Mercredi 19 février 2020
- Présidence de M. Patrick Chaize, vice-président -
La réunion est ouverte à 09 h 35.
Audition de Mme Corinne Le Quéré, présidente du Haut Conseil pour le climat
M. Patrick Chaize, président. - Nous recevons, pour la première fois devant notre commission, Mme Corinne Le Quéré, présidente du Haut Conseil pour le climat (HCC).
Le Haut Conseil pour le climat est une instance initialement créée par voie réglementaire ; elle a été installée par le Président de la République en novembre 2018 et ses missions ont été définies par un décret de mai 2019. Au moment où la loi du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat a élevé cette structure à un rang législatif, ses membres étaient donc déjà nommés et son premier rapport avait été rendu.
Nous nous sommes interrogés, au sein de cette commission, lors de l'examen de ce projet de loi, dont notre collègue Pascale Bories était rapporteure, sur la pertinence et sur l'utilité de la création, dans la loi, d'un organisme consultatif existant déjà, relevant, selon toute vraisemblance, du champ réglementaire et empiétant potentiellement sur d'autres organismes travaillant à la transition énergétique.
La principale mission de cette instance, qui consiste à apporter un éclairage indépendant sur la politique du Gouvernement en matière de climat, la conduit à rendre chaque année un rapport sur le respect de la trajectoire de baisse des émissions de gaz à effet de serre (GES), sur la bonne mise en oeuvre des politiques et mesures visant à réduire les émissions de tels gaz et à développer les puits de carbone. Vous devez également rendre un avis tous les cinq ans sur les projets de stratégie nationale bas-carbone et de budget carbone et sur la trajectoire de baisse des émissions de GES sur laquelle s'engage la France.
Outre vous-même, madame la présidente, qui êtes une climatologue reconnue et qui avez lancé le « Global Carbon Budget » - synthèse annuelle des émissions mondiales -, le HCC comprend douze membres choisis pour leur expertise.
Vous avez publié en juin 2019 votre premier rapport annuel intitulé Agir en cohérence avec les ambitions, qui faisait le constat que la France n'était pas sur la bonne trajectoire pour atteindre ses objectifs climatiques. À la suite de ce premier travail, le Gouvernement vous a demandé d'élaborer un cadrage préalable des méthodes d'évaluation des lois et des projets de loi au regard du climat, ce qui a fait l'objet d'un avis publié en décembre dernier.
Je vous serais donc reconnaissant de bien vouloir nous en présenter les principaux enseignements et constats, puis je passerai la parole à notre collègue Pascale Bories ainsi qu'à l'ensemble de mes collègues.
Mme Corinne Le Quéré, présidente du Haut Conseil pour le climat. - C'est un immense plaisir pour moi d'être présente ici aujourd'hui ; cette audition nous permet de vous présenter le HCC et de faire le point sur ses travaux.
Notre mission consiste à évaluer la cohérence de la stratégie bas-carbone du Gouvernement par rapport aux objectifs de l'accord de Paris, à recommander des actions correctrices et à émettre des avis permettant d'éclairer les débats de manière neutre.
Pourquoi cette nouvelle entité dans l'écosystème existant ? Le HCC a une action de long terme, puisque nous avons un mandat de cinq ans, renouvelable une fois ; cela nous permet d'avoir une vision à long terme allant au-delà de l'horizon temporel des gouvernements successifs. Le HCC est indépendant ; il rend au Gouvernement un rapport annuel, il doit dresser un bilan, tous les cinq ans, sur la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) et il est entendu annuellement par le conseil de défense écologique.
Ayant été installés en novembre 2018, nous avons présenté au Premier ministre, en juin dernier, notre premier rapport, qui a été transmis au Parlement et au Conseil économique, social et environnemental (CESE). Le Gouvernement est tenu, en vertu de la loi du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat, à répondre à ce rapport dans les six mois, ce qu'il a fait en janvier dernier. Cette réponse est présentée au Parlement et au CESE, à charge pour eux de s'en emparer. Dans sa réponse, le Gouvernement indique les mesures mises en oeuvre ou prévues pour appliquer la SNBC, il explique pourquoi certains objectifs ne sont pas atteints et il décline les moyens permettant de les atteindre.
Cette boucle de rapports et de réponses est originale ; elle doit permettre d'assurer la constance des actions de long terme du Gouvernement et guider la société vers la neutralité carbone. Je siège également au sein du Comité britannique sur le changement climatique, en place depuis dix ans et qui a mis en oeuvre une telle boucle ; cela a contribué à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % depuis 1990, soit une réduction plus de deux fois plus forte que la réduction observée en France. Selon moi, les avis et les recommandations de ce comité ont aidé à atteindre ces objectifs.
Les treize membres du HCC sont choisis pour leur expertise scientifique, technique ou économique et exercent dans des secteurs importants pour le climat - changement climatique, transition énergétique ou encore agriculture. Ils sont assistés par une équipe de six personnes dirigée par M. Oliver Fontan, qui m'accompagne ce matin.
Notre rapport annuel doit contenir une évaluation du respect de la trajectoire des émissions bas-carbone, pour atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050, et des budgets carbone déclinés tous les cinq ans. Nous étudions aussi la mise en oeuvre des politiques et mesures par l'État et par les collectivités territoriales destinées à réduire les émissions et l'empreinte carbone, à adapter la société au changement climatique et à développer les puits de carbone. Nous devons examiner les impacts sociaux, économiques et environnementaux de ces actions et produire, tous les cinq ans, un rapport sur la stratégie nationale bas-carbone.
Que constate-t-on sur le climat ?
La planète se réchauffe. On a déjà constaté un réchauffement de 1 degré Celsius, ce qui est colossal à l'échelle planétaire - il faut comparer cela à une fièvre de 1 degré. Le cycle hydrique, les écosystèmes, les sols sont déséquilibrés ; on constate une augmentation de 1,4 degré en France, avec un accroissement des vagues de chaleur, ce qui accroît le risque de feux et de sécheresses. Les précipitations intenses augmentent également ainsi que le niveau de la mer, d'où de plus grands risques d'inondation. Plus les changements climatiques sont importants, plus les risques augmentent et se répercutent dans le reste de la société.
