Jeudi 2 avril 2020
- Présidence de M. Philippe Bas, président -
La réunion est ouverte à 14 h 30.
Examen des travaux de la mission de contrôle et de suivi de la loi d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19
M. Philippe Bas, président. - Mes chers collègues, je vous remercie de votre disponibilité. Je me réjouis que vous soyez aussi nombreux malgré le caractère inédit de cette réunion organisée sous forme de visioconférence. J'espère que vous et vos proches êtes en bonne santé. J'ai une pensée particulière pour nos collègues des départements et régions les plus touchés par l'épidémie du Covid-19.
Après vous avoir rendu compte de la réunion de la mission de contrôle qui a été mise en place ce matin, je vous présenterai les principaux points du document d'analyse qu'elle a produit et qui vous a été adressé. Ce document examine les six décrets et seize ordonnances pris dans le cadre de la loi d'état d'urgence sanitaire et relevant du champ de compétences de la commission des lois.
Ce matin, les membres de la mission de suivi, qui ont été désignés par leurs groupes respectifs - MM. François-Noël Buffet, Pierre-Yves Collombat, Mmes Nathalie Delattre, Jacqueline Eustache-Brinio, Françoise Gatel, MM. Loïc Hervé, Patrick Kanner, Alain Richard, Jean-Pierre Sueur et Dany Wattebled - se sont répartis la tâche.
Chacun assumera une partie du travail de suivi. Ainsi, MM. Buffet et Kanner travailleront sur les juridictions ; M. Buffet et Mme Delattre sur les prisons et les autres lieux privatifs de liberté ; Mme Eustache-Brinio et M. Sueur sur l'organisation des forces de sécurité ; MM. Hervé et Kanner sur les questions de sécurité civile ; MM. Hervé et Wattebled sur la protection des données personnelles dans l'utilisation des outils numériques de traçage ; Mme Françoise Gatel et M. Pierre-Yves Collombat sur les collectivités territoriales, l'administration déconcentrée de l'État et l'accès aux services publics au niveau local, et M. Richard et moi-même sur les questions électorales.
Je souhaite que la mission de contrôle soit parfaitement intégrée à la commission des lois et que tous les membres de celle-ci soient parties prenantes de ses travaux dans la mesure permise par les moyens techniques de réunion à distance. Ainsi, nous réunirons la commission soit pour délibérer de documents que nous souhaiterions rendre publics, à l'instar du document que je vais vous présenter aujourd'hui, soit pour procéder aux auditions importantes.
Une première audition est d'ores et déjà programmée pour le jeudi 9 avril à 16 heures : nous entendrons Mme Nicole Belloubet. Le jeudi 16 avril, à 16 heures, nous auditionnerons M. Christophe Castaner. Nous envisageons également d'auditionner M. Olivier Dussopt sur les questions du recrutement dans la fonction publique et de la mobilisation des fonctionnaires dans la crise, ainsi que Mme Jacqueline Gourault et M. Sébastien Lecornu sur toutes les questions relatives aux collectivités territoriales.
Le comité de suivi a vocation à se réunir pendant toute la durée des pouvoirs exceptionnels accordés au Gouvernement dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire. Il pourra - et devra sans doute - continuer à travailler après la fin de celui-ci pour tirer un certain nombre d'enseignements. Nous verrons combien de temps cette formation de travail devra être maintenue.
Les membres de la mission de suivi forment une équipe de rapporteurs qui viendront présenter leurs réflexions devant la commission des lois, mais, j'y insiste, à chaque étape importante de notre travail, les décisions devront être prises par la commission.
J'en viens maintenant à l'analyse, que je vous proposerai de rendre publique, des six décrets et des seize ordonnances relevant de la compétence de notre commission. Ils ont été pris par le Gouvernement en un temps record. Je suis d'ailleurs impressionné par cette mobilisation des pouvoirs publics. Grâce à la loi que nous avons adoptée, le Gouvernement a régularisé un certain nombre d'actes pris sur des bases juridiques que lui-même trouvait fragiles, même si la théorie des circonstances exceptionnelles garantissait leur légalité. Le Gouvernement prend également des dispositions nouvelles pour lutter contre la pandémie et assurer la continuité de services publics essentiels, comme celui de la justice.
