- Mardi 20 octobre 2020
- Mercredi 21 octobre 2020
- Projet de loi de finances pour 2021 - Désignation des rapporteurs pour avis
- Communications diverses
- Audition de MM. Sébastien Gros, responsable des affaires publiques, Clément Lelong, chargé des initiatives environnementales, et Olivier Knoepffler, responsable des relations clients - Apple France
- Audition de Mme Floriane Fay et de Thibault Guiroy, responsables des relations institutionnelles et politiques publiques de Google France
Mardi 20 octobre 2020
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -
La réunion est ouverte à 17 h 35.
Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières - Examen du rapport pour avis
M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, je remercie celles et ceux d'entre vous qui se sont enquis de ma santé ces derniers jours ; leur gentillesse m'a profondément touché. Faisons tous très attention à ce virus, car il laisse des traces.
Plusieurs d'entre vous ont suggéré qu'une partie de nos réunions se tiennent en téléconférence. Ce sera le cas, à ce jour, des réunions programmées dans les petites salles. Il importe en effet que nos collègues qui sont cas contacts puissent participer à nos travaux.
Nous examinons cet après-midi le rapport pour avis de notre collègue Bruno Belin sur le projet de loi relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières, dit projet de loi « néonicotinoïdes ».
Adopté par l'Assemblée nationale le 6 octobre dernier, ce texte a été renvoyé pour son examen au fond à la commission des affaires économiques. Sophie Primas, rapporteure, présentera son rapport demain, la délibération en séance publique étant prévue le 27 octobre prochain.
Je rappelle que les néonicotinoïdes ont été interdits par la loi de 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, dont notre commission avait été saisie au fond. En 2018, nous nous étions saisis pour avis du projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, texte à finalité agricole, mais étendant l'interdiction des néonicotinoïdes aux substances présentant des modes d'action identiques.
Le présent projet de loi vise à permettre l'octroi de dérogations à l'interdiction des néonicotinoïdes pour les semences de betterave sucrière jusqu'au 1er juillet 2023. Le Gouvernement espère ainsi sauver la filière de la betterave et du sucre, qu'il juge indispensable à la préservation de notre souveraineté alimentaire et économique.
Si la finalité agricole et industrielle du texte a justifié son renvoi à la commission des affaires économiques, il était indispensable que nous nous en saisissions pour avis, dans la mesure où le projet de loi affecte fortement les milieux naturels et la biodiversité, une compétence centrale de notre commission.
Je rappelle que, devant une commission saisie pour avis, seuls sont recevables les amendements du rapporteur pour avis.
Je remercie Bruno Belin pour son travail : sitôt élu, il a pris les dossiers à bras-le-corps !
M. Bruno Belin, rapporteur pour avis. - Je remercie M. Longeot pour la confiance qu'il m'a témoignée, ainsi que tous nos collègues qui se sont associés aux dix auditions préparatoires.
Alors qu'une épidémie de jaunisse due à des pucerons verts touche sévèrement les cultures betteravières - la perte de rendement, de 13 % en moyenne nationale, atteint parfois 40 % dans certaines régions. Les alternatives aux néonicotinoïdes donnent des résultats insatisfaisants, notamment parce que les pucerons s'adaptent aux produits utilisés. Dans ce contexte, le Gouvernement souhaite autoriser des dérogations à l'interdiction des néonicotinoïdes pour les semences, jusqu'au 1er juillet 2023. L'Assemblée nationale s'est prononcée dans le même sens.
Les néonicotinoïdes sont non seulement nocifs, mais toxiques ; toute une série de preuves scientifiques solides en ont été apportées. Ils affectent en particulier les abeilles, qui perdent leur sens de l'orientation et leur capacité de reproduction. Plus généralement, ils provoquent un effondrement dramatique des populations d'insectes volants - jusqu'à 75 % de la biomasse européenne aurait disparu en moins de trente ans !
Leur caractère persistant nous conduit à nous interroger. De fait, une part très importante des substances actives - 80 % a minima, selon certaines personnes auditionnées - s'infiltre dans les sols.
C'est donc un motif de satisfaction pour la commission que le projet de loi ne remette pas en cause le principe de l'interdiction générale des néonicotinoïdes.
Les dérogations sont envisagées pour la filière de la betterave, une filière industrielle importante qui emploie 45 000 personnes dans 21 sucreries et dont dépendraient, selon les professionnels, 90 000 emplois indirects. Cette filière est confrontée à des difficultés structurelles, découlant notamment de la fin des quotas sucriers.
La dérogation prévue est strictement encadrée : limitée dans le temps, elle vise seulement les traitements enrobés pour la betterave, à l'exclusion de toute autre culture.
Le volet lié à la recherche est essentiel, car il faut absolument préparer l'après-2023. Je ne sais si les 7 millions d'euros prévus sont suffisants ou non, mais il est important que la filière ait cet impératif et ce calendrier à l'esprit. Un conseil de surveillance, prévu par le projet de loi, permettra de suivre ce volet recherche et sa mise en oeuvre.
Si l'article 40 de la Constitution ne nous permet pas d'augmenter par voie d'amendement les sommes allouées à la recherche, nous pouvons recommander de renforcer les moyens mis à la disposition pour les filières autres que la betterave. Par ailleurs, je recommande la mise en place, pour glisser de l'écologie punitive vers l'écologie incitative, d'un mécanisme consistant à affecter une partie du produit de la taxe existante sur les pesticides à l'indemnisation des producteurs de betteraves n'ayant pas recours aux néonicotinoïdes et qui feraient face à l'épidémie de jaunisse. Il s'agirait de récompenser les producteurs aux pratiques les plus vertueuses.
Enfin, la question est posée de la constitutionnalité du texte dans la mesure où il vise les seules semences de betterave sucrière. J'estime à cet égard qu'il appartient au Gouvernement de prendre ses responsabilités.
Sur la base du travail que j'ai mené sur le projet de loi, en particulier des auditions qui ont été organisées, je n'ai pas de proposition d'amendement à vous soumettre.
M. Didier Mandelli. - Je félicite M. Belin pour ce rapport, son premier, et qui porte, de surcroît, sur un sujet sensible. Il a mené un travail en profondeur, en liaison étroite avec la commission des affaires économiques, mais en tenant compte de la sensibilité propre à notre commission.
Sur le fond, les propositions avancées me paraissent à la hauteur des enjeux. Il y a une ligne de crête à suivre, ce qui n'est pas simple...
M. Stéphane Demilly. - L'invasion de pucerons résultant d'un hiver particulièrement doux touche nos agriculteurs et nos sucreries, qui passent sous le seuil de rentabilité dans les régions fortement frappées par la jaunisse. Résultat : la filière française de la betterave et du sucre est en danger, avec ses 46 000 emplois !
Si les incertitudes conduisent les agriculteurs à réduire leur activité consacrée à la betterave, l'approvisionnement des usines sucrières sera menacé. À Toury et à Eppeville, des sucreries ont déjà fermé.
Déroger jusqu'en 2023 à l'interdiction d'utiliser les néonicotinoïdes permettra de répondre à ces difficultés exceptionnelles, tant par leur ampleur que par leurs conséquences. Nos territoires ruraux, déjà fragilisés par la crise économique, doivent être soutenus.
En préservant notre filière sucrière, nous défendons aussi la souveraineté nationale.
Il est crucial que les mêmes règles s'appliquent en France que dans les autres pays européens. Rappelons à cet égard que onze producteurs européens, à commencer par l'Allemagne et la Pologne, prévoient déjà des dérogations pour l'utilisation des néonicotinoïdes. Dans certains pays, on recourt même à des produits interdits chez nous...
Les alternatives dites chimiques - Teppeki, Movento - ne sont pas du tout à la hauteur du problème que la filière rencontre. De plus, leurs conséquences sur l'environnement sont parfois plus graves que celles des néonicotinoïdes.
Ce projet de loi est donc important : il évitera l'effondrement de notre industrie sucrière et soutiendra une transition agroécologique engagée de longue date - les apports d'engrais azotés ont été réduits de 50 % entre 1994 et 2014, ce qui n'a pas empêché les rendements de croître de 40 %.
J'ajoute que la production biologique de betteraves sucrières se développe fortement ; l'objectif est de produire 30 000 tonnes annuelles de sucre biologique d'ici à cinq ans.
Répondons à une urgence dans nos territoires ruraux, ne laissons pas disparaître une industrie entière !
M. Éric Gold. - Je regrette que notre commission n'ait pas été saisie au fond de ce projet de loi, dont l'objet est au coeur de notre travail.
Je m'interroge sur la réintroduction dérogatoire et temporaire des néonicotinoïdes, car elle me paraît inspirée par une vision économique de court terme. Je pense que notre commission a pour mission de mettre en avant l'urgence écologique, dont on parle tous les jours et qui a l'assentiment de la quasi-totalité de la population.
Je félicite notre rapporteur pour avis pour sa modération, mais je reste sceptique sur la dérogation prévue.
M. Joël Bigot. - Je remercie M. le rapporteur pour avis de ne pas avoir fait l'impasse sur la toxicité de ces substances.
Les sénateurs socialistes sont opposés à ce projet de loi, qui leur paraît marquer une régression importante en matière de préservation de l'environnement et de la biodiversité et dont la constitutionnalité, de surcroît, interroge.
En 2016, le précédent gouvernement avait laissé au secteur quatre ans pour préparer la transition. Quels moyens les professionnels, mais aussi les pouvoirs publics, ont-ils mis en oeuvre pendant cette période ? Si l'on avait sérieusement renforcé la recherche, nous ne serions pas aujourd'hui conduits à examiner la dérogation que l'on nous propose.
M. Stéphane Demilly. - Que proposez-vous ?
M. Joël Bigot. - Nous sommes d'accord pour apporter un soutien à la filière de la betterave sucrière, mais nous considérons que la dérogation de trois ans proposée par le Gouvernement est le choix de la facilité et du court terme. Sans compter le risque d'ouvrir une boîte de Pandore : dès le mois d'août, la filière du maïs a demandé à bénéficier de la même dérogation...
D'autres solutions existent : la montée en gamme de notre agriculture, une meilleure structuration des filières, la mise en oeuvre d'une véritable culture du risque permettant à notre agriculture d'être plus résiliente face aux aléas sanitaires, économiques et climatiques.
M. Ronan Dantec. - Fin du suspense : le groupe écologiste est opposé à ce projet de loi...
J'observe moi aussi que le rapport pour avis est marqué du sceau de la modération ; et j'en remercie M. Belin.
Il a parlé d'écologie punitive. Les néonicotinoïdes sont, en effet, de l'écologie extrêmement punitive : il est démontré depuis trente ans que ces substances particulièrement toxiques à des quantités infinitésimales provoquent un effondrement de toutes les chaînes trophiques - insectes, puis oiseaux. Compte tenu de leur rémanence, ces effets ne s'arrêteront pas en 2023 : trois ans de traitement supplémentaire entraîneront des conséquences pour des années et des années !
On aurait pu espérer que, ayant reconnu la toxicité de ces substances, le rapporteur pour avis et la majorité de la commission concluent au refus de la dérogation. Ce n'est pas le cas, et ce n'est pas tout à fait une surprise. Oui, la recherche doit être soutenue, notamment dans le domaine des cultures biologiques.
Il est essentiel aussi de travailler à la structuration des filières : si nous ne nous préparons pas à l'augmentation de la demande de sucre biologique, nous dépendrons des importations. De même, dans peu de temps, des sucres seront commercialisés avec la mention « sans utilisation de néonicotinoïdes » : le consommateur y sera très sensible... Faute d'anticipation, les filières seront encore plus en danger demain.
J'accueille avec un vif intérêt l'ouverture du rapporteur pour avis sur les mécanismes incitatifs. De fait, un des enjeux pour l'agriculture française est d'intégrer dans le système assurantiel les efforts des agriculteurs en matière d'incidence environnementale, par la modulation des primes ou des remboursements. S'il intègre cette dimension, le secteur assurantiel sera l'un des leviers de la transformation agricole ; dans le cas contraire, il sera un facteur de retard dans les mutations.
S'agissant de la constitutionnalité du texte, nous serons nombreux à demander son avis au Conseil constitutionnel...
L'Allemagne, il est vrai, a autorisé des dérogations, mais en privilégiant le traitement foliaire, c'est-à-dire l'action directe sur les champs, par rapport aux semences enrobées. Pourquoi ne pas avoir retenu cette option, qui certes n'est pas souhaitable, mais permet au moins de ne pas contaminer tous les territoires ? Si la rentabilité diminue de 13 % en moyenne et de 40 % à certains endroits, il y a d'autres endroits où elle est presque stable...
