalisation et détecter les individus dangereux ?
Enfin, le Conseil européen devra s'accorder sur la réaction à adopter quant aux manoeuvres de la Turquie, qui souffle le chaud et le froid afin d'éviter les sanctions européennes - mais le vice-président de la commission des affaires étrangères, Pascal Allizard, vous interrogera sur ce sujet.
Un mot pour finir sur le sommet de la zone euro, qui suivra ce Conseil européen dont l'ordre du jour est déjà très chargé. Ce sommet sera consacré à l'union bancaire et à l'union des marchés de capitaux : c'est un enjeu stratégique pour notre économie, sa stabilité, sa résilience et son autonomie. Le président de la commission des finances, Claude Raynal, ne manquera pas d'évoquer l'accord intervenu sur la réforme du mécanisme européen de stabilité (MES) et du Fonds de résolution unique (FRU) destinée à améliorer le cadre de résolution de crises.
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. - Le sommet de la zone euro prévu dans le cadre du prochain Conseil européen constitue le premier point d'intérêt de la commission des finances. Celui-ci devrait être essentiellement dédié à l'accord trouvé par l'Eurogroupe fin novembre sur l'approfondissement de l'union bancaire. En effet, l'Eurogroupe s'est enfin accordé sur le fait que le Mécanisme européen de stabilité pourra constituer le « filet de sécurité » du Fonds de résolution unique. Concrètement, en cas de crise bancaire systémique, une ligne de crédit du MES pourra être mobilisée, en dernier ressort, pour apporter des liquidités. Ce sujet n'est pas nouveau, puisque, dès 2018, les États membres s'étaient accordés sur la nécessité d'un tel dispositif, mais ce dernier était conditionné à la réduction du niveau de prêts non performants au sein de la zone euro.
Si la crise actuelle a visiblement permis d'accélérer les travaux en cours, force est de constater qu'elle ne devrait pas, sauf si vous nous dites le contraire, monsieur le ministre, améliorer le ratio de prêts non performants. Pouvez-vous dresser un état des lieux de cette question et faire le point sur les prochains travaux de l'Eurogroupe, dont la mise en place d'un système européen de garantie des dépôts ?
Par ailleurs, la question des négociations du Brexit, comme celle du prochain cadre financier pluriannuel (CFP), constitue un sujet d'intérêt pour notre commission : il n'y a pas encore de fumée blanche pour signifier un accord. Pour ce qui concerne le Brexit, le climat des négociations se tend au fil des mois. S'agissant des négociations relatives au prochain cadre financier pluriannuel, elles sont toujours suspendues au veto polonais et hongrois. Pendant ce temps, l'Union européenne s'organise : un accord provisoire a été trouvé avec le Parlement européen et le Conseil de l'Union sur le projet de budget pour 2021, et les services de la Commission européenne se préparent à activer la procédure dite des « douzièmes provisoires » en cas d'échec. Au terme de plus de deux ans de négociations éreintantes, le blocage actuel est une véritable frustration pour les citoyens européens, qui attendent des actes budgétaires concrets pour accompagner la relance. Ce veto soulève une triple difficulté budgétaire : quelles sont concrètement les conséquences de ce blocage sur la mise en oeuvre des politiques européennes après 2021, sur le calendrier de mise en oeuvre du plan de relance, ainsi que sur le processus de ratification de la décision « ressources propres » ?
M. Pascal Allizard, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - La commission des affaires étrangères a deux grandes questions à la veille du Conseil européen.
Concernant le Brexit, les carottes sont-elles cuites, si je puis dire ? Considérant que l'échange entre Mme von der Leyen et M. Johnson, hier soir, a peu progressé, que penser du scénario-fiction qui verrait les négociations se prolonger jusqu'au 31 décembre ? C'est aussi oublier qu'il faut que les parlements votent l'accord ultérieurement... Encore et toujours, les discussions achoppent sur les mêmes points, notamment l'accès des pêcheurs continentaux aux eaux britanniques, la gouvernance de l'accord et la concurrence équitable...
Les Britanniques n'ont pas intérêt à cumuler les chocs que sont un hard Brexit et la covid. Mais qu'attendre d'un gouvernement britannique qui ne parle qu'à son opinion publique ? L'Europe, et particulièrement la France, sont-elles préparées à un no deal ? Le Gouvernement se place-t-il dans cette perspective ?
Alors que le Royaume-Uni vient d'annoncer un important effort en matière de défense, qu'il est un partenaire opérationnel et industriel important en matière de défense, comment les Européens anticipent-ils les conséquences du Brexit, au moment même où les moyens dédiés au Fonds européen de la défense (FED) ont été rognés ?
Ma seconde question concerne la Turquie. Chacun connaît les agissements turcs en Méditerranée orientale, à l'OTAN, les actions déstabilisatrices en Libye ou dans le Caucase du Sud, avec la tragédie du Haut-Karabagh. Où s'arrêtera la Turquie et, surtout, qui l'arrêtera ? Si l'Europe ne réagit pas, nous risquons de nous réveiller un matin avec des troupes turques sur une petite île grecque, non loin de ses côtes, ou dans la partie nord de Chypre. Même l'OTAN et les États-Unis semblent commencer à durcir leur posture.
Le ministre Jean-Yves Le Drian a dit attendre des actes de la part de la Turquie, plutôt que des déclarations apaisantes. On ne peut que souscrire à ces propos. « Heureux hasard », à la veille du Conseil européen, ce pays vient d'annoncer qu'elle retirait l'Oruç Reis de la zone de recherche, qu'elle faisait de l'adhésion à l'Union européenne une « priorité stratégique » et qu'elle voulait entamer des concertations exploratoires avec la Grèce. Cela ne ressemble-t-il pas à une manoeuvre de plus pour diviser les Européens au moment d'aborder le sujet des sanctions ? Il nous semble qu'aucun agenda positif ne doit être engagé ni même envisagé avec la Turquie tant qu'elle ne renoncera pas définitivement à ses actions illégales.
Le Conseil européen doit clairement poser la question des sanctions et de la suspension de l'union douanière. Mais n'est-ce pas ce qu'attend le président turc pour ressouder la nation derrière lui, phénomène que nous avons déjà observé avec la Russie ? Quelle sera la politique du Gouvernement et quel soutien attendre de nos partenaires européens ? Que fera l'Allemagne ? Ne sommes-nous pas en quelque sorte l'otage de l'accord sur les questions migratoires ? L'Europe peut-elle miser sur le temps long et une possible alternance en Turquie ?
M. Clément Beaune, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. - Je suis heureux de vous retrouver à l'avant-veille d'un Conseil européen dont le menu est copieux : le climat, les questions de sécurité, le terrorisme, la Turquie, les relations extérieures en général, la crise sanitaire... des points auxquels s'ajoutent les questions du budget, du plan de relance - avec les vetos que vous avez évoqués - et, bien évidemment, du Brexit et de l'avenir de la zone euro.
Ce Conseil européen devait être et sera, malgré tout, consacré à la question climatique. Lors du Conseil européen extraordinaire des 1er et 2 octobre derniers, nous avons porté, avec onze États membres, l'objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre à hauteur de 55 % au moins à l'horizon de 2030 (contre 40 % précédemment), un objectif soutenu de longue date par la France : l'ambition climatique est donc de plus en plus largement défendue. Cette proposition rejoint celle de la Commission européenne, qui se fonde sur une étude d'impact que nous avions souhaitée. Vous le savez, des divisions ou des réticences demeurent sur les questions climatiques mais, si je fais un bref retour en arrière, au début de l'année 2019, quatre pays, dont la France, étaient favorables à la neutralité carbone en 2050. Nous avons réussi à fédérer une dizaine de pays au printemps 2019, puis d'autres ensuite, pour parvenir à un quasi-consensus européen, hors la Pologne, en vue d'acter cet objectif. Alors que nous relançons les négociations pour l'objectif 2030, on voit que le consensus est plus aisé, et que l'ambition climatique est mieux partagée : même la Pologne ne brandit pas la menace du veto, mais demande un certain nombre de garanties, une différenciation des objectifs par État membre et un soutien financier.
L'accord budgétaire du mois de juillet dernier prévoit, à la fois dans le CFP et dans le plan de relance, des financements massifs pour la transition énergétique, en priorité à destination des pays pour lesquels la transition est la plus coûteuse, au premier rang desquels la Pologne. Nous serons clairs, cet effort de solidarité est légitime, mais il doit accompagner l'ambition climatique. Il va donc de soi que nous devons acter le plus vite possible ce rehaussement collectif de l'ambition climatique pour 2030, et ce dans le respect des accords internationaux.
Nous fêterons les cinq ans de l'accord de Paris à la fin de cette semaine. Au début de l'année 2021, nous devrons déposer la contribution commune de l'Union européenne à cet accord pour 2030 et rehausser la cible en vue de la COP 26, organisée par le Royaume-Uni, qui a été reportée l'année prochaine en raison de la crise sanitaire.
Il y a donc une certaine cohérence entre notre objectif européen lors des discussions de ce Conseil européen, et notre engagement commun à l'international que nous devons honorer. Je ne puis vous affirmer si nous parviendrons à cet accord à la fin de cette semaine, mais je le souhaite ardemment. Tel est l'objectif de ce Conseil européen.
Les questions de sécurité ont pris un relief particulier après les attaques terroristes récentes à Nice, à Conflans-Sainte-Honorine et à Vienne, dont vous avez rappelé l'ampleur. Elles ont eu le « mérite », si je puis dire, de conduire à une prise de conscience accrue de l'ensemble des États membres de l'Union européenne, avec la volonté d'engager une action commune européenne. Cela va de la lutte contre la haine en ligne à une meilleure protection de nos frontières extérieures, en passant par l'échange d'informations entre nos services de police et de renseignement. Le Président de la République avait évoqué, après les attentats, la nécessité de renforcer, de manière plus générale, le contrôle de nos frontières extérieures. Sans un contrôle des frontières extérieures renforcé, il n'y a pas de libre circulation possible et acceptable au sein de l'espace Schengen. Selon l'agence Frontex et la Commission européenne, une personne sur cinq environ qui entre dans l'espace Schengen n'est pas identifiée ou n'est pas contrôlée. N'engageons pas de faux débat, aucune frontière nationale n'est parfaitement étanche, mais nous avons l'obligation de progresser dans les échanges d'informations et le renforcement des contrôles à nos frontières extérieures. Le Président de la République a parlé d'un certain nombre de réformes de gouvernance de Schengen, il ouvrira le débat à l'occasion du Conseil européen.
Permettez-moi à cet égard d'évoquer, même s'il ne fait pas partie des sujets de ce Conseil européen, la proposition de règlement européen sur la lutte contre les contenus terroristes en ligne, initiée par la France voilà deux ans. J'espère que les négociations aboutiront d'ici à Noël. Cela constituerait un élément d'efficacité majeure, je crois, dans la lutte contre la radicalisation, et donc dans la lutte contre la menace terroriste.
S'agissant de la politique extérieure, nous ne l'avons pas caché, la France appelle à la fermeté avec la Turquie, et nous avons emmené nos partenaires sur cette ligne. Lors du Conseil européen des 1er et 2 octobre, nous avions proposé une alternative à la Turquie : soit des gestes concrets de bonne volonté ou de coopération, et donc une reprise de dialogue - et nous étions prêts à engager ce dialogue -, soit la poursuite d'une stratégie d'agressivité ou de provocation, et nous prendrions alors des mesures de sanction. Malgré quelques gestes d'apaisement récemment - il ne me revient pas de dire s'ils sont sincères ou tactiques -, il est clair que le président turc fait preuve depuis le mois d'octobre d'une agressivité très forte à l'égard du Président de la République, de la France et, plus largement, du Caucase à la Méditerranée orientale. C'est pourquoi le ministre des affaires étrangères travaille avec ses homologues européens à des mesures de rétorsion et de sanction. J'espère qu'elles pourront intervenir le plus vite possible ; si elles étaient adoptées lors du Conseil européen, nous enverrions un signal de crédibilité et de fermeté important. En tout état de cause, il faut doser notre réaction. Non pas que nous soyons naïfs ou faibles - nous avons été à l'origine de la prise de conscience de nos partenaires -, mais décider une rupture définitive des négociations d'adhésion ne changerait rien à la réalité pratique - puisque les négociations sont déjà gelées - ; ce serait, au contraire, de nature à donner à M. Erdogan des arguments pour ressouder, pour reprendre le terme de M. Allizard, une partie de l'opinion sur un réflexe nationaliste. Ce n'est donc pas notre intérêt.
Le Président de la République l'a dit lors d'une conférence de presse devant le président Erdogan il y a deux ans, il n'est pas question d'une adhésion de la Turquie à l'Union européenne, il n'y a pas d'ambiguïté sur le fond. Il nous faut donc être prudents et efficaces.
Je dirai un mot sur la crise sanitaire, qui a donné lieu à des visioconférences régulières des chefs d'État ou de gouvernement, sur l'initiative de la France notamment, en vue d'améliorer notre coordination. Celle-ci est encore à certains égards une gageure, car nous n'avions pas envisagé au départ que nous aurions besoin de coordonner nos décisions qui sont parfois nationales et, plus souvent, locales, sur l'ouverture des stations de ski ou la circulation des travailleurs frontaliers, par exemple... Nous n'imagions pas, au départ, que nous aurions besoin de nous coordonner sur de tels sujets. Nous construisons en marchant.
D'ailleurs, nous avons abandonné les mauvais réflexes de la première phase, en évitant la fermeture de nos frontières intérieures, qui, quoiqu'en disent certains, n'est pas une « lubie sans-frontiériste », pour reprendre l'expression malheureuse du Rassemblement national, ou un délire européiste. Cette décision répond à la situation concrète de 350 000 travailleurs frontaliers, sans compter leurs familles et les emplois indirects. Mais nous devons travailler davantage encore en coordination : je pense aux tests antigéniques, qui, aujourd'hui, ne font pas l'objet d'une reconnaissance mutuelle, voire d'une reconnaissance tout court, par les différents États membres. Aussi, nous incitons à une reconnaissance mutuelle de ces tests rapides partout en Europe, d'autant que la question des déplacements en avion se posera assez vite - du moins peut-on l'espérer.
L'acquisition des vaccins est un très bon exemple d'une réussite européenne collective. Bien entendu, les choses restent à concrétiser, mais six contrats ont été négociés par l'Union européenne, financés en très grande partie par le budget européen, qui a mobilisé plus de 2 milliards d'euros à cet effet. Ils nous permettent d'acquérir plus de 1,5 milliard de doses pour l'ensemble de la population européenne. Qu'aurions-nous dit si nous avions acheté le vaccin ou sécurisé son accès, chacun dans notre coin, au sein de l'Union européenne ? Et si une campagne de vaccination était lancée en Italie et pas en France, en Espagne et pas en Allemagne, etc. ? Alors certains diront que la France aurait peut-être eu un vaccin la première - peut-être. Mais je préfère ne pas faire ce pari, et faire plutôt le choix du collectif : un collectif qui nous protège, qui nous assure l'efficacité, la rapidité, mais aussi la sécurité.
Cette question se pose aujourd'hui dans le débat public, mais ne soyons pas excessivement sensibles aux stratégies de communication sur ce qui se passe au Royaume-Uni. Une campagne de vaccination commence aujourd'hui, voyons comment elle se déroulera. Il s'agit d'un premier vaccin, et tant mieux s'il est accessible à l'ensemble de la population britannique. Le Royaume-Uni a choisi une procédure accélérée, d'urgence, ce qui n'a pas été le choix des autorités françaises et des autres États membres, pour assurer un équilibre entre rapidité et sécurité. Pour l'Union européenne, la stratégie vaccinale est plus un marathon qu'un sprint : pour être efficace, elle doit s'étaler sur plusieurs mois, comme l'ont expliqué le ministre de la santé et le Premier ministre la semaine dernière.
Je terminerai en évoquant trois derniers points : le budget, le Brexit et la zone euro.
J'espère que la question budgétaire pourra être résolue dans les prochains jours - elle le sera de toute façon avant la fin de l'année. Je l'ai dit devant votre assemblée, nous ne céderons ni sur l'impératif de la relance ni sur la protection de nos valeurs fondamentales - personne ne le comprendrait.
