- Mercredi 22 janvier 2020
- Audition de M. Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique
- Audition de M. Philippe Mauguin, président-directeur général de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE)
- Désignation d'un rapporteur
Mercredi 22 janvier 2020
- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Audition de M. Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique
Mme Sophie Primas, présidente. - Mes chers collègues, nous accueillons ce matin M. Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique, que je remercie d'avoir répondu à notre invitation.
Monsieur le secrétaire d'État, vous êtes le seul membre du Gouvernement dont le titre comporte le terme « numérique ». Notre commission étant compétente sur l'économie numérique, elle a naturellement souhaité vous entendre. Il s'agit pour nous de mieux cerner, d'une part, votre vision de l'économie numérique et du rôle que la puissance publique doit y jouer, d'autre part, la stratégie numérique du Gouvernement.
L'économie numérique est un pan essentiel de notre économie et de nos vies. Le numérique transforme tous les secteurs d'activité. Il est une chance, car il a donné lieu à des innovations majeures dont chacun peut constater l'utilité au quotidien. C'est également une dimension essentielle du dynamisme et de la compétitivité de l'économie française.
Nous assistons aujourd'hui dans ce secteur à un phénomène de concentration en raison d'effets de réseau massifs, qui ne cesse de susciter des interrogations partout dans le monde, compte tenu de ses effets sur la concurrence, sur nos sociétés et même sur nos démocraties. Comme la commission d'enquête du Sénat l'avait souligné, les États apparaissent plus que jamais dépassés par certaines entreprises, en tout cas par leur puissance. Et c'est le potentiel d'innovation, y compris en France, qui s'en trouverait amoindri. Les barrières à l'entrée sur les marchés s'accumulent à mesure que, selon l'expression consacrée, « le premier prend tout ». Tout cela n'est pas théorique. Ce sont nos entreprises qui peuvent en pâtir !
De notre côté, nous estimons que l'économie numérique est, à certains égards, parvenue à une certaine maturité et que, avec l'âge, viennent les responsabilités. C'est ce constat qui a incité notre commission, dans la diversité de sa composition, à agir et à déposer une proposition de loi visant à garantir le libre choix du consommateur dans le cyberespace. Le Gouvernement a jusqu'ici souhaité agir sur la fiscalité et sur la haine en ligne. Nous proposons de nous attaquer à la racine du problème économique en redonnant du pouvoir aux consommateurs, car ce sont eux qui doivent décider. Ce faisant, c'est l'innovation que nous proposons de favoriser. Vous aurez l'occasion de nous dire quelques mots sur ce texte dès aujourd'hui, avant notre débat en séance publique. Les rapporteurs auront quelques questions à vous poser.
Je précise d'ores et déjà que nous serons d'accord sur un point : l'idéal serait que ce type d'initiative aboutisse à l'échelon européen, mais nous connaissons tous les délais des procédures européennes. Nous estimons que la célérité de l'action publique, après tant d'années d'atermoiements, est essentielle en la matière. La position de la France est importante.
L'action publique en matière d'économie numérique ne se limite pas, fort heureusement, à la régulation. Nous devons collectivement faire mentir le vieil adage selon lequel l'Amérique invente, la Chine copie et l'Europe réglemente. Nous devons permettre à nos entreprises d'inventer. Cela passe, et le Gouvernement en a pleinement conscience, par la mobilisation des capitaux privés pour faire grandir les entreprises françaises, alors que la France est encore loin derrière le Royaume-Uni en termes de levées de fonds. Vous nous direz sans doute un mot des développements récents en la matière.
Par ailleurs, le Gouvernement s'engage dans ce que l'on pourrait appeler une politique industrielle sectorielle, laquelle est bienvenue, en ciblant les technologies stratégiques nécessaires à l'indépendance technologique de la France et indispensables à la croissance dans un monde numérisé. C'est notamment le cas en matière d'intelligence artificielle, de calcul intensif, de cloud, de blockchain et, plus récemment, d'informatique quantique. Vous pourrez nous présenter la politique gouvernementale sur ces différents sujets.
M. Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique. - Merci, madame la présidente, le numérique suscite un grand intérêt au Sénat, comme en témoignent ses différents travaux.
Le numérique couvre aujourd'hui tous les champs de l'économie et de l'action gouvernementale. C'est l'une des deux grandes transformations, avec la transformation écologique, qui percute notre société. Je laisserai volontairement de côté un certain nombre de sujets, tels que la transformation numérique de l'État et des outils de l'État, pour me concentrer sur les politiques publiques dans le domaine du numérique.
Nous devons relever trois principaux défis.
Le premier est un défi de puissance et de souveraineté économiques. En termes géopolitiques, le monde se recentre quasi exclusivement autour de l'affrontement, technologique et commercial, entre les Américains et les Chinois. Pour une bonne partie du monde, ce qui se passe au Sud ou au Moyen-Orient est secondaire au regard des transformations très profondes qu'entraîne la compétition commerciale, économique et technologique entre les Américains et les Chinois. La capacité économique et technologique est essentielle en termes de puissance. Aujourd'hui, les grands acteurs du numérique américains et chinois sont des puissances d'influence qui, dans un monde transfrontière, ont une empreinte extrêmement forte sur les économies des pays occidentaux. Dans les secteurs critiques comme l'informatique, l'intelligence artificielle ou le calcul quantique, ce sont les premiers investisseurs mondiaux, bien avant les États. Une partie de la domination technologique américaine et chinoise est très liée à la puissance des GAFA - Google, Apple, Facebook et Amazon - et des BATX - Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi.
Dans ces conditions, force est de constater que l'Europe n'est pas au niveau, en particulier la France. Nous comptons de très grandes entreprises technologiques, puissantes et très performantes. Néanmoins, l'âge moyen des entreprises du CAC 40 en France est supérieur à 100 ans, quand celui de leurs homologues américains et chinois est inférieur à 20 ans. Il n'y a eu que deux introductions en Bourse technologiques de plus de 1 milliard d'euros en France depuis 1996 : Dassault Systèmes et Worldline. C'est révélateur.
Nous devons donc aider nos grandes entreprises à se transformer, même si cela relève d'abord de leur responsabilité, et créer en France et en Europe les conditions fiscales, réglementaires et d'investissement permettant l'émergence de nouveaux champions, nos propres Google et Facebook. Je suis persuadé que c'est possible, même si cela prendra quelques années.
C'est pour cette raison que la question des start-up est si importante pour le Gouvernement : c'est une question de souveraineté et d'emploi. Aux États-Unis aujourd'hui, entre un tiers et la moitié des créations nettes d'emplois sont le fait de start-up. En France, les start-up créeront 25 000 emplois en 2020, soit un emploi sur six. Les entreprises du programme « French Tech 120 » créent des emplois sur tout le territoire - il y a au moins deux entreprises par région - et sont devenues l'un des piliers de notre économie et de notre souveraineté. Le problème demeure leur croissance. La France est l'un des pays les plus performants et les plus dynamiques en la matière, même si elle reste encore en deçà des Anglais et des Allemands. En 2019, ce sont 5 milliards d'euros qui ont été investis dans les start-up, contre 3,5 milliards d'euros en 2018 et 2,5 milliards d'euros en 2017, soit un doublement en deux ans. Il faut toutefois avoir à l'esprit que les Américains investissent 100 milliards, les Chinois 80 milliards. Les investissements européens se situent autour de 30 ou 40 milliards d'euros. Beaucoup reste donc à faire pour que les start-up deviennent des entreprises de taille intermédiaire, puis des champions. C'est le sens de l'action du Gouvernement.
L'investissement aujourd'hui est d'abord privé. Une entreprise qui souhaite lever des fonds, plus de 100 millions d'euros, est aujourd'hui obligée de se tourner vers les investisseurs américains. Ce n'est pas en soi une mauvaise chose, mais pour que nous soyons souverains, il doit exister des options européennes. À cet effet, le Gouvernement a travaillé avec les investisseurs institutionnels français afin que 6 milliards d'euros supplémentaires d'argent privé soient investis dans cette économie. Il faut continuer à travailler à l'échelon européen pour investir dans les technologies critiques - intelligence artificielle, informatique quantique -, pour des raisons économiques, compte tenu de la vitesse des ruptures technologiques, et de souveraineté.
À titre d'exemple, on ne peut pas prétendre être une puissance de niveau mondial et défendre ses intérêts à l'étranger si les Américains et les Chinois, parce qu'ils ont été beaucoup plus rapides dans le calcul quantique, interceptent toutes nos communications et savent où se trouvent nos sous-marins, sans que l'on sache où sont les leurs. Tel est l'enjeu de cette technologie.
Des transformations de la logique européenne sont également nécessaires. Aujourd'hui, les Américains et les ménages américains sont surendettés. Leurs investissements sont financés par des emprunts provenant pour partie des économies des Européens, qui épargnent beaucoup et font des placements non risqués, souvent dans des obligations du Trésor américain. L'argent des Européens sert donc à financer la croissance des Américains ! Soit les Américains réussissent, il s'agit de bons investissements, et nous finançons leur supériorité technologique, soit ils se surendettent, et nous rencontrons un problème avec leur dette, et les épargnants européens ne seront pas remboursés. Tel est aujourd'hui, en résumé, l'état de l'économie mondiale.
Il faut que l'Europe investisse beaucoup plus dans ces technologies et qu'elle prenne conscience de la nécessité de préserver son indépendance technologique et économique. Les dernières annonces de la nouvelle présidente de la Commission européenne sont à cet égard très intéressantes.
Pour permettre à nos entreprises de grossir, nous devons créer à terme une sorte de Nasdaq européen.
La formation est également un problème. Aujourd'hui, la bataille pour la technologie mondiale est d'abord une bataille pour les talents. La tension sur le marché de l'emploi dans les start-up est extrêmement forte, il faut former plus de personnes. Si les entreprises technologiques françaises ont du mal à grandir, c'est avant tout parce qu'elles ont du mal à recruter, à tous les niveaux de compétence.