Enfin, si nous faisons l'effort de ne pas recourir aux néonicotinoïdes, le marché intérieur européen nous garantit-il des protections ? La même question se pose pour d'autres productions, comme les cerises. Nous sommes tous pro-européens, mais les distorsions en matière environnementale posent des difficultés qu'il faut absolument résoudre.
M. Pierre Médevielle. - Je comprends d'autant plus les inquiétudes suscitées par ce texte que j'ai fait partie, en 2014, des quarante premiers parlementaires à demander l'interdiction des néonicotinoïdes, avec Ronan Dantec, ici présent, mais aussi Chantal Jouanno.
L'interdiction est salutaire, mais il faut bien tenir compte de l'absence de solution alternative. On ne programme malheureusement pas la date à laquelle la recherche aboutit ! Pour le glyphosate, par exemple, on ne voit toujours pas venir d'alternative...
Le biocontrôle est intéressant, mais efficace seulement sous serre ; en plein champ, comme on l'a vu avec la pyrale du buis, les méthodes ne sont pas au point.
L'agriculture française est malade : depuis un an, nous sommes même importateurs de produits agricoles. Pour que la transformation dont on parle souvent ne soit pas une destruction, il faut se garder d'aller trop vite et trouver une cohérence au niveau européen ; c'est en étant cohérents entre Européens que, de manière pragmatique, nous atteindrons nos buts.
Prenons garde aussi au mirage du « tout bio » : les Chinois commencent à cultiver des centaines de milliers d'hectares en agriculture biologique et inonderont bientôt les marchés à des tarifs défiant toute concurrence...
Les agriculteurs progressent : nous utilisons beaucoup moins de produits, nous irriguons mieux, nous optimisons les traitements par de nouvelles techniques - contrôle par drones, par exemple. La transformation de notre agriculture doit se poursuivre, en douceur. Le « zéro phyto » est une utopie ! Il y aura toujours des insectes, des bactéries, des champignons, qui ne demanderont qu'à ravager les cultures... Le renoncement à certains produits peut même poser des problèmes pour la santé humaine - à titre d'exemple, on sait que les mycotoxines de l'ergot du seigle tuent.
Continuons de progresser, mais avec pragmatisme. Le jour où, faute d'agriculteurs en France, nous importerons du bout du monde des produits traités on ne sait comment, nous n'aurons pas beaucoup progressé. Le groupe Les Indépendants - République et Territoires votera ce projet de loi.
Mme Évelyne Perrot. - Dans ma région, les champs de betteraves sont aussi jaunes que les murs de cette salle... On ne peut pas laisser les agriculteurs dans cette situation. N'oublions pas non plus que les contrats betteraviers sont sur le point d'être renouvelés.
M. Gérard Lahellec. - Je remercie le rapporteur pour avis d'avoir objectivé cette question, particulièrement compliquée, sans rien cacher de la dangerosité des produits dont nous parlons. Je remercie aussi l'oratrice précédente d'avoir parlé en faveur de nos agricultrices et de nos agriculteurs.
Oui, les filières agricoles méritent d'être soutenues. Je viens moi aussi d'une région agricole, la Bretagne, où il n'y a pas que des grandes exploitations. En Bretagne, il n'y aurait plus d'eau, les algues vertes seraient partout... La stigmatisation est rapide, alors que nous avons besoin d'une agriculture de production.
Reste que nous ne réglerons pas les difficiles problèmes de notre agriculture à coup de néonicotinoïdes ; personne du reste ne le prétend.
En ne votant pas ce projet de loi, comme les autres sénateurs du groupe communiste, je marquerai mon refus de traiter notre agriculture comme un sous-ensemble de l'environnement. Elle est une activité à part entière, qui suppose des revenus rémunérateurs pour nos agriculteurs, une mise en perspective du point de vue du développement durable et de grandes actions de recherche.
Il est une substance naturelle qui, paraît-il, est dangereuse : la solanine. Pourtant, avec la pomme de terre qui en contient, Parmentier a sauvé l'humanité de la famine... Gardons-nous de croire que la nature serait spontanément généreuse et sans risque. J'insiste : mes réserves sur ce texte ne traduisent en aucune façon un renoncement à développer pour notre pays une agriculture de production.
M. Frédéric Marchand. - C'est fort à propos que les orateurs précédents ont félicité notre rapporteur pour avis. Les auditions qu'il a organisées ont permis d'aborder les problèmes de manière à la fois objective et cordiale, quelles que soient les divergences.
Les néonicotinoïdes ne sont évidemment pas en soi une solution satisfaisante. Tous ceux qui, comme moi, vont régulièrement à la rencontre des agriculteurs savent qu'ils ne demandent pas cette dérogation par plaisir, ni même par facilité. Simplement, ils sont confrontés à une situation tout à fait exceptionnelle. Les pulvérisations à outrance, dont on parle assez peu, ne sont pas une alternative dont on puisse se satisfaire : elles conduisent à la dispersion de produits eux aussi toxiques.
Je répète souvent qu'il faut aller vers l'idéal en passant par le réel. En l'occurrence, il est sage de prévoir une transition de trois ans, tout en favorisant la recherche et la diversification des cultures. Le groupe RDPI votera donc le projet de loi.
M. Jacques Fernique. - J'entends les difficultés des producteurs de betterave, mais il faut entendre aussi celles des apiculteurs, dont la liberté d'entreprendre est atteinte. D'autres cultures voient leur rendement baisser du fait des dégâts des néonicotinoïdes sur les populations de pollinisateurs.
La crise liée aux attaques de pucerons est assez exceptionnelle. Elle résulte d'un hiver anormal, sans doute une conséquence des bouleversements climatiques. Par ailleurs, la biodiversité a beaucoup régressé, alors qu'elle constituait une protection naturelle : la betterave sucrière a prospéré pendant des siècles sans avoir besoin de moyens chimiques...
De l'autre côté de la frontière alsacienne, le gouvernement allemand se montre beaucoup plus circonspect. De fait, l'utilisation des néonicotinoïdes enrobant les semences en préventifs généralisés entraîne des dégâts majeurs - et pas seulement pour trois ans, comme l'a souligné Ronan Dantec.
On nous promet un vrai travail de recherche sur les alternatives. Mais, en 2016, la filière de la betterave disait clairement qu'elle souhaitait une dérogation ; elle n'a pas eu l'intention de chercher des alternatives. Par ailleurs, si nous mettons ce pied dans la porte, je redoute que d'autres filières s'efforcent d'obtenir la même dérogation...
M. Olivier Jacquin. - Je déplore à mon tour que nous n'ayons pas été saisis au fond.
La commission chargée de la santé environnementale ne se grandirait pas en soutenant un texte qui porte atteinte à l'environnement.
Agriculteur moi-même, je connais la capacité de réaction du monde agricole face aux crises et aux évolutions. N'oublions pas non plus que c'est la profession qui a demandé le démantèlement des quotas sucriers, qui mettaient les producteurs de betterave à l'abri des crises les plus fortes : sécheresses et même insectes.
M. Bigot l'a bien souligné : depuis 2016, il ne s'est pas passé grand-chose en termes de prévention... C'est assez fâcheux, car il y avait moyen de faire évoluer la production. Les dégâts de la jaunisse sont significatifs, mais moins importants qu'on ne l'avait craint. La sécheresse considérable de cette année pèse sans doute davantage.
En adoptant la même position que la commission des affaires économiques, je ne suis pas sûr que nous enverrions un très bon message. Pour notre part, nous proposerons en séance des solutions d'accompagnement de la filière.
Ne perdons pas de vue que la baisse des quotas sucriers a profité surtout aux industriels de l'agroalimentaire ; ils détiennent une part de la réponse à cette crise.
Mme Laurence Muller-Bronn. - La sucrerie d'Erstein, dans mon canton, a déjà supprimé soixante-dix emplois l'année dernière, dans le cadre de rationalisations.
Monsieur le rapporteur pour avis, nous gagnerions peut-être à reprendre certaines suggestions entendues au cours de vos auditions, s'agissant en particulier des plantations successives. La betterave n'a pas de fleurs, mais le risque est que les abeilles butinent, un an ou deux plus tard, des fleurs de colza. La profession agricole pourrait s'organiser pour ne pas planter de colza sur les sols où de la betterave a poussé. Si notre commission en faisait la recommandation, elle n'adopterait pas exactement la même position que la commission des affaires économiques.
Il faut que nos agriculteurs puissent travailler, mais nous sommes tous conscients que les activités sont liées ; les apiculteurs sont aussi agriculteurs.
M. Pierre-Jean Verzelen. - Sénateur de l'Aisne et fils de betteravier, je ne suis peut-être pas l'orateur le plus objectif... Mais je peux essayer de traduire une réalité que je connais.
En effet, les abeilles ne butinent pas sur les feuilles de betterave ; ces produits sont interdits pour d'autres productions, avec lesquelles de vraies difficultés se posent. Au reste, dans mon département, un travail de fond est mené entre agriculteurs et apiculteurs, qui se passe plutôt bien. Le problème, bien réel, est celui des résidus. Mais, cette année, que s'est-il passé ? Au lieu d'aller dans le champ une fois, le tracteur y est allé quatre fois : une fois pour semer, trois fois pour répandre pesticides et insecticides. Du point de vue de l'environnement et de la biodiversité, il n'est pas sûr que cela soit préférable aux néonicotinoïdes...
Je crois pouvoir dire que la profession a reçu le message : nous avons compris que, dans le temps prévu, nous allions devoir trouver d'autres solutions. Le schéma retenu permet de suivre cette ligne de crête, dont M. Mandelli a parlé, entre souci de l'environnement et intérêt économique.
M. Bruno Belin, rapporteur pour avis. - Exerçant dans un territoire rural, je connais bien les difficultés de l'agriculture. Oui, monsieur Médevielle, elle est malade, et même en asphyxie dans certains secteurs. Comme maire et président de département, j'ai connu une douzaine de suicides d'agriculteurs et vu le nombre de bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) dans le monde agricole être multiplié par six ou sept... Tout cela est indéniable, comme le sont les problèmes qui se posent sur le plan de la santé.
Madame Muller-Bronn, je n'ai pas forgé ma position en cherchant à prévoir quelle sera celle de la commission des affaires économiques. Ce projet de rapport pour avis est le reflet de mon travail, en toute sincérité. C'est dans cet esprit que je travaillerai toujours si vous décidez de me confier d'autres rapports.
Les encadrements sur lesquels j'insiste figurent bien dans le projet de loi, y compris en matière de rotations sur les parcelles - dans les trois ans qui viennent, un seul passage de betteraves traitées avec néonicotinoïdes sera possible sur une même parcelle.
Nombre d'entre vous ont insisté sur la recherche. Je ne suis pas en mesure d'évaluer ce qui s'est passé depuis 2016, mais l'essentiel est que, à partir de maintenant et jusqu'en 2023, on se mobilise dans ce domaine ; le conseil de surveillance jouera à cet égard un rôle fondamental. Plus généralement, nous devons faire de la recherche un étendard à chaque occasion, car c'est par elle que notre pays avancera.
M. Jean-François Longeot, président. - Merci, monsieur le rapporteur pour avis, pour tout le travail accompli, en un temps record ! Y a-t-il des oppositions aux conclusions du rapporteur pour avis ?...Je constate cinq abstentions.
M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, je vous donne rendez-vous le 27 octobre pour le débat en séance publique. Je suis convaincu que nous saurons enrichir la discussion, comme c'est notre rôle !
La réunion est close à 18 h 30.
Mercredi 21 octobre 2020
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -
La réunion est ouverte à 9 h 45.
Projet de loi de finances pour 2021 - Désignation des rapporteurs pour avis
M. Jean-François Longeot, président. - Sont désignés rapporteurs pour avis pour l'examen du projet de loi de finances pour 2021 :
- sur les crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », M. Philippe Tabarot pour les transports ferroviaires, fluviaux et maritimes, Mme Évelyne Perrot pour les transports aériens, M. Michel Dagbert pour les transports routiers, M. Pascal Martin pour la prévention des risques, M. Guillaume Chevrollier pour la biodiversité et l'expertise en matière de développement durable, M. François Calvet pour la transition énergétique et le climat ;
- sur les crédits de la mission « Cohésion des territoires », M. Louis-Jean de Nicolaÿ pour les politiques des territoires et M. Jean-Michel Houllegatte pour l'aménagement numérique du territoire ;
- et sur les crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur », M. Frédéric Marchand pour la recherche dans le domaine de l'énergie, du développement et de la mobilité durables.
