Mercredi 10 juin 2020
- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -
La téléconférence est ouverte à 9 h 30.
Présentation des plans de relance dans les domaines de l'industrie et du tourisme par les pilotes en charge des cellules de veille, de contrôle et d'anticipation des secteurs correspondants (en téléconférence)
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous commençons cette réunion par la présentation du plan de relance élaboré par la cellule de veille, de contrôle et d'anticipation « Industrie », co-pilotée par nos trois collègues Alain Chatillon, Valérie Létard et Martial Bourquin.
M. Alain Chatillon. - La crise soudaine qui a frappé la France en mars dernier, telle que nous n'en avions pas connu depuis de nombreuses années, a touché particulièrement durement le secteur industriel. Les entreprises ont malgré tout dû continuer à assurer les activités les plus essentielles pour notre pays, comme la fourniture d'énergie et d'équipements médicaux. Afin d'assurer la continuité de notre activité industrielle, nous devons désormais faire des propositions constructives de relance.
C'est là à mon sens une priorité de politique publique, d'abord, parce que la crise du coronavirus a montré que nous ne pouvons pas nous résoudre à dépendre d'un approvisionnement unique ou d'importations lointaines. D'autre part, car la fragilité des entreprises, à la fois en trésorerie et en capital, peut encore détériorer leur compétitivité. Enfin, il faut être conscient que cette crise intervient dans un moment déjà difficile pour l'industrie française.
Ce n'est donc pas une simple relance ou un simple « retour à la normale » que nous appelons de nos voeux, mais bien une relance stratégique, tournée vers le futur. Avec ces objectifs, et au regard des spécificités françaises, la cellule Industrie que nous co-pilotons a formulé dix-huit propositions concrètes pour une relance industrielle stratégique que nous allons vous présenter, rassemblées en cinq axes forts.
Je vous présenterai d'abord le premier axe, qui vise à soutenir l'investissement dans l'outil de production et dans l'innovation.
Nos deux premières propositions visent à accélérer la modernisation des usines françaises, dont l'âge moyen est de 19 ans, et qui accusent un important retard sur leurs voisins. Notre productivité en pâtit : il faut investir davantage dans la numérisation. Nous proposons donc de pérenniser le dispositif de suramortissement pour la numérisation des PME et TPE industrielles françaises. Pour celles d'entre elles qui ne pourraient pas en bénéficier car elles ne réaliseraient pas de résultat sur l'année, nous souhaitons créer un crédit d'impôt à finalité équivalente. Il s'agit de fournir aux entreprises des moyens de financement dont elles ne disposent pas aujourd'hui.
Notre troisième mesure propose de renforcer les moyens des centres techniques industriels (CTI), qui doivent bénéficier d'un meilleur accompagnement car ils réalisent des actions collectives de recherche et de développement dans des sujets qui profitent à l'ensemble de la filière. La dotation versée par l'État a été réduite de 71 % entre 2012 et 2018. Nous proposons donc de revaloriser fortement la dotation budgétaire des CTI dans la prochaine loi de finances, et de déplafonner toutes les taxes qui leurs sont actuellement affectées.
Enfin, nous souhaitons renouveler l'ambition des pôles de compétitivité, qui font figure de grands oubliés de la politique industrielle de ce Gouvernement. En Occitanie, par exemple, nous comptons trois pôles de compétitivité d'ampleur extrême importante dans les secteurs de l'aéronautique, de la santé et de l'agroalimentaire. Outre leur action en matière d'innovation et de recherche collaboration, ils peuvent être un véritable moteur pour les relocalisations que nous appelons de nos voeux. Il faut donc que l'État amplifie son soutien aux pôles de compétitivité.
Mme Valérie Létard. - J'en profite pour saluer le travail accompli avec notre collègue Martial Bourquin dont c'est aujourd'hui la dernière réunion en commission des affaires économiques. Je lui souhaite tout le meilleur pour la suite.
Notre second axe vise à renforcer et protéger le capital des entreprises industrielles. Le capital est le déterminant de la gouvernance d'une entreprise, mais aussi de leur capacité de développement ; or, l'industrie française a, en moyenne, moins de fonds propres que ses concurrentes européennes. En outre, nos « pépites » sont prisées des investisseurs étrangers : avant la crise, nous étions la première destination en Europe pour l'investissement. Notre objectif est donc double : permettre aux entreprises industrielles de se développer grâce à un capital renforcé, mais aussi les protéger d'acquisitions « prédatrices ».
Notre première proposition vise à transformer une partie de la dette contractée par les entreprises ces dernières semaines, pour les convertir en quasi-fonds propres ou en dette à long terme. Alors que leur trésorerie a été mise à rude épreuve, elles ont eu recours au prêt garanti par l'État ou à des crédits bancaires. Mais ce nouvel endettement sera un poids durable au bilan des entreprises, surtout pour les PME industrielles déjà fortement endettées. Il empêchera d'investir et compliquera l'accès aux marchés bancaires. Nous proposons donc de convertir une partie de cet « endettement Covid » en quasi-fonds propres ou en dette à long terme. Cela pourrait se faire soit à l'échelle de l'entreprise, soit via un fonds en partie public qui reprendrait ou titriserait ces créances.
Deuxièmement, nous souhaitons intensifier temporairement le contrôle de l'investissement étranger. Nos entreprises sont actuellement vulnérables. Il faut à tout prix éviter que leurs concurrents profitent de cette faiblesse pour faire main basse sur nos atouts industriels, comme cela avait été le cas lors de la crise financière de 2008. Nous proposons donc, temporairement, d'abaisser le seuil qui soumet les opérations d'investissement à contrôle préalable, le portant à 10 % contre 25 % aujourd'hui. Le maillage de ce contrôle en sera renforcé et contribuera à éviter les transferts de savoir-faire et de technologie.