Pour stabiliser le climat, il faut que les émissions globales de gaz à effet de serre soient ramenées à zéro. Pour cela, en France, toutes les activités qui peuvent passer des énergies fossiles aux énergies renouvelables doivent le faire - cela concerne presque tout le transport terrestre, le chauffage et la fourniture d'électricité des bâtiments - et, sur les autres secteurs, il convient d'engager de fortes réductions de consommation ; je pense par exemple à l'industrie et à l'agriculture. Enfin, s'agissant des consommations qui ne peuvent être ramenées à zéro, il faut les compenser par les puits de carbone.
Dans notre premier rapport annuel, nous avons indiqué que l'objectif d'émissions de GES de la France pour 2050 était cohérent avec l'accord de Paris et qu'il permettait, selon ce qu'il se passera dans les autres pays, de limiter le changement climatique à moins de 2 degrés Celsius, voire à 1,5 degré. Pourtant, les efforts actuels pour atteindre la neutralité carbone et respecter le premier budget carbone sont insuffisants pour atteindre cet objectif. La trajectoire actuelle permet d'atteindre une réduction des émissions de 1,1 % par an, au lieu des 1,9 % prévus. En outre, les réductions sont censées tripler dès 2025. Nous ne sommes donc pas du tout en mesure d'atteindre les objectifs.
Nous avons émis six recommandations fondamentales.
En premier lieu, il faut assurer la cohérence des lois et des grands projets. Les problématiques climatiques ne doivent plus uniquement concerner le ministère de la transition écologique et solidaire mais l'ensemble du Gouvernement ; tous les ministres doivent mettre en place une stratégie permettant d'atteindre la neutralité carbone.
En deuxième lieu, si les émissions baissent effectivement - certaines politiques fonctionnent -, les actions mises en oeuvre doivent être renforcées ; en particulier, le prix du carbone dans l'économie doit refléter son impact sur l'environnement et les changements climatiques.
En troisième lieu, les mesures mises en oeuvre sont rarement évaluées ; on constate un manque important de pilotage de la SNBC ; par exemple, on ne sait pas pourquoi certains objectifs dans le domaine du transport et dans celui du bâtiment ne sont pas atteints. On ne sait pas non plus comment certaines lois, en particulier la loi du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités, contribuent à l'atteinte de la neutralité carbone. Ces lois permettent-elles d'atteindre tous les objectifs de ce secteur ou faut-il prévoir d'autres mesures ?
Les trois recommandations suivantes sont plus fondamentales.
Il s'agit tout d'abord de préparer l'économie et la société à l'atteinte de la neutralité carbone. Les filières d'approvisionnement devront changer, ce qui aura nécessairement des impacts sur l'emploi.
Il faut ensuite assurer une transition juste. Les mesures mises en place créent des frustrations - pourquoi devrais-je, moi, faire des efforts, alors que l'aviation ou l'industrie bénéficient de passe-droits ? Il faut démontrer que les actions ont un impact et que les efforts demandés aux entreprises et aux citoyens sont justes.
Il faut enfin articuler la stratégie à toutes les échelles, en créant des interfaces tant avec l'Europe qu'avec les régions, qui sont source d'innovation, sont proches des citoyens et connaissent bien les leviers locaux.
Je veux revenir sur l'évaluation des mesures. Le Gouvernement nous a demandé d'approfondir le cadre d'évaluation. Nous avons donc publié en décembre dernier un rapport, dans lequel nous constatons que seulement 3 % des articles de loi sont actuellement évalués sous l'angle du climat ; c'est très peu ! Nous recommandons d'améliorer cette proportion en évaluant systématiquement l'impact sur le climat des lois qui s'y prêtent.
Il faut prévoir une évaluation transparente, sélectionner les lois à évaluer - toutes n'ont pas un impact sur le climat -, réaliser une étude d'impact relative à la SNBC afin de se demander si la loi est à la hauteur pour respecter la trajectoire vers la neutralité, prévoir ab initio un dispositif d'évaluation précisant les indicateurs et les données sous-jacentes et, enfin, renforcer le pilotage de la stratégie nationale bas-carbone au travers de la réunion annuelle du conseil de défense écologique.
Quelques mots sur notre programme de travail pour 2020.
Plusieurs rapports sont en préparation. Le premier porte sur une comparaison internationale des politiques en matière de bâtiment. Un autre rapport a trait à la part importée de notre empreinte carbone. En effet, une part des émissions de la France est notifiée aux Nations unies de manière territorialisée. On ne connaît donc pas la responsabilité de la France dans les émissions générées à l'étranger du fait de la consommation, en France, de certains produits.
Le Gouvernement nous a demandé de produire un rapport sur cette part importée de l'empreinte carbone. Il s'agit, déjà, de savoir d'où elle vient et si les données sont fiables, pour commencer à documenter une politique du Gouvernement visant à agir sur notre empreinte carbone. Des mesures doivent être mises en place, mais nous ne pouvons pas dire aujourd'hui si, par exemple, un objectif de neutralité carbone en 2050 est atteignable, si les autres pays n'atteignent pas cette neutralité à la même date.
Dans notre rapport annuel, qui sera publié en juin prochain, mais que nous préparons en ce moment, nous allons évidemment dresser un état des lieux des émissions et des avancées politiques. Nous allons examiner de manière plus approfondie la stratégie nationale bas-carbone, ses hypothèses, ses risques et la question des prix pour atteindre la neutralité carbone. Nous examinerons également de manière plus approfondie les questions des engagements territoriaux, de la formation et de la transition juste.
Nous souhaitons également, cette année, commencer à avancer sur l'adaptation au changement climatique. Un certain degré d'adaptation est déjà nécessaire aujourd'hui et le sera encore davantage demain. La France est-elle prête à répondre à ce défi ? Cette problématique est vraiment très importante.
Notre objectif est de parvenir, dans le rapport annuel, à des recommandations et des analyses plus détaillées que celles que nous avons produites jusqu'à maintenant.
M. Patrick Chaize, président. - Je donne la parole à Pascale Bories, qui a été rapporteure du projet de loi relatif à l'énergie et au climat..
Mme Pascale Bories. - Madame la présidente, je suis heureuse de vous retrouver aujourd'hui, quelques mois après l'officialisation, par la loi, du Haut Conseil pour le climat.
Je rappelle que le Sénat avait regretté le manque d'ambition du projet de loi relatif à l'énergie et au climat ainsi que le manque de débats préalables sur la programmation pluriannuelle de l'énergie.
Le Parlement a enrichi vos missions, notamment avec l'évaluation des incidences de la politique de réduction des émissions de gaz à effet de serre sur la formation et sur l'emploi. Quelle est votre position à ce sujet ? Cette dimension a-t-elle déjà été prise en compte dans vos travaux et dans vos méthodes de travail ?