Je souhaite insister, devant vous, sur plusieurs points du document qui a été approuvé par la mission de contrôle ce matin, en commençant par ceux qui concernent la justice.
En ce qui concerne la justice civile, j'attire l'attention sur la possibilité de remplacer des formations collégiales par un juge unique, de déroger au principe de publicité des audiences et d'organiser celles-ci par visioconférence, voire par téléphone. Des procédures pourront également se dérouler sans audience, sans que l'une des parties puisse s'y opposer pour les procédures urgentes, ce qui soulève un problème au regard de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Les contentieux familiaux forment le gros contingent des affaires civiles. Or, en matière familiale, l'oralité des contentieux, qui ont une faible dimension juridique et une grande dimension sociale, est essentielle. Par conséquent, on mesure ce que ces dispositions ont de dérogatoire et de préjudiciable au rendu d'une bonne justice. Cela dit, il faut bien évidemment faire la balance entre, d'une part, la nécessité de ne pas interrompre le cours de la justice et, de l'autre, celle de préserver autant que possible les garanties offertes au justiciable. Il me semble qu'il est dans la vocation de la commission des lois d'être particulièrement attentive à ces deux impératifs, et surtout au second.
S'agissant des tribunaux administratifs, les souplesses prévues sont encore plus grandes. De même qu'en matière judiciaire, je me demande si l'ordonnance ne va pas au-delà des termes de l'habilitation lorsqu'elle prévoit la possibilité de statuer sans audience. Les audiences sont très importantes, notamment en procédure de référé-liberté.
S'agissant du contentieux et du droit des étrangers, j'observe que le Gouvernement a fait le choix d'un régime dérogatoire au reste des adaptations ménagées dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire : les délais de recours sont, en fonction des cas, soit prolongés moins longtemps que dans d'autres matières, soit même parfois intégralement maintenus, sans aucune adaptation. De même, certains délais de jugement, très brefs, ne sont pas modifiés. J'ai recueilli à ce sujet les observations d'associations qui s'en inquiètent.
En matière pénale, là aussi, les textes prévoient la possibilité d'audiences par visioconférence, voire par téléphone, sans accord des parties, sauf en matière criminelle. Dans certains cas, les gardes à vue pourront être prolongées de plein droit sans que l'avocat de la personne gardée à vue ou placée en retenue douanière soit entendu. Ces différents éléments me paraissent justifier que nous marquions notre préoccupation.
Bien évidemment, comme M. Alain Richard l'a observé ce matin avec pertinence au cours de la réunion de la mission de suivi, il ne faut pas porter atteinte au principe de continuité de la justice. Il nous faut donc trouver une voie médiane, d'une part, en alertant le Gouvernement sur la nécessité d'indiquer aux présidents de juridiction que les moyens qui leur sont accordés par l'ordonnance doivent être utilisés à défaut d'effectifs suffisants pour rendre la justice dans des conditions aussi proches que possible du droit commun et, d'autre part, en attirant l'attention sur la possibilité que certaines dispositions des ordonnances donnent lieu, devant le Conseil d'État ou la Cour européenne des droits de l'homme, à des contentieux qui pourraient bien être perdus par le Gouvernement. Il convient donc de faire preuve de beaucoup de circonspection dans leur application.
J'en viens aux dispositions relatives aux collectivités territoriales. Celles-ci ne manquent pas de surprendre. En effet, non seulement le dispositif que nous avons voté le 22 mars dernier pour faciliter le respect des règles de quorum et assouplir le régime des procurations, inspiré notamment par le souci de faciliter l'élection des maires et de leurs adjoints le jour où celle-ci pourrait se tenir, a été étendu aux commissions permanentes des départements et des régions, mais il a, de surcroît, été considérablement élargi, au point que la présence d'un neuvième des membres d'un conseil municipal pourrait suffire si le nombre de procurations permet de faire adopter une délibération. Ce n'est pas ce que nous avons voulu ! Il est quelque peu surprenant que le Gouvernement, agissant sur le fondement d'une habilitation législative, puisse ainsi modifier ce que le législateur a adopté quelques jours auparavant... Nous devons alerter le Gouvernement sur ce point particulier.