Enfin, il nous apparaît nécessaire de renforcer les fonds d'investissements français en fonds propres qui associent acteurs publics et acteurs privés. De tels fonds existent de longue date, notamment à l'échelle régionale ou auprès de Bpifrance dans le secteur automobile ou aéronautique. Lorsque des acteurs nationaux se mobilisent sur le long terme pour renforcer le capital d'entreprises industrielles prometteuses, on voit que leur performance en est améliorée, qu'elles se développent et qu'elles embauchent. Le partenariat public/privé permet une plus grande force de frappe, et contribue à développer la solidarité de filière. Nous voulons donc renforcer les initiatives telles que le Fonds avenir automobile et un « Aerofund IV », et nous nous félicitons que le Gouvernement soit allé dans ce sens lors des dernières annonces relatives au secteur aéronautique et automobile.
Notre troisième axe a pour objet de poursuivre la réindustrialisation et d'encourager la relocalisation industrielle. Nous avons déjà débattu en commission de ce sujet : il ne sera probablement pas possible ni souhaitable de « tout » relocaliser. Mais il faut remettre l'accent sur l'amélioration de notre compétitivité, l'égalisation des conditions concurrentielles, et faciliter les choses pour les industriels qui souhaiteraient se réimplanter sur notre territoire.
D'abord, nous proposons d'offrir aux territoires une « boîte à outils » pour encourager la relocalisation. Les collectivités territoriales et les préfets devraient disposer d'outils incitatifs pour faciliter les projets de réimplantation - à défaut des 2 milliards mobilisés par le Japon pour relocaliser son industrie... Par exemple, on peut imaginer des dérogations au droit de l'urbanisme et aux délais applicables ; des articulations avec les pôles de compétitivité ; ou encore certains leviers d'incitation fiscale comme un « bonus » de crédit d'impôt recherche conditionné au maintien de l'activité en France, ou une entrée progressive dans l'impôt de production. Le programme « Territoires d'Industrie » pourrait constituer le cadre approprié pour déployer cette « boîte à outils ». Pour l'instant toutefois, l'État ne semble pas prêt à vouloir dédier de nouveaux moyens à ces « Territoires d'Industrie ».
Deuxièmement, nous souhaitons que le Gouvernement tienne enfin sa promesse de suppression de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S). Plutôt que d'insister sur une baisse des impôts locaux, qui nous le savons, financent l'aménagement économique du territoire et la politique de développement régional, nécessaires pour encourager la réindustrialisation, il faut plutôt supprimer la C3S, impôt sans équivalent en Europe, qui revient au budget de l'État. Assis sur le chiffre d'affaires, elle pèse de manière disproportionnée sur l'industrie manufacturière. Sa suppression restaurera l'attractivité de la France comme terre de production et encouragera la relocalisation.
Troisièmement, les projets importants d'intérêt européen commun, les PIEEC, doivent être approfondis et multipliés. Il s'agit de projets industriels innovants, mutualisés à l'échelle européenne, qui peuvent bénéficier de financements publics accrus. Il nous apparaît que ces PIEEC sont un outil idéal de réindustrialisation de l'Europe, en traduisant une politique volontariste de reconquête de certains segments abandonnés. Par exemple, la fabrication de batteries automobiles européennes permettra de réduire la dépendance aux producteurs chinois et coréens, de même que le projet relatif à la microélectronique. Nous soutenons notamment la mise en place de PIEEC relatifs à l'hydrogène, énergie d'avenir pour l'industrie, ou encore sur les procédés industriels bas carbone. La France doit s'y investir pour accueillir sur son sol une partie de ces nouvelles filières européennes.
Enfin, nous recommandons de développer la commande publique de produits locaux et nationaux. En l'attente d'un éventuel desserrement du droit européen, qui ne permet pas la mise en oeuvre d'une préférence nationale ou communautaire, les acheteurs publics doivent exploiter toutes les possibilités existantes. Par exemple, le levier des normes européennes, ou encore la prise en compte de l'empreinte carbone - récemment autorisée par la loi « Économie circulaire » - peuvent redynamiser les circuits courts et offrir de nouveaux débouchés à la production nationale.
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous notons cet engagement en faveur de l'aménagement et du développement économique des territoires, qui me paraît être une clef très importante, notamment en comparaison avec l'Allemagne.
M. Martial Bourquin. - Je souhaite tout d'abord vous dire à quel point j'ai été heureux de travailler au sein de cette commission, sur les sujets industriels, en lien avec mes collègues Alain Chatillon et Valérie Létard. Notre capacité à créer du consensus, mais aussi à tisser des liens humains doit être soulignée. C'est ainsi avec une grande émotion que je quitte le Sénat.
Notre quatrième axe vise à assurer une concurrence mondiale équitable, pour la relance et pour le futur. Tous les pays ne sont pas entrés égaux dans la crise, et tous n'en sortiront pas égaux : nous devons nous assurer que nos industriels pourront se battre à armes égales dans la compétition internationale exacerbée. Nous savons que la Chine regarde désormais vers le monde entier, via les « Routes de la soie » ; mais aussi que les États-Unis souhaitent relocaliser de nombreuses productions et n'hésitent pas à soutenir ses producteurs de manière intense. L'Europe doit réagir fortement.
Notre première recommandation vise à atteindre rapidement la réciprocité dans nos relations commerciales, notamment en matière d'accès aux marchés publics. En France, la commande publique représente près de 400 millions d'euros, qui pourraient avoir un impact considérable aussi bien sur les PME que sur les grands groupes. Nous savons que la Chine, notamment, verrouille son immense marché intérieur, alors que le droit européen impose de son côté la non-discrimination dans les appels d'offre européens. La Commission européenne estime le préjudice à 12 milliards d'euros pour les entreprises de l'Union. Il faut donc réaffirmer l'impératif de réciprocité et qu'il se traduise en actes, d'autant que la France dispose d'acteurs d'envergure internationale dans les secteurs de l'énergie, du ferroviaire ou de la construction qui se positionneraient sans nul doute très bien sur ces marchés. Pour renouer avec les commandes et créer un choc de demande, la réciprocité en matière de marchés publics doit être un axe majeur de la diplomatie commerciale européenne.
