Mardi 7 juillet 2020
- Présidence de M. Arnaud Bazin, président -
La réunion est ouverte à 14 heures.
Audition de représentants de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF), de l'Association des communautés de France (AdCF) et de France Urbaine
M. Arnaud Bazin, président. - Nous recevons aujourd'hui des représentants de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF), de l'Association des communautés de France (AdCF) et de France Urbaine. Nous souhaitons connaître leur sentiment général sur les relations entre les départements et le bloc communal et entendre les messages qu'ils souhaiteraient nous faire passer, avant un échange plus direct.
Je précise que certains membres de la mission d'information assistent à cette audition en visioconférence.
Mme Cécile Cukierman, rapporteure. - Il peut paraître surprenant, dans le cadre d'une mission d'information sur les départements dans les régions fusionnées, d'interroger des représentants du bloc communal. C'est pourtant une évidence au regard des relations que vous entretenez avec les départements et les régions.
Par la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), les départements se sont vu reconnaître la compétence de solidarité territoriale, qui se caractérise notamment par un important rôle de soutien financier, mais aussi technique, au bloc communal.
Les communes, intercommunalités et départements ont également en partage certaines compétences comme le sport, le tourisme ou la culture. Dans le domaine de l'action sociale, où le département est chef de file, le bloc communal conserve un rôle très important via les centres communaux et intercommunaux d'action sociale. Dans ces différents domaines, la coordination de l'action publique locale vous semble-t-elle satisfaisante ?
Dans les régions fusionnées, au périmètre géographique souvent très large, les réformes récentes ont-elles modifié les relations de vos adhérents avec les départements et les régions dans la mise en oeuvre des politiques publiques au service des populations ? Lors de notre audition de représentants de l'Assemblée des départements de France (ADF), il a beaucoup été question du lien entre les départements, les intercommunalités et les communes.
Une partie des compétences des départements ont été absorbées ou pourraient l'être par les métropoles. Quel rôle conserve alors le département pour assurer l'équilibre entre la métropole et son arrière-pays ?
Cette mission d'information a été mise sur pied avant la crise sanitaire et la crise économique et sociale qui en découle. L'objectif demeure le même, mais nous prenons en compte ce nouveau contexte en examinant le rôle des différentes collectivités territoriales pour répondre à l'urgence de la crise et aux défis de demain.
M. Gilles Pirman, maire de Saint-Clément, membre du Comité directeur de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF). - Le lien entre l'entité départementale et le bloc communal est puissant, productif, efficient et consacré par le désir de proximité que nos concitoyens expriment.
La collectivité départementale a joué un rôle de bouclier social dont il faut tenir compte dans le contexte que vous avez décrit, Madame la rapporteure, et dans celui qui nous attend. Nous y sommes attachés. Dans le cadre de la crise sanitaire, les départements, qui se sont découverts acheteurs de masques ou d'équipements sanitaires et qui sont amenés aujourd'hui, quel que soit le fondement juridique, à soutenir une économie malmenée, ont joué et continuent de jouer un rôle très important. La covid-19 n'est pas un prétexte : elle est, au contraire, un contexte qui éclaire la nécessité du département à l'échelle locale, entre la région et le bloc communal.
M. Laurent Trogrlic, vice-président de l'Association des communautés de France (AdCF) et président de la communauté du Bassin de Pompey (Grand Est). - L'AdCF a beaucoup réfléchi à la position de l'intercommunalité vis-à-vis des départements. Les départements, dans le cadre de leurs compétences en matière de solidarité territoriale, travaillent régulièrement avec les communes et les intercommunalités. Malgré des discordances entre le périmètre des cantons et celui des intercommunalités, les relations sont de plus en plus resserrées, en particulier pour l'organisation des services de proximité. Les départements ont dû s'adapter à la nouvelle organisation territoriale.
Depuis la mise en place de grandes régions, le département joue un rôle d'intermédiaire entre les intercommunalités et les régions. Ce contexte lui a redonné un rôle de proximité. Il convient de continuer à travailler sur cette articulation, par exemple pour ce qui concerne l'accompagnement ingénierie.