Par ailleurs, comment articulez-vous vos travaux avec ceux d'autres instances existantes ? Nous nous étions notamment demandé si la création du HCC n'était pas redondante avec l'existence du Conseil national de la transition écologique (CNTE) ou d'autres structures. Comment travaillez-vous avec ces organismes ?
Vous avez regretté le manque d'évaluation de l'impact climatique des projets de loi. Quelle contribution comptez-vous apporter sur ce plan ? Avez-vous déjà établi certaines priorités et décidé d'apporter une attention particulière sur des articles de loi précis, sur lesquels vous feriez des préconisations au Gouvernement ?
Comment votre action tient-elle compte de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) ?
Mme Corinne Le Quéré. - Nous avons prévu, dans le rapport annuel de cette année, d'étudier les incidences sur la formation. À cet égard, je veux souligner que notre rôle est de regarder l'action du Gouvernement, non de faire le travail à sa place.
Notre équipe compte six personnes et doit examiner de nombreuses problématiques. Ce que nous pouvons faire, c'est, par exemple, observer la réalité de la formation et proposer que tel ou tel acteur se penche sur ce sujet dans tel ou tel secteur ou dans tel ou tel département. Tel est le niveau des recommandations que nous pouvons formuler.
Nous avons adressé une lettre à au ministre Bruno Le Maire, qui identifie un certain nombre de risques du Pacte productif, et notamment l'incidence de l'objectif de la neutralité carbone sur l'emploi. Nous lui avons ainsi recommandé qu'il y ait, au sein du Pacte productif, une planification de l'incidence sur l'emploi.
Dans sa réponse à notre rapport, M. le Premier ministre a indiqué sa volonté d'adresser à chacun des ministres une lettre de mission qui leur demande d'élaborer une stratégie pour atteindre la neutralité carbone dans leur ministère. Je souhaite vivement que ces lettres de mission incluent des questionnements sur les besoins de formation et sur l'impact sur l'emploi.
Pour ce qui concerne l'articulation avec d'autres instances, le Haut Conseil pour le climat a deux particularités : son indépendance par rapport au Gouvernement et le périmètre de son mandat, qui porte très précisément sur le climat et sur le long terme - au-delà, donc, de la durée de vie des gouvernements. Le HCC n'est pas un conseil de représentation, contrairement au CNTE et au CESE. C'est un conseil d'experts. C'est ce qui nous différencie des autres instances.
Nous échangeons avec celles-ci sur des thématiques particulières. Nous sommes attentifs aux travaux qu'elles ont d'ores et déjà réalisés.
Nous aurons nous-mêmes à évaluer les politiques du Gouvernement. Nous sommes en train de développer notre propre méthodologie pour procéder à ces évaluations.
Nous nous sommes déjà penchés sur la question des transports, secteur qui émet le plus d'émissions en France - plus de 30 % des émissions. Nous aurions voulu l'inclure dans notre rapport annuel de cette année, mais, la tâche étant vraiment très importante, nous publierons probablement plus tard un rapport dédié.
L'examen de la PPE ne figure pas dans notre mandat. Nous devons nous assurer que l'électricité est décarbonée, que les émissions diminuent, donc que les hypothèses de la PPE qui affectent les émissions sont réalistes, réalisées et que les risques sont bien gérés. Notre mandat s'arrête là.
M. Jérôme Bignon. - Merci de votre exposé introductif, très intéressant et riche de perspectives.
J'ai beaucoup travaillé sur le sujet des puits de carbone, notamment lorsque j'ai rédigé, conjointement avec une collègue députée et à la demande du Premier ministre, un rapport sur les zones humides en France.
Les zones humides sont des pièges à carbone absolument fantastiques. Elles captent davantage de carbone que la forêt. Or, elles sont tellement méconnues qu'on les détruit en permanence. La France subit actuellement une artificialisation des sols qui va croissant et qui est inquiétante. Elle pénalise notamment les zones humides, qui disparaissent à intervalles très réguliers. Or, avec la destruction de la tourbe, non seulement on ne stocke plus de carbone, mais on en relâche dans l'atmosphère, sans bien en mesurer l'impact, qui est considérable.
Le Haut Conseil pour le climat s'est-il penché sur cette question ? Sinon, peut-il s'y intéresser ?
Mme Corinne Le Quéré. - Les puits de carbone sont vraiment très importants dans la stratégie nationale bas-carbone. Il est question de doubler leur nombre en trente ans.
Les changements climatiques ont déjà un impact sur les puits de carbone, qui sont fragilisés. Il faut les protéger et utiliser la biosphère pour d'autres services, par exemple la bioénergie.
Dans notre rapport annuel de cette année, nous nous penchons sur les hypothèses fondamentales de la SNBC, qui inclut les puits de carbone, mais nous ne pourrons pas étudier cette question de manière approfondie. Les hypothèses du Gouvernement sont-elles réalistes ? Que doit-on faire pour protéger les milieux naturels et rehausser leur capacité de stockage de carbone ? Quelles sont les contraintes particulières dans les territoires de la France ? Nous allons commencer à étudier ces questions. Je souhaite fortement que, dans l'année qui vient, nous puissions les examiner dans le détail. Pour l'heure, notre charge de travail est très importante et nous n'avons pas encore défini notre prochaine priorité.
M. Patrick Chaize, président. - Peut-être qu'avant de doubler le nombre de puits de carbone, il faudrait protéger ceux qui existent...
M. Claude Bérit-Débat. - L'une des six recommandations que vous nous avez présentées consiste à préparer l'économie et la société.
Notre commission a organisé récemment une table ronde sur l'économie numérique et sur ses conséquences en en termes d'empreinte carbone. Avez-vous examiné cette problématique ? Quelles préconisations feriez-vous dans ce domaine ?
Mme Corinne Le Quéré. - Les données relatives aux émissions de gaz à effet de serre dans le secteur du numérique posent un problème important : elles ne sont pas présentées de manière détaillée. Leur présentation au niveau sectoriel ne permet pas d'identifier l'empreinte carbone du numérique de manière précise. Cette difficulté a été déjà pointée du doigt au niveau international comme au niveau national.
Il faut mettre en contraste l'impact environnemental - énergétique et matériel - du numérique et son potentiel pour soutenir, en particulier, l'accroissement de l'efficacité énergétique, par exemple dans les bâtiments ou dans le domaine du transport.