Ensuite, l'Union européenne ne doit pas avoir peur d'utiliser ses instruments de défense commerciale. Pour une action plus efficace dans la lutte contre le dumping et les subventions non autorisées, nous proposons de réduire les délais d'examen par la Commission européenne des plaintes à l'encontre des produits importés, qui doivent être sanctionnés plus rapidement et plus fortement. L'acier européen, par exemple, est aujourd'hui en difficulté face aux produits dumpés provenant de Chine, d'Inde ou de Russie. Une meilleure évaluation et un meilleur suivi des accords commerciaux participera aussi de cette protection des équilibres du marché intérieur.
Troisièmement, le respect des normes du marché intérieur doit être garanti. Les contraintes de plus en plus nombreuses qui s'imposent à notre industrie - émissions de gaz à effet de serre, intégration de matière recyclée, normes sanitaires, normes de sécurité... - n'ont de sens que si tous les produits qui entrent en Europe y sont également soumis. Les derniers constats en la matière sont pourtant alarmants. Nous proposons donc de renforcer les moyens dédiés au contrôle des produits importés par la DGDDI et la DGCCRF, et de poursuivre l'effort d'harmonisation des règles applicables sur le marché intérieur, en opérant d'ailleurs, lorsque cela est possible, des simplifications administratives.
Enfin, il faut opérer rapidement une réforme de la politique européenne de la concurrence. C'est là un sujet que mon collègue M. Chatillon et moi-même connaissons bien : il ne faut pas faire obstacle à l'émergence de vrais champions européens, mais au contraire accompagner leur développement. Je pense par exemple au dossier en cours d'examen du rachat de Bombardier par Alstom : il doit aboutir. Nous avons par ailleurs vu que l'interdiction des aides d'État a été considérablement assouplie durant cette crise, car elle n'aurait sinon pas permis d'intervenir en soutien d'urgence à notre économie. Chacun d'entre nous mesure que nous n'aurions sinon pas pu intervenir par exemple, dans des entreprises à faibles fonds propres. Il faut donc moderniser ce pilier du droit européen pour l'adapter aux nouveaux défis économiques et l'articuler avec une véritable stratégie industrielle européenne. Notre commission et celles des affaires européennes préparent d'ailleurs un rapport sur le sujet de la réforme du droit de la concurrence, qui nous paraît indispensable.
Notre cinquième et dernier axe est la poursuite de la transition environnementale de l'industrie française. C'est là probablement son plus grand défi, et celui où le soutien des pouvoirs publics est le plus déterminant.
Le soutien à la mobilité propre et à la réorientation de la production industrielle est bien entendu un axe majeur de relance. Je ne m'étendrai pas sur ce point, les annonces récentes sur les primes automobiles, la filière automobile électrique ayant répondu à nos principales recommandations, et la cellule « Énergie » ayant formulé des propositions à ce sujet. Je dirai cependant que cette logique doit s'appliquer à d'autres secteurs, comme le ferroviaire, le naval ou l'aéronautique - il nous semble que le plan aéronautique paru hier y répond en partie. Alstom travaille par exemple sur des trains à hydrogène. En revanche, la transition des consommateurs français ne se fera pas en un jour et il est important de conserver un certain degré de neutralité technologique. Je rappelle que la construction d'une voiture électrique nécessite 30 % moins d'emploi qu'une voiture thermique... Soyons prudents avec le « tout électrique ». En ce sens, des propositions intermédiaires, comme le soutien au rétrofit de moteurs thermiques, ou aux moteurs hybrides, peuvent permettre une transition moins brutale pour la filière automobile française.
Notre deuxième proposition, qui a déjà été votée par la commission lors de l'examen du dernier budget, est d'instaurer un crédit d'impôt pour le verdissement des PME et TPE industrielles. Dans la même logique que le suramortissement pour la numérisation, il s'agit de prendre en charge une partie des coûts des petites entreprises engagés pour l'audit, l'ingénierie ou le conseil dans le verdissement de leur usine. Seraient par exemple concernés : l'écoconception des produits, la gestion des déchets, la consommation énergétique ou l'économie de ressources. Sans cette impulsion, la plupart des PME ne disposent ni des fonds ni des compétences pour réaliser cette transformation.
Enfin, nous soutenons la mise en place rapide de la « taxe carbone » aux frontières de l'Union européenne. Passons aux actes. Il faut restaurer une concurrence plus juste entre les producteurs européens, qui sont à la pointe de l'effort de décarbonation de l'industrie, et leurs concurrents qui ne sont pas soumis aux mêmes contraintes. Acquitter au moment de l'entrée sur le marché intérieur le « prix » du carbone émis lors de la production et du transport rééquilibrera nos échanges tout en accélérant la décarbonation. Les recettes collectées permettront de surcroît de financer l'investissement vert. La nouvelle Commission européenne doit donc en faire une priorité.
Voici donc les dix-huit propositions de notre cellule qui a travaillé pendant plusieurs mois pour une relance stratégique, tournée vers la transition environnementale, la souveraineté économique et l'innovation. Nous ne manquerons pas de les défendre dans l'hémicycle à l'occasion de l'examen des futures lois de finances et lois de relance.
Mme Sophie Primas, présidente. - Cher collègue, nous partageons ton émotion et mesurons ton engagement en faveur de l'industrie, y compris sur le terrain.
Nous allons passer aux questions de nos collègues.
M. Franck Montaugé. - Je remercie les pilotes de la cellule pour la qualité de leurs propositions, et souhaite également saluer notre collègue Martial Bourquin pour sa contribution aux travaux de nos commissions.
J'ai pu entendre le Président de la Région Nouvelle8Aquitaine, M. Alain Rousset, lors d'une audition que j'ai trouvée très intéressante et très engagée. Il m'est apparu que notre action en matière de développement économique est souvent, en France, quelque peu « jacobine ». En matière de fiscalité, il nous a indiqué que la question devrait être analysée dans sa globalité.
Au sujet des « Territoires d'Industrie », je n'ai toujours pas compris pourquoi ce dispositif - qui bénéficie d'ailleurs de financements régionaux plutôt que de l'État - est réservé à certaines zones géographiques uniquement. De nombreuses entreprises sont implantées dans des zones rurales, voire très rurales, et non en bordure des métropoles : elles contribuent aussi à notre activité industrielle et sont très performantes. Elles méritent tout autant d'être accompagnées. Il me semble que ce point doit être souligné.