M. Olivier Landel, délégué général de France Urbaine. - France Urbaine regroupe les maires des plus grandes villes ainsi que les présidents des métropoles, des communautés urbaines et des grandes agglomérations, dont nous attendons l'élection. La période est donc particulière.
Quelques maîtres mots nourrissent la réflexion des élus membres de France Urbaine, au premier rang desquels se trouvent l'autonomie, la responsabilité et le dialogue. Les élus des grandes villes cherchent à être responsables devant leurs électeurs ; ils cherchent également à être autonomes, y compris financièrement, et dans le dialogue permanent avec le reste du territoire. Le concept d'alliance des territoires a été beaucoup développé au sein de France Urbaine, non seulement de façon théorique, mais aussi de façon pratique et pragmatique.
Un autre maître mot, c'est la différenciation. Nous attendons avec impatience que ce terme trouve sa traduction dans la réalité institutionnelle. Le rapport au département est évidemment très différent d'un territoire à l'autre : il n'est pas le même selon que le département compte des grandes villes avec une forte densité, une métropole, une communauté urbaine ou qu'on y trouve que des villes moyennes ou petites.
Lorsque l'on parle de différenciation, on parle de renforcement des départements là où la densité est moins importante et d'une meilleure collaboration avec les grandes villes et agglomérations là où la densité est plus importante. Nous avons formulé des propositions en ce sens.
Nous avons le sentiment que, aujourd'hui, autour des grandes villes, le département s'occupe plus du rural que de la ville. Lorsque la ville entend réaliser une alliance des territoires et instaurer une synergie avec le département, celui-ci entre parfois dans une concurrence qui ne nous paraît pas saine. Nous plaidons pour ce que nous appelons des projets partagés et de la contractualisation entre les différentes échelles territoriales au service des habitants, dépassant les frontières administratives des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI).
Mme Cécile Cukierman, rapporteure. - Il serait bon que nous ayons des exemples précis, qui s'appuieraient sur votre connaissance locale, pour nourrir notre réflexion.
La question de l'exercice par le département de sa mission d'assistance financière et technique au bloc communal se pose de façon plus aiguë dans les grandes régions fusionnées. Quelle appréciation portez-vous sur la mise en oeuvre effective de cette mission ? Quelles relations se sont-elles nouées dans les grandes régions fusionnées, où des regroupements ont eu lieu entre des territoires sans histoire ni identité communes ? Comment se développent les coopérations, les politiques partenariales ?
Vous avez évoqué la question des compétences des métropoles et leur articulation avec celles des départements. Le modèle lyonnais n'est pas forcément à reproduire partout. Nous sentons bien que le chevauchement entre des compétences exercées par la métropole, le département et la région peut se révéler compliqué. Quelles pistes de réflexion envisager pour que les politiques publiques gagnent en efficacité ?
M. Gilles Pirman. - Les départements se sont lancés dans l'ingénierie de manière assez massive, le périmètre de leur action étant d'ailleurs assez variable. Ils ont très souvent commencé par les routes, aujourd'hui on assiste à une mobilisation des cols blancs et cette coopération avec les communes semble de plus en plus fructueuse. Elle s'est étendue à une multitude de domaines, de l'urbanisme à l'aménagement. Elle vient compenser la disparition des aides techniques dispensées par l'État.
Se pose toutefois aujourd'hui la question de la capacité à financer les projets. L'État a mis en place son agence d'ingénierie, l'Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT), mais on peut avoir des inquiétudes sur la capacité de l'État déconcentré à porter les projets dans les territoires. Un ingénieur ne suffit pas pour porter un projet, il faut des financements. Or les pratiques observées aujourd'hui dans les préfectures conduisent à s'interroger sur le devenir des modalités d'attribution de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) par exemple, ou de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL). Sans ingénierie financière, le portage de projet est un peu compromis. J'ajoute qu'un certain nombre de conseils départementaux ont leur propre dispositif contractuel d'appui aux communes.
Enfin, se pose la question de la congruence entre les dispositifs de l'État et ceux du département, de la capacité à financer mieux, à financer vite et à faire preuve d'équité à l'échelon local.