Nous disposons de deux voies d'action. La première consiste à discuter avec la Pologne et la Hongrie ; c'est ce que fait actuellement la présidence allemande, avec l'aide de la France. Nous souhaitons, pour éviter tout fantasme ou interprétation excessive, expliquer ce qu'est ce mécanisme d'État de droit et ce qu'il n'est pas. Il n'est pas une intrusion généralisée dans les lois nationales - nous ne l'accepterions pas ; en revanche, il protège les violations éventuelles de l'État de droit par le gel ou la suspension de fonds européens. La seconde vise à préparer une avancée sans ces deux pays. Je ne le souhaite pas, je considérerais cette action comme un échec. Tout comme vous, monsieur le président Rapin, je ne souhaite pas une Europe à la carte sur des sujets aussi fondamentaux ; ce ne serait pas une bonne nouvelle. Cependant, nous devons envisager cette option. Nous ne pouvons dire à nos concitoyens que nous avons laissé tomber la relance ou l'État de droit. C'est la raison pour laquelle la Commission européenne a déjà engagé un travail juridique et technique pour être prêts, le cas échéant.
Ensuite, le Brexit. Pour reprendre l'expression que le Président de la République a employée sur un autre sujet, cette négociation ressemble à « un jour sans fin », même si l'échéance est proche : le 31 décembre, quoi qu'il arrive, nous ne vivrons plus dans le monde que nous connaissons. Nous devons nous y préparer.
Cependant, nous pouvons encore aboutir à un accord. La négociation se prolonge, et Mme von der Leyen rencontrera certainement Boris Johnson demain. Nous aviserons, dans la semaine, de la possibilité d'un accord ou non. Au-delà de la ratification, c'est une question économique essentielle pour nos entreprises, nos concitoyens, notamment nos pêcheurs, qui ne doivent pas découvrir le 31 décembre ce qui se passera le 1er janvier.
Permettez-moi de rappeler les trois points qui bloquent dans ces négociations : la pêche, la concurrence équitable et la gouvernance, qui est liée aux deux autres.
Le Premier ministre l'a indiqué lors de son déplacement dans les Hauts-de-France, il y a quelques jours, nous souhaitons qu'un accord soit trouvé. Un non-accord serait une très mauvaise nouvelle, notamment pour la pêche française. Cependant, nous ne pouvons pas accepter, sur les plans économique et politique, un accord aux conditions britanniques ou à n'importe quel prix. C'est la raison pour laquelle nous défendons un accès durable et large aux eaux britanniques, notamment dans des zones sensibles, telles que la bande des 6-12 milles. Nous avons bien conscience que les choses vont changer au 1er janvier, mais il n'est pas question pour l'Union européenne de sacrifier ses intérêts.
L'unité européenne n'est pas fissurée et Michel Barnier, notre négociateur, réalise à cet égard un travail remarquable. Je peux vous assurer qu'elle ne le sera pas. C'est bien parce que nous sommes unis que nous pouvons défendre nos intérêts de manière efficace.
Enfin, la zone euro. Ce point sera examiné vendredi matin. Au travers de la question du plan de relance, nous avons levé le tabou de la dette commune, ce qui peut nous servir, à terme, pour la zone euro.
Monsieur le président Raynal, vous l'avez indiqué, nous devons noter les avancées récentes des ministres des finances. Nous portons avec les Allemands, depuis le sommet de Meseberg, il y a deux ans, un accord sur le Mécanisme européen de stabilité et sa réforme, qui permet un assouplissement en période de crise, ainsi qu'un accord sur l'union bancaire, qui nous permettra de bénéficier d'un filet de sécurité pour nos fonds de garantie des dépôts. Nous avons avancé de deux ans la mise en place de ce filet de sécurité, très protecteur en cas de crise.
L'étape suivante est d'aller vers un système européen de fonds de garantie des dépôts, après l'étape importante franchie la semaine dernière par Bruno Le Maire et ses homologues. Je rappelle que nous avons en France un système très protecteur. Un travail doit être mené avec l'Allemagne sur ce sujet.
M. Jean-François Rapin, président. - Monsieur le ministre, je vous remercie de ces éléments d'information.
Avant de laisser la parole aux intervenants, je tiens à saluer l'arrivée de deux nouveaux membres dans notre commission - j'ai manqué à tous mes devoirs de président en ne le faisant pas au début de cette réunion : Mme Florence Blatrix Contat, sénatrice de l'Ain, en remplacement de M. Yannick Vaugrenard, et de Mme Christine Lavarde, sénateur des Hauts-de-Seine, en remplacement de notre ancien président, M. Jean Bizet.
Monsieur le ministre, il est vrai que notre commission est favorable à une prise en charge de la question sanitaire au niveau européen, non seulement pour la vaccination, mais aussi afin de retrouver, au niveau de l'espace Schengen dans un premier temps, un sentiment de liberté. Nous nous sentons tous très contraints, depuis quelque temps, notamment cette commission qui ne peut rencontrer physiquement aucune personnalité européenne.
M. Olivier Cadic. - Comme l'a déclaré le Président de la République, Emmanuel Macron, à l'issue des élections générales britanniques, il y a tout juste un an, le plus dur est à venir, entre la mise en oeuvre de l'accord de retrait du Royaume-Uni et la préparation de la future relation. Il ne s'était pas trompé. À trois semaines de l'échéance de la période de transition, nous ignorons toujours le cadre de la future relation entre le Royaume-Uni et l'Union européenne.
Cette sordide histoire du Brexit a commencé dans l'épouvante, au cri de « Britain first », lancé par le fanatique qui assassina la députée britannique pro-européenne Jo Cox. Une semaine plus tard, les Européens subissaient un traumatisme en apprenant le résultat du référendum, nous convertissant, d'un coup, en étrangers dans un pays que beaucoup voyaient comme leur maison.
Je me souviens des conférences organisées dans les jours qui ont suivi pour répondre aux inquiétudes de milliers de compatriotes, témoignant parfois que leurs voisins, qu'ils connaissaient depuis des années, les invitaient désormais à quitter le pays sur-le-champ. Nous étions alors considérés par les Brexiters comme des parias, nos droits étaient menacés, des agressions physiques et des assauts verbaux ont commencé. Vint la conférence de Bristol, que le délégué consulaire, Nicolas Hatton, a eu l'idée d'ouvrir aux Européens du Royaume-Uni. Roumains, Polonais, Italiens, Allemands témoignaient comme nous que, même si rien n'avait encore changé dans les textes, tout avait changé dans les têtes.
De cette communion de perceptions est née l'association The3million, fondée et présidée par Nicolas Hatton, destinée à défendre les droits des 3 millions d'Européens du Royaume-Uni. Lors de l'introduction de la demande d'un titre de séjour, baptisé le Settled status, l'administration britannique demandait de remplir un document de 85 pages. Le premier succès de The3million aura été la simplification du dispositif, qui est devenu un formulaire en ligne qui se renseigne en vingt minutes.
L'action de cette association a ensuite poussé Theresa May à renoncer à la taxe de 65 pence exigée pour la demande du Settled status. Elle a permis aux Européens d'économiser plus de 200 millions d'euros. Les fondateurs de l'association ont ensuite créé l'association Settled, afin d'aider bénévolement tous ceux qui cherchent à obtenir le sésame pour rester au Royaume-Uni.
Durant ces quatre ans, cette solidarité de la société civile a fait émerger une citoyenneté européenne outre-Manche. La contribution sociale, économique et culturelle des Européens à la société britannique est désormais soulignée. Pour autant, les Britanniques n'ont pas trouvé de vaccin au Brexit. L'issue des négociations permettra de répondre à de nombreuses questions en suspens. Mais l'absence d'accord serait le pire des accords. Reste l'absence d'un document pour certifier notre statut de résident au Royaume-Uni et les craintes concernant ceux qui ne seront toujours pas enregistrés.
L'équipe du consulat, emmenée par notre consul général Guillaume Bazard, qui effectue un travail remarquable, contribue à nous rassurer. Notre statut doit beaucoup à Michel Barnier et à son équipe de négociateurs. Nous sommes également reconnaissants envers l'indéfectible soutien des parlementaires européens. Jusqu'au bout, les Européens sont restés fidèles à leur devise : « Unis dans la diversité. »
Enfin, je veux saluer la qualité de l'engagement du Gouvernement dans la durée. Que ce soit Nathalie Loiseau, Amélie de Montchalin ou vous-même, vous avez su prendre en compte nos attentes. Durant ces quatre ans, The3million a travaillé main dans la main avec l'association British in Europe. Ma dernière question, avant la sortie définitive, concerne ces derniers.
À l'avenir, les Européens pourront se rendre au Royaume-Uni durant six mois consécutifs, selon les règles britanniques. En revanche, les Britanniques qui voudront profiter de leur résidence secondaire en France devront se soumettre à la règle selon laquelle leur séjour ne pourra pas dépasser 90 jours sur une période de 180 jours. Pensez-vous que nous puissions évoluer sur cette question ?
M. Jacques Fernique. - Cette semaine sera déterminante et nous comptons sur votre détermination, monsieur le ministre. La balle est en effet dans le camp du Conseil européen. Il est plus que temps que les gouvernements de l'Union mettent fin au blocage des fonds destinés à la reconstruction et à la relance de nos économies - des économies tétanisées et lourdement impactées par la pandémie.
Il est indispensable que ce sommet permette de surmonter le blocage hongrois et polonais. Il ne serait pas acceptable que leurs menaces, en raison de leurs propres manquements à l'État de droit, paralysent l'accord particulièrement positif qui est à notre portée. Ce serait porter préjudice à l'ensemble des populations de l'Union, y compris aux populations hongroise et polonaise. Il ne serait pas acceptable de céder au chantage ou que les fonds européens servent à alimenter des dérives qui minent l'État de droit.
Monsieur le ministre, nous avons lu votre interview publiée dimanche. Vous nous confirmez aujourd'hui que vous ne sacrifierez ni la relance ni l'État de droit. Vous envisagez un scénario pour avancer à 25. Nous comptons sur cette détermination pour sortir de l'ornière.
Un accord prometteur a été trouvé avec le Parlement européen. Une brèche a été ouverte pour sortir du marasme économique lié à la pandémie, mais également pour engager un budget climatique ambitieux et déployer des ressources propres, selon un calendrier précis. Il s'agit de demeurer ferme, pour que cet accord tienne ses promesses, parmi lesquelles celle de consacrer 10 % du cadre financier pluriannuel à la biodiversité et 30 % au climat, avec l'introduction d'un principe pour priver de tout financement européen des projets qui nuiraient au climat. Le Conseil européen sera déterminant pour cet enjeu climatique, puisque ce sommet conviendra du nouvel objectif de réduction des émissions de l'Union européenne à l'horizon de 2030.
Le vote du Parlement européen, qui propose un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 60 % en 2030, sur la base des émissions de 1990, doit être pris très au sérieux. La neutralité carbone en 2050 nécessite un net changement de braquet. La proposition de la Commission est, elle aussi, déjà un rehaussement.
Au moment où le résultat des élections européennes rouvre les perspectives, il est important que l'Union montre résolument la voie en engageant cette décennie sur la trajectoire qui lui fera tenir, pour elle-même, les engagements de l'accord de Paris. Ce sommet sera réussi s'il nous donne de sérieuses raisons de fêter, le lendemain, dans l'optimisme, le cinquième anniversaire de l'accord de Paris.
Pour parvenir à un bon objectif sur la question climatique, il nous faudra avancer sur la question budgétaire. En effet, si certains pays sont réticents à afficher un objectif climatique à la hauteur, c'est avant tout parce qu'ils craignent de ne pas savoir comment financer la transition. C'est particulièrement le cas des économies les plus carbonées.
Ce sommet doit donc aussi être l'occasion d'avancer vite et bien sur les ressources propres. Le choix de l'endettement commun, ce tabou qui a été levé, nous y oblige. Ce sujet planera dans les couloirs du sommet. Sur cette question, nous n'avons pas le droit de faire du surplace, ni même des petits pas. Les ressources propres seraient inopérantes, si elles devaient se faire au rabais.
La taxe plastique, qui vient d'être instaurée, est positive, mais ce n'est pas pour autant la panacée. Il ne s'agit d'ailleurs pas vraiment d'une taxe, mais plutôt d'une nouvelle modalité de calcul des contributions nationales. Nous avons besoin de passer à tout autre chose : le mécanisme carbone aux frontières, la redevance numérique et la taxe sur les géants du numérique, qui est dans une phase délicate de son élaboration sont autant de leviers qui doivent faire bouger sérieusement les lignes.
Il s'agit de faire en sorte que ceux qui tirent le plus de profits du marché européen contribuent à leur juste part à la chose publique. Il me semble que les actions et les obligations ne sont pas tout à fait des biens de première nécessité... Aujourd'hui, en matière de transactions financières, les volumes échangés sont 45 % plus élevés qu'en 2010. Les faire contribuer à l'effort collectif, avec des taux pas plus élevés que 0,1 % et 0,01 % sur les produits dérivés et le trading à haute fréquence, ne serait que justice et ce serait également une façon de décourager les échanges risqués et improductifs.
Notre groupe regrette que la Commission et le Conseil se soient opposés à la mise en place dès 2024 de la taxe sur les transactions financières (TTF), alors qu'il s'agirait là d'un des moyens les plus équitables pour dégager des ressources importantes, de l'ordre de 50 à 60 milliards d'euros.
Une taxation fondée uniquement des actions, à laquelle échapperaient 99 % des transactions, et qui ne rapporterait que quelques milliards, ne peut pas faire l'affaire. Je parlais de petits pas, tout à l'heure. Étendre au reste de l'Europe la petite TTF déjà en vigueur en France serait inopérant. Nous avons besoin d'une véritable taxe sur les transactions financières, au niveau de ce qu'envisageait la Commission en 2011. Voilà qui contribuerait fortement à financer le plan de relance, au lieu d'aller raboter les dépenses et les politiques structurelles de l'Union.
Si d'ici à 2022, quelques pays s'engagent dans une coopération renforcée sur ce point, alors il sera possible de débloquer les choses à temps, sinon tout sera renvoyé aux calendes grecques de l'après-2026. Sur cette question aussi, nous comptons sur votre détermination lors de ce sommet.
Monsieur le ministre, je terminerai mon propos en saluant l'engagement clair et constructif pour la cause de la démocratie européenne, incarnée par sa capitale parlementaire à Strasbourg. La réunion que vous avez animée, il y a quelques jours, avec la maire de Strasbourg, le président de région et l'ensemble des acteurs et parlementaires locaux, a cerné les actions et les enjeux prioritaires pour relever le statut européen de Strasbourg.
M. André Gattolin. - Monsieur le ministre, comme vous l'avez rappelé avec un brin d'ironie, les ordres du jour annoncés des Conseils européens ont toujours quelque chose d'un peu rigide, d'étrange et même de mystérieux. Ils donnent l'impression d'être assez pléthoriques. La liste des sujets supposés être traités est généralement longue et en même temps très sibylline, tant les intitulés et la présentation des sujets retenus sont concis et évanescents.
La réunion du Conseil européen qui se tiendra jeudi et vendredi prochain n'échappe naturellement pas à cette règle. Officiellement, nous y parlerons covid-19, changement climatique, commerce, lutte contre le terrorisme, Méditerranée orientale, voisinage méridional, etc. Et comme d'habitude, les plats au menu ne seront pas tout à fait ceux qui ont été présentés dans l'ordre du jour. Certains disparaîtront et les plats de résistance effectifs relèveront de la surprise du chef, ou devrais-je dire de la surprise des chefs d'État ou de gouvernement, et ne sont pas inscrits sur la carte.
Or, comme souvent, ce qui est important n'est pas dans ce qui est annoncé, mais précisément dans ce qui n'est pas affiché, et qui focalisera fort probablement une partie des échanges entre participants. Lors de ce Conseil européen, ces points importants non affichés dans l'ordre du jour seront au moins au nombre de trois.
Tout d'abord, sera naturellement traitée la question du Brexit. Le sujet est brûlant et des plus importants. Pourquoi son inscription n'a-t-elle pas été fixée officiellement à l'ordre du jour ? Est-ce en raison de l'extrême incertitude qui entoure un éventuel accord à la date fatidique du 31 décembre ? Ou parce que le Conseil européen, au moment de rédiger l'ordre du jour, espérait encore un heureux déblocage de la situation, avant sa tenue ?