Concernant les fonds propres, ne pourrait-on pas envisager la question différemment, sous l'angle du temps de retour sur investissement ? Il faudrait faciliter l'engagement de « sleeping partners », d'investisseurs plus patients, avec des taux de retours sur investissement faibles mais un engagement sur le long terme ? Dans un contexte de relance, il me semble que cela pourrait faciliter les choses.
Il faut enfin maintenir et développer le crédit impôt recherche (CIR), tout comme les mécanismes de suramortissement, pour soutenir l'investissement.
Je souhaite également souligner qu'il me semblerait intéressant que la commission puisse entendre des présidents de Région sur ces sujets de développement économique et industriel. Cela pourrait nous permettre de dégager une doctrine d'équilibre sur le rôle qui incombe à l'État et aux territoires, via les Régions et les intercommunalités.
Mme Sophie Primas, présidente. - Cela me paraît être une excellente suggestion, d'autant que nous serons appelés dans les prochains mois à travailler sur une grande loi de déconcentration et de décentralisation, en lien avec les commissions des lois et de l'aménagement du territoire et du développement durable. Notons aussi que les départements agissent également sur ces sujets, ainsi que les métropoles et agglomérations.
Mme Sylviane Noël. - Je félicite nos collègues pour ce brillant rapport et salue en particulier Martial Bourquin avec qui j'ai eu plaisir à travailler.
Je m'associe d'ailleurs à ses propos sur les dangers du « tout électrique » dans l'industrie automobile. Les entreprises du décolletage, très présentes dans mon département, représentent plus de 600 entreprises, 14 000 salariés pour un chiffre d'affaires de 2 milliards d'euros, fournissent très largement le secteur automobile. Le plan de relance présenté par le Gouvernement va provoquer, je le pense, une chute d'activité de cette filière très importante car il accélère la mutation vers des moteurs électriques plutôt que thermiques. Ces nouveaux véhicules nécessitent pourtant dix fois moins de pièces que les moteurs thermiques. Je souhaite donc vous alerter sur l'avenir de cette filière industrielle très importante : il ne faut pas que des virages de politique publique trop rapides et violents précipitent ces entreprises dans une descente aux enfers qui pèsera lourdement sur notre économie.
Mme Sophie Primas, présidente. - C'est probablement dans la diversité des solutions et dans la diversification que nos entreprises industrielles géreront le risque.
M. Franck Montaugé. - Je souhaitais simplement revenir sur le sujet des impôts de production. Une étude est déjà parue, chargée d'examiner l'impact d'une potentielle réforme.
Cependant, une autre étude, inaccessible à ce jour, aurait été réalisée par un cabinet de consulting. Elle n'irait pas dans le même sens que celle mise en avant par le Gouvernement. Il serait intéressant que notre Commission puisse y avoir accès pour prendre connaissance de ses conclusions. Les pilotes de la cellule y auraient-ils eu accès ?
Mme Élisabeth Lamure. - Je remercie nos collègues pour leur travail sur ces propositions.
Je souhaitais revenir sur le sujet de la compétitivité des entreprises, en particulier sur la simplification administrative. Nous avons souvent abordé ici le poids du fardeau administratif, qui va jusqu'à représenter 30 % du temps de travail des entreprises. Il faut continuer à travailler sur ce sujet, qui ne me semble pas beaucoup avancer. La période de la relance me paraît être le bon moment.
Les pilotes ont raison de souligner l'importance des centres techniques industriels, dont on parle trop peu. Ils sont pourtant tout à fait indispensables pour leurs filières respectives. Le déplafonnement des taxes affectées est essentiel ; car il apportera les moyens dont les CTI ont besoin. Nous avons souvent fait des propositions en ce sens dans les projets de loi de finances successifs, j'adhère donc tout à fait à la proposition de la cellule qui arrive au moment opportun.
Je salue notre collègue Martial Bourquin, avec qui j'ai travaillé au sein de la commission mais aussi dans le cadre de la délégation aux entreprises que je préside.
Mme Sophie Primas, présidente. - La simplification administrative est en effet très attendue des entreprises. La solution viendra peut-être de la déconcentration : dans mon territoire, nous avions mis en place des « commandos industriels », par exemple pour l'implantation d'Ariane VI aux Mureaux. Les collectivités territoriales, les préfets ont organisé des réunions pour prendre collectivement et rapidement les décisions. C'est peut-être là une piste pour rendre possible l'impossible.
M. Joël Labbé. - Je salue également la qualité du travail présenté, et notre collègue Martial Bourquin.
J'ai particulièrement relevé la question d'une concurrence mondiale plus équitable, notamment via le contrôle des produits importés mais aussi via la mise en place d'une « taxe carbone » aux frontières de l'Union européenne qui nous permettra d'avancer vers un modèle plus durable. Le crédit d'impôt pour le verdissement des PME et TPE me paraît aussi très intéressant. Malheureusement, les traités de libre-échange qui continuent d'être négociés ne me semblent pas aller dans le sens d'une régulation plus équitable.
Mme Valérie Létard. - Nous partageons les propos de nos collègues sur la simplification administrative. Je rappelle que dans les classements concernant les obstacles à l'attractivité de la France, les lourdeurs administratives figurent au premier rang, devant même les impôts de production. Notre proposition d'une « boîte à outils » réglementaire, dans le cas des relocalisations par exemple, vise à y remédier : elle permettrait de lever certaines des contraintes, en particulier concernant de grands projets. J'ai eu cette expérience au niveau local, où un sous-préfet avait été mis à disposition dans le cadre d'un projet d'implantation de Toyota : cela avait fonctionné et une usine a bien été construite en gagnant un temps considérable via une meilleure articulation entre administrations. Cela me semble être crucial pour mener une politique industrielle efficace.
Concernant l'étude relative aux impôts de production, ce que nous avons compris est qu'il s'agit d'une étude commandée par le Gouvernement, mais qui n'a pas été rendue publique à ce jour. Nous aimerions effectivement pouvoir y accéder.