C'est l'un des volets du Pacte productif, qui doit normalement avoir comme phare, dans son développement, la neutralité carbone en 2050. Pour ce qui nous concerne, nous n'avons pas, à ce jour, prévu d'étudier spécifiquement le numérique. Cependant, le Conseil national du numérique vient d'être saisi du sujet par le ministère de la transition écologique et solidaire. Le Haut Conseil pour le climat est mentionné dans la lettre de saisine. Autrement dit, le Conseil national du numérique doit se pencher sur cette question, en collaboration avec nous.
M. Patrick Chaize, président. - Cette question m'est chère. Notre commission y travaille. Nous aurons peut-être à vous saisir de cette question pour éclairer nos travaux.
M. Didier Mandelli. - Madame la présidente, je veux vous remercier de la qualité des travaux que vous réalisez ainsi que de vos recommandations, qui devraient, à mon sens, inspirer encore plus fortement à la fois les décisions du Gouvernement et les travaux du Parlement.
Vos travaux font autorité. Le HCC est un groupe d'experts reconnu, au-delà de notre pays d'ailleurs. À cet égard, comment avez-vous vécu la création de la Convention citoyenne pour le climat ? Dans votre organigramme, celle-ci n'est rattachée à rien, ce qui est toujours très parlant... Ne considérez-vous pas qu'il s'agit d'un gadget médiatique qui occulterait les travaux très sérieux et très rigoureux que vous réalisez, avec d'autres visées ?
M. Patrick Chaize, président. - Très bonne question !
Mme Corinne Le Quéré. - En juin dernier, quand nous avons réalisé cet organigramme, la convention citoyenne n'était encore rattachée à aucun organisme. Aujourd'hui, le CESE est chargé de piloter cette convention. Le Haut Conseil pour le climat n'a donc reçu aucune sollicitation particulière, même si plusieurs de nos membres ont contribué à l'organisation de cette convention et si nous avons fourni des documents visant à informer les citoyens sur les problématiques propres à la France.
Nous sommes en effet dans une situation assez particulière : notre électricité étant déjà en grande partie décarbonée en raison de la part du nucléaire dans notre mix énergétique, les réductions que nous devons réaliser engagent tous les secteurs de l'économie et donc l'ensemble des citoyens. La France est en première ligne par rapport à cet engagement citoyen. Le Royaume-Uni, par exemple, atteindra la plupart de ses objectifs grâce à la sortie du charbon de son mix électrique.
Nous devons faire les choses autrement, en nous intéressant aux transports, aux bâtiments, à la consommation... La convention citoyenne est une nouvelle forme d'engagement très intéressante. Nous allons regarder comment le Gouvernement va s'emparer, ou non, de ses résultats, ce que nous pouvons en apprendre et quelles préconisations nous pourrons en tirer. Si le bilan de la convention s'avérait positif, peut-être faudra-t-il recommander la création de conventions citoyennes régionales, par exemple, sur des sujets plus précis.
M. Patrick Chaize, président. - Dans votre exposé liminaire, madame la présidente, vous avez parlé de la transformation de l'énergie fossile en énergie renouvelable. J'aimerais savoir quel regard vous portez sur l'énergie nucléaire, qui est aussi une énergie décarbonée.
Mme Corinne Le Quéré. - Nous ne nous positionnons pas sur la composition du mix électrique, seulement sur l'atteinte des objectifs bas-carbone. Notre mandat se limite à évaluer la stratégie du Gouvernement et à vérifier que les risques sont bien pris en compte.
M. Hervé Gillé. - Madame la présidente, je vous ai écoutée avec beaucoup d'attention, notamment sur l'évaluation des politiques publiques, mais je reste un peu sur ma faim. Quelle est votre vision de la subsidiarité française ? Que pensez-vous de la manière dont les politiques d'évaluation se mettent en place à partir des collectivités territoriales ? Comment évaluez-vous ces subsidiarités climatiques ? Le rôle et l'implication des collectivités territoriales vous semblent-ils cohérents ?
Vous avez également mentionné les plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET). M. Bignon a évoqué la question des puits de carbone dans les zones humides. Un certain nombre de schémas directeurs - je pense aux schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet), portés par les régions, aux schémas de cohérence territoriale (Scot), de plus en plus intégrateurs, notamment en ce qui concerne les politiques environnementales, ou encore aux schémas d'aménagement et de gestion de l'eau (Sage) - posent des questions d'articulation. Nous devons mener une action cohérente, complémentaire et organisée à l'échelle européenne, nationale et territoriale. Selon vous, de quelle manière ces subsidiarités devraient-elles conduire leur action ?
Mme Corinne Le Quéré. - Il s'agit d'une question très importante.
Nous avons abordé les problématiques d'échanges avec les régions dans notre dernier rapport annuel. Il est essentiel d'articuler les politiques nationales et régionales. Les régions sont une source d'innovation, notamment en raison de leur proximité avec les entreprises et les citoyens.
Nous allons approfondir cette question. Nous devons d'abord nous assurer que les régions disposent des données nécessaires pour piloter leurs propres stratégies de réduction et qu'elles ont la capacité de produire et de gérer des données régionales sur les émissions et les trajectoires par secteur. Les PCAET ont été mis en avant, en parallèle de la loi relative à l'énergie et au climat. Or nous ignorons si les objectifs nationaux sont bien déclinés à l'échelle régionale.
Beaucoup reste à approfondir. Je dispose encore de trop peu d'éléments pour vous en dire plus. Je me suis rendue à plusieurs reprises dans les régions, à Bordeaux, pour les Assises de l'environnement, dans les Alpes-Maritimes, dans le Grand Lyon... Je me rendrai prochainement à Marseille. Il s'agit d'encourager les acteurs à s'engager plus fortement. Le même constat vaut pour l'échelon territorial ou national : beaucoup d'efforts, beaucoup de bonne volonté, mais très peu d'organismes pilotes pour atteindre la neutralité carbone. Le secteur des transports sera particulièrement difficile à gérer tant au niveau national qu'au niveau régional.
Beaucoup reste à voir et à faire. Notre premier rapport annuel souligne clairement l'importance de soutenir les efforts régionaux. Il s'agit de leviers très puissants.