Enfin, nous faisons face à un problème de performance et de cohésion sociale, à savoir le manque de diversité de cet écosystème. Ce problème est mondial. Les seules personnes embauchées dans les start-up françaises ne peuvent pas être des mâles blancs de moins de 40 ans, issus des meilleures écoles françaises. Il faut également des femmes et une diversité sociale plus importante. À cet égard, le programme du Gouvernement le plus important en termes de budget est le French Tech Tremplin, qui vise à accroître la diversité.
Le deuxième défi important que nous devons relever est celui de la régulation. Nous avons vu émerger des acteurs d'une taille et d'une complexité technologique et juridique inconnues dans toute l'histoire de l'économie mondiale. Il est extrêmement compliqué pour les États de réguler ces acteurs transnationaux, dont l'ADN est américain ou chinois, pour des raisons technologiques et juridiques, et de s'assurer qu'ils respectent la loi. Les États doivent donc se mettre à niveau technologiquement et juridiquement.
Ces acteurs posent en outre tous des problèmes très différents. Leur empreinte sur nos économies et nos démocraties est extrêmement problématique et appelle une réponse systémique. La France considère que certains acteurs sont devenus systémiques ou structurants et qu'ils doivent donc se voir appliquer un certain nombre de règles spécifiques, à l'instar de ce qui a été fait pour les banques systémiques. Ces règles pourraient porter sur l'interopérabilité ou la régulation d'infrastructures devenues essentielles. Un contrôle extrêmement fort des acquisitions pourrait être instauré pour éviter les acquisitions tueuses et développer l'innovation, car nous sommes aujourd'hui dans une situation de quasi-oligopole, mais aussi pour des raisons démocratiques. Il est difficile de continuer à considérer qu'un seul réseau social rassemblant 1,6 milliard de personnes, dont 40 millions de Français, est un acteur privé devant être régi par ses propres règles. Ce réseau est devenu une agora essentielle à la démocratie française.
Nous souhaitons que cette régulation systémique soit inscrite à l'agenda de la nouvelle Commission européenne - les commissaires Breton et Vestager sont très investis sur ces sujets -, et ce pour deux raisons. La première est que l'échelon européen est le bon pour instaurer une telle régulation, la seconde est que, instruits par notre expérience sur la taxe « GAFA », cette régulation pourrait être perçue comme étant si agressive pour les Américains qu'elle appellerait une réaction de leur part. Aussi est-il indispensable que les Européens soient unis sur le sujet. Je ne m'attarde pas sur la taxe, qui est un sujet économique et politique essentiel, sur lequel Bruno Lemaire s'est beaucoup mobilisé.
Globalement, une mise à jour de l'action publique est indispensable, sans quoi c'est sa pertinence qui pourrait être remise en cause.
Le troisième défi est celui de l'inclusion numérique, de la lutte contre l'illectronisme. Les sujets que je viens d'évoquer sont essentiels pour la France, mais ils ne peuvent être compris par nos concitoyens s'ils ne vivent le numérique que comme un facteur d'exclusion. Et je ne parle pas que des réseaux. À cet égard, je précise que le Gouvernement a souhaité différencier la question des réseaux de celle des usages. Julien Denormandie est responsable du déploiement de la fibre, Agnès Pannier-Runacher du déploiement du réseau mobile. Pour ma part, je suis responsable du déploiement des usages.
Traditionnellement, l'État a abordé la fracture numérique uniquement par la question des tuyaux, qui est certes essentielle. Or il ne suffit pas d'avoir le réseau et la fibre pour savoir se servir d'internet. Aujourd'hui, 13 millions de nos concitoyens, et pas uniquement des personnes âgées, estiment qu'ils n'ont aucune compétence numérique. Les jeunes aussi sont concernés. Ils savent utiliser Snapchat ou Instagram, mais sont incapables d'envoyer leur CV lorsqu'ils postulent à un emploi ou de remplir leur déclaration d'impôts en ligne. Nous ne pouvons pas laisser une partie des Français de côté. Nous devons permettre à ceux qui ne maîtrisent pas les outils numériques d'accéder, par exemple, aux services publics, soit en faisant les choses à leur place, soit en mettant en place des solutions qui ne soient pas numériques, en prévoyant par exemple un numéro de téléphone. Nous pouvons également former les 6 ou 7 millions de Français qui demandent à comprendre le numérique et à apprendre, par exemple, à créer une adresse e-mail ou à déclarer leurs impôts en ligne. À cet égard, des conventions ont été signées avec quarante-huit collectivités sur l'ensemble du territoire.
Nous devons changer notre approche de la dématérialisation des services publics. Nous sommes probablement allés un peu vite dans ce domaine, en oubliant une partie des usagers. C'est une priorité pour 2020, le numérique au quotidien et pour tous étant un chantier important pour le Président de la République.
D'autres questions se posent également, qu'il s'agisse de la parentalité à l'heure des écrans, des données sur les réseaux sociaux ou de la propagation de fausses informations sur internet. Il s'agit de donner aux Français la capacité d'être acteurs de ce monde qui évolue extrêmement vite et de ne pas le subir, le risque sinon étant de connaître de nouveaux mouvements sociaux. Le numérique n'est pas le seul responsable du mouvement des « gilets jaunes », bien sûr, mais force est de reconnaître qu'il pose des problèmes à une partie de nos concitoyens au quotidien, qui le vivent comme un facteur d'exclusion.
Mme Sophie Primas, présidente. - Il est effectivement très important de « réhumaniser » nos relations sur le numérique.
M. Franck Montaugé. - Monsieur le secrétaire d'État, le Sénat examinera dans quelques jours une proposition de loi dont l'un des objectifs est de limiter les acquisitions prédatrices. Nous avons conscience que nous sommes sur une ligne de crête, car il ne faut pas tuer la créativité. Le Gouvernement verrait-il d'un bon oeil une expérimentation au titre de l'article 37-1 de la Constitution ?
Dans le cadre du projet de loi sur l'audiovisuel public, le Gouvernement envisage de constituer une task force de vingt spécialistes de très haut niveau qui sera mise à la disposition des administrations. Pensez-vous que vingt personnes suffiront ?
La commission d'enquête sur la souveraineté numérique du Sénat a suggéré de financer 1 500 à 2 000 thèses dans les domaines de l'intelligence artificielle et du numérique en général. Comptez-vous aller dans ce sens ?
Cette commission avait par ailleurs préconisé que soit clarifiée la manière dont l'État est organisé pour définir et mener des politiques publiques dans le domaine du numérique. Nous avions proposé un forum du numérique temporaire, réunissant toutes les parties prenantes, afin de formuler des propositions et d'aboutir éventuellement à un projet de loi d'orientation et de suivi de la souveraineté numérique nationale. Le Gouvernement envisage-t-il de prendre en compte cette proposition ? Par exemple, alors que le Conseil national du numérique fait un très bon travail, il est assez peu tenu compte de ses propositions - il doit d'ailleurs bientôt publier un rapport, mais cette publication tarde, et cela n'est probablement pas de son fait ! Il faut vraiment se pencher sur l'organisation de l'État en la matière afin d'être plus efficace.
Mme Sylviane Noël. - Vous l'avez dit, monsieur le secrétaire d'État, il est préférable d'agir au niveau européen. Nous ne contestons pas cette analyse, même si elle ne nous semble pas constituer un argument pour ne pas agir à l'échelon national. Certains acteurs considèrent que si une seule disposition devait être mise en oeuvre à l'échelon national, ce serait le libre choix des utilisateurs de terminaux. Qu'en pensez-vous ?
La proposition de loi prévoit que l'Autorité de la concurrence détermine une liste des entreprises systémiques qui devront lui notifier certaines de leurs acquisitions. Le Gouvernement travaille sur une notion proche, mais plus restreinte, de plateforme structurante. Pouvez-vous nous en dire plus, notamment sur les critères d'identification envisagés ?
Enfin, le sujet de la différenciation entre contenu publicitaire et contenu « natif » sur Google, c'est-à-dire résultant de l'application des règles algorithmiques du moteur de recherche, a été évoqué lors de nos auditions. Certains considèrent que cette distinction est de moins en moins claire et induit le consommateur en erreur. Qu'en pensez-vous ?
M. Cédric O, secrétaire d'État. - J'ai assez peu de points de divergence sur la proposition de loi dont nous parlons aujourd'hui. Même si cela mériterait de rentrer dans le détail, sur le fond, je trouve que les pistes qui sont tracées sont excellentes. Ma seule divergence porte sur le niveau auquel il convient de légiférer. Faut-il légiférer tout de suite au niveau national ou attendre de voir ce qui va se passer à l'échelon européen ? Pour sa part, le Gouvernement souhaite profiter du moment européen qui est en cours, l'agenda qui se dessine paraissant extrêmement ambitieux. Il s'agit d'instaurer des règles à l'échelon européen et de créer un environnement numérique européen.
Ainsi, la définition des plateformes structurantes ne peut être faite qu'à l'échelon européen. Il serait très compliqué, y compris pour les entreprises françaises, de devoir gérer vingt-sept ou vingt-huit définitions. En outre, les GAFA parviennent toujours à contourner les règles et à les adapter à vingt-sept ou vingt-huit réglementations européennes, grâce à leur département juridique, qui compte plusieurs centaines de personnes. Les entreprises européennes ou françaises ne peuvent s'adapter aussi vite et sont contraintes dans leur développement. D'où l'intérêt d'une régulation à l'échelon européen. Je pense qu'il faut adopter le maximum de dispositions à cet échelon avant d'agir au niveau national. Un règlement serait d'ailleurs préférable à une directive, afin d'éviter tout dumping réglementaire.