Communications diverses
M. Jean-François Longeot. - Mes chers collègues, le bureau a approuvé un calendrier de travail pour les prochaines semaines, centré sur les axes du plan de relance qui concernent la commission. Trois matinées d'auditions seront organisées. Deux tables rondes sont programmées la semaine prochaine :
- la première, le 28 octobre, fera le point sur « la mise en oeuvre du plan de relance dans les territoires ». Elle réunira la Caisse des dépôts et consignations, la Banque des territoires, l'Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT) et des représentants des élus locaux ;
- la deuxième, le 29 octobre, consacrée à l'hydrogène, rassemblera des professionnels du secteur, des acteurs institutionnels et des experts.
Une matinée d'auditions sur les transports -- spécialement la filière automobile -- est également prévue le 4 novembre.
Le calendrier de novembre sera chargé. Les auditions budgétaires permettront de faire le point sur les secteurs stratégiques de la commission. Nous entendrons successivement Mme Annick Girardin, ministre de la mer, Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, M. Joël Giraud, secrétaire d'État chargé de la ruralité, M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports, ainsi que Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique.
Concernant nos travaux de contrôle, j'informe la commission de :
- la poursuite du groupe de travail sur l'alimentation durable et locale
Sa composition et ses modalités de fonctionnement vont évoluer. Trois sénateurs référents issus de notre commission poursuivront le travail engagé : M. Frédéric Marchand, rejoint par M. Hervé Gillé, en remplacement de Mme Nelly Tocqueville, et de Mme Kristina Pluchet, ainsi que trois sénateurs référents issus de la commission des affaires économiques, dont la désignation doit intervenir prochainement.
- la création d'une mission d'information sur le transport routier de marchandises
Sa composition devra respecter les équilibres politiques du Sénat. Deux co-rapporteurs (majorité/opposition) seront désignés. Elle s'inscrira dans le cadre des travaux de contrôle de notre commission.
- la mise en place d'un groupe de suivi sur les conséquences du rachat du groupe Suez par le groupe Veolia
Il sera commun avec la commission des affaires économiques et comprendra un binôme de rapporteurs majorité/opposition désigné par chaque commission. Les futures modalités de la distribution d'eau et de la gestion des déchets sont au coeur des préoccupations de notre commission. L'objectif vise à informer les citoyens et les collectivités locales sur les enjeux de cette opération.
Les trois principaux acteurs concernés (Engie, Suez et Veolia) seront entendus. Sur la base de ces auditions, un rapport d'information sera publié, à charge pour le groupe de suivi de poursuivre ses travaux tout au long d'une opération qui doit se dérouler sur dix-huit mois et de continuer son travail d'information devant les deux commissions, à échéances régulières, par le biais de communications.
Un déplacement est également prévu, si les conditions sanitaires le permettent, pour faire un point sur l'état d'avancement du projet de construction de canal grand gabarit « Canal Seine Nord Europe ».
Nous devons à présent désigner nos rapporteurs pour avis sur le projet de loi de finances pour 2021. Au cours de la réunion de notre bureau, le principe d'une répartition des avis budgétaires à la proportionnelle des groupes représentés a été approuvé. Comme notre commission présente un nombre d'avis budgétaires limité à neuf, correspondant aux missions relatives à nos compétences, les plus petits groupes ne peuvent se voir attribuer un avis. Les rapports budgétaires se répartissent de la manière suivante : quatre avis pour le groupe Les Républicains, deux pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, deux pour le groupe Union Centriste et un pour le groupe Rassemblement des démocrates progressistes et indépendants.
Audition de MM. Sébastien Gros, responsable des affaires publiques, Clément Lelong, chargé des initiatives environnementales, et Olivier Knoepffler, responsable des relations clients - Apple France
M. Jean-François Longeot, président. - Nous recevons aujourd'hui trois personnalités issues de la société Apple France : Sébastien Gros, Clément Lelong et Olivier Knoepffler. Je les remercie d'avoir accepté notre invitation. Il est essentiel que les géants du numérique puissent s'exprimer devant le Parlement français et rendre compte de leurs activités, qui sont devenues incontournables dans l'élaboration de nos politiques publiques.
En janvier, notre commission a engagé des travaux sur la question de l'empreinte environnementale du numérique. Après plusieurs semaines d'auditions, la mission d'information a publié fin juin un rapport regroupant 25 recommandations. Une proposition de loi visant à réduire l'impact environnemental du numérique a été déposée la semaine passée. Notre commission clôture aujourd'hui les travaux de la mission d'information en entendant Apple puis Google.
L'activité d'Apple couvre aujourd'hui l'ensemble du spectre du numérique. Outre les ordinateurs, ce groupe occupe une place importante dans le marché du smartphone. Leader pour les montres connectées, il est aussi présent dans le marché des boîtiers TV et s'est attaqué récemment au domaine de la domotique. Il conçoit également des logiciels et des services numériques.
La place prépondérante qu'occupe votre société dans l'industrie du numérique nous amène naturellement à échanger avec vous sur l'impact environnemental du secteur. Pouvez-vous présenter les actions engagées ou envisagées par Apple afin de « verdir » son activité ?
M. Sébastien Gros, responsable des relations institutionnelles, Apple France. - Je vous remercie. Mesdames et Messieurs les Sénateurs. Je tiens, pour commencer, à vous faire part de notre satisfaction d'être présents devant vous aujourd'hui. Nous n'avons pas si fréquemment l'occasion de vous rencontrer et d'expliquer notre activité. C'est pourquoi nous souhaitions saisir cette opportunité.
Permettez-moi toutefois d'exprimer le regret de ne pas avoir pu être entendus plus tôt en amont de l'élaboration du rapport de la mission d'information. J'espère vous convaincre aujourd'hui que nos propos auraient pu nourrir vos réflexions pour sa rédaction et pour la proposition de loi sénatoriale déposée la semaine dernière.
En France, nous avons parfois le sentiment de ne pas être suffisamment entendus par les parties prenantes, alors que nous sommes un acteur majeur de l'investissement en matière environnementale dans le numérique. Il importe que vous en preniez la mesure et connaissiez nos réalités industrielles.
D'aucuns opposent l'environnement et le numérique. Nous croyons au contraire, chez Apple, que l'un ne va pas sans l'autre. Ces deux écosystèmes vont de pair. Le numérique permet d'accomplir de considérables progrès en matière environnementale. Apple est l'une des entreprises au monde les plus engagées sur le sujet.
Votre rapport cite le président de l'Ademe qui considère que l'empreinte environnementale du numérique est un « impensé ». C'est précisément l'inverse chez Apple. L'environnement est au coeur de nos valeurs, de la conception de nos produits, de notre design et de nos chaînes de production.
Nous sommes reconnus pour cet engagement à l'échelon international et à l'échelon local. Nous participons en France aux travaux de Tech for Good. Nous sommes invités, chaque année, à partager nos annonces en matière environnementale. Paradoxalement, nous avons néanmoins le sentiment que l'administration, le Gouvernement, voire le Parlement, méconnaissent nos réalisations et n'entendent pas nos messages.
Compte tenu de nos engagements, nous devrions être considérés comme un partenaire légitime et nécessaire pour nourrir la réflexion sur les politiques publiques de demain, et non comme des suspects a priori, des acteurs industriels qui ne se soucieraient pas des questions environnementales.
Un certain nombre de ces sujets, d'une extrême complexité, nécessitent enfin d'être mis en oeuvre à l'échelon européen. Quelques décisions peuvent parfois générer des « effets de bord ». Nous insistons à ce titre pour que vous puissiez accéder à des études complémentaires et plus approfondies sur l'environnement et le numérique. Je cède à présent la parole à Clément Lelong pour parler de nos initiatives environnementales.
M. Clément Lelong, chargé des initiatives environnementales, Apple France. - L'équipe « initiatives environnementales » à laquelle j'appartiens couvre l'Europe, le Moyen-Orient, l'Inde et l'Afrique. Je possède une vingtaine d'années d'expérience sur le sujet environnemental. J'ai rejoint Apple en 2008. Mon expertise porte plus particulièrement sur l'économie circulaire. Je souhaiterais vous présenter les actions que nous menons pour répondre à l'objectif de cette proposition de loi.
Notre approche se veut holistique, globale et systémique. Elle répond notamment à trois grandes priorités. La première est la lutte contre le changement climatique. La seconde encourage l'innovation dans le domaine d'une chimie plus intelligente afin de garantir la sûreté de nos produits pour ceux qui les fabriquent et ceux qui les utilisent. La troisième vise la préservation de nos ressources terrestres grâce à l'économie circulaire.
La lutte contre le changement climatique, qui correspond au début de ce cheminement, comprend l'utilisation d'énergies renouvelables, la promotion de l'efficacité énergétique, dans nos produits comme dans nos processus, ainsi que l'investissement dans des projets visant à éliminer le carbone de l'atmosphère.
En la matière, nous avons accompli des progrès significatifs depuis plus d'une décennie. Ils ont jeté les bases d'un engagement ambitieux qui vise à atteindre la neutralité carbone d'ici à 2030 pour tout le cycle de vie du produit. Nous prenons ainsi vingt ans d'avance sur l'obligation faite aux entreprises par les accords de Paris.
Pour atteindre cet objectif, nous devrons mener un travail acharné et miser sur des innovations radicales. Nous n'avons toutefois pas le choix pour affronter la menace du changement climatique. Notre stratégie se concentre ainsi sur la réduction, autant que possible, de notre empreinte carbone globale, ainsi que sur la capture du carbone restant. Elle est basée sur cinq piliers :
- la conception à faible teneur en carbone, qui suppose le passage à des matériaux bas carbone et l'amélioration des processus de fabrication ;
- l'efficacité énergétique : l'énergie la plus propre est celle que nous n'utilisons pas. Il s'agit d'intégrer l'efficacité énergétique dans nos produits, via des chargeurs et des composants plus efficaces, des logiciels qui optimisent la gestion de l'énergie et maximisent le cycle de vie des batteries ;
- le passage à l'énergie renouvelable, qui concerne toutes nos opérations, mais aussi nos activités de production ;
- la réduction des émissions directes : dans le cas où la demande pour un procédé ou un matériau spécifique ne peut être réduite, nous évitons les émissions de gaz à effet de serre grâce à des solutions technologiques ou en passant à des combustibles à faible émission de carbone et toujours non fossiles ;
- la captation et l'élimination du carbone, notamment via les solutions fondées sur la nature et sur la protection des écosystèmes mondiaux.
Notre travail débute par une mesure détaillée de notre empreinte carbone globale. Sur l'exercice 2019, elle s'élevait à un plus de 25 millions de tonnes de CO2. Nos opérations, qu'elles concernent nos bureaux, nos magasins ou nos centres de données, sont déjà alimentées en énergie 100 % renouvelable depuis 2018, dans les 43 pays où nous sommes présents. 76 % de l'empreinte carbone est liée à la phase de fabrication, 14 % à la phase d'utilisation et 5 % seulement à la phase de transport.
Notre objectif vise à faire passer toute l'électricité utilisée dans notre chaîne d'approvisionnement à une énergie 100 % renouvelable d'ici à 2030. Un portail dédié nous permet de partager notre expérience et d'offrir des formations et des outils à nos fournisseurs qui souhaitent passer à l'énergie propre.
Nous avons déjà enregistré des progrès avec 8 gigawatts (GW) d'engagement dans notre chaîne d'approvisionnement contre 2,7 GW opérationnels en 2019. Parmi nos fournisseurs, 71 se sont déjà engagés à utiliser 100 % d'énergie renouvelable pour leur production à destination d'Apple. En France, tel est le cas d'Arkema, de Solvay et de STMicroelectronics ; en Asie, de Hon Hai (Foxconn), Pegatron et Wistron.
L'élimination du carbone constitue un autre domaine d'innovation. Depuis 2015, Apple protège et restaure des forêts, des zones humides, des mangroves et des prairies. Des programmes, aux États-Unis, en Chine, au Kenya et en Colombie, jouent un rôle clef pour compenser les émissions liées à la phase d'utilisation des produits. Depuis 2015, Apple a réduit son empreinte carbone de 35 %.