M. Arnaud Bazin, président. - Comment a évolué, au cours des dernières années, la capacité des départements à soutenir en termes d'investissements les communes et les communautés de communes ou d'agglomération ?
M. Gilles Pirman. - L'approche est différente selon la nature du territoire. On n'aide pas de la même façon un territoire urbain et un territoire rural. Aujourd'hui, les départements peuvent intervenir auprès des communes dans une logique de développement ou pour le portage technique d'un projet. Cette action des départements est à saluer.
M. Olivier Landel. - Les zones urbaines sont peu concernées par cette problématique, car les villes disposent de leurs propres capacités d'ingénierie. L'exemple de la métropole lyonnaise a révélé au grand jour une péréquation naguère invisible entre la ville et son environnement rural. Quand on a créé la métropole, un mécanisme de compensation financière au bénéfice du département du Rhône a été mis en place, à hauteur de 73 millions d'euros tous les ans. En réalité, ce modèle est celui de toutes les métropoles françaises : de la matière financière et fiscale sert à la péréquation en alimentant les ressources départementales, lesquelles sont utilisées pour accompagner les communes et les EPCI ruraux. Ce système de péréquation invisible existe depuis des années.
L'AdCF a étudié de façon assez fine, il y a quelques années, les relations entre les villes-centre et les départements. On s'est rendu compte que c'était « chacun dans son couloir » et que les départements étaient peu présents en accompagnement, en tout cas en ingénierie, auprès des villes-centres. Lors de la création de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), nous avons mis à disposition de tous les territoires non pas une ingénierie descendante, provenant de l'État, mais une ingénierie partagée.
Les grandes villes ont des capacités d'ingénierie qui peuvent être utilement mises à disposition de territoires ruraux, péri-urbains, de petites villes et de villes moyennes. De la même manière, il pourrait être intéressant que nous puissions bénéficier d'un certain nombre des compétences particulières des villes moyennes, car il y a des choses que nous ne savons pas faire.
Nous sommes pour une « horizontalisation » des rapports. Le mantra de France urbaine se résume en une phrase : comment passer du projet partagé au contrat qui engage ?
Nous pensons qu'il doit être possible de discuter en commun des projets des uns et des autres - communes, EPCI, départements, régions - afin de favoriser la coopération, que tous les projets sont légitimes dès lors qu'il y a eu une élection démocratique. Beaucoup de progrès restent à faire de ce point de vue. L'ANCT pourrait être l'outil facilitateur de cette nouvelle façon d'opérer.
M. Arnaud Bazin, président. - Est-ce à dire que vous êtes favorable au développement de la contractualisation ?
M. Olivier Landel. - En juillet 2016, nous avons signé ce que nous avons appelé des « pactes État-métropoles ». France urbaine avait souhaité que ces pactes comprennent un volet obligatoire sur l'alliance des territoires.
Avec l'aide de l'ANCT, nous avons depuis lors recensé 174 coopérations interterritoriales entre des métropoles et d'autres territoires - petites villes, communautés de communes, etc. Nous devions inaugurer le 18 décembre dernier un site pour présenter ces coopérations, afin de montrer qu'elles ne sont pas utopiques. Les grèves dans les transports, puis la crise sanitaire nous en ont empêchés, mais le site existe.
La coopération interterritoriale est une réalité. Elle doit être vue par les présidents de conseils départementaux non pas comme une autre façon de « régenter » d'autres territoires, mais comme un outil de coopération. C'est en se mettant autour d'une table et en partageant nos connaissances, nos compétences, nos moyens financiers et nos objectifs que nous pourrons progresser.
M. Laurent Trogrlic. - Les EPCI à fiscalité propre, du fait de leur évolution en termes de périmètres et de compétences, ont développé de l'ingénierie. Ils ont aussi travaillé à l'interterritorialité dans le cadre de pays ou de pôles d'équilibre territoriaux et ruraux (PETR). Il est bon aujourd'hui que l'ingénierie des départements soit associée au développement de l'ingénierie territoriale portée par ces différentes structures afin de permettre plus de coopération, voire de mutualisation, dans l'intérêt général.