M. Jean-Michel Houllegatte. - Madame la présidente, je voudrais tout d'abord vous féliciter de la qualité de vos travaux. Vous avez choisi une approche globale et systémique pour évaluer l'impact des politiques publiques au regard des ambitions affichées. Vous avez même démontré l'utilité du Haut Conseil à travers une évaluation objective, sans concession et parfois très sévère. Dans votre rapport, vous soulignez que la trajectoire actuelle n'est pas satisfaisante : « Le premier budget carbone fixé en 2015 pour la période 2015-2018 n'a pas été respecté », « la qualité des rénovations énergétiques est très insuffisante pour atteindre l'objectif de 500 000 rénovations lourdes par an fixé par la stratégie nationale bas-carbone 1 ». Il me semblait important de souligner la rigueur de vos travaux.
Dans votre recommandation n° 4, « Assurer une transition juste », vous soulignez qu'une « attention insuffisante a été portée à l'impact sur les inégalités des politiques publiques associées à la transition bas-carbone, y compris sur les inégalités géographiques. Ces inégalités potentielles concernent les revenus et opportunités des individus et des ménages, et la compétitivité des entreprises. Le Gouvernement devra veiller à l'équité de la transition et au caractère soutenable des solutions mises en place. » J'aimerais donc savoir ce que le Gouvernement vous a répondu.
Mme Corinne Le Quéré. - Dans sa réponse, le Gouvernement mentionne la mise en place d'un indicateur de suivi des inégalités. Or la stratégie nationale bas-carbone comporte très peu d'indicateurs de suivi des impacts socio-économiques sur la société.
Il y aurait sûrement beaucoup plus à faire en termes de suivi des inégalités. Le Sénat, également destinataire de ce rapport, pourrait sans doute s'intéresser à cette question...
M. Ronan Dantec. - La France est dans une situation assez paradoxale. Sur le papier, avec les Sraddet et les PCAET, nous disposons de l'un des systèmes les plus cohérents et les plus robustes en Europe, mais dont la mise en oeuvre souffre d'un déficit de soutien de la part de l'État qui n'arrive pas à distinguer ce qui marche de ce qui ne marche pas. Vous pouvez donc avoir un rôle important à jouer en termes de diagnostic des difficultés.
De fait, il est important de rentrer dans les détails. Les difficultés portent aujourd'hui sur les virgules. La réhabilitation des logements, par exemple, est aujourd'hui un échec. Même les territoires particulièrement volontaristes n'arrivent pas à atteindre leurs objectifs - je pense notamment à Nantes Métropole. Outre le maquis des aides que l'État est encore loin d'avoir totalement défriché, il va falloir agir fortement sur l'animation et l'accompagnement sur le terrain. Il faut que de vraies personnes sonnent à de vraies portes pour convaincre les propriétaires d'engager des travaux de réhabilitation, notamment dans les copropriétés. De grandes collectivités sont politiquement prêtes à s'engager et ont les moyens de le faire - elles ne le peuvent pas toutes, fracture territoriale oblige... -, mais butent sur le pacte de Cahors, à savoir le corsetage des collectivités sur leurs dépenses de fonctionnement.
Le Haut Conseil pour le climat dispose-t-il des moyens suffisants pour aller à ce niveau de détail ? Sinon, cela ne reviendrait qu'à empiler les « y'a qu'à, faut qu'on ». Les difficultés portent sur des points très précis de blocage du système global, responsables des mauvais résultats de la France en matière de lutte contre le dérèglement climatique.
Mme Corinne Le Quéré. - Avec six personnes à l'emploi du temps déjà très chargé, monsieur le sénateur, nous aurons du mal à aller aussi loin dans le détail. Nous pouvons seulement évaluer la gouvernance, les moyens alloués, les données, la cohérence... Je ne peux pas ajouter grand-chose.
M. Olivier Fontan, directeur exécutif du Haut Conseil pour le climat. - La première réponse, un peu facile, serait de vous dire qu'il faut augmenter nos moyens pour les adapter à nos ambitions. Mais cela n'est pas dans l'air du temps...
Comme l'a souligné Mme la présidente, avec une équipe de six personnes, il ne sera pas possible d'entrer dans ce niveau de détail. Je ne pense d'ailleurs pas que ce soit au Haut Conseil d'éclaircir les mesures réglementaires. Notre action devra se situer plus en amont afin de proposer des solutions au Gouvernement comme aux autorités régionales pour faciliter la lutte contre le changement climatique.
M. Ronan Dantec. - L'État ne reste pas inactif. Il vient de mettre en place un groupe de travail sur ces questions, en liaison avec les collectivités territoriales. Vous transmet-il ses propres réflexions ?
M. Olivier Fontan. - Dans l'ensemble, nous avons de bonnes relations de travail aussi bien avec les services de l'État qu'avec ceux des premières régions que nous avons approchées. Pourvu que cela dure...
Mme Angèle Préville. - Vous affirmez, dans une de vos recommandations : « Tant que la stratégie nationale bas-carbone restera à la périphérie des politiques publiques, les budgets carbone établis et la neutralité carbone ont peu de chances d'être atteints. »
Je partage ce constat. Nous, législateurs, savons mieux que quiconque que seulement 3 % des lois sont évaluées sous l'angle du climat. La Constitution de 1958 accorde une place prépondérante à la liberté d'entreprendre. Nous ne pouvons proposer aucun texte qui entraverait cette liberté. Peut-être sommes-nous à un moment de notre histoire qui appelle un changement : ne faudrait-il pas modifier la Constitution pour faire passer la notion d'urgence climatique avant toute autre considération ?
Depuis plusieurs années, les objectifs de développement durable (ODD) ne sont pas du tout évoqués dans le processus législatif. Pour avoir participé à plusieurs COP, je sais que d'autres pays ont sélectionné des ODD et s'y tiennent. Peut-être pourrions-nous nous en inspirer ?
Dans le dernier texte que nous avons examiné relatif à la lutte contre le gaspillage, les dispositions que le Sénat avait adoptées sur les actions à mener auprès des collégiens pour les former à la réparation et à la réutilisation ont été retoquées à l'Assemblée nationale, au prétexte que ce n'était pas au législateur de faire les programmes. Peut-être y a-t-il, là aussi, une piste à suivre, même s'il ne revient évidemment pas aux parlementaires de rédiger les programmes ?
Mme Corinne Le Quéré. - Effectivement, il faut vraiment mettre au centre la stratégie nationale bas-carbone dans tous les ministères. C'est à vous de me dire comment il convient de procéder au niveau législatif !