Par ailleurs, les ordonnances sont absolument muettes sur l'élection des maires et des adjoints dans les communes où le conseil municipal a été au complet dès le premier tour. Nous avons pourtant habilité le Gouvernement pour qu'il examine toutes les pistes envisageables, y compris le recours aux dispositifs de vote à distance. Cette élection doit se tenir le plus rapidement possible, même si l'état d'urgence sanitaire devait être prolongé dans tout ou partie du pays. La situation d'entre-deux dans laquelle nous nous trouvons, avec le maintien en fonction des élus « sortants », ne saurait durer indéfiniment. Or, pour en sortir, outre les dispositions raisonnables que nous avons votées sur le quorum et les procurations, il convient que les modalités du vote pour l'élection du maire et des adjoints permettent d'éviter de contrevenir trop fortement aux règles du confinement. Ce point mérite lui aussi considération.
S'agissant de la fonction publique, les dispositions prises en matière de concours restent à ce stade très générales et très imprécises. À défaut de pouvoir organiser des épreuves écrites, il est prévu que les épreuves de concours puissent être limitées à des épreuves orales, en visioconférence. Sans doute faudrait-il demander au Gouvernement de dévoiler davantage ses intentions pour s'assurer que le principe d'égal accès aux emplois publics sera bien respecté.
Nous pourrions également souligner la nécessité d'étendre aux fonctionnaires la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat, accordée aux salariés du secteur privé et exonérée d'impôt.
Mme Nathalie Delattre. - Nous avons plusieurs points de vigilance, notamment sur l'organisation juridictionnelle et sur la question du quorum et des pouvoirs dans les assemblées locales. Sur le terrain, nous sentons la volonté que les conseils municipaux élus dès le premier tour soient installés dans les meilleurs délais ; certains engagements financiers pris par les équipes « sortantes » dépassent manifestement la gestion courante. Je m'interroge également sur le transfert de la compétence mobilité : était-il utile de revenir sur le délai de transfert ? L'action de La Poste sur le terrain pose également question. S'agissant de la commande publique, les entreprises nous signalent qu'il serait urgent d'introduire le cas de force majeure et la notion d'imprévision : notre mission de contrôle pourrait-elle faire remonter rapidement cette demande afin que les ordonnances soient corrigées en ce sens ?
M. Philippe Bas, président. - La compétence mobilité doit, en effet, être transférée aux communautés de communes dans des délais qui compromettent la qualité de ce transfert. La Poste relève de la compétence de la commission des affaires économiques, qui s'en préoccupe, mais nous devons aussi apprécier de manière transversale le fonctionnement de l'ensemble des services publics, notamment dans les territoires ruraux. Notre mission de contrôle transmettra, semaine après semaine, nos sujets de préoccupation au Gouvernement : je le ferai par courrier soit au Premier ministre soit au ministre concerné. Je suggère, afin que nous soyons réactifs, que les collègues qui ne sont pas membres de la mission de suivi nous saisissent le cas échéant.
M. Patrick Kanner. - Je remercie M. le président Philippe Bas d'avoir organisé cette réunion.
Quelle est la fonction de la mission de contrôle ? À mon sens, elle ne doit pas être une « super-commission » des lois. S'agissant de la répartition du suivi thématique, comme notre collègue Jean-Pierre Sueur, je suis favorable à ce que tout collègue qui souhaiterait s'investir puisse nous accompagner.
De nombreuses mesures prises dans les ordonnances me semblent à la limite de l'habilitation consentie par le Parlement : nous avons donné en quelque sorte les pleins pouvoirs sanitaires au Gouvernement, sur le modèle de l'article 16 de la Constitution ! Lors d'une conférence téléphonique à laquelle j'ai participé ce matin, le Premier ministre s'est déclaré très attentif au contrôle parlementaire. Il y a une vraie volonté d'aller vite et de bien faire, mais en allant trop vite et en voulant trop bien faire, notre modèle républicain pourrait être mis en péril. Soyons vigilants !