En tout cas, sans accord au 1er janvier prochain, le Royaume-Uni sortira de l'union douanière et du marché commun, et ce sont les tarifs douaniers et les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) qui entreront alors en vigueur. La facture risque d'être très lourde pour le Royaume-Uni, qui exporte 47 % de ses produits vers le continent, et non sans conséquences graves pour l'Union européenne et certaines de ses filières, qui écoulent en moyenne 8 % de leurs marchandises outre-Manche.
Le cas épineux de la pêche, selon certaines rumeurs qui circulent actuellement dans les milieux européens, ne semble plus être le point principal d'achoppement. Ce serait, dans ce cas, une bonne nouvelle pour l'Europe, et pour la France en particulier. Monsieur le ministre, êtes-vous en mesure de confirmer ou d'infirmer qu'une solution paraît s'esquisser dans ce domaine ?
En revanche, ce qui achopperait et continuerait d'achopper encore au plus haut point, c'est la question des règles concernant la gouvernance de la future relation. Les marges de l'Union pour un compromis dans ce domaine sont plus qu'étroites, au risque sinon d'ébranler les fondements mêmes de l'édifice européen.
Seul aujourd'hui Boris Johnson a dans ses mains la clé d'une décision. Mais celle-ci l'amènerait inévitablement à en rabattre quant à ses exigences initiales. Et, connaissant les motivations politiques particulières du Premier ministre britannique - conserver avant tout son leadership sur le parti conservateur, plutôt que satisfaire à l'intérêt de ses concitoyens -, nous pouvons nous dire que l'affaire est loin d'être gagnée.
Quoi qu'il en soit, les délais sont d'ores et déjà trop courts pour engager la ratification d'un accord dit mixte par les parlements nationaux de l'Union. Aussi, monsieur le ministre, des rumeurs circulent actuellement sur un possible accord bilatéral Union européenne-Royaume-Uni, ratifié in extremis par le Parlement européen et le Parlement britannique. Il s'agirait alors nécessairement d'un accord de nature restreinte ne concernant que des domaines de compétences exclusives de l'Union. Pouvez-vous nous dire quelles sont, à votre sens, la probabilité et la faisabilité d'un tel accord ?
Le second sujet caché est celui de la nouvelle relation Union européenne États-Unis. Je ne m'étendrai pas trop sur la question. D'abord, parce que si Joe Biden suscite beaucoup d'espoirs dans l'opinion de ce côté-ci de l'Atlantique, le président élu n'est pas encore en fonctions, et aussi parce que je suis, pour ma part, assez dubitatif quant à l'ampleur des changements attendus dans la politique étrangère et commerciale des États-Unis à l'endroit de l'Union européenne.
Le désengagement des États-Unis à l'égard de l'Europe ne date pas de l'ère Trump, et l'on peut facilement le faire remonter à la période de M. Obama, et même avant. Par ailleurs, je ne suis pas certain que tous les États membres soient sur la même longueur d'onde quant à la nouvelle relation à instaurer, comme l'a souligné très récemment M. Josep Borrell, Haut représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, qui a déclaré : « J'espère que le Conseil sera capable de se mettre d'accord sur une approche commune. Je ne m'attends pas à ce qu'on parle d'une seule voix, mais bien de la même chose ». Les choses risquent en effet de se corser dès lors que les États-Unis souhaiteront ouvrir des accords sectoriels de libre-échange avec l'Union européenne.
Venons-en pour conclure au troisième point, occulté, de l'ordre du jour officiel de ce Conseil européen, qui est beaucoup moins incertain que les deux précédents et qui fera, selon toute attente, l'objet d'une validation unanime des chefs d'État ou de gouvernement : enfin une bonne nouvelle dans ce monde particulièrement anxiogène ! En effet, jeudi 10 décembre, qui est la date de la Journée internationale des droits de l'homme, le Conseil européen adoptera - enfin ! - un cadre de sanctions transversales très ciblées de l'Union européenne pour les violations graves des droits de l'homme dans le monde. Cette législation à l'échelle européenne, longtemps bloquée par le veto hongrois, et qui s'inspire de lois déjà votées aux États-Unis, au Canada, au Royaume-Uni et dans les pays baltes, a pour principe de sanctionner des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes, étatiques ou non, jugés responsables de violations et d'abus graves en matière de droits humains. Son champ d'application recouvre, entre autres, les actes de génocide, de crimes contre l'humanité, de torture, d'esclavage, de traitements cruels et inhumains, les exécutions et les assassinats extrajudiciaires, les disparitions forcées de personnes, les arrestations ou détentions arbitraires, la traite des êtres humains, la violation de la liberté de réunion pacifique et d'association, et les violations de la liberté d'opinion et d'expression.
Pour l'essentiel, les destinataires de cette loi sont des personnes agissant et résidant hors du territoire de l'Union européenne. Les mesures prises à leur encontre sont essentiellement des restrictions de circulation ou d'entrée sur le territoire de l'Union européenne, le gel des avoirs détenus dans l'Union européenne ainsi que l'interdiction pour les citoyens européens de financer les personnes ou entités sanctionnées. La procédure de sanction devrait être engagée à l'initiative des membres du Conseil européen ou du Haut représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. La mise en oeuvre des sanctions devrait revenir aux autorités nationales des pays concernés. Monsieur le ministre, nous aimerions en savoir davantage.
Pour ma part, je tiens à saluer le rôle joué par la France et le Président de la République depuis 2017 en faveur de l'adoption de ces mesures ciblées à l'échelle européenne. Il serait important, à propos de ces lois qu'on appelle parfois « lois Magnitski », que la France propose, pour le prochain prix Sakharov du Parlement européen, le nom de Bill Browder, qui était l'employeur de Sergueï Magnitski, et qui se bat sans relâche depuis plus de dix ans pour faire adopter cette nouvelle forme de sanctions ciblées dans le monde.
M. André Reichardt. - J'entamerai mon propos en évoquant à mon tour trois sujets qui ne figurent pas à l'ordre du jour de ce Conseil, mais qui me préoccupent et préoccupent mon groupe.
Vous ne serez pas étonné si le sénateur alsacien que je suis commence par la question du siège du Parlement européen à Strasbourg. Je m'associe entièrement aux observations de mon collègue Jacques Fernique et, à mon tour, j'exhorte le Gouvernement à élever le ton sur ce sujet. La situation n'a que trop duré, et la covid n'est qu'un argument fallacieux de plus. Nous souhaitons vivement que, comme dans d'autres institutions internationales, le virus n'empêche pas la réunion du Parlement européen dans la capitale alsacienne, qui est l'une des capitales européennes.
Le second sujet est le Brexit. Mme Ursula von der Leyen a fait état la semaine dernière de certaines avancées, mais elle constatait toujours les mêmes blocages sur les conditions de concurrence équitables, la gouvernance de l'accord et la pêche. Je ne spécule pas sur la possibilité de parvenir, ou non, à un accord mais je m'interroge sur les délais en cas d'issue favorable. En effet, alors que toutes les dates initialement fixées, tant par les Européens que par les Britanniques, ont été dépassées, les négociations se poursuivent et nous sommes désormais dans ce qu'on appelle le temps additionnel ! Si un accord était finalement scellé, sera-t-il seulement envisageable qu'il soit ratifié dans des conditions d'examen acceptables par la Chambre des communes et le Parlement européen avant la fin de l'année ? Qu'en est-il par ailleurs de sa nature et de son caractère mixte ? Ce sujet a-t-il été tranché ? Si l'accord devait, comme on peut l'imaginer, être mixte, le calendrier de saisine des parlements nationaux ne pourra débuter qu'après la fin de la période de transition. Une application provisoire paraît alors quasiment inévitable.
Le dernier sujet d'incertitude, économique, c'est naturellement l'adoption du cadre financier pluriannuel et du plan de relance. Le veto hongrois et le veto polonais sur le paquet financier, motivés par la proposition de conditionnalité sur l'État de droit, ramènent en quelque sorte l'Europe à la case départ et offrent à nouveau le visage d'un continent enfermé dans ses divisions. Quoi qu'il en soit, il faut désormais sortir de la crise. Plusieurs options ont été évoquées, comme celles de modifier l'instrument de conditionnalité, de désolidariser l'adoption du CFP de celle du plan de relance, ou encore, d'accompagner cette dernière d'une déclaration politique du Conseil européen donnant des gages à Budapest et à Varsovie.
Monsieur le ministre, vous avez donné votre sentiment sur ces questions, mais en tout état de cause, ces options envisagées ne manqueraient pas de faire l'objet d'une forte opposition au Parlement européen. Celui-ci avance d'ailleurs des solutions beaucoup plus fermes. Il suggère, par exemple, d'aller au bout du bras de fer et de mettre la Pologne et la Hongrie devant le fait accompli en adoptant rapidement le règlement sur la conditionnalité et en mettant ces deux pays au défi de continuer à bloquer l'adoption d'outils financiers dont ils ont, on le sait, grand besoin économiquement. Plus radical encore, il évoque le recours à une coopération renforcée pour mettre en oeuvre le plan de relance à 25, à l'instar de ce qui avait été fait lors de l'adoption du pacte budgétaire en 2012, que le Royaume-Uni et la République tchèque avaient refusé. Cette dernière solution paraît naturellement hasardeuse, aussi bien techniquement que politiquement. Pensez-vous toutefois qu'elle puisse prospérer si le blocage devait persister ?
Le Parlement européen estime que la feuille de route pour les nouvelles ressources propres étant annexée à l'accord interinstitutionnel du 10 novembre, elle est juridiquement contraignante. Le Conseil considère, quant à lui, que ce document n'est qu'indicatif et ne saurait être porteur de conséquences juridiques. Quelle est la position des autorités françaises sur la nature de cette feuille de route ?
J'en viens à l'ordre du jour du Conseil européen proprement dit. Celui-ci va examiner à nouveau la question du changement climatique. Vous en avez parlé, je n'insiste pas. Les chefs d'État ou de gouvernement se pencheront également, une fois encore, sur le cas de la Turquie. Depuis plusieurs années, la litanie des conclusions du Conseil européen à propos de ce pays est édifiante. On s'est dit, tour à tour, « vivement préoccupés » ou « profondément soucieux » des agissements turcs, que l'on condamne généralement avec fermeté. Mais on propose toujours à Ankara, qui ne cesse pourtant de s'éloigner des standards européens dans tous les domaines, de s'engager dans un dialogue positif et constructif - proposition de dialogue que M. Erdogan nous renvoie de plus en plus vite à la figure, par ses déclarations et surtout par ses actes. La liste des provocations, des déstabilisations et des interventions commises par la volonté d'hégémonie du président turc s'allonge d'année en année, et nul ne sait où celui-ci va s'arrêter. Une chose est néanmoins sûre : il ne sera pas arrêté par des condamnations verbales sans conséquence.
Selon nous, il est plus que temps que les Européens prennent leurs responsabilités et adoptent des sanctions fermes à l'égard du régime turc. Nous croyons qu'il faut aussi envisager sérieusement de déclarer caduc le processus d'adhésion. Son maintien, ces dernières années, avait pour objectif principal de garder ouverts les canaux de dialogue entre l'Europe et la Turquie. L'objectif était louable, mais on en voit aujourd'hui le résultat : le processus d'adhésion relève désormais davantage du jeu de dupes que du processus politique. Il faudrait que l'on en fasse le constat partagé.
J'ai bien compris, monsieur le ministre, que vous ne souhaitez pas victimiser le président turc et, ce faisant, ressouder la population derrière lui. Pourtant, on peut se demander si ce n'est pas précisément en le mettant au niveau européen face à ses responsabilités, c'est-à-dire en déclarant caduc ce processus d'adhésion, que l'on pourrait amener sa population à manifester un désaccord et à le mettre en difficulté. Je vous engage vivement à réfléchir à cette option.
Autre sujet fondamental à l'ordre du jour du Conseil européen : la lutte contre le terrorisme. Après les attaques qui ont endeuillé la France et l'Autriche, l'Union s'apprête à remettre l'ouvrage sur le métier autour d'un nouvel agenda. Depuis les attentats de 2015, des progrès considérables ont été réalisés, mais les Européens doivent continuer à adapter leur arsenal face à une menace dont la nature et les modes opératoires évoluent rapidement. Cela passe, bien sûr, par un nouveau renforcement de la coopération policière et judiciaire entre États membres et par la lutte contre les sanctuaires djihadistes - par exemple au Sahel, où la France reste d'ailleurs bien seule pour agir en première ligne - ou par une lutte accrue contre la propagande islamique sur le terrain comme sur internet, comme nous l'a récemment expliqué Gilles de Kerchove. Les marges de progrès sont avant tout technologiques, notamment en accélérant l'interopérabilité des bases de données européennes et en les étoffant, en permettant aux services de sécurité des agences européennes d'accéder aux données dont elles ont besoin, et surtout en leur garantissant les moyens matériels et humains qui leur permettront d'être efficaces dans la collecte et l'analyse de ces données. Il y a la question des frontières extérieures, sur laquelle planent des doutes similaires quant à l'efficacité de l'action menée par certains États membres, malgré les réelles avancées de ces dernières années, autour du concept de frontières « intelligentes ». En tous cas, il est indispensable d'en renforcer davantage notre maîtrise, et le Pacte pour l'asile et l'immigration propose des évolutions qui vont dans le bon sens. L'objectif affiché de contrôler 100 % des personnes qui entrent dans l'espace Schengen doit être atteint, car aucune politique terroriste sérieuse ne saurait être conduite si nous ne sommes pas en mesure de savoir, à chaque instant, qui se trouve sur notre territoire.
M. Jean-Michel Arnaud. - Le Parlement et la Commission sont parvenus à un accord sur le paquet budgétaire concernant notamment le nouveau CFP et les crédits du plan de relance européen. La Hongrie et la Pologne ont fait part de leur opposition au mécanisme de conditionnalité du versement des fonds européens au respect de l'État de droit, qu'elles considèrent comme une atteinte à leur indépendance. Toutes les hypothèses sont envisageables, et l'exécutif de l'Union européenne se préparerait même à mettre en oeuvre l'exercice budgétaire provisoire, qui revient à gérer les dépenses européennes année par année, sur la base du budget septennal actuel. Or cela ne laisse pas de place pour le plan de relance Next Generation EU, puisque ce scénario ne permet qu'un refinancement des programmes existants. Pouvez-vous nous préciser l'état des négociations et les perspectives qui pourraient en naître ?
En ce qui concerne la coordination européenne dans la lutte contre la covid et la production d'un vaccin, le Premier ministre a expliqué sa stratégie vaccinale il y a quelques jours, et indiqué que le Gouvernement allait mettre en place un système de planification des vaccins. Cette stratégie nationale a été élaborée dans le cadre d'une réflexion plus globale au niveau européen. Si nous nous félicitons de cette réflexion globale, il n'en demeure pas moins que nous nous interrogeons sur des aspects très pratiques. Les pays européens seront-ils livrés en même temps ? Pourront-ils débuter leur campagne de vaccination concomitamment ? Le Gouvernement a annoncé que le vaccin ne serait pas obligatoire en France. Qu'en est-il pour nos voisins européens ? Je pense particulièrement à tous nos travailleurs frontaliers, dont beaucoup ne sont pas considérés comme prioritaires dans le calendrier qui a été établi par le Gouvernement. Que pouvons-nous leur répondre, si le Luxembourg, l'Allemagne ou l'Italie leur ferment leurs frontières ? Des arbitrages seront-ils pris sur ces interrogations les 10 et 11 décembre prochain, lors du Conseil européen ?
En tant que sénateur des Hautes-Alpes, je souhaite évoquer avec vous la question de l'ouverture des stations de ski. La fermeture, le 15 mars dernier, des 350 stations qui n'ont pas l'autorisation d'ouvrir leurs remontées mécaniques, avait amputé leur précédente saison à hauteur de 20 %. Les enjeux de cette saison sont donc primordiaux pour l'ensemble de nos massifs, dont un grand nombre sont frontaliers. C'est l'intégralité de la saison qui est menacée, ce qui représente 10 milliards d'euros de retombées économiques, 10 millions de vacanciers concernés, 120 000 emplois directs, 360 000 emplois indirects, ainsi que les familles qu'ils font vivre - sans parler de notre position de troisième destination mondiale du ski. Comment comprendre, dans ces conditions, l'interdiction faite en France d'ouvrir les remontées mécaniques, quand les stations suisses et, au sein de l'Union européenne, les stations autrichiennes, bulgares et suédoises pourront ouvrir, et que la Slovénie et l'Espagne s'interrogent ? Cette situation est d'autant plus mal vécue par les professionnels du secteur que tout a été mis en oeuvre pour une ouverture dans des conditions sanitaires strictes, avec la mise en place de protocoles élaborés avec les autorités sanitaires compétentes. Vous vous êtes engagé, avec le Gouvernement, à ce qu'il y ait une coordination européenne sur ce sujet. Est-ce vraiment le cas ? Cette discussion sera-t-elle à l'ordre du jour du Conseil européen ?