Dans notre rapport, nous avons recommandé que les études d'impact intègrent une section particulière concernant l'atteinte de la neutralité carbone. Tous les projets de loi doivent être examinés en ce sens. Nous avons également suggéré au Parlement d'étendre cette recommandation aux propositions de loi.
S'agissant des objectifs de développement durable (ODD), les synergies entre les objectifs climatiques et d'autres objectifs de développement, notamment l'exploitation et la protection des écosystèmes, sont grandes.
Nous ne sommes plus dans un monde où les décisions sont prises uniquement sur des considérations économiques. Il faut désormais considérer leur impact sur l'environnement et le climat, conformément à des objectifs qui permettront à la société de prospérer dans l'avenir.
M. Jean-François Longeot. - Madame la présidente, dans votre premier rapport annuel, vous estimiez que la trajectoire de la France était incompatible avec ses ambitions, particulièrement en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Vous constatiez notamment un faible transfert vers le rail, l'absence d'écotaxe pour ce qui est du transport de marchandises et la persistance de passoires énergétiques dans le secteur du bâtiment. Vous faisiez également état d'un manque d'investissements en faveur du climat. Ces investissements ne représentaient en effet que 41,4 milliards d'euros en 2018, alors que les investissements en faveur de l'utilisation des énergies fossiles atteignaient 75 milliards d'euros en 2017.
Le Sénat a bien entendu partagé vos inquiétudes et défendu un certain nombre de positions, notamment la création d'une taxe carbone aux frontières européennes, le durcissement des conditions définissant un seuil de consommation énergétique maximal au-delà duquel un logement serait considéré comme indécent ou encore la nécessité d'un report modal des passagers et des marchandises de la route vers le rail via les TER et les trains de nuit.
Toutefois, la difficulté identifiée par l'ensemble des acteurs concerne les financements. Ainsi, l'abandon de l'écotaxe a été à l'origine d'un manque à gagner terrible pour l'État, qui ne lui a pas permis de réinvestir sur le rail. Par ailleurs, la loi d'orientation des mobilités n'a pas été à la hauteur pour ce qui concerne les investissements. Rien que dans le secteur du ferroviaire, quelque 500 milliards d'euros seront nécessaires d'ici à 2030 pour achever les travaux des réseaux ferrés transeuropéens.
Quelles sont donc les propositions du Haut Conseil pour le climat en termes de financement ? Êtes-vous favorable à une facilitation des investissements, en permettant aux États de l'Union européenne de les extraire du pacte de stabilité et de croissance, comme l'a suggéré récemment le nouveau commissaire à l'économie, Paolo Gentiloni ? Je partage totalement sa proposition, comme en témoigne d'ailleurs la proposition de résolution que j'ai déposée ici même le 10 septembre dernier.
Mme Corinne Le Quéré. - Nous avons effectivement identifié l'année dernière des incohérences dans le financement, en particulier au regard des infrastructures à énergie fossile. Le Gouvernement s'est engagé dans la voie du budget vert. Il a identifié lui-même un certain nombre de financements incohérents avec l'atteinte de la neutralité carbone et des financements insuffisants en faveur de la neutralité carbone.
Il est particulièrement important de diminuer les financements dédiés aux infrastructures liées au carbone et d'augmenter les financements alloués aux infrastructures bas-carbone.
Nous n'avons pas encore examiné en détail comment encourager ces financements, si ce n'est en pointant certaines incohérences budgétaires.
M. Éric Gold. - Dans votre rapport de juin 2019, Madame la Présidente, vous appelez à ce que la stratégie nationale bas-carbone s'articule à tous les niveaux, afin de permettre une meilleure appropriation des enjeux par les acteurs locaux.
Bien évidemment convaincu de la pertinence de l'échelon local dans la baisse des émissions de gaz à effet de serre, j'aimerais savoir si vous avez des pistes pour mieux soutenir à la fois financièrement, techniquement et humainement les collectivités, afin de leur permettre d'être plus efficaces dans ce domaine.
Par ailleurs, je m'associe à mes collègues Ronan Dantec et Hervé Gillé concernant la fin nécessaire de l'incohérence entre la stratégie bas-carbone, qui relève du niveau national, et les Sraddet, qui sont de la compétence régionale et seraient, selon vous, si j'ai bien compris, l'échelon le plus pertinent. Et je n'oublie pas les PCAET. Comment assurer une meilleure articulation entre ces différents échelons et mettre fin à une certaine incohérence ?
Mme Corinne Le Quéré. - Sur ce point, je n'ai pas beaucoup d'éléments à apporter par rapport à ce que j'ai déjà dit.
Cette année, nous regarderons plus en détail quels moyens sont mis en place au niveau des différentes régions. Nous nous efforcerons d'identifier celles qui auront mené des expériences positives. Nous examinerons également les moyens humains consacrés au suivi des données.
Nous le reconnaissons, les régions ont un rôle important à jouer.
M. Guillaume Gontard. - Je souhaite revenir sur les propos de mon collègue Didier Mandelli concernant la place de la Convention citoyenne, qui « flotte » un peu dans le tableau qui nous est présenté.
Le Haut Conseil pour le climat évaluera-t-il les propositions de la Convention citoyenne ? Une telle évaluation me semblerait intéressante.
Alors que les objectifs de la stratégie nationale bas-carbone ont été revus à la baisse par le Gouvernement, quel est votre avis sur cette nouvelle orientation ? Nous sommes très focalisés sur le carbone et les gaz à effet de serre. Pourtant, la consommation d'énergie primaire ne baisse pas dans notre pays. Ne serait-il donc pas pertinent de mettre en avant la sobriété énergétique et la baisse des consommations, qu'il s'agisse des transports ou de la rénovation thermique ?
Mme Corinne Le Quéré. - Nous n'évaluerons pas quantitativement les mesures proposées par les citoyens. En revanche, nous utiliserons les propositions qui en ressortiront, comme nous l'avons fait à la suite du Grand débat. Nous essaierons de répertorier la valeur ajoutée de ces propositions pour répondre au défi du changement climatique et de déterminer comment le Gouvernement pourrait s'emparer de ces propositions.
L'évaluation de chaque mesure constitue un gros travail, qu'il revient au Gouvernement de mener.
Je le rappelle, la publication des résultats de la Convention citoyenne interviendra en avril. Or notre rapport est prévu pour le mois de juin, ce qui ne nous laisse donc pas beaucoup de temps.