M. Philippe Bas, président. - La mission de suivi fonctionne comme une équipe de co-rapporteurs, qui rapporte devant la commission des lois. Les collègues qui s'intéressent à tel ou tel aspect du suivi peuvent prendre l'attache des binômes de co-rapporteurs pour leur faire d'éventuelles offres de services. Mais ne nous écartons pas trop de notre organisation habituelle, avec des rapporteurs chargés d'éclairer la commission. Les membres de la mission ont été désignés, à ma demande, par les présidents de groupe.
Certaines des décisions prises sont à l'extrême limite - voire un peu au-delà - du champ de l'habilitation à légiférer par ordonnances ou de ce qui est constitutionnellement acceptable, même si les circonstances sont bien évidemment sans précédent. Qui aurait pu prévoir qu'un jour la République demanderait à 66 millions de Français de rester chez eux et apporterait de telles restrictions à une liberté aussi fondamentale que la liberté d'aller et venir ?
Outre la publication de notre rapport, je vous propose d'en tirer une synthèse qui permettra à notre commission de remplir pleinement son rôle d'alerte, sans entraver l'efficacité de l'action publique. La continuité des services publics doit être garantie, sans que les dispositions prises ne dénaturent trop fondamentalement les procédures habituelles qui apportent des garanties aux citoyens.
Mme Esther Benbassa. - Vous avez évoqué le contentieux des étrangers, je vous en remercie : quel sera leur sort en cas de contrôle et d'arrestation dans la rue ? Seront-ils admis dans les hôpitaux en cas de maladie, notamment en cas de contamination par le coronavirus ?
M. Philippe Bas, président. - Les délais que j'ai évoqués sont ceux qui sont laissés aux étrangers pour contester les décisions administratives prises à leur égard. La plupart de ces délais de recours ne font pas l'objet d'assouplissements par les ordonnances qui ont été prises. J'ai tenu à le relever, car les associations s'en inquiètent et il me semble que toutes les catégories de justiciables doivent être traitées avec équité.
La question de l'accès à l'aide médicale d'État (AME) relève de la commission des affaires sociales, mais il me semble que les conditions d'accès à l'hôpital n'ont pas été modifiées par les ordonnances.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Nous sommes dans un exercice totalement inédit.
Notre mission est de contrôler l'action du Gouvernement, notamment les mesures qu'il prend par ordonnance dans le domaine de la loi, mais il appartient aussi au Parlement de protéger les libertés et les droits des citoyens.
Monsieur le président, vous avez indiqué que vous ne vous interdisiez pas de saisir ou d'interpeller le Gouvernement sur certains points ; c'est une très bonne chose. Les questions de principe nous préoccupent : droits de la défense, prolongations des gardes à vue ou des détentions, etc. Il y a d'autres sujets plus pratiques : on parle peu des établissements pénitentiaires, pourtant des détenus et des personnels sont contaminés, des parloirs fermés, des promenades supprimées. Cela ne va pas tenir. Nous pourrions demander que le téléphone soit gratuit pour les détenus et les parloirs vitrés autorisés. Cela peut sembler un détail, mais je pense que c'est important.
Le ministre de l'intérieur a indiqué hier qu'il avait suspendu la possibilité de demander l'asile en raison, semble-t-il, de l'incapacité des services à faire face. Cette décision risque de poser des difficultés d'accès aux conditions matérielles d'accueil pour les demandeurs d'asile : elle bloque le versement des allocations afférentes, l'accès au logement, aux soins. Nous devons également lancer une alerte sur la situation des centres de rétention, que le Conseil d'État a, certes, considéré comme pouvant continuer à fonctionner, mais qui se vident en réalité grâce à l'intervention des juges des libertés et de la détention.