M. Martial Bourquin. - Concernant les choix technologiques relatifs à la filière automobile, l'impact sur l'emploi et les savoir-faire de PME, mais aussi de grands équipementiers, pourrait être terrible. Le Japon s'est fixé comme objectif d'opérer en cinq ans une transition vers l'hydrogène - un hydrogène qui ne sera certes pas vert, ce qui est un problème - et construisent déjà des voitures à hydrogène aux performances similaires à celles de voitures thermiques. L'Allemagne investit en ce moment même fortement dans l'hydrogène. Si nous prenions du retard, nous le paierions très cher. De grandes entreprises comme Faurecia commencent à se spécialiser dans ce domaine.
Nous devons, il me semble, veiller à ce que les choix technologiques restent ouverts : les motorisations thermiques ont encore un avenir, et il existe des carburations alternatives, comme l'hydrogène ou les biocarburants.
M. Jean-Pierre Moga. - Je m'associe aux félicitations pour ce travail dont je partage les conclusions, et salue notre collègue Martial Bourquin en lui disant tout le plaisir que j'ai eu à travailler avec lui.
Je pense que nous devons mettre l'accent sur les relocalisations, en particulier via le levier des marchés publics, en faisant jouer les règles nationales et européennes. Je partage également la nécessité de mettre en place une « taxe carbone », qui encouragera justement la relocalisation.
Mon territoire, terre d'aéronautique, risque de perdre des milliers d'emplois. Les dirigeants des sociétés s'attendent déjà à diminuer leurs effectifs de près de 50 %. La relocalisation peut sauver ces PME et leurs savoir-faire : nous ne l'atteindrons que si nous pouvons imposer des règles plus justes sur les marchés internationaux. Les aides qui seront octroyées aux grands donneurs d'ordre français devront être subordonnées au maintien de l'activité et de l'emploi en France. Il y a urgence, aussi bien dans l'aéronautique que dans l'automobile, car nous faisons face à des pertes irrémédiables.
M. Alain Chatillon. - Le coût productif reste un problème vital pour l'industrie française. Il ne faut pas céder à la tentation de résoudre ce problème en en faisant porter le coût par nos collectivités territoriales. Notre commission devra se mobiliser sur ce sujet.
L'allègement des charges qui pèsent sur les PME et TPE est également une priorité dans la période actuelle, rappelons-le.
Enfin, gardons-nous d'imposer des conditions plus strictes à nos propres productions qu'aux produits importés. Les administrations doivent assurer un meilleur contrôle du respect des normes.
Je terminerai mon propos en saluant notre collègue Martial Bourquin, avec qui j'ai travaillé pendant près de douze ans.
Mme Sophie Primas, présidente. - Soulignons que ce plan de relance dédié à l'industrie propose des mesures qui répondent aux spécificités de la crise actuelle, mais traite aussi de sujets qui sont portés de longue date par notre commission et constituent des réflexions de fond : la relocalisation, la compétitivité, l'investissement... Il faut désormais passer à l'action et que le Gouvernement les mette en oeuvre.
Avec les plans de relance proposés par les différentes cellules, nous formulons près de 200 propositions en ce sens, que nous allons tenter de chiffrer au regard des 500 milliards évoqués par le Gouvernement.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - S'agissant de la relance du tourisme, il y a une différence majeure avec nombre d'autres secteurs traités par notre commission : le Gouvernement a déjà présenté son plan en mai dernier. Il a également présenté ce week-end un volet sur le soutien à la demande.
Mais il est vital - je dis bien vital - d'aller plus loin pour éviter des faillites en nombre, les licenciements en masse et les pertes de compétences irréversibles, car la situation des petites et moyennes entreprises est dramatique. Je rappelle que les entreprises de l'écosystème touristique sont à nouveau frappées, après les attentats, les gilets jaunes et les mouvements de grève ! La trésorerie des petites et moyennes entreprises s'amenuise de jour en jour. Beaucoup d'entreprises ne sont pas parvenues à obtenir un prêt garanti par l'État (PGE) malgré l'intervention du médiateur.
J'en viens au premier axe de notre plan : soutenir l'offre. Un point essentiel consiste à définir précisément le périmètre des mesures du « plan tourisme ». Sur ce point, le Gouvernement a donné l'impression qu'il connaît mal le tourisme. J'en profite pour insister sur le fait qu'il est nécessaire d'avoir un ministère du tourisme à part entière. Le tourisme, ce n'est pas que les hôtels, les restaurants, c'est un ensemble d'acteurs et de sous-traitants : l'agritourisme, les grossistes en boissons, les blanchisseries, les conciergeries, les transporteurs spécialisés dans le tourisme, les agences immobilières spécialisées, les guides, les accompagnateurs de montagne, les loueurs d'articles de loisir et de sport, les boutiques de souvenirs, l'événementiel et sa myriade de sous-traitants de l'événementiel, et j'en passe ! L'événementiel est, pour beaucoup de nos territoires, une activité essentielle. Je pense par exemple à Cannes qui, en dehors de l'été, vit grâce aux congrès et événements.
Au-delà de ces questions de périmètre, les mesures de soutien à la trésorerie doivent être renforcées. Voici quelques exemples des mesures que nous préconisons : les exonérations de cotisations sociales devront s'appliquer au-delà de juin. Comme je l'avais proposé lors de mon rapport sur les conséquences économiques des violences en marge des « gilets jaunes », en contrepartie, serait appliquée une clause de retour à meilleure fortune, permettant à l'État de recouvrer ces montants si l'activité de l'entreprise revient à son niveau initial. Il ne faut pas oublier que les moratoires actuellement accordés s'ajoutent aux moratoires antérieurs du fait des évènements en marge des « gilets jaunes ». Il faut donc une cellule de gestion des plans d'étalement du paiement des prélèvements obligatoires, afin que soient prises en compte les dettes antérieures envers les Urssaf et l'administration fiscale.