Concernant la stratégie nationale bas-carbone, vous avez tout à fait raison, nous nous intéressons particulièrement au carbone, alors qu'il existe un autre levier, celui de la sobriété et de la réduction de la consommation énergétique.
Au sein de la SNBC, cette réduction, dont le potentiel est important, se décline dans plusieurs domaines et pourrait être déployée de façon plus substantielle. Pour le moment, nous n'avons pas fait de recommandations précises, parce que nous n'avons pas examiné en détail chaque secteur.
Mme Martine Filleul. - Je souhaite vous interroger sur la réaction de M. le Premier ministre à votre rapport. Dans un souci de sincérité, il a acté le fait que nous n'avions pas atteint nos objectifs en matière de réduction des gaz à effet de serre. Il a repoussé les efforts à faire sur la période 2024-2028.
Selon lui, il faudra baisser nos émissions de 63 millions de tonnes équivalent CO2, contre 41 millions de tonnes équivalent CO2 prévues initialement, soit une baisse supplémentaire de 50 %.
Cet effort semble assez peu réaliste. Ainsi, entre 2015 et 2018, nous avons réduit nos émissions de 13 millions de tonnes seulement. Nous préparons-nous donc à acter que nous n'atteindrons pas nos objectifs ?
Concernant la programmation pluriannuelle de l'énergie, laquelle ne relève pas de votre périmètre, vous l'avez dit, je souhaite vous interroger sur la stratégie générale, sur laquelle vous portez un regard. Je vous avoue en effet que je n'y vois pas très clair : la réduction de la part du nucléaire à 50 % du mix énergétique ou, plus exactement, du mix électrique et la construction de nouveaux EPR reflètent-elles une stratégie cohérente ?
Mme Corinne Le Quéré. - C'est déjà bien que la réponse du Gouvernement existe ! Elle clôt le premier cycle et souligne la volonté de tous de poursuivre les efforts.
Les feuilles de route que j'ai mentionnées donnent clairement des instructions aux différents ministères. Si la réponse est riche et élaborée, elle regroupe un grand nombre d'éléments qui ne donnent pas l'impression d'une stratégie d'ensemble. On attend, dans les mois et années à venir, une stratégie plus claire et plus précise, face à des éléments encore disparates.
Ainsi, pour ce qui concerne les puits de carbone, les détails sont peu nombreux : qui fera quoi ? Quels sont les éléments stratégiques ? Si quelques informations sont données concernant le calendrier, nous devrons faire preuve de vigilance concernant les stratégies effectives et les échéanciers.
Sur ce point, je souhaite vivement que le Sénat puisse s'emparer des promesses qui ont été faites dans cette réponse, pour continuer à encourager, grâce à un suivi important, les développements dans le bon sens.
Pour ce qui concerne la PPE, la situation est quelque peu identique. Les éléments stratégiques concernant les différentes productions d'énergie renouvelable, le développement de l'hydrogène et la méthanisation sont nombreux. Nous n'avons pas vérifié en détail si ces hypothèses, formulées par des équipes spécialisées ou internes au Gouvernement, se tiennent.
Toutefois, je peux vous dire que, dans le rapport que nous avons publié en juin dernier, nous avions noté que les objectifs concernant la production d'énergies renouvelables avaient été partiellement atteints. S'ils ont été atteints pour l'éolien terrestre et l'hydraulique, ils n'ont pas été atteints pour l'éolien en mer, le solaire et la chaleur.
Il s'agit d'un constat très important. En effet, il est normal, pour que la stratégie d'ensemble fonctionne, de ne pas atteindre certains objectifs. Il faut donc « surélever » l'ambition.
M. Guillaume Chevrollier. - Je voudrais tout d'abord savoir s'il existe dans d'autres pays des comités neutres et indépendants comme le vôtre. Le cas échéant, quel type de collaboration avez-vous avec eux ?
L'intitulé de votre premier rapport était le suivant : Agir en cohérence avec les ambitions. Vaste programme, dans la mesure où les actions menées aujourd'hui sont largement insuffisantes par rapport au réchauffement climatique à venir. Dans le cadre de la stratégie nationale bas-carbone, l'objectif de neutralité carbone que s'est fixé la France ne concerne pas toutes les émissions de notre pays, puisque celles qui sont liées aux transports aériens et maritimes internationaux et aux importations ne sont pas incluses, ce qui constitue un vrai sujet sur lequel je souhaiterais connaître votre position.
Vous avez déclaré voilà quelques jours que vous recommandiez au Gouvernement de modifier la taxe carbone, sujet extrêmement sensible, en proposant qu'elle concerne un maximum d'acteurs et qu'elle soit ensuite redistribuée aux ménages modestes. Pourriez-vous nous en dire davantage sur cette proposition et sur l'idée d'une meilleure transparence de l'utilisation de cette taxe ?
Vous avez également affirmé que chaque ministre devait avoir un plan d'action, dans son domaine de compétences, pour atteindre la neutralité carbone. Très concrètement, quels types de recommandations avez-vous fait aux différents ministères ?
Enfin, quel sera le titre de votre rapport 2020 ? Cette année est celle de la biodiversité, et de nombreux rendez-vous internationaux sont prévus sur ce thème. Ferez-vous des recommandations sur le climat et la biodiversité ?
Mme Corinne Le Quéré. - Presque tous les pays qui ont un objectif ambitieux de neutralité carbone ont mis en place un comité indépendant ; en revanche, l'Union européenne n'en dispose pas. Je siège au comité britannique, ce qui permet des échanges directs entre nos deux institutions. Nous avons aussi des échanges informels avec les comités suédois et néo-zélandais afin de dresser des comparaisons entre nos pays.
Notre rapport a certes mentionné que l'objectif de neutralité carbone en 2050 est cohérent avec l'accord de Paris, mais nous rappelons aussi que cet objectif n'exprime pas à lui seul l'entière responsabilité de la France. Les transports aériens internationaux en particulier n'étaient pas inclus dans la loi relative à l'énergie et au climat. Le Gouvernement s'est engagé à les inclure à partir de 2022 ou 2023 dans l'objectif de neutralité carbone, ce que nous avions recommandé, dans la mesure où l'on peut estimer la fraction de ce trafic qui est de la responsabilité de la France.