Nous sommes ainsi parvenus à découpler notre empreinte carbone de la croissance de nos produits. Nous avons également réduit la consommation énergétique moyenne de nos produits de 73 % depuis 2009. Je ne traiterai pas de la chimie intelligente. Elle ne constitue pas notre priorité pour l'audition d'aujourd'hui. Nous y reviendrons si vous le souhaitez.
Je traiterai à présent des ressources terrestres et de l'économie circulaire. Apple s'est assigné l'objectif de fabriquer un jour ses produits en utilisant uniquement des matériaux recyclés ou renouvelables. Pour y parvenir, nous devons transformer la chaîne d'approvisionnement traditionnelle.
Si elle demeure linéaire, de nouvelles matières premières sont continuellement extraites tandis que les éléments issus d'anciens produits ne sont pas toujours recyclés. Nous envisageons un avenir dans lequel nos appareils seraient fabriqués suivant un modèle d'approvisionnement circulaire afin d'éliminer notre dépendance à l'exploitation minière.
L'analyse de l'impact social et environnemental des 45 matières premières présentes dans nos produits nous a permis d'identifier 14 matériaux prioritaires, dont des terres rares. Ils représentent environ 90 % de la masse expédiée par Apple sur l'exercice 2019. Ce travail nous a permis d'accomplir des progrès considérables.
Le moteur haptique des iPhone 11 et 12 est ainsi conçu à partir de terres rares recyclées à 100 %. Il s'agit d'une première dans l'industrie des smartphones. Autre exemple, le MacBook Air 13 pouces à écran Retina recèle plus de 40 % de contenu recyclé, y compris son boîtier en aluminium. L'empreinte carbone de ce produit a ainsi déjà été réduite de près de 50 %.
Dès 2018, nous fabriquions nos emballages à partir de fibres de bois gérées de manière responsable. Cependant, comme nous ne voulions pas priver le monde de cette ressource, nous avons cherché à la protéger en souscrivant au principe d'additionnalité.
Nous nous sommes associés à The Conservation Fund pour acheter 15 000 hectares de forêt aux États-Unis et plus de 400 000 hectares en Chine. Nous avons ainsi créé un processus en circuit fermé pour le papier. Nous réinjectons autant de fibre de bois dans la chaîne d'approvisionnement mondial que nous en utilisons.
De même, nous employons aujourd'hui de l'étain recyclé à 100 % dans les soudures des cartes-mères de 23 produits. Le plastique a aussi pratiquement disparu de notre gamme et de nos emballages. Parmi 100 composants, 46 % de nos plastiques étaient recyclés en 2019. Nous cherchons donc à changer la façon dont notre industrie fonctionne en passant d'un mode linéaire à un mode circulaire.
La durabilité est tout aussi importante que l'utilisation de matériaux recyclés. Les appareils durables sont meilleurs pour la planète et représentent une décision intelligente pour nos clients. C'est pourquoi nous visons à créer des machines qui supportent l'usage quotidien et dont les besoins d'entretien et de réparation sont réduits.
Nos designs sont optimisés en fonction de cet objectif de durabilité. À cette fin, nos ingénieurs testent la fiabilité de nos appareils en leur faisant subir une chute, en les exposant à une chaleur ou un froid extrême, en les mettant en contact avec des liquides, etc. Apple conçoit donc ses produits pour durer en veillant à leur solidité, en les maintenant à jour et en offrant un service de réparation accessible.
La réparabilité n'est qu'une des nombreuses stratégies pour prolonger la vie d'une machine. La longévité des appareils doit être considérée de manière holistique. Cela étant, si un passage par le service après-vente (SAV) est nécessaire, les réparations les plus sûres sont celles qui utilisent des pièces d'origine et sont effectuées par un technicien formé et certifié.
Pour offrir aux clients plus d'options, Apple a également récemment lancé un programme IRP (Independent Repair Provider), qui donne la possibilité aux réparateurs indépendants d'accéder aux mêmes pièces, outils et formations que nos dépanneurs agréés. L'adhésion à ce programme est gratuite.
Notre approche garantit ainsi que nos appareils durent le plus longtemps possible et limite l'achat de nouveaux terminaux. Cependant, nous avons également développé des solutions pour récupérer les matériaux, notamment quand ils sont précieux, comme les terres rares, et nous assurer qu'ils peuvent être recyclés.
Nous disposons d'un programme de reprise dit Apple Trade In. Il vise à faire recirculer les appareils fonctionnels en prolongeant leur cycle de vie et à les recycler gratuitement s'ils sont définitivement en panne.
À cette fin, nous avons créé un robot dénommé Daisy. Il est destiné à nous aider à démonter les appareils et à récupérer les matériaux qu'ils contiennent. Il peut démanteler jusqu'à 1,2 million d'iPhones par an et peut automatiquement identifier quinze modèles différents.
Nous disposons de deux Daisy, l'un aux États-Unis et l'autre aux Pays-Bas. Le travail de ce robot permet à plus de matériaux de retourner sur le marché du recyclage avec un taux de pureté plus élevé. Nous récupérons ainsi le cobalt des batteries.
Cette année, un nouveau robot, dénommé Dave, est également entré en service. Il démonte le moteur haptique de l'iPhone pour mieux récupérer les terres rares, mais aussi le tungstène ou l'acier.
Nous réfléchissons également beaucoup à la manière dont nous utilisons la ressource en eau. La première étape consiste à comprendre comment et quand nous l'exploitons afin de prioriser nos efforts dans les domaines qui en ont le plus besoin. Cet effort suppose d'augmenter l'efficacité de nos activités, avec une utilisation accrue d'eau recyclée, mais aussi une collaboration renforcée avec nos fournisseurs.
Par exemple, pour notre centre de données de Prineville dans l'Oregon, nous avons construit un système de récupération et de stockage de l'eau de plus de 800 millions de litres.
Pour soutenir ces efforts, nous avons également émis un total de 4,7 milliards de dollars d'obligations vertes, dont 2,2 milliards seront alloués à l'atteinte de notre objectif climatique.
Apple aborde ainsi la question environnementale de façon holistique, globale et systémique. Elle est totalement engagée dans la lutte contre le changement climatique, ainsi que dans le développement d'une économie circulaire et plus durable. Je vous remercie d'avoir pris le temps de nous écouter et suis à votre disposition pour répondre à vos questions.
M. Jean-François Longeot, président. - Un rapport d'information, rédigé par notre ancienne collègue Marie-Christine Blandin, montre que les Français conservent par-devers eux près de 100 millions de téléphones mobiles usagés. Alors qu'environ 25 millions de portables sont vendus chaque année à nos concitoyens, quelle politique Apple envisage-t-elle de mettre en oeuvre pour inciter les consommateurs à rapporter ces smartphones en vue de leur recyclage ?
M. Clément Lelong. - Monsieur le sénateur, je vous remercie pour cette question. J'en profite pour vous rappeler que nous nous étions rencontrés, à la fin de l'année 2019, pour la présentation d'un rapport, coécrit avec l'AFNUM (Alliance Française des Industries du Numérique), qui présentait justement des pistes pour accroître la collecte des téléphones portables. Ce problème se pose à l'ensemble de notre industrie. Nous souhaitons récupérer davantage de mobiles en fin de vie.
Nous avons développé un programme, Apple Trade In, qui permet de faire reprendre son ancien appareil, en obtenant un crédit d'achat, ou de le faire recycler gratuitement. Nous encourageons évidemment cette démarche. Cela étant, il convient d'avoir plusieurs considérations présentes à l'esprit.
Premièrement, nos produits, du fait de leur design robuste, fiable et durable, durent longtemps. Ils conservent aussi une valeur supérieure à la concurrence pendant une durée plus longue. Ils ont ensuite jusqu'à quatre vies. Or, même quand ils arrivent en fin de vie, certains de leurs composants, qui ont de la valeur, sont récupérés par divers acteurs pour alimenter le marché de la réparation. Ainsi nos produits ne finissent-ils pas dans les systèmes de collecte classique.
Deuxièmement, nous sommes confrontés à un phénomène comportemental. Le consommateur manque d'information et d'éducation sur l'impact environnemental d'une non-restitution de son téléphone. Il convient donc de travailler sur la communication, mais aussi de rendre accessible la solution de retour du produit. Nous avons mis en place à cette fin un programme dans nos boutiques et par voie postale.
Troisièmement, l'utilisateur, encore plus chez Apple, éprouve un attachement émotionnel à l'égard de son matériel informatique, notamment son smartphone. Nos clients ne sont donc pas prêts à rendre leurs équipements sans une contrepartie. C'est pourquoi nous mettons en place des incitations qui ne sont pas seulement financières. Aucun acteur n'a réussi à résoudre cette problématique. Nous entendons toutefois y parvenir pour développer une économie circulaire.
M. Olivier Knoepffler, responsable des relations clients, Apple France. - Le SAV représente un élément clef du succès d'Apple aujourd'hui. Il est indispensable à l'amélioration continue des produits puisque nous sommes en relation très forte avec l'ingénierie. Notre objectif majeur vise à être au plus près des utilisateurs, à répondre à leurs questions et à résoudre rapidement leurs problèmes.
Nous suivons la satisfaction du client au quotidien pour progresser et adapter notre approche après-vente au marché local. Elle constitue un aspect fondamental de la fidélisation du public. Ma mission première consiste à coordonner au mieux le service et le support.
Concernant le service, nous nous appuyons aujourd'hui sur plus d'une centaine de centres de services de proximité. Ils sont situés dans toute la France, y compris dans les territoires ultramarins. Ils accueillent tous les consommateurs d'Apple, que leurs produits soient sous garantie ou hors garantie, avec ou sans rendez-vous.
Vous noterez que j'utilise le terme de services et non de réparation, car nos centres sont souvent bien plus qu'un centre de maintenance. Ils apportent une solution additionnelle en aidant les consommateurs à utiliser ces derniers. Nous nous appuyons souvent sur leurs connaissances et leurs compétences pour développer nos services.
Ce réseau de centres de services de proximité est soutenu par les petites et moyennes entreprises régionales. Nous disposons continuellement d'environ 1 000 techniciens Apple dans tout le pays. Par exemple, une société créée il y a une décennie, en Champagne-Ardenne, compte aujourd'hui une dizaine de centres : à Reims, Thionville, Versailles et dans les Hauts-de-France. Il en va de même dans le Sud-Ouest.
En complément de ce réseau, une trentaine de sites accueillent des sociétés, des opérateurs et des revendeurs afin de les aider à délivrer le service attendu pour les produits Apple. Ces grandes entreprises françaises sont notamment implantées dans le Pas-de-Calais et en Bretagne.
Comme le mentionnait Clément Lelong, nous avons lancé, cet été, un nouveau programme de service pour les réparateurs indépendants qui souhaitaient accéder à nos formations, nos outils et nos pièces détachées d'origine pour la réparation hors garantie.
La démarche est importante pour la sécurité des techniciens et des utilisateurs, spécialement pour lutter contre la contrefaçon. Plus d'une centaine d'entreprises françaises ont postulé à ce programme. Une trentaine sont déjà en activité ou sur le point de l'être. En plus de ces solutions de proximité, nos collègues des vingt magasins Apple nous permettent d'assurer un maximum de service.
Concernant le support, de nombreux conseillers français sont disponibles dans une multitude de centres d'appel. Deux sites sont situés en France : à Poitiers et à Valence. Ils filtrent les demandes des consommateurs en s'efforçant de les renseigner au mieux. Si le client a besoin d'une réparation, ils les orientent vers un centre de services de proximité.
En lien avec l'économie circulaire, toutes les pièces détachées qui sont échangées et réparées sont collectées par Apple et stockées dans nos entrepôts afin de prendre part au recyclage. Daisy et Dave, dont il était question précédemment, permettent de réparer des cartes-mères et des disques, de recycler des composants dans les batteries comme le cobalt.
En outre, nos centres de services et nos partenaires mettent à disposition des pièces détachées pendant cinq ans afin de conférer plus de durabilité à nos produits. Apple est, me semble-t-il, l'un des meilleurs de son industrie sur ce plan.
M. Jean-François Longeot, président. - Je vous remercie. Je cède la parole à nos deux co-rapporteurs, Guillaume Chevrollier et Jean-Michel Houllegatte.