M. Pierre-Jean Verzelen. - Dans le budget qui va être discuté, la partie qui concerne le plan de relance est éminemment importante pour l'Europe et pour notre pays, puisque 40 % de notre propre plan de relance dépend de ce qui sera adopté au niveau européen. Deux pays, la Pologne et surtout la Hongrie, mettent en danger l'adoption du budget. Cela nous renvoie au problème de l'unanimité. Il ne va certes pas se régler en fin de semaine ou en quelques jours. Si le principe de l'unanimité a répondu à une nécessité pour se mettre d'accord, s'il a pu permettre à l'Europe d'avancer, on se rend compte qu'à présent il nous bloque sur de nombreuses avancées potentielles. C'est sur la notion de valeurs fondamentales et de respect de l'État de droit que la Pologne et la Hongrie bloquent. Peut-être serait-il opportun d'apporter des précisions à ces pays pour leur expliquer où est la limite et qui va juger si elle est franchie.
En ce qui concerne le Brexit, sur les sujets de discorde depuis plusieurs mois, c'est-à-dire la pêche et le respect des règles de concurrence, cela n'avance pas beaucoup ! On va du sommet de la dernière chance au coup de fil de la dernière chance, au rendez-vous physique de la dernière chance... On espère que tout cela puisse aboutir. Je salue la position du Gouvernement français, qui est resté ferme sur un bon nombre de sujets, et notamment sur la pêche. Mais quelle est la date limite ? Quand aurons-nous franchi le point de non-retour pour constater qu'il n'y aura pas d'accord ? Il vaut mieux ne pas avoir d'accord qu'un mauvais accord.
Quel comportement diplomatique avoir vis-à-vis de la Turquie de M. Erdogan ? Là encore, on retombe sur la question de l'unanimité. Quelles sanctions pourrait-on entrevoir vis-à-vis de la Turquie ? L'unanimité est-elle possible sur ce sujet ?
M. Patrice Joly. - La validation du CFP et du plan de relance est difficile. Il est clair que nous ne pouvons pas céder au chantage de la Hongrie et de la Pologne, qui refusent la mise en place d'un mécanisme de conditionnalité des fonds européens au respect de l'État de droit. Dans ce nouveau rapport de force, la France est dans une situation quelque peu délicate et qui pourrait l'empêcher de peser : la Pologne et la Hongrie ne manqueront pas de nous renvoyer à notre propre État de droit, qui suscite tant d'inquiétudes de la part de différentes instances internationales, comme le Conseil de l'Europe ou le Parlement européen, sans parler de l'avis des experts indépendants auprès du Conseil des droits de l'homme de l'ONU. Dans un an, la présidence du Conseil de l'Union européenne sera française, et nous ne pouvons que nous inquiéter de cette situation. Un retard dans l'entrée en vigueur de ces plans financiers serait dommageable pour nos économies et pour les politiques européennes de solidarité. Quelles solutions précises envisagez-vous pour sortir de cette situation de blocage ? Quelles seraient les conséquences de la conclusion d'un accord intergouvernemental, hors cadre communautaire, pour débloquer la situation ? Les objectifs en matière de changement climatique entrent-ils en ligne de compte dans les négociations, en particulier avec la Pologne ?
Fixer un objectif de réduction des gaz à effet de serre nous paraît indispensable pour relever le défi climatique. Cela ne peut être fait que grâce à un financement ambitieux. Or, il semble que le compte n'y soit pas : selon le rapport du Parlement européen du 26 octobre dernier relatif au financement du Pacte vert, il faudrait trouver au moins 600 milliards d'euros par an pour réaliser le double objectif de 55 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre à échéance de 2030 et de neutralité carbone à échéance de 2050. Il s'agit aussi d'admettre désormais qu'économie et transition écologique ne sont pas incompatibles, et donc de ne pas prendre prétexte de la relance économique pour réduire les ambitions La transition écologique est l'avenir de nos économies et un vivier d'emplois durables. Il est donc essentiel d'accélérer le calendrier de mise en place de nouvelles ressources propres et du mécanisme d'ajustement carbone. Il ne suffit pas de rehausser les objectifs, il faut également rehausser les financements. D'autres annonces viennent confirmer la nécessaire accélération de notre processus de transition climatique : ainsi, le rapport de l'ONU sur la biodiversité du 29 octobre dernier affirmait qu'à moins d'une transformation radicale de nos modes de vie, de nouvelles pandémies émergeront plus souvent, se propageront plus rapidement, feront plus de dégâts à l'économie mondiale et tueront plus de personnes que la covid 19. Nous ne pouvons plus fermer les yeux en espérant des jours meilleurs, avec l'arrivée sur le marché de tel ou tel vaccin ou de tel ou tel médicament. La situation est alarmante, les exemples s'en multiplient.
Ainsi, la dernière grippe aviaire que nous avons détectée en France, le 17 novembre dernier, fait que l'ensemble du territoire de l'Hexagone est classé en risque élevé. La France rejoint la longue liste des pays européens touchés par cette pandémie. Des dizaines de milliers de volailles ont été abattues aux quatre coins de l'Europe. Il est du devoir de l'Europe d'apporter une réponse efficace et coordonnée à ce qui pourrait être une nouvelle crise sanitaire majeure pour le secteur agricole. Quelles sont les mesures que le Conseil européen compte prendre d'urgence pour éviter un nouveau fléau, et quel soutien compte-t-il apporter à ce secteur ?
Ce même rapport de l'ONU nous indique que le risque de pandémie peut être considérablement diminué en réduisant les activités humaines qui alimentent la perte de biodiversité, par une plus grande préservation des aires protégées, et par des mesures qui réduiraient l'exploitation non durable des régions à forte biodiversité. Cela réduirait le contact faune-bétail-homme, et aiderait à prévenir la propagation de nouvelles maladies. Quelle position la France portera-t-elle pour inciter ses partenaires européens à se saisir de ces problématiques ?
Nous apprenons que la politique agricole commune (PAC) pour la période 2021-2027, en voie de finalisation, n'est pas compatible avec les objectifs du Pacte vert. Or l'agriculture est responsable d'environ un tiers des émissions de gaz à effet de serre d'origine anthropique dans le monde. C'est donc un champ d'action majeur de toute politique environnementale. L'intensification agricole a eu des effets délétères sur la biodiversité en entraînant une réduction drastique des populations d'oiseaux et d'insectes. L'étude des experts de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) et d'AgroParisTech publiée le 23 novembre dernier fait plusieurs recommandations nécessaires au renforcement des exigences climatiques et environnementales de la future PAC, notamment le renforcement de la conditionnalité environnementale, qui oblige au respect d'exigences minimales pour bénéficier des aides dans le cadre de la PAC. Ces exigences doivent être retravaillées pour accompagner les modèles économiques des exploitants, dans un cadre qui garantit une juste rémunération des agriculteurs. Cela ne se fera bien sûr que par la mise en place d'une concurrence loyale entre les différents pays européens et extra-européens.
Ainsi, monsieur le ministre, comment entendez-vous répondre à ces objectifs économiques, sociaux et environnementaux ? Qu'en est-il aujourd'hui des accords de libre-échange dont les procédures de ratification sont suspendues ? Quelle est la posture de la France à ce sujet, à l'échelle européenne ?
Alors que l'union des marchés des capitaux est censée soutenir la relance en Europe, quelle urgence y a-t-il aujourd'hui à relancer la titrisation ? Quelle urgence y a-t-il à alléger les règles prudentielles ou relatives à la transparence ? Au contraire, il est urgent de mettre en place des outils permettant de sortir d'une économie trop financiarisée, qui fragilise nos pays et nos productions, qui nous a conduits à la crise de 2008, et qui risquerait aujourd'hui de nous empêcher de prendre le virage d'une économie responsable et durable. Il est temps de protéger les Européens plutôt que les banques.
Enfin, je souhaite évoquer les enjeux internationaux. L'Union européenne parviendra-t-elle à se doter d'une politique étrangère ? Nous sommes en droit de nous poser cette question, au moment où elle doit faire face à une exacerbation des rapports de force et des tensions, ainsi qu'à une instabilité croissante de son environnement immédiat. L'Union a des difficultés à définir une position crédible. Le contexte ne lui laisse pourtant pas le choix, si elle veut continuer à peser dans les décisions et ne pas être spectatrice d'un monde qui se recompose sans elle. Elle a aujourd'hui besoin d'une boussole, avec des objectifs de moyen terme, mais aussi d'une voix forte pour imposer ses initiatives, alors qu'elle se voit constamment défiée par des États opportunistes qui profitent de l'évolution des rapports de force au niveau international.
Les derniers mois ont démontré que l'Union n'était plus incontournable lorsqu'il s'agissait de trouver les conditions d'un retour à la paix. Les règles mondiales ont évolué : le multilatéralisme, qui était le fondement de sa diplomatie, est aujourd'hui mis à mal. Quelle position sera défendue par la France au Conseil européen à ce sujet ? Comment compte-t-elle s'appuyer sur ses partenaires européens, en particulier pour réintroduire le groupe de Minsk dans le règlement de la situation dans le Caucase ?
M. Jean-Claude Requier. - La date butoir du Brexit approche, et l'accord sur la relation future entre les deux entités n'est toujours pas conclu à ce jour. Parmi les « lignes rouges » subsiste la question de la pêche, à laquelle la France est particulièrement attachée. Il semblerait que les Britanniques aient fait un pas, avec l'abaissement de 80 à 60 % du niveau des droits de pêche réclamés dans leurs eaux territoriales. Qu'en pensez-vous, à l'heure où les trois quarts des exportations britanniques annuelles de poissons alimentent le marché européen ? L'Union européenne continue à se montrer solidaire sur ce dossier. En effet, si la France apparaît comme l'un des États côtiers les plus concernés, 60 % du tonnage issu des eaux britanniques est capturé par des bateaux en provenance d'autres pays européens. Si un accord n'intervenait pas, comment serait mobilisé le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP) ? Les modalités de sa mise en oeuvre ont été discutées mardi dernier à Bruxelles. Seront-elles à la hauteur des enjeux ? On a le sentiment que ce fonds est surtout abordé à l'aune de la question de la surpêche, plutôt que de celle du soutien économique aux pêcheurs en cas de no deal. Il faut pouvoir concilier les deux impératifs, à savoir la préservation des ressources halieutiques et le soutien à un secteur vital pour l'économie côtière de plusieurs États membres.
Au programme du prochain Conseil européen figure également la politique de lutte contre le changement climatique. Les dirigeants s'efforcent de convenir de nouveaux objectifs de réduction des émissions de l'Union à l'horizon de 2030. Mon groupe a déjà eu l'occasion d'exprimer son point de vue lors des derniers débats relatifs au Conseil européen. Nous partagions la volonté de relever le niveau d'ambition pour la décennie à une réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030, pour peu que les mesures nécessaires pour atteindre cet objectif soient soutenables pour les secteurs économiques les plus concernés. C'est aussi dans cet esprit que devraient être évaluées, à mon sens, les propositions de la Convention citoyenne pour le climat, que le Gouvernement devrait bientôt traduire dans un projet de loi. Toujours est-il que la Commission européenne est chargée, selon les conclusions du dernier Conseil européen, d'« évaluer les situations spécifiques » et de « fournir davantage d'informations » sur les répercussions de ces politiques au niveau des États membres. On peut souscrire à ce principe. Mais dans le même temps, il faudra veiller à ce que ne se créent pas de situations de dumping, qui désavantageraient les pays les plus vertueux et les plus à l'avant-garde en matière de lutte contre le changement climatique.
À certains égards, les ressources propres peuvent aussi être un levier pour avancer sur la question climatique. Je pense notamment à celles qui sont fondées sur le prix du carbone aux frontières européennes. Je me réjouis donc que le projet de création de nouvelles ressources propres ait été acté en juillet dernier. C'est un pas supplémentaire vers l'approfondissement de l'intégration européenne, et cette évolution est saluée par mon groupe. Je regrette cependant la lenteur du processus : entre les propositions de la Commission européenne, attendues avant la fin du premier semestre 2021, et l'échéance de 2022 fixée au législateur européen pour statuer, il faudra attendre encore deux ans pour voir émerger véritablement ces ressources financières.
S'agissant de la coordination générale dans la lutte contre la covid-19, je salue la rapidité des décisions prises pour parvenir à une stratégie commune de vaccination. Tous les pays européens ont été associés au comité de pilotage, et, au bout de la chaîne, tous les États membres pourront garantir rapidement l'accès de leurs concitoyens à un vaccin. La France devrait être couverte avec 200 millions de doses. Confirmez-vous ce chiffre ? Si l'on peut applaudir le succès de cette mobilisation européenne, au travers notamment de la conclusion de contrats d'achat anticipé, la question des vaccins renvoie à un chantier plus large, qu'il nous faudra approfondir une fois la crise sanitaire passée : il s'agit de l'indépendance stratégique de l'UE pour son approvisionnement en produits pharmaceutiques et en équipements de protection médicale. Au coeur de la pandémie, on a pu constater combien cet enjeu était crucial. L'Agence européenne des médicaments a également joué son rôle. Le prochain CFP promet un renforcement des fonds pour la santé. Toutefois, il est évident qu'il faudra en faire plus pour construire une véritable « Europe de la santé ».
En ma qualité de co-rapporteur de la mission budgétaire « Aide publique au développement », je souhaiterais connaître la stratégie de vaccination à l'égard des pays pauvres. La Commission européenne avait annoncé fin août vouloir participer au mécanisme COVAX. Comment se matérialise cette participation ? On observe que la Chine a déjà proposé des doses de vaccin à plusieurs pays du continent africain, non sans arrière-pensée stratégique. Aussi, il ne faudrait pas que l'Union européenne soit évincée du rôle qu'elle a acquis sur le continent africain, et plus globalement, qu'elle perde son soft power.
Concernant la levée des mesures de restriction, mon groupe, qui porte l'Europe dans son ADN, est attaché à la mise en oeuvre de démarches coopératives. Cependant, la subsidiarité doit aussi avoir un sens. Il ne faut pas écarter la structure économique de chacun des États membres, qui peut conduire à des approches de déconfinement différentes. Je pense notamment au tourisme, et plus particulièrement au tourisme de montagne. L'Allemagne pousse à l'ouverture des stations de ski le plus tard possible, alors que l'Autriche souhaiterait une ouverture au plus tôt. La France se situe dans une position intermédiaire. Plus qu'une approche coordonnée, il faut donc une approche négociée sur ce sujet, afin que toutes les régions puissent ne pas être soumises aux mêmes restrictions. On s'est gargarisé du fait que l'Allemagne avait privilégié une approche régionalisée pour lutter contre l'épidémie de la covid. Mais aujourd'hui, on est prêt à se ranger derrière Berlin, qui souhaite une échéance commune en Europe pour la levée des restrictions dans les zones de montagne. N'est-ce pas là une façon pour Angela Merkel de centraliser une décision pour plusieurs régions européennes, c'est-à-dire le contraire de ce qu'elle a fait pour son pays ? À mon sens, une approche harmonisée n'exclut pas de légers réglages, pour que tous les pays européens puissent se relever de cette épreuve sans sacrifier les forces vives de leurs territoires - et ce d'autant plus que l'instrument de relance se fait attendre, pour les raisons que l'on connaît.
M. Pierre Laurent. - Nous ne sommes pas sortis de la crise sanitaire : une troisième vague est évoquée, et l'on constate une reprise préoccupante de la pandémie dans certains pays. L'Europe reste, avec l'Amérique, un foyer majeur. Toutefois, nous entrevoyons une perspective à moyen terme - c'est-à-dire dans les mois qui viennent - de campagne de vaccination. Vous dites que l'Europe s'est donné les moyens d'accéder aux vaccins, ou en tout cas, d'investir dans l'accès à ces derniers. C'est vrai, mais elle le fait sans réelle maîtrise industrielle propre, avec un déficit de souveraineté sur la recherche et la production de ces vaccins qui pose des problèmes d'avenir. Certes, des groupes pharmaceutiques européens sont parties prenantes de certaines des recherches entreprises. Cependant, on ne peut pas dire que l'Europe industrielle aborde cet enjeu de manière cohérente et solidaire. D'ailleurs, quid de Sanofi ? Où se situe la France dans cet effort général ?