Le principe de coopération horizontale, à l'échelle départementale ou régionale, selon les compétences, mérite de progresser. Nous avons de grands défis à relever. Ainsi, beaucoup de territoires ont intégré la problématique énergétique et écologique. Ces sujets impliquent souvent de dépasser les limites des périmètres territoriaux pour travailler à la bonne échelle.
Mme Frédérique Puissat. - Nous sommes tous très sensibles au décrochage entre les métropoles et les milieux ruraux. De nouvelles majorités sont apparues à la suite des élections municipales et intercommunales, les clivages risquent d'être plus forts dans un certain nombre de départements. Je crains que le département ne se recentre davantage sur la ruralité.
Nous connaissons tous les enjeux de contractualisation. Je ne suis pas sûre que les mécanismes existants embrassent tout le champ des compétences des départements, notamment le champ social. Ne devrait-on pas réinventer un dispositif plus englobant?
M. Olivier Landel. - Nous sommes conscients depuis des années des risques de décrochage entre villes et campagnes. Personne n'y a intérêt.
À titre d'exemple, une grande ville qui « subit » une forte croissance doit construire des routes, des logements, des écoles, des transports, alors que ses ressources sont de plus en plus limitées. C'est pour cela que nous croyons beaucoup à l'alliance des territoires. Accompagner le développement de villes petites ou moyennes, de communes rurales, de pôles de centralité à l'extérieur des grandes agglomérations serait bénéfique pour tout le monde. Cela permettrait de réduire la pendularité par exemple, de favoriser des modes de vie plus satisfaisants. Cela signifie qu'il faut sans doute imaginer des relations différentes entre les départements et les grandes villes et d'autres types de territoires.
Il y a une quinzaine d'années déjà, les communautés urbaines d'alors se sont aperçues que, pour exercer leurs compétences en matière d'économie, d'environnement, d'aménagement urbain, elles avaient absolument besoin de leviers d'actions en matière sociale, pour l'insertion, l'accompagnement des familles, le relogement, etc. C'est pourquoi nous avions réfléchi à la possibilité de recevoir en délégation des départements un certain nombre de compétences. L'appel à compétences a été créé dans la loi de 2010, puis reconduit dans la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles de 2014, dite « Maptam ». Les compétences que nous visions sont celles qui ont finalement été transférées, celles qui sont complémentaires de l'action des métropoles.
Peut-être faudrait-il ouvrir une nouvelle phase de dialogue avec les conseils départementaux, autour des délégations de compétences ? Pourquoi ne pourrait-on pas travailler ensemble sur le territoire de la ville, mais également sur le territoire périurbain et la ruralité, plutôt que de le faire chacun de son côté ? Une forme de concurrence subsiste encore aujourd'hui dans de trop nombreux endroits.
M. Didier Marie. - La loi Maptam prévoyait un transfert de compétences des départements vers les métropoles, mais je n'ai pas le sentiment que les métropoles aient manifesté beaucoup d'enthousiasme pour embrasser largement ce socle de compétences transférables. Souhaitent-elles l'élargir encore selon vous ?
Je trouve le concept d'interterritorialité pertinent. Les outils juridiques existants dans le domaine sont-ils suffisants, ou faut-il créer par la loi un cadre spécifique pour stimuler son développement ?
Les départements souhaitent récupérer tout ou partie de la compétence économique. Le bloc communal partage-t-il ce souhait ? Est-il satisfait de sa relation avec les régions en la matière ?
M. Gilles Pirman. - Le concept d'interterritorialité a des avantages ; il a aussi ses limites. En particulier, la répartition des compétences n'est pas complètement réglée, et les moyens d'agir ne sont pas tous au rendez-vous - notamment pour l'action sociale, où les départements sont chefs de file. En fait, le concept d'interterritorialité aurait plus d'intérêt pour le partage de projets que dans celui de services : il faut privilégier la convergence de politiques publiques à la superposition de strates. Dans le champ économique, nous avons besoin des départements, notamment là où il n'y a pas de métropoles. Du point de vue des communes, ceux-ci jouent un rôle d'assemblier utile, car la dispersion des compétences entre les intercommunalités et la région n'est facteur ni de dynamisme, ni de réactivité, ni d'égalité entre les territoires, d'autant que les intercommunalités peuvent être de taille, d'ancienneté, d'intégration et de dynamisme très divers, avec des moyens d'action inégaux de surcroît.