Il y a aussi l'exercice des droits des gens de peu. Je songe aux conseils de prud'hommes, dont un certain nombre sont purement et simplement fermés : les salariés, même en référé, ne peuvent pas obtenir le paiement de leurs salaires. Nous devons trouver des réponses. Je songe aussi au droit de la famille. L'oralité des débats y est fondamentale et j'ai apprécié que vous le rappeliez, monsieur le président. La question des violences conjugales a émergé dans le débat récent, c'est tant mieux, mais nous devons insister sur les violences faites aux enfants : les victimes, n'étant plus scolarisées, ne sont plus identifiées par les enseignants. Nous devons encourager le Gouvernement à mener une campagne de sensibilisation. L'un des rares avantages du confinement est que nous entendons ce qui se passe chez les voisins...
Nous avons posé une question sur l'interruption volontaire de grossesse (IVG) au Gouvernement, en séance publique, hier. Sa réponse est pour le moins ambivalente.
La situation des outre-mer est variable, mais très difficile pour certaines collectivités. Nous devons faire des propositions.
Puis-je suggérer, au-delà des auditions des ministres, celles de Jacques Toubon, Défenseur des droits, Christiane Féral-Schuhl, présidente du Conseil national des barreaux, et Louis Gallois, président de la Fédération des acteurs de la solidarité ?
Enfin, pourrait-on intégrer au rapport certaines propositions judicieuses qui ressortiraient de cette réunion ?
M. Philippe Bas, président. - Le rapport de la mission de contrôle mentionne bien les tensions qui risquent de naître, dans les établissements pénitentiaires, de la fermeture des parloirs et de la suspension des promenades : je suis tout à fait d'accord pour que l'on réfléchisse à des amendements à ces règles très restrictives, sans porter préjudice à la prévention de la diffusion du virus.
Je n'ai pas non plus abordé tout à l'heure, dans ma présentation générale, la question des fins de peine anticipées, qui revêtent quatre formes différentes dans les ordonnances. La commission doit veiller à ce que ces mesures de régulation de la surpopulation carcérale, que beaucoup de gouvernements ont rêvé de prendre en temps ordinaire, ne soient pas conçues comme l'expérimentation d'une nouvelle politique carcérale et ne débouchent pas sur des libérations systématiques sans examen individuel pour chacun des détenus concernés.
Je prends note de vos propos sur les demandes d'asile et les conseils de prud'hommes. L'idée que tout un champ de l'action publique puisse être provisoirement interrompu n'est pas acceptable si l'on n'a pas d'abord essayé d'assurer la continuité du service. Certaines mesures concernant les tribunaux peuvent paraître excessives, mais au moins ceux-ci ne s'arrêtent pas complètement de fonctionner ! L'idée que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et les conseils de prud'hommes s'arrêtent de fonctionner justifie que nous portions notre regard dans ces deux directions et que nous demandions aux pouvoirs publics de trouver les moyens d'une poursuite de leur mission de service public. L'invocation du droit de retrait n'est pas toujours conforme à la loi et a parfois des conséquences graves.
Je suis particulièrement sensible aux violences faites aux enfants. Ces questions pourront être abordées au travers de l'organisation des forces de sécurité, qui relève du champ de notre mission de contrôle. Les pouvoirs publics se félicitent qu'il y ait beaucoup moins de délinquance, que les forces de l'ordre se redéploient pour surveiller le confinement, mais des violences se développent dans les maisons sans que l'on puisse intervenir à temps. C'est un sujet de préoccupation tout à fait majeur.
J'ai bien noté vos demandes d'auditions et je n'y suis pas défavorable. Veillons simplement à ne pas emboliser notre programme de travail.
M. Thani Mohamed Soilihi. - Marie-Pierre de La Gontrie a eu raison de souligner les difficultés très prononcées de l'outre-mer, cette crise s'ajoutant à des difficultés structurelles. Dans mon département de Mayotte, l'armée assurera demain la distribution de collations, car une bonne partie de la population n'a accès ni aux produits de première nécessité ni à l'eau. Toutes les difficultés d'application des textes juridiques s'ajoutent à cela.