Mais certaines mesures pourraient également venir compléter celles déjà annoncées. J'en citerai deux. Premièrement, les professionnels attendent des mesures sur les loyers du parc privé. Beaucoup de retraités sont propriétaires dans l'hôtellerie et la restauration. Ils ne peuvent pas se permettre de ne pas recevoir les loyers, mais en même temps, les entreprises ne peuvent pas les payer. Un crédit d'impôt pourrait être décidé pour les aider à prendre en charge les loyers, sur le modèle italien. Deuxièmement, les grandes plateformes en ligne devraient être appelées à témoigner de leur solidarité envers leurs partenaires les plus fragiles. Nous pensons notamment aux Booking ou Expedia, qui pourraient réduire leurs commissions.
Enfin, deux mesures de soutien à moyen - long terme apparaissent essentielles. D'abord, afin d'éviter que les entreprises ne se retrouvent face à un mur de trésorerie à terme, il conviendra de ne lever les mesures de soutien à la trésorerie que de façon progressive - nous pensons ainsi que le chômage partiel devrait être maintenu jusqu'à 2022, avec pour contrepartie l'engagement de ne pas licencier. Ensuite et surtout, afin de permettre aux acteurs de « gommer la crise » et ainsi continuer à investir, il convient de mettre en place un PGE à long terme - 15 à 25 ans.
Mme Viviane Artigalas. - Par ailleurs, nous estimons essentiel de sécuriser les 520 000 saisonniers du tourisme, sans quoi c'est tout le tourisme qui s'écroulerait, des compétences qui se perdraient, et une grande précarité qui s'installerait pour ces personnes. Cela passe par un élargissement des droits au chômage des saisonniers, qui ont été réduits en novembre dernier, puisque la saison n'a pas pu commencer aussi tôt qu'à la normale. L'Italie a, elle, choisi une autre voie, qui est également intéressante, à savoir le versement d'aides directes en avril et en mai. Plus globalement, pour soutenir l'emploi, nous proposons la suppression ou, à tout le moins, le report de la taxe forfaitaire sur les contrats d'extra.
Enfin, un mot sur les collectivités locales, qui sont des maillons essentiels de la chaîne touristique. De nombreuses communes touristiques sont dans une situation particulièrement délicate, et nous devrons être vigilants quant au bon calibrage de la clause de sauvegarde des recettes pour les communes annoncée par le Gouvernement. En particulier, les recettes des taxes de séjour, qu'elles soient au forfait ou au réel, doivent faire l'objet d'une compensation similaire. Au-delà des collectivités, leurs démembrements que sont les entreprises publiques locales doivent être inclues dans le plan tourisme. Il y a 337 entreprises publiques locales actives dans le secteur du tourisme, de la culture et du loisir : il s'agit de centres thermaux, de centres de congrès et parcs des expositions, de ports de plaisance, de parcs de loisirs, de musées, de monuments et équipements culturels ou encore, d'offices de tourisme. Sans soutien de l'État, nombre de ces entreprises se trouveraient en très grande difficulté.
Venons-en au deuxième axe : le soutien à la demande dès cet été. Dès cet été car c'est 30 % du chiffre d'affaires annuel qui est réalisé pendant la saison estivale !
Alors que moins d'un Français sur deux part une semaine en vacances l'été, il nous est apparu essentiel de mettre en place un dispositif exceptionnel d'aide au départ en vacances. L'aide annoncée par le Gouvernement pourrait être passée, selon les ressources du foyer, de 300 à 500 euros, et étendue au-delà de 200 000 familles annoncées, qui ne représentent que 0,5 % du nombre de foyers fiscaux ! Nous pourrions nous inspirer de l'Italie, qui est allée bien plus loin. La diminution exceptionnelle des tarifs autoroutiers cet été pourrait également constituer un coup de pouce bienvenu pour les touristes. Nous pensons aussi qu'une nouvelle diminution temporaire de la TVA sur les prestations touristiques serait de nature à soutenir à la fois la demande et l'offre.
Troisième et dernier axe, portant sur les nécessaires mutations du tourisme. Nous estimons que la relance du tourisme doit passer par l'investissement dans les transitions, le capital humain et la qualité de service et par un changement de modèle de la politique publique du tourisme. Il est absolument crucial d'insuffler une dynamique d'investissement dans le tourisme : le tourisme, c'est 7 % du PIB, mais seulement 2,5 % de l'investissement total !
Mme Guylène Pantel. - Première des mutations, investir dans la transition vers le développement durable. C'est une demande des touristes. Et c'est une nécessité, pour un secteur qui générerait, au niveau mondial, 8 % des émissions de gaz à effet de serre. Mais plutôt que la contrainte, c'est bien l'accompagnement qui doit être le credo des politiques publiques en la matière. La France pourrait ainsi définir une stratégie pour un tourisme durable et inciter massivement à des investissements dans deux principaux postes : l'innovation technologique visant à verdir les transports, comme l'avion « vert », avec le soutien des régions comme l'Occitanie, et la rénovation énergétique des bâtiments et infrastructures touristiques. Nous pourrions également renforcer la visibilité des écolabels existants et promouvoir l'information du client sur le bilan carbone des voyages commercialisés, en proposant par exemple une compensation carbone optionnelle.
Ensuite et surtout : il faut en finir avec le constat que 80 % de touristes se concentrent sur 20 % du territoire. La ruralité et l'hyper-ruralité savent accueillir dans d'excellentes conditions et elles souhaitent jouer leur rôle dans le nouveau modèle touristique que nous recommandons. Investir dans une meilleure répartition des flux touristiques sur le territoire nous apparaît essentiel. La prochaine génération de contrats de plan État-Région et de nouveaux contrats de destination devraient être utilisés pour financer des appels à projets répondant à cet objectif. Cette mesure permet d'investir sur l'ensemble des territoires et de permettre des sauts qualitatifs dans les territoires où les infrastructures sont vieillissantes.