M. Guillaume Chevrollier. - Les terminaux représentent environ 80 % de l'empreinte environnementale du numérique en France, dont 70 % pour la seule phase de fabrication. C'est pourquoi notre rapport propose de limiter leur renouvellement et leur obsolescence. Apple sait agir, en matière de marketing, pour susciter l'envie de nos concitoyens de renouveler leur matériel, spécialement leurs téléphones, et disposer des dernières technologies. Il convient toutefois d'évoquer également une obsolescence matérielle. Les usagers sont bien souvent contraints de renouveler leurs appareils en raison de pannes ou de performances dégradées.
Un délit d'obsolescence programmée a été créé en 2015. Il est puni de deux ans d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende. Il se définit par le recours à « des techniques par lesquelles un metteur sur le marché vise à réduire délibérément la durée de vie d'un produit pour en augmenter le taux de remplacement ». À ce jour, aucune condamnation n'a été prononcée sur ce fondement. Pourtant, de l'avis de plusieurs associations de protection de consommateurs, la pratique demeure largement répandue en raison du caractère peu dissuasif de la rédaction actuelle de cet article du code la consommation.
La difficulté consiste en effet à prouver l'intentionnalité de la réduction de la durée de vie du produit. C'est pourquoi nous considérons qu'une réécriture de cet article est indispensable. De nombreux acteurs partagent ce constat, notamment le Conseil national du numérique. Quel regard portez-vous sur cette proposition ? Une lutte renforcée contre l'obsolescence programmée n'est-elle pas de nature à donner un avantage comparatif aux fabricants les plus vertueux ?
L'obsolescence logicielle conduit quant à elle à un renouvellement accéléré des applications et systèmes d'exploitation susceptible de dégrader les performances des terminaux. Elle constitue en cela une forme d'obsolescence programmée poussant le consommateur à renouveler son smartphone ou son ordinateur pour pouvoir utiliser les dernières versions de logiciels. Plusieurs articles de notre proposition de loi visent à mieux lutter contre cette pratique, en dissociant notamment les mises à jour de sécurité, et à instaurer un droit à la réversibilité. Quelles sont vos réflexions et vos préconisations en la matière ?
M. Jean-Michel Houllegatte. - Nous ne condamnons pas le numérique. Nous sommes parfaitement conscients de ses externalités positives. Cependant, si rien n'est fait, sa part dans l'empreinte carbone de notre pays augmentera considérablement, parce que la quantité de données mobiles double tous les trois ans et que les terminaux se multiplient.
La durée de vie d'un smartphone s'établit en moyenne à 23 mois par utilisateur. Notre rapport ne propose pas de changer de modèle économique en passant d'une économie de la propriété à une économie de la fonctionnalité. Envisagez-vous une telle évolution de votre côté, c'est-à-dire le passage de l'achat à la location des terminaux ?
Vous avez évoqué une dimension « affective » liée à la propriété. Est-ce parce que le smartphone est un véritable « doudou » ou que les utilisateurs ont peur de ne pas récupérer les données présentes dans leur appareil ?
Notre rapport propose d'allonger le délai de garantie et de conformité de deux à cinq ans pour les terminaux numériques. Le Royaume-Uni et la Norvège appliquent déjà cette disposition. Qu'en pensez-vous ?
Vous avez aussi évoqué le trade-in. Quelle part de votre activité représente-t-il ? Comment entendez-vous inciter les consommateurs à rapporter leur matériel et stimuler le remploi ?
M. Clément Lelong. - Concernant l'empreinte environnementale des terminaux, tous nos produits, depuis plus de dix ans, disposent de fiches qui précisent cet impact. Elles sont disponibles sur notre site Internet.
Par exemple, l'empreinte carbone s'élève à 86 kg de CO2 pour le nouvel iPhone 12 Pro Max, à 70 kg de CO2 pour l'iPhone 12, à 174 kg de CO2 pour le MacBook Air Retina. Pour chaque phase de la vie du produit, nous menons une analyse très détaillée. Les données relatives à notre empreinte carbone sont revues, auditées et certifiées par le Fraunhofer Institute en Allemagne.
Comme je l'indiquais précédemment, la phase de fabrication présente un très fort impact puisqu'elle correspond à 76 % de notre empreinte carbone. Son élimination constitue une part importante de notre engagement pour 2030. Nous souhaitons aussi supprimer les émissions liées à la phase d'utilisation, d'où la problématique de la compensation.
Vous évoquiez une durée de vie moyenne de 23 mois pour un iPhone. La première vie d'un iPhone est plus longue. En outre, cet iPhone a une deuxième, puis une troisième vie. Pour mesurer l'impact environnemental total, il faut considérer les smartphones en général sur l'ensemble de cycle de vie du produit. La durée de vie d'un iPhone est bien supérieure aux chiffres que vous mentionnez.
M. Sébastien Gros. - Nous serions curieux de connaître l'organisme qui vous a communiqué ce chiffre de 23 mois. Nous savons d'expérience que cet élément est difficile à déterminer.
M. Jean-Michel Houllegatte. - Quelle est la durée de la garantie totale d'un produit ? Je pense notamment à un smartphone reconditionné.
M. Sébastien Gros. - La question est abordée dans la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (AGEC), sur laquelle nous travaillons actuellement. Je laisse Olivier Knoepffler vous répondre.
M. Olivier Knoepffler. - J'ignore quelles sont les dispositions au Royaume-Uni, où vous disiez que la garantie a été portée à cinq ans. Concernant nos produits, vous faites référence à des équipements « reconditionnés ». Ils sont donc manipulés par un industriel tiers qui les assortit lui-même d'une autre durée de garantie.
Le reconditionnement constitue pour nous un sujet annexe par rapport à la réparation. Afin de renforcer la réparabilité de nos produits, nous rendons les batteries disponibles pendant cinq ans, dans la mesure où cet élément est le plus actif et meurt le plus vite.
Nous nous efforçons aussi de maximiser l'accès des consommateurs à des interlocuteurs pour faire réparer leur matériel. Pour le moment, nous travaillons sur un cycle de cinq ans. Nous ne nous interdisons cependant rien en la matière.
M. Sébastien Gros. - Par ailleurs, les propositions que nous formulons sont exactement les mêmes que celles proposées par les rapporteurs du CGDD (Commissariat général au développement durable). Nous travaillons avec cette direction, ainsi qu'avec l'AFNUM et avec Syntec Numérique.
Un rapport doit être publié, à la fin de l'année prochaine, dans le cadre de la loi AGEC. Étant donné la complexité du sujet, il est compliqué de vous répondre, alors que ces discussions sont en cours. Vous avez pu prendre la mesure de notre engagement en la matière.
La question est celle de l'impact de cet engagement pour l'ensemble de la chaîne industrielle. Traiter du rapport entre le numérique et l'environnement suppose de parler d'écosystème. C'est pourquoi il est difficile de désigner un industriel ou un acteur spécifique comme étant responsable de l'ensemble de la chaîne de cet écosystème. Tel est notamment le cas pour le logiciel.
Concernant l'obsolescence programmée, elle constitue un délit, comme vous l'avez rappelé. À ma connaissance, aucun industriel ne l'a perpétré ni n'a l'intention de le commettre. Nous sommes assez étrangers à ce sujet. Les associations environnementales ont leur légitimité et jouent un rôle de lanceur d'alerte que nous respectons. Cela étant, quand elles mettent en exergue ce phénomène, elles ne s'appuient pas, concernant Apple, sur des réalités matérielles et industrielles correspondant à nos actions.
Permettez-moi d'insister sur ce point. L'obsolescence programmée n'existe pas chez Apple. En tant que membre de l'AFNUM, j'estime également qu'elle n'existe pas non plus, à ma connaissance, chez les autres industriels.
Quant à l'obsolescence logicielle, de quoi parlons-nous exactement ? Une étude démontre-t-elle la réalité de cette situation ? Je vous invite, comme le préconise le rapport de la loi AGEC, à solliciter un organisme qui puisse rassembler des éléments factuels. Il est nécessaire d'objectiver ces sujets complexes et sensibles.
Concernant Apple, nos logiciels sont intégrés. La durabilité du matériel en tant que terminal est en conséquence liée à la durabilité du programme. D'autres fabricants de téléphones utilisent en revanche un OS (Operating System) d'une autre marque.
Qui est dès lors responsable du fabricant ou de l'éditeur de logiciel ? L'interrogation ne concerne donc pas Apple. Cela étant, faire porter la responsabilité sur un seul acteur semble extrêmement compliqué. Encore une fois, il s'agit d'un écosystème avec un système d'exploitation, avec d'autres terminaux liés au téléphone, avec des applications publiées par des éditeurs tiers.
Prenons l'exemple d'un téléphone acheté en 2012. En 2020, chez Apple, il fonctionne toujours très bien. Cela étant, beaucoup d'innovations ont vu le jour dans l'intervalle. Ainsi, ce téléphone acquis en 2012 n'a pas les capacités matérielles de fonctionner demain avec la 5G.
S'agissant d'Apple, nous veillons à ce que nos utilisateurs puissent utiliser leurs smartphones le plus longtemps possible d'un point de vue matériel et logiciel. Nous procédons à des mises à jour dont nous détaillons le contenu et qui permettent normalement d'accéder à toutes les fonctionnalités natives ou tierces.
Mme Marta de Cidrac. - Vous avez indiqué travailler actuellement sur la loi AGEC. J'ignore si vous avez eu des entretiens avec nos homologues de l'Assemblée nationale. Pour ma part, en tant que rapporteur pour le Sénat, je n'ai pas eu le plaisir de vous rencontrer et suis toujours dans l'attente de réponses de la part de votre entreprise.
Vous mettiez également en question l'estimation de durée de vie d'un smartphone à 23 mois que fournit notre rapport. Pouvez-vous préciser votre propos ? Quand un appareil commence-t-il et cesse-t-il de vivre selon vous ?
À l'issue de nos réflexions, nous proposons aussi une TVA de 5,5 % pour les réparations. Qu'en pensez-vous ? Les terminaux d'Apple peuvent être réparés assez rapidement, mais le SAV est assez onéreux. Quelle est votre politique commerciale pour inciter à la réparation ?
M. Stéphane Demilly. - J'ai apprécié votre intervention sur les cinq piliers vertueux, notamment les mesures de compensation environnementale mises en oeuvre au Kenya. Cela étant, plus un acteur développe de mesures de compensation environnementale, plus il reconnaît implicitement avoir causé des dégâts environnementaux en amont. Vous avez mentionné un total de 25 millions de tonnes de CO2. Quel organisme a calculé ce montant ?
Un smartphone est composé de plus de soixante-dix matériaux différents et consommerait à lui seul environ 10 % de la production mondiale annuelle de cobalt. Or 50 % du cobalt, selon un récent rapport d'Amnesty International, vient du Congo-Kinshasa où 40 000 enfants travaillent dans les mines. Vous assurez-vous de l'absence de travail infantile dans vos chaînes d'approvisionnement ? En outre, monsieur Lelong, vous avez parlé de terres rares recyclées à 100 %. Je ne saisis pas votre propos.
M. Hervé Gillé. - Peut-on distinguer la production des usages ? Votre entreprise s'engage-t-elle sur l'évaluation de sa responsabilité sociétale ? Par exemple, une norme AFNOR permet d'évaluer l'impact sur les usages. Elle offre notamment un cadre méthodologique pour l'atteinte des objectifs de réduction de l'empreinte carbone. Avez-vous entrepris une telle démarche ?
Par ailleurs, vous avez très longuement détaillé vos efforts en matière de production. Souhaitez-vous également développer une approche didactique ou pédagogique pour essayer de limiter l'impact au niveau des usages ?
M. Éric Gold. - Monsieur Gros, votre société crée et commercialise des produits grand public. Pour près de 15 millions de nos compatriotes, on peut dire que la sobriété numérique est imposée dans la mesure où ils sont placés dans une situation d'illectronisme, c'est-à-dire qu'ils éprouvent des difficultés à utiliser ces outils numériques.
Pourtant le numérique est porteur de promesses d'inclusion, d'accroissement des connaissances, etc. L'impact environnemental ne peut ainsi être envisagé sans prendre en compte l'aspect social.
L'actuelle dématérialisation généralisée des services publics laisse à l'abandon bon nombre de nos concitoyens incapables de réaliser la moindre démarche en ligne. Comment intégrez-vous les difficultés des utilisateurs dans la conception de vos produits ?
M. Clément Lelong. - Concernant la durée de vie moyenne d'un smartphone, nous savons, grâce à des études internes et à différents organismes, qu'elle est bien supérieure à 23 mois pour la première vie d'un iPhone et même pour sa deuxième vie. Elle dure un peu plus du double.