Pour agir en faveur du développement économique, entre autres, nous avons besoin d'un renforcement de la contractualisation, car les instances actuelles de dialogue avec la région ne fonctionnent guère, alors même qu'il est indispensable que ces deux niveaux de collectivités territoriales définissent en commun les besoins et les perspectives d'un territoire. Si la collectivité qui a vocation à jouer le rôle d'assemblier n'en a plus les moyens et ne peut pas se voir déléguer les compétences nécessaires, le jeu est faussé. À un niveau le projet et la stratégie, à un autre niveau le rôle d'innervation du territoire.
M. Franck Menonville. - Dans la Meuse, c'est la région qui est en pointe dans l'exercice la compétence économique, complétée par certaines intercommunalités urbaines, mais il y a des trous dans la raquette, et les autres intercommunalités, ainsi que le département, pourraient agir davantage pour réduire l'inégalité territoriale. Cela imposerait de repositionner le département, qu'il s'agisse de compétence propre, de délégation, ou de rôle de coordination.
M. Gilles Pirman. - C'est une question de cohérence : porter une politique d'action sociale et d'insertion si l'on ne peut intervenir en matière économique, c'est comme partir à la guerre sur une seule jambe...
M. Olivier Landel. - En fait, on ne peut pas avancer si l'on souhaite que tous les départements aient exactement les mêmes compétences. D'ailleurs, le développement économique n'est pas une compétence : nous mettons plutôt nos différentes compétences à son service. Ainsi, les aides directes octroyées par les régions aux entreprises participent peut-être au développement économique, mais, sans zones d'activité, sans transports, sans haut débit, sans marchés, sans formations, elles ne suffisent pas. Or l'ensemble des compétences qui contribuent au développement économique sont réparties entre les strates territoriales, ce qui aboutit à une certaine inefficacité. Pour en sortir, nous devons définir clairement un chef de file, variable selon les zones concernées, et admettre qu'il puisse ne pas être l'autorité organisatrice. Le chef de file est un stratège, il a l'autorité et la légitimité pour mettre les interlocuteurs autour de la table et passer d'un projet partagé à un contrat qui engage. Pour que le projet s'exprime, il faut une compétence d'ingénierie. Il faut ensuite se mettre d'accord, notamment sur les clefs de financement. Sans accord, chacun mobilise ses propres ressources - au moins, chacun saurait ce que fait l'autre, ce qui favorise en tout état de cause la cohérence des projets menés sur le territoire.
M. Arnaud Bazin, président. - S'il y a une chose dont mes responsabilités à l'Assemblée des départements de France m'ont convaincu, c'est qu'il existe autant de situations différentes que de départements ! Le principe de différenciation apportera une réelle plus-value.
M. Laurent Trogrlic. - Pour favoriser le développement économique, il faut aider à la constitution d'un écosystème, et cela requiert en effet la définition claire d'un chef de file. En Meurthe-et-Moselle, la logique n'est pas la même dans le sud, tiré par la métropole de Nancy, et dans le nord, autour de la métropole de Metz : il serait difficile de définir une politique économique à l'échelle départementale, d'autant que les acteurs sont nombreux et variés. Cela plaide pour une certaine souplesse, qu'apportent notamment les agences de développement économique et d'attractivité, coordonnées à l'échelle de la région.
Mme Cécile Cukierman, rapporteure. - Quid du lien entre le bloc communal et la région ? Les collectivités territoriales ne sont pas des poupées gigognes, et l'on observe de plus en plus d'interventions directes des régions auprès des communes et de leurs groupements. La clause de compétence générale permettait différenciation et fluidité, mais, en matière économique et sociale, nous n'y sommes toujours pas...