Je loue les initiatives prises. Notre commission des lois est compétente sur les outre-mer et en ces temps difficiles, plus que jamais, nos collègues ultramarins auront besoin de recourir à ses services. Moi-même, hier, j'ai eu à saisir la commission des affaires sociales d'une question précise sur les cotisations de travailleurs indépendants.
La situation déjà très difficile des collectivités ultramarines ne doit pas être aggravée par la difficulté de lecture des textes juridiques.
M. Philippe Bas, président. - J'ai effectivement pensé à la nécessité de prendre en compte les difficultés particulières de l'outre-mer. Mayotte est très touchée par la crise sanitaire. Nous étions ensemble en Guyane il y a quelque temps : je mesure, à partir de cette expérience, les difficultés du confinement quand l'accès au logement n'est pas assuré dans de bonnes conditions, quand la natalité est très dynamique et la promiscuité très grande, et celles du système hospitalier, malgré d'importants investissements parfois, quand il est submergé. La commission des lois devra témoigner une attention particulière à nos concitoyens d'outre-mer. Nous devrons faire remonter l'information et relayer les attentes des outre-mer pour alerter le Gouvernement.
M. Jean-Pierre Sueur. - Je souhaite insister sur les points évoqués hier à l'Assemblée nationale par le Premier ministre s'agissant des modalités de déconfinement, notamment le tracking, dispositif permettant de localiser les téléphones portables. Le cas échéant, une telle décision de recourir à des outils numériques de traçage et d'exploitation des données personnelles de nos concitoyens devrait appeler de nouvelles dispositions législatives. Nous devrions aborder le sujet dans notre rapport.
M. Philippe Bas, président. - Nous avons tenu compte de votre observation formulée pendant la réunion de la mission de contrôle ce matin et complété le rapport en conséquence. Sans être très précis, le Premier ministre s'est montré hier relativement prudent, mais néanmoins assez ouvert sur cette question : il a entrebâillé la porte au tracking, en précisant qu'il pourrait s'agir d'une démarche volontaire, après recueil du consentement préalable des détenteurs de téléphones mobiles. Le risque existe cependant qu'il s'agisse davantage d'un « volontariat forcé », le recours à l'outil numérique étant la contrepartie d'une sortie partielle ou totale du confinement. Nous devons, à cet égard, nous montrer prudents : sans priver la France de moyens efficaces, fondés sur ces technologies permettant de reprendre une activité économique et sociale et de sortir du confinement, il convient de veiller à ne pas créer de précédents dangereux pour les libertés individuelles et qui pourraient être indûment pérennisés ou utilisés dans d'autres circonstances.
Mme Laurence Harribey. - S'agissant des dispositifs de géolocalisation, ne conviendrait-il pas d'entendre la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) dans la mesure où des questions pourraient être soulevées en matière de libertés publiques ?
Par ailleurs, les collectivités territoriales ne devraient-elles pas constituer un axe prioritaire des travaux de la mission de contrôle et de notre commission des lois ? À l'heure où nous voyons poindre des rumeurs sur un report du second tour des élections municipales au-delà du mois de juin, il apparaît urgent de stabiliser la situation afin de permettre aux assemblées délibérantes de fonctionner normalement et en pleine légalité. Dans certaines grandes collectivités territoriales, l'application des textes pose des difficultés au regard de la légitimité des décisions qui pourraient être prises par un neuvième seulement des membres.
Enfin, quel sera le statut des auditions organisées par la mission de contrôle ? Seront-elles captées pour l'ensemble des membres de la commission des lois ? J'ai pu suivre hier l'audition du Premier ministre et du ministre de la santé à l'Assemblée nationale, intéressante et bien organisée. Cela irait dans le sens de la transparence de nos travaux et relativiserait un éventuel sentiment de frustration.
M. Philippe Bas, président. - Il pourrait effectivement être envisagé d'entendre la CNIL. Il convient cependant de veiller à ne pas élargir nos auditions à l'envi, au risque d'emboliser, je le redis, nos travaux. D'ailleurs, notre collègue Loïc Hervé, membre de la CNIL, assurera le suivi des dispositions qui pourraient porter atteinte au secret des données personnelles.