Ce chiffre de 23 mois s'applique peut-être à nos compétiteurs, mais pas à Apple. Quoi qu'il en soit, on parle de la première vie et certainement pas de la seconde ni de la troisième vie qui arrivent après le reconditionnement.
L'allongement de la durée de vie des produits procède partiellement de la capacité à les réparer avec des services et des pièces de qualité. L'accès à ces prestations doit être facilité. C'est pourquoi, sans que je puisse faire état d'une position officielle, je ne pense pas qu'Apple s'opposerait à la réduction de la TVA sur ce genre de service.
S'agissant des limites de la compensation, notre objectif premier vise à éliminer nos émissions directes de carbone quand cela est possible, notamment par l'utilisation d'énergies renouvelables durant la phase de fabrication. Cela étant, nous ne contrôlons pas une partie du cycle de vie. Je veux parler de la phase d'utilisation.
Elle est ainsi beaucoup plus importante pour un utilisateur aux États-Unis que pour un utilisateur en France. Néanmoins, même dans notre pays, avec un parc nucléaire conséquent, la phase d'utilisation génère indéniablement des émissions de CO2. Or nous ne disposons pas de solutions pour éliminer ces émissions.
C'est à ce niveau qu'interviennent les projets de captation et de compensation. Ils ne constituent pas une solution miracle, mais permettent d'amoindrir l'impact en CO2 durant cette phase de vie du produit. Notre empreinte carbone globale s'élève à 25,1 millions de tonnes de CO2 sur l'exercice 2019.
Une équipe d'ingénieurs est dédiée à ce calcul pour l'entreprise et les produits. Nous privilégions les données primaires pour établir ces chiffres. Ils sont audités par le Fraunhofer Institute depuis une dizaine d'années. Cet organisme est l'un des consultants qui participent à l'élaboration du label Durabilité.
Concernant les terres rares recyclées à 100 %, la problématique tient au fait que les technologies de recyclage actuelles sont majoritairement basées sur le broyage. Elles ne sont donc pas suffisamment « fines » pour aller chercher des matériaux dans des quantités infimes, puisque nous utilisons de très faibles volumes de terres rares.
Nous sommes néanmoins conscients des problèmes environnementaux posés par leur extraction et leur raffinage. C'est pourquoi nous ne nous satisfaisons pas du statu quo et avons lancé, il y a plusieurs années, des projets de R&D pour développer notre propre technologie.
Apple assure du démantèlement et du recyclage. C'est la raison pour laquelle nous avons créé Daisy. Elle démonte de façon automatisée les iPhone pour cibler les composants qui contiennent les matériaux qui nous intéressent, dont les terres rares. Dave procède ensuite à leur prélèvement. Pour le moment, son travail porte uniquement sur le moteur haptique et les aimants.
Nous travaillons également avec des prestataires en aval pour procéder à de l'affinage sans dégrader la qualité des autres matériaux. Cette approche ultrafine nous permet d'arriver à des taux de pureté de 100 %.
100 % des terres rares que nous utilisons dans le moteur haptique sont issues des « boucles fermées » créées grâce au programme de reprise, au démontage automatique avec Daisy, au ciblage avec Dave et avec nos partenaires en Allemagne. Pour accomplir un travail sérieux, nous n'avons pas d'autres choix que de procéder matériau par matériau et substance par substance.
Cette démarche, engagée depuis une décennie, inclut également le cobalt. Ce métal pose des problèmes environnementaux, mais aussi sociaux dans la mesure où il est souvent extrait dans des zones de conflit. C'est pourquoi nous accordons la priorité au recyclage et entendons poursuivre dans cette approche.
Concernant Apple Trade In, ce programme correspond à une demande de nos clients. Il présente en outre un intérêt commercial dans la mesure où il permet aussi à nos produits d'être plus accessibles.
Ce programme est en mutation constante afin de déclencher chez les consommateurs le geste de retour de leur ancien terminal. En 2019, nous avons collecté près de 8 millions d'appareils. La tendance s'accélérait jusqu'à la crise du Covid-19 qui nous a malheureusement contraints à fermer beaucoup de magasins. Nous continuons à concentrer nos efforts sur ce point.
M. Olivier Knoepffler. - Je souhaite préciser que de nombreux partenaires français sont aussi associés au programme Apple Trade In. Concernant les pièces détachées, vous avez parlé, madame la sénatrice, de durabilité et de réparabilité. Comme l'a souligné Clément Lelong, nous avons pour objectif de créer des produits durables.
Nous sommes toutefois confrontés à des problèmes en matière de technologie et de design. Les dernières générations, qui sont étanches, présentent ainsi des difficultés particulières. Quoi qu'il en soit, il faut que les intervenants disposent d'une véritable connaissance du produit afin de sécuriser au maximum le consommateur lors de sa réparation. Concernant nos coûts, ils sont connus. Ils figurent sur l'Apple Store.
Nous vendons également des pièces à la centaine de partenaires que nous comptons en France. Ceux-ci décident ensuite de leurs propres tarifs. Ils varient en conséquence d'un endroit à l'autre. Il est difficile pour moi de les commenter. L'indice de réparabilité, dont l'affichage sera obligatoire l'année prochaine, montrera que nous sommes plutôt cohérents en la matière.
M. Sébastien Gros. - Concernant la TVA, monsieur le président, il ne nous revient pas de commenter un taux. Cela étant, nous ne sommes pas opposés dans le principe à cette mesure dès lors qu'elle constitue une incitation.
En réponse à Monsieur le sénateur Gold, qui nous interrogeait sur notre responsabilité sociale, je tiens à faire part de notre engagement sur ce point. En termes d'usage et de pédagogie, nous travaillons déjà avec les pouvoirs publics sur l'accès aux contenus illicites par les mineurs. La fonctionnalité « Temps d'écran », présente dans tous nos terminaux, permet à nos utilisateurs de contrôler leur usage. Nous avons été pionniers sur ce point.
Concernant la sensibilisation à la sobriété numérique, Apple est très investie dans les sujets relevant de l'éducation. Nous avons développé un partenariat avec Simplon. Nous avons mis en place des formations de quatre semaines gratuites pour apprendre à coder, pour se former à ces outils et mieux s'insérer socialement.
En ce qui concerne l'usage et l'inclusion, nous avons été auditionnés par vos collègues sénateurs durant le confinement. J'ai moi-même participé à ces rencontres. Chaque terminal produit par Apple dispose de fonctionnalités permettant à toute personne souffrant d'un handicap de l'utiliser normalement.
M. Clément Lelong. - En réponse à l'une de vos autres questions, Apple est membre de l'AFNOR et investie dans ses travaux de normalisation, notamment le groupe relatif à l'UF 111. Nous préférons néanmoins intervenir à un niveau géographique plus élevé, européen, voire international, afin que l'incidence de nos actions soit la plus forte possible.
Nous sommes conscients que nos produits consomment de l'énergie. C'est pourquoi nous travaillons à leur efficacité énergétique. La force d'Apple réside dans la combinaison d'une approche matérielle et logicielle. Un produit aura néanmoins toujours besoin d'énergie. C'est pourquoi nous oeuvrons à la compensation pour atteindre notre objectif de neutralité carbone en 2030.
M. Olivier Knoepffler. - Concernant le reconditionnement, il convient de distinguer quatre types d'acteurs.
Certains reconditionneurs reprennent les produits sur le sol français, les reconditionnent, les testent et les revendent en France. D'autres importent des produits de l'étranger, les reconditionnent sur le sol français et les revendent en France ou à l'étranger. D'autres importent des produits de l'étranger et les revendent directement en France ou à l'étranger. D'autres enfin, des sociétés françaises, récupèrent des produits en France, puis les réparent à l'étranger, pour les faire revenir en France.
C'est pourquoi le reconditionnement est assez complexe en matière d'économie circulaire. Il n'y a à ma connaissance qu'un acteur qui applique la démarche la plus vertueuse, c'est-à-dire récupérer les terminaux en France, les reconditionner en France, et les revendre en France. Dans le cadre de la réutilisation et du remploi, nous veillons à ce que nos produits présentent le minimum de rupture d'usage.
M. Ronan Dantec. - Vous évoquez un écosystème que vous ne maîtrisez pas et soumis à une logique concurrentielle. Compte tenu de l'importance d'Apple au plan international, votre groupe peut néanmoins peser. Quel est votre dialogue avec les autres acteurs majeurs de cet écosystème ?
Je pense notamment aux diffuseurs de vidéos dans la mesure où une grande partie des dépenses énergétiques sont liées à l'accroissement de la consommation en ce domaine. Quelle stratégie développez-vous pour limiter les flux numériques non essentiels ?
Vous avez évoqué le cobalt, mais pas le coltan. Or l'impact de l'extraction de ce minerai est terrible. Elle remet en cause l'entièreté de l'écosystème forestier du bassin du Congo et déstabilise la partie orientale de la République démocratique du Congo.
La totalité de vos produits sont-ils fabriqués avec du coltan certifié ? Quels sont vos processus de certification, sachant qu'une bonne part de la fabrication de vos terminaux se déroule en Chine ? Pouvez-vous nous fournir les mêmes renseignements qu'impose la loi Dodd-Frank aux États-Unis ?
Enfin, quand vous affirmez que vous utilisez de l'énergie renouvelable pour la production en Asie, contrôlez-vous les certifications ou vous en remettez-vous aux autorités locales, notamment chinoises ?
M. Joël Bigot. - Que pensez--vous de la politique d'Apple qui consiste à multiplier les adaptateurs sur ses nouveaux appareils, notamment ses ordinateurs portables ? Ces adaptateurs, par exemple pour brancher une simple clef USB, coûtent très cher et ne permettent pas une bonne compatibilité avec les produits de marques concurrentes.
C'est pourquoi j'envisage davantage ce que vous appelez « l'amour du produit » comme la fatalité d'être attaché à une marque. Je comprends votre souci de fidéliser une clientèle. Une politique environnementale volontariste ne devrait-elle pas cependant vous conduire à développer une offre plus universelle ?
Pourquoi Apple s'est-elle opposée à la mise en place d'un chargeur universel souhaitée par les élus européens, sachant que les chargeurs obsolètes représentent plus de 5 000 tonnes de déchets ? Il me semble important que les produits puissent circuler d'une marque à l'autre et bénéficier des mêmes fonctionnalités.
Comptez-vous par ailleurs engager une action particulière pour la fragilité de certains de vos appareils ? Je pense notamment à vos câbles qui se détériorent rapidement. Êtes-vous en outre en mesure de nous fournir un calendrier précis et chiffré de votre plan de décarbonation d'ici à 2030 ?
M. Didier Mandelli. - Il me semble que nous sommes victimes d'une confusion, depuis le début de cette audition, entre la durée de vie et la durée de possession. Je ne doute nullement des chiffres que vous évoquez concernant la durée de vie de vos produits qui durent effectivement très longtemps.
Étant producteur de services et de téléphones, Apple a cependant intérêt, sur le plan commercial, à vendre le maximum d'appareils. Or, dans le même temps, vous faites en sorte que les produits durent le plus longtemps possible. Entre les deux, l'innovation et le marketing poussent vos clients fidèles à changer en permanence ou régulièrement de téléphone. C'est pourquoi la limite de la possession est bien de 23 mois.
Permettez-moi d'évoquer un exemple personnel. J'ai été confronté à un problème de batterie. Ni un grand distributeur ni un opérateur téléphonique n'a été capable de me proposer une solution autre que le rachat d'un nouveau modèle. Au contraire, un réparateur indépendant m'a réparé mon téléphone en trente minutes pour 18 euros de batterie et 20 euros de main-d'oeuvre.
Vous ne pouvez donc pas vous dédouaner de cette logique d'innovation et de marketing qui nous entraîne vers cette folie consumériste.
M. Frédéric Marchand. - Considérant l'opposition actuelle de l'éditeur du jeu Fortnite à la « taxe Apple », mais aussi le déploiement de la 5G et le développement potentiel du « métaverse », je m'interroge sur la révolution de l'Internet à venir. Ainsi que le soulignait Didier Mandelli, l'attachement émotionnel aux produits fait que les consommateurs veulent toujours aller vers plus de progrès. Celui-ci a néanmoins un coût. Comment envisagez-vous la transition écologique dans ces circonstances ?