Par ailleurs, la question de la création d'un régulateur ad hoc pourrait se poser, spécifiquement pour les quelques plateformes structurantes. Le problème posé par ces plateformes va au-delà de la question strictement concurrentielle. Il faut à la fois mettre à jour nos règles concurrentielles et développer d'autres règles. C'est une manière de répondre à la question sur les acquisitions prédatrices. Je considère que, sur ce sujet également, l'échelon européen est le bon. Je pense qu'il faut interdire les acquisitions prédatrices, sachant que nous ne serons pas soutenus par grand-monde. Les acquisitions sont de toute évidence intéressantes pour les GAFA, mais aussi pour les investisseurs européens, qui peuvent rentabiliser leurs investissements, et pour les créateurs de start-up, qui peuvent vendre leur entreprise et gagner de l'argent. Cela ne signifie pas qu'il ne faut pas interdire les acquisitions. Simplement, il faut limiter l'interdiction aux acquisitions prédatrices et à certaines plateformes.
La question qui va se poser pour les start-up françaises est celle de leur sortie. Dans l'économie numérique, l'histoire se termine dans neuf cas sur dix par un rachat. Le problème en Europe est que les grandes entreprises traditionnelles ne rachètent pas, ou très peu. Pour que la taille de notre écosystème global grossisse, nous n'avons d'autre choix, à court et moyen termes, que de laisser ces entreprises se fait racheter par des acheteurs étrangers. Les gens regrettent souvent que les start-up françaises soient rachetées par des groupes américains. Je le regrette aussi, mais je ne peux pas forcer les groupes français à les racheter. Nous devons aussi inciter ces start-up à être cotées en bourse, d'où l'idée d'un Nasdaq européen.
Le projet de loi sur l'audiovisuel public prévoit la création d'un service à compétence nationale à disposition de l'ensemble des régulateurs. Il est extrêmement difficile pour la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), pour l'Autorité de la concurrence (ADLC) ou le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) de savoir ce qui se passe sur Facebook ou sur Google, faute de compétences technologiques. L'ensemble de ces régulateurs émet depuis plusieurs mois, voire plusieurs années, le souhait de disposer d'ingénieurs en intelligence artificielle et en sciences des données, ces compétences étant rares et chères. L'État a lui aussi besoin de telles compétences. Il a donc été décidé de créer un service rassemblant des profils très rares, que ces autorités ne peuvent pas se payer chacune de leur côté. Ce service comprendra une vingtaine de personnes et constituera un réservoir de compétences purement technologiques, dans lequel viendront puiser chacune des autorités. Ce service a vocation à grandir à terme, mais il faut commencer par le mettre en place, par trouver des modes de fonctionnement et par s'attaquer à certaines problématiques.
Le programme national pour l'intelligence artificielle a déjà financé quelque 300 thèses, c'est un premier résultat. La recherche sera également au centre du futur plan du Gouvernement sur l'informatique quantique. La France ne dépense pas assez pour sa recherche : nous sommes à 2,23 % de notre PIB, contre 3 % en Allemagne : si nos voisins d'outre-Rhin atteignaient leur objectif de passer à 3,5 % de leur PIB en cinq ans et que nous restions à notre niveau actuel, l'écart serait de 60 milliards d'euros en 2025, soit l'équivalent de ce que nous dépensons aujourd'hui en recherche et développement. L'enjeu n'est rien moins que les emplois dans les décennies à venir. La ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche a évoqué des pistes, qui sont en discussion, en particulier une revalorisation substantielle d'ici à 2021 du salaire minimum des chercheurs, à 2 SMIC contre 1,3 SMIC aujourd'hui. Nous devons faire un effort sur les salaires, sur l'attractivité, je suis pleinement d'accord.
Sur l'organisation de l'État, j'abonde dans votre sens, quoique la question dépasse largement mon champ de compétences... Il faut prendre en compte l'économie numérique au niveau pertinent, le Président de la République est très impliqué, à titre personnel : c'est une différence de taille avec ses prédécesseurs.
Sur le libre choix des utilisateurs, je crois que nous devons hiérarchiser nos priorités : l'essentiel, c'est que nos partenaires européens adhèrent à l'idée d'une régulation systémique des acteurs structurants. Nous ne gagnerions pas de temps à négocier sans fin sur des sujets moins importants, mieux vaut se concentrer sur la négociation principale, sur le sujet structurant : la régulation des plateformes structurantes.
M. Franck Montaugé. - Les services de la Commission européenne nous ont indiqué qu'un accord n'avait guère de chance d'aboutir avant 2023 ou 2025 : n'est-ce pas trop lointain ?
M. Cédric O, secrétaire d'État. Quelques années pour une négociation ne me paraissent pas de trop dès lors que l'enjeu est réellement structurel et engage plusieurs décennies au moins. Les Européens nous reprochent parfois de faire cavalier seul, il faut négocier, pour une régulation qui sera structurelle, donc décisive.
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous ne pouvons cependant que nous étonner de voir le Gouvernement en retrait sur la taxation des GAFA, après avoir tant dit que la France en serait le fer de lance. Le moratoire sur la « taxe GAFA » relève certes de la diplomatie, mais il n'en reste pas moins que dans un monde où tout s'accélère, il faut être agile, rapide, davantage que ne le peut l'Europe. Nous faisons confiance à Thierry Breton, cependant, pour aller vite.
Mme Patricia Morhet-Richaud. - Alors que nous vous alertons régulièrement des manques dans le déploiement de la fibre, vous avez refusé les autorisations d'engagement que nous proposions en loi de finances pour le Plan France très haut débit (PFTHD). Je suis interpellée tous les jours par les maires sur ce sujet. Comment comptez-vous tenir vos objectifs pour 2025 ? Comment, ensuite, accompagner les quelque 13 millions de nos compatriotes qui sont en difficulté avec le numérique ? Enfin, qu'en est-il du projet de fusionner la Commission supérieure du numérique et des postes (CSNP) et le Conseil national du numérique (CNNum) ? Ces deux instances ont un rôle très différent : la première remplit des fonctions de contrôle, tandis que le second assure une expertise pour le Gouvernement ; comment comptez-vous fusionner les équipes, pour quelles fonctions ?
Mme Anne-Catherine Loisier. - Doit-on comprendre de vos propos que votre approche sur la proposition de loi visant à lutter contre la haine en ligne n'est pas, non plus, adaptée puisqu'il faudrait agir au niveau européen ? Comment comptez-vous mobiliser les investisseurs institutionnels sur le capital-risque ? Que pensez-vous des modalités d'accès au numérique pour les entreprises françaises ? Quelles méthodes comptez-vous déployer, ensuite, pour résorber l'exclusion numérique, qui touche 13 millions de nos compatriotes, et ce alors que l'administration prévoit une dématérialisation complète d'ici à 2022 ?
Mme Élisabeth Lamure. - Nous avons alerté le Gouvernement sur les conséquences, pour les entreprises, des difficultés de la société Kosc Telecom, opérateur neutre sur le marché de la connectivité. Le Premier ministre nous a dirigés vers le ministre de l'économie et des finances, mais nous n'avons aucune nouvelle. Or, si cette société ne trouvait pas de repreneur, de très nombreuses PME se trouveraient en difficulté pour leur connectivité. Que comptez-vous faire pour empêcher cela ? Faut-il obliger les opérateurs intégrés à ouvrir leurs réseaux, comme c'est le cas pour les réseaux d'initiative publique ?
Le rachat de la société Covage par SFR ne concentre-t-il pas excessivement le marché ? Ne pensez-vous pas qu'il faudrait saisir l'Autorité de la concurrence et l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) pour préciser les conditions d'un tel rachat ?
Mme Sophie Primas, présidente. - Permettez-moi de vous préciser que M. le secrétaire d'État n'est pas chargé des réseaux ni des opérateurs télécoms...
Mme Dominique Estrosi Sassone. - La ville de Nice a testé, lors de son carnaval en février 2019, un dispositif de reconnaissance faciale par vidéo, avec 50 volontaires ; toutes les personnes ont été reconnues par l'algorithme, c'est donc une réussite technique. Cependant, il n'est pas possible d'aller plus loin, faute d'un texte législatif adapté. Vous avez évoqué une phase de tests, qui pourrait aller de six mois à un an sous la supervision de la société civile et des chercheurs. Le Gouvernement entend-il permettre l'usage de la reconnaissance faciale dans des cas spécifiques, en particulier lors de disparitions ou de recherches de personnes en fuite ?
M. Joël Labbé. - Je suis heureux d'entendre le Gouvernement reconnaître que « l'illectronisme », cet illettrisme numérique, est un problème social important. Le numérique concentre tous les paradoxes de notre société : c'est un fleuron de l'économie, avec ses premiers de cordée, ses emplois de demain, mais il pose des problèmes pour ceux qui utilisent trop les réseaux, aussi bien que pour ceux qui sont « à la ramasse » devant les machines. Comme le disait Jean-Louis Borloo, il faut un plan national contre la fracture numérique : un quart de nos compatriotes ne savent pas s'informer sur internet et une personne sur cinq ne sait pas communiquer sur internet, mais « les petits hommes gris de Bercy », comme les appelle Jean-Louis Borloo, à force de rogner les budgets, font disparaitre tous les agents d'accueil dans les services publics : aujourd'hui, il est impossible d'avoir quelqu'un au téléphone dans une administration et ceux qui ne savent pas utiliser internet sont perdus, c'est inacceptable. Monsieur le ministre, tant qu'internet n'est pas accessible à tous, il faut au moins maintenir la possibilité d'avoir des agents publics au téléphone !