Bien qu'il faille considérer l'information avec précaution, le Président de la République aurait l'intention de ne pas organiser le second tour des élections municipales au mois de juin prochain. S'il en était ainsi décidé, nous entrerions dans un univers à construire... Il conviendrait de traiter le cas des communes de moins de 1 000 habitants, dont une partie des conseillers municipaux ont été élus au premier tour. Ces derniers devraient être considérés comme définitivement élus, comme le rappelle la loi d'urgence du 23 mars 2020. Mais qu'en serait-il des autres membres du conseil municipal, qu'il faudrait élire pour compléter celui-ci ? Les élections sénatoriales devraient également être reportées. Se poserait également la question de la composition des conseils communautaires, sur laquelle la loi du 23 mars 2020 n'a pu aboutir qu'à une cote mal taillée. Ainsi, un report du second tour des élections municipales après l'été aurait des conséquences en cascade, qu'il nous faudrait traiter.
Il faut, en tout état de cause, élire au plus vite les maires et leurs adjoints dans les communes où le conseil municipal a été élu au complet dès le premier tour. Nous en avons fait la demande au Gouvernement, mais, évoquant la sécurité du vote, il n'a encore pris aucune disposition concernant le vote à l'urne, le vote par correspondance ou le vote électronique. Il ne s'agit pourtant pas d'une élection au suffrage universel et les élus sont des personnes responsables.
Nos concitoyens attendent beaucoup, parfois trop, des collectivités territoriales en cette période. Certains maires s'investissent de responsabilités relevant des préfets, notamment s'agissant de l'instauration de couvre-feux. Or, les pouvoirs de police générale des maires doivent céder devant les pouvoirs de police spéciale des préfets. Il me semble utile que les préfets rendent compte à notre mission de leurs actes et qu'ils fassent remonter les décisions prises par les maires dans leur département.
Les collectivités territoriales représentent donc effectivement, madame Harribey, un sujet prioritaire, mais pas moins que les conditions de fonctionnement de la justice ou la situation des prisons.
M. Jacques Bigot. - En tant qu'Alsacien, je remercie les habitants des territoires qui ont accueilli des malades en souffrance de notre région. Nous étions en grande difficulté et la solidarité a remarquablement fonctionné.
Je vous remercie pour les préoccupations exprimées s'agissant de la justice. Les ordonnances prises par le Gouvernement dans ce domaine sont évidemment liées au confinement, mais elles s'inscrivent également dans un contexte difficile, marqué par les deux mois de grève des avocats qui ont conduit au renvoi de nombreuses audiences. À l'issue du confinement, il conviendra de ne pas prolonger les dispositifs mis en place à titre exceptionnel, afin de permettre à la justice de fonctionner à nouveau normalement, malgré des moyens certes insuffisants.
M. Philippe Bas, président. - Le confinement succède, en effet, à deux mois de grève des avocats. Les renvois d'audience aggravent encore la situation de la justice. D'une certaine manière, les mesures prises par les ordonnances permettront de traiter les contentieux qui n'avaient pas pu l'être avant même l'état d'urgence. Elles se prolongeront d'ailleurs un mois après la fin de l'état d'urgence sanitaire, ce qui illustre que la garde des sceaux estime en avoir besoin non seulement pour pallier les baisses d'effectifs liées au Covid-19, mais aussi pour surmonter la désorganisation de la justice provoquée par les grèves.
M. Alain Richard me précise que les intentions prêtées au Président de la République sur un éventuel report du second tour des élections municipales ne reposent que sur les conjectures de quelques partenaires politiques et que le débat déclenché par un article du Parisien ce matin est totalement artificiel.
M. Pierre-Yves Collombat. - Je me félicite que notre mission de suivi s'intéresse aux services publics dans les territoires ruraux. Il serait d'ailleurs judicieux que chacun parmi nous fasse remonter les difficultés rencontrées dans son département, car les problèmes sont très variables d'un endroit à l'autre.