M. Jean Bacci. - Le début de votre propos était axé sur la lutte contre le changement climatique et sur la neutralité carbone pour 2030 avec l'amélioration du processus de production et le stockage de carbone.
Vous avez annoncé qu'Apple avait acheté 15 000 hectares de forêts. Comment sont-ils gérés ? Sont-ils destinés à produire du bois d'oeuvre ou uniquement à assurer une production de biomasse pour des usines de cogénération ? Dans ce second cas, le carbone repartira dans l'atmosphère. Vous aurez simplement déplacé le problème de quelques décennies.
M. Gilbert-Luc Devinaz. - Comment envisagez-vous l'évolution des ventes de smartphones dans les cinq ans à venir ? Quelles tendances sur le plan des dimensions et de la durée de vie de ces appareils constatez-vous en France ? Quelle est la stratégie d'Apple pour les jeux en ligne et pour l'introduction de la réalité virtuelle avec la 5G ?
M. Sébastien Gros. - Notre dialogue avec les autres acteurs de l'écosystème est constant. La chaîne d'approvisionnement travaille continuellement avec eux et soutient leurs efforts de réduction de leur empreinte environnementale.
Pour pouvoir entraîner ces partenaires dans notre démarche, nous devons en effet démontrer en interne la possibilité de gérer des opérations avec de l'énergie 100 % renouvelable à un coût acceptable.
Plus largement, nous travaillons avec l'ensemble des parties prenantes de nos associations professionnelles en France, en Europe et dans d'autres pays, mais aussi dans le cadre de groupes de travail. Tel a été le cas avec la loi AGEC, ces deux dernières années.
M. Ronan Dantec. - Cet écosystème des usages a-t-il aujourd'hui une stratégie de réduction des flux ?
M. Sébastien Gros. - Nous fabriquons des terminaux. Nous ne sommes pas des gestionnaires de flux. L'usage par les utilisateurs de leurs terminaux relève de leur responsabilité.
M. Ronan Dantec. - Apple ne produit pas que des terminaux, mais aussi des flux, par exemple avec Apple TV+.
M. Clément Lelong. - Les services que nous produisons, gérons et distribuons, tels que Facetime, iTunes ou Apple TV+ sont délivrés à partir de centres de données fournis à 100 % en énergie renouvelable depuis 2018.
M. Ronan Dantec. - Telle n'est pas la question. L'écosystème a-t-il une stratégie de réduction des flux de données ?
M. Sébastien Gros. - Le flux est à l'instigation de l'utilisateur.
M. Ronan Dantec. - Vous l'encouragez à consommer.
M. Sébastien Gros. - Nous mettons à disposition un service. Chacun est libre de l'utiliser comme bon lui semble. Des services sont proposés sur nos terminaux. Par ailleurs, des vidéos qui se lancent automatiquement sur les réseaux sociaux et sur un certain nombre d'applications ne sont pas de notre responsabilité.
C'est pourquoi je ne comprends pas la question consistant à nous demander si nous avons une stratégie pour réduire la consommation de vidéos sur Apple TV+. Nous ne pouvons pas contrôler le nombre de films qu'une personne serait autorisée à regarder.
En revanche, que vous meniez une réflexion sur les internautes qui « scrollent » en permanence et utilisent des réseaux sociaux sur lesquels des vidéos se lancent automatiquement, je l'entends. Comme fabricant, compte tenu des services que nous proposons, nous nous sentons ainsi moins concernés, monsieur le sénateur, par votre interrogation.
M. Jean-François Longeot, président. - Pour développer une coopération fructueuse, nous devons disposer des meilleures informations.
M. Sébastien Gros. - Nous sommes absolument d'accord. Apple est d'ailleurs membre du groupe de travail créé par l'Ademe sur la loi AGEC. Cela étant, l'efficacité suppose également de se fixer des priorités. En ce qui nous concerne, nous en avons défini trois, que je mentionnais précédemment.
Nous ne nions pas le problème potentiel de la phase d'utilisation, puisque nous avons mis en oeuvre une démarche de compensation pour y répondre, mais concentrons nos efforts sur le stade de la fabrication qui présente pour nous l'impact en CO2 et l'enjeu environnemental les plus importants. Nous répondrons plus précisément au sénateur Dantec par écrit.
M. Clément Lelong. - Une question portait sur l'origine des énergies renouvelables injectées dans nos centres de production et sur la certification. Nous avons tendance à privilégier le principe d'additionnalité, c'est-à-dire injecter une source d'énergie renouvelable dans le réseau.
C'est pourquoi nous allons développer ou codévelopper, d'un point de vue technologique et financier, des sources d'alimentation en énergie renouvelable. Il peut s'agir d'hydroélectrique, d'éolien, de piles à combustibles, de photovoltaïque, etc.
Nous encourageons nos partenaires dans la chaîne d'approvisionnement par l'intermédiaire d'un système et d'un portail dédiés pour former nos prestataires et les aider à accomplir ce genre de travail.
M. Olivier Knoepffler. - Monsieur le sénateur Mandelli, je ne peux pas commenter la dimension marketing à laquelle vous faisiez référence ni l'expérience que vous avez eue chez certains revendeurs ou opérateurs. En revanche, si je suis satisfait, de prime abord, que vous ayez pu faire réparer votre terminal, je dois souligner que j'ai été confronté, au cours des dix dernières années, à beaucoup de problèmes liés aux batteries.
La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) pourrait attester du fait que les produits de contrefaçon ou mal finis sont nombreux. J'ai assisté à des drames provoqués par ces dysfonctionnements. C'est pourquoi nous nous engageons à mettre à disposition des réparateurs indépendants des batteries d'origine pour sécuriser les réparateurs et les consommateurs.
M. Didier Mandelli. - Ma question n'avait rien de technique. Je voulais simplement décrire une dualité ou une ambivalence. Autant vos produits voient leur durée s'allonger au plan technique, autant ils sont utilisés le moins longtemps possible pour passer à une autre génération.
M. Sébastien Gros. - Pemettez-moi de dissiper une confusion. Vous parlez de changement de matériel, alors que nos terminaux sont durables. Nous voulons tout simplement offrir la meilleure expérience possible à nos clients. Vous nous faites le procès d'intention de pousser à un renouvellement permanent, mais Apple n'est pas un opérateur. Tel n'est nullement notre état d'esprit.
M. Joël Bigot. - Qu'en est-il du chargeur universel ?
M. Sébastien Gros. - Une norme a été décidée à l'échelon européen, avec laquelle Apple sera en conformité. Il y a une quinzaine ou une vingtaine d'années, nous étions confrontés à une multiplication des types de chargeurs en raison de terminaux très différents. La question environnementale était donc à l'époque tout à fait justifiée.
Il existe aujourd'hui trois types de chargeurs différents. En avoir un seul pour tous les terminaux poserait aussi un problème en matière d'innovation. Telle était l'origine de l'inquiétude que nous avions exprimée à l'époque où cette question était en débat.
M. Clément Lelong. - Dans la mesure où nos clients possèdent déjà un ou plusieurs chargeurs et où nous cherchons à réduire notre empreinte carbone, nous avons en outre pris la décision de supprimer les chargeurs à partir de maintenant. Cette mesure permettra d'éliminer une quantité importante de carbone, soit l'équivalent de 450 000 véhicules par an.
Cette considération m'amène à évoquer notre objectif de neutralité carbone pour 2030. Il est déjà chiffré. Tous les ans, nous établissons un rapport d'état sur notre activité, que nous publions en avril ou en mai. Vous pouvez ainsi régulièrement suivre nos progrès depuis dix ans maintenant. Nous procédons de la manière la plus transparente qui soit.
M. Frédéric Marchand. - Pourrez-vous nous apporter des précisions sur la manière dont vous entrevoyez l'incidence du « métaverse » ?
M. Sébastien Gros. - Je ne dispose pas de ces éléments d'information. Nous nous tenons cependant à votre disposition.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de Mme Floriane Fay et de Thibault Guiroy, responsables des relations institutionnelles et politiques publiques de Google France
M. Jean-François Longeot, président. - Nous recevons à présent Mme Floriane Fay et M. Thibault Guiroy, responsables des relations institutionnelles et politiques publiques de Google France. Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation.
Depuis le lancement de son moteur de recherche en 1999, l'empire Google s'est largement étendu au sein de la galaxie numérique : services de messagerie (Gmail), de cloud computing (Google Drive), de géolocalisation (Google Maps), systèmes d'exploitation (Android, Chrome OS), etc. Il nous semblait donc naturel d'échanger avec vous sur l'impact environnemental du numérique de vos activités. Quelles sont les actions engagées ou envisagées par Google pour « verdir » ses activités ?
Mme Floriane Fay, responsable des relations institutionnelles, Google France. - Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je vous remercie. Je suis effectivement responsable des relations institutionnelles, plus particulièrement chargée des sujets liés à la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), notamment la formation numérique, la culture et le développement durable. Je vous remercie de nous entendre dans le cadre des travaux que votre commission a entamés depuis de longs mois sur l'impact environnemental du numérique.
L'environnement est un sujet au coeur des préoccupations de Google depuis ses débuts. Je présenterai nos actions en la matière suivant trois axes : l'élimination du carbone dans nos approvisionnements en énergie ; l'utilisation de la technologie comme externalité positive pour améliorer notre efficacité énergétique et celle de nos partenaires ; le partage d'information concernant nos services et nos outils pour sensibiliser les citoyens, les professionnels et les collectivités à cette problématique.
Concernant l'élimination du carbone, Google affiche un bilan neutre depuis 2007. Elle a été la première grande entreprise à atteindre cet objectif. Nous avons récemment annoncé que nous allions désormais effacer la totalité de notre héritage carbone depuis la création de Google en 1998, au travers de l'achat de crédits carbone de haute qualité. Depuis 2017, nous sommes le plus grand acheteur privé d'énergies renouvelables au monde.
Nous sommes ainsi parvenus, au cours des trois dernières années, à acheter une quantité d'énergie propre correspondant à 100 % de notre consommation mondiale d'électricité. Enfin, le mois passé, nous avons annoncé que nous souhaitions utiliser 100 % d'énergie décarbonée, d'ici à 2030, pour l'ensemble de nos centres de données (data centers) et de nos bureaux. Cette démarche est bien plus ambitieuse que la simple compensation. Il s'agit de supprimer intégralement le carbone de nos approvisionnements énergétiques nécessaires au bon fonctionnement de nos data centers et de nos bureaux.
Par exemple, nous déplacerons les opérations de calcul de nos data centers, qui sont lourdes, mais non urgentes, à des moments de la journée où ces énergies éoliennes ou solaires sont disponibles en abondance. Cette démarche concernera aussi bien notre moteur de recherche, que la messagerie Gmail, la plateforme de vidéo YouTube, les systèmes d'exploitation Android, le navigateur Chrome ou la cartographie Google Earth. Le numérique est également un vecteur d'innovation qui doit permettre d'améliorer l'efficacité énergétique de nombreuses activités et industries.
Au-delà de nos achats en énergie propre, nous sommes fiers de pouvoir considérer que les centres de données de Google sont deux fois plus éco-énergétiques que les centres de données classiques. Nos centres de données sont ainsi capables de fournir aujourd'hui environ sept fois plus de puissance de calcul avec la même énergie qu'il y a cinq ans. Une grande partie de cette amélioration provient d'innovations avec des accélérateurs tels que nos unités de traitement TPU (Tensor Processing Unit), des puces informatiques très efficaces conçues spécifiquement pour des applications de machine learning.
C'est grâce à cet apprentissage automatique que nous avons réussi à réduire de 30 % la consommation en énergie nécessaire au refroidissement de nos centres de données. Cette technologie peut aujourd'hui être mise à disposition d'autres industries. Nous avons ainsi noué un partenariat avec Renault. Il nous permet, dans le cadre de Google Cloud, de faire bénéficier à ce constructeur automobile de notre expérience en smart analytics, en machine learning et en intelligence artificielle. Cela lui permettra d'améliorer notamment l'efficacité de sa chaîne d'approvisionnement, de la qualité de sa production et de réduire son impact environnemental par des économies d'énergie.
D'autres exemples de collaboration existent avec de grands acteurs de la distribution au sujet de la réduction du gaspillage alimentaire ou encore avec des centres commerciaux en matière de gestion de leur climatisation. Enfin, comme le mettent en avant le rapport de la mission sur l'empreinte environnementale du numérique, mais aussi la proposition de loi déposée la semaine dernière, l'information et la sensibilisation aux sujets liés à l'environnement sont clefs si nous voulons réussir à lutter efficacement contre le réchauffement climatique.