Aux côtés de beaucoup d'autres organisations, je suis signataire d'une initiative citoyenne européenne (ICE) intitulée « Ride to cure ». Cette dernière vise à obtenir un débat pour déclarer les vaccins en tant que biens publics mondiaux (BPM), afin de permettre leur gratuité et leur universalité d'accès, conformément aux recommandations de l'OMS et au discours tenu par la France elle-même lors de son assemblée générale à Genève. Où en est-on de cet objectif ? Je me félicite de l'annonce de la gratuité des vaccins en France. En sera-t-il de même en Europe ? Dans cette ICE, nous posons un certain nombre de questions, notamment sur la transparence des coûts de production, le contrôle de l'utilisation des financements publics, le contrôle de la sécurité des vaccins, ou encore la maîtrise des brevets. Sur tous ces enjeux, comment envisageons-nous, ou pas, de reconstruire une maîtrise industrielle européenne plus importante ? Demain, en séance publique, nous discuterons d'une proposition de loi que mon groupe a déposée, visant la création d'un pôle public du médicament. Nous posons cette question à l'échelle nationale, mais en vérité, cette question dépasse les frontières nationales, et nécessite des politiques de maîtrise européenne.
Ma deuxième question concerne le climat. L'Union européenne va relever de manière significative son objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l'horizon de 2030, et la France a joué un rôle important dans cette décision. Si vous avez précisé dans votre intervention préliminaire que cela n'était pas encore acquis, vous y travaillez, et les députés européens se sont montrés ambitieux dans le cadre de la loi européenne sur le climat. Ces éléments sont positifs, mais une question demeure : si nous relevons nos objectifs de réduction des gaz à effet de serre, il faut augmenter de façon bien plus significative les moyens consacrés à la transition énergétique. En effet, des moyens considérables seront nécessaires pour accompagner la transition dans les domaines de l'agriculture, des transports, de l'habitat ou de l'industrie. Au Sénat, nous sortons très insatisfaits du débat budgétaire sur le niveau d'engagement par rapport à ces objectifs, notamment en matière de transport ou de précarité énergétique de l'habitat. Au-delà de la question des ressources propres, celles de l'utilisation de l'ensemble des financements européens et du rôle de la Banque centrale européenne se posent.
Par ailleurs, au sujet du Brexit, quelles seraient les conséquences pour la pêche française ? Sans accord sur ce sujet, qu'adviendra-t-il de l'accès des pêcheurs français aux eaux britanniques ? Quels scénarios envisagez-vous ?
Enfin, sur la question du cadre financier pluriannuel, je ne reviens pas sur ce qui a été dit ni sur ce que nous avons écrit à propos de la Hongrie et de la Pologne dans le rapport que nous venons d'adopter à la commission des affaires européennes, mais je m'interroge sérieusement sur l'avenir de l'Europe. On a souvent dit que l'Europe avançait de crise en crise, mais l'impression domine aujourd'hui qu'elle a plutôt tendance à se déliter de crise en crise. Nous sommes passés de 28 à 27, nous parlons à présent d'une coopération renforcée à 25 et, au sein même de ces 25, les négociations sur le cadre financier pluriannuel ont été difficiles l'été dernier ; elles ont abouti à des rabais pour un certain nombre de pays...
Nous peinons à définir un avenir commun au sein de l'Union, et il est nécessaire de rouvrir le débat sur ce sujet. La Conférence sur l'avenir de l'Europe pourrait débuter ses travaux prochainement, et je sais que la France envisage d'en faire un thème important de sa présidence de l'Union européenne : comment comptez-vous faire de ce débat un véritable débat citoyen, dès le début de l'année 2021 ? Je n'ose vous proposer l'organisation d'une conférence citoyenne, car on a bien vu ce que vous faisiez de ces conférences... Mais il faut trouver les moyens de relancer un tel débat citoyen, en France et dans toute l'Europe, sur l'avenir de l'Union et ses contours. Qu'envisagez-vous pour organiser ce grand débat public avec les Français, les Européens, les parlementaires et les élus ?
M. Clément Beaune, secrétaire d'État. - Pour répondre à M. Cadic, tous les citoyens britanniques, qu'ils soient touristes ou possèdent une résidence secondaire, pourront venir et rester dans l'espace Schengen, sans visa, pour une durée maximale de 90 jours sur une période de 180 jours. Dans certains cas et certaines régions, notamment dans le Sud-Ouest où les résidences secondaires sont nombreuses, les séjours peuvent dépasser cette durée, et nous essayons de trouver des solutions pouvant apporter plus de facilité dans l'accord en cours de négociation. Cependant, les Britanniques ont assez peu d'appétence pour ce point particulier et les discussions sur le sujet avancent dans une direction peu satisfaisante. Toujours dans l'objectif d'apporter un maximum de facilité, nous pourrions envisager l'adoption de mesures nationales, en fonction de la façon dont nos relations évoluent avec le Royaume-Uni. En tout cas, ce socle garanti des 90 jours sans visa existe et, en attendant une autre solution, il est possible de solliciter des visas de long séjour temporaire au-delà de cette durée.
Monsieur Fernique, sur la question des budgets climatiques, les moyens prévus par le cadre financier pluriannuel 2021-2027 et le plan de relance sont déjà importants. En effet, 37 % des 750 milliards d'euros du plan de relance, agréé au mois de juillet, seront consacrés à des dépenses climatiques. La Commission examine les premières versions informelles des plans de relance nationaux à l'aune de cette cible, que la France atteindra évidemment. De plus, au moins 30 % des dépenses du budget ordinaire 2021-2027 seront aussi consacrées à ces questions, ce qui représente des sommes considérables, aux alentours de 600 à 700 milliards d'euros. Cet effort financier est tout à fait inédit à l'échelle européenne, et doit être souligné.
Par ailleurs, outre les budgets nationaux, d'autres moyens financiers européens seront mobilisés. Ainsi, sous notre impulsion, la Banque européenne d'investissement (BEI) joue de plus en plus le rôle d'une banque européenne du climat. Et il ne s'agit pas seulement d'un slogan puisque, à l'horizon de 2025, 50 % de son mandat sera lié aux dépenses consacrées au climat et à la transition écologique. On peut toujours faire plus, mais on observe déjà une véritable transformation de l'effort financier en faveur des objectifs climatiques.
Vous avez évoqué le principe do no harm (« ne pas nuire ») que le plan de relance et le budget européen dans son ensemble doivent respecter. Nous avons défendu cette position dans l'accord du 21 juillet, selon laquelle aucune dépense néfaste pour le climat ne doit être engagée. La Commission vérifie de façon scrupuleuse le respect de ce principe, et a déjà fait part à la France d'un certain nombre de remarques sur la première version de son plan national de relance.
Il faut une panoplie d'outils - financiers, mais pas seulement -, pour assurer une transition écologique et climatique européenne qui soit juste et efficace. Le relèvement de nos objectifs fait partie de ces outils, ainsi que l'engagement de moyens financiers d'accompagnement, ou encore le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, qui est le seul moyen de concilier justice et efficacité. En effet, on ne peut réclamer de nos entreprises des efforts - légitimes - en matière de réduction d'émissions, tout en leur demandant d'être en concurrence frontale avec des acteurs qui ne sont pas soumis aux mêmes règles, et en réimportant ces émissions par le biais du commerce international.
Le Parlement européen a exercé une saine pression et s'est entendu avec le Conseil sur une feuille de route prévoyant d'accélérer l'adoption de nouvelles ressources propres. Les Vingt-Sept ont acté le principe de ces nouvelles ressources au mois de juillet dernier, ce qui représente une avancée fondamentale. Certes, il faudra mener des discussions législatives au niveau européen sur chacune de ses ressources, mais le principe en est acté et des mesures précises figurent à présent dans l'agenda européen. Et, si la feuille de route n'est pas juridiquement contraignante, elle représente un engagement politique de la part des institutions européennes. Ainsi, dès 2021, la Commission proposera de nouvelles ressources propres et des actes législatifs, notamment sur le numérique et l'ajustement carbone aux frontières, ces ressources devant trouver application au plus tard début 2023. La France en fera d'ailleurs l'un des sujets majeurs de sa présidence de l'Union. Il s'agit d'un combat politique qu'il faut continuer à mener, mais on observe déjà des avancées certaines, et un consensus qui progresse extrêmement rapidement. La taxe sur les transactions financières fait partie d'une deuxième étape prévue par la feuille de route, et sa mise en place doit intervenir au plus tard en 2026, avant l'arrivée à échéance du cadre financier pluriannuel, pour aider notamment au remboursement du plan de relance.
J'assure MM. Fernique et Reichardt de notre engagement total pour garantir le retour des sessions du Parlement européen à Strasbourg et, plus largement, en faveur du statut de capitale européenne de la ville. Ce combat est pour l'instant assez frustrant et vous avez suggéré que nous haussions le ton, mais nous l'avons déjà fait - dans une démarche restant toutefois amicale et coopérative -, ce qui nous a parfois été reproché. Ce sujet n'est pas anecdotique : il est important pour la France, mais aussi pour la nature du projet européen, qui a besoin de cette diversité, de ces multiples lieux et de ces symboles. Nous n'abandonnerons pas ce combat commun, qui dépasse les sensibilités politiques mais aussi la géographie des implantations des élus concernés. Par ailleurs - et il ne s'agit en rien d'une compensation -, le Parlement européen accueillera le 2 février prochain, au siège du Parlement à Strasbourg, un hommage au président Valéry Giscard d'Estaing, ce qui est un signal important dans le contexte et démontre la symbolique de ce lieu sur notre territoire. Cela ne change rien au combat que nous menons pour le retour des sessions et le renforcement du soutien financier apporté à Strasbourg en tant que capitale européenne, par les collectivités locales et l'État, qui maintiendra au moins l'effort financier du contrat triennal actuel dans le nouveau contrat 2021-2023, qui devrait être signé dans les premières semaines de l'année 2021.
Monsieur Gattolin, vous avez demandé pourquoi le Brexit ne figurait pas formellement à l'ordre du jour du prochain Conseil européen. Il ne s'agit pas d'une volonté de nier l'existence du sujet, mais d'une stratégie constante. À plusieurs reprises, le Royaume-Uni a souhaité oublier les négociateurs et politiser le sujet, en favorisant des discussions bilatérales. Nous n'avons jamais cédé à cette pression parce que notre méthode, à savoir l'unité du mandat et du négociateur, et un soutien complet et constant à Michel Barnier, est la clé de notre réussite et notre force. Il est miraculeux que les Vingt-Sept soient restés unis, malgré des sensibilités diverses et des relations différentes entretenues avec le Royaume-Uni, tout au long de ces quatre années. Nous le devons beaucoup à Michel Barnier et à la méthode suivie, dont nous ne dévierons pas. Les chefs d'État ou de gouvernement peuvent en parler dans les couloirs du Conseil européen, mais celui-ci n'est pas une chambre d'appel pour les décisions prises dans le cadre des négociations sur le Brexit, et nous n'y changerons pas notre mandat. Les Britanniques en ont fait la demande lors du précédent Conseil européen et nous avons refusé, rappelant nos priorités, notamment celle de la pêche. À ce sujet, je veux être très clair : il n'y aura pas d'accord isolé. On ne découpe pas, on ne vend pas par petits bouts, la relation future avec le Royaume-Uni. La négociation ne serait pas équilibrée, et c'est pour cette raison que nous n'avons jamais accepté d'isoler le sujet de la pêche.
Vous l'avez évoqué, la question de la relation transatlantique est vaste, mais je crois que l'unité des Vingt-Sept est plus solide qu'on ne le dit, et l'idée est bien présente de garder le cap de la souveraineté européenne, en renforçant notamment nos efforts en matière de défense.
Le cadre pour les droits de l'homme, qualifié parfois de Magnitsky Act européen, a déjà été adopté hier par les ministres des affaires étrangères. M. Jean-Yves Le Drian représentait la France. Il s'agit d'une avancée importante. En ce qui concerne le prix Sakharov, qui est remis par le Parlement européen, je ne peux que vous encourager à faire des propositions de lauréats.
Monsieur Reichardt, la question de la nature de l'accord du Brexit - accord mixte ou non - est encore en discussion : cela n'est pas évident, car il faut tenir compte des délais. À titre personnel, je crois qu'il faut évidemment associer, d'une façon ou d'une autre, les parlements nationaux, car il s'agit d'un enjeu démocratique fondamental. Les mécanismes tels que l'application provisoire ne sont pas bons, car ils ne constituent qu'un faux-semblant démocratique : on commence par appliquer l'accord, puis on consulte le Parlement européen ou les parlements nationaux, en ne leur laissant d'autre choix que de mettre un terme à un texte qui est déjà appliqué et qui a été longuement négocié, ou de l'accepter dans l'allégresse... Ce n'est pas un vrai choix démocratique. On y a eu recours dans le passé, on y a encore recours pour certains accords, comme le Comprehensive Economic and Trade Agreement (CETA), mais je crois qu'il serait bon, à l'avenir, de l'éviter ou, en tout cas, de le limiter. Je préfère que les parlements soient régulièrement informés et de manière transparente, avec, éventuellement, un vote à la fin.
Plusieurs modalités permettent d'avancer à 25 sur le plan de relance sans l'accord de la Pologne ou de la Hongrie : à l'accord intergouvernemental, qui se situe hors du cadre du Traité, nous préférons de loin l'option d'une coopération renforcée, prévue par le Traité ; c'est d'ailleurs l'option sur laquelle la Commission européenne travaille.
J'ai déjà longuement évoqué la question turque dans mon introduction. Il n'y a eu aucune ambiguïté de la part du Président de la République : l'adhésion n'est pas notre souhait ; en tout cas, elle n'est pas au menu. La volonté de fermeté est largement partagée. Il ne s'agit pas de chercher l'escalade, cela n'a jamais été notre approche, mais on ne peut pas accepter la stratégie d'ensemble que poursuit la Turquie pour mettre sous pression l'Union européenne, en utilisant les sujets migratoires ou par ses actions en Méditerranée orientale. Les sanctions sont une possibilité, mais ce n'est pas la seule. Nous devons répondre, avec fermeté, par des mesures adaptées à chaque situation : nous avons ainsi envoyé, comme vous le savez, des bâtiments militaires en Méditerranée orientale l'été dernier pour marquer notre présence et ne pas laisser les Turcs continuer leurs intrusions dans les eaux territoriales européennes. En février, quand la Turquie a « joué » avec la frontière grecque, en incitant des migrants à passer la frontière terrestre avec la Grèce, nous avons répondu par la fermeté, à la grande surprise de la Turquie d'ailleurs, en soutenant matériellement et politiquement la Grèce dans la défense de sa frontière, qui est aussi la frontière européenne. C'était nécessaire, car nous sommes soumis à une pression migratoire organisée et instrumentalisée par la Turquie.
En ce qui concerne les questions d'asile et d'immigration, je partage vos remarques : il est nécessaire, avant tout, d'être opérationnel. Beaucoup sera fait dans les prochains mois pour mettre en place des bases de données plus sécurisées et mieux partagées entre les États membres, d'ici à 2022-2023 ; nous devons accélérer la mise en place de la base entrée/sortie ainsi que du nouveau système d'information de Schengen.
L'acquisition des vaccins se fait de manière collective. Les États seront livrés en même temps, au prorata de leur population, ce qui est un critère objectif et juste de répartition. Quant à l'organisation matérielle et logistique de la vaccination, elle relèvera, dans un souci d'efficacité, du niveau national - ou régional, comme en Allemagne. Elle sera le plus possible coordonnée. Avec l'Allemagne, nous nous efforçons de définir des principes et des publics prioritaires communs dans la stratégie de vaccination.