Concernant l'empreinte carbone, la situation est un peu plus difficile, puisqu'on ne la contrôle pas entièrement. Les mesures mises en place au niveau national permettent de diminuer les émissions territoriales et ainsi l'empreinte carbone, notamment en matière de sobriété énergétique. En revanche, on ne dispose pas encore de leviers pour ce qui est de la consommation de produits importés. L'Union européenne devrait à son tour adopter un objectif de neutralité carbone pour 2050, ce qui permettra de réduire l'empreinte carbone des produits européens ; il restera les produits importés depuis le reste du monde.
La taxe carbone est structurante et importante, parce qu'elle permet à l'ensemble de la société de réduire ses émissions de façon plus efficace et économique. En revanche, elle n'est pas juste : elle touche davantage les personnes les plus démunies ; c'est pourquoi elle est mal acceptée. Nous avons formulé des recommandations pour en faire une taxe à la fois efficace et acceptable. Il faudrait notamment qu'il soit clair que la finalité de cette taxe n'est pas d'apporter un revenu à l'État, mais de restructurer l'économie de manière à ce que le prix des activités qui émettent des gaz à effet de serre soit plus élevé et reflète leurs dommages environnementaux. L'utilisation des recettes doit être complètement transparente. Par ailleurs, l'assiette de cette taxe doit être refondue pour qu'elle soit plus juste et vise un plus grand nombre d'acteurs : sa conception actuelle est trop focalisée sur le transport et le bâtiment. Il faut en outre réévaluer la redistribution aux ménages les plus modestes et procéder à des investissements dans les infrastructures de manière à être moins dépendants de l'automobile. Si les citoyens ne disposent pas d'une alternative à la voiture, même avec les taxes les plus élevées possible, il n'y aura pas de changement !
M. Patrick Chaize, président. - Ne ressentez-vous pas une certaine frustration au vu de la faible part - 0.9 % - des émissions françaises au sein des émissions mondiales ?
Mme Corinne Le Quéré. - Non : la France a une population très faible à l'échelle mondiale ; il est donc normal que nos émissions ne représentent que 0,9 % du total. Par habitant, nous avons les mêmes émissions que la Chine ! Nous avons par ailleurs une responsabilité historique très importante et la capacité d'agir. Notre contribution doit correspondre à tous ces éléments. La France a clairement annoncé quelle serait sa contribution aux termes de l'accord de Paris ; elle nous paraît adéquate.
Par ailleurs, des efforts sont aussi accomplis ailleurs. Il y a dix-huit pays dans le monde où les émissions ont diminué de façon systématique au cours de la dernière décennie. En Chine, les émissions dues au charbon ont connu beaucoup d'aléas, mais on observe une stabilisation générale des émissions depuis 2013 : on n'est peut-être pas encore au pic, mais ce n'est plus la croissance effrénée des années 2000. On observe aussi des progrès en Inde. Il se passe beaucoup de choses à l'étranger et la France joue sa part entière !
M. Olivier Jacquin. - Je salue la qualité et l'efficacité de vos travaux.
Notre pays est fâché avec l'écotaxe depuis des années. Comment avancer ? Il faut envoyer des signaux forts sur les prix. En Norvège, une voiture électrique est moins chère qu'une voiture thermique, grâce à un mécanisme de bonus-malus : le signal envoyé au consommateur est clair. Or la loi d'orientation des mobilités a éludé cette question par crainte du conflit politique important qui existe autour de l'écotaxe. Cela n'est pas dû seulement aux questions de justice sociale, mais aussi au poids des lobbies. Nous avions proposé une taxe sur les affréteurs routiers, une contribution carbone des donneurs d'ordre, mais cela a été bloqué. C'est une catastrophe ! Vous avez déjà affirmé votre soutien au principe d'une écotaxe, mais quelle méthode employer pour la rendre possible politiquement ?
Mme Corinne Le Quéré. - Nous avons effectivement conclu à la nécessité de donner un prix, direct ou indirect, au carbone. La solution la plus efficace pour ce faire est une taxe carbone, mais ce n'est pas la seule. Normes, réglementations et quotas permettent de fixer un prix indirect et sont sans doute plus acceptables par la société. Le plus important est que le prix du carbone existe, qu'il soit à la bonne hauteur, qu'il soit prévisible et qu'il augmente avec le temps, de manière à influencer les choix des investisseurs. Les projets de taxe carbone doivent être revus, mais tant que cette voie est gelée, il faut utiliser les autres instruments plus massivement.
M. Rémy Pointereau. - Existe-t-il un classement international du tonnage des émissions de gaz à effet de serre ? Si l'on veut créer une émulation, il faudrait un indice permanent et objectif, comme pour les marchés financiers. Les efforts français représentent peu à l'échelle mondiale. Quel impact avons-nous en Europe, dans le monde ? Quel pays, semblable au nôtre par sa population ou son territoire, est le plus vertueux ?
Mme Corinne Le Quéré. - Les tendances des émissions de chaque pays sont suivies de très près. On suit les objectifs annoncés, les engagements pris et les réalisations. Pour autant, la somme des actions de chaque pays ne correspond pas encore, loin de là, aux objectifs de l'accord de Paris. Il faudra que chacun prenne des engagements renforcés à la COP 26 de Glasgow. L'objectif de neutralité carbone adopté par la France s'inscrit dans ce cycle. Il faut désormais mener un important travail diplomatique pour soutenir les autres pays dans le rehaussement de leurs objectifs climatiques.
La France se situe dans la moyenne européenne pour les émissions par habitant et les tendances observées : la réduction des émissions s'établit entre 1 % et 1,5 % par an. Notre pays n'est donc pas particulièrement vertueux, mais il fait sa part. Un groupe de pays émerge où les réductions sont plus importantes, de l'ordre de 3 % à 5 % par an ; il est composé de la Suède, du Danemark, de la Finlande et du Royaume-Uni. Dans ce dernier pays, cela s'explique surtout par la sortie du charbon ; en Suède, par la sortie du fuel. Cela dit, la réduction de l'empreinte carbone y est plus importante et rapide qu'en France.
M. Rémy Pointereau. - Mais ne partent-ils pas de plus haut ?
Mme Corinne Le Quéré. - Certes, notamment au Royaume-Uni, mais ce pays a aujourd'hui presque rattrapé la France.
M. Patrick Chaize, président. - Merci pour la qualité de vos réponses. On a beaucoup parlé de cohérence, de coordination et de vigilance. L'utilité du Conseil que vous présidez devra être soulignée. Nous attendons avec impatience votre prochain rapport.
La réunion est close à 11 h 10.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.