Mme Viviane Artigalas. - Depuis le 1er octobre 2018, les marchés publics sont dématérialisés entre 25 000 et 90 000 euros. Or, les petites communes, les petites entreprises et les artisans ne maîtrisent pas toujours la plateforme dédiée, ce qui les dissuade de candidater. Nous avons proposé de rendre la dématérialisation facultative, mais le ministre des Comptes publics nous l'a refusé, en minimisant l'impact de cette dématérialisation sur l'économie locale, sur les petites entreprises. Les remontées de terrain prouvent que cette réforme a des effets négatifs importants ! Qu'en pensez-vous ?
M. Henri Cabanel. - Nous entendons vos paroles contre « l'illectronisme », mais il faut des actes. Sachant que certaines communes n'ont pas de réseau, donc pas d'internet, comment comptez-vous vous y prendre ? Ensuite, en quoi consistent les « ateliers d'écoute » que vous avez mis en place ?
M. Martial Bourquin. - Nous avons appris ce matin, avec surprise et dépit, que le Gouvernement temporisait sur la taxation des GAFA. C'est un peu « retenez-moi ou je fais un malheur » pour au final abandonner ! Or, la fiscalité est un outil essentiel pour développer l'industrie dont nous avons besoin au XXIe siècle. Nous subissons la concurrence d'acteurs qui ne respectent aucune de nos règles ; en toute impunité les Paradise Papers ont révélé l'ampleur de l'évasion fiscale et l'impuissance de l'Union européenne et de notre pays... Or, sans fiscalité adaptée, pas d'émergence de champions européens.
Ensuite, sur la recherche, si la comparaison avec l'Allemagne n'est guère flatteuse, celle avec la Corée du Sud est pire encore... Comment faire pour que nos chercheurs ne partent pas travailler à l'étranger ?
M. Serge Babary. - Notre commission a mis en place un groupe de travail sur les nouvelles formes de commerce. Lors des auditions, nous constatons que la fracture numérique s'applique aussi aux entreprises. Sur quelque 900 000 commerces, 500 000 n'ont aucune visibilité sur internet : il faut une mobilisation générale pour informer et former nos entreprises, y compris les commerces.
Lors des auditions, l'inégalité devant la taxation revient régulièrement comme un facteur qui handicape gravement notre économie, en particulier dans ce début de révolution numérique à l'échelle mondiale : comment comptez-vous agir concrètement ?
M. Yves Bouloux. - Une question sur la proposition de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet : pourquoi avez-vous souhaité maintenir le délit pénal de non-retrait en 24 heures, lequel fait l'objet d'une opposition quasi générale, bien au-delà du Sénat, alors que ce texte prévoit un outil bien plus efficace avec une amende administrative qui peut aller jusqu'à 4 % du chiffre d'affaires ? Avez-vous un espoir de compromis en nouvelle lecture ?
M. Alain Duran. - Pour voir émerger de nouveaux champions, il faut davantage d'ingénieurs diplômés ; or nos écoles n'en forment pas assez : quels sont les partenariats à conduire avec l'Éducation nationale et de l'Enseignement supérieur ?
M. Laurent Duplomb. - Après nous avoir expliqué qu'on ne lâcherait rien sur la « taxe GAFA », Bruno Le Maire annonce que le Gouvernement suspend la taxe, cédant au chantage américain sur les taxes aux importations de produits français : qu'en est-il ? Est-ce une fake news, ou un renoncement de M. Le Maire ? J'aimerais, ensuite, savoir combien de temps et d'argent les entreprises et les artisans perdent avec les problèmes informatiques, car ce doit être colossal...
M. Daniel Dubois. - Je suis heureux de vous avoir entendu parler de souveraineté économique. La stratégie nationale de recherche en intelligence artificielle, cependant, est arrivée trop tardivement et n'est pas à la hauteur des enjeux : nous ne sommes pas au rendez-vous de l'économie de demain. Quel est le premier bilan de cette stratégie ? Quelles en sont les retombées concrètes ?
M. Jean-Pierre Moga. - Alors que notre pays est en retard sur l'innovation, nous avions demandé, dans le cadre de la loi de finances, de maintenir, voire d'augmenter les dotations de Bpifrance pour le financement des aides à l'innovation octroyées partout sur le territoire, mais nous n'avons pas été entendus. Faut-il se résoudre à voir ces dotations continuer de baisser, ou bien allez-vous obtenir au moins leur maintien ?
M. Daniel Gremillet. - Comme mes collègues, j'attends une action véritable contre la fracture numérique ; l'enjeu est vital : nous devons faire plus. Je m'interroge également sur la taxe GAFA : pourquoi un tel renoncement ? Enfin, quelle est votre position sur la conservation des données ?
Mme Agnès Constant. - Comment le programme French Tech 120 a-t-il sélectionné les start-up qu'il soutient ? Comment ce programme est-il financé et comment les entreprises concernées sont-elles accompagnées ?
M. Fabien Gay. - Le numérique devrait être reconnu comme un droit fondamental, ce qui suppose d'en garantir l'accès, y compris au matériel. Avant de créer des fleurons européens, conservons au moins les entreprises que nous avons. Or, voyez ce qui se passe avec PagesJaunes, qu'un fonds de pension vorace est en train de vider pour vampiriser les données des PME que l'entreprise possède. Le Gouvernement nous dit qu'on ne peut rien faire : le politique peut-il, oui ou non, réguler l'économie du numérique ?
Enfin, nous sommes tous d'accord pour dire que la taxation des GAFA est une question de justice fiscale, car ces entreprises jouent contre notre économie, tirent les droits sociaux vers le bas, dépècent nos entreprises, mais nous ne faisons rien. Monsieur le secrétaire d'État, soit on traite le sujet, soit on ne le fait pas, mais il faut le dire !
M. Xavier Iacovelli. - La protection de l'enfance est l'un des cinq chantiers lancés par le Gouvernement sur le numérique et le Président de la République a annoncé, lors du 30e anniversaire de la Convention relative aux droits de l'enfant (CIDE), des mesures pour simplifier le contrôle parental, sensibiliser le grand public sur le risque d'exposition des enfants à la pornographie, installer un baromètre pour évaluer l'utilisation d'internet par les enfants. On n'admet pas qu'un enfant entre dans un sexshop, il doit en être de même sur internet : la pornographie sur internet est une violence faite aux enfants ; il nous faut la combattre. Vous avez mis en place un comité de suivi, comment fonctionne-t-il et quel est son calendrier ?
Mme Anne-Marie Bertrand. - La menace américaine sur le commerce a eu raison notre souveraineté et l'Europe paraît inerte sur la taxation des GAFA, alors même que d'autres pays, comme l'Italie et l'Espagne, nous emboitent le pas : qu'en est-il de nos autres partenaires européens ?
M. Cédric O, secrétaire d'État. - Je ne peux répondre que succinctement à d'aussi nombreuses questions, qui demandent chacune des développements.
Nous avons recouvré la taxe GAFA en 2019. Le Gouvernement vient d'annoncer qu'il acceptait que l'acompte dû en avril de cette année ne soit pas versé, pour le cas où, d'ici à la fin de l'année, une solution serait trouvée dans le cadre de l'OCDE. Il ne s'agit donc nullement d'un renoncement, mais d'un geste de bonne volonté pour que la négociation prévue s'engage sous les meilleurs auspices. Vous l'avez dit, plusieurs pays européens ont des projets similaires à notre taxe, en particulier l'Italie et l'Autriche - le mieux serait effectivement un dispositif à l'échelle de l'OCDE ou de l'Union européenne.
L'inclusion numérique est une question essentielle. Sur les 13 millions de Français qui ont des difficultés à utiliser le numérique, on considère que 6 millions au moins peuvent être formés, tandis que les autres en resteront trop éloignés, du fait soit de leur âge, soit d'autres difficultés. Il faut donc, en plus de la formation, prévoir des solutions hors du numérique. Le Gouvernement sera au rendez-vous. Cependant, je l'ai constaté à Saint-Omer et à Amiens en visitant des lieux de médiation numérique - il y en a environ 5 000 en France -, la question n'est pas que financière : certains m'ont dit qu'ils ne sauraient pas nécessairement quoi faire de moyens supplémentaires, que l'action devait être plus large. De fait, la formation au numérique et à son usage est très large, elle intéresse un grand nombre d'acteurs, bien au-delà de l'État, des collectivités locales et des associations. Nous avons d'importants outils, comme le pass numérique ou la Médnum, mais il faut que, collectivement, nous poursuivions nos efforts.
Les investisseurs institutionnels s'orientent très peu vers la technologie, cette frilosité est un non-sens économique. C'est pourquoi nous les avons réunis et convaincus d'investir 3 milliards d'euros dans des « gros tickets » pour favoriser la croissance d'entreprises technologiques et 3 milliards d'euros dans des investissements boursiers, pour faire en sorte que ces entreprises aillent en bourse. Ces investissements feront l'objet d'un suivi très précis, nous espérons amorcer un mouvement plus large pour que les investisseurs institutionnels s'orientent bien davantage vers les entreprises technologiques.
Sur la proposition de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, notre volonté d'agir d'abord au niveau français se justifie par la différence entre, d'une part l'ambition d'agir de façon systémique et, d'autre part, celle d'agir sur un sujet particulier, d'urgence et d'ordre régalien. J'espère que nous aurons également un accord européen sur ce point. Nous avions créé les conditions d'un accord en commission mixte paritaire, lequel n'a malheureusement pas été trouvé ; je le regrette, d'autant que nous avions largement amodié la question du délit pénal, en précisant la notion d'intentionnalité et en excluant la peine de prison. Du reste, le délit pénal existe déjà dans la loi pour la confiance dans l'économie numérique.
La question de la reprise de l'entreprise Kosc n'entre effectivement pas dans mes attributions, mais je crois pouvoir dire que nous avons bon espoir qu'un repreneur s'engage dans les conditions requises. Nous ferons tout pour maintenir la concurrence et les emplois. J'ai moins d'inquiétude sur ce dossier que sur d'autres.