Concernant les terminaux conçus par Google, nous publions des rapports sur l'impact énergétique de chacun de nos produits. Ils sont disponibles sur le site sustainability.google. Ces rapports visent à faire état de l'impact environnemental d'un terminal tout au long de son cycle de vie, mais également de son efficacité énergétique, ainsi que des matériaux utilisés pour le produire. Ils mettent donc en avant une estimation, par exemple des émissions de gaz à effet de serre aux différents stades de la production, du transport, de l'usage et du recyclage d'un téléphone. Pour un smartphone, 70 à 80 % des émissions de gaz à effet de serre interviennent au moment de la production.
Google a aussi mis en place des outils pour aider les internautes et ses utilisateurs à utiliser la technologie de manière plus responsable. Ils sont disponibles sur le site wellbeing.google. Ils incluent des solutions comme limiter le temps passé quotidiennement sur son smartphone ou des rappels pour ne pas utiliser certaines applications trop longtemps. Grâce aux ateliers numériques de Google, nous proposons des formations gratuites d'initiation au bien-être en ligne qui expliquent comment s'assurer que la technologie améliore nos vies et ne détourne pas notre attention de l'essentiel.
Le 18 septembre, vous nous avez fait l'honneur, monsieur le rapporteur Houllegatte, de venir présenter les conclusions du rapport publié par la mission d'information en introduction d'une journée spéciale que nous organisions au sujet de l'écoconception des services Web. Des tables rondes et des ateliers ont ensuite été animés par des partenaires tels que la CCI du Rhône, Digital League (un cluster d'entreprises à Saint-Étienne), DOING ou PriceComparator.
Nous avons aussi organisé l'année dernière une tournée qui s'est rendue dans vingt villes de France à la rencontre des citoyens afin de les sensibiliser aux enjeux de la sécurité sur Internet, mais également d'une utilisation responsable des outils. À cette occasion, nous avons rencontré plus de 20 000 personnes. Enfin, avec l'Environmental Insights Explorer, Google a développé un outil qui permet aujourd'hui à 125 villes et collectivités à travers le monde, et demain à plus de 3 000 d'entre elles, dont une centaine en France, de suivre les émissions de carbone sur leur territoire et de maximiser la consommation d'énergie renouvelable. Nous sommes à votre disposition pour répondre à vos questions.
M. Jean-Michel Houllegatte. - L'impact environnemental des centres de données constituait l'un des axes du rapport de notre mission d'information de juin dernier. D'après l'étude que nous avions commandée, les data centers représentaient 14 % de l'empreinte carbone du numérique en France en 2019. Soutenue par l'accroissement considérable des usages, elle pourrait connaître une hausse conséquente de plus de 80 % d'ici à 2040.
Selon les informations que vous avez publiées, Google est détenteur de 21 sites dans le monde répartis dans dix pays. Vous avez choisi le modèle d'hyper data centers. Ceux sollicités pour les usages français sont exclusivement situés à l'étranger, aux États-Unis, mais aussi en Irlande et aux Pays-Bas.
L'efficacité énergétique de ces centres informatiques est dix fois plus grande que celles des structures classiques installées sur notre territoire national. Dans un rapport de 2017, Greenpeace vous a décerné un satisfecit en soulignant votre recours important aux énergies renouvelables pour alimenter ces serveurs. On ne peut que s'en féliciter.
Notre étude rappelle néanmoins que les gains d'efficacité énergétique de ces hyper data centers devraient ralentir après plusieurs années d'importants progrès qui ne permettent pas de compenser l'accroissement exponentiel des usages. En outre, Bloomberg a récemment mis en exergue le problème de la consommation en eau de vos centres de données. Elle s'élèverait à 8,7 milliards de litres dans les trois États où ils sont présents aux États-Unis. Des actions sont-elles entreprises pour surmonter cette difficulté ?
Par ailleurs, j'ai cru comprendre que Google projetait d'installer son premier data center en France. Quels sont les éléments d'attractivité de notre pays ? Notre rapport souligne que ces centres sont susceptibles de jouer un rôle intéressant dans les systèmes énergétiques locaux pour stocker de la chaleur et la restituer. Sur ce point, notre rapport propose de conditionner la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE) à des performances environnementales. Qu'en pensez-vous ?
M. Guillaume Chevrollier. - Le streaming vidéo représentait 60 % du trafic Internet mondial en 2019. YouTube, propriété de Google, correspond à 17 % de ces flux en France. Cette consommation de vidéos donne lieu à une augmentation des gaz à effet de serre et sollicite également les réseaux mobiles avec une hausse exponentielle du trafic de données. Un meilleur encadrement des usages vidéo se présente en conséquence comme une nécessité environnementale.
Notre proposition de loi se propose de contraindre les acteurs du streaming à adapter la qualité de la vidéo à la résolution maximale du terminal utilisé. Quel regard portez-vous sur cette proposition ? Comment YouTube peut-il s'engager dans un modèle plus vertueux ?
Je souhaite également évoquer la problématique des designs trompeurs ou dark patterns. Destinés à manipuler l'internaute, ils sont dénoncés par un ancien ingénieur de votre groupe, Tristan Harris. Notre mission estime qu'une meilleure transparence devrait être faite sur les stratégies cognitives utilisées par les plus grandes plateformes. Notre projet de loi prévoit d'intégrer cette problématique à la déclaration de RSE des entreprises du numérique. Comment accueillez-vous ces critiques et cette proposition ?
Je voudrais enfin vous interroger sur l'incidence des usages émergents, notamment le cloud gaming. Google ayant récemment lancé Stadia, sa plateforme de jeux vidéo à la demande, avez-vous procédé à une évaluation de l'impact de cette nouvelle pratique ? Des gains environnementaux pourraient être réalisés sur des terminaux, avec un basculement de la puissance de calcul vers les centres de données. Le nombre de joueurs pourrait toutefois s'accroître, ceux-ci n'ayant plus besoin de faire l'acquisition d'une console. Ne risquons-nous pas d'être confrontés à un effet rebond ? Comment entendez-vous le contrer ?
Mme Floriane Fay. - Concernant l'efficacité énergétique des data centers, monsieur Houllegate, vous avez mentionné une étude française. À l'échelon international, nous nous basons généralement sur une recherche publiée, en février, dans la revue Science.
« Plusieurs analyses souvent citées, mais simplistes, affirment », indique-t-elle, « que l'énergie utilisée par les centres de données mondiaux a doublé au cours de la dernière décennie et que leur consommation d'énergie triplera, voire quadruplera au cours de la prochaine décennie.
De telles estimations contribuent à une idée reçue selon laquelle, à mesure que la demande de services de centres de données augmente rapidement, leur utilisation mondiale de l'énergie doit également augmenter. [...]
Mais de telles extrapolations, fondées sur les récents indicateurs de croissance de la demande de services, négligent les fortes tendances compensatoires en matière d'efficacité énergétique qui se sont produites en parallèle. »
C'est ce que j'évoquais en faisant référence à l'utilisation du machine learning et de l'intelligence artificielle dans le cadre des efforts que nous déployons pour renforcer l'efficacité énergétique de nos data centers.
L'étude en question montre qu'en 2018, l'ensemble des centres de données dans le monde représentait seulement environ 1 % de la consommation mondiale d'électricité, soit la même proportion de consommation d'électricité qu'en 2010, alors que la quantité de calcul a augmenté dans l'intervalle d'à peu près 550 %.
Les gestionnaires de data centers redoublent ainsi d'efforts pour s'inscrire dans une tendance compensatrice d'efficacité énergétique. En cinq ans, dans nos propres centres, nous avons multiplié la puissance de calcul par sept, alors que notre consommation d'énergie est restée stable.
Ces progrès s'amenuiseront-ils dans les années à venir ? Je ne suis pas ingénieur. Une telle évolution n'irait toutefois pas dans le sens des annonces faites par Google, le mois dernier, puisque nous comptons ne plus consommer d'énergie non renouvelable d'ici à 2030.
Concernant la consommation d'eau des data centers, je propose de revenir vers vous ultérieurement après avoir consulté nos experts sur le sujet.
À propos de l'attractivité de notre pays pour l'installation de centres de données, je comprends que vous avez pris connaissance du déploiement d'une région France pour Google Cloud. Il correspondra à l'ouverture de trois data centers sur notre territoire d'ici à 2022. Ceux-ci respecteront les mêmes normes d'écoconception et de consommation d'énergie que nos autres sites dans le monde.
M. Thibault Guiroy, responsable des relations institutionnelles, Google France. - Si je ne m'abuse, vos questions concernant YouTube font référence aux articles 18 et 19 de votre proposition de loi.
La qualité de lecture des vidéos constitue effectivement un point fondamental. Pour offrir aux utilisateurs une expérience de visionnage optimale sur la plateforme, nous ajustons en permanence la qualité du flux vidéo en fonction de plusieurs critères. Nous prenons notamment en considération le débit de la connexion à Internet, la taille du lecteur vidéo ou de l'écran, la qualité de la vidéo originale. Ainsi la lecture sur smartphone d'une vidéo présente sur YouTube ne s'effectuera jamais en 4K.
Concernant la lecture automatique de vidéos, nous estimons que cette fonctionnalité peut être extrêmement utile, notamment pour les personnes qui utilisent YouTube comme une plateforme d'écoute de musique.
Nous faisons preuve de transparence. Il y a quelque mois, nous avons mis en ligne une page intitulée « How YouTube works ? ». Elle décrit notamment les éléments pris en considération pour l'affichage de recommandations, tels que l'historique de recherche et de visionnage, le pays, la langue, l'heure de la journée. Ces données sont évidemment accessibles et peuvent être supprimées.
Dans certains cas, notamment lorsque vous êtes connecté à un réseau mobile et que vous êtes inactif sur votre smartphone depuis plus de trente minutes, la lecture automatique de vidéos est désactivée par défaut. Si vous êtes sur le Wi-fi, la lecture automatique cessera en revanche au bout de quatre heures. Elle est évidemment désactivable à tout moment.
Concernant les recommandations de YouTube, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) avait rendu un rapport extrêmement précis sur nos algorithmes. À ce propos, j'estime que, dans le cadre de la transposition de la directive sur les vidéos et des articles 18 et 19 de votre proposition de loi, le CSA pourrait jouer ce rôle de contrôle en remplacement de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep).
Pour ce qui est des dark patterns, nous prenons cette question extrêmement au sérieux. L'application mobile YouTube propose d'ailleurs plusieurs fonctionnalités, notamment le suivi du temps passé sur le terminal, la possibilité de faire une pause programmée, pour aider chacun à développer son propre bien-être numérique. Le même système de gestion et de déconnexion est présent sur Android.
Les notifications push des chaînes YouTube peuvent également être désactivées ou groupées. Les vidéos sur l'application mobile s'arrêtent également quand vous utilisez un autre logiciel. Nos produits proposent aussi des fonctionnalités classiques telles que la désactivation des sons et des notifications. L'utilisateur est ainsi totalement maître de ses horaires.
Mme Floriane Fay. - Une autre de vos questions portait sur le cloud gaming. Stadia sera accessible, il convient de le souligner, à partir de terminaux que les utilisateurs possèdent déjà, plutôt que de les inciter à l'achat. Néanmoins, pour jouer sur un écran de télévision, il sera nécessaire d'acquérir une manette. Un rapport sur l'impact environnemental de cette dernière est disponible sur notre site.
Concernant votre interrogation au sujet de l'effet rebond qui pourrait être lié à Stadia, en toute transparence, j'ignore si nous avons estimé l'augmentation de la consommation de données que pourrait générer ce nouveau service. Cela étant, compte tenu des études et des calculs que je mentionnais précédemment, nous ferons toujours en sorte que l'efficience énergétique de nos centres de données reste optimale.
À propos de YouTube, dans le même esprit, nous publions déjà un transparency report. Il permet de constater que les pics de consommation interviennent vers 16 heures en semaine et sont plus étalés au cours du week-end. Il en ira probablement de même avec Stadia. Dans tous les cas, nous ferons en sorte que l'impact énergétique de cette consommation de données soit minimisé jusqu'à aboutir à une consommation 100 % décarbonée en 2030.
M. Jean-François Longeot, président. - Je vous remercie pour cette contribution. Nous attendons vos compléments d'information par écrit.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est ouverte à 12 h 30.