Ensuite, il faut investir dans la transition vers le numérique. Face aux carences encore importantes des entreprises du tourisme, qui sont pour la plupart des petites structures, il nous apparaît essentiel de mettre en place un grand plan de formation des professionnels du tourisme au numérique. Par ailleurs, le numérique a ceci de précieux qu'il permet de réunir une masse gigantesque d'informations, au bénéfice de l'utilisateur. C'est pourquoi l'amélioration de la connaissance de l'offre touristique sur l'ensemble de notre territoire doit s'appuyer sur le numérique, à travers l'approfondissement du site Datatourisme. Le Gouvernement a annoncé mettre en place une plateforme de valorisation des données. Certains en ont déduit que cette plateforme serait une concurrente de Booking ou d'Airbnb. Cela ne nous semble pas pertinent car il ne revient pas à l'État de dépenser des milliards d'euros dans le référencement sur Google. Enfin, nous pensons que l'importation en France du modèle de soutien à l'innovation touristique espagnol serait intéressant : les filiales de la Caisse des dépôts pourraient déployer une offre de soutien aux start-ups du tourisme.
M. Michel Raison. - Toujours sur les mutations du tourisme, il nous apparaît également essentiel d'investir dans le capital humain et la qualité de service. Nous le disons depuis longtemps, mais la crise peut être l'occasion de réaliser ce qui attend depuis des années. Nous avons cité l'Italie à plusieurs reprises. Sa capacité d'accueil et son savoir-faire sont supérieurs aux nôtres.
Dans le seul secteur des hôtels-cafés-restaurants, il y aurait chaque année 100 000 emplois non pourvus. Cela s'explique notamment par la difficulté des conditions de travail, l'absence de perspectives d'évolution professionnelle et parfois une orientation par défaut vers ces carrières. Cela fait des années que le constat est fait, il nous semble temps de lancer un grand chantier de revalorisation des métiers du tourisme et de réfléchir à ce qui pourrait être un statut du saisonnier.
Par ailleurs, la qualité de service est également indispensable pour que les touristes estiment que notre destination, qui est relativement chère sur le marché international, offre un bon rapport qualité-prix. Nous proposons que les professionnels créent, comme en Espagne, un institut de la qualité touristique. Celui-ci s'est trouvé particulièrement précieux quand il s'est agi de définir rapidement des protocoles sanitaires et de mettre en place un label « Safe tourism certified ».
Nous terminons par trois remarques générales pour changer le modèle de la politique du tourisme.
Premièrement, la structure gouvernementale et administrative du tourisme n'est pas à la hauteur - la structure et non le ministre. Le tourisme mérite mieux que d'être balloté entre le Quai d'Orsay et Bercy : il faut, on ne le dira jamais assez, un ministre du tourisme et une administration dédiée !
Par ailleurs, la politique du tourisme est basée sur un indicateur principal, à savoir le nombre de touristes internationaux. Les différents Gouvernements se félicitent d'ailleurs toujours de notre première place mondiale en matière de fréquentation touristique. Mais cela cache également notre faiblesse, à savoir que nous ne sommes que troisième en termes de dépenses des touristes internationaux. Nous sommes donc un géant touristique aux pieds d'argile. Les retombées économiques doivent être la boussole de la politique à l'égard des touristes internationaux.
Enfin, la politique du tourisme ne doit pas exclusivement se préoccuper des touristes internationaux. Les touristes domestiques qui ne partent pas en France constituent un vivier de 25 millions de voyageurs supplémentaires. Poursuivre un objectif de nombre de voyageurs domestiques nous semble nécessaire, car la politique du tourisme doit marcher sur ses deux pieds : touristes internationaux et touristes domestiques ! On voit bien qu'en cas de crise, on ne peut se reposer sur le tourisme international.
En somme, le plan que nous proposons est simple : provoquer un véritable choc d'offre et de demande dès cet été et faire de cette crise une opportunité pour mettre fin aux difficultés structurelles du tourisme français. Contrairement à une idée répandue, le tourisme ne peut pas fonctionner tout seul. Le tourisme est une économie diffuse qui a besoin en permanence de l'action publique, de l'État aux communes en passant par les établissements publics intercommunaux et les régions.
J'insiste également en conclusion sur la communication : l'Italie vend l'Italie. Nous vendons des petits bouts de France. Il faut que nous vendions la France. La marque France a beau avoir été créée, encore faut-il savoir la vendre !
Notre plan coûtera sans doute très cher. Mais nous n'avons pas le choix dans la situation où nous nous trouverons. S'il n'y a plus d'entreprises, il n'y aura plus de recettes fiscales !
Mme Catherine Conconne. - Je souhaite évoquer le tourisme en Martinique, en Guadeloupe et dans les îles du Nord. Le confinement a engendré une catastrophe économique en raison de la fermeture du trafic aérien. Aujourd'hui encore, nous n'avons que trois vols par semaine au lieu de sept par jour en haute saison ! Le tourisme représente jusqu'à 12 % de notre produit intérieur brut, et environ 9 000 emplois directs et indirects. Nous avons été assez peu affectés par le virus. Et pourtant, nous avons subi de plein fouet l'arrêt de l'activité touristique car nous étions en haute saison, qui va jusqu'à début mai. La réouverture correspondra à notre période de basse saison. C'est toute une filière qui a été touchée : hôtellerie, restauration, location de voitures, aviation, tourisme de croisière - nous accueillons jusqu'à trois paquebots par jour durant la haute saison -, taxis, bus, tour-opérateurs, guides touristiques etc.
Nous sommes dans une période de réouverture des transports depuis Paris, mais le Gouvernement fait preuve d'une précaution incompréhensible, qui n'est d'ailleurs pas appliquée à la Corse. On nous a d'abord imposé une quatorzaine à l'arrivée. Ce qui nous priverait à la fois des touristes d'été et des visites des familles vivant en métropole - qui peuvent représenter 2 000 arrivées par jour. Grâce à notre forte mobilisation, le Gouvernement a accepté de réduire la quarantaine à sept jours, mais les conséquences seront les mêmes. Nous plaidons pour la levée de cette « septaine », contre la réalisation de tests obligatoires. Nos saisines des ministères en charge du tourisme n'ont que très peu de retour. Il faut que nous insistions, avec la commission des affaires économiques, auprès des ministres du tourisme et des Outre-mer.
Mme Sophie Primas, présidente. - Ces éléments seront intégrés au rapport sur le tourisme et nous écrirons aux ministres. Cette septaine apparaît en effet d'une injustice totale et aurait des conséquences terribles.