Sur la reconnaissance faciale, je pense qu'il faut une phase de tests puis une phase de débats publics. Nous avons besoin d'un débat public pour trancher entre l'intérêt d'un tel dispositif et les risques qu'il présente. Nous le devons aux Français, c'est aussi une question touchant à notre démocratie.
Sur la dématérialisation des marchés publics, le Gouvernement est sensible aux difficultés rencontrées ; des solutions de mutualisation sont possibles, entre collectivités et avec l'État ; il faut aussi simplifier les procédures avec l'outil numérique.
Les ateliers d'écoute que j'ai mis en place consistent à mettre autour de la table des usagers et l'administration pour examiner très précisément, à partir de situations concrètes, comment fonctionnent les sites des services publics, pour apprécier les difficultés pratiques de la dématérialisation.
Je vous ai déjà répondu sur la recherche : l'effort du Gouvernement pour la recherche est tout simplement historique, il faut le reconnaitre.
Bien des commerces n'ont effectivement pas de visibilité suffisante sur internet, alors que c'est une question de survie ! Ce constat recouvre en partie celui de l'exclusion numérique, car ce sont souvent les petits commerçants ou les artisans qui peinent à utiliser les outils numériques. Il faut que ces entreprises aillent davantage vers le numérique, nous y travaillons via l'initiative France Num. Nous devons lier cette initiative à celles sur l'inclusion numérique.
La formation aux métiers du numérique est au coeur du pacte productif voulu par Bruno Le Maire : 200 000 emplois sont à créer d'ici à 2022, l'Éducation nationale va généraliser des cours de sciences numériques dès l'an prochain ; il faut continuer dans ce sens.
La stratégie nationale pour l'intelligence artificielle se déploie, 300 thèses sont soutenues, la mobilisation de 1,5 milliard d'euros en cinq ans représente un effort très significatif, même si cela ne suffira pas. Notre pays se hisse parmi les cinq premiers de l'OCDE en la matière, c'est important, quoique nous soyons très loin des tout premiers.
Je vous remercie de soutenir les dotations à Bpifrance, le Gouvernement n'a aucune intention de les diminuer et nous avons même, dans le dernier budget, introduit le plafonnement du remboursement à la sécurité sociale des exonérations de cotisations bénéficiant aux jeunes entreprises innovantes (JEI), ce qui a permis dans l'exécution d'augmenter les dotations.
Le commissaire européen Thierry Breton fera des annonces importantes la semaine prochaine sur la conservation des données. L'Europe se mobilise face à l'extraterritorialité du droit américain sur le cloud, des négociations sont en cours pour parvenir à un même ensemble de règles pour le continent européen, seule façon de se faire entendre par nos partenaires d'outre-Atlantique.
Sur les fake news, nous avons surestimé la maturité démocratique de notre société, en pensant que l'accès à toutes les connaissances sur internet apporterait du savoir à la société, c'est faux. La question des fake news se règlera sur le long terme, par l'éducation et la formation. Sur internet, il ne suffit pas de montrer qu'un fait est faux, erroné, pour que l'on soit cru. Ce phénomène est lié à une perte de légitimité des institutions en général, ce qui pose un problème démocratique, d'autant que ce domaine est particulièrement difficile à réglementer...
Sur le programme French Tech 120, nous n'avons pas choisi les entreprises, nous les avons retenues en fonction de critères publics - un critère de levées de fonds, et un autre de chiffres d'affaires -, qui ont vocation à être actualisés, en ajoutant la contrainte que chaque région soit représentée dans l'échantillon par au moins deux entreprises, ce qui n'a d'ailleurs pas été difficile à trouver. Ce programme d'accompagnement sera suivi par toutes les administrations concernées, pour faciliter la vie des entreprises, c'est l'intérêt de notre économie.
M. Gay a tort de dire que nous n'accompagnons pas les entreprises en difficulté et que nous ne faisons rien : c'est le quotidien de mon cabinet que d'accompagner et de trouver des solutions en matière de paiement d'impôts, de cotisations sociales.
La protection de l'enfance est un sujet essentiel. En moyenne, un enfant voit une vidéo pornographique à l'âge de 11 ans : c'est une violence faite aux enfants. Il y va de la responsabilité des parents, mais pas seulement : il faut leur donner accès à des outils de contrôle parental, sa généralisation est notre priorité ; nous voulons simplifier et perfectionner ces outils. Nous communiquerons sur le sujet dans les jours qui viennent : nous donnerons six mois pour généraliser le contrôle parental, et si les opérateurs ne font pas davantage, nous passerons par la loi. À ce stade, nous comptons sur la bonne volonté des acteurs. C'est d'ailleurs dans leur intérêt, ne serait-ce que pour leur image.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de M. Philippe Mauguin, président-directeur général de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE)
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui M. Philippe Mauguin, Président-directeur général de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement, l'INRAE.
Monsieur le Président, votre formation a allié les sciences, l'agronomie et le génie rural, aux sciences sociales avec l'économie de l'innovation et au management. Après une expérience dans le privé et dans la recherche, vous avez alterné fonctions en cabinet ministériel, jusqu'à diriger le cabinet du ministre de l'agriculture, et fonctions de direction à l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), à l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) ou au ministère de l'agriculture où vous avez été directeur des pêches.
Depuis juillet 2016, vous êtes président-directeur général de l'INRA et désormais, depuis le 1er janvier, de l'INRAE, du fait de la fusion de l'INRA avec l'IRSTEA, l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture, que vous avez portée depuis les premières réflexions, début 2018, jusqu'à sa mise en oeuvre aujourd'hui.
C'est l'occasion de faire un point sur la situation de votre établissement. Il me semblerait utile que vous puissiez nous faire un état des lieux de cette fusion des deux organismes. Avez-vous en tant qu'organisme de recherche des difficultés ou des facilités pour rester attractifs et attirer des talents pour rester dans la course face à des homologues internationaux très actifs ? Quels sont désormais les atouts de l'institut dans la compétition mondiale de la recherche, dans un agenda international de plus en plus sensible à ses thèmes de recherche : transition écologique, biodiversité, climat, sécurité et alimentation, résilience face aux risques naturels ?
Sur ce plan, je voudrais tout d'abord que vous abordiez les questions soulevées par l'usage des produits phytosanitaires. La ferme France s'est enflammée autour des zones de non traitement (ZNT). Mais ce débat n'a été que la cristallisation de nombreux autres sujets qui, depuis plusieurs années, remettent en cause les pratiques culturales issues de la révolution verte de l'après-guerre : la réduction des usages des pesticides et notamment la sortie du glyphosate, les pollinisateurs, le bio, la création de plants résistants, les OGM, etc.
Ces préoccupations afin de réduire l'usage des produits phytopharmaceutiques sont, je le crois, partagées par l'ensemble de la profession agricole. La raison est en simple : diminuer les intrants revient à diminuer les charges pour les exploitants. Toutefois, l'enjeu est de pouvoir proposer aujourd'hui des alternatives efficaces aux agriculteurs pour rester compétitif. Et c'est là où la recherche doit apporter rapidement des réponses. Pourriez-vous nous préciser quelles sont les récentes avancées sur les sujets et à quel horizon peuvent-elles être déployées au profit de l'agriculture de demain ?
J'ajoute que ce « verdissement de l'agriculture », comme certains l'évoquent sans craindre le pléonasme, ne peut se concevoir indépendamment d'un second volet : l'adaptation de l'agriculture française au changement climatique. L'augmentation des températures moyennes et extrêmes, comme plus généralement les événements climatiques hors normes, sont en train de bouleverser le paysage agricole que nous connaissons aujourd'hui. Par exemple, dans le domaine viticole, il m'était rapporté que l'enherbement de vignes, recommandé pour préserver les sols, avait par exemple empêché la vigne de faire barrière au feu. Des cas d'échaudages exceptionnels par leur ampleur ont aussi été rapportés. A contrario, les semis d'automne ont été rendus difficiles par des pluies trop abondantes.
Monsieur le Président, votre éclairage nous sera donc particulièrement précieux pour nous aider à appréhender et anticiper les changements en cours dans un monde agricole par ailleurs profondément éprouvé et contesté dans sa fonction nourricière.
M. Philippe Mauguin, président-directeur général de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE). - Merci pour votre accueil et votre présence. Vous avez donné un bon éclairage des priorités de notre institut et du fait que nous devons, plus que jamais, être à l'écoute des priorités des politiques publiques. Nous voulons être accessibles et partager les avancées de la connaissance scientifique sur ces sujets.
Nous commencerons par la création de l'INRAE suite à la fusion de l'INRA avec l'IRSTEA. Je reviendrai sur le climat, sur l'impact du dérèglement climatique sur l'agriculture française à moyen terme et sur les stratégies d'adaptations proposées par la recherche. Enfin, sur les pesticides, nous ferons un point sur ce que fait la recherche et sur les propositions concernant les ZNT. Nous avons notamment été saisis par le gouvernement sur le glyphosate.
Je suis accompagné de M. Thierry Caquet, directeur scientifique environnement, qui reviendra sur le climat et les ZNT, et par Florence Jacquet, directrice de recherche, qui pilote l'évaluation de l'impact des pesticides sur le secteur agricole.
Pourquoi avoir lancé la fusion ? Quand j'ai commencé ma carrière au ministère de la recherche, il y avait deux grands établissements, l'INRA et le Centre national du machinisme agricole du génie rural, des eaux et des forêts (Cemagref). La question de la nécessité de conserver ces deux établissements, qui ont toujours fait un excellent travail, a été soulevée dès les années 1980 puis de nouveau en 2000-2001. Il y avait deux raisons à cette fusion : c'était tout d'abord le résultat d'une discussion au sein de l'IRSTEA sur son modèle économique, la taille critique et la capacité financière nécessaire face aux autres établissements publics à caractère scientifique. De plus l'INRA avait envie d'aller plus loin sur un certain nombre de sujets.