Le manque de coopération européenne sur le ski fait parfois sourire. Mais qui aurait pu imaginer que nous aurions besoin de nous coordonner sur l'ouverture des stations de ski ? La décision ne relève d'ailleurs pas toujours du niveau national, mais, comme par exemple en Suisse - qui ne fait certes pas partie de l'Union - du niveau local, en l'occurrence cantonal. En quelques jours, nous avons malgré tout créé une coordination européenne : l'Italie a annoncé que ses stations n'ouvriraient pas avant la fin de l'année ; il en va de même pour l'Allemagne et, notamment, la Bavière ; Andorre a changé de position, à la suite de discussions avec la France, pour ne pas créer de concurrence inéquitable dans les Pyrénées ; quant à l'Autriche, elle n'a pas, contrairement à ce que l'on dit, annoncé une réouverture massive de ses stations, car les bars et les hôtels resteront fermés et la quarantaine sera obligatoire pour toute personne extérieure - les touristes français qui voudraient aller en Autriche devront donc être très motivés ! Ces restrictions, je le précise, ne sont pas une punition, mais une nécessité sanitaire. Nous nous coordonnons, car il ne serait pas juste, effectivement, que les mesures soient différentes d'un côté ou de l'autre de la frontière. Il ne faudrait pas non plus qu'une ouverture trop rapide pénalise la suite de la saison, en entraînant une reprise de l'épidémie.
Il n'y a pas vraiment de date limite pour le Brexit, mais il serait souhaitable, comme je l'ai déjà dit dans la presse, d'avoir de la visibilité autour du 10 ou du 15 décembre, afin de disposer d'un temps minimum d'organisation pour prendre acte de l'accord ou de l'absence d'accord, et s'y préparer.
Monsieur Joly, il n'est pas possible de comparer la situation de la France avec celles que l'on voit en Pologne ou en Hongrie ! Nous n'avons pas fait fermer une université ni mis en cause le pluralisme des médias ou le droit à l'avortement...
M. Patrice Joly. - Il n'y avait aucune ambiguïté sur ce point dans mon propos.
M. Clément Beaune, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. - Vous avez raison de faire un lien entre le développement du risque de pandémies et la crise écologique. La réforme de la PAC apporte déjà une contribution essentielle à l'effort de transition écologique : la mise en place des écorégimes, que la France a soutenue, constitue une avancée ; ils représentent 20 % des paiements dans le compromis du Conseil et nous souhaitons encore aller au-delà avec le Parlement au cours de la suite de la négociation. L'idée d'une PAC plus verte est donc largement partagée.
Il y a une position très claire qui consiste à renforcer le caractère écologique ou climatique des accords commerciaux de l'Union. Pendant longtemps, nous étions les seuls à porter cette idée. C'est maintenant une composante intégrée dans le Green Deal, le « Pacte vert » qu'a présenté la présidente de la Commission, notamment pour que le respect effectif de l'accord de Paris soit une condition essentielle de tout accord commercial futur de l'Union. Concernant les accords en cours, comme avec le Mercosur, il est hors de question de les appliquer tant que nous ne constatons pas d'améliorations de cette nature. Je suis très clair sur ce point.
Ce serait une erreur d'abandonner le groupe de Minsk. Au contraire, il faut renforcer notre rôle en son sein. L'Azerbaïdjan et la Turquie nous poussent à le quitter, justement parce qu'ils voient bien que l'absence de la France dans la suite des négociations politiques se traduirait par un affaiblissement de la position arménienne. Nous ne le voulons pas. Ce sujet ne sera pas directement abordé au Conseil européen, mais j'en prends bien note.
Monsieur Requier, je partage votre idée selon laquelle les mesures visant à atteindre l'objectif de réduction des émissions doivent être accompagnées de mécanismes justes, de financement ou de taxes à nos frontières.
La priorité concernant la pêche est d'obtenir un accès sur la longue durée et le plus large possible. En toute transparence, nous n'aurons certainement pas 100 % des espèces sous quota aujourd'hui, mais il faut cependant viser des chiffres très élevés. Ce que proposent les Britanniques est, évidemment, très loin du compte.
Oui, nous avançons sur l'autonomie sanitaire, comme le montre l'exemple des vaccins. Mais la question revêt également une dimension industrielle. La Commission a fait un certain nombre de propositions, que nous soutenons. D'abord, l'augmentation du budget de l'Union en matière de santé est un point que le Parlement européen a permis de faire avancer dans la négociation budgétaire. Ensuite, on a l'idée d'une agence européenne de la santé, qui financerait à la fois la recherche, mais aussi une meilleure préparation aux pandémies, avec l'achat d'équipements communs : respirateurs, kits de test, ou encore matériel de protection. Nous avions d'ailleurs commencé à travailler sur ce sujet au niveau européen avant cette deuxième phase de l'épidémie.
Le vaccin à destination des Européens sera produit quasiment intégralement en Europe. Les sites de production des grands laboratoires, même non européens, sont présents sur le territoire européen, et nous les utiliserons en priorité. Par ailleurs, Sanofi fait partie des contrats qui ont été signés par la Commission européenne. Certes, le vaccin proposé par l'entreprise ne fait pas partie des deux premiers qui sont disponibles, mais je l'ai dit : c'est un marathon, qui doit être bien organisé. La vaccination s'étendra sur au moins un semestre, et nous aurons besoin de tous les vaccins, y compris des quatre autres pour lesquelles la Commission a déjà signé des contrats. Parmi eux se trouvent AstraZeneca, Sanofi, et d'autres encore.
Faire du vaccin un bien public mondial (BPM) correspond à notre position et à notre action. Pour rendre tangible cet engagement, nous avons même proposé qu'une partie des doses européennes soit réservée aux pays en difficulté, notamment en Afrique, dès lors que l'accès au vaccin sera sécurisé pour la population européenne. C'est une question d'humanité et de justice, mais aussi une question sanitaire. En effet, si l'on veut être efficace face à une pandémie, il faut combattre le virus partout dans le monde. Aider les pays qui n'ont pas les moyens d'acquérir ce vaccin constitue aussi une manière de nous protéger.
La question de l'autonomie industrielle ne se pose pas qu'en matière de santé, et elle fait partie de ce que nous défendons, y compris à travers le nouveau budget européen. Pendant la crise, nous avons constaté avec stupeur que la production d'éléments aussi basiques que le paracétamol était effectuée aux deux tiers en Inde ou en Chine... Nous devons être capables de faire mieux. Il s'agit donc d'une stratégie industrielle et financière, mais aussi de protection des secteurs stratégiques. Le domaine sanitaire en fait partie.
Les moyens consacrés à l'écologie dans les plans de relance européen et français seront d'au moins 30 %. Sur les questions de la protection des particuliers et de la rénovation thermique des logements, 7 milliards d'euros sont mobilisés dans notre plan de relance.
Le risque de délitement de l'Europe est toujours là. Le Brexit a été un choc salutaire à cet égard, puisqu'il nous a montré que la marche en avant n'avait rien d'acquis ou d'automatique. L'idée de la Conférence sur l'avenir de l'Europe est donc de prendre un moment pour discuter de notre avenir. Nous ne le faisons pas à l'occasion des Conseils européens, qui sont trop focalisés sur l'urgence, et qui sont par ailleurs des cénacles plus restreints. La France, soutenue par le Parlement européen, souhaite la mise en place de panels citoyens dans cette Conférence, tout au long de l'année 2021, afin d'en faire émerger des idées et des contributions. La Commission européenne s'est engagée, à notre demande, à intégrer un certain nombre d'idées issues de ces consultations à son agenda législatif.
J'ai moi-même prévu, dès le début de l'année 2021, d'organiser un certain nombre de débats locaux et régionaux sur les questions européennes, afin d'ouvrir les portes et les fenêtres de ce débat européen. Nous en avons besoin, surtout après la crise de la covid.
L'accord de juillet a été douloureux à plusieurs égards, avec un certain nombre d'aspects qui ne nous plaisaient pas. Toutefois, nous sommes parvenus, et ce en quatre jours, à accepter à l'unanimité un plan de relance de 750 milliards d'euros ! C'est le meilleur signal d'unité et d'efficacité que nous puissions donner. Mais ce « non-délitement » est un combat quotidien. Il faut parfois choisir entre l'unité immédiate, qui peut aboutir au plus petit dénominateur commun, et l'avancée de quelques-uns. Cela ne délite pas l'Europe, au contraire : cela la tire dans la bonne direction. L'histoire de la construction européenne nous le démontre : nous avons lancé Schengen à quelques-uns, nous avons lancé l'euro à quelques-uns, nous avons commencé les communautés européennes à quelques-uns. Ainsi, l'idée d'une ambition initiale qui s'élargit ensuite ne doit pas être exclue, même si je ne considère pas que commencer le budget européen à 25 au lieu de 27 soit un succès. Cependant, il serait pire encore de renoncer à nos valeurs et à nos ambitions.
M. Jean-François Rapin, président. - Merci de nous avoir accordé ces deux heures.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 10 h 25.
Jeudi 10 décembre 2020
- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -
La réunion est ouverte à 9 heures.
Institutions européennes - Audition de Mme Sandrine Gaudin, secrétaire générale des affaires européennes, et de M. Xavier Lapeyre de Cabanes, secrétaire général de la présidence française du Conseil de l'Union européenne
M. Jean-François Rapin, président. - Nous sommes heureux de vous accueillir aujourd'hui, tous deux par visioconférence, comme plusieurs de nos collègues.
Il nous a semblé important de vous entendre en vue d'un événement qui approche et qui ne se sera pas produit depuis quatorze ans : la présidence française du Conseil de l'Union européenne (UE). En effet, le 1er janvier 2022, dans un an, la présidence tournante de l'Union européenne reviendra à la France pour six mois. Entre-temps, une fois la présidence allemande achevée à la fin de ce mois, se seront succédé les présidences portugaise et slovène en 2021. Avec la France, une nouvelle troïka s'ouvrira, incluant la République tchèque et la Suède : nos trois pays devront s'entendre sur un programme commun pour maintenir une continuité de l'action politique européenne sur 18 mois, entre le 1er janvier 2022 et le 30 juin 2023.
Assumer la présidence du Conseil n'est pas anodin pour la France : durant ce premier semestre 2022, notre pays jouera un rôle significatif dans l'organisation des travaux du Conseil de l'Union européenne, notamment dans l'impulsion du processus de décision. Si cette responsabilité implique avant tout une mobilisation de l'exécutif, notamment dans la définition des priorités et l'animation des diverses formations du Conseil, la présidence française aura également une dimension parlementaire.
Comme il n'aura échappé à personne, il se trouve que le premier semestre 2022 tombe particulièrement mal dans notre calendrier national : l'élection présidentielle et les élections législatives interviendront en effet au même moment. Le « temps utile » de la présidence française pourrait s'en trouver fortement diminué, et le Sénat, comme pôle de stabilité, pourrait tenir une place particulière.
C'est pourquoi nous avons tenu à vous entendre dès à présent pour sensibiliser la commission des affaires européennes, qui sera impliquée au premier chef. Pouvez-vous nous indiquer le dispositif mis en place par le Gouvernement pour la présidence 2022 ? Comment seront répartis les rôles entre le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE), que vous dirigez, Madame Gaudin, la Représentation permanente à Bruxelles, et le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, qui vous a nommé, monsieur de Cabanes, secrétaire général de cette présidence française du Conseil de l'Union européenne ? Nous vous avons adressé de nombreuses questions en amont de notre échange sur lesquelles nous pourrons revenir après votre présentation liminaire.
M. Xavier Lapeyre de Cabanes, secrétaire général de la présidence française du Conseil de l'Union européenne. - Le Secrétariat général de la présidence française de l'Union européenne (SGPFUE) est une institution à durée de vie brève : créé le 9 septembre dernier, il disparaîtra le 31 décembre 2022 car, une fois la présidence terminée, il faudra encore payer quelques factures, rendre des comptes, rédiger un rapport et répondre à l'audit de la Cour des comptes.
Un secrétariat général est traditionnellement constitué pour des événements similaires, comme la présidence française de 2008 évidemment ou le G7 de l'année dernière. Le SGPFUE a d'abord une fonction de coordination de l'organisation. La tâche qui me revient n'est pas de définir les priorités des négociations et les positions françaises : c'est le rôle du ministère des affaires étrangères, du secrétariat général des affaires européennes (SGAE) et de la Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne à Bruxelles.
Mon rôle est donc uniquement d'aider le ministère à organiser les différentes réunions qui seront décidées par nos autorités pendant la présidence. Ces réunions sont soit imposées par la tradition ou le calendrier communautaire, soit décidées à l'initiative de la présidence française de l'Union européenne. Elles sont de niveau ministériel pour un grand nombre d'entre elles, donc présidées par des ministres français. Ces réunions ministérielles informelles se dérouleront pour la plupart en France.
Se tiendront également des réunions de niveau inférieur, soit ne réunissant pas la totalité des ministres européens concernés, soit simplement ouvertes par un ministre français sur des thématiques auxquelles on souhaite donner une dimension européenne plus importante.
Enfin, il y aura des réunions traditionnelles de fonctionnaires : directeurs généraux, représentants dans les groupes de travail à Bruxelles, etc. Last but not least, des événements seront organisés à la demande du Président de la République, des sommets informels qui seront formellement présidés par le président du Conseil européen, Charles Michel. Ce sont le SGPFUE et le service du protocole du Quai d'Orsay qui organiseront ces réunions de niveau présidentiel.
Pour ce faire, le SGPFUE dispose d'un budget qui a été adopté la semaine dernière par votre assemblée : il s'agit du programme 359 « Présidence française du Conseil de l'Union européenne en 2022 », qui comprend 126 millions d'euros en autorisations d'engagement et 47 millions d'euros en crédits de paiement en 2021.
Je dispose d'une équipe réduite, une douzaine de personnes, qui a quatre fonctions. Les trois premiers pôles sont chargés des finances, de la sécurité et du protocole pour aider l'ensemble des ministères à passer les marchés publics, à prendre des décisions en matière de sécurité et à s'organiser pour tout ce qui concerne les événements de nature protocolaire. Un pôle de communication fera le lien avec les cellules de communication des ministères, les cabinets ministériels et le SGAE - il ne revient pas au SGPFUE de déterminer la ligne de communication qui est de nature politique.
Je suis sous l'autorité du Premier ministre. Mon correspondant permanent est donc la conseillère Europe de celui-ci, à savoir la secrétaire générale des affaires européennes.
Mme Sandrine Gaudin, secrétaire générale des affaires européennes. - Je commencerai par évoquer ce qu'est une présidence et la bonne organisation à mettre en place pour anticiper cet événement qui ne revient pas très souvent. Nous assurons pour la treizième fois la présidence tournante du Conseil européen et nous n'aurons pas l'occasion de le faire de nouveau avant sans doute une quinzaine d'années.
Cet exercice nécessite beaucoup de préparation et une grande anticipation, parce que c'est une responsabilité institutionnelle et politique majeure pour le bon fonctionnement des institutions de l'Union, à commencer par le Conseil des ministres.
Il appartient tout d'abord à une présidence d'assurer la continuité des travaux du Conseil, c'est-à-dire de bien conduire les travaux des différentes formations du Conseil, et de faire l'interface avec les autres institutions, à commencer par le Parlement européen puisque le Conseil est l'un des deux colégislateurs de la procédure législative ordinaire de l'Union européenne.
Il nous appartiendra à ce titre pendant ces six mois de faire progresser les travaux législatifs, qui sont toujours assez fournis puisque l'Union européenne est une organisation qui légifère et régule beaucoup de domaines.
Notre responsabilité consistera à conduire ces travaux de façon impartiale et dans l'intérêt général de l'Union, mais il va de soi que chaque présidence a à coeur de donner une impulsion particulière à sa vision de l'Europe. Nous essaierons non pas de favoriser notre agenda européen - l'agenda européen est déjà suffisamment fourni -, mais nous donnerons un relief particulier à notre vision de l'Europe. Cette vision de l'Europe et du projet européen est déclinée dans les discours du Président de la République, notamment dans celui qu'il a tenu à la Sorbonne. Nous aimerions laisser une marque particulière à l'issue de ces six mois par rapport à cette ambition portée par la France depuis 2017.
Une présidence, c'est aussi l'occasion de promouvoir l'Europe auprès des citoyens, de favoriser la communication sur l'Europe. Il est important de parler de l'Europe en France à cette période-là particulièrement, mais aussi de parler de la France en Europe, parce que c'est aussi l'occasion de valoriser son pays, comme le fait chaque présidence tournante du Conseil.
Comment nous organisons-nous pour réussir au mieux ce défi ? Nous passons beaucoup plus de temps, voire d'années, à nous organiser qu'à exercer à proprement parler pendant six mois la conduite des travaux du Conseil ! Nous voulons absolument marquer notre passage par des réussites, non seulement par des avancées dans le projet européen en matière législative, mais aussi par des progrès dans un certain nombre de domaines de coopération. Par exemple, en essayant d'approfondir les relations avec tel ou tel pays tiers ou de progresser dans la résolution de telle ou telle crise.