Il semble que l'exécutif caresse malgré tout l'idée de reporter encore la date du second tour des élections municipales. On entrerait alors dans une période de transition avec des situations très différentes selon les cas : dans les communes où le conseil aura été élu au premier tour, le maire pourra être élu et exercer son mandat ; dans les autres communes, en revanche, on ne pourra faire autrement que de prolonger le mandat des équipes en place, ce qui ne sera pas sans soulever des difficultés.
M. Philippe Bas, président. - En effet, il serait intéressant que chacun fasse remonter les initiatives prises dans son département.
Nous devons aussi insister auprès du Gouvernement, je le redis, pour qu'il prévoie, au-delà de l'assouplissement des règles de quorum et de procuration dans les assemblées locales, des modalités de vote permettant d'élire plus rapidement les maires et de sortir de l'entre-deux actuel, afin de ne pas reculer la date d'installation des maires même si le confinement se prolonge.
J'en profite pour indiquer à Mme Laurence Harribey que nos auditions seront ouvertes à tous les membres de la commission, du moins si les moyens techniques le permettent.
Permettez-moi de vous transmettre quelques messages reçus au moyen du dispositif de conversation en ligne.
Mme Catherine Troendlé s'associe aux remerciements de M. Jacques Bigot concernant l'aide apportée par les autres territoires pour prendre en charge les malades hospitalisés en Alsace.
M. François-Noël Buffet indique qu'il interrogera l'Ofpra concernant l'instruction des demandes d'asile ; je l'en remercie.
Mme Françoise Gatel souligne, à juste titre, que la question des services publics ne concerne pas que les territoires ruraux.
Mme Sophie Joissains m'interroge sur le remboursement des frais de campagne du premier tour si de nouvelles élections devaient avoir lieu à la rentrée. C'est une question que nous devrons traiter. Je rappelle que, en vertu d'un accord entre l'Assemblée nationale et le Sénat, il a été décidé de repousser le plus tard possible la décision de reporter, ou non, le second tour des élections municipales, afin de se donner les meilleures chances pour l'organiser le plus rapidement possible. Le comité de scientifiques devra rendre un rapport d'ici le 23 mai prochain, et non le 10 mai comme cela était initialement prévu.
Mme Marie Mercier. - Je ne doute pas de la bonne volonté du Gouvernement, mais je m'interroge sur la réelle volonté de transparence des agences régionales de santé (ARS), qui retiennent des informations. Nous avons eu une réunion avec le préfet. Il nous a donné les chiffres des décès que l'on peut lire dans la presse, mais rien sur les décès dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) !
De même, les masques que les policiers avaient en leur possession ont été réquisitionnés par les ARS, mais nul ne sait où ils sont passés. Or ils dataient de la crise liée à la grippe H1N1 et étaient périmés.
Enfin, comment sera réalisé le déconfinement ? Il est question de tracking. Il faudra réaliser des tests afin d'avoir l'autorisation de sortir. Mais comment seront-ils faits et interprétés ? Ce n'est pas si facile : on peut être porteur sain, avoir été malade, avoir été en contact avec une personne infectée, etc.
M. Philippe Bas, président. - Vos questions sont à la frontière entre le suivi de la commission des affaires sociales et celui de la commission des lois, compétente pour contrôler les restrictions aux libertés individuelles et aux libertés publiques. Nous devrons examiner attentivement les méthodes qui permettront de sortir du confinement. Il faudra réaliser des tests pour déterminer qui aura l'autorisation de sortir. Il ne s'agira plus de mesures générales, mais de décisions particulières, ayant pour effet d'interdire à certaines personnes de sortir de chez elles tandis que d'autres seront autorisées à le faire, sur la base de techniques intrusives pour la vie privée. Nous devrons donc suivre cela de très près, en coordination avec la commission des affaires sociales, qui mène, par ailleurs, son propre programme de suivi, comme la commission des affaires économiques. Le Sénat a choisi en effet de procéder ainsi, avec peut-être moins de visibilité que l'Assemblée nationale, pour mener un travail de fond grâce à l'expertise de chaque commission.
Je vous remercie de votre participation.
La commission la diffusion, sur le site internet du Sénat, des éléments d'analyse présentés par la mission de suivi.
La réunion est close à 15 h 55.