Mme Élisabeth Lamure. - Je souhaite revenir sur l'événementiel : derrière les foires, salons, événements familiaux, il y a en effet une multitude de métiers et de petites entreprises - décorateur, fleuriste, DJ... Nous avons auditionné, avec la cellule sur le commerce, l'union des professions solidaires de l'événementiel. Le plan tourisme ne prend pas en compte la totalité de ces métiers : beaucoup ont été oubliés.
Par ailleurs, la France mérite en effet d'avoir un vrai ministère du tourisme à part entière.
Mme Sophie Primas, présidente. - Je rejoins cette inquiétude s'agissant de l'événementiel. Il y a aussi une problématique majeure relevant de la commission des affaires sociales et qui concerne les nombreux professionnels travaillant sous le régime du contrat d'usage. Ils ne bénéficient pas de conditions favorables comme cela peut exister par ailleurs, je pense par exemple aux intermittents du spectacle, et sont aujourd'hui privés de revenus.
M. Alain Duran. - Ce plan de relance vient utilement compléter celui du Gouvernement. On peut craindre que la moitié des Français ne puissent pas partir en vacances cette année. Il faut tout mettre en oeuvre pour accompagner une relance vitale tant pour les professionnels que pour les territoires. Il ne faut pas oublier les assureurs, qui bénéficient d'une sinistralité en baisse. Il faut que la fédération française des assurances chiffre officiellement cette baisse de sinistralité et les économies qui en résultent. Enfin, il faut profiter de cette situation exceptionnelle pour allier tourisme et aménagement du territoire, pour tourner la page du tourisme de masse qui peut porter atteinte à la qualité de vie des habitants.
Mme Sophie Primas, présidente. - Je souligne que les plans présentés font une large part au nécessaire approfondissement de la décentralisation pour relancer notre économie. Nous pourrons saisir l'opportunité du troisième projet de loi de finances rectificative pour y insérer les mesures proposées.
Mme Viviane Artigalas. - S'agissant des Outre-mer, nous sommes effectivement très préoccupés et nous avons alerté très tôt le ministre. Il nous est toujours répondu que les considérations sanitaires priment, et que c'est le conseil scientifique qui décide, avec le ministère de la Santé. Nous rajouterons bien sûr la demande tendant à mettre fin à la septaine.
Nous avons également très tôt auditionné les acteurs de l'événementiel, et nous plaidons, dans le rapport, pour que ces acteurs soient intégrés au « plan tourisme ».
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - On ne se rend pas forcément compte de ce que représentent les sous-traitants dans le secteur du tourisme tant pour les donneurs d'ordres que pour les communes qui vivent de l'événementiel. Ces dernières sont dans une situation très délicate. Il faut donc évidemment étendre le périmètre du « plan tourisme » aux sous-traitants.
S'agissant des assurances, il ne faut pas oublier que le sujet est d'ordre contractuel, et que la plupart des contrats excluent le risque d'épidémie. Les assureurs font d'indéniables efforts.
Je reste convaincue que le pire est à venir. Il est donc essentiel que nous maintenions notre vigilance quant aux mesures prises en faveur du secteur, dont la situation évolue très vite. Nous serons donc très exigeants envers le Gouvernement.
M. Michel Raison. - Les assurances ont fait un plan d'un milliard d'euros. Ils ont progressivement augmenté leur contribution. On ne peut plus dire qu'ils n'ont rien fait. Le rapport cite le cas intéressant de l'Allemagne, où les assureurs ont accepté de prendre en charge une partie des pertes d'exploitation même si le contrat d'assurance pour perte d'exploitation excluait le cas de l'épidémie. Pour l'avenir, il y a actuellement un groupe de travail monté par Bercy, auquel j'ai l'honneur de participer avec Jean-François Husson. Nous travaillons sur une solution qui se rapprocherait du fonds d'indemnisation pour les calamités agricoles.
Au cours de nos travaux, nous avons apporté une très grande attention à ce que personne ne soit oublié, et que tous les sous-traitants soient intégrés. Nous avons évoqué les sous-traitants de l'événementiel, mais il y a aussi les blanchisseries des hôtels, les distributeurs de boissons, et j'en passe, car il y en a une multitude. Les annonces du Gouvernement n'étaient pas très précises et nous lui avons signalé l'ensemble des professionnels qu'il convenait de prendre en compte dans le « plan tourisme ».
Mme Élisabeth Lamure. - Evelyne Renaud-Garabedian a évoqué la question des loyers commerciaux. La délégation aux entreprises va entendre la médiatrice nommée sur ce sujet.
Mme Sylviane Noël. - Qu'en est-il de la réorientation des moyens d'Atout France vers la promotion du tourisme en France ?
Les stations de ski ont considérablement pâti de la fermeture anticipée de leurs domaines skiables, occasionnant une perte de chiffre d'affaires de l'ordre de 25 à 30 %, c'est-à-dire à peu près 1,5 milliard d'euros de pertes. Le fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (Fpic) pénalise lourdement les communes des stations de montagne, comme bien d'autres d'ailleurs, et obère leurs capacités d'investissement. La richesse des communes n'est pas corrélée à la richesse de leurs équipements ! Cette question ne pourrait-elle pas figurer dans le rapport ?
M. Michel Raison. - Atout France travaille en effet à une campagne de communication intitulée « cet été, je visite la France ».
Mme Viviane Artigalas. - Selon les annonces du Gouvernement, cette campagne est d'ailleurs censée être adaptée aux Outre-mer.
Nous avons traité l'ensemble des communes, sans rentrer dans les particularités de chaque territoire. La question spécifique du Fpic n'a pas été abordée lors des auditions. Il faut que nous recueillions davantage d'informations sur ce sujet. Les stations de montagne sont en effet particulièrement pénalisées par l'arrêt prématuré de la saison de ski.
Mme Sophie Primas, présidente. - C'est d'ailleurs un sujet qu'il faut aborder avec nos collègues de la commission des finances, les questions de finances locales faisant partie de leur compétence.
La téléconférence est close à 11 h 20.