Nous allons préparer autant que possible les travaux que nous pouvons anticiper aujourd'hui, mais il faut être extrêmement modeste : nous devrons aussi gérer les crises du moment, en espérant qu'elles ne soient pas trop nombreuses. On l'a vu en 2008, lors de notre dernière expérience de présidence, elles peuvent parfois être importantes, se cumuler et, finalement, être au coeur de l'action des six mois de présidence du Conseil.
Nous devons aussi nous préparer à faire preuve d'une grande flexibilité pour faire face aux imprévus. On le voit aujourd'hui avec la crise sanitaire, faire fonctionner le Conseil dans ce genre de situation est un défi énorme.
La Représentation permanente à Bruxelles est l'acteur clé qui va piloter les négociations du Conseil. Elle doit être en mesure de s'appuyer sur un dispositif à Paris qui soit le plus efficace possible. De nombreuses réunions se passeront à Bruxelles, à Luxembourg, à Strasbourg, et à Paris comme le disait le secrétaire général de la présidence française - c'est sa mission d'organiser cette partie de l'activité que nous aurons pendant la présidence.
J'en viens au contexte politique dans lequel nous agirons en 2022. Nous serons à mi-parcours du mandat du Parlement européen et de la Commission issus des élections européennes de mai 2019. Nous serons à un moment charnière par rapport au cycle législatif et au « cycle de vie » des institutions. Il faut prendre en compte cet élément : nous hériterons sans doute d'un cycle de négociations qui ne sera pas achevé et peut-être d'une deuxième phase de ce quinquennat institutionnel européen à relancer.
Nous devrons piloter en début d'année les exercices rituels d'un agenda imposé à toutes les présidences de premier semestre. Par exemple, il faudra gérer la mise en oeuvre du semestre européen, c'est-à-dire l'exercice de coordination des politiques économiques. Comme nous serons en 2022 dans le plein moment de la mise en oeuvre des plans de relance nationaux et du plan de relance européen, cet exercice prendra un relief particulier.
Nous devrons aussi piloter des exercices plus traditionnels dans le domaine de la gestion des migrations ou des discussions sur l'élargissement - traditionnellement, des sujets de premier semestre.
Il faudra clôturer la Conférence sur l'avenir de l'Europe, qui sera lancée très prochainement.
Au niveau national, la France connaîtra un semestre électoral. Ce n'est pas inédit - ce fut le cas en 1995 - et cela arrive régulièrement à d'autres États, avec d'ailleurs parfois des changements politiques en cours de route.
La communication du Conseil des ministres du 4 novembre dernier a lancé le processus officiel de préparation de la présidence française. Je ne vais pas énumérer ici tous les défis à relever, ils sont fort nombreux.
Je terminerai sur le rôle des différents acteurs. La Représentation permanente est l'élément aux avant-postes de la présidence à Bruxelles. À Paris, nous avons plusieurs piliers. Il s'agit, d'abord, des ministères. Ce sont eux qui, via leur travail quotidien, animent chaque formation du Conseil. Chaque ministre aura la responsabilité extrêmement importante d'assurer la présidence de sa formation du Conseil avec toutes les enceintes préparatoires, qui sont pilotées par de hauts fonctionnaires. L'ensemble des ministères sont très fortement impliqués dans cette préparation. Un rôle central est bien sûr confié au ministère de l'Europe et des affaires étrangères, avec un ministre et un secrétaire d'État extrêmement engagés pour faire parler d'Europe en France. Ce ministère aura un rôle particulier dans la préparation de la Conférence sur l'avenir de l'Europe, notamment dans l'exercice de clôture.
Le secrétariat général des affaires européennes, qui assure depuis près de 70 ans la coordination interministérielle sur les questions européennes, aura un rôle naturel dans la coordination interministérielle pour définir les priorités politiques de la présidence, pour faire en sorte que cette équipe de France qui travaille à la préparation de la présidence soit toujours active et mobilisée par l'organisation de réunions régulières, soit au SGAE, soit sous l'égide du cabinet du Premier ministre par des réunions interministérielles. Nous travaillons aujourd'hui à la préparation de nos priorités, notamment dans l'agenda législatif. Parmi tout ce qui figure déjà sur la table de négociation et ce qui pourrait arriver - la Commission européenne s'apprête à publier en 2021 un certain nombre de propositions législatives -, nous devons faire le tri entre ce que nous voulons absolument faire progresser pendant les six mois et ce qui nous paraît moins prioritaire.
La présidence est un exercice collectif majeur qui va impliquer, au plus haut sommet de l'État, le Président de la République et le Premier ministre, mais aussi, surtout depuis que le chef de l'État n'exerce plus la présidence du Conseil européen, les ministres qui seront en première ligne pour animer les travaux. Dans ce contexte, la relation avec le Parlement national est absolument essentielle. Les auditions régulières seront des moments clés, parce que vous pourrez entendre les ministres, mais aussi les hauts fonctionnaires que nous sommes à votre convenance, pour avoir avant et pendant la présidence des contacts forts et réguliers.
M. Jean-François Rapin, président. - J'aimerais vous poser une question pragmatique, en lien direct avec vos propos.
Vous avez parlé d'anticipation d'un exercice rituel de l'agenda imposé, mais également de crises et d'urgences. Que faire si nous sommes confrontés à une crise en avril 2022 ? La présidence allemande a été assez chahutée sur sa gestion des crises. Comment mener de front la gestion d'une crise au niveau européen et une campagne électorale, présidentielle et législative, au niveau national ?
Mme Gisèle Jourda. - Vous avez évoqué la désignation de priorités pour la future mandature. Est-il envisageable de relancer la question de la pollution des sols, et notamment le projet de directive-cadre, qui reste bloqué à ce jour ?
Le Fonds européen de la défense est aujourd'hui à l'oeuvre, ce qui va dans le sens d'une proposition de la commission des affaires européennes du Sénat, elle-même issue du rapport réalisé par M. Yves Pozzo di Borgo et moi-même. Dans ce cadre, la question plus large de la « boussole stratégique », qui pourrait être un élément moteur de la future présidence française, fait-elle partie des priorités du premier semestre 2022 ?
M. André Gattolin. - Il faudra faire preuve d'une pédagogie extrême sur votre action. En effet, vous nous présentez ici deux objets ayant des finalités temporelles très différentes. La préparation de la présidence française du Conseil de l'UE au premier semestre 2022 est une première chose. Notons que ses orientations seront très cadrées par le président permanent du Conseil européen. La deuxième chose est le fameux débat sur l'avenir de l'Europe, qui s'oriente quant à lui sur une vision à dix ans. Dans ce contexte, quelle sera la part de l'animation technique dans le budget ? J'entends par là l'organisation des préréunions, des réunions interministérielles, ou encore l'animation du débat public. Par ailleurs, comment cette animation va-t-elle s'organiser ? En particulier, quelle sera la place des parlementaires en la matière ? Les présidents de région ont également un rôle à jouer. Tout cela n'est pas très clair pour le moment. Sous les présidences danoise ou néerlandaise par exemple, le plan d'organisation faisait l'objet d'une validation par les parlements nationaux. Quel rôle allons-nous jouer ici ? Ne serons-nous que des supplétifs du pouvoir exécutif ? En tant que parlementaires, nous avons besoin de plus de précisions, tant sur les enjeux techniques d'organisation des réunions interministérielles que sur la Conférence sur l'avenir de l'Europe.
Mme Sandrine Gaudin. - De façon générale, nous ne connaissons pas la nature des crises que nous aurons à gérer. Mais il y en aura forcément, a minima sur la scène internationale, et peut-être aussi dans les champs sécuritaires et sanitaires. J'ose espérer que nous serons sortis de la crise sanitaire, et que nous pourrons organiser notre présidence de manière plus classique, avec des réunions physiques. En effet, la visioconférence change profondément la nature du travail de négociation.
Si une crise se produit en avril, c'est-à-dire en parallèle de la période électorale, nous serions obligés de la prendre en charge, au nom de la continuité des travaux du Conseil. Il serait très grave que la France décide de prendre du recul par rapport à sa mission. Quoi qu'il arrive, nous devrons être mobilisés du 1er janvier au 30 juin. Cela concerne tout le monde, du plus haut sommet de l'État au fonctionnaire en charge de préparer une réunion de travail. Élection ou pas, il faudra exercer la présidence jusqu'au bout.
Souvenons-nous de la présidence croate en 2020, qui a dû affronter à la fois une crise migratoire à la frontière gréco-turque en février, mais aussi le début de la crise sanitaire, avec une nécessité d'organiser des réunions d'urgence entre les ministres de la santé. Dans le même temps, un tremblement de terre a provoqué de nombreux dégâts matériels à Zagreb, alors même que les Croates sortaient d'une période électorale et venaient de mettre en place un nouveau gouvernement. J'espère que nous n'aurons pas à affronter de tels événements, mais, malheureusement, tout reste possible.
Les sujets liés à la préservation de l'environnement, à la biodiversité et à la lutte contre le changement climatique constitueront un chapitre majeur de la présidence française. Celle-ci intervient à un moment clé de ce cycle institutionnel, puisque tous les textes sur le Green Deal sont sur la table du Conseil. Le pacte vert, vous le savez, est l'objectif numéro un de l'agenda de la Commission. Sa mise en oeuvre fera donc partie des principales priorités de notre programme.
Plus spécifiquement, des textes existent sur la pollution des sols, même si leur mise en oeuvre est extrêmement complexe. Les nombreux contentieux avec les États membres, y compris la France, dénotent les difficultés de ces derniers à en appliquer toutes les dispositions. Mais contrairement à 2008, la présidence 2022 sera résolument tournée vers les préoccupations environnementales. La question de la préservation de la biodiversité sera également très présente.
Les travaux sur la « boussole stratégique » seront évidemment poursuivis et amplifiés sous la présidence française. L'idée de cette boussole est de renforcer notre capacité collective à analyser les menaces et à définir des réponses européennes à celles-ci. Il s'agit d'orienter nos priorités de politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Ces travaux sont déjà en cours en ce moment. Peut-être seront-ils encore plus aboutis en 2022, et nous interviendrons alors simplement pour les conclure. À l'inverse, peut-être n'auront-ils pas pu progresser suffisamment d'ici là. Je ne peux pas encore vous répondre précisément. Quoi qu'il en soit, ces questions de défense européenne seront prises en compte. D'autant plus que 2022 sera la deuxième année de mise en oeuvre du Fonds européen de la défense, dans le cadre financier pluriannuel (CFP) que nous sommes en train de définir. Nous devrons donc nous assurer que son démarrage se passe correctement, et qu'un nombre suffisant de projets existent pour alimenter ce fonds.
La Conférence sur l'avenir de l'Europe n'est toujours pas lancée, et tout n'est pas encore clairement défini. Tant que ce n'est pas le cas, nous ne pouvons pas mettre en place l'architecture européenne nécessaire à la préparation des travaux, en lien avec les citoyens européens. Notre souhait pour 2021 est le plein exercice de cette conférence, de façon à ce qu'elle produise des conclusions pour le premier semestre 2022. Mais nous souhaitons aussi la mise en place d'un volet national nourri, qui permettrait de favoriser le débat public sur l'Europe. Tout cela doit évidemment s'effectuer en lien avec le Parlement national, mais aussi avec la société civile et les territoires. Il s'agit d'un véritable exercice collectif, qui va impliquer tous ceux qui ont leur mot à dire sur les questions européennes. Je pense notamment aux régions, qui sont autorités de gestion pour les fonds structurels. Tout cela n'est pas encore mis en place. La situation ne pourra évoluer que lorsque nous aurons le cadrage général de cette conférence, ainsi qu'une meilleure visibilité sur l'issue de la crise sanitaire.
Il est vrai que certains États membres associent étroitement les parlementaires nationaux à la préparation du programme. Il va de soi que le moment venu, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères ou le secrétaire d'État chargé des affaires européennes viendront devant vous exposer les priorités qui auront été définies. À ce stade, nous collectons les propositions des ministères afin de construire notre agenda législatif, mais le travail n'est pas encore terminé.
M. Xavier Lapeyre de Cabanes. - Le fait que l'élection présidentielle et les élections législatives se déroulent pendant la présidence française n'a aucune incidence et ne crée aucune discontinuité. En revanche, le code électoral définit une période de réserve, qui limite la communication que peut faire l'exécutif. Celle-ci commencera aux alentours de mi-mars. Toutefois, elle n'empêche ni la tenue de réunions ministérielles ni l'organisation de sommets, et encore moins l'activité diplomatique du chef de l'État ou des ministres. Si une crise imposait au Président de la République l'organisation d'un sommet exceptionnel, cela ne poserait aucune difficulté. Le code électoral et la jurisprudence du Conseil d'État distinguent bien ce qui relève de la communication gouvernementale et électorale de ce qui concerne l'activité diplomatique normale du Gouvernement.
M. André Gattolin. - Toujours concernant le budget, une partie du programme 359 « Présidence française du Conseil de l'Union européenne en 2022 » est-elle consacrée au débat sur l'avenir de l'Europe, ou ces crédits sont-ils exclusivement fléchés vers la présidence française du Conseil de l'UE ? Si oui, quel est le volume de moyens dont va se doter l'État pour développer et enrichir ce débat sur notre territoire ?
M. Xavier Lapeyre de Cabanes. - Ce programme concerne exclusivement les dépenses liées à la présidence française. Les débats organisés avec la société civile ou le Parlement pour préparer la contribution française à la Conférence sur l'avenir de l'Europe seraient organisés même si la France n'assurait pas la présidence du Conseil. Ainsi, ils feront l'objet de budgets séparés. En revanche, si la clôture de la Conférence intervient durant la présidence, ce qui est l'objectif du Gouvernement, elle sera alors pleinement financée par le programme 359.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Concernant les priorités de la présidence française, il me paraît très important de renforcer l'« Europe des langues ». La France a porté l'idée de donner la priorité à deux langues au sein de l'UE, afin de stopper la prééminence de l'anglais.
La deuxième priorité essentielle est pour moi celle de la santé. En 2019, la présidence finlandaise avait mis en place un programme pluriannuel de soutien à l'Europe de la santé. L'expérience de la pandémie nous montre à quel point ce sujet est devenu essentiel. Nous avons réellement besoin de coordination. Ce sujet sera-t-il abordé ?
Mme Elsa Schalck. - Je souhaiterais attirer votre attention sur la question du siège du Parlement européen à Strasbourg. Il faut profiter de cette présidence 2022 pour insister sur l'attachement de la France à cette question. J'entendais dans votre propos que des événements auraient lieu sur les différents territoires. Vous avez effectivement cité Strasbourg. Au-delà de cette question, c'est tout un symbole qui est en jeu. Il faut profiter de ces six mois pour rappeler l'importance du Parlement européen à Strasbourg, qui n'a pas pu se réunir depuis février dernier en raison de la crise sanitaire. Quels sont plus précisément les événements envisagés autour de cette question ? Un travail est-il prévu en amont avec les différentes collectivités territoriales, celles-ci s'étant fortement mobilisées en sollicitant le président du Parlement européen ?
M. Jean-Yves Leconte. - Je suis inquiet de vous voir minorer ainsi notre agenda électoral. Par ailleurs, madame Gaudin, la Croatie n'a pas changé de premier ministre durant sa présidence du Conseil. L'élection présidentielle s'est certes tenue le 5 janvier, mais pour un président dont les fonctions n'ont absolument pas la même ampleur que les nôtres. Nous savons que les ministres qui présideront les différents conseils changeront au minimum trois fois au cours de cette présidence. Finalement, l'administration aura le pouvoir. Elle pourra donc tout à fait gérer les choses, s'il n'y a pas de crise. Mais je suis très inquiet sur la place de la France dans l'Union, à la suite d'une présidence qui interviendra dans un pareil moment.
En quoi la Conférence sur l'avenir de l'Europe sera-t-elle différente du grand débat national que nous avons connu il y a deux ans, et dont nous savons maintenant qu'il n'a pas abouti à grand-chose ? Par ailleurs, les parlements nationaux, qui disposent de la souveraineté budgétaire, doivent être structurellement associés à cette discussion. Que pouvez-vous nous dire sur ce sujet ?