Cette fusion n'a pas été précipitée, ce qui est une des raisons de son succès. Nos deux ministères de tutelle, la recherche et l'agriculture, nous ont laissé piloter le processus. Nous avons construit cette fusion en trois étapes. Nous avons tout d'abord chargé un collectif de scientifiques des deux maisons de faire un bilan sur les grands sujets, et de voir ceux en complémentarité, en doublon et ceux potentiellement en synergie. La conclusion était que nous n'avions pas de doublons, mais également que nous avions peu de synergies. Par exemple sur la réduction des pesticides, il y avait un gros travail de l'INRA sur les alternatives aux pesticides du côté de l'agronomie, et de l'IRSTEA sur l'agroéquipement. Ce qui ne permettait pas de trouver des solutions concrètes à offrir aux agriculteurs : ces logiques d'établissement poursuivant leurs propres politiques scientifiques ne suffisaient pas au vu des enjeux. Le président de l'IRSTEA, M. Marc Michel, et moi-même avons remis aux ministres un rapport suggérant la fusion, malgré les difficultés inhérentes à la transition.
Les ministres ont donné leur accord pour la seconde phase, celle de l'étude de faisabilité, pour construire la nouvelle organisation scientifique. Il ne s'agissait pas de juxtaposer, mais d'hybrider les communautés scientifiques. Ce travail a été le plus délicat, à partir du schéma d'organisation scientifique proposé par les directeurs. Cette deuxième étape a été conclue en octobre 2018. Nous avons proposé aux ministres une nouvelle organisation cible, avec une nouvelle répartition territoriale et budgétaire. L'objectif n'était pas de faire moins de dépenses, mais de faire plus de science et plus d'innovation. Les deux ministères ont joué le jeu, et je salue d'ailleurs Frédérique Vidal et Didier Guillaume. Nous avons obtenu un bon budget, vous avez pu l'entendre lors des auditions passées, même s'il nous faudra des crédits complémentaires dans la prochaine loi de programmation de la recherche. Cependant, le budget total des deux entités n'a pas diminué. Tous les frais découlant de la fusion (5 millions d'euros) ont été supportés par le ministère et nous avons pu harmoniser par le haut les régimes indemnitaires. L'objectif de la fusion était de remonter les dotations de l'IRSTEA au niveau de celles de l'INRA. Grâce à la fusion, nous avons constitué des économies pour les réinjecter dans les dépenses scientifiques.
La fusion est donc réussie pour le moment, même si le rapprochement des cultures prend du temps. Nous avons une vraie envie de travailler ensemble en lien avec les grands enjeux que vous avez évoqués et avec nos extraordinaires champs de recherche. Nous sommes donc raisonnablement optimistes.
Qu'est ce qui change concrètement ? Le nom était un point sensible, en particulier pour l'INRA qui avait gardé le sien depuis 1946 (contrairement à l'IRSTEA) et dont le nom était assez connu internationalement. Nous voulions que le nom garde une continuité avec l'INRA mais sans donner à l'IRSTEA le sentiment d'avoir simplement été absorbé. Nous avons trouvé un accord sur l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement, ce qui est plus explicite sur les missions de l'INRA et convient à l'IRSTEA. L'acronyme d'INRAE marque le changement sans avoir de coupure : le « E » est celui d'Écologie, d'Énergie et rend compte de l'ambition de l'institut.
Revenons sur l'attractivité de l'INRA. L'institut était considéré comme le premier institut de recherche agronomique en Europe et le deuxième après les États-Unis, sur la base des publications. Après la fusion, si on ne regarde pas uniquement les publications en sciences agricoles, mais l'ensemble du champ (c'est-à-dire alimentation, environnement et agriculture compris), nous sommes le premier organisme spécialisé sur ces trois domaines. Nous sommes environ troisièmes dans chaque champ respectivement, mais premiers globalement. La compétition scientifique est rude, les Chinois investissent massivement dans la recherche agronomique avec des moyens supplémentaires. Nous avons après la fusion une visibilité renforcée, et ce doit être un argument d'attractivité. Nous comptons sur la loi de programmation pluriannuelle pour obtenir une revalorisation des salaires des chercheurs. J'ai estimé, avec le groupe de travail que je pilote, qu'il y a un décalage de 30 % de la rémunération des chercheurs français par rapport à la moyenne OCDE, et un décalage de 30 % des régimes indemnitaires des chercheurs et enseignants-chercheurs par rapport aux fonctionnaires français de formation équivalente. À l'heure de la recherche mondialisée, ce sujet est important pour attirer des chercheurs.
Nous avons engagé un nouveau projet stratégique pour revoir l'ensemble de nos priorités de recherche, avec une phase de consultation interne de nos chercheurs via des débats et une plateforme numérique interne. Puis nous ouvrirons une consultation externe et internationale à la fin du trimestre pour être challengés sur nos priorités. L'objectif est d'avoir fin 2020 un projet stratégique « INRAE 2030 » en maximisant les synergies du nouvel établissement.
Sur le changement climatique, vous le savez, les prévisions du GIEC ont tendance à se confirmer et se durcir. Le scénario de réchauffement à + 3 ou 4 °C à la fin du siècle affectera les productions agricoles et forestières, et aura un impact sur les ressources en eau, les sols et la biodiversité. La compétitivité de nos filières agricoles s'en ressent déjà. Vous l'avez souligné, Mme la présidente, les extrêmes climatiques se font sentir : les rendements stagnent depuis 10 ans, contrairement à ce que nous avons observé auparavant grâce aux progrès génétiques. Selon les chercheurs, deux tiers de cette stagnation est rattachable au changement climatique. Il faut aider les filières agricoles à s'adapter, voire à ce que l'agriculture contribue à la solution.
M. Thierry Caquet, directeur scientifique environnement de l'INRAE. - Lorsqu'on parle de changement climatique et d'activité agricole, il faut avoir à l'idée que l'on travaille sur deux dimensions : la réduction des gaz à effet de serre d'une part, et l'adaptation de la production de biomasse dans un climat qui évolue d'autre part. Le plus important n'est pas tant l'augmentation des températures que leurs variations inter et intra-annuelles. L'enjeu pour nous est d'avancer sur ces deux pieds : le stockage du carbone et l'adaptation de la production aux nouvelles conditions environnementales. Cette vision doit être interdisciplinaire, voire transdisciplinaire pour mobiliser la société, et l'INRAE est parfaitement qualifié sur ces sujets. L'idée est de mobiliser toutes nos connaissances agronomiques classiques (c'est-à-dire en s'adaptant à la météo de manière traditionnelle). Mais cela ne suffira pas, car nous allons être confrontés à des conditions climatiques inédites : il faut transformer le système. Il faut repenser les productions animales et végétales, en relocalisant des productions, en commençant de nouvelles productions grâce aux opportunités qui découlent aussi et heureusement de ce changement (par exemple des saisons de végétation plus longues). Le développement de l'agro-écologie, c'est-à-dire la diversification des productions, est un des vecteurs pour avancer sur l'atténuation des effets du changement (grâce à la diminution des intrants) et est une garantie de la résilience d'une production à l'échelle de l'exploitation.
C'est le cas dans la filière viticole. L'INRA a lancé un programme transversal sur l'adaptation au changement climatique depuis 2011. Nous avons soutenu un programme centré sur le vin et rassemblant des acteurs de l'ensemble de la filière, avec des chercheurs sur la vigne, sur la vinification et ses adaptations, avec les consommateurs et les professionnels. Nous avons imaginé ce que ce serait de produire du vin en France en 2030 ou 2050 : quels cépages planter ? Faut-il adapter le degré d'alcool des vins ? Changer la technique de vinification ? Il y a eu des ateliers en région sur les impacts et les options possibles face au changement climatique avec les professionnels. Les participants ont fait des propositions, certaines très disruptives, reprises dans le cadre d'un schéma stratégique par FranceAgriMer et l'INAO. Cela implique notamment de changer le cahier des charges des AOP et IGP.
M. Philippe Mauguin. - C'est un exemple parmi d'autres. Sur la réduction des produits phytosanitaires, nous sommes très mobilisés, avec beaucoup de recherches menées sur des systèmes de production moins consommateurs. Il y a eu plusieurs plans « écophyto » avec des succès mitigés il est vrai. La ferme France n'évolue pas vers une diminution, les derniers chiffres l'ont montré, mais il y a quand même des résultats positifs observés.
Dans le réseau des 3 000 fermes Dephy, on a réduit de 20 à 40 % les usages de produits phytosanitaires : c'est donc techniquement possible. L'enjeu de la diminution des intrants est d'obtenir les mêmes résultats en consommant moins de pesticides : la vraie difficulté est le changement d'échelle. Mais cette transition vers moins de pesticides est difficile, notamment pour des raisons d'accompagnement et de formation des agriculteurs. Il faut garder cela à l'esprit concernant la prochaine politique agricole commune (PAC). Il faut aller vers une transformation plus globale : nous avons avec le ministère de la recherche un grand programme prioritaire sur les alternatives aux pesticides.
Nous avons été chargés par le gouvernement d'une grande étude sur les alternatives techniques existantes au glyphosate, que nous avons rendue il y a deux ans. Nous effectuons maintenant en appuis de l'Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail) une grande étude sur l'impact économique de la fin du glyphosate. Florence Jacquet va vous présenter les travaux concernant la filière viticole.
Mme Florence Jacquet, directrice de recherche. - Ce travail rassemble l'ensemble des connaissances sur les alternatives au désherbage chimique. Nous nous sommes basés sur l'enquête « Pratiques culturales » avec des données de 2017 pour la grande culture, de 2016 pour la viticulture et de 2015 pour l'arboriculture. L'objectif était de décrire les alternatives techniques, et d'évaluer leur surcoût. Le rapport sur la viticulture et celui sur l'arboriculture sont en ligne sur le site du ministère de la recherche. Le rapport sur les grandes cultures sera rendu début février.