Je crains que, dans certaines métropoles, la composition de l'exécutif élu au cours des prochains jours ne renforce le poids de la ville-centre au lieu de développer une complémentarité entre les territoires ruraux, périurbains et urbains denses qu'elles comportent. Vous semblez étonné, monsieur Landel, mais au sein de la métropole de Lyon par exemple - où le mode de scrutin est spécifique, je vous l'accorde - les vice-présidences ne reflètent pas la diversité territoriale ! Dès lors, l'action des régions et des départements sera essentielle pour contrebalancer le déséquilibre ainsi créé.
M. Olivier Landel. - Je suis étonné, car j'entends aussi dire l'inverse : à Lille ou à Cherbourg, ce sont les maires des petites villes qui sont en majorité. Le problème est plutôt que les métropoles et communautés urbaines, dont certaines ont soixante ans, pèsent plus, financièrement, que les communes qui les constituent, deux fois plus que le département, quatre fois plus que la région ! Or leurs conseils ne sont pas élus au suffrage universel direct, le fléchage n'en est qu'un ersatz... Les déséquilibres que vous pointez sont liés au fait que deux principes constitutionnels s'opposent, entre lesquels il faut choisir, sans quoi les déséquilibres que vous pointez se poursuivront : l'égalité devant le suffrage, qui limite à 20 % les écarts de représentation admissibles, et le principe « une voix par maire ». Nous devons définir enfin un système électoral à l'échelle des métropoles.
Oui, il y a encore des progrès à faire au sein des EPCI. En soixante ans, toutefois, les communes associées en regroupements ont appris à coopérer beaucoup mieux entre elles ; reste à ce qu'elles agissent en meilleure harmonie avec les territoires qui les entourent. C'est cela, l'alliance des territoires. En leur sein, il faut des élections. Nos propositions sur le sujet sont injustement perçues comme anti-communales. Pour y parvenir, nous devons commencer par progresser dans le sens de la différenciation.
La taille des régions ne rend pas leur tâche facile. Il faudrait les renforcer en leur donnant des compétences opérationnelles, outre les lycées et les transports ferroviaires, car pour le reste elles disposent essentiellement de compétences de coordination, de conception de schémas ou de plans. Cela en ferait de meilleurs partenaires pour les communes et les métropoles, à condition de bien distinguer chef de file et autorité organisatrice : le premier veille à ce que le territoire soit bien couvert, quand la seconde met en oeuvre, agit, construit. Ce système ne fonctionne bien que si la collectivité qui, dans tel domaine, joue le rôle de chef de file assume, dans tel autre, la responsabilité d'autorité organisatrice, afin de comprendre les contraintes liées à l'exercice effectif de compétences.
M. Gilles Pirman. - Un chef, des moyens, une mission, disent les militaires ! L'horizontalité territoriale laisse ouverte la question de savoir qui est chef, ou stratège : qui entraîne le territoire vers un objectif servant l'intérêt général ? À mon avis, c'est l'échelon régional qui est le lieu de la stratégie et de l'analyse, à charge aux autres de se coordonner, par la contractualisation, l'affectation des moyens et les délégations mutuelles de compétences, à condition bien sûr que le citoyen s'y retrouve. Pas de concurrence ! Chacun doit respecter son positionnement : on ne peut pas administrer la République avec des ascenseurs qui fonctionnent mal. Pour autant, il faut privilégier la subsidiarité à la subordination. Alors, le bloc communal reste le socle, et le département est à la fois un lien incontournable avec la région et un lieu de stratégie.
M. Laurent Trogrlic. - Les conférences territoriales de l'action publique ne donnent pas toujours une grande satisfaction. En tout cas, la distinction entre chef de file et autorité organisatrice est opportune. Les compétences doivent être portées au plus près du territoire de vie, et le lien entre la région et le bloc local doit s'appuyer sur une organisation plus proche de la réalité territoriale, et structurée autour des compétences exercées conjointement.
M. Arnaud Bazin, président. - Merci à tous.
La réunion est close à 15 h 15.