Je rejoins aussi ce qui a été dit précédemment : cette présidence sera l'une des dernières cartouches pour défendre la place de Strasbourg comme siège du Parlement européen. Quels éléments seront mis en oeuvre pour défendre cette position ?
Mme Sandrine Gaudin. - Nous souhaitons favoriser et rendre encore plus concret le respect du plurilinguisme en Europe. Tout au long de la présidence, nous veillerons à ce que le français soit la langue qui régisse les discussions, et également à ce que tous les documents essentiels soient traduits dans toutes les langues, y compris en français. Les présidents et présidentes des réunions du Conseil et des comités préparatoires s'exprimeront en français durant toutes les réunions formelles. Le régime des réunions informelles, quant à lui, s'appuie plutôt sur la règle des langues dites « de travail » du Conseil, avec une traduction dans les trois langues que sont le français, l'anglais et l'allemand. Bien évidemment, le respect de l'usage du français le plus possible ainsi que les efforts financiers que nous réalisons pour la traduction et l'interprétation des réunions seront une priorité.
En revanche, je ne sais pas si nous parviendrons à « stopper » l'anglais, pour reprendre votre propos. C'est la langue la plus parlée dans les couloirs en marge des réunions. Certes, les visioconférences atténuent cet aspect. En tout cas, la pluralité linguistique sera une question essentielle pour nous.
Sur l'Europe de la santé, j'espère que nous pourrons, en 2022, poursuivre les efforts qui auront été faits d'ici là, notamment sur la question de l'amélioration de la surveillance épidémiologique, et j'espère que le mandat du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies aura été étendu. J'espère aussi que nous aurons fait des progrès dans la coordination des mesures sanitaires, en particulier dans le domaine important de la reconnaissance mutuelle des tests, notamment antigéniques.
Par ailleurs, j'espère que nous aurons renforcé notre stratégie industrielle dans le domaine du médicament, de la pharmacie et des équipements médicaux, de façon à réduire notre dépendance à l'égard des pays tiers. Et j'espère que tous ces progrès auront déjà produit de premiers résultats en 2022, car il serait de mauvais augure que rien n'ait été fait dans ce domaine depuis 2020. En tout état de cause, il s'agit de l'une des priorités de la présidence portugaise, et nous encouragerons nos amis portugais, mais aussi slovènes, à avancer en 2021 sur ces questions centrales. Nous aurons néanmoins à finaliser un certain nombre de choses à cet effet, dont des textes législatifs. Comme vous le savez, ce chantier est assez nouveau dans l'histoire de la construction et du projet européens mais, naturellement, il a pris une nouvelle dimension en raison de la crise.
M. Xavier Lapeyre de Cabanes. - Avant de répondre à la question posée sur Strasbourg, je voudrais ajouter un élément sur l'utilisation du français. Je reçois toutes les demandes de validation des réunions, colloques ou conférences que les ministères veulent organiser dans le cadre de la présidence française, et pour lesquels ils sollicitent des budgets. Je veille toujours à ce que, pour chacune de ces réunions, les frais d'interprétation ne soient pas oubliés, surtout dans le cas de réunions d'experts, qui se tiennent souvent uniquement en anglais sous les autres présidences.
Assez rapidement après ma prise de fonctions, je me suis rendu à Strasbourg, où j'ai été reçu notamment par la maire et la préfète, afin de réfléchir aux moyens nécessaires pour mettre en avant la ville comme capitale européenne, et pas seulement comme siège du Parlement puisque Strasbourg accueille aussi les sièges du Conseil de l'Europe et de la Commission européenne de pharmacopée, ou encore le quartier général d'Eurocorps. Cette ville quasi frontalière joue un rôle central en Europe et, lorsque je reçois des ministères leurs demandes pour l'organisation de réunions, je veille à une bonne répartition géographique, et à ce qu'un nombre suffisant de réunions ministérielles se tiennent à Strasbourg. Le calendrier et le choix des villes ne sont pas encore définitifs, et lorsque je soumettrai au cabinet du Premier ministre une liste d'événements à valider et à labelliser, nous nous attacherons à ce que Strasbourg soit bien mise en valeur et à l'honneur, comme le souhaitent nos autorités. Si ce n'est pas le cas, nous demanderons sans doute aux ministères d'envisager d'y organiser plus de réunions.
M. Jean-François Rapin, président. - Les Alsaciens sont nombreux ici autour de la table et veulent vivement réagir. Je vais leur donner la parole avant que vous ne répondiez à M. Leconte.
M. Claude Kern. - C'est le moment d'avoir une politique vraiment volontariste sur le sujet ! Il ne s'agit plus de « veiller », mais bien d'imposer ! Il faut profiter de la présidence - comme le font les autres États -, se montrer un peu chauvins et mettre en avant Strasbourg. Comme l'a dit Jean-Yves Leconte, si on ne le fait pas à cette occasion, on aura gâché notre dernière cartouche.
Mme Elsa Schalck. - Au-delà même de la question du siège, ce débat est important, à la fois pour la France mais également pour l'ensemble de l'Europe, et j'avoue être assez surprise par votre réponse. En effet, nous nous attentions vraiment à entendre des éléments précis, témoignant d'un certain volontarisme face à la situation et à l'urgence. Cette présidence est le moyen de mettre en oeuvre des actes forts, d'envoyer des messages politiques sur la question du statut de siège et de capitale européenne, et de mobiliser de façon forte et collective.
M. André Reichardt. - Monsieur le secrétaire général, cette réponse n'est absolument pas satisfaisante. Mes deux collègues l'ont rappelé, il s'agissait là d'une occasion rêvée pour remettre les pendules à l'heure. Depuis presque un an, le Parlement européen ne se réunit plus à Strasbourg pour les raisons que l'on sait, même si je note que d'autres instances internationales s'y sont réunies malgré tout. Ce serait donc l'occasion d'une compensation pour tout ce qui ne s'est pas fait pendant cette année. Si vous n'en décidez pas vous-même, qui va le faire ? Vous dites veiller à une répartition équitable, mais ce n'est pas du tout ce que l'on souhaite ! Alors nous vous exhortons vraiment, comme nous l'avons fait récemment avec Clément Beaune, à utiliser cette occasion extraordinaire.
M. Jean-François Rapin, président. - Nous allons à présent poursuivre sur les autres sujets de notre audition mais le message est fort, et j'espère que vous l'avez entendu.
M. Xavier Lapeyre de Cabanes. - Peut-être ai-je été un peu trop diplomate quand j'ai indiqué avoir insisté auprès des ministères pour organiser le maximum de réunions à Strasbourg. Néanmoins, j'ai parfaitement entendu le message du secrétaire d'État aux affaires européennes et du Premier ministre sur l'importance que l'on doit donner à Strasbourg. Nous allons faire le maximum et je me suis d'ailleurs rendu au siège du Parlement européen, avec lequel nous pourrons sûrement organiser certains événements, mais c'est là un autre sujet. J'évoquais en effet des réunions ministérielles, des événements ayant donc une certaine visibilité, qui se tiendront à Strasbourg pour montrer l'importance qu'accorde la France à cette ville.
Mme Sandrine Gaudin. - Le message a été bien entendu et sera transmis. Clément Beaune déploie actuellement des efforts notables et assez considérables pour avoir des échanges réguliers avec les élus, avec le président du Parlement européen et son administration afin de mettre en place, dès que possible, le retour des sessions à Strasbourg. Ces efforts ne sont peut-être pas suffisamment visibles, mais je peux vous garantir qu'ils sont d'une très forte intensité. Notre colère s'est manifestée par des expressions publiques et des courriers, au niveau du Président de la République, du Premier ministre, du ministre des affaires étrangères et du secrétaire d'État aux affaires européennes. Nous ne sommes pas restés insensibles à la situation de Strasbourg s'agissant de l'interruption de l'organisation des sessions. (M. André Reichardt quitte la salle en signe de désapprobation.)
Par ailleurs, comme les élus de la région et des départements concernés le savent, nous sommes en train de travailler, de façon intensive, en vue d'une signature prochaine du nouveau contrat triennal, afin de marquer à nouveau le soutien et l'engagement de l'État pour que la ville de Strasbourg soit préservée dans le rôle de capitale européenne qui lui a été confié par les traités.
De plus, les manifestations les plus emblématiques de la Conférence sur l'avenir de l'Europe, lorsque leur organisation sera de notre ressort, se tiendront à Strasbourg.
Enfin, nous avons engagé deux recours contre le Parlement européen devant la Cour de justice de l'Union européenne, car les deux derniers votes sur le budget de l'UE ont eu lieu à Bruxelles, alors qu'ils auraient dû l'être à Strasbourg.
La façon dont va être organisée et déclinée la Conférence sur l'avenir de l'Europe au niveau national est encore un peu floue. Compte tenu de la crise sanitaire, les travaux ont été ralentis dans ce domaine au niveau européen. En tout cas, comme nous l'avions fait pour organiser les consultations citoyennes de 2018, nous associerons tous les parlements nationaux à cet exercice, même si nous ne savons pas encore de quelle manière exactement. Le débat public doit être le plus large et le plus profond possible, et associer au premier chef les institutions qui représentent les citoyens. Je vous demande toutefois un peu de patience par rapport à la définition du cadre et des contours de cet exercice, tant au niveau européen qu'au niveau national.
S'agissant des consultations citoyennes de 2018, on peut avoir un point de vue mitigé sur la façon dont elles se sont déroulées, comme sur la manière dont on a tenu compte des enseignements qu'il fallait en tirer. Je rappelle toutefois qu'elles n'ont pas été organisées selon les mêmes modalités et avec la même motivation par tous les États membres et que, si en France nous avons essayé d'en faire le moment d'un débat démocratique sur l'Europe, cela n'a pas été le cas partout. Cependant, une synthèse des travaux a été préparée et le Conseil européen de décembre 2018 a examiné ce rapport public, qui recèle de nombreux enseignements et pourra servir pour réanimer le débat dans le cadre du volet national de la Conférence sur l'avenir de l'Europe.
Cette conférence représentera un moment important de la présidence française de 2022, et sa clôture sera notamment un événement majeur, même si nous ne savons pas encore quelle forme elle prendra. Il s'agira peut-être - mais c'est peu probable - d'une sorte de super Conseil européen rassemblant les chefs d'État ou, au contraire, d'un exercice beaucoup plus large, associant d'autres acteurs et notamment les parlements nationaux et la société civile. Ces modalités ne sont pas encore arrêtées, et dépendront de la façon dont la Conférence sera lancée au niveau européen, mais aussi de la manière dont on choisira de la décliner au niveau national. Une discussion sur ces modalités nous donnera l'occasion de revenir au Sénat.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Je voudrais revenir rapidement sur la question de la prééminence de l'anglais. Comme vous le savez, l'Irlande et Malte, qui sont les deux pays européens où l'on parle anglais, n'ont pas demandé que l'anglais soit langue officielle de l'Union. Comment justifier alors auprès de la Cour des comptes de l'UE les frais de traduction et d'interprétariat vers l'anglais ? Par ailleurs, pourquoi ne pas essayer de promouvoir de façon plus systématique des cours de français pour les parlementaires européens et le personnel de l'UE ? Cela serait très utile, et nous pourrions l'organiser avec l'Alliance française. En effet, je ne comprends pas pourquoi on entend parler anglais partout dans les couloirs à Bruxelles, alors qu'il s'agit d'une capitale francophone.
M. Jean-Yves Leconte. - Je suis assez préoccupé par la réponse que vous venez de donner sur l'organisation de la Conférence sur l'avenir de l'Europe. S'il s'agit vraiment de changer les choses, en particulier dans le domaine budgétaire, il faudra passer par les parlements nationaux, qui sont aujourd'hui souverains dans ces domaines. S'ils ne sont pas associés en première ligne pour définir la manière dont la Conférence sera structurée, comment voulez-vous qu'elle aboutisse ensuite à quelque chose de solide, qui pourrait être validé ? Il faut vraiment cadrer la mise en place de la participation des parlements nationaux à la Conférence au plus vite.
M. Jean-Michel Arnaud. - Je m'associe à ce qui vient d'être dit : il faut veiller à l'association des parlementaires à ce débat sur l'avenir de l'Europe. Par ailleurs, je ne suis pas satisfait par les propos tenus sur l'association des citoyens et des territoires. Dans une période où l'Europe est chahutée, et où les thèses anti-européennes risquent d'occuper le devant de la scène dans le débat national, il est impensable d'éloigner les citoyens de ce débat. Nous avons des bureaux dans les régions, des associations qui portent la parole européenne et il faut, en lien avec les parlementaires et les collectivités territoriales, avoir dans les territoires des débats en profondeur sur la question européenne. Il faut absolument que vous nous fassiez des propositions ; si vous ne le faites pas, nous en ferons, en espérant qu'elles seront écoutées, sur la participation des citoyens et des territoires à ces deux rendez-vous capitaux que sont la Conférence sur l'avenir de l'Europe et la présidence française.
Enfin, il est indispensable, quelle que soit notre implantation géographique, de défendre Strasbourg et, à travers elle, une histoire, mais aussi la langue française, qui peut être mise à l'honneur si Strasbourg occupe pleinement sa place.
Mme Gisèle Jourda. - Je voudrais revenir sur la question de la pollution des sols. Vous m'avez répondu sur l'esprit général du Green Deal, mais je voudrais signaler, notamment en tant qu'ancienne rapporteure d'une commission d'enquête sur la pollution des sols post-activités minières et industrielles, qu'il manque une directive européenne sur ce sujet. Nous faisons face à un vide sidéral, notamment sur les exploitations sur site, qui peuvent être l'oeuvre d'exploitants étrangers ou européens. En 2014, après l'échec de la directive de 2007, la France avait demandé une réflexion globale sur la mise en place d'un cadre juridique contraignant ; pourriez-vous me donner des précisions à ce sujet ?
Mme Sandrine Gaudin. - En ce qui concerne cette dernière question, ne connaissant pas le dossier aussi bien que vous, je me permettrai de vous faire une réponse par écrit sur la place du sujet de la pollution des sols dans nos priorités environnementales.
Au sujet de l'apprentissage du français, un travail est déjà mené par la Représentation permanente à Bruxelles et l'Alliance française, pour organiser des sessions de formation. Je n'ai pas ici le bilan quantitatif, et je pourrai là aussi vous adresser une réponse précise par écrit. En tout cas, le sujet n'est pas délaissé, notamment lorsque de nouvelles équipes se mettent en place. Des cours sont alors proposés aux conseillers des cabinets des nouveaux commissaires, et aux nouveaux commissaires eux-mêmes. Ces efforts sont sans doute insuffisants par rapport aux besoins, et l'anglais reste la langue la plus entendue à Bruxelles.
M. Xavier Lapeyre de Cabanes. - Pour répondre à la question sur l'association des territoires, je ne l'ai pas mentionné mais lors de la présidence française de 2008, un grand nombre d'événements avaient été organisés par des associations, des collectivités territoriales, des groupements professionnels ou encore des syndicats, pour faire vivre la présidence française auprès des citoyens. Nous en ferons autant en 2022, et j'ai déjà pris contact avec les trois grandes associations d'élus - l'Association des maires de France, l'Assemblée des départements de France et Régions de France -, pour réfléchir à la façon dont nous pourrions labelliser des événements organisés par les collectivités territoriales, comme nous l'avions fait en 2008, afin de donner une meilleure visibilité à ces événements et de faire vivre partout en France le débat sur l'UE pendant toute la durée de la présidence française. Enfin, en ce qui concerne les événements organisés par l'État, beaucoup le seront en province, à Strasbourg bien sûr mais aussi ailleurs, y compris dans les outre-mer.
M. Jean-François Rapin, président. - Je vous remercie d'avoir répondu à la majeure partie nos questions. Il sera sans doute nécessaire de faire un point intermédiaire, d'ici deux mois ou deux mois et demi, pour voir comment les choses avancent au regard de toutes les questions et incertitudes qui demeurent, notamment sur la Conférence sur l'avenir de l'Europe. Conseiller régional des Hauts-de-France, je dois dire que l'on sent aussi une demande très forte à l'échelle des régions. Le débat doit être local et régional.
L'objectif de notre commission est aussi de servir d'aiguillon et j'espère que vous avez entendu les messages qui ont été portés, notamment par les sénateurs alsaciens. Si vous n'avez pas obligation de résultat, vous avez au moins obligation de moyens.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 10 heures 30.