Quelques mots sur les résultats. Il existe des alternatives : 20 % des surfaces agricoles et 40 % des fermes du réseau Dephy n'utilisent aucun herbicide. Dans le cas de la viticulture, le désherbage des vignes passe à la fois par la gestion des inter-rangs et par celle des rangées de ceps. Le surcoût lié à ces alternatives est estimé à 250 euros par hectare, et varie beaucoup selon les situations. C'est 7,5 % de l'excédent brut d'exploitation moyen des exploitations. Ce surcoût peut être plus ou moins répercuté sur les prix auprès du consommateur selon le type de commercialisation. Les facteurs les plus déterminants dans le calcul de ce surcoût sont le travail supplémentaire et les investissements en matériel nécessaires, qui varient selon les situations. Nous avons donc eu un traitement par bassin viticole pour tenir compte de l'hétérogénéité des situations et de la largeur des vignes.
Sur notre travail en cours sur l'arboriculture, la problématique ressemble à celle de la viticulture, même si 95 % des vergers sont enherbés entre les rangs. Il existe soit des méthodes d'enherbement et de fauche sous les arbres, soit de de travail mécanique. La principale difficulté est leur compatibilité avec les systèmes d'irrigation, souvent posés au sol. Un désherbage non chimique en verger est d'autant plus faisable qu'il est pensé en amont de la création du verger, dans le choix des porte-greffes et des modes d'irrigation.
M. Philippe Mauguin. - Ce travail sur les alternatives prend en compte l'impact économique sur les agriculteurs pour accompagner les transitions. C'est le rôle de la recherche dans le débat public.
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous en venons aux questions.
M. Franck Montaugé. - Vous avez évoqué l'enjeu des paiements pour services environnementaux (PSE) et de la séquestration du carbone. Des cahiers méthodologiques auraient dû être distribués en 2019 à destination de l'État, des collectivités, et des acteurs privés. Où en est cette démarche ? Cela permettrait de souligner les externalités positives qui découlent de l'agriculture. Par ailleurs, je suis d'un territoire de polyculture élevage. Est-ce que l'INRAE travaille sur ce modèle qui dans le contexte du réchauffement a un certain avenir ? La Chine s'y intéresse de près.
M. Daniel Laurent. - Les agriculteurs sont les nouveaux boucs-émissaires de notre société. Or la profession n'a pas attendu pour s'inscrire dans une démarche de responsabilité environnementale. La mise en place des zones de non traitement doit nous interroger. Le problème des produits utilisés est-il la distance ou la dangerosité ? Si les enjeux économiques et sociaux sont importants, il faut proposer des produits de substitution ayant une innocuité avérée, ainsi qu'une harmonisation européenne. Pour le bio, y a-t-il des produits de substitution si l'on supprime les traitements autorisés aujourd'hui, en particulier le cuivre ?
Quel avenir pour le développement des cépages résistants ? Que pensez-vous de leur intégration dans des systèmes de culture ? Aujourd'hui certains cépages ne bénéficient que d'autorisations temporaires sur des parcelles expérimentales, en retard par rapport à nos voisins européens.
M. Henri Cabanel. - Sur les cépages résistants, les expérimentations sont désormais efficientes. Des vignes de cépages résistants monogéniques sont expérimentées sur mon territoire depuis trois ans. Vous paraît-il judicieux de continuer ?
Après la sècheresse de juin dernier dans l'Hérault qui a grillé les vignobles, la profession demande un schéma d'irrigation avec l'appui des collectivités. Existe-t-il d'autres alternatives ?
M. Michel Raison. - Votre tâche est compliquée, car vous gérez les contradictions entre la science et l'opinion. Sur la vigne, l'INRA, en partenariat avec les acteurs de terrain, a participé à des travaux remarquables qui ont permis des avancées. Il ne me semble pas que cette démarche ait été poussée aussi loin pour les grandes cultures ou l'élevage. Plus généralement, il faudrait que le « E » ajouté à l'INRAE soit le « E » d'économie. Le vrai souci de la ferme France, c'est l'économie durable. La recherche a-t-elle été assez axée sur le sujet ? Par ailleurs, sur la modification des gènes à l'intérieur de la plante, est-ce que la recherche est porteuse d'espoir ?
M. Joël Labbé. - J'ai participé au colloque de l'INRAE « Reterritorialisation de l'alimentation » le 28 novembre dernier, ce qui m'a permis de mesurer la qualité de vos services. Les réponses au changement climatique impliquent une montée en gamme des productions agricoles et un retour vers le système polyculture-élevage. Pouvez-vous revenir sur les résultats de l'étude INRAE- ITAB (Institut Technique de l'Agriculture Biologique) de 2016 sur les externalités liées à l'agriculture biologique ?
M. Pierre Louault. - Vous évoquiez une agriculture qui permettait de réduire de 40 % tous les pesticides. Est-ce que vous avancez sur les études de substitution ? La rumeur parle beaucoup de l'Osmobio de M. Le Verger, un produit naturel substituable au glyphosate. Étudiez-vous cette piste ?
M. Roland Courteau. - Stocker le carbone dans les sols permet à la fois de compenser les émissions anthropiques et d'améliorer la structure physico-chimique des sols (et donc le rendement des cultures). 30 % des sols de la planète seraient dégradés. L'initiative « 4 pour 1 000 » vise à compenser les émissions de CO2 dans l'atmosphère en augmentant le stockage de dioxyde de carbone dans les sols de 0,4% par an. Pourrions-nous continuer à utiliser le sol pour stocker le CO2 ? Les sols pourraient en effet rapidement saturer d'ici trente ou quarante ans. J'avais proposé à cette commission que nous orientions la PAC dans ce sens, en rémunérant les agriculteurs pour les inciter à développer le stockage de carbone. Avons-nous avancé sur cette initiative « 4 pour 1 000 », sur l'identification des pratiques agricoles et sylvicoles recommandées, ainsi que sur l'identification des politiques incitatives et des freins que nous rencontrons ?
M. Laurent Duplomb. - Je me reconnais dans les thèmes que vous avez abordés, notamment sur la diversification des cultures, étant agriculteur en Haute-Loire. Quand vous mettez en avant la réduction des produits phytosanitaires, vous soulignez que la dynamique est ancienne. Je suis une nouvelle fois d'accord avec vous, tout comme quand vous montrez les conséquences de la fin du glyphosate en termes de compétitivité par rapport à la concurrence internationale.
Or sur votre page Facebook, la tonalité du discours est bien différente et n'axant les publications que sur les problématiques liées au changement climatique. Pourquoi ne pas communiquer positivement sur les possibilités d'amélioration ouvertes par l'agriculture ?
Dans la gestion de vos fonctionnaires, comment conservez-vous la neutralité de l'INRAE pour conserver une perspective raisonnée et optimiste et non certaine idéologie ?
M. Alain Duran. - Je reviens sur une étude de l'INRAE sur les leviers agro-écologiques pour l'autonomie des élevages laitiers de brebis en Occitanie. Nous activons ces leviers dans le pastoralisme, chez moi en Ariège. Ce pastoralisme est aujourd'hui menacé par la présence de l'ours. Pouvez-vous effectuer une recherche sur l'impact de ce prédateur ?
M. Pierre Cuypers. - Le premier septembre 2018, l'utilisation des néonicotinoïdes a été interdite. Aucune dérogation n'a été accordée pour leur usage sur la betterave malgré un manque évident de produits de substitution. Qu'en pensez-vous ? Par ailleurs, concernant la pandémie que représentent les chenilles processionnaires, existe-t-il des dispositions prises pour les éradiquer ?
M. Jean-Claude Tissot. - On retrouve des micro-plastiques dans l'eau, dans l'air et dans le sol, notamment au travers de l'épandage des boues d'épuration. Y a-t-il des recherches pour savoir s'ils peuvent représenter un danger et entraîner une mutation de la vie microbienne du sol ?
Mme Anne-Catherine Loisier. - Sur les forêts, travaillez-vous sur l'impact de l'adaptation des essences au changement climatique et sur les aspects parasitaires ? Intégrez-vous les aspects économiques ? Travaillez-vous en agroforesterie ? Enfin, quels sont vos liens avec les interprofessions en amont de la filière bois ?
Mme Sylviane Noël. - En 2050, la moitié des forêts françaises sera soumise aux risques d'incendie et il est indispensable de s'y préparer. 30 à 40 % de la canopée est morte lors de la dernière sécheresse. Pour l'instant, les données scientifiques manquent pour connaître les conséquences de notre exploitation. Pouvez-vous y remédier ? Étudiez-vous les conséquences sur notre culture méditerranéenne en dehors de la viticulture ?
M. Daniel Gremillet. - Il convient de revenir à nos racines : l'INRA a été créé pour aider notre agriculture au sortir de la Seconde Guerre mondiale à nourrir les Français. Il ne faut pas oublier ce qu'a apporté l'INRA à notre pays. Déjà, à l'époque, les agriculteurs faisaient du développement durable, mais en fonction du savoir du moment. Ne soyons pas prétentieux ! Or ce savoir évolue selon nos connaissances. Le défi d'aujourd'hui est le même qu'il y a un demi-siècle : nourrir la population de manière accessible à tous. Mais la dimension économique disparaît : nous avons l'avons perdue dans nos lycées agricoles. Comment peut-on remettre au coeur des réflexions générales sur l'agriculture la problématique économique ?
Par ailleurs, que faites-vous pour accompagner les collectivités à replanter des forêts ?
M. Philippe Mauguin. - L'exercice de réponse est assez frustrant. Je vous propose donc de travailler sur vos questions et de revenir vous en parler avec des éléments précis sur tous les sujets.
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous vous réinviterons.
M. Philippe Mauguin. - Je rebondis sur la dernière remarque : le défi lors de la création de l'INRA en 1946 était de nourrir la France. Des générations de techniciens et de scientifiques engagés et créatifs ont permis d'avancer. Il faut conserver cet état d'esprit et aller jusqu'au bout, trouver des solutions et développer notre attractivité. Nous nous préoccupons aussi de l'économie. Mme Florence Jacquet ici présente est d'ailleurs économiste.
Sur le carbone dans les sols : nous progressons sur ce sujet majeur. Je vous cite l'étude de 2019 liée à « 4 pour 1 000 » sur le potentiel de stockage des sols français par km2, grâce aux bases de données info-sol pilotées par l'INRAE. L'objectif est de savoir ce que nous pouvons concrètement faire dans ce sens en France. L'enjeu est de maintenir les puits de carbone dans les sols, donc les prairies permanentes et la forêt, en limitant le retournement de prairie. Nous avons évalué le coût des pratiques de stockage pour définir des incitations financières dans les prochaines politiques publiques.
Concernant le modèle de polyculture-élevage, même s'il ne peut pas fonctionner partout, il faut remettre en valeur ce système de production, vous l'avez évoqué. Il fonctionne dans les deux sens : ce que l'élevage apporte aux cultures et ce que les cultures apportent à l'élevage. Les légumineuses et protéagineuses permettent de stocker de l'azote dans le sol et en partie d'alimenter les élevages. Cela renforce notre autonomie protéique en limitant les importations de soja brésilien.
Sur les ZNT, nos collègues de l'INRAE ont montré l'impact des matériels (buses anti-dérives, récupérateurs sur la vigne...). Avec des matériels plus performants qui réduisent la dérive des produits phytosanitaires, on peut réduire la distance de non traitement. Ce savoir technique est très attendu par le monde agricole.
Sur les cépages résistants, nous avons de bonnes perspectives. Nous lançons en Aquitaine le programme VitiREV pour tester l'apport de ces cépages dans la réduction des pesticides. Nous avons 4 cépages dans le catalogue, et bientôt 30 à 40 grâce à la sélection génomique. Dans 10 à 15 ans, nous aurons rendu résistants les plus importants de nos cépages traditionnels. Mais il nous faut du temps. Le temps de la recherche n'est pas le temps des médias ou celui de la politique.
Sur la question de la communication, le site internet de l'INRA est en chantier. Sur notre site, nous essayons de rendre la science accessible au grand public en tentant de limiter les partis pris et de nous placer dans une perspective de progrès.
Sur les néonicotinoïdes, un insecticide vient d'être autorisé contre le puceron vert de la betterave et nous espérons trouver rapidement dans nos laboratoires d'autres solutions de biocontrôle.
Un mot sur l'amélioration des plantes. Il existe trois grandes catégories de pratiques phytosanitaires. La première rassemble les techniques de désherbage, c'est-à-dire l'agronomie et l'agroéquipement. La deuxième concerne les insecticides et la majorité des produits de biocontrôle, sur lesquels nous avons un gros programme de recherche, grâce à un appel d'offres du ministère de la recherche à hauteur de 30 millions d'euros. Nous attendons la validation du jury. Sur la résistance des grandes cultures, beaucoup de travaux ont été faits. C'est une lutte sans merci entre les bio-agresseurs et nos chercheurs, car les souches s'adaptent. J'ai un très bel exemple de partenariat en Chine sur la riziculture au Yunnan. Les riziculteurs n'y utilisent quasiment plus de fongicides car ils fonctionnent avec 30 à 40 variétés de riz très proches et toutes différemment résistantes au champignon. Nous avons appelé cela le riz éternel. Cette solution qui consiste à jouer sur des associations de résistances pourrait être étendue à l'échelle d'un paysage agricole. Mais elle est très compliquée à organiser.
Sur l'Osmobio nous n'avons pas été saisis par l'Anses.
M. Thierry Caquet, directeur scientifique environnement de l'INRAE. - L'INRAE est le premier acteur de la recherche forestière en France, avec l'apport de nos collègues d'IRSTEA. Nos travaux portent sur l'ensemble des sujets, de la plantation jusqu'à la commercialisation, y compris les questions d'équilibre forestier. Cette problématique est prioritaire pour l'INRAE, grâce à un département qui regroupe l'essentiel de nos forces en recherche forestière. Nous travaillons aussi avec les gestionnaires forestiers : l'Office national des forêts, le Centre national de la propriété forestière, le réseau mixte technologique (RMT) Aforce. Nous sommes de plus en plus en lien avec les communes forestières qui nous font beaucoup de demandes. L'agroforesterie est un levier pour nous afin de favoriser l'adaptation de l'agriculture au changement climatique, de stocker du carbone dans les sols et de diversifier les activités des agriculteurs. Cela implique de repenser le métier d'agriculteur et de réintégrer les arbres au sein des paysages agricoles, à rebours de ce qui a été fait pendant des décennies.
Sur la question des bio-agresseurs, il existe des méthodes de lutte (par exemple par le bacillus thuringiensis pour la pyrale du buis). Il faut maintenant travailler sur les parasitoïdes qui pondent dans la chenille. Nous sommes en phase de test de faisabilité. Mais ces procédés ont un coût et la crainte est que la pyrale s'attaque désormais à d'autres variétés d'hôtes. Pour la chenille processionnaire, il existe des pièges physiques ou des pièges à base de phéromones que l'on peut disperser dans les forêts. C'est par exemple le cas à Avignon. Sur la processionnaire du chêne, qui rend parfois impossible l'accès aux forêts, les spores de bacillus thuringiensis fonctionnent mais coûtent très cher. Il faudra répercuter ce coût sur le prix du bois, alors que celui-ci est très faible. La filière bois doit s'emparer de la question, au-delà des forestiers, et jusqu'aux consommateurs. Nous avons un problème de perception de la gestion de la forêt auprès du consommateur, qui veut des produits en bois mais refuse que l'on coupe la forêt. C'est un vrai frein à l'adaptation des forêts.
M. Philippe Mauguin. - Je réponds à certaines questions que j'avais oubliées. Je voudrais vous présenter les territoires d'innovation, qui sont des laboratoires vivants où les chercheurs sont connectés avec les parties prenantes, dont des agriculteurs volontaires. Nous avons été retenus par le Gouvernement sur sept d'entre eux. Nous en avons un dans la région Grand-Ouest sur le bien-être animal, regroupant trois filières sur trois régions, en incluant tous les acteurs, y compris les organisations non gouvernementales, pour construire des trajectoires d'innovation. Nous en avons un sur Bordeaux et sur le Cognac, et un autre sur l'alimentation dans la métropole de Dijon. Le but est de territorialiser l'innovation : par exemple de voir comment favoriser par l'accompagnement et la commande publique, notamment dans la restauration collective publique, le développement de l'agriculture dans l'agglomération dijonnaise. Nous en avons également un dans la région Grand-Est sur les défis et les nouveaux usages du bois.
Je voudrais développer ces approches au sein de l'INRAE pour mobiliser le meilleur de la connaissance scientifique en interaction avec les acteurs. Je veux développer le débat public sur des bases scientifiques. L'institut permet de construire un avis collégial en prenant en compte tous les points de vue, y compris les aspects économiques.
Dernier point sur les nanoparticules, nous avons beaucoup de données sur leur présence dans les sols. Nous avons commencé à travailler sur l'impact sur la santé humaine de l'interaction entre le microbiote intestinal et les micro-plastiques. Ces derniers peuvent apporter des perturbateurs endocriniens et des microbes. La présence d'une particule non naturelle peut potentiellement avoir des effets plus larges. Nous y travaillons, mais nous manquons de données sur cet aspect.
Pour finir, Madame la Présidente et moi-même nous disions que pour être le plus efficace possible, nous pourrions revenir avec nos meilleurs chercheurs, soit en plénière soit dans vos groupes d'études afin de vous présenter nos travaux.
Mme Sophie Primas, présidente. - Je vous remercie pour la qualité et la précision de vos réponses.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Désignation d'un rapporteur
Mme Sophie Primas, présidente. - Mes chers collègues, il nous revient enfin de nommer un rapporteur sur la proposition de loi n° 178 (2019-2020), adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la transparence de l'information sur les produits agricoles et alimentaires.
Cette proposition de loi est un véhicule législatif permettant, notamment, de reprendre des articles adoptés dans la loi « Egalim », mais censurés par le Conseil constitutionnel faute d'un lien même indirect avec le texte initial du projet de loi. Si cette proposition de loi a été enrichie d'autres dispositions lors de son examen à l'Assemblée nationale, elle demeure très proche de la proposition de loi n° 322 (2018-2019) portant diverses dispositions relatives aux mentions et signes de la qualité et de l'origine valorisant les produits agricoles ou alimentaires, déjà adoptée par le Sénat. Les positions des deux assemblées ayant déjà été exprimées lors des débats en séance publique sur ces deux propositions de loi se recoupant en grande partie, il apparaît opportun de travailler désormais à favoriser une adoption rapide d'une des deux propositions.
Je vous propose, si vous en êtes d'accord, de reconduire le binôme qui avait déjà travaillé sur ces questions, à savoir M. Henri Cabanel et Mme Anne-Catherine Loisier en tant que rapporteurs sur cette proposition de loi.
La commission désigne M. Henri Cabanel et Mme Anne-Catherine Loisier rapporteurs sur la proposition de loi n° 178 (2019-2020), adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la transparence de l'information sur les produits agricoles et alimentaires.
Mme Sophie Primas, présidente. - Je vous indique d'ores et déjà que, sous réserve de la Conférence des Présidents qui se réunira ce soir, ce texte sera examiné par notre commission le jeudi 20 février à 10 h 30 conformément à la procédure de législation en commission (LEC) désormais bien connue. Les explications de vote en séance publique se dérouleront le mercredi 4 mars après-midi.
La réunion est close à 13 h 00.